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 Des ronds dans l'eau

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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyVen 16 Aoû 2019 - 20:09
Des ronds dans l'eau Bains10

Bas quartiers - La Planche Cloutée - Juin 1166

Il faisait chaud ce jour là. Vraiment chaud. Un soleil radieux d’été qui vous ferait presque regretter d’autres pluvieux, et une fine sueur qui vous dégouline le long du cou, pour dégringoler le long du dos, imprégnant la chemise d’une auréole désagréable, collant la peau sans la rafraichir. Alaïs soufflait en observant le ciel d’un oeil réprobateur. Du soleil d’accord, mais une petite brise fraîche pour compenser ? Anür, cependant, n’était pas disposée à obtempérer, et plongeait Marbrume dans une torpeur indolente lourde d’une chape de plomb dont personne ne réchappait. Un chat maigre restait étendu sur les tuiles, se résignant sûrement à son sort, attendant la nuit pour chasser. Quant à Alaïs, elle comptait et recomptait ses quelques sous, dans la cour du Dépotoir, assise à l’abri du toit d’une roulotte. Ca devrait suffire, ma foi. Elle avait plutôt bien travaillé ces derniers temps. Et croisant Kryss qui déambulait par là en causant à sa mère de chiffon, elle déposa un baiser sur sa joue en précisant comme si c’était évident qu’elle s’en allait faire “quelques ronds dans l’eau”.

Evidemment, elle ne pouvait faire ses ablutions chez Euriya dont l’établissement nécessitait encore quelques travaux depuis l’attaque des Fangeux. Et puis secrètement, Alaïs n’avait pas vraiment envie de revenir là bas, étant donné comme s’était tragiquement déroulée sa dernière trempette là bas. Non, il valait mieux trouver refuge ailleurs pour le moment, et ses pas la guidèrent un peu plus au nord, entre les limites du Goulot et du port, là où se tenait l’établissement connu des bas quartiers, la Planche Cloutée. Alaïs n’y avait jamais mis les pieds, mais tout le monde y allait, c’était un fait avéré, et mieux valait tout de même s’y rendre en pleine journée, car la clientèle du soir n’y était pas des plus recommandables, même pour une petite chapardeuse comme elle. Elle ne mit pas longtemps à trouver l’établissement, bric à brac de planches mal assorties, comme un jeu de construction dont le maître s’était avéré un enfant facétieux. Ma foi, ça tenait debout depuis assez longtemps pour avoir fait ses preuves, c’était là l’essentiel.

Du reste, Alaïs sentait déjà les odeurs de savons parfumés et d’eau fraîche par l'entrebâillement des fenêtres, et elle sauta d’un bond au dessus d’une flaque boueuse de la cour, là où se répandaient toutes les eaux usées de l’établissement. Elle se rappelait son enfance au Labret, lorsqu’il suffisait de plonger tête la première dans la rivière froide et claire qui passait sous une petite cascade. On criait, on se jetait de l’eau dans les yeux, et on se moquait bien du froid qui mordait la peau, en pleine chaleur. Là aussi, on entendait déjà des cris joyeux, des cris de femmes égayées par quelques clients. Et il y avait une certaine foule amassée là, pour tout dire, à croire que tout Marbrume avait eu la même idée qu’elle, ce qui était finalement assez prévisible. Alaïs se dirigea vers le tenancier, muet comme une porte de prison, et tout aussi aimable visiblement. Elle paya son obole de cuivre et chercha des yeux un endroit libre où elle pourrait se défaire de ses effets sans être à la vue de la clientèle masculine dont les yeux trainaient un peu trop sur les courbes des femmes qui passaient.

Alaïs n’avait nullement l’envie de faire ce genre de rencontre et elle ne se sentait pas vraiment à l’aise à l’idée de se débarrasser du peu d’effets qu’elle avait sur le dos en pareille compagnie. Elle distingua alors une silhouette floue sous quelques vêtements un peu larges, qui semblait appartenir à l’établissement si on en croyait les seaux qu’elle apportait régulièrement vers les bassins. A la voir retournée, la jeune femme arborait des traits doux et ronds, presque juvéniles, et un regard profond et sombre qui lui inspirèrent aussitôt assez de confiance. Elle se dirigea vers elle naturellement, l’arrêtant dans son ballet routinier.

“Excuse-moi, je cherche un bassin libre... et tranquille si tu vois ce que je veux dire… Tu crois qu'il y a moyen de trouver ça par ici ? Il fait une de ces chaleurs aujourd’hui !”

Elle s’était lancée sur le ton de la conversation banale, fixant sur ses lèvres un sourire confiant et cordial, comptant sur l’aspect serviable de son vis à vis, et plutôt encline à faire la conversation à qui voudrait bien se montrer disposé à bavarder, tant qu’il ne s’agissait pas de promener ses mains là où elles n’avaient rien à y faire.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyDim 18 Aoû 2019 - 1:52
La porteuse d’eau posa ses seaux, considérant la cliente en face d’elle comme on examine une plante qui pousse habituellement sur d’autres surfaces.
« Mmh, oui, je vois ce que tu veux dire… » répondit-elle en arquant bien haut le sourcil, souriant avec un air de connivence trop appuyé pour que les deux femmes puissent possiblement parler de la même chose. Ou peut-être faisait-elle preuve d’une empathie particulière pour les pudeurs de la jeune fille ?


Un bassin tranquille, voyez-vous ça ?
« Tu n’es pas du coin, n’est-ce pas ? Bon, n’ai crainte, je m’occupe de toi. » Glissa-t-elle en tendant le cou, observant l’intérieur de la Planche par-dessus les épaules d’Alaïs. « Allège-moi d’un seau et dirige toi au fond. Je serais sur tes talons, ma jolie. » Elle afficha un sourire polisson et rebroussa chemin vers le puit, en quête un d’un seau supplémentaire.

