Appelez-moi Sergent [PV Elisabeth][Terminé]

Mi-Juin 1166

Les patrouilles de la Milice battaient le pavé et les chemins terreux de la Cité en quête des traîtres, des mordus et autres potentiels Fangeux en devenir. Les missions s'enchaînaient à un rythme rarement atteint, la population malgré tout semblait inquiète et des habitants étaient venus se plaindre que certains hommes d'arme avaient fait preuve de trop de zèle, évoquant des violences qui n'avaient pas lieu d'être et même des exécutions expéditives faites par erreur... autant dire que les rapports affluaient sur les bureaux des Sergents de la Milice qui s'employaient à y porter une attention soutenue, non sans écoper de maux de tête à se cogner le crâne contre le mur le plus proche. Qu'à cela ne tienne, Zephyr savait ne pas être forcé de demeurer cloîtré dans son bureau à s'occuper de la paperasserie et il profita du retour d'une des patrouilles pour délaisser les rapports et prendre un peu d'air frais. Soupirant à peine était-il dans le couloir qu'il se dirigea vers la sortie du bâtiment, cherchant du regard la coutillerie d'Elisabeth, avant de repérer l'archère qui semblait se porter relativement bien. Répondant aux salutations sur son passage -la moindre des choses selon lui- et ne manquant pas d'appeler les concernés par leur prénom chaque fois qu'il s'en souvenait -pourquoi lui fallait-il tous les retenir ? Et dire qu'il redoutait la politique au sein de l'Esplanade, voilà qui était presque pire, un comble- le désormais Sergent s'approcha de la jeune femme qui lui tournait le dos, s'arrêtant à quelques pas pour ne pas la brusquer.

- Au rapport, Milicienne Blanchevigne.

Parvenant à garder son sérieux alors même qu'elle se retournait et constatait son identité, Zephyr du se faire violence durant encore plusieurs secondes avant qu'un léger sourire amusé ne finisse par étirer ses lèvres, tant il ne parvenait pas à trouver cette approche digne d'une bonne plaisanterie. Lui rendant sa salutation, il lui fit signe de le suivre et commença à s'éloigner du reste des autres Miliciens, croisant les mains dans le dos et entamant ainsi une conversation qui pouvait être un peu plus personnelle, loin des oreilles indiscrètes.

- J'ai lu des rapports au sujet de votre retour en fonction et de l'affectation temporaire aux missions de l'interne, mais je tenais à prendre de vos nouvelles directement. Comment allez-vous ? Vous êtes-vous totalement remise de votre blessure ?

C'était demandé avec bienveillance et sans aucune malice, l'ancien Banneret se souvenait fort bien de la gravité de la blessure en question et il savait que même si Elisabeth avait enduré les soins avec courage, il n'était pas aisé de guérir de ce genre de chose. Lui-même en avait fait la douloureuse expérience lors de la reprise du Labret, il espérait que la jeune femme n'endure pas cela aussi longtemps que lui, même si un bras était toujours délicat à soigner.

Aujourd'hui avait été censé être un grand jour. Pas pour Marbrume, la ville léchait encore ses plaies tel un animal blessé, et c'était une journée comme une autre pour le tout venant. Mais pour Élisabeth, c'était une journée un peu spéciale : Le jour où elle allait ENFIN pouvoir reprendre du service. Son épaule la gênait encore un petit peu, et ses mouvements avec celle-ci restaient un peu maladroits, mais les prêtres qui la suivaient avaient donnés leur bénédiction pour qu'elle reprenne de l'activité. La milicienne, elle, n'avait pas vraiment pu attendre et cela faisait déjà depuis un peu moins d'une semaine qu'elle tirait quelques traits sur le champ de tir adjacent à la caserne, servant à l'entraînement. Elle ne pouvait pas se permettre de revenir en ayant perdu toute compétence au tir à l'arc, elle devait se réadapter. Elle n'était pas encore vraiment revenue au top de sa forme, surtout avec son épaule qui nécessitait encore un peu de récupération, mais ses traits étaient partis droits, et touchaient bien leur cible en général.

