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 Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]

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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



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MessageSujet: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyLun 2 Sep 2019 - 22:44


Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Merric10

1 mai 1166

Il y a des situations qui changent une vie, qui marquent l’esprit, le corps à jamais. Comme une vague amère, Estelle se faisait emporter au grès des catastrophes, avec la sensation de sortir d’un événement dramatique, pour rentrer dans une nouvelle danse mortuaire. Les cris, les pleurs, la mort, tout semblait lui offrir un arrière-goût en bouche, se dessiner au travers de ses yeux, imbiber sa peau, ses soupirs. Impossible de fermer ses prunelles sans visualiser une nouvelle fois les événements, impossible d’ignorer la possibilité que les deux derniers membres de son existence aient pu disparaître. Immobile, avachie derrière son comptoir, dans le coin le plus obscur, elle laisse les survivants qu’elle a sauvés, hébergés, gérer le lieu, s’organiser. La folie c’est imprégné de certains esprits, l’inconscience d’autre, mais rien ne semble permettre à la rousse de se révéler, d’être pleinement active de l’acte de secours qu’elle a pourtant lancé. Seule, elle était seule au milieu de cette foule s’entassant, seule devant tous ses gens qui s’animaient pour obstruer les entrées. Rien n’avait d’importance, absolument rien. Merrick Lorren était peut-être mort, son frère aussi et elle n’avait rien pu faire, absolument rien. Sa gorge se souvenait de ses cris dans la foule, ses cordes vocales semblaient encore vibrer sous l’énergie du désespoir. Pourtant, ce sont des dizaines d’inconnus qui peuplaient son établissement, des dizaines de survivants dont elle aurait sacrifié l’existence sans hésitation pour sauver une seule des deux âmes dont elle avait besoin sur le moment présent.

Une éternité, oui, cela dura une éternité. À l’extérieur les gémissements, les hurlements, les cris et les grognements ne semblaient jamais s’arrêter. À l’intérieur la mort elle-même avait fini par s’engouffrer dans le lieu et les décapitations avaient fini par devenir un allié des plus sécurisants. La panique, les larmes, la peur, l’ensemble ne peut que se questionner : la ville va-t-elle survivre ? Les proches sont-ils encore seulement en vie ? Immobile toujours, celle qui a daigné donner ses recommandations au début n’est plus qu’une ombre parmi les ombres, un meuble brisé parmi ceux lamentablement jetés contre la porte, les fenêtres. La chope sucrée, merveilleuse chope sucrée toujours parfaitement organisée, rangée, nettoyée n’est plus qu’un amas d’entassements, qu’une tentative de survie, de protection. Il n’y a pas de silence ici, c’est inutile, la méfiance s’immisce dans les cœurs et l’ensemble devient l’ennemi de son proche voisin. La peur vrille les estomacs, offre des nausées, pire… permet le doute, la méfiance de ceux qui auraient dû lutter ensemble dans la même direction.

Immobile. Toujours, celle qui ne ressent absolument bien vient de rabattre ses jambes contre son buste, déposant sa tête sur le haut de ses genoux tremblant, elle ne pleure pas, plus, elle ne crie pas, plus. Silence. C’est tout ce à quoi elle aspire. Silence. Seulement silence. Avisant fixement devant elle, un point imaginaire, trouble qui ne lui permet même plus d’identifier les jeux de jambes qui se déplacent dans l’établissement, ne perçoit même plus le grincement du plancher, les disputes qui éclatent, les vies qui s’évaporent comme la fumée d’une eau frémissante. Combien de temps c’est écoulé ainsi ? Sans que ce ne soit autre chose que cette incapacité à réagir qui ne se dégage de la dame. Prier. Prier mentalement que les Trois lui pardonnent, lui viennent en aide, viennent en aide à Marbrume, à Merrick, à Adrien… Même lui, ce monstre qui reste son frère, le sang de son sang, du moins le pense-t-elle encore naïvement. Le calme finit cependant par venir imbiber les yeux et c’est le bruit des cloches qui se fait entendre : un coup, deux coups, trois coups. L’attaque est finie, terminée, tout est terminé, mais que vient-il de commencer ?

Immobile. Elle reste immobile, oui, les meubles sont déplacés, oui les premiers curieux osent sortir vers l’extérieur, lentement, sûrement. La fumée des bûchers rentre rapidement, irrite la gorge et fait toussoter, le nuage grisâtre empêche parfaitement de visualiser le massacre, quel massacre. Elle n’a pas bougé Estelle, laissa la foule disparaître, courir, hurler des prénoms de personnes connues. La Chantauvent n’ose pas, plus, terrifier à l’idée que le cauchemar recommence, terrifiée à l’idée même, la possibilité qu’on vienne lui annoncer le pire. Viendrait-on seulement l’informer, elle qui n’est pas épouse.

Elle se retrouve seule, ou presque, les quelques volontaires ayant pris en charge le groupe de survivants débutent déjà le rangement, le plus gros du moins. N’ont-ils personne à retrouver ? Celle à la chevelure flamboyante finit par se redresser, comme si le royaume entier appuyait sur ses épaules, comme-ci l’effort lui demandait une énergie aussi puissante que celle des Trois eux-mêmes. Lasse, elle ne peut qu’écarquiller les yeux devant la terrifiante vision qui s’offre à elle, pourtant de derrière son comptoir ne perçoit-elle que cette fumée étrange, grise et cette odeur de cochons, de viandes grillées.

Elle avance d’un pas, puis d’un autre, observe ceux qui sont encore là, la détaillant avec cet air qu’elle ne connaît que trop bien, qu’elle déteste au plus point. Elle n’est pas veuve, pas une seconde fois, ils n’ont pas encore noué le ruban à leur poignet, il ne l’abandonnera pas, pas comme ça. Elle contourne le bois, un doigt sur le comptoir pour le longer, comme pour s’assurer de la réalité, ne pas succomber dans l’irréel, quand rien n’a de sens. Cela n’a pas pu se passer, c’est ce qu’elle répète à plusieurs reprises. Non, la Fange ne passerait jamais les murs de Marbrume, c’est la forteresse de l’humanité, la ville survivante. Deux pas encore, Estelle n’est plus très loin du seuil de la porte, hésitation, tremblotante entre envie de savoir et celle de reculer, pour espérer, croire encore un instant que non, non, la fange n’est pas parvenue jusqu’ici. Respiration difficile, saccadée, comme si un poids venait essayer de l’étouffer, de faire pression sur sa cage thoracique. Enfin, la ligne critique est dépassée, ses pieds se retrouvent sur les pavés de la place des pendus, ses lèvres laissent échapper un petit cri de surprise, de panique. Irréaliste. Tout est irréaliste.


- « Qu’est-ce que vous faites encore là » grogna celle dont la douceur semblait avoir disparue « Vous devez avoir une famille, des amis, des proches à retrouver, dépêchez-vous… »

Les ombres à l’intérieur disparaissent, l’inquiétude doit les ronger aussi et s’occuper évite de se concentrer sur le pire, quel pire. Elle reste encore un long moment devant l’établissement, respirant cette odeur qui lui donne la nausée, respirer ce besoin de réalité, s’imprégner, réaliser, réaliser… Les larmes ne coulent toujours pas, l’état est toujours second. Doit-elle encore prier pour se réveiller, espérer, espérer oui.

Immobile. Toujours. Elle ne peut que suivre de regards les derniers fuyards, les derniers survivants recouverts de sang. La milice continue d’envahir la place, celle qui est recouverte du liquide pourpre, celle où les cadavres sans tête servent de décoration. Ses prunelles avisent autour d’elle, les mains tremblantes, elle rêve de voir une silhouette apparaître, plus une que l’autre, plus une que l’autre oui, mais rien ne se passe. Ses jambes refusent de bouger, les larmes ne montent pas même si sa gorge commence à se nouer. Merrick ne vient pas, n’est pas là. À quoi s’attendait-elle, il est milicien, il doit être débordé, débordé oui, il ne s’agit que de ça. De rien d’autre. Estelle ne sait pas réellement quoi faire, quoi dire, l’insécurité la gagne, la peur dévorante, toujours plus déstabilisante. Si la fange revenait, si elle était encore là… Après tout elle est arrivée jusqu’ici, jusqu’à la porte de son établissement. La fange ici. Merrick. Son regard se relève encore, espère, supplie, mais toujours rien, rien du tout, hormis les silhouettes qui fuient, qui n’ont plus rien, qui pleurent.

Les pas la ramènent à l’intérieur, chez elle, chez eux et la tristesse la gagne. Il n’y a rien de réconfortant dans ce désordre, absolument rien… L’établissement n’est que le témoin des tourments, de la gravité de la situation. Si dans un premier temps elle attrape une chaise pour la remettre en place, au milieu de ce néant, de ce vide, dont les tables sont encore renversées, c’est une vague de colère, de violence qui vient finalement animer la tenancière. Elle entend son propre cri de désespoir, de peine, d’amertume et de rage sans avoir conscience qu’il provient de ses lèvres, de son corps, elle perçoit parfaitement les éléments voler dans un coin pour parfois se briser sans réaliser que ses gestes en sont coupables. POURQUOI. Pourquoi oui est un mot qui n’a de cesse de se répercuter dans son esprit.
À genoux sur le sol, elle avise le lieu, l’établissement, les poings ensanglantés par des gestes rageurs, désespérés. Avoir mal pour faire ressortir toute cette douleur qui la ronge. Souffrir physiquement pour justifier, pour s’expliquer ce sentiment dévorant, sombrant.

Combien de temps ça a duré ? Difficile à dire, suffisamment longtemps pour que le soleil décline, pour qu’elle soit dans l’obligation de se relever pour allumer des bougies, puis pivotant : l ne restait qu’une solution : ranger. Ranger pour oublier, pour ne pas penser, ne pas pleurer, ne pas hurler encore. Elle n’en est de toute façon plus capable, sa voix à dérailler, la rendant plus grave, plus complexe pour s’exprimer.

Immobile. Encore. Elle attrape les morceaux de bois, tente de remettre le tout en place, un peu, juste un peu. Estelle a besoin d’ordre, dans son esprit surtout, oui, mais pour ça, il faut ranger la chope. Le plancher finit par grincer derrière elle, un instant, son cœur vient tambouriner dans sa poitrine loupée un ou plusieurs battements alors qu’elle pivote avec l’espoir de le voir lui, son milicien. C’est beaucoup plus qu’un besoin, c’est inexplicable et quand ses prunelles effleurent la silhouette qu’elle reconnaît sans être celle souhaitée, elle ne peut que retenir un bref pas en arrière. Mélange de déception et de soulagement, de peur et de contentement. Elle s’écœure presque immédiatement d’être un peu heureuse de le voir vivant. Son frère avance de quelques pas avant de s’immobiliser devant les sourcils qui se froncent et ce regard qu’il ne connaît trop bien.

- « J’ai cru que tu étais morte… »
- « Ça t’aurait soulagé, je suis morte pour toi depuis que je sais ce que tu m’as fait. Dégage. Cela fait longtemps que tu es mort pour moi. »

C’est faux, elle le sait au plus profond d’elle-même, mais elle ne peut lui pardonner, accepter. Les sentiments sont contradictoires, si douloureux à accepter, encaisser, tolérer. Il fait encore un peu, elle attrape une chaise qu’elle balance en sa direction. Il recule, regarde la porte, lâche un soupir en se massant l’arrière de la nuque.

- « Ne sois pas stupide, petite sœur… Marbrume se meurt, ce n’est pas-»
- « Dégage ! Ou je hurle Adrien, je hurle à l’aide, tu entends ?! Tu n’as rien à faire ici, tu n’as plus jamais rien à faire ici. »
- « Il est mort de toute façon, je ne sais pas ce que tu espères. Tu attires la mort… Devrais-tu cesser de mettre en colère tes dieux par ton comportement irresponsable. »

Des paroles amères, formulées avec un unique but : blesser. Il disparaît en murmurant qu’il est heureux de la savoir en vie, aurait-elle aimé pouvoir en dire autant et si dans le fond, oui, oui elle est soulagée… Cette simple pensée lui donne la nausée, coupable d’être idiote, coupable d’être lié jusqu’à la fin de sa vie à celui qui n’a eu de cesser de la tourmenter, de l’abuser. Le lieu est de nouveau dans un état lamentable, à moins que ce ne soit son esprit, oui peut-être. Estelle sent ses jambes manquer de céder, de s’effondrer, le grincement de ses dents la surprend également. Presque naturellement, elle reprend l’organisation, la mâchoire crispée. Les tables, les chaises, l’ensemble abîmé retrouvent néanmoins une place convenable. Le plancher finit par grincer à nouveau, Estelle n’ose même plus relever les yeux en direction de l’entrée, l’espoir est mort en même temps que son dernier soupir de positivité.

- « Je t’ai dit que c’était inutile de venir… Casse-toi.»

L’absence de réponse sans aucun doute lui avait fait légèrement relever les yeux. Une vague d’émotion avait dû s’emparer de son visage et pourtant avait-elle était absolument incapable de bouger, de se déplacer, de courir jusqu’à ses bras pour le retrouver, l’embrasser, sentir son odeur, sa chaleur. L’absence ou la présence blessure ne sembla même pas la marquer, non, il était là, juste là et ses tout ce qui semblait compter. Comme une vieille habitude, ce n’est aucune réaction attendue qui franchis la barrière de ses lèvres, absolument aucune, mais plutôt ce besoin routinier et horriblement rassurant de jouer, de le taquiner, de l’embêter.

- « Ce que tu ne ferais pas pour éviter de ranger, Merrick Lorren… Une attaque de fangeux, rien que ça…. Je te préviens tu n’y échapperas pas. »

La vibration de ses lèvres devaient trahir son inquiétude, l’humidité de ses yeux et se déglutissement fragile. Sa voix était plus rauque, plus tourmentée, plus fragile, brisée à cause des cris. Pour autant non, Estelle ne parvenait pas à bouger, pas à se précipiter dans ses bras, à enfouir sa tête dans son cou, à remercier les trois de le voir en vie. C’était comme un blocage, comme un refus, la crainte d’une illusion, d’un mirage qui s’évaporerait à peine aurait-elle osé faire un pas vers lui. Son regard s’était détaché de sa silhouette, ses doigts entrelacèrent le bas de sa jupe bleutée, ses lèvres vibrèrent davantage encore sans qu’aucune émotion ne coule le long de ses joues.

- « On n’aura pas de clients ce soir ni les jours à venir…. » c’était stupide comme conversation « Je crains que malheureusement la totalité des bouteilles de ta vie aient disparu. J’espère que tu pourras y survivre et que le manque ne sera pas trop important » oui elle tentait de plaisanter, de taquiner, c’était leur habitude juste à eux « Tu m’aides ? »

Elle poussa doucement une table pour la remettre à sa place, puis attrapa des chaises dont les pieds n’étaient plus en très bon état, l’ensemble semblait avoir du mal à tenir, rendant l’action encore plus ridicule que le moment choisi. Comment réagir à des retrouvailles, comment y croire, que pouvait-elle lui dire ? À l’intérieur tout semblait décupler, son sang était en ébullition, son cœur tambourinait dans une rage folle.

- « Vous savez, Merrick Lorren…. Je crois que je devrais être en mesure de trouver encore une bouteille… »

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Merrick LorrenCoutilier
Merrick Lorren



Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyMer 4 Sep 2019 - 21:25
C'était la fin.

Le pire venait d'être évité, la mort avait été refoulée et réprimée au Goulot. Les mains du milicien se crispèrent, alors qu'il était immobile au milieu de la place des pendus. Serrant son arc...non. Ce n'était pas son arme. Elle appartenait à quelqu'un d'autre, à un milicien qui était mort pour protéger Marbrume. Lui avait eu la chance de ne pas trépasser. De n'être même pas blessé, si ce n'était de quelques balafres mineures et autres estafilades et de son âme en morceau. L'ancien propriétaire de l'arme à distance s'était peut-être relevé en fangeux, peut-être que le jeune homme l'avait abattu avec sa propre arme ? Il l'espérait. Il espérait ne pas l'avoir laissé vagabonder et errer comme un prédateur de l'humanité qu'il serait devenu. Pour son propre bien, mais aussi pour celui d'autrui...

Ainsi, Merrick Lorren serrait cette arme qui ne lui appartenait point et nouvellement acquise. Fortement. Trop fortement. Soufflant par la bouche pour retenir un haut de cœur de le prendre et de le faire ployer et se prostré, il tenta de ne plus penser. C'était primordial. Ne pas réfléchir sur le destin tragique de l'archer mort à ses dépens était un premier pas dans la bonne direction.

L'ivrogne ferma les yeux, plus voir devenait tout aussi primordial.

Car sur cette place des pendus, ce n'était plus ces derniers qui étaient pléthore et en nombre. De fait, les bûchers funéraires et les corps brûlés venaient remplacer les habituels condamnés au supplice de la corde. Ici et là, des amoncellements de cadavres décapités attendaient patiemment leur tour sur le brasier pour se consumer et disparaître à tout jamais. Jonchant encore la place difficilement protégée de l'âpreté des luttes face à la fange, les cadavres désarticulés semblaient singer les efforts des vivants pour les faire disparaître. Aussi absurde que cela puisse paraître, ce spectacle autant morbide que macabre venait faire prendre conscience au piètre milicien que la mort n'épargnait personne. De nos jours mourir revenait au risque de se voir transformé en monstre ou bien de finir oublié dans une crémation commune. Destin horrible, finalité morbide.

Pour le milicien, s'était la preuve que la vie n'était que le plus grand larcin qu'il était possible de commettre, mais que nul n'en réchapperait. Dès lors, ne serait-il pas mieux de mourir rapidement, de s'éviter des souffrances ? Il secoua la tête. Ne plus penser était aussi l'une de ses priorités, il semblerait.

Passant l'arc en bandoulière, Merrick déposa ses mains sur ses oreilles.

Il ne voulait plus entendre, ne quémandant qu'un bref sursit à cette scène de souffrance, à ce parterre de mort et de sang d'innombrable innommable. Car en compagnie des morts silencieux, les vivants blessés criaient à tous leur présence. S'accrochant aux filets épars de vie qui les quittaient en flot continu couleur carmine, leur sang de vivant venait rejoindre celui de décédé devenu dépouille. Pour la plupart, certains proche ou frère d'armes se tenaient pour les épauler, pour tenter de les sauver ou de les accompagner durant les derniers instants d'une existence connaissant un dénouement inéluctable. Tous se voulaient conciliants et magnanimes dans la souffrance d'autrui. Alors, pourquoi chacun d'entre eux cherchait du regard une blessure octroyée par la fange avec suspicion, ou bien tenait de leur broigne la poigne de leur arme ? Car la mort attend. Et que de nos jours, la mort bouge. Frère d'armes, femmes ou maris, une fois le dernier souffle de vie évaporé, nul lien ne semblait assez puissant pour leur faire conserver leur chef. La peur de la mort était trop grande. Autant métaphoriquement que littéralement parlant.

Bousculé par un homme aux couleurs de la livré de la milice, Lorren du se lâcher les oreilles et ouvrir les yeux pour ne pas chuter. Mal lui en prit, alors que l'envie de vomir revint le prendre devant le spectacle qui se jouait. Y songer était différent. Le voir était nettement plus affreux, horrible, acariâtre. Les hommes d'armes semblaient ébaubis, ne sachant guère que faire, quoi faire et comment le faire. Bon nombre de gradés étaient morts tels les troupiers qu'ils étaient, faisant de la chaîne de commandement une entité à moitié décapitée. Merrick pouffa d'une façon hystérique. Le commandement était décapité comme le restant de la population de Marbrume gisant ici et là, sur cette place des morts...

Allant à droite et à gauche sans trop savoir quoi faire, les miliciens marchaient entre -et parfois sur- les cadavres, le sang et les différentes déjections humaines. Parterre de mort et de décrépitude, les hommes d'armes qui n’étaient guère armés pour ce genre d'événement foulaient aussi les morceaux brisés de la lice, les dernières traces des festivités qui avaient eu lieu en cet endroit avant que le pire ne se produise. Comment tout avait pu devenir ainsi, comment tout avait pu passer du plaisir et du rire, à la mort et à la souffrance ? Impossible. C'était tout bonnement impossible. Et pourtant, c'était arrivé.

Tiens, en parlant de rire. Quelqu'un riait au milieu de cette scène macabre. Qui pouvait se laisser aller à de l'amusement ici...? Non pas de l'amusement, une hystérie flagrante. Pourquoi certaines personnes le regardaient avec compassion ? Ah. C'était lui le coupable, le fautif de cette mascarade d'amusement et de plaisir. Étrange. Il ne s'en était pas rendu compte. Merrick s'arrêta de rire, s'abritant derrière un rideau de cheveux. Tiens, ses yeux le piquaient.

-"Merrick Lorren, non ?"

L'ivrogne releva les yeux. Depuis quand fallait-il l'interroger sur son identité ? N'était-il pas assez reconnaissable ? Avait-il changé du tout au tout en si peu de temps. Sûrement un peu comme tout le monde, non ? Ou bien, était-ce peut-être le sang qui le maculait des pieds à la tête qui le transformait ? Au moins, ce dernier ne lui appartenait pas. Comme l'arc, au final. " Ce qui l'en reste."

-"Votre coutilier est mort." Nulle trace de sympathie ou bien de condoléances de la part du simple troupier. Après tout, il n'en finirait plus s'il devait s'excuser à tout un chacun pour la perte d'un être chère. L'information était suffisante en soit, livré sur un ton formel et où aucune trace de chaleur humaine ne transparaissait. Logique, en ces temps troublés. Après tout, l'humain n'était plus l'acteur principal de cette divine tragédie, de cette danse macabre. Le rôle avait été pris avec brio par la mort.

-"Ah." Brève réponse, sans surprise ni état d'âme. C'était un peu logique, non ? Que ce bougre, ce fieffé de coutilier était mort à la défense de la veuve et de l'orphelin. Foutu salopard. "Ce n'est pas étonnant de sa part. Il doit être mort en fonçant se prendre dans une situation d'où il n'y avait aucune échappatoire. Ouais, ça doit être ça. 50 fangeux devant lui, un truc du genre. Foutu salopard. Il..."

-"Je vais vous laisser un peu de temps." Dis l'inconnu en hochant de la tête, le regard un peu plus expressif qu'à son apparition.

-"...Que ?" Pourquoi disait-il ça ? Merrick n’en avait rien à faire d'Arthur. Ce salopard le faisait trimer beaucoup trop dur. Ce connard n'arrêtait pas d'être sur son dos, de lui poser des problèmes à l'interne de ses fonctions comme à l'extérieur de celle-ci. Alors...alors pourquoi ses yeux s'humidifiaient, pourquoi ils le piquaient, le trahissait en se remplissant de perle saline ? "Merde, merde et merde..." Se laissant tomber au sol, à genoux dans le sang d'inconnu, Lorren se mit à pleurer à chaude larme. " Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?" Aucune réponse à espérer. Son poing s'abattant à répétition sur le sol et le sang n'offrait aucunes prémices de réflexion. Toutefois, le mal qui traversait ses phalanges et le meurtrissait l'apaisait. Comme voir le liquide carmin éclabousser et marquer de sa présence sa main, ses vêtements et son corps.

Ouais, c'était la fin. Mais de quoi ? Allez savoir...

◈ ◈ ◈

Âme en peine ou âme errante, Merrick Lorren marchait sans se retourner ni se détourner. Il était le seul à aller en cette direction. Personne ne lui demandait ce qu'il faisait là, à qui il devait rendre des comptes. De fait, le milicien venait plutôt régler des comptes. Il est plutôt drôle qu'il vienne à décider de régler ça là, maintenant. Enfaîte, drôle ne serait pas le qualificatif approprié. Mais bon, son humour était plus que macabre en cette heure. Quoi de plus normal après tout ? Marbrume était recouverte d'un linceul de mort et de souffrance. Autant continuer dans ce registre, non ?