De l’entrée, la travée menait jusqu’au fond de l’édifice, bien plus profond que large. Le gros des baigneurs s’était assemblé dans les cuves non loin de l’entrée, afin de profiter du beau temps. Les toiles tendues séparaient les grandes cuves entre elles, ainsi que de baignoires individuelles. Aux vieillards et aux jeunots habituels de cette période du jour, s’ajoutaient les travailleurs s’accordant un répit avant de retourner braver la chaleur.
Certains rompaient le pain sur des bardeaux de chêne, calés en travers des bassines.

En rattrapant Alaïs, quelques pas derrière elle, Marianne croisa le regard scrutateur de Tenancier, le tenancier. Car tout le monde l’appelait ainsi faute de savoir son nom.
Elle ralentit le pas le temps d’un échange muet avec son gérant, procédé usuel de ceux qui pratiquent des activités frauduleuses.

Regard en coin vers la blonde. « Elle » Pièce roulant entre le pouce et l’index jusqu’à se coincer à la naissance des doigts. « Paierait plus ? » Pièce retournant au bout des doigts. « Ou juste le prix d’un bain ? » questionna le gérant.

Coup de menton vers Alaïs suivi d’un autre plus indécis vers la porte menant à l’étage. « Elle veut monter, je crois. » Main perpendiculaire à sa bouche. « Mais elle ignore le code. » S’essuie le front et désigne l’extérieur du même geste. « Il fait trop chaud dehors. » Coup de menton vers Alaïs puis hochement de tête amusé. « Je m’occupe d’elle. »

Index pointé sur Marianne. Mains couvrant ses oreilles, sa bouche et ses yeux. Doigt glissant en travers de sa gorge. « Dans ton intérêt, reste discrète ou je te tue. »

Tenancier grommela et cracha par terre. Que des femelles s’escambillent entre elles, il n’en avait cure. D’ailleurs, il ne leur refusait pas l’accès au bordel à l’étage car, loués soient les Trois, elles étaient rares et payaient double. Mais si d’aventure, le bruit courait que son établissement accueillait ces ébats honnis par les Dieux, il risquait l’échafaud.
Il eut un sourire mauvais. Té ! La bohémienne irait à sa place. Entre la parole d’un natif et celle d’une puce de village, pas besoin de spéculer longtemps.

Le fond de la vieille halle de pierre était désert, plus sombre aussi. En pleine nuit, les tentures nouées aux tringles, la voûte arrondie, et les piliers usés devaient instaurer une ambiance inquiétante. Mais au beau milieu d’une journée si ensoleillée, il n’en paraissait rien.
Marianne s’approcha d’un espace aux rideaux fermés de tous côtés, d’où s’échappaient des rires et des piaillements enfantins. Elle passa la tête entre les rideaux et tomba effectivement sur deux paires de gamins qui se chamaillaient dans une grande cuve.

Elle fronça les sourcils « Malemort ! Vous me conterez vos façons d’entrer ici sans rien débourser ! » « Aah !! La sorcière nous a pris su’l fait ! »
« Ahaha ! » « On bougera point ! » « Sale port’fange ! » « Nom de… » Marianne ôta sa tête trop tard pour éviter la gerbe d’eau qui éclaboussa le rideau.

« Putain ! Sorcière ! T’as même pas d’pèreeuh ! ♫
Sorcière ! Putain ! On bougera point ! ♪ »
entonnèrent les gosses en cœur.

Un air de « Qu’est ce qui faut pas faire… » sur son visage dégoulinant et sans un regard pour Alaïs, la bohémienne se dirigea sans se presser vers une cuve opposée, sous les quolibets des enfants.

« Putain ! Sorcière ! T’as même pas d’pèreuh ! ♫ »

Marianne attrapa un grand sac de jute vide sensé accueillir des draps et revint devant le rideau fermé. Elle se gratta théâtralement la gorge et s’essuya la face sur la manche de son pardessus. Lorsqu’il reparut, son visage était fendu jusqu’aux oreilles par un rictus sadique et des yeux révulsés d’un monstre de fables à faire peur.

« Sorcière ! Putain ! On bougera poiiiint ! ♪ »

Marianne fit irruption entre les rideaux, brandissant son sac.

« Vous tombez bien, j’avais TRÈS faim… »

Des hurlements de pure terreur jaillirent de la cuve et Alaïs vit surgir quatre enfants, comme pondus par les rideaux, détalant sur les dalles mouillées le cul à l’air.
Marianne écarta le rideau, une petite mine accomplie remplaçant son expression monstrueuse. « Entre vite et clos derrière toi. » dit-elle en souriant.
Les toiles retombèrent mollement à la verticale. Si on omettait les quelques malédictions lancées par Tenancier aux bambins fraudeurs, les voix et les bruits d’eau près de l’entrée parvenaient en sourdine à leurs oreilles. L’eau de la cuve tempérait lentement l’agitation de ses propres remous. L’espace clos entre trois draps et un mur profitait d’un calme enfin retrouvé.

Marianne s’attela à la préparation du bain. Elle ôta son pardessus en laine et sa veste sombre pour se retrouver en chemise.
Elle commença par attraper le linge blanc qui couvrait l’intérieur du bain, en fit le tour, avant de le soulever comme un ballot pour filtrer les résidus flottants. Elle vida un à un les trois seaux d’eau fraîche dans la bassine et acheva son ouvrage en appliquant un nouveau drap blanc au fond de la cuve.

« Et voilà l’ouvrage. » conclut-elle.

A ces mots, elle ôta le lacet de sa chemise blanche, pinça son col à deux mains et envoya valser le dernier vêtement qui couvrait sa poitrine.