Sa première mission avait donc été une patrouille. Une vulgaire patrouille dans la ville. Un boulot de milicien de l'interne qu'elle n'aimait pas plus que cela. Moins risqué, au moins, pas d'évacuation musclée de civils, pas de fangeux échappés du Chaudron, ni de bannis. Elle n'était même pas partie pour les faubourgs, c'était vraiment à l'intérieur de la muraille, comme si on voulait la protéger de tout danger alors qu'elle récupérait encore. Et la patrouille se passa sans encombre, sans grand stress pour personne, toute sa coutillerie habituée à des situations bien plus critiques. Un peu d'agitation ici ou là, des civils leur rapportant des soucis qui ne valaient même pas la peine d'investiguer selon leur coutiller...

Profiter d'une patrouille calme était néanmoins un sacré miracle vu la situation de la ville dernièrement, et des echos qu'elle avait pu entendre. Donc elle revint plutôt de bonne humeur de cette première assignation, même si les rues de Marbrume n'avaient jamais été plus que cela à sa convenance. Elle espérait juste ne pas avoir trop souvent à expulser des mordus. En étant une elle-même, ce n'était pas vraiment une activité qui lui plaisait.

De retour à la caserne, certains parlaient déjà d'aller faire un tour à la chope sucré, d'autres s'éloignaient vaquer à leurs occupations sans dire un mot. Élisabeth, elle discutait avec un nouveau dans la coutillerie, un milicien a peine plus jeune qu'elle s'étant engagé il y a une semaine, et pas encore trop au fait de ses obligations. Le sujet, bien que professionnel, était vraiment superficiel. Mais elle fut assez surprise en entendant une voix stricte l'interpeller. Ce n'était pas Gauvain, son coutiller, c'était certain. Elle l'avait assez entendu vociférer pour le savoir. Ni Artorias, elle aurait vu sa blague arriver à des kilomètres à la ronde. Néanmoins, elle se raidit, avant de se retourner.

Zephyr, sergent de l'interne, héros de Marbrume. Elle se mit instinctivement au garde à vous, un peu comme le milicien à qui elle était en train de parler qui commença presque à suer à grosses gouttes. « Blanchevigne au rapport, sergent d'Auvray. » répondit-elle d'un ton assez sérieux, ne sachant pas trop si l'interjection avait été sérieuse ou non. Elle dévisageait le sergent, en quête d'une réponse, jusqu'à le voir sourire, amusé. Sourire qu'elle lui rendit avant de laisser échapper un petit rire discret en soufflant par le nez, presque invisible pour son collègue. Elle l'avait comprit.

Elle se mit donc à le suivre, faisant un petit signe pour dire au revoir à son nouveau collègue. Elle ne comptait pas trop s'y attacher de tout de façon, les nouveaux ne tenaient pas toujours bien longtemps avant de craquer mentalement, ou de mourir. Elle espérait que celui-ci tiendrait plus que le précédent. Mais l'heure n'était pas à ce genre de pensées. Elle se retrouvait même dans un coin assez peu fréquenté de la caserne.

Ainsi, cela n'avait rien d'une conversation officielle, il venait juste prendre de ses nouvelles. Ses mots illuminèrent son visage d'un nouveau sourire. Pour quelqu'un d'aussi occupé qu'un sergent, qu'il trouve le temps pour s'inquiéter d'une simple milicienne comme elle était assez touchant. Et cela expliquait aussi pourquoi il s'était éloigné des autres avant cela. La milicienne prit une petite bouffée d'air avant de répondre.

« Et bien ça va plutôt bien, ça me fait vraiment plaisir de pouvoir enfin de nouveau occuper mes journées. Vous n'imaginez pas à quel point cela me rendait folle d'être en convalescence si longtemps... » commença-t-elle alors en le regardant, se tenant toujours assez droite, bien que très loin d'être au garde à vous. La milicienne était peut-être un peu gênée dans sa voix, intimidée de s'adresser à un sergent de façon si... informelle. Pourtant elle savait qu'elle ne risquait rien : il le lui avait demandé en toute bienveillance, et c'était Zéphyr. Les liens de la bataille, bien que brève, les unissaient.