Autant parachever cette œuvre de mort jusqu'à son dénouement, non ?

Montant tranquillement vers l'Esplanade, le milicien ne pensait à rien, ne réfléchissait plus. Il était un couard et un ivrogne, certes. Or, la peur semblait avoir disparu de son esprit. Rien n'était plus effrayant et horrible que ce qu'il venait de vivre. Alors, rien ne pouvait réellement le faire reculer en cet instant. Du moins, pas l'idée abjecte qu'il escomptait commettre. Et puis en ces heures charnières de l'humanité, la mort semblait presque une délivrance plutôt qu'une souffrance. En outre, pour ce monstre, le trépas serait source de joie pour pléthore. Le moment était tout trouvé, non ? La fin des temps et la fin d'un être abject. Splendide tableau, superbe finalité, il allait s'en dire, pour le milicien qui ne réfléchissait plus convenablement.

Lorren savait où aller. Lui aussi pouvait faire jouer ses contacts, pouvait pister son opposant. Aller savoir pourquoi de prime abord il avait voulu cette information. Toutefois, en ce jour et en cette heure, cette volonté et cette demande étaient l'outil parfait pour qu'il puisse octroyer la mort. La décapitation semblait même l'objet idéal de cette macabre et morbide fin. Il finirait comme tout le monde. Sur un brasier, attendant son tour dans la boue et le sang. C'était tout ce qu'il méritait. C'est ainsi qu'il arrivait devant la demeure d'Adrien de Miratour. S'arrêtant devant les grilles fermées qui obstruaient son passage, l'ivrogne prit le temps de contempler la demeure ostentatoire qui lui faisait face. Le bourgeois vivait à ses aises, il allait s'en dire. Déposant sa main sur sa lame, qu'il savait suffisamment longue et aiguisée pour tuer, Merrick poussa la barricade pour passer.

Après tout, n'avait-il pas spécifié que c'était la fin ? La fin d'Adrien de Miratour...

Cognant à la porte avec civilité, l'homme d'armes attendit patiemment. Rien ne pressait, non ? La porte s'ouvrit en grande, alors qu'il enserrait son arme plus fermement. Bien vite, il la lâcha, desserrant son emprise sur l'outil de sa vengeance et de sa bassesse. Il avait oublié une variable, il n'était pas prêt à cela. "Adrien ?!". Non, c'était Merrick Lorren. Et devant lui, la femme inconnue du bourgeois et son bébé dans les bras de celle qui éploré pensait que le milicien venait lui annoncer la mort du frère de la Chantauvent. "Est-il..."

-"Non, madame."
Il se retint de dire "pas encore". Ça aurait été du plus mauvais goût. "Je le cherchais justement, il n'est pas..."

-"Non. Il est parti ventre à terre lorsqu'il a appris l'invasion de la fange."

Le milicien comprit rapidement de quoi il était question. "...Estelle." Merrick n'était pas idiot. Il avait croisé Clovis qui lui avait mentionné que la rousse était en sécurité et en santé. Dès lors, il était parti pour régler son compte à son frère, sans se jeter ventre à terre vers la Chope Sucrée. Toutefois, le frère épris de sa sœur n'en savait rien, lui. En proie au doute et à la réflexion, l'ivrogne crut voir une lueur de haine dans les yeux de la femme de Miratour. Avait-il rêvé ou avait-elle des doutes sur ce lien fraternel qui était beaucoup trop fort ?

-" Je doute que vous ayez à vous inquiéter pour lui. Il devrait revenir sous peu. Madame." Dit-il en la saluant de la tête et s'en retournant sans un regard en arrière, franchissant la clôture et s'arrêtant derrière le muret qui obstruait la vision vers l'entrée de la demeure.

Qu'avait-il pensé imaginé ? Pauvre fou qu'il était ! Évidemment qu'à tuer le père, la mère et le fils se retrouveraient seuls. Lorren n'avait pas pris en compte leur présence. Idiot... et presque monstre. Était-il rendu aussi abject que de Miratour ? Il n'allait pas bien de pensée à cette finalité morbide. La tête lui tournait, et l'envie de vomir le reprit en force. Cette fois-ci, il fut incapable de la réfréner et de la retenir, se laissant aller devant l'entrée de la maison de son opposant. Au moins, venait-il de salir la devanture de cette maisonnée qui semblait abriter une famille en tout point modèle. Le voyage n'était ainsi pas complètement un échec, pensa Merrick Lorren avec amertume.

Il devait se ressaisir et vite. Agir ainsi et ne l'avoir que pensé le transformait en quelque chose qu'il n'était pas. En quelque chose qui l'effrayait.
Sans plus tergiverser, il se jeta cette fois-ci ventre à terre vers la Chope Sucrée et sa tenancière. Le frère ne pouvait rester en la présence de sa sœur.

◈ ◈ ◈


-"Merrick Lorren bien vivant..."
Le ton laissait transparaître le manque de plaisir que la survivance du milicien faisait vivre à De Miratour.

Le souffle court, ayant rejoint l'entrée de l'établissement d'Estelle, le milicien était tombé nez à nez avec le bourgeois qui sortait des lieux. S'était bon signe, qu'il disparaisse. Merrick préférait tomber sur lui à l'extérieur que l'intérieur. "Vous en doutiez, De Miratour ? Il en faudra plus pour m'abattre." Dit-il avec dédain, le ton abrasif de la rixe verbale retrouvé. Le vrai Merrick était en train de revenir peu à peu. " Il est bien normal, vous, de vous retrouvez bien portant. Après tout, vous préférez vous tenir à l'écart du danger et donner les tâches abjectes et avilissantes à vos sous-fifres, n'est-il pas ?" Puis s'approchant peu à peu, le regard presque dément et la tête penchée : " Déguerpissez."

Le frère ne s'en laissa guère compter. "Il en faudra plus ? Ça sonne presque comme un défi..." Après quelques instants de silence, comme si le jeu en valait la chandelle : "...à la face du monde, évidemment." Puis haussant les épaules. "Je vous la laisse, pour le moment." Termina-t-il en s'éloignant, sans que Merrick ne tente plus longtemps de le retenir.

Lui aussi avait à faire ailleurs, n'avait plus le temps pour des paroles acariâtre et abrasive. Sa tenancière l'attendait. Stupide comme il l'avait été, porté par le sang et la mort, devenue une coquille vide, Lorren n'avait pas pris en considération qu'Estelle ne savait pas qu'il était vivant. Ce n'est que l'esprit un peu plus clair qu'il en prenait conscience. La voir prévalait et prédominait sur tout désormais. Il était redevenu celui qu'il était, bien que ses émotions soient ballottées en tout sens. L'envie de meurtre et de mort était partie. À tout jamais ? Difficile d'y croire...

Poussant la porte fébrilement, se suspendant sur le seul de l'auberge, ou plutôt de ce qu'il en restait, Lorren ne porta pas son attention sur les débris et les fracas qui avait sévi dans l'endroit. Toute son attention était fixée sur la rousse qui habitait cet univers sens dessus dessous, cette femme qu'il aimait. Dos à lui, l'envoyant paître sans savoir qui il était, le milicien resta silencieux, la gorge nouée, à la contempler. Oui, il la savait vivante par avance. Pour autant, la revoir après tout ce qui était arrivé était tragiquement différent. L'ivrogne commençait à la connaître. Il pouvait lire sur son visage que le même genre d'émotion la traversait. Loin de s'offusquer de la suite, s'attendant à ce genre de discours et de retour à la "normale", Merrick éloigna du revers de la main un commencement fugace de larme. Ce n'était pas le temps, non ?

-"Je..." Il se reprit, la voix trop faiblarde et empreinte de beaucoup trop de trémolo à son goût pour bien jouer le jeu. Dressant un sourire de mascarade, il haussa les épaules. "Je pensais que ça serait suffisant." Faisant un pas, puis un autre lentement, il s'approcha d'elle en ayant peur de la voir disparaître, de la voir s'enfuir. Drôle de réaction s'il en est, mais après tout ce qui était arrivé, cela lui semblait normal. Merrick l'avait perdu de vue durant quelques heures seulement. Pour autant, c'était comme si une vie s'était déroulée entre ce matin et cet instant. " Nous pourrons alors passer du temps de qualités à deux dans les jours à venir..." Et la vie durant, mais ça, c'était encore trop pour lui trop difficile à dire. Même s’il le croyait, même si la presque-mort l'avait fait réaliser à quel point elle était importante. Puis s'arrêtant, "...quoi ?! Aucune bouteille ?" Fronçant du faciès pour jouer la déception. "Fait fit de la "qualité" de notre temps dans ce cas. Sans alcool, je devrais seulement me contenter de toi." Et c'était amplement suffisant. C'était tout ce qu'il voulait et désirait. Mais, à le dire, il casserait ce jeu qui les unissait, ce semblant de routine qu'ils singeaient stupidement au milieu des décombres de la Chope, alors que dehors tout laissait présager la fin des temps.

Son allure faisait aussi tache que le décor. Couvert de sang des pieds à la tête, il était difficile de tenir son rôle avec aisance. Toutefois, il s'y efforça. " J'arrive, princesse." Laissant choir son équipement sur le sol, il s'avança pour déplacer et replacer la table et la paire de chaises constituant son ensemble. En travaillant de concert avec la Chantauvent, il répondit et continua cette conversation qui n'avait de sens que pour eux. "J'en serais fort aise et je vous en saurais gré, mademoiselle de Chantauvent, de trouver un tord-boyaux quelconque. Sinon, je devrais trouver un autre point de chute pour m'abreuver... ce que nous ne désirons aucunement l'un et l'autre, n'est-il pas ?"

Faisant comme elle lorsque la table et les chaises retrouvèrent leur place, contemplant ce début de rangement qui n'avait que très peu de sens lui aussi, Merrick se mit à pouffer, puis à rire. "Dé...déso...désolé !" Réussit-il à placer entre deux éclats de voix hilare. Essuyant une larme au coin de ses yeux, il n'arrivait plus à reprendre le contre de lui-même. "Dé...déso...désolé..." Le rire s'était transformé en chagrin. Les excuses n'étaient plus à cause de l'hilarité qui le prenait. Mais à cause de quoi ? De ses larmes qui ne voulaient plus se tarir et qui coulaient à flots ? Peut-être... Toujours est-il qu'il n'était plus l'heure de faire comme si de rien n'était. Il n'en était plus capable.

Se jetant sur Estelle, l'attrapant et l'enserrant qu'elle le veuille ou non, l'homme d'armes l'emprisonna dans une étreinte féroce. Ne voulant plus la lâcher, par peur de la voir disparaître pour de bon, il perdit son visage dans la crinière rousse et fauve de la jeune femme. Il était plus que sale, n'ayant pas conscience de son état. "Je..." Je suis un monstre. J'ai tué, j'ai sacrifié et je voulais le commettre à nouveau. "J'ai..." J'ai abandonné femmes et enfants à leur sort. "Il faut..." Me pardonner. Comment, alors qu'il ne se pardonnerait pas à lui-même ? Décollant son visage de son point de chute, il glissa son regard dans les yeux d'Estelle, attrapant ses doigts des siens. "...Estelle...". Le jeune homme avait tellement à dire, sans en être capable.

Il tremblait comme s'il se trouvait en plein hiver, blême de peur et d'horreur. Que s'était-il passé ici, dans la Chope Sucrée ? Clovis n'avait pas été clair -ne l'étant jamais réellement- et Merrick avait eu l'esprit embrumé. Estelle ne savait pas ce qu'il avait fait, comment il avait agi, ce qu'il avait dû commettre. Il faudrait qu'ils s'en parlent. Mais pour le moment, ce n'était pas ce qu'il désirait. Lorren avait besoin d'oublier, de l'embrasser et de se savoir vivant. Se penchant vers elle, et déposant ses lèvres sur les siennes -si elle l'acceptait, bien évidemment-, le milicien y alla tout d'abord de façon hésitante, tels les premiers échanges qu'ils avaient eus de la sorte sur la muraille de l'Esplanade. Ce n'était pas un manque d'habitude qui venait réfréner les ardeurs, mais simplement un mélange de sentiment beaucoup plus contradictoire.

Toujours une main dans l'autre, sa seconde paume alla se perdre dans le dos de la dame de Chantauvent. Les yeux fermés, l'échange hésitant devint doux, puis plus effréné. Comme s'ils avaient du temps à rattraper. C'était peut-être un peu le cas, après tout. Une façon comme une autre de célébrer leur survivance respective... Finissant par se décoller quelque peu pour gorger ses poumons d'air, Merrick Lorren prit le temps de la regarder silencieusement avant de parler de nouveau.

-"En effet, une bouteille ne serait pas plus mal...et un bain, je crois..." Dit-il en fronçant le nez et se regardant couvert de sang. Blême devant pareil spectacle, il finit par se décoller d'un bon. "Désolé ! Je n'avais plus conscience de "ça"." Dit-il en montrant l'état déplorable et macabre de ses vêtements. La regardant encore un peu silencieusement, ne sachant plus trop ou reprendre, là, au milieu de cette scène où tous deux jouaient, Merrick se passa -enfin- une main dans la chevelure. Tout autour d'eux était capharnaüm, si ce n'était de cette table et de ces chaises replacé de façon précaire. Eux-mêmes semblaient instables, alors que leurs états d'âme étaient aussi peu solides que le mobilier en place. Pour autant, il faudrait ranger et réparer le tout. Aussi bien tables et chaises que cœurs et esprits.

Qu'elle soit en mouvement pour ailleurs ou encore statique, Merrick Lorren y alla avec le commencement. Avec quelque chose de plus important que le ménage. Et pour une fois, il escomptait et doutait qu'Estelle de Chantauvent serait d'accord avec lui. C'est ainsi que les yeux encore rougis, il dressa un maigre et mince sourire. "Je t'aime."

Merrick Lorren avait eu le sentiment que c'était la fin. De quoi ? Allez savoir. Mais toujours est-il que certaines choses continuaient. Et pour le mieux, qui plus est.
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyJeu 5 Sep 2019 - 0:06


Immobile. Estelle détaillait cet homme qu’elle connaissait sur le bout des doigts, identifiait sa chevelure, ses vêtements, sa silhouette, sans s’offusquer ni se détourner. Vivant. Sa gorge avait fini par se nouer difficilement, alors que son espoir le plus profond venait de se réaliser. Impossible de craquer, de pleurer, de hurler, avait-elle trop abusé de l’ensemble peu de temps avant, son corps était dans l’incapacité de fournir la moindre perle salée. Équilibre primordial, cherchait-elle à se rassurer, à réinstaurer un jeu, un semblant d’habitude. Merrick Lorren était en vie. Ses lèvres s’étaient mises à trembler davantage, alors qu’elle articulait une phrase qui semblait si loin de la réalité de l’instant, si loin et en contradiction avec le drame qui venait de se jouer dans l’intérieur des murs de la ville. Il aurait été mentir de prétendre que la Chantauvent ne percevait pas sa fragilité, il aurait été mentir que de prétendre que ses mains ne tremblaient pas, plus. Avait-elle réalisé ce minuscule mouvement en sa direction, avant de s’arrêter à la perception d’une voix tremblante, affectée par la tristesse du moment. Une éternité avait dû s’écouler entre le premier, presque dernier au revoir et ce bonjour désormais d’actualité. Il s’était approché, d’un pas, puis d’un autre et elle avait fait de même, sans jamais détacher une seconde son regard du sien.

- « Tu pensais mal… » rétorqua la rousse « Je pense pouvoir te supporter durant ce plus de temps de qualité» murmura-t-elle en percevant davantage sa gorge se contracter.

La fin de sa phrase avait dû être la preuve de son émotion, le témoin sincère de retrouvailles voilé d’un besoin de maintenir encore une quelconque illusion. L’ensemble vaciller entre l’acceptation et le refus de croire que l’attaque avait bien été réelle. Il était si proche et si loin à la fois, si fort et si perdu en même temps. Évoquant l’alcool, avait-elle sans aucun doute essayé de retrouver celui qui ne pouvait pas sans passer et sa réaction lui tira un sourire, sincère, étrangement amusée. Il allait devoir se contente d’elle et la tenancière du lieu avait opiné brièvement, sans même s’en apercevoir.

- « Est-ce que je serais suffisante ? Et toi ? Je veux bien relever le défi, il parait que je suis très mauvaise perdante. »

Cela ne méritait pas une réponse, cela ne méritait pas grand-chose dans le fond. Lui offrit-elle un nouveau sourire énigmatique, mélange de nostalgie, d’inquiétude, de tristesse et de cette joie dévorante. Agrippant la chaise, la dame n’avait pu que quémander une aide qui se devait être salvatrice, tout du moins psychologique, glissant ses doigts sous le rebord soulevant de concert avec Merrick Lorren. L’entièreté de son corps lui avait soudainement semblé fragile, incertain. Son cœur tambourinait avec une force nouvelle, résonnant dans la totalité de ses vaisseaux sanguins. Avait-elle chaud et froid à la fois. Ranger était comme un exutoire, une manière de conserver une illusion de contrôle, de repousser cette réalité inacceptable. La première chaise retrouva sa place, puis une seconde. L’ensemble était bancal, menaçant sans aucun doute de s’effondrer à la moindre pression, aux moindres faux mouvements. Illusion, encore un instant, un petit instant.

- « Non… on ne le désire pas… »

Le rideau venait de se fermer, la mise en scène de s’achever. Une main sur le dossier de l’assise qui n’avait de cesse de bouger, un regard qui venait de se relever vers celui qui ressemblait tellement à la chope sucrée, tellement à son établissement, à sa tenancière. Non, Merrick Lorren ne dénotait aucunement, recouvert de sang, mélange de sueurs, de peurs, de larme, tenue abîmée. Estelle le regardait s’effondrer. Ce fut d’abord un rire, un rire qui fut étrangement contagieux. À quoi pouvaient-ils bien ressembler, ce couple, les survivants au milieu d’un rien, d’un cauchemar qui n’avait pas été exploré durant la phase de sommeil, mais dans cette vie véritable. Ce fut un rire sans joie, un rire de stress, de contre coup, puis des larmes, beaucoup trop de larmes mutuelles. Ce n’était pas les événements, non, pas pour Estelle, mais la satisfaction de ne pas l’avoir perdu, de le voir encore en vie, respirer, humain. Humain, oui. Immobile, tremblante, la dame ne pouvait que le regarder, sa tête se penchant légèrement sur le côté, laissant cascader sa chevelure de feu sur une épaule. Ses lèvres vibrantes, ce nez reniflant et les sourcils légèrement froncés qui surplombaient un regard inondé. S’agrippant davantage à cette chaise, cette fichue chaise qui ne tenait même plus et dont les pieds cédaient petit à petit face à le poids de la tenancière. C’est un véritable sanglot silencieux, puis audible qui s’exprima, qui s’exprimèrent. Elle l’avait perdu. Il était revenu. Il n’était pas mort, pas mort non.

Le choc des retrouvailles n’en fut que plus intense, plus imposante. Il s’était jeté sur sa silhouette, l’enlaçant, la serrant, l’étouffant, alors qu’elle ne bougeait pas, agrippée avec toujours plus de violence, de hargne, de haine à cette putain de chaise dont l’espoir d’une quelconque venait de se briser manquant de l’entraîner dans sa chute. Relâchant le dossier, avait-elle légèrement pivoté, pour le serrer lui, pour que ses doigts s’infiltrent sous ses vêtements pour sentir sa peau, son odeur, son cou. Pour pleurer encore, laissant les sanglots, la morve se mélanger à ses larmes, imbiber son visage, le sien aussi. Pleurer à deux. Pleurer ensemble. Avancer ensemble. Sentait-elle son souffle chaud se mélanger à sa chevelure, sentait-elle ses doigts chercher les siens, en faisait-elle de même alors que ses ongles lacéraient une chair déjà malmenée. Le sang, l’état, rien n’y faisait, jamais elle ne le relâcherait, jamais. Ses lèvres avaient fini par se déposer sur son front, maternellement protectrice. Incapable de formuler des mots, incapable de le rassurer, incapable de recoller pour l’heure les morceaux de son traumatisme.


- « Je sais » souffle-t-elle presque inaudiblement « Je suis là, je ne bouge pas »

La dame ignorait, ne savait pas user des bons mots, non. À quoi bon, il n’y avait pas de réponses parfaites à ce qu’il avait enduré, il n’y en aurait sans doute jamais. Là au milieu de cette pièce saccagée, au beau milieu de larmes, de rires, de tremblements, le couple venait de définitivement se retrouver. N’y aurait-il pas plus beau paysage pour deux êtres détruit, cassé, brisé. Un décor parfait, pour un avenir à reconstruire. Immobile, avait-elle fini par sentir ses lèvres sur les siennes, maladroitement, douloureusement. Il avait le goût du sel, du sang, de la mort et de la peur. Ses doigts n’avaient pu que venir trembloter le long de ses joues, enserrant en douceur ce visage qu’elle ne voulait plus jamais voir disparaître. Un baiser. Un détachement. Un autre baiser. Un autre détachement et puis quelque chose de plus intime, de plus intenses, un jeu de langue, une main qui se décale derrière sa nuque qui émet cette pression et les larmes qui continuent de se déverser, comme une cascade abondante qui ne connaîtrait jamais la sécheresse.

L’ivresse l’échange devient plus dévorant, on ne prend plus le temps de respirer ou s’étouffe magnifiquement. Il y a toujours ce besoin de plus, terriblement plus, jusqu’à ce que le manque d’air soit trop important, jusqu’à ce que la pression dans le dos, sur la nuque que pouvait émettre l’un et l’autre ne semble plus être suffisant. Puis ce fut cette pause, pour inspirer, expirer, remplir les poumons de cet air gorgé de mort, de sang, de fin. Le temps d’un regard qui en veut dire beaucoup, le temps d’un espoir, de retrouvailles dont plus personne ne voulait réellement y croire. Elle s’était mise à sourire, puis à rire, l’empêchant de se détacher, l’empêchant de s’éloigner. Plus jamais. Les larmes roulaient encore le long de ses joues, alors qu’elle penchait le menton vers l’avant pour camoufler cette émotion. Pudeur maladroite, sentiment trop puissant. Les perles roulèrent encore le long de ses joues, son front avait fini par se poser sur le haut de son torse, inspirait-elle le sang de ses vêtements, inspirait-elle son odeur, tout de lui, absolument tout. Jusqu’à relever la tête, jusqu’à le contempler dans son silence et cette nouvelle prise de parole : un bain, une bouteille.

- « Je ne sais pas si il reste la bassine » nouveau fou rire, nouveau sentiment étrange « Je ne sais pas… »

Et puis elle le détaillait, elle, de cette manière si douce, si protectrice, si aimant, alors que ses doigts venaient caresser son menton, remontant le long de sa mâchoire pour venir se perdre à l’arrière de sa tête, agripper sa chevelure, l’obliger à revenir épouser ses lèvres de sa bouche. Parler si proche, sentir son nez contre le sien, respirer tout de lui encore :

- « Je me fou de ça, Merrick Lorren, je me fou de ça » chuchota-t-elle « Tu n’es pas présentable » ronronna-t-elle sa main relâchant la pression sur l’arrière de sa tête, descendre derrière son cou, le haut de son dos, jusqu’au milieu.

Elle avait intercepté sa main, celle qui aurait dû se perdre dans sa chevelure avait-elle entrelacé ses doigts dans les siens pour l’attirer encore davantage à elle, sentir davantage son corps contre le sien –était-ce seulement encore possible ?-. Un sanglot encore, alors qu’il évoquait ce je t’aime que l’un et l’autre avait pourtant tant de mal à formuler. Je t’aime était si fort et si peu suffisant à la fois.