« C’est étrange. » fit-elle, l'air de rien, en observant les reflets dans l’eau. « Tu sembles au fait du véritable commerce de la Planche Cloutée mais tu en ignores les codes. L’un va rarement sans l’autre, en vérité. C’est pourtant simple. »
La bohémienne enjamba la cuve et plongea une jambe dans l'eau... mais sa robe ne la suivit pas.
« Normalement, on demande à une lavandière « de quoi étendre son linge » et celle-ci glisse ses tarifs à l’oreille du client. » poursuivit Marianne en s’asseyant dans l’eau fraîche. Elle soupira d’aise.

« Pour cette fois, disons que je suis fournie avec l’eau du bain. » plaisanta-elle en s’accoudant au rebord, son bonnet rouge toujours vissé sur sa tête.

« Tu viens ? L'eau est bonne. »


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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyDim 18 Aoû 2019 - 3:22
Alaïs restait suspendue devant les tentures de drap avec les yeux agrandis comme deux ronds de flan. Etait-ce une simple invitation ou une proposition plus suggestive que venait de lui faire la “lavandière” ? Elle se morigéna intérieurement. Evidemment qu’elle ne connaissait pas les codes en vigueur. Pas ici, tout du moins. Jusque là, elle s’était laissée guider par la franche camaraderie des filles d’Euriya, pas intéressées pour un sou - mais cela venait probablement de Kryss qui les connaissaient depuis toujours comme un frère de bonne ou mauvaise fortune et qui l’avait introduite, elle, dans ce petit cercle fermé d’oiselles sans méchanceté. Elle n’était pas d’ici non, elle venait de plus bas, et elle commençait à cogiter, à se dandiner d’un pied sur l’autre un peu maladroitement pour dissiper ce malentendu, si d’aventure la jeune femme ne se riait pas d’elle.

Mais il était un peu tard pour reculer, elle avait suivi Marianne sans la connaître et sans protester, tenant son seau à bout de bras jusqu’à ce doux piège de toile humide et l’eau fraîche ondoyait sous ses yeux comme une promesse de réconfort dont elle avait scrupule à s’écarter. Les garnements avaient filé depuis belle lurette devant les grimaces dignes des monstres de la troupe des Macchabées de la jeune femme, et Alaïs en avait souri naturellement. Il n’y a pas si longtemps, elle était comme eux à courir partout sans se soucier du soleil ni des lendemains sans pain. Et voilà maintenant qu’il fallait qu’elle se décide à entrer ou sortir, et il y avait peu de chance que le tenancier des lieux lui fasse une ristourne sur les sous qu’elle avait placés sur le comptoir. Au moins une chose qui ne différait pas des profondeurs du Goulot.

“C’est que… Je n’étais pas venue dans l’idée de.. Enfin, de prendre une rallonge, tu vois ?” Non, indubitablement ce n’était pas très clair, dit comme ça. Elle se mordit l’intérieur de la joue, rouge de confusion. Et comme elle avait l’air stupide, devant cette femme pleine d’assurance qui barbotait déjà dans l’eau claire comme une sirène dans son domaine. Mais maintenant qu’elle avait ouvert la bouche pour s’expliquer, il lui semblait impossible de retenir le flot de paroles qui s’en déversait et elle se déshabillait un peu maladroitement sans trouver moyen de se cacher. C’était stupide, vraiment. Elle qui distribuait des coups d’oeil aguicheurs pour attirer l’oeil du passant sur ses pirouettes et qui avait toujours la langue si bien pendue, la voilà qui cherchait de quoi se justifier devant cette fleur de trottoir dont elle ne connaissait même pas le nom.

“Je m’appelle Alaïs, d’ailleurs… Mais mes amis m’appellent Al’” Elle se sentait toujours mieux après cette sempiternelle présentation. “Et non, je ne connais pas la Planche Cloutée, je viens du Goulot… Enfin, j’y vis depuis quelques mois… D’habitude je ne viens pas jusqu’ici, et puis le Temple est loin et… Bon, je ne le connais pas si bien non plus, et puis, il y a trop de monde… Alors, je me suis dit que je pourrais venir me laver ici, pour une fois…” Un vrai moulin à paroles. Et comme elle parlait, elle s’approcha du baquet, laissant ses effets roulés en boule tout à côté, pour ne pas les perdre de vue. Elle se couvrait d’un bras, tandis qu’elle passait souplement le rebord d’une jambe, ses muscles d’acrobate tendus par la gêne qu’elle ressentait d’être là, à partager l’eau de son bain avec une inconnue.

L’eau fraîche la fit frissonner, tandis qu’elle se glissait avec prudence dans l’onde claire, soulagée d’être un peu moins visible, moins exposée à la lumière. Son corps mince et nerveux ne prenait que peu de place dans le baquet et elle se tenait à l’opposé de Marianne, si tant est qu’on puisse réellement trouver une distance respectable dans un espace si réduit. Du reste, la nudité de la jeune femme ne la gênait pas, mais elle commençait à comprendre le haussement de sourcil évocateur qu’elle lui avait lancé en l’accueillant, et craignait que la jeune femme ne se méprenne sur ses intentions. Pouvait-elle vraiment croire qu’Alaïs désirait plus de sa part qu’un simple échange de formalités banales autour de ses ablutions ? Elle se trouvait bien gauche pour exprimer une chose si simple.

“Enfin, me voilà… Je ne cherchais pas à mal… Juste de quoi me décrasser un peu… Tu es ici depuis longtemps, toi ? Comment tu t’appelles ?” Elle cherchait maintenant du savon et de quoi se frotter, afin de calmer un peu la nervosité de ses mains et trouver un exutoire à la tension qu’elle ressentait de cette situation un peu trop ambigüe à son goût. Elle dut en trouver quelque part, à force de tâtonnements incertains autour du baquet et commença à se frotter énergiquement, un peu trop anxieuse pour réellement apprécier des bienfaits des légers parfums doux qui s’échappaient du savon sur sa peau, n’osant pas encore plonger sa tête sous l’eau pour en faire profiter ses bouclettes de miel. L’activité la rassérénait quelque peu néanmoins, lui donnant le loisir de s’occuper et de distraire son attention de sa voisine et des affres de sa pudeur dans laquelle elle était engoncée jusqu’au menton.