« Mes blessures vont mieux, je peux enfin à nouveau tirer à l'arc. Je... sens encore une gêne dans mon épaule, mais selon les prêtres, elle devrait disparaître progressivement d'ici à quelques semaines si la blessure se comporte "normalement". » continua-t-elle alors. Les blessures de la fange soulevaient encore des questions, et se retrouver reléguée au statut de cobaye régulièrement ne lui faisait pas vraiment plaisir. Heureusement, pas d'expériences bizarres, juste des examens poussés, souvent.

« J'ai quant à moi entendu des rapports comme quoi un certain sergent fait un sacré travail. Mais que ce sergent s'est aussi déjà mis quelques miliciens à dos de part certaines de ses décisions. » la relança-t-elle alors dans une imitation qui n'avait rien d'une moquerie. Les bruits couraient aussi aux niveaux les plus bas à propos de ce nouveau sergent. Elle pouvait bien lui faire de ce qu'elle avait entendu, même si elle n'avait malheureusement pas énormément de choses à lui mettre sous la dent non plus. Elle s'était toujours demandé en quoi consistait l'ensemble des activités d'un sergent, en plus des évidentes qu'elle voyait tous les jours. Comment c'était de diriger? Comment est-ce-que lui, il vivait la chose? Mais pas tout de suite, elle ne voulait pas le déranger, peut-être que c'était juste une petite altercation et qu'il allait retourner travailler sous peu. Elle, elle avait toute la soirée, jusqu’à l'aube demain matin. Ce n'était peut-être pas le cas du sergent.

La milicienne afficha un nouveau sourire, un peu plus gêné, et baissa les yeux, n'osant pas vraiment dire ces mots en face d'un sergent. « En... en tout cas je suis flattée que vous veniez prendre de mes nouvelles. » bredouilla-t-elle légèrement, assez gênée de ce fait, à vrai dire. Gênée, mais d'un autre côté, celui lui faisait vraiment plaisir. Elle se sentait reconnue comme une milicienne capable par Zephyr, pas comme une faible et incapable femme ne sachant pas se battre, à peine bonne à faire les corvées de la caserne. Elle n'était pas qu'un glaive et un arc de la milice parmi tant d'autres, de la chair à canon. Non, elle se sentait traitée comme un individu à part entière. Élisabeth Blanchevigne, milicienne, avec ses souffrances, ses doutes, ses espoirs et ses rêves.

Si la plaisanterie ne concernait à la base que Elisabeth, Zephyr perçu très nettement que le pauvre Milicien à qui elle était en train de parler sembla soudain s'inquiéter d'une telle approche et, n'eut été le sérieux qu'il parvint à garder durant quelques secondes, il aurait lui-même éclaté de rire tant sa tête valait le détour. Pauvre homme quand même, si le nouveau Sergent commençait à leur faire des frayeurs, voilà qui risquait de plomber sa popularité qui ne partait pas forcément au mieux malgré la bonne réputation dont il jouissait. S'éloignant avec la jeune femme, il attendit qu'ils soient un peu à l'écart pour lui parler plus librement, prenant de ses nouvelles et hochant la tête avec un certain sérieux en entendant ses réponses. Il se retint de lui dire qu'il ne savait que trop bien ce que cela faisait que d'être immobilisé, mais préféra ne pas l'interrompre, notant la guérison de l'épaule qui serait normalement définitive dans quelques semaines.

- C'est une bonne nouvelle, ainsi vous serez opérationnelle pour vos futures missions en extérieur.

Il sourit légèrement, rassuré de savoir qu'elle ne souffrait pas d'un mal lié à la Fange et qu'elle ne serait pas exécutée à la demande des prêtres, lesquels étaient chargés du suivi de ce genre de blessures. L'ancien banneret souffla en sourdine lorsqu'il fut question de son propre cas, retenant une remarque concernant les Miliciens qui n'appréciaient pas ses décisions.