- « Je t’aime une fois, je t’aime deux fois, plus(+) que l’alcool, la chope sucrée et même les pois» elle lui avait souri, simplement « Je t’aime Merrick Lorren »

Si Merrick Lorren eut le sentiment que c’était la fin, Estelle se sentit gorger d’un nouveau commencement, d’un nouveau point de départ. Ses lèvres étaient venues retrouver les siennes, chastement, trop chastement, ses dents mordiller sa peau, son nez respirer son odeur avant de s’enfouir au niveau de son cou. Ses doigts avaient remonté le haut de se tenue, défait lentement les boutons. Sa bouche était venue à la rencontre de son cou, laissant son souffle chaud parcourir sa chair. Il n’y avait pas besoin de mot pour exprimer son ressenti, avait-elle envie de se sentir vivante, de le sentir vivant. C’était dans des gestes naturels et pourtant si rares jusque-là alors que Estelle osait, laissant ses doigts descendre au niveau de son ventre, agrippé ses hanches pour le faire pivoter, l’appuyer contre la table, pousser légèrement, pour venir une nouvelle fois l’embrasser puis langoureusement, plus intensément. Se hissant sur la pointe des pieds, pour parvenir à ses fins, pour retirer ce qui n’a plus lieu d’être, ce qui est inutile… Perdre haleine, sentir se tortillement dans son ventre, puis l’abandonner, juste là, reculant de quelques pas en arrière, le détaillant avec cette invitation dans le regard, cet essoufflement au coin des lèvres, se ventre qui se gonfle et dégonfle au rythme de ses inspirations.

- « Tu as raison… » murmure-t-elle « Une bouteille et un bain…Mais… »

Ses mains étaient venues au niveau de sa poitrine, défaire le lacet de son corset, pour le retirer et le laisser choir sur le sol, remonter encore pour dénouer les boutons de sa chemise, reculer d’un, puis d’un autre jusqu’à se retrouver en bas des marches. Un sourire espiègle ornant son visage, plus de jeu, plus d’environnement, non, seul son milicien existait et peu importe le reste, cela n’avait plus d’importance. Butant sur un élément au sol, un débris de je ne sais quoi qui l’avait obligé à détourner les yeux pour replonger une fraction de seconde dans l’instant désagréable. Déglutissant, son visage avait dû s’assombrir un instant, comme une claque de réalité qui devrait couper toute envie et une tristesse plus profonde qui s’installe. Une nouvelle fois sa gorge vient se nouer, alors que ses gestes semblent se suspendre. Peut-être qu’il s’agit véritablement d’une fin et non d’un commencement. Pourtant, c’est bien un regard aussi amoureux qui vint effleurer le milicien –qui c’est peut-être rapproché ou non- et c’est une nouvelle fois –soit une repousse jusqu’à la table-, soit au contraire une Estelle qui s’avance pour venir l’embrasser de nouveau, pour sauter jusqu’à lui, avec l’espoir qu’il ose la rattraper –qu’il y parvienne ?- et c’est le couple qui finit par s’appuyer contre cette fameuse table, bancale, grinçante, incertaine.

Elle ose la rouquine, elle ose pour une des premières fois de sa vie, faisant fit des dieux, des possibilités. Elle laisse ses doigts descendre le tissu du haut de son corps, l’invite à faire de même sans quitter sa bouche de la sienne, en prenant quelque inspiration non suffisante lorsque c’était possible. Ses yeux se ferment, c’est de son retour, de sa peau contre la sienne dont elle a besoin, d’un instant à deux, un simple moment. L’inévitable finit néanmoins par se produire et le peu qui devait encore les retenir finit par succomber lui aussi et c’est dans un fracas impressionnant –plus que véritablement dangereux-, que les deux amoureux se retrouvent sur le sol. Sur un morceau de bois ovale qui n’a plus de pieds ni de support, la poussière s’envole encore un peu autour d’eux, provoque un éclat de rire de celle qui est à califourchon au-dessus de lui et qui s’inquiète encore d’une éventuelle blessure. Son sourire est plus sincère, bien qu’étrange dans cette atmosphère. Elle tente de s’éloigner, de se redresser revient plusieurs fois à ses lèvres et ce besoin omniprésent d’avoir ce goût de lui, laisse les langues effectuer cette danse si particulière, ses doigts explorer ce corps qu’elle découvre, redécouvre. Cicatrice, blessure, nouvelle ou ancienne, tout semble soudainement nouveau.


- « J’ai cru te perdre » un aveu qui provoque un silence, un arrêt, un questionnement « je ne veux plus jamais te perdre, tu entends ?! Plus jamais ! »

Perçoit-il encore les yeux brillants, le tremblement léger de son corps, l’inquiétude de son être. Et puis elle attrape ce morceau de tissu, de rideau, de vêtement cadavérique peut-être, cela n’a pas d’importance plus d’importance. Elle tire sur une main pour le redresser, pour que tous deux soient assis, elle toujours sur lui, une jambe de chaque côté de son corps. Estelle l’avise, tire sur son bras pour qu’il le plie et que le poignet soit visible, dépose le sien juste au-dessus pour nouer ce tissu ensanglanté, pour serrer aussi fort que sa main disponible peut encore le lui permettre.

- « Merrick Lorren, je te prends pour époux, devant les trois, la mort et les multiples cadavres qui se trouvent dans ma cour. Je te promets fidélité, je te promets amour. Rikni en soit témoin, je te fais la promesse de te protéger, de ne jamais perdre espoir et de te pardonner chacune de tes erreurs. Je me battrais pour nous, pour toi… » de sa main libre elle était venu essuyer les traces des perles salées sur ses joues « Qu’Anûr soit témoin de nos offrandes sincères… Qu’elle protège notre amour… Mais qu’elle te permette d’aimer davantage l’hypocras et moi les pois, parce que toi et moi ne faisons définitivement pas le poids… » elle se pinça les lèvres, hésitante, luttant pour ne pas retrouver ses lèvres alors que son regard ne quittait plus le sien « Que Serus nous aide à reconstruire, réparer… Puisses-t-il être le père protecteur dont nous avons besoin… » plus jamais sans toi…

Estelle aurait eu envie de le dire, de le susurrer, mais ça n’était pas sorti, ça n’avait pas voulu, plus elle avait parlé, plus sa voix s’était faite faible.. N’attendait-elle pas de réponses, d’acceptation, tous deux s’étaient déjà dit oui. La symbolique était plus forte, plutôt naturelle malgré la situation. Elle voulait être liée à lui, être au plus proche et ce ne fut qu’après une énième hésitation qu’elle avait simplement déposé ses lèvres contre les siennes, furtivement, simplement. Laissant sa bouche caresser sa joue, frôler son menton pour venir mordiller son oreille, se perdre dans sa chevelure, pour inspirer simplement avant de se reculer pour l’aider à se relever lentement. Apprendre à se mouvoir avec ce lien à la fois entravant et réconfortant. Si tout chez la dame de Chantauvant devait trahir une certaine impatience, un besoin différent ne voulait pas brusquer les choses, ne pas s’abandonner à cette fièvre si tentante. L’entraîna-t-elle sans aucun doute au niveau du comptoir, pour récupérer une fameuse bouteille, pour le servir dans ce qui devait être deux verres, pour pousser l’un jusqu’à lui, oui, peut-être.

- « Promets-moi de ne pas ouvrir les pièces de chez nous aujourd’hui… Je ne veux que ce soir il ne puisse y avoir que nous…. »

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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptySam 7 Sep 2019 - 22:39
Alors que l'air de la cité était toujours aussi lourd, saturé des cendres des bûchers funéraires, Merrick Lorren se retrouvait à l'intérieur de la Chope sucrée, ou plutôt de ce qu'il en restait. Face à lui, nul autre qu'Estelle de Chantauvent, propriétaire des lieux et femmes d'exception qui était devenu le centre de son univers en mouvement. Alors que l'ensemble de la population ébaubi de Marbrume semblait être figé, interdite et indécise quant à la marche à suivre suite à cette offensive qui avait jeté le glas sur bon nombre d'existence et en avait poussé d'autres vers le soir de leur vie, le milicien faisait face à la tenancière. Dans cette salle où rien ne s'était encore dit, là où les tonalités festives n'étaient plus qu'un souvenir et que tout n'était que le fantôme d'un son, le jeune homme attendait. Les bras ballants et l'esprit ballotté en tout sens, tandis que sa conscience était la proie lugubre d'une émotivité déchirante, entre la joie de la revoir et le fracas des derniers événements, il ne savait que faire à part contempler. Ses yeux dans ceux de la propriétaire de l'endroit, hagard durant l'espace d'un infime instant, l'homme d'armes était perdu, complètement éperdu de la retrouver.

Son cœur menait une cavalcade effrénée, alors que son corps reste inerte, immobile. Par chance, et comme à son habitude, c'est Estelle de Chantauvent qui commença et mena les prémices d'un discours, d'un retour à la normale alors qu'ils baignaient tous deux dans l'anormalité de l'instant, dans le capharnaüm de l'endroit, dans les contrecoups de l'arrivée de la mort, et ce, aussi métaphoriquement que littéralement parlant. Ils étaient vivants, même s'il en doutait encore. Fallait-il désormais avancer de nouveau.

C'est ainsi que leurs dialogues fut loin d'être larmoyant, se plaçant plutôt à l'opposé de cet idéal de dresser des sentiments mièvres à titre de retrouvailles. Jouant la carte de l'habitude, l'attrait du badinage et de la joute verbale, le couple renouait peu à peu, tentant d'accepter que tout n'était pas perdu, qu'ils étaient encore là l'un et l'autre, l'un pour l'autre. Replaçant un début de mobilier, en l'occurrence deux chaises et une table tenant à peine sur leur support respectif, le duo s'arrêtant quelques instants devant cette simagrée de retour à l'ordre.

-" En votre présence, madame, il m'arrive en effet souvent de penser à mal.." Dit-il avec un sourire malicieux et taquin. Singeant toujours la normalité, leur allant se fissurait, se fendant de sentiment plus fort, mais nettement plus houleux. "Tu es plus que suffisante." Elle était le plus important. De fait, Estelle détrônait l'attrait de l'alcool et de l'ivresse, supplantant ces deux béquilles qui lui rendaient les nuits supportables. Peu à peu, tout s'affaissa alors que les digues rompirent, tandis qu'il n'était plus possible de retenir le déchaînement de leur sentiment. Même pour eux, il était trop dur de jouer, ou plutôt de surjouer, en cet instant.

Se brisant littéralement, Merrick Lorren partit d'un rire. Qu'y avait-il réellement d'amusant ou de drôle à cet instant ? Difficile de le savoir, ardu de le dire. Mélange de bonheur, de joie de la voir et de la savoir en vie, l'exclamation était un exutoire pour ses sens mis à vif par le tumulte des récents événements. De voir cette mascarade de normalité, cette table si stupidement replacée au milieu de cet amas de meubles éventré et détruit lui avait fait perdre contenance, le poussa et provoqua son hilarité. Et c'est de cette dernière que découla la peur, la tristesse, la haine de lui-même et la colère.

Premier à s'être frayé un chemin hors du contrôle qu'il s'imputait et s'imposait avec autant de force et de férocité, le rire fut l'élément qui permit au reste des émotions qui le déchirait de l'impacter et d'échapper à sa maîtrise de soi. Nettement plus fortes et violentes que l'amusement, ce qui découlait de la crise dans laquelle la cité baignait vint saper ses dernières résistances, fracassant son être et causant tumulte sur son passage. Le milicien continuait à chercher le pardon, l'excuse de la propriétaire de l'établissement. Et bien que les mots soient les mêmes, le ton en était devenu difforme, contrit et en proie à une déliquescence toute chagrine. La contrition, le remord et le repentir sublimaient ce "désolé" mainte fois répétée, mais inatteignable à son esprit. Bourreau plutôt que héros. Tueur plutôt que sauveteur. Monstre à la place d'humain. Et coupable d'être vivant et non mort. C'était un ensemble de dualité qui le submergeait jusqu'à la noyade par chagrin. Aucune source d'indolence, aucune bouée à laquelle se raccrocher. Les tréfonds l'attendaient, pensait-il à tort.

Car comme il l'avait spécifié sur le ton de la confidence et de la pitrerie, il pensait souvent à mal, au moins chaste de ses désirs, et mal avec Estelle de Chantauvent. La sous-estimait-il, ou bien se morigénait-il de n'être pas adéquat, ou en mesure de mériter son réconfort et sa présence ? Probablement un peu des deux. Elle fut son support, alors que le siège de la chaise était le sien. S'échouant dans ses bras, échouant à se contenir, Merrick Lorren fut la proie du tourment. Pas uniquement le seul, les émotions de la Chantauvent la frappèrent aussi. Les doigts de la rouquine vinrent se perdre en dessous de sa chemise, sur sa peau chaude et non cadavérique. Lui attrapa-t-il une de ces deux mains, cherchant à nouer leur doigt, à créer un lien plus fort et solide que possible entre leur main. Une union qui ne se détachera pas de sitôt. Entre eux, plusieurs récifs avaient été esquivés de justesse par l'esquif vacillant de leur relation. En ce jour de deuil et de mort, le plus gros et le plus dur avaient été franchis sans encombre. Tous deux étaient vivants. Affligé d'une douceur infinie par le contact des lèvres de sa rousse sur son front, le futur coutilier, tenta de refréner et d'endiguer le pire de ses états d'âme. Les mots d'Estelle suivirent pour le calmer. Ce n'était pas la première fois que ce genre de scène se jouait. Qu'il était faible, lui qui se devait pourtant d'être fort pour elle...

Aucun mot, aucune allocution ou phrase n’aurait permis de toucher profondément et avec une exactitude à toute épreuve. Les gestes et leur symbolique dépassaient nettement le poids creux des paroles vide de sens en cet instant. Leurs lèvres se rencontrèrent, scellant ces retrouvailles qui avaient commencé sous les auspices de la normalité. Bien loin en arrière, laissé de côté par le feu du désir. Unique sentiment à même de supplanter le déchirement du doute, de la honte et de la frayeur, la passion les consuma de son ivresse. Ce qui avait été doux et chaste brûla pour se transformer en un brasier qui n'avait plus rien de contrôlable ou bien de maîtrisable. Vivant plutôt que mort. Amoureux plutôt que trépassé. Reculant le temps de reprendre son souffle, ce foutu manque d'air qui venait s'immiscer bien maladroitement entre eux, leurs regards se croisèrent. Restant proche, dans une promiscuité toute retrouvée, Merrick s'épancha du contact de la dame de Chantauvent, de sa tête sur son torse, tandis que celle-ci faisait fit des stigmates de son passage au Goulot, du fais qu'il avait côtoyé la mort et les morts.

-"C..." se raclant la gorge, alors que celle-ci était à la fois nouée par la récente détresse que par le plus prompt désir, l'ivrogne réajusta. " Ce n'est pas très important...". En cet instant, il pouvait fait fit d'un bain et d'une bouteille. Après tout, n'avait-il pas tout ce qu'il voulait, là, au plus près de lui ?

Rattrapé par les doigts de la Chantauvent qui venait dessiner le contour de sa mâchoire et se perdre dans sa chevelure, Lorren resta fixe et immobile, goûtant au supplice du passage de la main de celle qui était sa fiancée, qu'ils l'aient voulu ou non au début de cette histoire. Fermant les yeux un court instant, alors qu'un frisson l'accablait, Merrick n'eut qu'à les garder fermer alors qu'ils échangeaient un énième baiser. Lorsque la jeune femme souligna qu'elle n'en avait rien à faire de sa tenue et de son état, le milicien ne put s'empêcher de sourire avec douceur. Que pouvait-il répondre à cela ? Que pouvait-il présenter, quels mots seraient à même d'expliquer ce qu'il éprouvait. Si simple à trouver, mais si compliqué à dire, comme toujours. Premiers mots à frapper son esprit à chaque fois qu'il la voyait, mais aussi dernier à franchir la barrière de ses lèvres. Signifiant trop, mais aussi pas assez. Étant un trop gros engagement, mais quelque chose qui n'était pas assez fort, suffisamment puissant.

Un simple je t'aime qui ne lui coûta rien à proférer, mais qui voulait tout dire.

La réponse ne tarda pas, hissant Merrick Lorren sur un piédestal, le faisant triompher de l'ensemble des pires belligérants et prétendant de la dame de Chantauvent. L'alcool avait mordu la poussière face à l'ivrogne, La Chope Sucrée perdait la lutte devant le milicien et les pois étaient vaincus par le jeune homme. Sans plus de retenue, ses propres mains s'égarèrent sur les courbes définissant la silhouette de sa tenancière. Parcourant mont et vallon, une de ses paumes se perdit dans le creux de ses reins, et l'autre le long de la cuisse de sa promise. Acculé à la table, déshabillé sans aucune autre forme de procès et sans protestation, le jeune homme se permit lentement de faire remonter les robes d'Estelle, attrapant les volants et la trop grande quantité de tissus de sa main libre, avant de laisser ses doigts en dessous de cette barrière de vêtement. Allant à la rencontre de cette peau qui l'électrisait toujours autant, touchant à peine, frôlant le haut de sa cuisse, se dirigeant...

Vers rien, alors que la jeune femme se décollait et fuyait son emprise. Laissé sans chemise, devant la coupable, Merrick Lorren la dévorait littéralement du regard, écoutant ses brefs mots. "Mais. En effet." La bouteille et le bain n'étaient nettement plus la priorité. Défaisant les laçages de son corset, ouvrant cette chemise qui laissait entrevoir mille promesses toute plus sublime que les autres, le jeune homme ne put tenir en place, avançant à grands pas vers l'objet de son désir. Pendant un bref instant, le doute avait peinturé le visage d'Estelle, alors qu'un débris quelconque l'avait presque fait chuté, lui avait remémoré ce qui avait été, ce qui ne serait plus jamais. Or, bien vite oblitéré de nouveau par ce qui se tramait entre eux, l'échange repris. L'attrapant dans ses bras, la soulevant sans pour autant décoller leur bouche l'une de l'autre ni arrêter la danse de leur langue, Lorren la laissa enrouler ses jambes autour de sa taille, la soutenant de ses deux bras. Reculant sous les assauts de la Chantauvent, se retranchant à son poids de départ, avec son trésor bien en main, le milicien s'appuie au support de bois, à l'unique meuble en place de l'endroit. Rouvrant les yeux pour la contempler, pour la voir descendre cette dernière barrière de tissus qui couvre et protège du regard le haut de son corps, le milice goûte avec délice cet élan de confiance, d'amour. Loin d'oublier la chasteté toute pieuse de la propriétaire de la Chope Sucrée, l'ivrogne ne goûte que plus profondément à cet élan qui suppute la croyance, l'impératif du mariage pour le culte. L'enserrant plus fermement pour se perdre le plus possible dans ce contact de leur deux corps, Merrick est sur le bord de perdre tout contrôle, jusqu'au moment où le grincement du bois se rappelle à eux.

-"Et me..." Trop tard. Le bois craque et se fend, alors que le duo tombe vers l'arrière. Se retrouvant sur le dos et Estelle sur lui, Lorren part à son tour d'un éclat de rire devant la stupidité de la situation. Installé à califourchon sur lui, il laisse ses mains se déposer sur ses hanches, la retenir là sans qu'elle ne puisse s'en aller. Loin de sembler le vouloir -ou le pouvoir-, le contact perdure encore pour quelque temps. " Je pensais ne pas pouvoir revenir. Je n'avais pas imaginé qu'ici aussi..." Dit-il en montrant les dégâts autour de lui, n'ayant pas réfléchis que le pire pouvait aussi survenir pour Estelle dans ce moment fatidique et charnière du dernier bastion humain. "Plus jamais." Enchaîna-t-il en hochant la tête, répétant les dires de sa partenaire pour définir qu'ils étaient sur la même longueur d'onde.

Mais comme précédemment, les mots ne sont pas suffisants et ce fut finalement les actes qui les supplantèrent. Le soulevant pour qu'il se retrouve assis face à elle et non plus le dos au sol, attrapant un morceau de vêtement en lambeau, pièce de tissu déchiré et n'ayant plus aucune fonction utile, Estelle lui fait face. Nouant leur poignet l'un à l'autre dans une représentation factice de la cérémonie officielle du mariage, Lorren ne bouge plus, la laissant faire et regardant le lien indissociable se créer peu à peu grâce à la main libre de la Chantauvent. Attache hautement difficile à faire d'une seule main valide, les doigts libres de Merrick viennent en support, viennent aider la rousse à les attacher l'un à l'autre. Preuve immuable qu'il accepte, qu'il est consentant et volontaire.

-"Estelle de Chantauvent, je te prends pour épouse, car tu es la meilleure chose qui me soit arrivée." Nul ne place pour la Trinité dans son discours, alors que l'homme d'armes se sent affligé et trahi par les Trois, tandis que ces derniers ont abandonné l'humanité au moment du couronnement du roi, alors que ce dernier fut sacralisé au temple. Cette promesse est faite entre lui et Estelle, que la faveur d'Anür soit présente ou non. " Je te promet...non, je te jure fidélité hors de tout doute. Je t'aime et t'aimerais, te protégerais et te supporterais. Aujourd'hui comme demain, dans dix ans comme dans dix minutes." Souriant, il continua, se perdant dans les iris de sa compagne. " Qu'il n'y ait plus aucun doute ni personne entre nous. Tu es la seule et l'unique, Estelle de Chantauvent. La première et la dernière à occuper cette place."

Scellant cet accord déjà acté d'un baiser symbolique, le couple se remit debout. Mains liées l'une à l'autre, se devant de la suivre où elle voulait aller, Lorren ne se fit pas prier, emboîtant le pas de cette femme encore à moitié dévêtue. Il fallait dire qu'il n'était pas mieux, lui dont les chausses ne tenaient encore qu'à un fil, tandis que sa chemise était portée disparue, probablement sous la table maintenant tombée. Impossible de la récupérer pour le moment. Mais très honnêtement, est-ce que cela avait la moindre importance en cette heure bien précise ? Arrivant au comptoir, unique pièce n'ayant pas été détruite par les fuyards ayant trouvé refuge dans la Chope, Merrick s'y appuya. Un bras sur la surface de bois, l'autre collé au corps de la tenancière, il la regarda agir, trouver une dernière bouteille cachée en dessous dudit bar. C'était l'alcool de l'heure rencontre, ladite sublime bière qui allait être l'amour de sa vie. Malheureusement pour elle, sa propriétaire avait triomphé du cœur de l'ignare ivrogne.

Deux verres trouvèrent assis au côté de la bouteille. Ébréchés et à moitié fendus, les contenants faisaient pâle figure, mais ne détonaient aucunement au milieu de la pièce principale de l'endroit. Regardant Estelle couler le liquide ambré, ne la lâchant aucunement des yeux tout ce temps durant, comme s'il avait peur qu'elle disparaisse, Lorren souleva le verre une fois plein. Le portant à ses lèvres, s'humectant le gosier de ce nectar qui semblait bien terne en ce jour comparativement à sa compagne, il le redéposa bien vite, à peine entamé, en fronçant les sourcils. " Que nous...?" Il tiqua: y aurait-il quelqu'un d'autre ici ? Qu'importe, là aussi. Les mots de la rousse l'embrasèrent de nouveau. Pour elle, c'était aussi facile que cela de le tourmenter. "Je ne ferais rien qui pourrait nous déranger ce soir." Puis préférant rajuster pour ne pas la voir en profiter : "Enfin, rien qui nous ferait être dérangé par quelqu'un d'autre plutôt. D'ailleurs...". Se dirigeant vers la porte de l'établissement d'un pas rapide, Lorren fut arrêté par le lien qu'il avait déjà quasiment oublié. Sentant son bras partir vers l'arrière, se forçant à un "pas de danse" rapide, mais peu glorieux pour revenir rapidement en retrait pour ne pas tirer le bras d'Estelle pour rien, l'homme d'armes se permit de sourire et de froncer du visage devant sa bévue et son oubli.