Si Marianne la jugeait trop sotte, au moins cette dernière n’aurait pas grand chose à faire pour se tirer de cette situation. Alaïs ne doutait pas du tout qu’elle était ici dans son élément et qu’elle y régnait avec une habileté certaine.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyMar 20 Aoû 2019 - 10:59
Puis, en l’espace d’un instant, quelque chose d’étrange se passa dans la tête de Marianne :

Alors qu’elle se déshabillait, Alaïs commença à parler. À s’expliquer.

Et plus elle se déshabillait, plus elle parlait.

Et plus elle parlait, plus ses paroles levaient le voile sur l’existence d’un malentendu.

C’ETAIT un malentendu.

Et dans une antithèse fracassante pour les sentiments de Marianne, plus Alaïs dévoilait son corps nubile et léger, moins elle semblait accessible.

Marianne ne savait plus où elle en était. A la fois attendrie par ce petit brin de fille toute gênée par la situation, désolée d’en être à l’origine, alarmée de sa détresse touchante et brûlant de l’en sortir par une sorte d’instinct maternel d’habitude bien enfoui.
Mais surtout…

Alaïs franchit la cuve.

...par les Trois, comment une gamine aussi adorable et pure pouvait-elle reposer sur des jambes si désirables !?

Cherchant la source de sa confusion, Marianne sentit tout à coup que sa présence dans le même bain que la jeune femme était parfaitement inadaptée. Plus que cela, sa présence à elle l’éblouissait et l’empêchait de la regarder en face !
Voilà ! Elle y voyait clair ! A travers la jeune fille, c’était Anür qui la pointait du doigt, nageant dans ses pêchés et sa dépravation !
Marianne posa à nouveau les yeux sur le relief ciselé de ses épaules et se sentit prête à renier sa foi.
Aah ! Anür ! Pardonnez-moi ! Je suis indigne de vous ! gémit-elle intérieurement. Elle tilta. Non, c’était Rikni qui l’envoyait pour la mettre à l’épreuve !
Ses yeux entrevirent le nombril de la jeune fille disparaître sous l’eau.
C’était les deux ! Ayez pitié ! Dans ses pieux et puérils délires personnels, la bohémienne sentit la honte divine s’abattre sur ses épaules.

Durant sa brève tempête intérieure, Marianne n’avait fait que replier ses jambes et ses bras contre elle, comme si le corps d’Alaïs était en feu. Et, fait rare pour une prostituée, elle rougissait.

"Tu es ici depuis longtemps, toi ? Comment tu t’appelles ?”

« Marianne… » marmonna-t-elle sur un ton penaud « …vieille catin pêcheresse sur le point d’être foudroyée par l’incarnation d’Innocence qu’Anür a fait entrer dans mon bain. ».
La bohémienne leva les yeux sur Alaïs qui se frottait nerveusement les bras avec un savon, sa frimousse toujours rosies par l’embarras. Elle soupira et porta les mains à son visage.

« Aaah, quel tourment ! C’est trop d’indécision pour mon petit crâne… »
La bohémienne ramena ses genoux entre ses mains et se mit à tanguer de droite à gauche.
« Tu sais, Alaïs, pour tout te dire, je suis tourmentée entre mon besoin de courir prier au Temple, celui de te prendre dans mes bras et celui de te sauter dessus pour te… »

La fin de sa phrase se noya sous la surface dans un intense concert de bulles d’eau s’échappant de sa bouche. La plainte subaquatique dura assez de temps pour apprécier la longueur du programme que réservait la prostituée à la jeune femme.

Quittant sa position fœtale, la bohémienne émergea.
D’un geste, elle écarta les cheveux devant ses yeux et poussa un soupir de soulagement. Quoi qu’il se soit passé sous l’eau, la confusion et l’embarras sur le visage de Marianne en avaient été lavés. Elle sourit et contempla Alaïs, son regard noir clair de toute arrière-pensées.
Avec son visage ruisselant et ses cheveux tombants sur ses épaules, Marianne exprimait une sorte de fragilité que son « elle » à sec, tignasse volumineuse et en bataille ne connaissait pas.

« … mais au lieu de ça, je ferais figure de modération en te tenant simplement compagnie.»

A ces mots, elle alla s’asseoir à droite d’Alaïs et ne put s’empêcher de glisser ses jambes par-dessus les cuisses de l’adolescente. Ni tout à fait sur ses genoux, ni tout à fait assise à ses côtés.
« Je ne cherche pas à mal, juste à te décrasser un peu.» gloussa-t-elle chaleureusement en imitant le ton de sa voix. « Hop. »

Marianne chipa le savon des mains d’Alaïs et avec une application professionnelle, dénuée d’érotisme, la prit par le poignet et acheva de lui savonner le bras. Toute à sa tâche, la mine consciencieuse, elle poursuivit.

« Je m’appelle Marianne. Je travaille ici depuis hmm… » Les dates n’étaient pas son fort. « … Depuis que tout le monde est arrivé. Je suis une nomade, une Crassin de même. Avant, je vivais sur les routes avec ma famille et d’autres. J’ai traversé tout le Royaume, en ai vu tous ses bourgs, j’en ai même quitté les frontières ! »

La bohémienne glissait maintenant le savon entre les doigts de la jeune femme et frottait doucement ses ongles contre la pulpe savonneuse de son pouce.