- Il faut dire qu'entre le fait d'avoir emmené le Milicien Artorias se faire soigner et avoir assigné plusieurs hommes aux corvées pour avoir médit de leurs collègues féminines... Forcément, je ne pars guère avec les meilleures bases, mais que voulez-vous, il est des choses que je ne supporte guère.

L'on avait murmuré quand il s'était avancé pour prêter assistance à la Comtesse De Pessan et à celui que beaucoup considéraient comme un traître, mais Zephyr avait toujours suivi la même ligne de conduite et il n'en démordrait jamais, il était trop tard, cela était inscrit dans son cœur depuis trop longtemps. Quant à la façon dont il considérait les femmes... Certes, des rumeurs ne tarderaient pas à être lancées avec quelques qualificatifs peu flatteurs, mais ces calomnies mourront dans l’œuf car il avait déjà prouvé plusieurs fois qu'il n'était pas coureur et qu'il savait manier une épée. Les jaloux se tairaient tôt ou tard, il lui suffirait de se montrer patient et rigoureux dans son travail.

« En... en tout cas je suis flattée que vous veniez prendre de mes nouvelles. »

La jeune femme semblait gênée et le Sergent fronça légèrement les sourcils, se demandant bien pourquoi... avant de se rappeler l'une des leçons d'Apolline au sujet des femmes et de leur perception de l'attention d'un homme à leur égard. Ah ! Il se racla la gorge et hocha la tête, demeurant aimable et préférant ne pas présumer à tort de la situation.

- N'en auriez-vous point fait autant si les rôles eussent été inversés ? Ceux qui ont combattu ensemble ne peuvent demeurer indifférents au sort de celui qui croisa le fer à ses côtés.

Sans doute n'était-elle pas aussi bien considérée qu'elle le méritait. Elisabeth ne manquait pas de bravoure malgré l'adversité, elle avait prouvé qu'elle valait autant qu'un homme, mais ce monde n'était point fait pour les dames et ne les cantonnaient qu'à des rôles qui allait de pair avec leur sexe : s'occuper d'une maisonnée, d'une descendance, gérer éventuellement quelques menues affaires et, surtout, fonder un foyer digne de leur époux. Bien sûr Zephyr comprenait tout cela et le trouvait nécessaire, mais il savait également que certaines femmes étaient capables de davantage. Bien sûr il convenait de toujours veiller sur elles et de s'assurer que rien de fâcheux ne leur arrive, mais beaucoup survivaient là où de nombreux hommes tombaient et cela était indéniable. Un homme d'arme comme lui ne se voilerait pas la face quant aux alliés possibles, fussent-ils du beau sexe, ainsi lui paraissait-il normal de considérer à sa juste valeur la jeune femme qui lui faisait face à cet instant.

- Dites, vous ne voudriez pas rejoindre la Milice interne à la Cité par hasard ? Je cherche à arranger quelques Coutileries pour améliorer leur efficacité, et votre arc serait plus qu'utile en cas de nouvel assaut.

Le Sergent ne voulait pas parler de malheur ni inquiéter qui que ce soit outre mesure, mais il lui apparaissait désormais comme évident qu'une telle chose pouvait se reproduire n'importe quand, même si probablement pas avant plusieurs mois. Il lui semblait qu'ils n'avaient pas une minute à perdre pour à la fois reconstruire ce qui avait été détruit, mais surtout rassembler les troupes et les renforcer au mieux en prévision de plus sombres évènements. L'esprit derrière cette attaque trop bien organisée courait toujours et il était évident que cela ne faisait que commencer.

Être opérationnelle pour des missions en extérieur, c'était une phrase qui résonnait de façon plaisante aux oreilles de la milicienne. Elle ne s'était jamais vraiment sentie chez elle entre les murs gris de la cité qui se targuait tant d'être imprenable, et qui pourtant avait subi un sérieux revers. Mais elle avait eu assez de temps pour penser à tout cela, et maintenant elle allait pouvoir reprendre du service, non sans un minimum d'appréhension. Ce premier jour s'était bien déroulé, mais il était en interne, sur une mission facile. La suite serait sûrement bien plus musclée. Elle ne se faisait encore aucun doute là-dessus.