-"Si vous me permettez, madame." Sans réellement attendre son accord, l'attrapant par la taille et la soulevant du sol, Merrick la porta comme une nouvelle mariée en direction du lit nuptial. Sauf qu'en l'occurrence, il se dirigeait vers la porte d'entrée. "Je veux bien n’ouvrir aucune porte, mais il faudrait aussi empêcher les autres d'entrer...ne sait-on jamais où ces retrouvailles pourraient nous mener !" Dans les faits, le milicien avait sa petite idée toute préconçue sur la finalité de la soirée. Verrouillant l'entrée, hochant la tête avec satisfaction devant cette "sécurité" supplémentaire, le jeune repartit en direction du bar et de leurs verres respectifs. Déposant Estelle littéralement sur le bar en face de lui, se plaçant entre ses jambes et lui faisant face, il attrapa de sa main libre son godet, histoire de s'abreuver. Relâchant ce dernier, se penchant vers l'avant pour embrasser Estelle, il dévia son "attaque" pour venir mordiller sa lèvre inférieure. Continuant son offensive en allant se perdre à la droite de son visage, Lorren se permit de faire subir le même traitement au lobe d'oreille de la propriétaire des lieux.

Passant de la morsure à la douce caresse de ses lèvres, le jeune homme commença une lente descente dans le cou de sa "victime", la couvrant de baisers jusqu'à la naissance de sa clavicule. Remontant le long de son trajet, laissant sa respiration chatouiller la peau plus claire de la rousse, Merrick suspendit sa course au plus près de l'oreille d'Estelle. "Aurais-je le droit d'ouvrir la porte de notre chambre ? M'en donnerais-tu la permission ? Cette unique porte seulement..." Bon joueur, le milicien attendait l'autorisation de la principale concernée pour pouvoir peut-être agir. Après tout, ne venait-il pas de promettre de ne rien ouvrir ? Fâcheux que tout cela. Il aurait peut-être dû y réfléchir à deux fois, mais à sa défense, difficile de penser plus loin que l'instant présent.

N'étant pas certain de la réponse de la rousse, préférant mettre toute les chances de son côté, l'ivrogne retourna à la conquête de ses lèvres, laissant sa langue partir retrouver celle de la jeune femme. Laissant le feu dévorant le consumer de nouveau, sa main se glissant sous les robes de la Chantauvent, lentement mais sûrement, de plus en plus loin et toujours plus, Merrick Lorren suspendit son geste, se décollant de quelques centimètres l'espace d'un instant.

-"...Il reste un lit au moins, hein, hein ?" Commença-t-il interloqué. Regardant autour de lui, il se mit à en douter... très fortement d'ailleurs. Le désarroi s'empara de lui, alors qu'il ouvrait la bouche puis la refermait. Venait-il d'être mis échec et mat par un manque de mobilier ?! Impossible, impensable. Jamais !

Quoique...

Merrick Lorren n'allait pas bien. Tout n'était pas réglé, oblitéré. Pour autant, en cet instant, rien n'avait de prise ni d'emprise sur lui, si ce n'est de savoir Estelle de Chantauvent bien là, devant lui et en un seul morceau. Mais toute bonne chose a une fin et cette accalmie laisserait de nouveau place aux tourments. Mais pour une fois, pour une seule et unique fois dans l'histoire de leur relation, le couple ne pourrait-il pas en profiter ? Coupé de l'extérieur et du monde qui avait presque connu sa finalité la plus lugubre, le milicien voulait croire que oui. Que l'espace d'un instant, il était seul avec sa tenancière. Les tracas se trouvaient derrière les portes closes -allez savoir lesquelles de l'établissement. Dès lors, ne suffisait-il pas de ne plus les ouvrir ?

Il voulait le croire.
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Estelle LorrenAubergiste
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Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyDim 6 Oct 2019 - 23:20


Si la rencontre restait particulière, teintée de cette volonté improbable de normalité, de cette émotion de l’instant et de ce besoin constant de se retrouver véritablement. Estelle ne pouvait camoufler, amoindrir cette absence, ce manque, ce besoin véritablement de lui, uniquement de lui. L’étrange duo n’avait cependant jamais était aussi proche de se perdre définitivement, malgré les sombres événements qui avaient pu animer leur quotidien, ce fut la première fois ou l’idée de non-retour fut si proche du désastre. Cette nouvelle étape avait semble-t-il scellé une dernière passerelle entre eux, invisible à l’œil nu, perceptible par cette symphonie des cœurs palpitant dans leur poitrine. Estelle avait finalement eu dans l’idée d’abandonner la raison, la bonne conduite pour petit à petit succomber simplement à ce besoin de promiscuité pas si incompréhensible que ça. Fallait-il toujours compenser les émotions négatives par des positions, altérer cette étrange ombre mortuaire qui planait sur Marbrume pour offrir davantage, autre chose, un éclaircissement, un nuage de bonheur, d’espoir.

L’impératif de la promiscuité, des retrouvailles furent enclenchées et si quelques morceaux de tissus avaient fini par disparaître des corps –pour sans aucun doute ne jamais être retrouvés-, ce ne fut pas le plus surprenant. Succombant mutuellement l’un à l’autre, le couple se retrouva contre cette fameuse table en bois, et les chaises bancales tenant encore par un miracle des Trois. La pression, les échanges, le rapprochement intime d’un être souhaitant se donner à un autre plongea presque immédiatement le lieu dans une nouvelle atmosphère moins cauchemardesque. Sans aucun doute avaient-ils dû percevoir que l’idée n’était pas fameuse et –que comme bien souvent à chaque fois qu’un rapprochement avait pointé le bout de son nez- la situation n’allait pas se dérouler exactement comme ils l’entendaient. Ce fut un premier grincement, lent, mais présent, un tremblement furtif, mais tout aussi alarmant débouchant presque sans surprise à ce choc soudain du pilier central retenant l’arrondi du meuble.

La chute fut aussi fameuse que l’image pouvait être amusante, Estelle n’en retira aucune douleur, hormis une légère crispation, suivie d’un petit sourire amusé, sans aucun doute frôlant le rire, alors que son pauvre pas encore coutilier était allongé sous elle, avait-il amorti la dégringolade de sa tendre rouquine. La drôlerie de l’instant provoque finalement la mélodie du rire, la tenancière, comme son ancien client devenu un peu plus que ça, s’abandonne à ce tremblement des cordes vocales. Elle se redresse légèrement, laisse des mains baladeuses découvrir cette peau recouverte d’un voile de sueurs, poisseuse par des restants de sang séchés, alors que les doigts masculins de Lorren s’attardent sur ses hanches, immobile. N’avait-elle aucunement dans l’idée de s’éloigner, de ne plus sentir sa chaleur, de ne plus conserver ce contact physique qu’elle ne voudrait plus perdre pour rien au monde. Cependant l’insouciance de l’instant s’évapore rapidement, quand l’homme qu’elle aime évoque le fait d’avoir cru ne pas pouvoir revenir, ne pas s’être doutée qu’ici aussi, le drame était présent.

« Plus jamais », simple conclusion, simple manière de tourner une page encore trop fraîchement rédigée pour être oubliée. La pression de la paume de ses mains sur ce corps sans aucun doute fragilisé se fait plus pressante, plus présente, alors que pour la première fois le doute est définitivement balayé de son esprit. C’est dans une fluidité presque insouciante qu’elle réalise son acte, récupère un morceau de tissu, pour nouer les poignets ensemble, pour réaliser ce mariage sans aucune valeur, hormis celle sentimentale. Son prince charmant était inévitablement venu à son secours unissant leur effort pour vaincre le ruban improvisé et se retrouver définitivement lié pour la soirée. Instant de sentimentalisme, d’émotion, témoignage d’un amour sincère, les paroles murmurées ne sont qu’une preuve supplémentaire de la dépendance de la rousse auprès de cet homme qui aurait dû tout avoir pour lui déplaire.

Quand il s’aventure dans un retour, quand il ose promettre la même chose, alors que dans le fond elle n’attendait pas grand-chose en retour, la responsable du lieu ne peut véritablement camoufler son émotion, retenir ce petit tremblement, ou même empêcher ses prunelles de se brouiller de cette humidité positive. Les lèvres se retrouvèrent, clôturant cet échange sincère et ce ne fut qu’après un doux baiser, que la flamboyante tenancière s’autorisa un murmure provocateur, une menace potentiellement sincère :


- « Si il devait y en avoir une autre, Merrick Lorren, je te promets de devenir meurtrière… » laissant planer le doute quant à la sincérité de ses paroles et sa capacité à réellement devenir une meurtrière, elle lui offrit un sourire en coin, avant de roucouler provocatrice « Nous avons beaucoup de temps à rattraper… »

La tendresse mutuelle avait fini par prendre possession du couple, quelques échanges, quelques caresses et s’était-elle finalement retrouvé debout, entraînant cet amant devenu –imaginairement- son mari. Récupérer une bouteille, des verres que l’événement avait abîmés. Oublier, refuser de voir la réalité, ne plus penser aux massacres, à la mort, à ce sentiment dévorant et succombant que l’humanité avait une nouvelle fois perdu beaucoup, beaucoup trop. Une gorgée, une accoutumance de l’entrave réalisée par ses soins, un regard appuyé vers son homme d’armes préféré et là voilà qui osait quelques révélations, l’hypothèse de la non-solitude du couple, les quelques dégâts de l’établissement. Estelle avait fini par sentir un mouvement au niveau de son bras, alors que Merrick tentait un déplacement avant de se retrouver contre lui, porter comme une princesse qu’elle n’était pas.

- « Vais-je rapidement m’habituer à ce type de comportement Merrick Lorren » souffla-t-elle en remontant le menton vers lui, effleurant ses lèvres des siennes « Mais serais-je plus rassurée de prendre la direction d’une chambre plutôt que de la porte… »

Ne voyait-elle pas clairement où il voulait en venir, une main s’était glissée dans son dos, l’autre le long de son corps ou le lien empêchait tout autre mouvement. Un léger mouvement de nez plus loin, un froncement de sourcil, Estelle ne put que secouer la tête alors qu’elle comprenait que son milicien souhaitait verrouiller la porte. Étrangement, cet état de fait ne la plongea aucunement dans une sensation de sécurité, au contraire même, c’était un peu comme si plus jamais, durant un temps, elle se sentirait à l’abri. Venant se blottir contre lui, essayant d’oublier, d’éponger cette crainte nouvelle, cette insécurité désormais permanente. Un frisson n’avait eu de cesse de la parcourir, alors que sa gorge s’était nouée étrangement, l’étouffant un instant, ses lèvres s’entrouvrant laissant sans aucun doute transparaître cette angoisse nouvelle qu’il allait falloir maîtriser.

- « Aurais-tu une idée de la finalité de ses retrouvailles ? » fit-elle malicieusement, se forçant à instaurer ce lien unique, ce jeu qui jusque-là avait toujours réussi à tout balayer « Moi j’hésite encore, la nuit nous annonce beaucoup de travail… Hors de question de laisser la chope sucrée dans cet état. »

La porte fut fermée, le silence entamé alors que l’un et l’autre avait dû s’aviser un instant. La dame de Chantauvent essayait de conserver un calme relatif, un sérieux aussi qui n’était pour autant pas infaillible et même plutôt fragile, friable. L’alcoolique étrangement sobre avait ramené la rouquine jusqu’au comptoir, la déposant dessus avant de se glisser entre ses jambes, venant récupérer son verre pour en avaler une gorgée. Estelle n’avait pu que lui offrir un sourire, ne pouvant détacher le pétillement de ses yeux de cette silhouette qu’elle ne souhaitait jamais voir disparaître, s’éloigner, oublier. C’était étrange cette nouvelle sensation, cette disparition possible, ce manque furtif, mais pourtant si présent. Le milicien avait abandonné son verre pour venir se perdre dans la naissance de son cou, de son menton, de ses lèvres, jusqu’à son oreille. L’acte n’avait pu que tirer des frissons à la jeune femme, un souffle chaud, un ronronnement étrange. Sa main libre s’était perdu dans son dos, sur ce corps libre de tout tissu, ses doigts descendant lentement, effleurant la ceinture pour venir se perdre sur la fermeture. Murmurait-il une question, pencha-t-elle la tête d’un côté, laissant sa chevelure cascader sagement de ce même côté.

- « Je l’ignore monsieur Lorren, mais cette invitation mériterait une exploration de la milice… » elle se mordilla la lèvre inférieure, était-elle finalement venue kidnapper sa bouche, l’embrasser encore, le goûter encore « Merrick Lorren, je pourrais te séquestrer pour que tu ne me quittes plus jamais… » sérieuse ou pas, c’était difficile à dire, un peu trop « Serais-tu devenu un héros ? Je ne suis pas certaine d’apprécier la concurrence… »

L’humour teinté de cette réalité étrange, de cette émotion grandissant dans son bas ventre, ses doigts se faisaient plus pressants, la prolongation du baiser plus fort. Dépendante de son goût, de sa peau, de son odeur, du moindre de ses actes. Percevant cette main qui se glisse sur sa chair, sous ses jupons provoquant cette petite décharge invisible, mais qu’elle percevait parfaitement, s’était-elle penchée pour retrouver ses lèvres, avait-elle dû tirer un peu sur son lien pour venir défaire la boucle d’une ceinture devenant gênante et puis tout sembla soudainement se suspendre –n’était-elle pas coupable pour une fois-. Une question anodine fut formulée, provoquant celui qui était habituellement plein d’assurance dans un désarroi sincère. Se redressant légèrement, abandonnant son occupation initiale, elle laissa sa main sans « ruban » venir effleurer le visage de son presque amant.

- « Je l’ignore » souffla-t-elle en cherchant à capter son regard « Merrick… » elle hésita, avec ce besoin de dire tellement, sans que rien ne s’échappe de ses lèvres, aurait-elle voulu être sérieuse, sans être incapable alors qu’à son tour ses prunelles captaient « Est-ce que c’est vraiment important ? Je te pensais plus original… »

Un sourire en coin, un regard malicieux, joueur, alors qu’elle venait retrouver sa bouche avec cette tendresse sans limites, intense. L’échange n’est plus chaste, les sous-entendus plus si sous-entendus. Ses doigts tirent sur le haut de son pantalon pour l’amener davantage à elle, contre elle. Sa bouche quitte la sienne pour se perdre dans son cou, sur le haut de son torse, ses mains trifouillent pour faire sombrer ce qui la dérange alors que ses jambes viennent s’enrouler autour du haut de ses cuisses, comme une invitation silencieuse à se lancer dans une nouvelle exploration agréable. Son visage avait fini par remonter jusqu’à son oreille murmurant sagement d’une voix douce :

- « Allons en quête d’une nouvelle exploration, qui sait ce que nous pourrions découvrir… » elle lui offrit un sourire en reprenant sa position initiale « Peut-être une couche pour l’ancêtre Merrick Lorren ayant besoin de bien plus qu’un comptoir, une table, une chaise ou quelque brin de paille pour profiter de sa femme… »

Elle avait avancé légèrement son fessier sur le comptoir, pour glisser entre le bois et son précieux époux, sa main liée était venue se saisir de la sienne pour l’entraîner –avec quelques douleurs dues à la position- vers les escaliers. Le bruit du bois brisé sous leurs pieds n’étaient pas très agréable, l’ambiance, le malmenant de la chope et son état post-catastrophe non plus, mais tout ceci ne semblait pas avoir la moindre importance pour celle qui arrivait en bas des marches, prêtes à gravir l’ensemble, sans avoir la certitude de trouver à l’étage quoi que ce soit de confortable, d’agréable ou même de non dangereux. Ce ne fut qu’au milieu des escaliers que les gestes semblèrent plus lents, plus hésitante, alors que celle presque dévêtue prenait sans doute conscience de l’accord silencieux qu’elle avait offert à Merrick. Prenait-elle de plein fouet le retour de bâton, alors que l’odeur du sang venait lui piquer le nez, que les traces du liquide carmin marquées encore les murs en bois l’entourant. S’immobilisant, la dame de Chantauvent avait très légèrement pivoté afin de venir retrouver brusquement ses lèvres avec cette volonté d’oublier, de ne pas réaliser et ce ne fut qu’une fois cet échange brusque de clôturer qu’elle l’interrogea sur ce que lui avait vécu :

- « Tu n’as pas été mordu ? Tu n’es pas blessé ? Tu veux peut-être en discuter ? Dis-moi que tu vas bien… »

Aller bien, comment était-ce seulement possible après cet événement, comment se reconstruire, comment fermer les yeux, comment oublier. Même avec la plus forte des volontés, l’ensemble des habitants de Marbrume venait d’être définitivement et obligatoirement marqué par ce tragique couronnement. Le détaillant plus nerveuse, inquiète, avait elle ce besoin de vérifier, les gestes n’avaient presque plus rien de sensuel, juste de mécanique, ses doigts parcourant sa chair, son visage, ses cheveux. Allait-il bien ? Égoïstement sans aucun doute, la jeune femme ne le lui avait pas réellement demandé et ce ne fut qu’une fois cette question formulée qu’elle réalise elle-même son propre état, sa propre tristesse. Le besoin de réconfort ne s’estompa cependant pas, loin de là et ce fut cette fois à reculons qu’elle monta les marches, les dernières marches. Aucune maladresse cette fois, absolument aucune. Le gémissement plaintif émanant de la salle d’eau ne sembla plus arracher aucune réaction, le grincement du bois sous ses pieds non plus. Son regard empreint à la panique s’était fait une nouvelle fois plus fiévreux. Non, cette fois-ci ce ne serait clairement pas elle qui stopperait le brasier qu’il avait allumé –si si, était-ce l’unique, le seul responsable d’après elle-.

L’étage fut silencieux, aussi silencieux que l’ancien cimetière en plein enterrement, peu importe, elle l’avait attiré à lui, glissant ses mains sur son pantalon pour faire descendre l’ensemble, laissant traîner un furtif instant ses lèvres sur l’objet d’un étrange désir, avant de remonter sa bouche le long de son ventre, jusqu’à son cou, ronronnant un je t’aime et d’autres paroles à faire pâlir un bon nombre de prêtres. Une fois devant la fameuse porte, Estelle ne put lui offrir qu’un sourire amoureux, jouant d’une simple courbette –profitant de la présence encore de ses nombreux froufrous en guise de jupe- :


- « Si monsieur veut bien ouvrir la chambre qui lui appartient, suis-je certaine que tes prières seront entendues et qu’il restera peut-être une couche… Sinon, faudra-t-il faire vœu de chasteté jusqu’à notre véritable passage de ruban » osait-elle le fait mariner, alors qu’elle s’approchait une nouvelle de sa peau, venait se coller pour retrouver sa bouche, sa langue, son goût.

Sagement, elle avait attendu qu’il ouvre, sagement oui, ou presque, puisqu’elle s’était fait un plaisir cruel à venir souffler au niveau de son oreille, de son cou, ses doigts s’étaient faits baladeurs, maladroits, amadouant l’indomptable bête sans nom qu’elle ne connaissait pas réellement. Malgré les apparences, la dame appréhendait, s’inquiétait, comme toute première fois –quoique les dieux devaient savoir qu’il ne s’agissait guère la de la première fois du couple, mais plutôt la seconde-, essayant de le déstabiliser pour qu’il ne parvienne pas à ouvrir cette fameuse porte.

- « J’ignorais que c’était si difficile d’ouvrir ta chambre » piqua-t-elle les yeux brillants davantage « Est-ce déjà l’âge, devrais-je m’inquiéter de ton expérience… »

Une nouvelle fois et presque sans même s’en apercevoir, la dame réinstaurait le climat du jeu, de la tentation, de la taquinerie, oui, cela avait un petit soupçon de réconfortant, d’agréable, de tendre et quand enfin l’ensemble fut déverrouillé, qu’elle fut attirée ou qu’elle entra à l’intérieur, ce fut le silence. Elle l’avait redouté, lui aussi, la chambre n’était plus et si Lorren avait osé prétendre qu’elle était bordélique : cette fois-ci, pouvait-il constater que le pire n’avait pas encore été atteint. La couche était retournée contre la fenêtre, les vêtements et d’autres débris divers recouvraient le sol, les cadres, le maquillage, les souvenirs, tout n’était que mélange, douloureux mélange dans la poitrine de celle dont le cœur venait de manquer plusieurs battements et dont la bouche venait de s’entrouvrir. Dernier souvenir, dernier rempart qui retenait encore l’âme de son ex-mari ici, il ne restait définitivement plus rien. Estelle due sembler perdue, ailleurs, son visage se parant de cette panoplie d’émotion contradictoire, ses yeux s’humidifiant, puis luttant pour effacer cette étrange douleur. Ses doigts s’étaient resserrés sur ceux de son milicien, alors qu’elle déglutissait, acceptant sans accepter. Ils étaient vivants, n’était-ce pas ce qui était le plus important.

- « On s’en fiche » tenta-t-elle de cette voix teintée de colère « On s’en fiche » répéta-t-elle en poussant du pied un pot qui avait lentement roulé plus loin « On est vivant, la fange ne nous a pas bouffé ! On est vivant ! VIVANT » grogna-t-elle avec plus de force avant de reprendre un souffle qui semblait lui manquer.

Son regard s’était finalement reporté vers son milicien, à la fois désolée, triste et toujours aussi amoureuse. C’était avec beaucoup plus de tendresse, d’affection qu’elle était venue de se glisser dans ses bras, cherchant un réconfort moins passionnel qu’auparavant. Estelle ne parvenait pas à définir son ressenti ni le comprendre et malgré l’étrange atmosphère régnant dans son bâtiment, ne pouvait-elle abandonner l’idée définitivement de s’offrir, de vaincre la malchance, de prouver que la vie prenait toujours le dessus sur la mort, toujours. Lentement, elle avait reculé, lentement, s’assurant toujours qu’il la suivait, hésitantes, ses lèvres avaient retrouvé un chemin qu’elle connaissait. Tentative –inutile, réussite, elle ne parvenait à le définir- à conserver ce désir qui était né entre eux encore peu de temps avant. La rouquine l’avait repoussé contre le restant bancal de la porte de sa veille armoire, qui ne manqua pas de chuter devant le petit coup et ce fut presque naturellement que finalement, elle abandonna. Un soupir avait fui ses lèvres, un petit mouvement de tête indiquant la montagne de vêtements, après tout, n’était-ce pas tout aussi confortable qu’une botte de paille ?


- « Désolé pour ton envie d’avoir un lit » susurra-t-elle « Au moins ça sera notre première fois commune dans un bordel aussi… » elle ne termina pas, venant l’embrasser encore avant de l’entraîner avec lui dans une chute qui ne fut pas douloureuse –les nombreux vêtements possédés ayant soudainement trouvé une justification positive-

Ce ne fut qu’une fois sur le dos qu’elle laissa transparaître cette crainte, cette peur de mal faire, ce besoin d’être rassurée alors qu’elle ne savait pas quoi faire de ses mains –notamment avec un lien qui était gênant, parfois douloureux, ou très rassurant-. Ce fut finalement dans cette inexpérience étrange qu’elle laissa sa main non entravée parcourir le dos de celui qu’elle aimait, tapotait lentement, longeant la colonne jusqu’à trouver un fessier –qu’elle aimait regarder discrètement lorsqu’il était habillé et qu’elle se découvrait beaucoup apprécier à toucher- . C’était maladroit, hésitant, mais toujours doux, chaque geste étant ponctué par un baiser, ou une recherche de celui-ci et puis, comme pour se donner un brin de courage –et si elle le permettait, elle l’avait fait basculer sur le dos, pour se poster au-dessus de lui-. Elle lui offrit un sourire, sourire à la fois songeur, inquiet et résolu, mais hésitante, avait-il très certainement dû comprendre où elle voulait en venir, ou peut-être pas ! Ses lèvres étaient venues soigneusement mordiller les siennes, puis descendre lentement le long de son cou, de son torse, alternait-elle entre souffle et multitudes de baisers, petite pause de crainte, puis la rousse poursuivait sa descente très lentement.