« Si tu es d’ici, tu ne devais pas croiser beaucoup des miens. Nous autres, ‘sommes pas taillés pour vivre entre quatre murs. On nous aime pas trop, du reste. Alors, d’habitude, on met du vent entre nous et l’orage… mais maintenant, on subit meurtreries où qu’on aille. »

Elle se tourna vers Alaïs, son poignet toujours en main et souleva son bras pour savonner ses aisselles.
« De vrai, c’était mieux avant ! Le quotidien était monotone mais on était à l’abri du souci. Aah… Je mourrais pour un plongeon dans un étang… ou une nuit dans une étable avec un b…» Marianne étrangla la fin de sa phrase. « É… écoutez la trainée parler d’amour et jetez la d’un pont ! Misère, pardonne-moi. A ton âge, je pense qu'Anür m'avait déjà interdit les portes de l'au delà...»

La bohémienne fut tentée de replonger sous l'eau.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyMar 20 Aoû 2019 - 17:12
Alaïs barbotait en eaux troubles. Pas que l’eau ne soit pas propre, bien au contraire, mais elle voyait défiler tout un paysage sur les traits de Marianne, et elle peinait à en suivre les changements. Elle avait toujours été douée pour lire les expressions humaines, à défaut de connaître l’alphabet, elle avait rapidement saisi celui des hommes, parce qu’elle était insatiable de tout savoir, de tout comprendre. Du moins, avant la Fange, parce qu’ensuite, il avait fallu fuir et toute son attention s’était focalisée sur la survie et rien d’autre. Et puis le visage des hommes était devenu bien sombre, et Alaïs préférait souvent détourner le regard pour conserver ce qui lui restait de bon et de doux dans le creux de sa poitrine.

Marianne la déconcertait. Elle n’avait jamais rencontré de bohémienne, peut être était-ce la raison ? Mais l’explication aurait été trop simpliste sûrement. Tout dans la jeune femme était plongé dans un entre deux flou, partagé entre ombre et clarté, entre cette bonté spontanée qui ne s’embarrasse pas de fausse méfiance et une lutte intérieure contre l’obscurité ou quelque chose de plus insidieux qu’Alaïs n’arrivait pas vraiment à déchiffrer. Elle qui s’attendait à un bain paisible et solitaire, elle s’était embarquée dans une drôle d’aventure.

Mais elle ne regrettait pas tant que ça. C’était quelque part tout à la fois gênant et grisant, à la fois nouveau et dangereux, et Alaïs était une acrobate. Elle avait l’habitude de marcher sur un fil ténu, d’observer le vide et d’apprécier le vertige qui lui faisait frissonner l’échine. Tout bon acrobate se devait d’avoir peur du vide, et d’aimer cette peur autant que l’art de conserver l’équilibre. Aussi ne rechigna-t-elle pas quand la jeune femme émergea enfin des flots savonneux pour s’approcher d’elle, comme si l’onde lui avait rafraîchi les idées, rendu un peu de contrôle sur ses moyens.

Elle avait un drôle de phraser, Marianne. Elle usait de mots qu’Alaïs n’avait jamais entendus, et qui lui évoquait cette vie nomade qu’elle avait vécue avant que le courroux des cieux ne s’abatte sur les hommes. Alaïs conjura une nouvelle fois cette pensée, elle n’était qu’une fourmi parmi tant d’autres, ce serait bien présomptueux de croire que les dieux avaient quelque chose à faire de ses petites affaires. Du moins s’en persuadait-elle. Comme si Anür s’amusait à lorgner par dessus son épaule pendant qu’elle, la petite voleuse et saltimbanque du Goulot, prenait son bain avec une prostituée. Cette idée la fit sourire et elle tourna malgré elle la tête par dessus son épaule, comme pour vérifier qu’elle était bien aussi stupide qu’elle se le figurait. Les dieux étaient occupés ailleurs, sans surprise.

Elle se laissa faire lorsque la jeune femme lui attrapa le poignet pour la savonner, prise de curiosité davantage que de crainte. Elle n’avait pas tout saisi de son verbiage concernant l’innocence et la volonté d’Anür, mais elle écoutait avec une grande attention son récit sur sa vie de bohémienne, en dehors des murs de Marbrume. Elle qui adorait les histoires par dessus tout, elle eut rapidement l’intuition que Marianne en avaient de belles à raconter. Aussi lui abandonna-t-elle son bras, puis ses ongles, puis son dos, retrouvant ses moyens et son entrain habituel à mesure que Marianne parlait de sa propre vie. Penchant la tête de côté, elle poursuivit.

"Ca doit être exaltant de vivre libre, sans contraintes ! Moi je viens du Labret, avant que les Fangeux n’arrivent… Mais j’avais toujours rêvé de partir, de faire n’importe quoi mais de sortir des frontières de mon village, tu vois ? Comment vous viviez sur les routes ? Et de l’autre côté des frontières, à quoi ça ressemble ? Désolée, je pose trop de questions ! M’enfin, pour ma part, la Fange en a décidé autrement et on a dû fuir pour la grande ville, pourchassés par des meutes de monstres affamés. Puis c’est nous qui avons commencé à mourir de faim ici, mais ça semblait mieux que de crever dehors. Ensuite, il a fallu reprendre les terres du Labret… Mon père est parti, moi je suis restée.” Elle marqua alors une pause, peu désireuse de s’en expliquer davantage, elle espérait que Marianne soit assez fine pour en deviner les raisons d’elle-même. Après tout elle avait dû faire des choix pour sa survie elle aussi.

“Vivre dans un bordel, donner ses sous à un autre… Ca ne te pèse pas ?” Avant que la jeune femme ne renchérisse sur le plaisir de vivre à l’air libre et cette mélancolie que l’humanité entière partageait désormais, en parlant “d’avant”.

“Où sont les tiens ? Et puis… L’amour, ce n’est pas un luxe à la portée de tout le monde, pas vrai ? Les hommes ont tôt fait de nous mettre le grappin dessus.”