Mais avec le temps, toujours concentrée sur son devoir, n'en oubliait-elle pas l'essentiel? Vivait-elle vraiment ou bien ne subsistait-elle que sur une chimère, un rêve illusoire qui n'était même pas le sien? Rien n’ôtait ce drôle de sentiment que, même si sa détermination restait en apparence intacte, en elle, des fissures et des doutes se propageaient comme une gangrène. N'était-elle pas devenue trop... insensible? Trop méthodique? Une simple machine vouée à la protection du duché et de son peuple.

La milicienne secoua discrètement la tête pour chasser ses sombres pensées. L'heure n'était pas à se morfondre, elle devait montrer qu'elle était de nouveau sur pieds, prête à reprendre du service. Si la seule chose à laquelle elle pouvait vraiment se rattacher était son devoir, ainsi soit-il. Même si le lien qui la liait à Zephyr avait été forgé dans le sang, il gardait toujours une étrange touche impersonnelle, comme une distance que leurs rangs et leurs âges respectifs ne permettait pas d'être comblé.

« Je suppose que oui, combattre sur le même champ de bataille rapproche forcément. Mais ici les batailles ne sont jamais finies, s'attacher implique aussi souvent que les survivants se retrouvent à en pleurer les disparus. » répondit-elle alors, tout en se rappelant du comportement de certains vétérans, bien trop marqués par leurs pertes pour pouvoir vraiment oser encore s'attacher à qui que ce soit. Même en étant plus jeune dans le métier, Élisabeth pouvait les comprendre. Mais elle était tiraillée entre cette peur de perdre des êtres chers et ce besoin purement humain de se lier à autrui.

Néanmoins, elle fut assez surprise à la proposition du sergent. Elle? En milicienne intérieure? Elle haussa les sourcils, légèrement surprise, balbutiant quelques bruits incompréhensibles à la proposition. La brune n'avait jamais vraiment envisagé une telle demande, ni même l'éventualité pour elle de revenir à l'intérieur. Mais elle reprit assez rapidement son sang-froid, et décida de détourner la discussion d'une petite pique pour se donner le temps d'y réfléchir. « Vous avez besoin de me surveiller, sergent? Je ne me fais pas non plus grignoter par la fange tous les lundis. » plaisanta-t-elle alors, ce qui n'était peut-être pas la plus adaptée des réponses à une telle demande, mais elle avait besoin de temps...

L'interne ne lui évoquait pas vraiment de bons souvenirs, si ce n'était peut-être qu'une relative sécurité. Une relative sécurité qui ne lui avait pas porté chance puisque sa première blessure grave était bel et bien survenue entre les murs de la cité. Et il était vrai qu'avec le Chaudron, désormais, la milice interne vivait un moment bien plus dangereux que jamais. Mais l'extérieur lui évoquait bien plus de choses. Les grands espaces, la chasse, la ferme, son enfance, le passé...

« Je... ne sais pas vraiment quoi répondre. Mon arc sera-t-il vraiment plus utile qu'un autre? Ce n'est pas spécialement une arme adaptée aux combats de rue, mis à part dans les grands axes... » répondit-elle alors. L'offre était néanmoins tentante, mais elle n'arrivait pas vraiment à voir pourquoi il lui proposait une telle offre. Voulait-il qu'elle soit directement sous ses ordres? Si elle voulait monter en grade, ne serait-ce pas la chose la plus logique que d'accepter? Pour peu qu'elle se fasse remarquer en interne, elle avait déjà de bons contacts avec un sergent... Mais le voulait-elle vraiment?

« Je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi à Marbrume. » avoua-t-elle alors, de façon assez brute. C'était la chose qui ne lui donnait pas envie d'accepter cette offre, clairement. « Malgré le danger, je me suis toujours sentie mieux dehors. C'est là où j'ai grandie, et depuis que j'ai posé le pied dans cette ville, rien n'a jamais bien fini pour moi. » déclara-t-elle ensuite, tout en prenant légèrement appui contre le mur en pierre froid de la caserne avec son dos. La milicienne laissa alors échapper une petite moue hésitante. Elle ne voulait pas vraiment rejeter l'offre aussi facilement.