Sa main était remontée sagement le long de son corps, ses sourcils s’étaient froncés à défaut de ne pas trouver les doigts chauds de son milicien. Relevant la tête de son occupation, elle fut parcourue d’un léger frisson désagréable, alors qu’elle semblait dans l’incompréhension. Son regard avait quitté les yeux rassurants de Merrick pour se positionner sur la source de cet interlude étrange.


- « Tu as froid ? » questionna-t-elle un peu frustrée… « Tu pourrais au moins faire semblant d’être réchauffé ! » rétorqua-t-elle en gonflant les joues boudeuses avant de soulever sa main qu’elle tenait pour lui faire comprendre de quoi elle parlait « Tes doigts sont si fro… »

Et ce fut ce silence, étrange, alors qu’elle détaillait la main qu’elle avait dans la sienne qui ne possédait nullement de bras, ou de corps, dur, figé et glacial elle comprenait que non, non, cela n’appartenait certainement pas à Merrick Lorren et qu’en plus d’avoir été complètement retournée, leur chambre avait été le témoin d’un duel et que l’un d’eux était reparti avec un membre en moins. Déglutissant, l’envie de découverte avait quitté la rouquine, qui bien loin que de vouloir conserver sa trouvaille n’avait rien trouvé de mieux que de le repousser sur son milicien. La réaction n’en fut pas moins toute aussi surprenante, puisque loin de hurler, pleurer, s’offusquer ou même de rentrer en état de choc, Estelle ne trouva rien d’autre à dire que :

- « Avant de penser à une troisième main, apprends déjà à t’occuper des deux tiennes ! »

Et si son visage semblait serein et qu’elle semblait tenter par un bref contact en venant se blottir de nouveau contre lui pour trouver réconfort, le tremblement de sa voix était bien l’unique témoin de son trouble.

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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyJeu 7 Nov 2019 - 22:20
Aussi bien pour Merrick Lorren que pour Estelle de Chantauvent, il n'était plus venu l'heure et le temps de la mort. De fait, défait par leurs retrouvailles, vaincues par la survivance des deux, l'une enfermée dans son auberge, transformée pour l'occasion en une forteresse sur la ligne de front, et l'autre rattaché à un groupe de suicidaire derrière les lignes ennemies, ils avaient triomphé. Leur chance avait été bien moindre. Pour autant, faisant fit des probabilités, le couple s'en tirait sans blessure grave, si ce n'était de celles impactant leurs états d'âme. Dès lors, bien que la lutte semblait avoir connu son dénouement par leurs retrouvailles, les douleurs se pérennisaient, menaçant de tout faire péricliter alors que leurs esprits restaient la proie des prédateurs de l'humanité, enfermé dans ce qui deviendrait dans les jours à venir, le Chaudron.

Comme pour guérir cette blessure invisible, cette balafre de l'âme aussi entêtante que lancinante, la tenancière et l'ivrogne se rapprochèrent dans une promiscuité qui n'avait rien de chaste et pur. Faisant fit des prémices du jeu qui les avaient vus renoués en ces heures tragiques, et par lequel ils avaient fait connaissance il y a de cela plusieurs mois, le duo avait rapidement évolué pour se laisser aller, pour vivre leur survivance et non pour subir celle-ci. C'était en quelque sorte une habitude pour eux. Traverser une mer déchaînée, ou le ressac houleux venait faire tanguer leur frêle esquif, ballotté par la truculence des événements nocifs à leur relation. Il suffisait de parler des manigances d'Adrien, ou bien de la découverte de son amour profane envers sa sœur. De Martin et de son cannibalisme, du trépas de De Marais ou de la presque mort de la Chantauvent. Du nombre incalculable de fois où le couple avait été sur le point de se briser, de s'abandonner et de se quitter. Pour autant, à chaque fois, peut-être grâce à un coup de pouce du destin ou bien des Trois, l'étrange relation qui existait entre un stupide et insipide ivrogne et la propriétaire de la Chope Sucrée, belle femme dans la fleur de l'âge, avait survécu.

À force de traverser les tempêtes, pouvait-on dire qu'ils en ressortaient grandis et plus forts ? C'était dur à dire et bien difficile à savoir. Par contre, une chose était certaine; le couard de Lorren ne pourrait résister encore longtemps à l'ensemble de ces soubresauts venants déchirer le calme de leur existence. Bientôt, il en finirait disloqué, déchiré et détruit par le marasme, l'ambivalence et le doute que ces situations à risque occasionnaient. N'était-il pas possible de gagner la quiétude sur leur attachement ? N'était-il pas possible de vivre cette idylle en paix, loin des affres des hommes et de celles de la mort ? Toujours est-il qu'en cette heure, là n'était pas la question. Obnubilé par ce corps qui s'offrait à lui, par cette vision enchanteresse de la rousse à moitié dénudée, l'homme d'armes ne pensait plus. Une part de son esprit occupé à s'abreuver de ce spectacle, une autre écorchée par les sinistres scènes de mort qu'il avait traversé. Écartelé entre ces deux opposés, ces deux contraires, il n'y avait plus de place pour une quelconque réflexion.

Ces sur ces entrefaites qu'une table se brisa sous leur poids cumulé et qu'ils chutèrent sur le sol. C'est sur le sol que leur mariage fut commué, irréel et inapte à être authentique, alors que ce dernier était tronqué de la présence d'un prêtre à même de les lier. Pour autant, pouvait-on réellement dire que les sentiments n'étaient pas véridiques ? Loin s'en fallait. Bien que cette simagrée soit informelle plutôt que formelle, Merrick Lorren voulait y croire. Irait-il jusqu'à présenter la dame de Chantauvent comme sa femme ? Pas encore. Mais ce n'était qu'une question de temps, avant que cette modalité soit battue et brèche et faite indubitable. Décidément, l'ivrogne des premiers soirs avait bien changé...

Grognant de dépit lorsqu'Estelle recula son visage et décolla ses lèvres des siennes, Merrick ne resta guère longtemps grincheux, alors que l'amusement venait peinturer ses traits suite à la prise de parole de la jeune femme. " Je pense que je vais prendre cela pour un bon présage, tes hypothétiques envies de meurtre." Décida-t-il en penchant la tête sur le côté et en offrant un sourire canaille. Loin d'être inapte à réagir à son humour dérisoire, la rousse lui renvoya sa marque d'amusement provocatrice en y allant même d'une prise de parole qui l'embrasa. Beaucoup de temps à rattraper ? Il était tout à fait d'accord.

La suite de l'échange se déroula tout d'abord aux alentours du comptoir et de l'alcool situé derrière le bar. Satisfait de trouver un alcool à même de supputer les tracas de la journée, bien aidé par la présence enivrante de la tenancière de la Chope Sucrée, Lorren décida d'aller fermer la porte d'entrée. Aussi bien pour éviter une interruption inopinée que pour une question de sécurité. Après tout, comment savoir comment la population agirait suite à l'offensive de la fange ? Serait-ce perçu comme une calamité signifiant le trépas inéluctable de l'humanité ? En un tel cas, peut-être que certains tenteraient de survivre en pillant et maraudant dans les environs...bien que Merrick ne voulait pas y penser, mieux valait ne prendre aucun risque.

-"C'est un comportement parfaitement normal pour vous, princesse..." Répondit excessivement rapidement le futur coutilier. " Vous ne devriez pas vous habituer à moins !" Poursuivit-il faisant assemblant d'être outré. Déchiré à nouveau par le désir lorsqu'Estelle s'approcha de ses lèvres, les effleurant sans rentrer à leur contact, Merrick réussit à ne pas flancher. Du moins, pas tout de suite. "Tiens, tiens... il est rare de voir que ce n'est pas moi qui suis inapte à patienter !" Continua-t-il triomphant. À dire vrai, lui-même n'en menait pas large. Toutefois, il n'oubliait pas ses priorités. Sécurité et isolement pour pouvoir tout laisser derrière eux.

Merrick n'était pas aveugle. À force de la côtoyer, le milicien avait développé sa capacité à comprendre les émotions qui venaient se dessiner sur le faciès de la rouquine. Loin d'avoir gagné en sagacité, cette nouvelle donne ne s'inscrivait que par l'expérience acquise en côtoyant celle qui avait certes un caractère aussi flamboyant que sa crinière, mais qui pouvait aussi faire preuve de douceur et de faiblesse. Ainsi, il remarqua aussi rapidement que l'allant d'Estelle chavira quelque peu avec leur approche de la porte. Sans pouvoir réellement mettre le doigt sur la raison précise de cette ambivalence, il n'en restait pas moins clair que les récents événements en étaient la cause. Par ailleurs, toujours aussi faible et mauvais avec le rôle d'appuis qu'il se devait d'offrir dans leur relation, Lorren ne réussissait guère à lui offrir un support adéquat. La seule chose qu'il connaissait et était apte à faire, s'était l'aider à s'émanciper de ces pensées nocifs en embarquant avec elle dans le ton badin et l'amusement de leur dialogue. Si maigre et si peu à la fois...

-" Je ne peux qu'être d'accord avec toi. En effet, la nuit annonce beaucoup de travail. Elle risque d'être bien longue. J'espère que tu es prête..." Peu à peu les dernières ambages de leur discours étaient battues en brèche, disloquée par le désir qui ne se voilait presque plus derrière ces paroles qui pouvaient sembler creuses et anodines. Le chemin du retour vers le comptoir se fit de la même manière. Installant la Chantauvent sur l'une des uniques pièces du mobilier à ne pas avoir été détruite, l'ivrogne se plaça entre ses jambes et prit le temps de s'abreuver d'alcool. Une fois l'un de ses besoins assouvis, le jeune homme parti en quête du second. Nettement plus impérieux, tentant et électrisant, l'objet de son envie fut parcouru d'un frisson, alors que ses lèvres partaient à la conquête des lèvres, du cou et de l'oreille de la suppliciée. De fait, ses dents vinrent mordiller dans une attaque douloureuse ces zones laissées à sa merci. La belligérante sembla loin d'en souffrir, tandis que la contre-attaque survint tout aussi rapidement. Échouant sa main sur la boucle de sa ceinture, alors que ses propres doigts remontaient les robes d'Estelle, Lorren ne put s'empêcher de questionner la Chantauvent sur son autorisation à ouvrir la porte de leur chambre.

-" Nous allons donc aller voir..." Puis, souriant crânement à l'idée d'être séquestré, il finit par hocher la tête. "Je ne serais pas contre être attaché par une aussi belle geôlière !" Ce n'était pas exactement ce que la propriétaire des lieux avait dit. Toutefois, elle devait commencer à être habituée à le voir retenir que ce qui l'enchantait dans ses élocutions. "N'ai-je pas toujours été un héros ?" Répondit-il excessivement rapidement. Puis haussant les épaules, il poursuivit : " Il n'y a aucune concurrence..." Fait immuable, réalité sans contestation possible.

Renouant avec les lèvres, Merrick fut attaqué par une interrogation en quelques sortes insipides; restait-il un lit à l'étage ? Cela pouvait sembler bien étrange pour celui qui était prompt à profiter du moment qu'importent le lieu et le temps imparti. Toutefois, avec Estelle de Chantauvent, le milicien voulait quelque chose de différent. "Ce n'est pas une question d'originalité, je..." devant ses pensées, l'homme d'armes s'empourpra. Comment lui dire qu'il voulait faire cela dans les règles de l'art, ne cherchant pas simplement à s'épancher de son corps, mais plutôt ne faire plus qu'un ? Par la Trinité, où était rendu LE Merrick Lorren ? Non. Il ne pouvait dire cela, s'était trop embarrassant. "Je ne voulais que le meilleur traitement pour vous, princesse. N'aviez-vous pas dit que vous alliez vous habituer à ce genre de traitement ? Maintenant, si vous préférez succomber et vous laisser allez ici et maintenant..." Au final, l'humour et la dérision étaient sa meilleure défense.

Il en était trop pour le pauvre et faible miliciens. Comment résister plus longtemps ? Tentant de retirer une bonne fois pour toutes les jupes d'Estelle, derniers remparts et lignes de défense avant de la voir nue dans son intégralité, Lorren ne put aller plus loin, tandis que la jeune femme lançait l'expédition vers l'étage. Grognant de dépit, Merrick offrit une moue ambivalente à sa partenaire. "D'accord, d'accord..." Avoua-t-il vaincu. Puis répondant, piqué au vif : "Nous verrons si je suis un ancêtre !" dit-il en jouant l'offusqué.

C'est sur ces entrefaites qu'ils prirent la route vers l'étage. Guidé par Estelle qui ouvrait la voie, Lorren se laissa gentiment mener en laissant son regard traîner sur le dos dénudé de sa "femme". Se mordant la lèvre, et profitant d'être dans son angle mort pour ne pas montrer et démontrer la faiblesse et la concupiscence qui l'élançait devant pareil spectacle, le jeune homme fut tiré de ses réflexions charnelles. "hmm...?" Demanda-t-il en relevant les yeux, qui s'étaient égarés nettement plus bas, pour croiser le regard de celle qui lui faisait dorénavant et désormais face. Attaqué par un baiser, Merrick ferma les yeux échangea avec douceur et intransigeance. Moins impacté par l'état de la Chope Sucrée qui représentait nettement moins pour lui que pour la Chantauvent, ne sentant pas réellement le sang et la mort dans ce lieu qui semblait avoir connu le pire, mais qui restait tout de même plus vivable que le Goulot, il était en mesure de passer au-dessus de tout cela. Du moins, pour le moment...

-"Je vais bien, je n'ai rien..." Une chance crâneuse, lui, le seul milicien à avoir suivit ces nobles harnachés de pieds en cape. Un troupier dans une meute de héros. Un salop dans une troupe de saint. Un être qui serait inconnu de tous, au lieu d'être reconnus, alors que son sang et sa pauvreté le forcerait à rester dans la lie de la cité de Marbrume. Bal masqué et satin damasquiné seraient le rythme de vie de ces comparses à avoir bravé l'enfer, alors que lui continuerait à patauger dans la boue rance et fétide de la Basse-Ville au péril de sa vie. Serrant de la mâchoire, Merrick se referma quelque peu. Qu'est-ce qui lui arrivait bon sang ? L'injustice sociale ne le frappait que maintenant ? Était-ce parce qu'il réalisait enfin qu'on lui demandait son sang et sa sueur en échange de rien qu'une tape sur l'épaule ? Peut-être...Couplée à cette perte de confiance en les Trois, la façon d'être de Lorren se transformait peu à peu. Qu'en serait la finalité ? Ce marasme ambivalent et quasiment furieux était une sorte de purgatoire pour ses émotions vacillante après l'ensemble du massacre qu'il avait vu et perpétré. Planche de salut pour éviter que son esprit ne chavire, ce ressentiment n'en resterait pas moins intact au fil du temps.

Pour autant, ils continuèrent à avancer. Lui arrimé à sa haine et elle à son inquiétude pour lui. Décidément, ces sentiments respectifs qui les traversaient reflétaient bien à quel point ils pouvaient être discordant et dissonant. Quand Estelle de Chantauvent se rendrait, telle compte qu'il n'était pas un homme à sa hauteur ? Peut-être le jour où il se transformerait en monstre. Et en pensant cela, Merrick Lorren ne parlait pas de son trépas et de son retour en fangeux...

Rapidement, Merrick fut ramené à l'idéal de leurs désirs charnels. Était-ce si simple de tout oublier ? Sans aucun doute; oui. Déshabillé intégralement, torturé par les lèvres de la jeune femme, qui vinrent caresser fugacement ce qui ne mentait pas quant à l'objet de son intérêt, Lorren se mordit les lèvres en soupirant d'aise. "C'est de la torture..." proféra-t-il en n’ayant aucunement l'air de souffrir. Entendant ces paroles, la Chantauvent ne ralentit pas pour autant la cadence, remontant lascivement jusqu'à son oreille pour murmurer des paroles impudiques qui ne leur appartenait qu'à eux. Puis, un nouvel ennemi se dressa devant eux; la porte de la chambre obstinément fermée. "Je m'en occupe avec plaisir." Puis riant : " Vœux de chasteté, ah oui ?" termina-t-il en n'en disant guère plus, mais penchant la tête sur la droite. Lui n'oublierait pas leur première nuit ensemble. De fait, il ne l'oublierait jamais. Si elle, elle préférait faire comme si de rien n'était, grand bien lui fasse !

Pour autant, la porte restait obstinément close. À moitié débarqué de ses gonds, et probablement obstrué par une pièce du mobilier renversé de l'autre côté, Merrick n'arrivait pas à l'ouvrir d'une main, alors que l'autre se trouvait attaché à celle de la propriétaire de la Chope Sucrée. En outre, les fourberies de la Chantauvent ne l'aidaient aucunement à ouvrir le battant aisément, elle qui faisait naître un frisson le long de sa nuque. "...Mon expérience hein ?" Répéta-t-il en arrêtant toutes ses manœuvres, et se retournant pour regarder Estelle. Reculant son bras attaché par un ruban pour faire reculer sa vis-à-vis, Lorren y alla d'un coup de pied pour ouvrir la porte. Porte qui alla claquer contre le mur, laissant la voie libre pour le duo. "Et voilà !" Dit-il crânement avec un sourire taquin sur son visage. " Preuve qu'il me reste assez de force pour qu'il n'y ai pas d'inquiétude, non ?"

Ramenant son bras vers lui, ayant prit conscience que cette "arme" était le meilleur moyen d'attirer ou de repousser la rouquine, Lorren l'emprisonna dans une étreinte. "Avant de rentrer, je me dois de régler une injustice..." Se penchant il entreprit de dénuder intégralement Estelle, de la libérer de ses dernières jupes. Lui-même avait subi pareil traitement, alors pourquoi pas elle. Luttant contre la panoplie de tissu d'une main, et préférant éviter de la revoir se moquer gentiment de lui, en ayant autant de mal à la déshabiller qu'à ouvrir la porte, Merrick se concentra à la tâche. Et puis, le résultat était assez lancinant et tentant pour qu'il mette tout son cœur à l'ouvrage, non...? Réussissant à la dépêtrer de tout cela, le milicien laissa descendre sa main libre le long du corps de la tenancière. Partant de son épaule, passant par ses cotes et franchissant la barrière de ses hanches en explorant les monts et les vallons qui définissaient ce corps qui l'électrisait, l'homme d'armes laissa le bout de ses doigts se perdre sur le bas-ventre de son amante. S'éloignant plus que lentement, sa main finit par refaire le chemin inverse, y allant cette fois-ci par une ascension."C'est mieux ainsi..."

Partant à la conquête de ses lèvres des siennes, Merrick imprima un rythme forcené à leur baiser, à la rencontre de leur lèvre et de leur langue. Le désir difficilement retenu depuis déjà trop longtemps explosait, le déchirant et le faisant perdre toute velléité ou volonté de retenue. L'entraînant à sa suite, lui à reculons, sans pour autant détacher sa bouche de la sienne, le couple dut suspendre leur échange langoureux et lancinant au moment ou le futur coutilier faillit tomber, butant contre une pièce de mobilier détruit se trouvant dans son angle mort. C'est à ce moment que tous deux purent voir la résultante de la défense de la Chope Sucrée. Laissant son regard, aucunement désintéressé, sur sa partenaire, Lorren réussit à se concentrer plus sur son visage que son corps. Il put voir la douleur se peindre sur le visage de la rousse, alors qu'elle réalisait que son petit univers était saccagé dans son intégralité. "Je suis déso..." Coupé par la prise de parole d'Estelle, qui disait que ce n'était pas grave, le milicien ne fit que secouer la tête de déni et de dépit. Oui c'était grave. Ça l'était si cela la marquait et l'impactait.

-"Nous sommes vivants, oui."
Dit-il calmement, tentant d'apaiser ce houleux mélange de tristesse et de colère hautement compréhensible. Lorsqu'elle vint se glisser dans ses bras, il l'enserra en tentant de la couper du reste du monde. Tentative bien futile, mais que pouvait-il faire d'autres ? Ne repartant pas à la conquête de plus, l'ivrogne s'épancha dans le simple réconfort de cette étreinte. L'ancien coureur du jupon aurait probablement trouvé de bien mauvais goût l'ensemble de ces interruptions jusqu'à l'ébat. Or, l'homme amoureux qu'il était n'en éprouvait aucun mal. De fait, il appréciait même à sa juste valeur ces instants retranscrivant mieux que tout l'attachement qui les liaient, et ce, pour le meilleur comme pour le pire. Repoussé jusqu'à l'armoire, embrassée de nouveau, Lorren ne se fit pas prier pour répondre à ce nouveau, et énième, élan et allant. Dans la réponse plus que dans l'action, le jeune homme laissait le temps à la jeune femme d'imprimer son rythme, de prendre un pas de recul si nécessaire devant l'effondrement de son monde. Pour autant, que sa soit pas volonté ou par effort, celle-ci ne se détacha pas. Était-ce une si bonne idée de s'abandonner dans les bras de l'un et l'autre alors que tout deux avaient vécu des événements si destructeurs ? Était-ce réellement la meilleure solution d'enfouir tous leurs maux et tracas derrière le désir ?

Sourire devant la suite, Merrick sourit en passant une main sur la joue de la dame de Chantauvent. "Nul besoin d'excuse". Puis retenant un rire, le milicien retint quelques mots de franchir la barrière de ses lèvres. En effet, ce sera leur première fois commune dans un bordel...pour lui, il en était différent.

Ne se faisant plus prier, Lorren la fit choir doucement sur le dos et sur la couche de vêtement qui leur servirait de lit. Se plaçant au-dessus d'elle, restant quelques instants immobile, se tenant à l'aide de son bras surélevé, il plongea au plus profond des prunelles de sa compagne avant de se laisser tomber sur son avant-bras pour l'embrasser. Sentant la main de la rousse partir en exploration, Il n'y tient plus, faisant de même, s'amusant à suivre le même chemin que sa compagne imprimait sur sa propre peau. Terminant sa course sur ses fesses, qu'il appréciait quant à lui regarder sans le cacher, l'ivrogne se permit de vagabonder sans plus de retenue. Retenue qui avait été jusque là un plus que vaillant effort. Toutefois, les rôles changèrent. Repoussé, puis retourné sur le dos, Lorren laissa Estelle prendre les devants et les rênes de l'échange. Ayant toujours un sourire amoureux sur les lèvres, ledit lascar ne voulait aucunement la presser ou la forcer à faire ce qu'elle ne désirait pas. Ainsi, la laissant agir, il fut fort surpris de l'audace de celle qui lui avait résisté durant si longtemps. Chose qu'il croyait jusqu'alors impossible pour la gent féminine. Et puis, cela devait encore être le cas, non ? Après tout, Estelle de Chantauvent était une femme plus que spéciale...

-"Estelle..." Pourquoi avait-il proféré et prononcé son nom ? Aucunement pour l'arrêter, c'était une évidence. Son esprit était d'ailleurs oblitéré par les manœuvres et manigance de la rousse qui le faisait brûler intérieurement. Se cabrant sans réellement s'en rendre compte, se mordillant la lèvre inférieure tandis que celle de la tenancière effectua leur descente le long de son corps, et enserrant cette unique main attachée à la sienne, l'homme d'armes perdit tout ses moyens, vaincu bien facilement. Perdant sa main libre dans la crinière fauve de la jeune femme, il ne put s'empêcher de resserrer sa prise alors que l'emprise des lèvres de sa compagne atteignait la zone plus qu'érogène de son corps.