Alaïs haussa une épaule. Après tout, elle s’avançait peut être un peu trop sur le sujet. Ce n’était pas comme si elle s’y connaissait beaucoup en la matière, mais elle redoutait que quelqu'un la prive un jour de sa liberté, le seul bien qu’elle possédait vraiment depuis qu’elle vivait dans le Goulot.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyVen 23 Aoû 2019 - 12:45
Lotionnant ses omoplates par des mouvements circulaires, Marianne souriait à la jolie frimousse qui lui parlait de sa vie par-dessus son épaule et l’abreuvait de questions. Personne ne lui en posait jamais, pourtant. Elle était comblée.

L’adolescente évoqua la séparation avec son père. Instant de silence. Marianne passa sa main dans ses cheveux dorés comme un champ d’orge et lui caressa la tête. Pauvre petit chat… Au moins était-il toujours en vie. Repassant devant elle pour s’occuper de ses jambes, sa caresse glissa sur sa tempe et s’envola de sa joue.

La jeune femme devisait sur l’amour et l’avidité masculine lorsque Marianne cueillit sa cheville et souleva sa jambe gauche hors de l’eau et, éberluée, l’inclina jusqu’à la verticale sans qu’Alaïs ne semble peiner de cette position. Un telle souplesse… L’espace d’un instant, l’esprit de Marianne s’égara à nouveau et elle dut se mordre deux doigts pour le retrouver.

D’un air remonté, Marianne empoigna la cheville toujours à la verticale comme si elle pouvait étrangler son pied, leva un index sentencieux et, debout sur ses genoux, domina la blonde du regard solennel qu’ont les parents lorsqu’ils énoncent l’avenir à leurs enfants.

« Mon chat, tu parles vrai. Les mâles ont davantage l’esprit porté à la culbute qu’au conter fleurette et les princes ne courent pas le pavé. L’amour, lui, fait ce qu’il veut. Il cause du tourment, qu’on l’attrape ou qu’on le laisse aller. » Elle baissa le ton et se pencha en avant, plus confidente.
« Alors, un petit conseil. Si d’aventure un homme te trouve à sa convenance, qu’il t’est agréable aussi… fais lui voir tes guibolles et il sera à tes pieds jusqu’à son dernier souffle. » Elle lui toucha le bout du nez et éclata de rire.

Marianne se rassit sur ses talons et posa la cheville d’Alaïs sur son épaule afin qu’elle soit plus à l’aise. Elle se remit à son ouvrage, savonnant la jambe de l’adolescente de bas en haut. Sa position évoquait une joueuse de harpe caressant le bois de son instrument plutôt que ses cordes. Elle observa un instant la blonde, soupira et reprit.

« Tu me rappelles tous ces jeunes paysans avec qui je discutais au coin du feu, jadis. Tous rêvaient comme toi. Quitter leur foyer, voyager, dépasser le panneau menant au village. Je louais ma chance quand je les voyais, sachant au plus profond d’eux même qu’ils vivraient au même endroit toute leur vie, avec les mêmes personnes.
Pourtant nos jours étaient rudes à leurs manières, tu sais ? Des semaines durant à franchir des bois, cahotés par un méchant sentier, les heures à pousser les chariots dans la boue sous des trombes de pluie, l’ennui mortel d’un campement en hiver… A la parfin, il n’y a que les riches qui ne s’ennuient pas. »


La bohémienne posa délicatement la jambe gauche d’Alaïs et leva celle de droite afin de poursuivre son œuvre.

« Pour te répondre, donner ses sous à d’autres, c’est l’essence du nomade. Telle que tu me vois, je ne possède rien que mes vêtements. Et puis, pour l’usage que j’en fais… ! » Elle se désigna, dans son plus simple appareil et éclata de rire.

« Maître Tenancier mérite son profit, il est rude avec moi mais il faut s’incliner devant les puissants. Il ne fait que récolter les fruits qu’il a jadis plantés.
Pour le reste, ce que l’on gagne revient aux anciens. C’est à eux la besogne de conserver notre bien. Ils ont la sagesse de l’âge qu’on n’a point de pouvoir distribuer à tous en pareilles valeur. Autrement, penses-tu qu’on se prendrait à la gorge, jaloux qu’on serait du bien des autres. Pour sûr, la ville a changé nos façons. Lorsqu’on est tous pareillement démunis, on en vient à garder quelques pièces pour soi. Mes parents sont plus bas dans le Labourg mais nous sommes partout dans les bas-quartiers. Séparés de distance, unis de cœur. »

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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyVen 23 Aoû 2019 - 16:19
Alaïs se laissait dorloter avec une indolence non feinte. Voilà longtemps qu’elle n’avait pu s’offrir un de ces moments de repos et d’hygiène et elle s’enfonçait dans une torpeur bienvenue. Marianne s’était attaquée à son dos, avec des gestes qui lui auraient tiré quelques ronronnements si elle s’était avérée véritablement féline. Elle l’écoutait répondre à sa curiosité avec une bonne volonté et ces accents étrangers qui la charmaient. Elle sortit des brumes lorsque la jeune femme changea de position pour lui attraper la cheville, qu’elle s’amusa à remonter à la verticale, lui tirant un sourire malicieux.

Aussi fine et souple qu’un roseau, elle l’était, et elle s’amusa à replier le genou comme s’il s’agissait d’un coude pour venir chatouiller le nez de Marianne de ses orteils pleins de mousse. Que lui racontait-elle à propos des hommes ? Alaïs s’étonna tandis qu’elle la savonnait de plus belle, ne la laissant plus s’échapper.

“Mes guiboles ? Qu’est ce qu’elles ont mes guiboles ?”