« Qu'est-ce-qui vous fait dire que je suis apte au poste que vous me proposez, sergent? Je n'ai pas effectué beaucoup de missions en interne jusque là... » l'interrogea-t-elle alors. Pour formuler une telle demande, peut-être avait-il autre chose en tête qu'une simple réorganisation de coutillerie. Elle était curieuse d'en connaître la vraie raison. La jeune femme avait des qualités, et elle tentait au mieux de masquer ses défauts, mais le sergent la connaissait-il vraiment? Ou bien avait-il lu des rapports à son propos? En tout cas, il avait sûrement le pouvoir de la réassigner en interne s'il le voulait. Mais Elisabeth savait que ce n'était pas vraiment le genre de Zephyr que de faire une telle chose sans lui demander son avis avant.

La plaisanterie sur le fait de ne pas se faire grignoter par la Fange tous les lundis fit mouche, arrachant une ombre de sourire amusé à Zephyr qui secoua légèrement la tête pour chasser les idées plus sombres qui pourraient lui venir. Heureusement que ce n'était pas le cas, sans quoi il y aurait à s'inquiéter et exiger que Elisabeth ne prenne plus jamais les armes contre ces monstres. Celle-ci en tout cas évoquait des éléments de réponse tout à fait plausibles et le Sergent acquiesça lentement, songeur quant à ce qu'elle lui disait. Il avait songé la placer sur les remparts et les palissades afin que ses flèches fassent mouche à chaque tir ou peu s'en fallait. Il se souvenait de la façon dont elle avait tué en un seul tir le Fangeux qui s'acharnait sur son épée, et qui n'aurait pas manqué de le tuer promptement si elle n'avait pas aussi bien réagit. Mais il était vrai aussi que si le Chaudron venait à déborder, elle serait hélas à la première place pour subir un sort funeste.

« Je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi à Marbrume. Malgré le danger, je me suis toujours sentie mieux dehors. C'est là où j'ai grandie, et depuis que j'ai posé le pied dans cette ville, rien n'a jamais bien fini pour moi. »

Zephyr eut un léger sourire, s'étant douté d'une telle réponse bien qu'il avait voulu tenter le coup malgré tout.

- Je comprends parfaitement.

Lui-même était issu de terres verdoyantes où il pouvait aller et venir comme bon lui semblait, où il n'y avait guère plus que de grands villages et leur château avec sa petite ville intérieure, et qui n'avait rien de comparable à une véritable cité. Non, il lui était déjà difficile de rester entre quatre murs durant plus d'un mois, alors il n'allait pas l'imposer à une femme éprise de grands espaces et de liberté, qui n'aimait pas la cité et qui ne s'y sentait pas à son aise. C'eut été se moquer de la charité.

« Qu'est-ce-qui vous fait dire que je suis apte au poste que vous me proposez, sergent? Je n'ai pas effectué beaucoup de missions en interne jusque là... »

- En vérité je songeais surtout à un poste en hauteur, avec votre arc pour couvrir ceux qui évolueront en contrebas, comme les remparts de la cité ou bien les grandes palissades du Chaudron. Je ne vais pas vous mentir, nous manquons de bons archers, ce qui est logique puisque nous les envoyons tous en mission à l'extérieur, mais de ce fait, en cas de menace, nous nous retrouvons rapidement dépourvus de renfort.

Il sourit légèrement malgré tout, venant tapoter l'épaule valide d'une main légère.

- Ne vous en faites pas, je ne vous assignerais pas à l'interne de force, vous retrouverez bientôt l'extérieur. Nous allons devoir former plus d'archers voilà tout.

Zephyr lui fit signe de le suivre, s'éloignant encore de quelques pas, les mains jointes dans son dos en position de réflexion.

- Vous qui êtes archères, si vous pouviez me faire une liste de Miliciens de votre connaissance que vous pensez capables de se spécialiser dans l'archerie, je vous serais gré de me la faire parvenir prochainement. Cela viendra s'ajouter à mes propres recherches à ce sujet.