-"...hein ?" Les yeux fermés, ne s'étant aucunement rendu compte de ce qui faisait hésiter Estelle, Merrick Lorren ne comprit pas sa prise de parole. Fronçant les sourcils, regardant son membre, n'ayant pas réellement conscience de ce que la Chantauvent parlait, le milicien fit part de son incompréhension: "Je me trouve plutôt particulièrement "en forme" et loin d'avoir froid. Je te pensais assez "proche" pour le voir..." Il n'en comprenait rien. Il sembl..."Oh." Ne put-il que proférer lorsque sa partenaire releva un bras et une main qui ne lui appartenait pas et qui était détachée d'un quelconque corps non présent sur les lieux.

Gardant le silence lui aussi durant quelque temps, ne sachant pas trop quoi dire, que faire ou comment agir, n'arrivant même pas à comprendre son propre ressenti face à pareil spectacle morbide et ne pouvant allié la vague de désir à cette vision macabre qui égratignait sa rétine, le futur coutilier décida de reporter son attention sur sa comparse. "Ce n'est pas comme si je l'avais amené moi-même ici ou que c'était volontaire ! D'ailleurs, devrais-je être jaloux ? Ne serait-ce pas toi qui en profiterais pour t'adonner à d'étrange pratique avec une main appartenant à une autre personne ?" Réagit-il sans réellement réfléchir et d'une voix atone aux propos d'Estelle.

-"Viens..." Poursuivit-il en se redressant et se relevant, attrapant de sa main libre le membre coupé. Obligé de le suivre à cause du lien physique qui les unissait, en l'occurrence le ruban, Merrick se dirigea vers la fenêtre de la chambre, entraînant sa tenancière. "Nous serons de nouveau rapidement plus que deux !" Tenta-t-il avec conviction, mais la voie quelque peu éraillée par l'objet qu'il tenait. Après tout, pour le moment, il était différent de se remémorer les événements néfastes qu'ils avaient traversés et les revivre. Après tout, ce bras était la première preuve de la mort et du massacre qu'il avait tout deux retraversés. Par chance, ce n'était pas un corps ou pire. En un tel cas, Lorren n'aurait probablement pas réussi à retenir son estomac de chavirer. Cela lui rappellerait trop fortement le Goulot, la mort et le sang qu'il tentait d'oublier. Ouvrant la fenêtre sans regarder, il lança le bras dehors. "Et voilà, enfin seul et sans spectateur !" Dit-il dans un sourire. Puis fronçant les sourcils; "J'espère ne pas l'avoir jeté dans le puits..." Poursuivit-il en se retournant pour regarder en contrebas.

Mal lui en prit.

Car dans cette scène qui s'offrait à eux, difficile à dire où se trouvait le membre qu'il venait de jeter dehors. De fait, impossible de le retrouver du regard au milieu de cette pile de cadavres décapité qui avait décoré cette petite cour intérieure calme et sereine où trônait le point d'eau. Ouvrant la bouche sur un cri muet, s'appuyant de sa main libre sur le rebord de la fenêtre et blêmissant, Lorren n'arrivait pas à détacher son regard de ce qu'il voyait. "...Que..." Ses yeux délavés se perdirent sur une tête qui lui faisait face, le scrutant d'un regard terne et mort. Le sang de ces macchabées s'était lié et retrouvé pour ne former plus qu'une seule et unique marre. Cette vision d'horreur lui rappelait ce qu'il avait lui-même traversé. Pire; cette vision d'horreur lui faisait réaliser qu'Estelle avait elle aussi vécu le vice de la mort, la peur du trépas.

Glissant au sol, à genoux face à l'ouverture d'où un vent chaud renvoyait à l'intérieur les relents des immondices de la place des pendus et de l'hécatombe en contrebas, Merrick fut pris de tremblement. Où se dirigeait donc l'humanité ? Pareil spectacle n'aurait jamais dû arriver, pareil massacre aurait dû être impensable. "C'est.." Comment mettre des mots sur cela ? Impossible d'être impassible. De fait, ce n'est pas des mots qui étaient sur le point de franchir ses lèvres...

Se redressant rapidement, refaisant face à la fenêtre, Lorren vomit à l'extérieur. Bile amère plutôt que contenu de son estomac vide, cela fit naître et monter les larmes à ses yeux. Ou bien, était-ce à cause du spectacle qu'il pleurait, allez savoir. Probablement un mélange des deux.

-"C'est horrible." Premier mot logique. Laissant tomber son front sur le rebord de l'ouverture, tournant la tête sur le côté pour croiser le regard de sa partenaire d'infortune, qui se devait d'être au plus près de lui à cause de leur lien, Lorren poursuivi d'une voix vacillante. "Désolé...je n'avais pas cru que sa avait été aussi..." Aucun mot ne pouvait expliquer l'inexplicable.

Se retournant de nouveau, se laissant glisser le long du mur et tombant assis, le regard dans le vague, l'infâme ivrogne et l'infime milicien prit la parole. Pour lui, pour elle, pour eux, il ne pouvait le dire. "C'était comme ça là-bas aussi." Non, il ne nommerait pas le Goulot, cette zone morte. "Nous avons...abandonnés tellement de gens, Estelle. Nous avons sacrifié tellement de femmes et des enfants sciemment. Et merde..." arrêta-t-il ses paroles en cachant sa tête entre ses jambes et serrant ses cheveux de sa main libre à se les arracher. " Il n'y avait rien d'héroïque. Nous avons condamné la population du quartier, tuant et ne prenant même pas le temps d'hésiter lorsque nous avions un doute. Un boucher, un bourreau. Je..."

Voilà, la réalité venait de tomber. Rattrapé par ce que devait avoir vécu Estelle de Chantauvent, mis à mal devant le spectacle des heures les plus sombres de la Chope Sucrée, Merrick Lorren était replongé au plus profond de l'abysse de ses propres actions qu'il ne pourrait jamais valoriser, mais que calomnier encore et toujours. Pourquoi avait-il ouvert la fenêtre ? Pourquoi ne pouvait-il pas tout oublier ? Comment arrêter de penser et ressasser ?
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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptySam 9 Nov 2019 - 16:51


- « N’as-tu pas accepté que je sois ta tortionnaire ? » questionna-t-elle ce regard fiévreux et ce sourire en coin.

La situation était troublante, dérangeante, mais en parfaite harmonie avec l’ensemble des événements. Estelle était dénudée, sans le moindre vêtement pouvant protéger sa peau, sa proximité avec son milicien avait le don de la rassurer, la réconforter. Oublier dans un échange charnel, oublier dans un besoin de tendresse, oublier que le royaume entier c’est effondré le temps de quelques heures, oublier oui, simplement, oublier. Pour autant, chaque fois que son regard se détachait de cette silhouette apaisante, la réalité venait la frapper, la dureté du moment et des moments à venir. Entrelaçant davantage ses doigts issus de cette main entravée par le ruban symbolique, sentant ce besoin de fuir, de partir, pour de vrai cette fois, pour de vrais oui. C’est le bruit de la porte claquant contre le mur, ouverte par un coup de pied bien amené de son ‘chevalier’ qui l’a fit revenir dans la réalité. Ses prunelles s’étaient naturellement relevées vers lui, détaillant sagement l’homme qu’elle ne voulait pour rien au monde voir disparaître. Se contenta-t-elle d’opiner, tâchant de se glisser une nouvelle fois dans cette habitude de taquinerie, de jeu, cette manière d’effacer l’inacceptable pour un infime instant.

- « Pas d’inquiétude ? Je ne sais pas encore, peut-être allons-nous pouvoir voir ça…. »

Un regard malicieux, un sourire amusé s’était-elle retrouvée rapidement prisonnière d’une étreinte, capturée par un lien qu’elle avait elle-même instigué. La suite fut pleine de cette douceur, caractérisant ce couple dont le parcours atypique questionnait encore sur la dramatique finalité qui risquait un jour de se réaliser. Les derniers tissus la couvrant avaient fini par disparaître, alors qu’une main abîmée par le maniement des armes venait cette fois-ci l’habiller, la survoler, sans que la tenancière ne s’en offusque, ne cherche à fuir, ou même à se camoufler à son regard. Estelle l’acceptait, lui, acceptait les besoins qu’elle ressentait et si son expérience était sans aucun doute inexistante vis-à-vis de celle de Merrick Lorren, aucun doute que sur l’instant, cela ne semblait guère lui importer. Une multitude de frissons avaient fini par animer son corps, sensation qu’elle découvrait au rythme des manœuvres d’un homme explorant multitude de courbes. La proximité fut retrouvée, l’échange de proximité aussi, jusqu’à ce qu’une nouvelle fois la réalité vint la frapper.

Ce ne fut plus le royaume qui avait semblé s’écrouler, non, ce fut sa propre construction, sa maison, sa demeure, son passé. Son mari, le véritable, celui qui avait perdu la vie semblait avoir disparu une nouvelle fois, alors que l’équilibre –précaire- qu’elle avait maintenu ici-bas n’avait semble-t-il pas réussi à survivre à l’attaque fangeuse. Son regard avait dû trahir sa tristesse, ce chamboulement, cette colère silencieuse, cette révolte et ce pourquoi qu’elle aurait tant voulu être en mesure d’exprimer. Il était à ses yeux, mort une nouvelle fois, elle aussi sans la moindre hésitation, alors que le peu de souvenirs de lui avait visiblement volé en éclat. Ce fut la chaleur du lien, l’absence de solitude qui l’a fit réaliser qu’elle n’était plus seule. Merrick Lorren ne devait pas comprendre, pas entrevoir l’importance de leur lien à cet instant, comment l’aurait-il pu le séducteur, le voleur de cœur, le collectionneur de conquêtes. Estelle aurait pu sombrer dans les sanglots, se laisser dépérir, abandonner définitivement cette fois, mais sa nouvelle lueur d’espoir le lui interdisait. Cette voix hésitante, masculine qu’elle reconnaissait avait appris à connaître par cœur qui s’excusait, qui tentait un réconfort que même lui n’était pas en mesure de lui apporter. La page du passé venait d’être arrachée à défaut d’être tournée, comme une épine profondément ancrée, tout était terminé.

Balayant cette colère, exprimant des mots que dans le fond, elle ne pensait pas. La dame ne put que simplement évoquer le fait que ce n’était pas grave, qu’ils étaient vivants et que le plus important résidait bien dans ce seul élément. Venant chercher du réconfort au creux des bras de son amant, abandonnant cette idée de désir, d’envie et cette nécessité à s’épancher pour avoir l’illusion d’oublier. Estelle ne put que savourer cet instant suspendu, cette sensation d’être protégée, d’être si minuscule dans les bras de son milicien. Était-ce l’impression d’être si insignifiante, si appartenant à cet homme qu’elle fréquentait depuis quelque temps maintenant que la situation reprit son cours, dans la même idée, dans le même ordre d’idée. Le couple se retrouva rapidement allongé, s’explorant mutuellement dans une douceur sans précédent. Cherchait-elle régulièrement un soutien visuel, une dose de confiance ou d’encouragement alors que peu à peu ses doigts apprenaient à mémoriser une peau, une marque, une fesse et bien plus encore. La dame de Chantauvent n’avait jamais été de celle abandon, ou n’osant pas, fallait-il l’apercevoir ou la mettre en confiance pour la voir se révéler petit à petit et ce ne fut que cette révélation qui fut rapidement mise en évidence.

Obligeant son amant à basculer sur le dos, cherchant à surprendre qu’autant à se rendre plaisante, la fin du royaume n’avait soudainement plus aucune importance. N’existait que Merrick Lorren, rien de plus, rien de moins, du moins c’est ce que son insouciance lui avait murmuré. Se hissant au-dessus de lui, tâchant de se faire moins maladroite, même si ses mouvements se faisaient plus complexes à cause du lien l’attachant à son héros. La rousse était hésitante, mais désireuse de bien faire, trouvait-elle régulièrement ses lèvres, avant de partir en exploration sauvage. Sa bouche suivant le parcours imaginaire d’une ligne menant tout droit à une source des plus intimes. Les doigts parcourant son corps provoquaient sans interruption cette caresse de frisson, ce désir augmentant, ce besoin de plus, terriblement plus. Peu à peu, arrivait-elle à son objectif, cette peur au ventre de ne pas savoir, de ne pas vouloir peut-être, ne mal faire, ou de n’être qu’un nombre de plus au compteur qu’elle imaginait impression de Merrick Lorren. Les craintes balayées, la dame s’était donc laissé à l’expérimentation de nouvelles techniques, une en particulière. Le prénom murmuré ne fut perçu que comme un encouragement électrisant, mais cette seconde main si froide qu’elle conservait du bout de ses doigts vint rapidement la décontenancer.

Prête à gonfler les joues, stoppant l’ensemble de ses activités pour mettre malgré elle, un humour bien déroutant en place. Estelle n’avait laissé aucun gémissement s’échapper, aucun état de choc, rejetant cette main cadavérique qui ne lui appartenait pas et n’appartenait pas à Merrick, elle se contenta de lancer une boutade qui n’était pas de circonstance, cessant immédiatement ses actions et tout le reste. La dame n’en restait pas moins dans cette posture perdue, presque dépitée par l’ensemble des événements. La température elle-même lui semblait avoir chuté drastiquement. Pourtant, armée de ce jeu, de cette plaisanterie certainement mal venue pour celui qui avait perdu une main, la rouquine était venue se blottir sagement dans les bras de son amant. Merrick, bien loin de s’offusquer de l’ensemble poursuivit sur la même lancée, l’accusant même d’immondice vis-à-vis de cette main étrangère. Ronronnant contre son oreille, Estelle ne semblait plus réellement intégrer le moment présent, se détachant de la gravité de la situation :


- « Qui sait, je devrais y songer pour quand tes absences se font trop longues… »

Elle reste immobile, contre lui, partageant une chaleur commune d’une couche inexistante. Il s’était redressé, l’entraînant avec elle contre son gré. Le chemin qu’il prenait, la vision qu’il allait découvrir, Estelle le comprenait déjà et malgré un mouvement de recul, Merrick n’avait semble-t-il pas renoncé à son idée. Jetant le troisième membre non désiré, avant d’évoquer qu’ils étaient de nouveau seul, lui et elle, ou presque. La rousse aurait voulu le retenir, l’empêcher de se retourner, d’aviser le massacre qui lui avait provoqué plus d’une nausée. En un instant, Estelle avait dû sembler perdre cette étincelle de vie, perdre ce besoin de s’échapper d’une réalité bien trop présente, bien trop suffocant. Merrick sembla prendre de plein fouet l’ensemble des événements et du jeu instauré il ne restait plus rien. Estelle fut immobile, presque sans réaction, comme si son esprit n’était plus capable d’exprimer le moindre ressentiment, tristesse. Ce n’était plus de l’état de choc, mais comme une accoutumance, une habitude à la déchéance. Entraînée dans cette glissade au sol, Estelle ne put que déposer les genoux à terre, se positionnant face à celui qui ne semblait plus être en mesure de faire semblant. Les masques venaient de tomber, de s’écrouler, de s’effondrer.

- « Merrick» un murmure, un prénom formulé qui n’amenait pas à une interpellation ni une demande de silence

Les doigts d’Estelle effleuraient encore son visage, avec douceur, lenteur. Silencieuse, dans cette proximité obligatoire, la dame de Chantauvent avait fait le choix de le laisser s’exprimer, d’évoquer les faits. L’odeur dérangeante venait lui irriter chacune de ses respirations, pour autant, encore une fois, faisait-elle preuve de cet étrange sentiment d’abstraction. Immobile, les deux genoux au sol face à un homme qui s’était complètement replié sur lui-même, évoquant le fait qu’il n’était pas héroïque, qu’l avait dû tuer femme, enfant, homme sans distinction, Estelle sembla une nouvelle fois, rester sans réaction, sans jugement. Ici, tout avait dégénéré aussi, oui, la chope sucrée n’avait été plus que l’ombre d’elle. Laissant ses doigts tirer ceux qui se perdaient dans la chevelure brune, essayant d’éviter autant que possible qu’il ne se fasse du mal. La tenancière ne put que laisser une nouvelle fois ce silence s’imprégner du lieu, que pouvait-elle répondre, y avait-il seulement une réponse à apporter à l’ensemble des événements, des paroles ? Jamais elle ne pourrait revenir en arrière, jamais elle ne pourrait lui pardonner ce que lui n’était pas en mesure de se pardonner. La vie se poursuivait, les survivants devaient se reconstruire, oui, il le fallait, d’une manière ou d’une autre.

- « Ici aussi » fit-elle avec une sincérité désarmante avant de s’installer à côté de lui, de la manière où le lien serait le moins gênant. « Ici aussi » répéta-t-elle comme si cela pouvait suffire.

En réalité, aucune description ne pourrait refléter cette réalité, tout comme elle était incapable d’effleurer du bout des doigts la réalité de Merrick, se contenta-t-elle de passer sa main libre dans son dos, de l’attirer jusqu’à elle, tout en maintenant fermement leur main lié sur ses genoux à lui. Lentement, elle laissa glisser sa tête contre la sienne, réfléchissant à des mots qui n’auraient sans aucun doute aucune valeur réconfortante. Prenant une inspiration, quasi suffoquant à cause de l’odeur de la mort, omniprésente désormais dans la chambre.

- « Parfois l’existence n’est pas juste » souffla-t-elle « Vous avez fait les choix pour sauver le plus grand nombre… Être un héros, ce n’est pas forcément très gratifiant, un héros fait ce que personne ne veut faire, ce n’est pas souvent que des choses positives… » elle n’était personne pour juger, tout comme il n’était personne pour juger son inaction dans son propre établissement « J’ai peur… Terriblement. Je n’ai pas trouvé le courage de commander, je te cherchais, je voulais te trouver toi… Mais tu n’étais pas là et les gens mourraient sur cette place… » elle se pinça les lèvres, déposa ses lèvres sur le haut de son crane « Alors j’ai ouvert la chope, puis je l’ai fermé parce que nous ne pouvions plus prendre qui que ce soit et des gens sont morts. »

Elle n’était pas responsable, pas entièrement, avait-elle simplement formulé la demande, parce que là aussi, elle avait dû choisir de protéger le plus grand nombre. La situation en devenait ridicule, presque dérangeante, étaient-ils encore il y a peu de temps prêt à passer à des choses plus réjouissantes et maintenant ? Maintenant le couple était assis, contre une fenêtre dévoilant une multitude de cadavres, entièrement nu à faire le point sur des événements tragiques.

- « C’est impossible de sauver tout le monde… La ville à survécu, mais personne n’oubliera jamais les événements » d’un geste du menton elle indiqua sa chambre, comme une preuve des propos qu’elle tenait « Tu as changé, tu sais. » fit-elle en appuyant davantage son emprise sur ses doigts par peur de le voir fuir ou pire, disparaître « On en aura vécu des épreuves ensemble Merrick, tu ne crois pas ? Nous devrions nous reposer… Juste un peu, car demain, il faudra ranger, nettoyer et sans aucun doute que tu devras évoquer ton témoignage à tes supérieurs… Mais…. Si tu le souhaitais, nous pourrions partir aussi… Je ne sais pas où, je ne sais pas si ailleurs cela peut être meilleur… Je veux juste être avec toi, je ne veux plus jamais avoir la sensation de te perdre. »

Estelle ne s’était pas rendu compte que des larmes avaient finis par dévaler de ses joues, la dame de savait plus réellement ce qu’elle devait faire ou dire, ou même espérer. L’idée de s’abandonner pour se consoler, pour oublier n’était plus présente et ce nouvel échec lui tirait même un sourire incompréhensible. Elle était épuisée, simplement, entièrement et l’unique chose qu’elle était encore en mesure de faire ce fut de tirer une sorte de draps qui traînait là pour couvrir le couple. Que pouvait-elle faire d’autre ? Sincère, elle lui avait dit le peu qu’elle était en mesure de comprendre, de réaliser, de traduire.

◈ ◈ ◈

Ce fut le premier coup d’un tambourinant prononcée contre la porte qui tira de son sommeil, celle qui avait finalement dû s’éveiller. Couinant de cette manière désagréable, elle chercha presque naturellement à se relever avant de réaliser, de se souvenir de cette entrave presque imaginaire qui l’unissait encore à celui qui était assoupi. Tirant sur le nœud, elle défit à contrecœur l’ensemble, préférant lasser encore au repos, celui qui avait dû traverser des épreuves qu’elle peinait encore à imaginer. Enfilant une robe qui traînait par-là, remontant sa chevelure qu’elle enroula dans un chignon qui ne ressemblait pas à grand-chose, elle se pressa de descendre pied nu, pour s’arrêter devant sa porte d’entrée qui venait de céder sous les coups de ce qui semblait être une troupe de miliciens.

- « Milice de Marbrume » décréta celui qui semblait commander « On nous a signalé des corps ici et nous sommes à la recherche de Merrick Lorren »

Estelle sentie son corps frémir, une inquiétude naissance venait de la prendre au titre, alors qu’une étrange sensation de déjà vue semblait lui revenir en mémoire. Son silence n’avait guère semblé plaire au responsable du groupe, qui haussant la voix ne put qu’obtenir enfin une réponse après avoir répété par trois fois les mêmes phrases.

- « Il dort encore… Les corps sont dans la petite cour, vous pouvez récupérer l’ensemble…. Venez. »

D’un geste de la main, elle invitait l’ensemble à la suivre. Prenant une inspiration, elle tâchait d’ignorer les murmures, les commentaires sur les derniers événements, Estelle aurait souhaité de toute son âme que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve, un souvenir tellement ancien qu’il ne pouvait être réel. Une fois le petit monde dans la cour, elle dut déposer sa main sur sa bouche, retenir une nausée, retenir ce besoin lui retournant le ventre. Laissant les différents hommes s’occuper du déplacement des corps, elle fut surprise de découvrir que certains survivants, certains visages qui étaient présents venaient de rentrer dans l’établissement, proposant une aide de rangement. Son cœur sembla exploser dans sa poitrine, ça, Estelle ne l’avait pas vu venir et se contentant d’opiner, elle laissa l’ensemble prendre place, agir. L’ensemble du groupe, celui de miliciens ou de survivants, avaient débuté par évacuer les corps. La rouquine avait lancé un feu, cherchant à préparer une infusion alors que derrière son comptoir elle commençait également le rangement. Son regard s’appuyait de temps en temps sur le haut des marches, attendait-elle de voir Merrick descendre, attendait-elle sans aucun doute qu’il constate lui aussi que la vie devait reprendre, qu’elle allait reprendre inévitablement. Le royaume était dévasté, mais de la dévastation ne pouvait que naître un nouvel espoir.

Redressant le nez, elle fut surprise par enfin voir celui qu’elle attendait, sans trop comprendre ni pourquoi ni comment ce ne fut pas elle qui le salua la première. Celui qu’elle ne connaissait pas qui avait semblé saluer SON mari –parce qu’ils étaient toujours époux et femmes dans son imaginaire-.

- « Merrick Lorren sort enfin de son repos mérité ! Alors Merrick, tu passes enfin dans le camp des héros et plus dans celui des minables ! Félicitations, sa parle à la caserne, les hommes ont besoin de porteur d’espoir, tu viendras bien fêter ça ? Enfin fêter, faut dire la vérité… On va avoir du boulot, mais maintenant que nos trouillards deviennent des gens responsables, ça devrait le faire t’crois pas ? Bon dis voir, y a plusieurs enquêtes en cours, faudra que tu nous déposes ton témoignage qu’on comprenne comment les merdes de créatures ont pu débouler chez nous ok ? Mais tu as le temps. T’veux un coup de main pour un truc, ou t’veux nous donner un coup de main pour nettoyer la place ? »

Estelle fut silence, avec cette sensation déchirante qu’il allait devoir partir, elle aurait pu hurler, le supplier, mais aucun son n’avait franchi la barrière de ses lèvres. Il était milicien, n’était-ce pas son rôle ? Prenant une légère inspiration, elle fit tournoyer un liquide chaud, fumant dans une tasse ou elle avait préparé quelques infusions. Autant d’elle l’ensemble des présents ne faisaient que nettoyer, déblayer, ranger.