Et comme une enfant facétieuse elle s’amusa à frapper la surface de l’eau avec légèreté de quelques battements de ces fameuses guiboles, produisant de belles gerbes d’eau qui vinrent s’écraser sur sa compagne de bain comme autant d’écume contre la pente abrupte de rochers coincés entre ciel et terre. Elle se prit à rêver de mer et de navires, alors même qu’elle n’avait jamais appris à nager. Elle pourrait être pirate ou corsaire, bandit ou sirène, voilà qui changerait de la Fange. Elle était persuadée que les créatures ne viendraient pas la poursuivre par delà les flots. Doux et fantasques songes inspirés par les remous de ce petit oasis de fraîcheur et de savon. Mais déjà, elle reprenait calme et sagesse, se laissant savonner l’autre jambe, écoutant le récit de Marianne de sa vie de bohème.

“Vivre durement j’ai l’habitude, avoir faim, avoir froid… Mais la vie dans les champs, je n’ai jamais pu m’y faire. Vivre comme un boeuf, mourir comme du bétail. Je sais que c’est bizarre… Mais je ne regrette pas ma vie là bas. Mon père disait que j’étais folle, maudite par le sang de ma mère… Il avait peut être raison. Mourir comme un parasite au fond du Goulot, ce n’est pas vraiment plus glorieux !”

Elle rit cela dit, consciente de sa folie et de son manque de discernement. Elle exprimait seulement ce qu’elle ressentait au fond d’elle-même, quand bien même Marianne la jugerait complètement stupide. Elle ajouta, songeusement.

“Etre riche, d’accord, mais il faudrait être un homme alors. Les belles dames ne sont que des oiseaux en cage. Ca ne sert pas à grand chose d’avoir une jolie robe si on doit compter le nombre de pas qu’on fait avec.”

Elle appuya sa nuque contre le rebord du baquet, ses yeux tournés vers le plafond où se reflétait l’onde du baquet, comme un miroitement bleuté de cet océan si lointain.

“Tu sais, dans le Goulot, on vit de tout un tas de choses, tu n’es pas forcée de donner tes sous à qui que ce soit. Et on ne peut jamais se contenter de récolter des fruits, tu sais. Il faut tailler l’arbre, remuer la terre, c’est tout un travail. Ton tenancier, il fait quoi pour toi ? Tu sais lire les cartes ? Si tu voulais tu pourrais venir dans ma troupe, on partage tout. Kryss est un peu étrange mais je ne connais pas de meilleur ami. Il fait le bouffon avec les autres, et moi je fais quelques cabrioles.”

Mais tout en parlant, elle se sentait un brin malhonnête. Si bien sûr elle vivait libre dans le Goulot au milieu de cette joyeuse bande de monstres qu’on appelait les Macchabées, elle avait bien laissé en plan les “anciens” qu’évoquait Marianne, abandonnant son père à son triste sort. Un coût qu’elle n’était pas encore prête à assumer mais qui revenait lui lanciner les côtes quand elle songeait à son avenir. Au lieu de s’y confronter, elle préféra enfoncer sa tête sous l’eau, comme Marianne l’avait fait un peu plus tôt, appliquant sa méthode pour se laver de toutes ces sombres pensées.

Elle finit par émerger, aussi rose et blonde qu’un poussin sorti de l’oeuf, tout sourire. Aujourd’hui, rien ne pouvait l’atteindre ou la contrarier. Elle en avait décidé ainsi, et il faudrait bien que la chose s’accomplisse selon ses désirs, du moins le pensait-elle dans une toute puissance que seuls les gamins possèdent encore. Elle pencha son cou de cygne en direction de sa bienfaitrice :

“Pourquoi les gamins disaient que tu n’avais pas de père ?”

La question l’intriguait et avait surgi de nulle part entre deux bulles de savon. Elle se demandait si les mioches se montraient seulement bêtement méchants ou s’il y avait un fond de vérité là dedans.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyMar 27 Aoû 2019 - 2:23
Ce n’était pas courant dans la vie d’une femme qu’on vienne lui proposer un changement déterminant dans son existence. Et c’est pourtant ce que venait de faire Alaïs avec nonchalance, le regard au plafond. Celui de Marianne se perdit dans le vague de la réflexion, cessant un instant de savonner la jambe reposant sur son épaule. Elle se tenait là au milieu de la bassine, pensive.

Quitter sa vie de débauche, courir les rues et faire comme bon lui semblait ? La perspective gonfla son cœur d’un espoir romantique dilué par la réalité. Elle en rêvait parfois, de quitter cette vie et de retourner à celle d’avant. Mais le passé avait été englouti par les Fangeux. Pour retrouver ce passé, il faudrait les vaincre. Et ils ne partiraient pas d'eux mêmes.
C’était une vie de compromis dont il fallait se contenter à présent. Chacun vivait avec ses propres chaînes. Les siennes appartenaient à Tenancier. Occasionnellement aux familles nobles, commerçants et artisans. Elle avait concédé une part de sa liberté en échange de sa subsistance. Au fond, Marianne enviait Alaïs et son absence apparente d’entraves.
Cette dernière disparut sous la surface. Elle en profita pour libérer sa jambe.

Quelques instants plus tard, la blondinette surgit des flots, toute pimpante. Son visage rayonnant fit sourire Marianne de bon cœur et elle en oublia ses pensées.

“Pourquoi les gamins disaient que tu n’avais pas de père ?”

« Hahaha, façon d’insinuer que ma mère fréquentait tant d’hommes qu’on serait bien en peine d’identifier celui qui l’a engrossée. Or, contrairement à moi, ma mère est une femme de vertu, neufs enfants seulement mais tous du même sang ! »

Elle attrapa son bonnet qui flottait comme une coquille de noix depuis le début, menaçant de couler après le typhon provoqué par les mollets d’Alaïs. Elle vissa le couvre-chef sur la tête de la blonde et contempla le résultat sous plusieurs angles, une main en travers de la bouche.