S'arrêtant près de l'entrée d'un couloir menant plus loin aux bureaux des officiers, il porta sur Elisabeth un regard chaleureux.

- En tout cas je suis rassuré de voir que vous vous portez bien, nous avons besoin de Miliciens de votre trempe.

Le sergent comprenait bien où elle voulait en venir. Et encore, elle avait beau parler d’elle, mais la jeune femme était elle-même passée à côté de la réponse la plus évidente, la réponse qui faisait que même si la brune avait tout le désir du monde de rejoindre la milice interne, elle ne le pourrait pas. De tout de façon il n’avait pas insisté. Elle n’était pas mécontente d’officier en interne quand ces derniers avaient besoin de renforts, mais être plongée à nouveau dans la misère d’où elle venait et dans les machinations d’humains ne pensant parfois qu’à eux-mêmes au détriment de la ville assiégée par la fange.

« Et même si je voulais vraiment rejoindre la milice interne, il y a toujours quelque chose qui m’en empêcherai. » fit-elle remarquer avec un petit sourire amer en portant une main à son épaule meurtri, effleurant les contours de la cicatrice qui n’était heureusement plus douloureuse.

Néanmoins l’analyse du sergent n’était pas mauvaise non plus. Un archer sur des remparts était bien mieux placé qu’un archer au milieu d’un marais à la merci du premier fangeux venu pour peu que la ligne de front ne tienne pas face à l’assaut de ces bêtes. Quand il lui disait que la milice manquait d’archers, elle voulait bien le croire. La plupart des miliciens qu’elle croisait semblaient bien plus à l’aise une épée à la main qu’avec un arc même si beaucoup savaient utiliser les deux. Les archers spécialisés dans le domaine étaient assez rares. Peut-être parce-que les hommes étaient peut-être encore un peu trop attachés aux anciennes coutumes où l’épée était plus honorable. Sauf que les fangeux n’en avaient bien que faire de l’honneur, archers, ou épéistes. Seul leur faim insatiable semblait les guider.

« Je connais très peu de miliciens dédiés intégralement à l’arc. Ou même souhaitant réellement d’investir exclusivement dans ce genre d’activités. Mais si j’en croise je ne manquerai pas de vous en faire part. Je peux toujours vous donner quelques noms ici ou là mais le mieux restera encore d’aller leur demander personnellement. » expliqua-t-elle alors tout en creusant ses méninges quant à d’éventuels candidats à une telle spécialisation. En même temps, quel était réellement le profil qu’il recherchait?

« Je suppose que le genre de miliciens que vous devriez privilégier sont ceux qui sont les moins épais et forts physiquement. C’est peut-être un peu égoïste de dire cela mais les plus forts feront un bien meilleur travail pour s’interposer face à une menace si besoin. Les femmes avec plus de ... formes... seront aussi gênées dans leurs tirs. » fit-elle ensuite remarquer tout en essayant de se demander qu’est-ce-qui faisait de quelqu’un un bon archer. Et la réponse n’était pas vraiment évidente. Peut-être une bonne concentration? Elle continua de réfléchir et avança tout de même quelques noms de miliciens à Zephyr.

Quant la sergent indiqua qu’il était rassuré de la voir aller mieux, et que la milice avait besoin de miliciens comme elle, la milicienne ne put s’empêcher d’être flattée. Mais plutôt que de la faire rougir, cela la fit légèrement rire. Est-ce-qu’il ne la mettait pas un peu trop sur un piédestal pour un simple tir remarquable? Comme quoi les premières impressions avaient aussi parfois de quoi jouer des tours. Ou bien avait-il vraiment bien plus étudié son comportement que ça?

« La milice a bien besoin de plus de sergents comme vous, aussi. » déclara-t-elle alors pour lui retourner le compliment, sincère. Elle avait déjà entendu certains miliciens se plaindre de leur sergent, d’autres le défendre. A vrai dire le sien, elle ne l’avait jamais vraiment vu en opération. Au final elle savait vraiment peu de choses de lui, mis à part ce que son coutiller, Gauvain Tristefer, voulait bien lui dire.