- « M’mselle Chantauvent » fit un homme à son intention « J’travail le bois comme personne, c’grace à vous que ma femme et mes enfants sont vivants, alors…. Laissez-moi refaire votre comptoir, les chaises et les tables ? »
- « Je n’ai pas de quoi- » pour la première fois Estelle réalisait qu’elle n’avait plus de ressource, elle avait perdu beaucoup en une journée
- « Vous avez sauvé des vies, ça vaut bien quelques babioles, vous en faites pas. »

Elle opina simplement, sans trop savoir quoi dire de plus. Estelle n’était pas habitué à dépendre de quelqu’un, loin de là, aussi ses lèvres se pincèrent, alors qu’à l’étage un nouveau bruit venait de faire son apparition. Bruit qui la fit réaliser que le fou qui prônait la fange et les sectaires était toujours enfermés dans la salle d’eau de l’étage. Secouant la tête vers Merrick, comme pour lui faire comprendre, comme pour sous-entendre que le problème pouvait se révéler important, mais que la mort était désormais trop présente ici. Peut-être pourrait-il fuir sans faire d’histoire ? Peut-être oui.

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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyJeu 14 Nov 2019 - 20:54
Les paroles d'Estelle de Chantauvent n'eurent aucun impact sur Merrick Lorren. Non pas que ses mots étaient stupides ou insipides, mais ses maux et tourments étaient tout simplement trop grands pour être battu en brèche par des paroles sensée et réfléchie. C'est là, recroquevillé en dessous de la fenêtre qui donnait sur une vision d'horreur, et qui l'avait renvoyé au plus profond du Goulot, que l'homme d'armes perdait contenance et en quelque sorte, la raison. Encore dénudé, sans plus véritablement le remarquer, le jeune homme luttait contre vent et marée, face au ressac houleux de la décrépitude de son esprit et la prise de conscience de son ignominie. Il n'était qu'un monstre, qu'un bourreau et un meurtrier. Logiquement, ce qui l'attendait au tournant pour expier ses pêchés ne serait qu'un destin aussi funeste que destructeur, qu'une finalité aussi morbide que sanglante. Au final, inéluctablement, il terminerait probablement comme les corps décapités et malmenés en contrebas. C'est ce qu'il méritait, non ?

Son nom prononcé par la dame de Chantauvent fut vécu comme une pointe de douleur par celui qui ne pouvait plus se regarder en face. Le contact de ses douces mains le brûla plus qu'elles ne l'apaisèrent. Elle était trop bonne pour l'être putride qu'il était. Oui, Merrick l'avait toujours cru et dit; comment un ivrogne et un coureur de jupons pouvaient espérer passer son existence avec cette femme d'exception ? Or, aujourd'hui c'était pire. Bien pire. Il n'était plus un simple ivrogne. Il était un assassin. Toutefois, lorsque la jeune femme mentionna que cela avait aussi été le cas à la Chope Sucrée, le milicien releva lentement la tête. Ici aussi ? Est-ce qu'Estelle s'était elle aussi damnée et parjurée en sacrifiant autrui de sa main ? Était-elle devenue comme lui ?

C'est à ce moment, que Lorren se détesta encore plus. Espérant en quelque sorte que ce soit le cas, qu'elle ai réellement tué comme lui, pour pouvoir la côtoyer sans se morigéner, pour pouvoir se tenir auprès de quelqu'un qui avait commis les mêmes vices. Un nouveau haut-le-cœur le prit à bras le corps. Il était infâme à vouloir que la femme qu'il aimait ait subi les mêmes atrocités que lui avait commises. Écoutant avec nettement plus d'attention les dires et la suite de l'élocution d'Estelle, en quête des prémices d'une explication, de ce qu'elle avait vécu, Merrick resta silencieux en attendant le dénouement.

Le contact de leur corps, de leur proximité dans un semblant d'étreinte mirent sont cœur en lambeaux, tiraillé et déchiré par deux sentiments contraire et contradictoire. Par les Trois, comment avait-il pu être sur le point de s'abandonner dans ses bras, d'oublier ce qu'il avait fait ? La réponse lui sauta à l'esprit. Parce qu'il était un lâche, un couard, toujours en train de fuir et d'oublier, refusant de faire face aux nombreux déboires et autre réalité néfaste. Mais aujourd'hui, tout était différent. Ce sacrifice d'une pléthore était trop gros pour être mis sur le côté, pour être noyé par l'alcool. Sa propre condition de tueur le vrillait mortellement, tandis que depuis quelque temps, Merrick Lorren n'agissait plus seulement pour lui-même, mais aussi pour Estelle de Chantauvent et l'idéal bien vacillant de couple et de relation qu'ils avaient essayé de construire.

-"Tu n'as pas eu le courage de commander..." Répéta-t-il d'une voix ébréchée. En secouant la tête. Ainsi donc, elle avait délégué, ce qui était tout à fait normal et non point un élément à même de la mésestimer, plutôt qu'agi par elle-même. Elle n'avait pas tenu la lame, décapitant mère et enfant pour une question de "sécurité". Estelle de Chantauvent n'était pas au même niveau que ses propres inconduites et avarices. Non pas que son histoire et ce qu'elle avait vécu étaient moindres ou plus sereins. Simplement, celle-ci avait fait un choix, ou avait eu la chance, de s'en sortir avec les mains plus propre, moins sale du sang des innocents. "C'est pour ça qu'elles sont encore si douces..." Dit-il sans réellement s'en rendre compte, torturé par la caresse de ces doigts de satin. Cette élucubration lui fit pousser un faible et bien bref rire hystérique.

La suite tomba comme un couperet. Même elle le réalisait et lui disait; il avait changé. Dès lors que la personne qui comptait le plus à ses yeux le définissait par des mots, comment ne pas le croire ? Il n'était plus le même. Plus le jeune homme probablement charmant et plein d'entrain qui l'avait charmé. Il n'était plus qu'une coquille vide, non ? "Je sais." Que dire de plus sans oser se blesser plus férocement ? La suite souffla à nouveau et encore une fois le chaud et le froid dans son esprit. Pour autant, il prit sur lui de parler un peu plus, d'en dire plus long que simplement deux mots. "J'aimerais partir pour un monde meilleur..." Puis, restant silencieux durant quelque temps, il finit par surenchérir, avec une finalité nettement plus terre à terre. "Mais impossible d'imaginer un endroit moins à risque dans le duché." Car là était toute la réalité de l'humanité en ces heures fatidiques de son existence; bien que Marbrume était synonyme d'enfer, s'était encore l'endroit le moins pire à disposition de l'Homme sur le bord de l'extinction...

Lorsqu'elle mentionna qu'elle ne voulait juste plus le perdre, le futur coutilier n'y trouva rien à répondre et n'eut pas la force d'en dire plus. Faible devant les larmes de la rousse et ayant lui-même besoin de cette proximité, il l'attira contre elle et sous le drap s'en voulant de la capturer ainsi, alors qu'il ne le méritait aucunement. Se morigénant et se disant que ce n'était que pour cette fois-ci, le jeune homme s'agrippa à Estelle comme un naufragé se retenant à un morceau épars de sa frêle esquif balayé et disloqué par les récifs. C'était encore elle, la tenancière de la Chope Sucrée, qui l'empêchait de se noyer à tout jamais. Demain serait un autre jour, une nouvelle source de tourment. Mais en l'instant, il ne voulait plus réfléchir et tout oublier. Juste pour une nuit, pour une soirée...

Aviez-vous déjà entendu parler d'un couard en quête de mort ? Il était peut-être le premier d'une nouvelle espèce, mais ainsi était désormais celui qui se nommait Merrick Lorren.

◈ ◈ ◈

La nuit ne fut d'aucun repos. Loin d'être un exutoire le tout n'était rempli que de cauchemar, que de souvenirs tortueux et torturé. Sans s'appesantir sur l'ensemble ni décrire leur impact sur le sommeil du milicien, il était évident que le tout ne fut aucunement réparateur. Pourtant, ou peut-être à cause, Merrick ne fut pas le premier réveillé aux aurores, mais bien Estelle de Chantauvent, l'habituelle dormeuse du couple. Peut-être était-ce le signe qu'elle aussi avait eu une courte nuit bien trop difficile pour rester avachie sous les draps. Ou alors, était-ce simplement parce que son habitude d'être la propriétaire d'une auberge lui a fait entendre le son ténu, mais bien présent de quelqu'un frappant au battant de la Chope Sucrée. Toujours est-il que la rouquine fut la première debout, quittant l'inconfort du sol et la présence de l'homme d'armes.

Au final, lui aussi du s'extirper de la cangue gangrenée du sommeil pour braver la journée en devenir. Ouvrant les yeux sans proférer le moindre son, ni un quelconque mouvement, Lorren laissa ses sens être à nouveau submergé par les relents d'horreurs de la veille. Se levant lentement, récupérant un pantalon ainsi qu'une paire de bottes traînant dans la chambre, sans réellement savoir qui en était le propriétaire, lui ou le défunt époux d'Estelle, il enfila l'ensemble sans tergiverser. Entendant les sons d'une conversation au premier étage, le futur coutilier décida d'aller voir avec qui parlait la tenancière. Il espérait que ce ne soit pas Adrien. Si le fautif était ce dernier, Lorren ne pouvait dire comment il réagirait, mais surtout, comme il agirait...

Récupérant au dernier instant une chemise traînant au milieu du capharnaüm, ne l'enfilant pas, mais la déposant sur son épaule, Merrick commença lentement -peut-être un peu trop- à se diriger vers l'escalier. Une partie de lui n'était pas prête à faire face au monde. Une autre savait qu'il ne l'aurait jamais véritablement été. Au sommet de la descente, il fut heureux de ne pas reconnaître en la voix celle du frère de la Chantauvent. Familière, cette dernière n'en restait pas moins celle d'un être qui était encore pour le moment indéfinissable. D'ailleurs, il n'était pas le seul homme en présence, tandis qu'un léger tohu-bohu plus fort que la moyenne laissait présager l'existence d'au minimum quelques autres quidams.

Silencieusement, comme s'il était coupable d'un quelconque crime, Merrick Lorren arrêta tout mouvement une fois suffisamment bas dans l'escalier pour assister au "spectacle" du retour de la vie à l'intérieur de la Chope Sucrée. Trouvant assise sur l'une des marches la plus haute, déposant ses avant-bras sur ses genoux et restant silencieux, le milicien se mit à contempler aussi bien Estelle que l'agitation qui se créait autour d'elle. Inconsciemment, il se mit à se demander si c'était la Chope Sucrée, soit l'auberge en elle-même qui créait cette effervescence ou sa propriétaire. Personnellement, il aurait parié sur la seconde option, lui qui était frappé d'une obsession pour la rousse.

Le "recherché" était apparu au moment où la jeune femme était sur le point de mener l'ensemble de la compagnie vers la cour intérieure pour récupérer les cadavres. Vision qui hier au soir l'avait fait plus que défaillir. Observant les nouveaux arrivants, Merrick reconnut Eugène, le petit chef de cet attroupement. Aucunement coutilier, le lascar en question n'en restait pas moins une figure d'autorité au sein de son groupuscule d'homme, individu de confiance pour son supérieur direct. Dès le début de leur vie commune dans la caserne, les deux larrons ne s'étaient guère appréciés. L'un était l'archétype idéal du troupier, l'autre son parfait opposé, préférant la vinasse à l'épée. Dans un amalgame étrange, tous deux avaient été en mesure de se créer un réseau de connaissance et d'amitié somme toute appréciable, bien que modéré. Eugène avait réuni les hommes d'armes de confiance, et qui faisait leur métier non pas par appât d'un quelconque gain, mais par volonté de protéger autrui, tandis que Merrick avait plutôt été le porte-étendard des ignares, des ivrognes et des reclus de leur baraquement. Évidemment, il était facile de deviner dans quel coin le fouet tombait le plus souvent...

-"Bon matin, Eugène." Ce fut l'unique réponse qui voltigea de prime abord à l'apostrophe dudit milicien lorsque ce dernier se permit de tancer modérément celui qui était dorénavant un "héros". Restant fixe et silencieux durant quelques instants, Lorren finit par se relever, descendant les dernières marches, avant de poursuivre calmement. Il n'était guère habituel que son comparse parle autant à tort et à travers. " Marius ?"

-"Mort. Désolé."


Quoi de plus normal que ce son ami ait suivi la fin inéluctable et identique à celle d'Arthur, son coutilier ? Il avait dû se jeter face aux monstres, l'épée dégainée, pour protéger la veuve et l'orphelin. Lui avait connu une fin digne d'un milicien. Lui pouvait se targuer d'être un héros, même si cela était à titre posthume. Au final, il rejoindrait potentiellement sa fille, Harmonie, qui lui était jusqu'alors inconnue...

-"Ton coutilier ?"

-"Mort avec. Comme le tien, j'imagine ?"

Un grognement positif fut l'unique réponse qu'il reçut. Il était déjà devenu fâcheux et douloureux de parler des morts, mais il fallait continuer, savoir.

-"Rémy ?"


-"Disparu."

-"C'est plus difficile de retrouver les gens sans tête, j'imagine." Murmura un homme d'armes déconnecté. "Thibaud, Solenn et Laure ?"

Eugène ne fit que secouer la tête. Eux aussi ne s'en étaient pas tiré. Soupirant pour la forme, Merrick resta muet. Décidément, leur baraquement, là où ils dormaient, allait être bien vide. Finis les ronflements de Marius, terminé le babillage intempestif de Laure. La mort avait ramené le calme sur leur section de la caserne. Détaché, le futur coutilier ne fut pas attristé plus que de mesure par ces tristes nouvelles. Il s'y attendait. Aussi bien pour Marius, son fidèle ami que pour les autres. Et puis, il n'avait plus de larme à offrir... Au final, ce manque de présence dans son lieu de repos à la caserne n'était pas si grave. Après tout, ce n'est pas comme s'il la côtoyait bien régulièrement depuis qu'il s'était rapproché d'Estelle de Chantauvent.

Cette pensée amena son regard en direction de la principale concernée. Il fallait se le dire, elle était belle, à ses yeux, véritable rayon de soleil en ces jours les plus sombres pour l'humanité. Réalisant qu'elle se tenait loin de lui, qu'elle n'était plus attachée par un quelconque lien physique à son poignet, Merrick observa son poignet et le sien. Nulle trace du lien qu'il avait noué la veille. Il était probablement tombé, comme l'ensemble de ses connaissances -ou presque- au sein de la milice... relevant les yeux, il réussit néanmoins à lui offrir un triste sourire, inapte à dire quelque chose.

Avant qu'une quelconque parole ne puisse être échangée, un inconnu aux yeux de l'ivrogne vint s'entretenir avec la dame de Chantauvent. Ne reconnaissant pas le visage, le jeune homme fronça les sourcils. Combien d'habitués reviendraient à la Chope Sucrée dans les jours à venir ? Combien étaient morts décapités et inconnus dans cette foule sans cesse grandissante de cadavres en décomposition ? Est-ce que Lissandre serait trépassé ? Ce ne serait pas une si mauvaise nouvelle. Quoique, même si la vision de ce salopard lui donnait des envies de meurtre, une part de Merrick désirait le voir revenir et reprendre sa table habituelle. Si ce n'était pas pour lui, cette pensée l'était au moins pour Estelle. Dans les faits, l'unique personne qu'il aurait souhaité morte était bien vivante. De Miratour.

L'homme qui s'était adressé à la propriétaire de la Chope Sucrée, ou plutôt ce qu'il en restait était selon ses propres dires un travailleur du bois émérite. Ébéniste de profession ou de passion, ledit quidam semblait être en mesure d'aider celle qui avait sauvé une pléthore. Souriant et s'attendrissant devant pareil spectacle qui rendait grâce à la bonté de celle qu'il aimait, Lorren déchanta très vite en ramena cela à lui-même. Combien viendraient lui proposer son aide, alors qu'il brûlerait leurs femmes et leurs enfants sur les bûchers, tandis qu'il en avait sacrifié la grande majorité ? Aucun, car il était un bourreau et elle une héroïne.

Entendant un bruit au second et croisant le regard de celle qu'il aimait sans réellement la mériter, Merrick fronça les sourcils. Qu'en était-il réellement de ce bruit, de la raison pourquoi la rouquine lui avait refusé d'ouvrir les portes hier ? Tout d'abord, il avait pensé et cru que c'était pour lui éviter la vision d'horreur autour du puits. Aujourd'hui, il en doutait... "Eugène, pourrais-tu aller voir avec l'un ou l'autre de tes gars à l'étage ? Je crois qu'un problème s'y trouve... peut-être qu'Estelle pourrait t'expliquer la cause de tout cela ?" Lui-même n'était pas en mesure de comprendre, d'aider ou d'offrir une piste de réflexion, inapte à réellement comprendre ce qu'il y avait dans la salle d'eau. Probablement quelqu'un de vivant...?

En arrière champ, les camarades d'Eugène continuaient à récupérer les cadavres dans l'arrière-cour, traversant la cuisine pour aller les chercher et les ramener à l'extérieur par la porte d'entrée. " Je laisse cela entre tes mains et les vôtres, mademoiselle." Dit-il en offrant un clin d'œil à la dame de Chantauvent. "Pendant ce temps, laisse-moi simplement le temps de me décrasser rapidement et je vous suis." Sans attendre une réponse, et préférant ne pas couper la discussion d'Estelle avec son aidant qui continuait à déblatérer sans discontinuer, Lorren passa à côté d'elle, suspendant que très fugacement son mouvement vers la cuisine en lui offrant une pression qui se voulait encourageante et réconfortante sur le bras. Il aurait aimé lui parler, même s'il ne savait pas trop que lui dire. Or, elle était déjà le centre d'intérêt général. Puis, sans suspendre son allant, Merrick traversa la cuisine et s'engouffra à l'extérieur, dans la zone de mort où encore quelques cadavres, mais surtout le sang et les immondices en découlant était présent. Marchand au milieu de la mort, comme s'il en faisait partie, l'ivrogne alla au puits, remontant le sceau et s'aspergeant le visage ainsi que le haut du corps dénudé pour effacer les principales salissures de la journée d'hier.

Au milieu de cette scène macabre, Lorren n'en éprouvait plus rien. Était-ce un bon ou un mauvais signe ? Atone, amorphe et perdu, il continua ses ablutions jusqu'à leur dénouement. Enfilant sa chemise, tandis qu'il était encore mouillé, l'homme d'armes faillit entrer en contact avec un jeune milicien transportant son cadavre telle une jeune mariée. "Fais attention, petit, il risque de tomber" S'entendit-il prononcer de loin, attrapant le bras pendant du mort et le redéposant sur son corps. "Lui à au moins la chance d'avoir les deux..." Poursuivit-il pour la forme. Offrant une tape sur l'épaule à son homologue, l'ivrogne traversa la cuisine sans autre forme de procès.

Jaillissant de nouveau dans la salle principale de la Chope, Lorren alla récupérer son attirail qui traînait au premier palier. Ici son baudrier et sa lame, là son arc nouvellement acquis. Agissant sous l'œil scrutateur d'Eugène, qui semblait avoir laissé deux de ses hommes prendre les choses en main à l'étage, les bras croisés laissait voguer ses yeux d'Estelle à Merrick, réalisant la présence d'une pléthore de leur vêtement au milieu de ce capharnaüm sans raison apparente, l'ivrogne fut somme toute heureux de ne pas entendre de commentaire voltiger en sa direction, bien qu'il pouvait sentir le poids du regard de son comparse, mais surtout son jugement. Qu'importe, il ne comprenait pas et ne comprendrait jamais, lui l'homme marié et père de famille prospère.

-"Merci, oh oui m'mselle, merci ! J'le dirais jamais assez, merci !"

-"Je vous l'emprunte...!" Il était grand temps que ce soit à son tour de converser à Estelle de Chantauvent, non...? Devant son regard insistant, peut-être un peu maladif, voir quasiment fou, féroce et forcené, Lorren eu gain de cause. Ce n'était pas volontaire de sa part d'avoir l'air aussi éprouvé, ou acariâtre envers autrui. Toutefois, il ne contrôlait plus grand-chose de ses états d'âme, encore moins cette noirceur qui à la fois le minait et le rongeait et lui donnait des idées plus que sombres. "Je n'ai pas trop le choix d'y aller..." commença-t-il en grimaçant. "Ça risque d'être long, la chaîne de commandement semble disloquée avec la mort de beaucoup de coutilier et peut-être de serg..."

-"En effet." Commenta un Eugène encore suffisamment proche pour entendre.

Soupirant et coulant un regard au principal concerné, Merrick attrapa gentiment Estelle du bras pour l'éloigner des oreilles de son camarade. Autour d'eux, les volontaires ramassaient et s'activaient pour rendre son lustre d'antan à l'auberge. "Je ne serais que de l'autre côté de la place des pendus, à la caserne." Et de l'autre côté des bûchers funéraire, mais ça, il n'avait pas besoin de le dire. "Si jamais il y a quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me voir." Sa main, qui toujours agripper au bras de sa partenaire serra un peu plus fort, sans jamais chercher à lui faire mal. "J'insiste. Pour n'importe quoi, est-ce bien clair, Estelle de Chantauvent ?" Merrick Lorren ne voulait plus êtes absent au pire moment. Bien qu'il soit obligé de s'éloigner à cause de sa fonction, le fait d'être milicien avait aussi l'avantage de le voir généralement opérer dans les alentours de la Chope Sucrée et de sa propriétaire. Autant en profiter si besoin est, non ? "Je t'aime." Ça, ça avait été la partie facile à dire. La suite en était beaucoup plus difficile. Avait-il le droit de la proférer, aurait-il préféré ne rien dire ? "...Je reviendrais." Oui, mais jusqu'à quand se voilerait-il la face et serait-il en mesure de côtoyer celle qui était le meilleure pour autrui, alors qu'il représentait dorénavant le pire ?

Laissant de côté ces pensées pour un moment, il déposa ses lèvres sur sa joue. Trop de monde, trop de regards extérieurs les entouraient pour qu'il lui offre plus. Elle n'avait pas besoin, en plus de tout cela, d'une mauvaise réputation à cause d'un hypothétique, bien que véritable, lien hors mariage. "Prenez-en soin, monsieur !" Enchaîna Merrick en direction du travailleur du bois, tout en tapant le comptoir à ses côtés. Pour autant, en proférant ces mots, ses yeux ne s'étaient à aucun moment détaché de nul autre que d'Estelle de Chantauvent...

◈ ◈ ◈

Refermant la porte sur la Chope Sucrée, ses intervenants et sa propriétaire, Lorren se retrouva à l'extérieur, au milieu d'un champ de bataille et d'une fumée irritante. Toussant à cause d'une brève suffocation dut à la crémation des cadavres pèles-mêles, Merrick appuya son avant-bras sur sa bouche et son nez pour faire barrière à cette odeur rance de chaire brûlée et pour éviter d'inhaler encore plus de fumé. Plissant les yeux qui larmoyaient à cause de la boucane, l'homme d'armes grogna devant pareil spectacle. Un chiffre était illusoire pour réellement comprendre la quantité de morts dans cet événement tragique. La quantité de brasiers qui avait travaillé sans relâche toute la nuit durant suffisait à mieux définir le nombre astronomique de décédé dans cette offensive de la fange.

-"Tu devrais la demander en mariage une bonne fois pour toutes, Merrick. Ça parle dans la caserne et..."

-"Comme ça parle de mes hauts faits d'armes d'hier, c'est ça ?" Répondit-il agressivement.

Soupirant, Eugène leva les deux mains en signe d'apaisement. "Je ne cherche pas à te brusquer. Je ne fais que te dire qu'elle mérite mieux."

-"Sur ce point, on est d'accord. Bref, allons-y." Eugène parlait d'une vie dans les liens du mariage. Merrick pensait toute autre chose...