« Ooh… On dit que pour faire un bon nomade, il faut d’abord y ressembler. Et ma foi, tu en as les atours mais tu en as aussi l’esprit. Agile comme une voleuse de pommes et libre comme un oiseau ! C’est toi qui devrais nous rejoindre finalement et reprendre la route avec nous le jour venu !»

Elle se fit plus sérieuse.

« Ecoute… Ton invitation me touche beaucoup. Mais je n’oserais jamais abandonner ceux de ma race. Ils sont le peu de vertu qu’il me reste. Je suis une catin, je ne sais rien faire d’autre. Dire la bonne aventure n’est pas une science qui permette de manger à sa faim. Et puis, je ne déteste pas ça, le sexe.
Je crois qu'ici, j'ai retrouvé des miettes de ma vie passée. Seulement, les étangs sont devenus des baignoires et mes partenaires de lit couchent le poignard à la ceinture. »


Sa main alla caresser le galbe de ses mollets et ses yeux profonds se perdirent dans ceux d’Alaïs.

« Alors que faire ? Je ne pourrais pas t’attirer dans mon lit, tu ne deviendras sans doute jamais bohémienne et je ne quitterais pas mon bordel. Pourtant, j’aime ta jolie frimousse et tes manières de garçon turbulent. Tu es une des premières personnes à t’intéresser vraiment à moi, ici, et j’aimerais te revoir un jour…
Et ce que d’aventure, tu accepterais de devenir euh, hem… mon amie ? »


Marianne avait hasardé cette requête, son manque d’assurance trahissant l'idée qu’elle ne l’avait sans doute jamais demandé ça à personne auparavant.
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MessageSujet: Re: Des ronds dans l'eau   Des ronds dans l'eau EmptyMar 27 Aoû 2019 - 12:01
Alaïs admirait cette décontraction, cette tranquille assurance teintée d’une sagesse venue d’ailleurs dans les mots de Marianne. Elle était réaliste, la bohémienne, et elle acceptait tout cela sans fatalisme, juste une forme de pragmatisme, une intelligence de la survie qu’Alaïs n’était pas sûre de posséder. Oh bien sûr, elle savait à peu près se débrouiller dans le Goulot, définitivement l’un des endroits les plus hostiles de Marbrume, si on excluait le Chaudron où personne n’avait le droit d’aller. Lorsqu’elle évoqua sa mère en riant, Alaïs sourit naturellement en retour, nullement gênée par ces questions de paternité. Non, si elle avait posé la question c’était pour autre chose et elle ajouta en hochant la tête.

“Moi aussi, les enfants se moquaient de moi au Labret. Parce que je n’ai pas de mère. Enfin, tout le monde a une mère bien sûr. Mais la mienne est partie avec un autre homme quand je n’étais qu’un bébé.”

Elle haussa une épaule, avec un sourire doux, plus vraiment triste. Il lui semblait que ça la rapprochait un peu de Marianne, d’une certaine manière, et elle appréciait la jeune femme. Les liens de la mousse et de l’eau fraîche sûrement. Quand la prostituée fixa le bonnet humide sur ses cheveux, Al’ quitta sa nostalgie et prit la pose avec une mimique gouailleuse qui se termina en grimace comique, avant qu’elle ne se prenne à rire de nouveau, puis remette le bonnet sur le crâne de sa propriétaire.

“Alors, il faudra que je m’en fasse faire un, un jour. Mais ça se mérite ces choses-là, et ton bonnet ne serait plus le même sans toi.”

Elle s’y connaissait un peu en matière de coiffe, son prince des saltimbanques possédait lui même une couronne formidable, qu’elle avait sacrifiée pour leur survie, puis fait réparer après l’attaque du Goulot. La chose revêtait un caractère sacré, et Al’ se contenterait pour le moment de laisser ses bouclettes flotter à l’air libre.

“Qui sait, si je gagne mes galons de bohémienne, on pourrait peut être voyager ensemble un jour !” Elle ajoutait tout cela dans un sourire rêveur, sans se soucier du réalisme de cette proposition. Voleuse, saltimbanque, bohémienne, y’avait-il seulement une limite à ce qu’elle pouvait faire ou devenir ? L’esprit d’Alaïs suivait les courbes de bulles de savon qui lui semblaient flotter devant ses yeux. Mais le pragmatisme de Marianne les firent retrouver les limites du baquet où elles se tenaient. Tout le monde marchandait sa liberté contre un peu de sécurité, aussi illusoire soit-elle et Alaïs serait la dernière à la juger pour ça. Elle-même n’avait pas grand chose à offrir.

“Si jamais tu en as assez un jour… Ou si tu veux goûter un peu de folie, alors viens nous voir dans le Dépotoir. Je vais te dire où c’est. Si tu croises un drôle de bouffon à coiffe verte, tu n’auras qu’à lui dire que tu viens voir la féline garçonne. C’est le nom qu’il me donne.”

Et elle lui expliqua brièvement comment retrouver le repaire de la troupe des Macchabées, ce qui n’était pas des plus faciles dans les ruelles du Goulot. Mais elle était persuadée que Marianne se débrouillerait sans mal. Se faisant elle posa une main sur son épaule en souriant, venant lui pincer gentiment la joue, comme le faisait parfois Kryss avec elle.

“Et puis, il ne faut jamais dire jamais, pas vrai ? C’est tout l’intérêt d’être en vie, de ne pas savoir ce qui nous attend demain ! C’est pas à une bohémienne que je vais apprendre ça.”

Elle piqua un baiser sur sa joue aux regrets qu’elle exprimait déjà.

“Bien sûr qu’on peut devenir amies ! C’est déjà fait non ? Mais la prochaine fois, c’est toi qui viens faire la fête avec nous dans le Goulot !”

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