« Mais je vois que pendant que je récupérais vous n’avez pas tardé à prendre votre nouveau rôle en main et à vous investir. Vous avez encore du temps à passer avec votre soeur avec tout ça? » demanda-t-elle alors, un peu curieuse, même si la discussion déviait un peu du cadre professionnel, surtout avec un sergent, la jeune femme n’avait pas trop de soucis à revenir sur des sujets peut-être un peu hors du thème. Après tout elle était assez curieuse de comment se passait la vie de sergent aussi, par rapport à la sienne. Outre les quelques missions, quel était leur train de vie et leurs autres assignations dont elle n’était pas forcément informée? Enfin, la place ne lui serait pas facilement accessible, sûrement pas avant des années si elle ne mourrait pas avant. Et pas sans que les mentalités à propos des femmes n’évoluent vraiment. Mais qui savait? Peut-être un jour...

Zephyr hocha la tête à la mention des éventuels miliciens qui pourraient être intéressés, il irait dans tous les cas proposer cela en personne aux concernés, car ce n'était point là un vague recrutement ordinaire destiné à gonfler les rangs, mais bien à s'assurer que les défenses aient une plus grande chance de tenir en cas de nouvel assaut, peu importe d'où il puisse venir. Ils s'étaient fait surprendre cette fois encore, mais il était hors de question de laisser ce tragique évènement se reproduire, ça non. Il nota mentalement les noms et se les répéta en esprit pour s'assurer de les retenir et d'aller les inscrire dans son propre registre, indiquant à Elisabeth qu'il était rassuré de la voir bien se porter. L'entendre rire fut un plaisir, voilà bien un son qu'on entendait trop peu ces derniers jours, et le fait qu'elle lui réponde par un compliment retourné lui arracha un léger sourire et un hochement de tête, l'homme ne désirant pas la contredire bien qu'il soit encore trop tôt pour l'affirmer.

- Peut-être, nous verrons si les choses continuent sur la bonne voie.

Leurs pas les menaient déjà vers l'entrée du bâtiment et Zephyr pénétra à l'intérieur avec la jeune femme, hochant la tête face à sa sollicitude vis-à-vis d'Idalie.

- Je crains de ne plus être aussi présent qu'avant à ses côtés, quoique cela ne soit guère aussi contraignant que lorsque je partais en mission pour le duché. Au moins est-elle rassurée de me savoir entre les murs de la cité et de me voir rentrer chaque soir.

C'était là une sécurité et un confort dont peu de personnes pouvaient se targuer, quoique le Sergent ne soit pas du genre à se cacher derrière des murs, mais bien à courir au-devant du danger pour faire son devoir au mépris des risques et de la Mort.

- Je vais devoir vous laisser, j'ai encore beaucoup à faire avant de pouvoir laisser cette attaque derrière moi et de me concentrer sur l'avenir de la Milice.

Il s'arrêta au milieu du couloir où ils se trouvaient, profitant qu'il n'y ait pas de regard indiscret pour offrir un sourire à Elisabeth.

- Prenez soin de vous et ne forcez point avant d'être totalement guérie, vous serez bientôt aussi solide qu'avant votre blessure vous verrez.

Zephyr avait remarqué les mouvements de l'épaule et il connaissait suffisamment les dégâts que pouvaient faire un fangeux lorsqu'il atteignait sa cible, aussi espérait-il que l'archère ne s'épuiserait pas en tentant de revenir au meilleur de ses capacités.

- Si jamais vous avez un problème, quel qu'il soit, n'hésitez pas à venir me trouver, ma porte vous sera toujours ouverte.

Conclu-t-il avec un signe poli de la tête agrémenté d'un sourire chaleureux, prenant ainsi congé pour s'en retourner à son bureau où l'attendait beaucoup trop de rapports à son goût. Les responsabilités n'avaient jamais été sa préférence, et voilà qu'il se retrouvait à la tête de nombreuses vies qu'il lui fallait orienter au mieux. Une chance que son chemin croise celui de personnes fiables comme Elisabeth, avec elle et d'autres valeureux, l'avenir s'annonçait prometteur.

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