◈ ◈ ◈

La journée alla déclinant, tout occuper à déplacer corps, gravats et éléments détruit pour tenter de redonner son lustre d'antan à une place des chevaliers aussi malmenés que sa populace. Lorsqu'il n'était pas en train de faire la mule, Merrick ajoutait du combustible dans les bûchers pour assurer la combustion des décédés. Un smog noirâtre s'échappait de cette incinération de masse, venant couvrir la voûte céleste au-dessus de la place d'un nuage de cendre. Quelques-unes de cette dernière retombaient même sur les têtes et les épaules des personnes, tels des flocons de neige. En milieu de journée, il fut le premier interpellé et étonné d'entendre mentionner que le nouveau roi, sacralisé hier sans l'once d'une réjouissance, s'adresserait à son peuple ici même. Souriant d'un air torve et haussant les épaules, Lorren se remit à la tâche. Il comprenait maintenant pourquoi il tentait de rendre l'endroit plus salubre. Pour des mots et du vent.

Ainsi donc, présenté par son héraut, Sigfroi parla. Écoutant distraitement, plutôt en quête d'une chevelure rousse au alentour de la Chope Sucrée qu'il voyait au loin, l'homme d'armes ramena son attention sur le roi alors que celui-ci plantait genoux en terre. Réuni avec les autres héros et meurtriers de l'invasion, Silvur leur rendait un honneur qu'aucun roi n'aurait jamais fait, soit de plier et ployer l'échine face à certains de ces sujets. Tout étonné de pareil spectacle, l'ivrogne resta le regard fixe quelques instants avant de zieuter ses compatriotes. Certains étaient des connaissances, d'autres de parfait inconnu. Or, dans cette masse disparate, allant du va-nu-pieds au nanti, les réactions n'étaient pas les mêmes. Orgueil, fougue, haine, colère. Tristesse, fierté, douleur... tout un chacun vivait l'offensive de la fange et le contrecoup de ses actions différemment. Toutefois, après cette brève inspection et introspection de lui-même, aucun ne semblait vivre des aléas aussi destructeurs que les siens. Arrivaient-ils tous à faire la part des choses ou étaient-ils des comédiens hors pair ?

Reperdant de son intérêt pour les mots du roi lorsque ce dernier présenta la statue, Merrick fut tiré de ses pensées par l'annonce d'un couvre-feu général de deux mois durant. En cas de non-respect, la sentence était simple et irrévocable; la mort, le meurtre à vue. Laissant sa bouche choir tristement, Lorren secoua la tête, aux prises avec une triste dualité de problème. Premièrement, il ne pourrait pas rentrer tous les soirs à la Chope Sucrée. Alors que son service risquait d'aller en s'accentuant, à cause d'une perte d'effectif plutôt grande dans la milice, Merrick serait obligé de rejoindre sa caserne et non pas l'établissement d'Estelle. Deuxièmement, s'il tombait sur un innocent, un crétin aviné ou revenant de chez sa maîtresse, chose que lui-même avait déjà faite la nuit durant, il serait obligé de le passer au fil de sa lame. Ordre du roi, non ?

-"...Et merde..."

Ainsi pour Merrick Lorren, il fut impossible de rentrer le soir même de son départ à la Chope Sucrée. Oui, il avait promis à la tenancière qu'il reviendrait. Toutefois, impossible de se dresser contre les ordres d'une sergente qui les faisait courir à droite et à gauche sans discontinuer, jusqu'au milieu de la nuit, et aux ordres d'un roi fraîchement couronné, ayant sommé de tuer tout ceux qui ne respecteraient pas le couvre-feu. Confiné à la caserne, l'ivrogne pouvait voir l'établissement dans lequel il passait la très grande majorité de ses nuits sans pouvoir l'atteindre. Inapte à trouver le sommeil, ou ayant trop peur de ce dernier, le jeune homme juché sur son rempart surveillait le lieu auquel il n'avait pas accès, espérant ne pas voir une apparition inopinée devant l'enseigne. Se rendant compte de la futilité de son acte, incapable de percevoir le moindre mouvement dans cette noirceur environnante et sachant que l'ordre royal risquait d'empêcher tout mouvement de quiconque, Lorren partit en direction du réfectoire. Il devrait bien y avoir de l'alcool, non...?

◈ ◈ ◈

Finalement, ce n'est que le trois au soir que l'homme d'armes remit les pieds à l'intérieur de la Chope Sucrée. Fatigué par une journée de travail, mais surtout éreinté par une beuverie hier soir, Merrick n'en menait pas large. Même s'il avait l'habitude de la perfide morsure de l'ivresse, cette fois-ci, avec les récents événements et son esprit chambardé, l'alcool avait creusé de profonds stigmates. Sa mine pâle l'était encore plus, alors que son crâne l'élançait, comme s'il allait exploser, et que son cœur menaçait de quitter sa poitrine à tout moment. Dur métier, celui de milicien...

Poussant le battant de bois, rentrant dans l'auberge qui certes avait connu des jours meilleurs, mais semblait avoir meilleure mine -contrairement à lui-, le jeune homme ne vit aucune trace d'Estelle de Chantauvent ou d'une quelconque vie. Un feu crépitait dans l'âtre, unique trace d'une présence humaine ayant passé par là. Faisant quelques pas et déposant son barda sur une table redressée et réparée, Merrick enleva son ceinturon sa lame et déposa son nouvel arc. Le regardant durant quelques instants, il poussa un soupir. Cette arme ne lui appartenait pas et à chaque fois que son regard se déposait sur celle-ci, il revoyait le Chaudron, la mort et le sang. Pour autant, elle lui avait sauvé la vie. Autant qu'il la détestait, il en avait besoin. Car une part de lui voulait encore vivre...

Passant dans la cuisine en quête d'eau, Lorren ne put que se demander où était la rouquine. À l'étage, probablement. Après tout, ce n'était pas commun pour elle de n'avoir rien à faire à cette heure. Habituellement l'endroit aurait été bondé et Estelle n'aurait même pas eu le temps de s'arrêter pour souffler. Or, aujourd'hui, tout était différent. Trop différent.

Entendant des bruits, en direction de la salle principale, Merrick ressortit de la cuisine. "Bonsoir." Peut-être aurait-il dû se méfier. Avec raison ou à tort ? Il ne lui avait pas donné de nouvelle depuis son départ hier matin, revenait avec une gueule de bois apparente et tout ce qu'il trouvait à dire était un bonsoir bien vain. Les cheveux sale, le visage couvert de suie et les vêtements -dont il n'était toujours pas certain du propriétaire- sale comme jamais, Merrick Lorren laissa Estelle de Chantauvent s'exprimer.
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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptySam 23 Nov 2019 - 16:05


Estelle est un peu perdue, enlisée dans des sentiments contradictoires, irréalistes. Avait-elle envie de cet homme si proche, s’abandonner dans ses bras sur le sol froid témoin des horreurs ayant animés l’endroit. Avait-elle envie de fuir, de partir celui qui était là sans être véritablement là. Avait-elle besoin de sa présence, de sa proximité, de mots rassurants, compréhensifs, avait-elle besoin d’un meneur, de quelqu’un qui prend parfaitement les choses en main. Rien n’était pour autant si proche et si loin de cette envie, de cette nécessité. Estelle de Chantauvent, tenancière de l’endroit s’était ouverte, évoquant les faits avec une amertume, une culpabilité presque inégalée. La réaction ne fut pas celle attendue –autant qu’on pouvait supposément attendre une réaction d’un récit d’horreur-. La phrase répétée sembla la heurter, comme un reproche non dit, comme un sous-entendu qu’elle ne parvenait pas à identifier. « Tu n’as peu le courage de commander ». Était-ce un manquement, une manière pour lui d’enfoncer ce poignard imaginaire qu’Estelle ressentait s’enfoncer dans a poitrine. Oui, elle avait été faible, horriblement, oui elle n’avait eu que le courage d’ouvrir la porte, puis de la ferme, mais après, cela avait été trop, la rouquine avait été incapable de prendre des décisions, incapables d’animer, de commander, non, avait-elle eu trop peur, avait-elle encore peur. Cette phrase n’eut de cesse que de se refléter comme un écho désagréable, comme un meurtre se jouant en boucle dans son esprit entre son âme et son corps.

Son regard, presque agar, égarée entre l’amour et l’incompréhension n’avait de cesse de le détailler, de souligner sa silhouette, de vouloir éponger une souffrance qui ne disparaîtrait sans aucun doute jamais. Celle qui gérait la très célèbre –à ses yeux- chope sucrée semblait pour une des premières fois de sa vie, être incapable d’être forte, de prendre le relais, de soutenir, d’être là, véritablement là. Pourtant, Estelle ne désirait qu’une chose : soulager Merrick Lorren. Lui, le voulait-il seulement, en un instant tout venait une nouvelle fois de basculer dans son esprit. Il parlait de la douceur de ses mains, elle l’avisait avec une nouvelle forme d’incompréhension. Merrick souffrait, le percevait-elle avec le sentiment si atroce d’être incapable de le secourir cette fois, de ne pas avoir les mots, de ne pas avoir la force ni la capacité de le ramener dans l’instant présent. Ce fut une déception propre à sa personne, une culpabilité en plus qui sembla venir se déposer sur les épaules d’Estelle, alors que l’homme d’armes murmurait savoir avoir changé. N’était-ce pas une bonne chose ? Cela n’avait guère l’air de lui faire plaisir et celle qui ne trouvait définitivement plus le comportement à adopter face à lui conserva le silence, à défaut de trouver une autre solution.

Dans la poitrine d’Estelle, une danse indélicate se jouait, le pincement de l’amertume, le bonheur de le retrouver, la déception de ne pas être en mesure de le secourir, la rancune qu’il ne soit pas en mesure de la soulager. Ce ne fut que ce silence, qui restait là, planant dans l’air, ce silence qui prendrait sans aucun doute possession de l’ensemble de Marbrume. Estelle s’était mise à pleurer, réalisant qu’en ce jour, la ville avait perdu bien plus que des hommes, femmes et enfants, même les survivants seraient marqués de manières irréversibles. Enroulant ses doigts dans ceux de Merrick, laissant le haut de sa tête s’appuyer contre lui, Estelle aurait eu véritablement besoin du héros. Oui, mais ne pouvait-elle lui en vouloir d’être un homme, simplement un homme.


- « Ne me laisse plus Merrick, plus jamais, je ne veux plus ressentir cette peur de te perdre…
»
Comme un appel à l’aide, comme un aveu d’une crainte qu’elle redoutait, comme si elle avait conscience que la perdition de Lorren, risquait encore de l’impacter et qu’elle osait le supplier de lutter, de ne pas l’abandonner, pas encore, pas comme ça, pas cette fois.

La dame avait fini par s’assoupir, par se faire engloutir par des songes qui l’abîmeraient davantage, rythmé par une nuit de semi-réveils, que ce soit à cause des mouvements de celui dormant à ses côtés, de ses propres mouvements ou des vagues de sueurs et de larmes imbibant la totalité de son être. Estelle n’avait fini que par réellement se reposer sur le petit matin, un peu malgré elle, parce que le corps à besoin de repos et sait parfaitement le faire remarquer lorsque cela est nécessaire. La dame de Chantauvent avait donc sombré, sans préavis, sans possibilité de lutter avec ce vague à l’âme, cette douleur inexplicable et la certitude de perdre le peu qu’il lui restait. N’était-elle définitivement pas suffisamment bien pour Merrick Lorren, le pensait-il davantage maintenant qu’il était devenu un ‘sauveur’ ? Ou était-ce simplement ce que lui, lui avait toujours dit, son incapacité à s’engager, ses craintes et son besoin de fuir qui était une nouvelle fois responsable ?


◈ ◈ ◈

C’est le tambourinement discontinu de la porte de l’établissement qui la fit émerger, à moins que le réveil n’avait déjà été prononcé quelque temps avant et que bien trop occupé à aviser celui qui partageait encore le drap, elle n’avait pas souhaité se relever. C’est finalement avec cette même et étrange angoisse que la rouquine enfila ses vêtements, sans trop chercher à comprendre, sans trop chercher à avoir l’apparence presque parfaite qu’elle arborait généralement. Une main dans sa chevelure de feu lui avait permis de remonter l’ensemble, une jupe et quelques jupons furent passés, une chemise, puis un petit corset marron et la dame descendait déjà les quelques marches, non sans avoir avant tout ça aviser son amant. Merrick Lorren était devenu rapidement le centre d’intérêt presque unique de la dame, s’accrochait-elle de cette manière semi consciente à leur relation, comme une huître refusant de se faire agripper, d’évoluer, avait-il retourné la totalité de son existence en rentrant dans sa vie, ne pouvait-elle plus s’en séparer au risque d’être une nouvelle fois seule et en deuil. Estelle l’aimait définitivement d’un amour aussi aveugle que sincère, sans mesure, sans limites. Cette pensée lui tira un sourire, ne voyant sans aucun doute les risques que ce genre de sentiments pouvait entraîner. Presque naturellement, elle avait fini par ouvrir la porte, source du brouhaha, du réveil désagréable. C’est une troupe de miliciens qui avait fini par pénétrer dans l’établissement, l’interrogeant sur Merrick, puis sur les morts présents. Estelle s’était contentée de répondre le plus simplement possible, avant de laisser la plupart de la troupe retirer les cadavres.

Déglutissant, la dame semblait avoir du mal à réaliser, le contre coup était violent et jamais elle n’aurait cru être à ce point affecté. Régulièrement ses yeux semblaient être sur le point de libérer une multitude de larmes, régulièrement elle sentait sa gorge se nouer, ses muscles se contracter sans jamais pouvoir luter. Derrière son comptoir, la Chantauvent gardait cet espoir inconscient que Merrick reste à l’étage, qu’il y reste pour ne pas être embarqué dans son devoir, oui, égoïstement aurait-elle voulu passer la journée avec lui, égoïstement, sans aucun doute. Alors qu’elle allait accompagner l’ensemble dans la petite cour, la troupe se stoppa pour détailler celui qui venait de faire son apparition. Merrick fit involontairement les présentations. Eugène était un homme qu’il connaissait, un collègue et les autres sans doute aussi, s’en suivit un échange désagréable avec une réalité de mort bien trop présente dont Estelle préféra s’éloigner en accompagnant le restant jusqu’à la source du problème. Les cadavres.

Le vas et vient du désencombrement humain avait fini par commencer et bien loin d’avoir dans l’idée d’aider, Estelle fut surprise de voir arriver un homme qu’elle ne connaissait pas, père et époux d’une femme et d’enfants qu’elle avait hébergés durant la journée du drame. Inconsciemment, la rousse avait mis en place la totalité de ses mécanismes de défense : sourire, posture droite, visage bienveillant et rayonnant. Seuls les cernes sous ses yeux devaient trahir la dure réalité, oui, malheureusement. Sans jamais perdre Merrick Lorren des yeux, elle poursuivit la conversation, surprise de voir que cet homme était venu lui prêter main-forte, lui proposer de refaire son comptoir, les meubles, gratuitement. Son cœur avait fini par se serrer davantage, la proposition soulignant le fait qu’elle avait véritablement tout perdu et surtout, qu’elle ne possédait plus beaucoup d’argents non plus.

Ce ne fut que le bruit de l’étage qui lui tira une première grimace, puis une seconde lorsqu’elle se remémora le fou, le dérangé, l’illuminé qui prétendait avoir des réponses dans des croyances déviantes. Ne pouvant accepter davantage de sang, de mort, de bataille dans son établissement, Estelle avait supplié Merrick du regard, qu’il s’en occupe, qu’il le laisse fuir par la fenêtre ou que sais-je, mais l’homme d’armes ne sembla pas comprendre, enfonçant involontairement la dame dans cette étrange sensation, cet étrange désarroi. Le fameux Eugène avait fini par monter, sous le regard incrédule de la tenancière qui dans l’incapacité de bouger, n’avait pu que lâcher un soupir devant l’interpellation physique et audible qui se laissait entendre. Merrick avait disparu dans la cour, sans ne lui accorder davantage d’attention qu’une petite pression sur le bras auquel elle avait simplement souri.

Quelque chose en elle lui hurlait une rancœur, alors qu’une autre partie d’elle-même hurlait son besoin d’être auprès de lui. Estelle se l’était promis, elle n’attendait rien, elle ne lui imposerait rien et cette simple promesse commençait à devenir complexe à tenir. La conversation avec l’inconnu, moins inconnu avait fini par se poursuivre, l’homme s’étalant dans des idées toutes particulièrement agréable pour la chope sucrée avait-il prévu de lui réaliser un symbole spécifique à la chope sur chaque table, chaise et même en gravure sur le futur comptoir. Un travail gigantesque, dont elle se sentait dans l’obligation de participer financièrement. C’est presque naturellement qu’elle avait fini par évoquer qu’elle le rémunérait autant que possible et alors qu’il s’exclamait en remerciement, Merrick Lorren venait de refaire son apparition, la kidnappant enfin, pour échanger, parler, discuter. Si Estelle avait bien senti que Merrick n’était pas dans son état habituel, ainsi observé, se sentait-elle particulièrement impuissante. Dans ce même mécanisme de défense, elle se contenta de s’isoler avec lui, de lui offrir un sourire beaucoup plus sincère, avant de le voir disparaître à ses premiers mots : « je n’ai pas le choix de y aller » « ça risque d’être long »

Estelle sentie cette vague de déception, son cœur se faire douloureux, le masque venait de tomber et elle était absolument incapable de le maintenir face à lui. Le commentaire d’Eugène manqua de le faire succomber à son envie de lui exploser le crane à coup de Brigitte, mais ce ne fut que quelques pas plus loin, regard dans regard auprès de Merrick Lorren qu’Estelle se retrouve dans cet entre-deux, cette incertitude, ce besoin d’exploser et sa conscience qu’elle devait être forte pour deux. Jusque quand tiendrait-elle cependant ?


- « Juste de l’autre côté » répéta-t-elle dans cet état second « juste» souligna-t-elle « Oui, d’accord, je n’hésiterai pas »

Qu’il était complexe pour la rouquine de rester digne, de ne pas s’effondrer, de rester dans cette neutralité et cette affection débordante. Merrick n’était pas coupable, non, mais l’ensemble provoquait une peine qui devenait trop présente depuis le jour du drame. Estelle s’était contentée d’opiner, se recouvrant dans ce masque et ce personnage d’Estelle de Chantauvent, flamboyante tenancière de la chope sucrée. En venait-elle-même à douter que Merrick est finalement percé ce masque, remarqué. Elle lui offrit un nouveau sourire, osa venir déposer ses lèvres sur sa joue pour lui murmurer à l’oreille qu’elle l’aimait aussi, avant de reprendre dans une tonalité normale.

- « Je t’attendrais Merrick Lorren, ne tarde pas après le travail, c’est tout ce que je te demande, si le peuple de Marbrume à besoin de toi, moi aussi. »

Pour la première fois elle avait exprimé ce besoin, sans trop en dire, sans trop s’étaler, sans trop oser non plus. Estelle était triste, perdue, irritable, pour autant, jamais elle n’aurait imaginé que Merrick Lorren avait autant de pouvoir pour ses émotions. Le baiser sur sa joue ne fut pas particulièrement bien accueilli, aussi étrange que cela puisse paraître, à cet instant Estelle aurait voulu plus, aurait voulu assumer au grand jour ce lien, et ce mariage à venir, parce qu’il allait venir elle en était convaincue, naïvement. Son homme d’armes avait fini par disparaître, la laissant seule, encore. L’inconnu avait fini déjà par se mettre en œuvre, sortant les tables et les chaises, promettant à Estelle de tout refaire très vite et d’aller chercher de l’aide supplémentaire.

Estelle, elle, avait eu du mal à réaliser que Merrick était parti. Immobile, elle était restée dans cette position, cherchant un regard qui n’était plus sur elle, avisant une porte qu’elle commençait à ne plus pouvoir voir. Il était parti, faire son travail, aider la veuve, l’orpheline, les morts, aider tout le monde, oui, mais elle ? Égoïste, encore une fois, la douleur de la culpabilité n’en fut que plus grande.


- « Bien pendant que vous allez chercher de l’aide, je vais préparer des infusions, je pense même pouvoir retrouver une bonne bouteille de bière ! »

L’homme était parti, Estelle s’était retrouvée seule avec sa colère, son apparence et cette tentative ratées de pensée à autre chose.

◈ ◈ ◈

- « Ma p’tit dame, regardez-moi un peu cette table, j’ai terminé, elle vous plaît ? »

Estelle abandonna pour la première fois son attention de la place anciennement des pendus. Avisant celui qui tentait depuis le début de la journée de la faire sourire, ou même rire. La table était parfaitement, les gravures sublimes et rien que cet œuvre lui avait pris un sacré moment en réparation et réajustement. Tous, parce que l’établissement était étrange bondé de monde était au travail, tous, tentait de rendre sa gloire d’avant à la chope sucrée. Pourtant, la principale intéressée peinait réellement à faire bonne figure, à s’enthousiasmer, comme elle aurait dû le faire. Ce n’est qu’après plusieurs minutes de silence que le gaillard, armée d’une infusion d’eau chaude vint s’installer non loin d’elle.

- « Il va r’venir le milicien, en attendant, c’est à moi qu’il vous a confié, alors buvez un peu et regardez votre établissement, il sera remis en état en un rien de temps ! Et ce soir, votre homme, c’est v’tre homme hein ? Il reviendra et vous pourrez lui en mettre plein la vue et tout recommencer ? »

Les lèvres d’Estelle s’étaient pincées, elle était reconnaissante à celui qui tentait tant bien que mal de se montrer rassurant, tolérant, présent. Ce fut après une bonne infusion qu’elle retrouve finalement son rythme, accueillant et offrant gratuitement à boire –ce qu’il restait- à tous ceux présents pour venir prêter main forte. Finalement, qu’une table et quatre chaises furent un état à la fin de la journée, le sol également, le reste des meubles avaient été évacué dans le commerce du brave homme. La nuit avait fini par poindre et tout le monde avait fini par disparaître, oui, tout le monde.

- « Vous êtes certaine, vous ne voulez pas que je reste ? »
- « Non il va rentrer, il me l’a promis » murmura-t-elle
- « A demain ma bonne dame ! »
- « À demain et merci.. »

Estelle se retrouva seule, avec cette promesse pesant si lourd dans sa poitrine. Elle verrouilla la porte, consciente que Merrick Lorren ne viendrait plus, consciente oui, mais conservant cet espoir naïf, beaucoup trop qu’il allait arriver, oui il devait arriver. Installée à une fenêtre de l’étage, dans une chambre qui n’avait connu aucun rangement, Estelle surveillait, Estelle espérait, Estelle était déçue. Elle s’endormit juste là, dans cette position inconfortable, les yeux gorgés de larmes qui refusaient une nouvelle fois de couler, de dévaler ses yeux. À son réveil, Merrick Lorren n’était pas là et il ne le serait pas pour le restant de la journée.

◈ ◈ ◈

Estelle avait fini par oublier, s’oublier, ne plus penser, le rangement fut intense et rude, les hommes avaient fini par rapidement revenir au petit matin pour astiquer, nettoyer, balayer. Un collègue tenancier plus loin lui avait fait parvenir un peu de marchandise en soutient et elle, elle avait passé la plupart de sa journée à ranger, tout ranger, presque mécaniquement, hystériquement. À aucun moment, la dame n’avait essayé de prendre contact avec Merrick, promesse intenable qu’elle s’était faite, tâchant de comprendre et d’intégrer l’idée qu’il était milicien, qu’il avait du travail, oui beaucoup de travail. En cette journée du trois mai 1166, Estelle n’avait pas fait de pause et ce ne fut qu’après une très longue journée que la chope retrouva sa beauté passée. Il restait encore des meubles à livrer, des couches à réparer, mais globalement, l’établissement était propre, rangé et avait de quoi de nouveau offrir quelques boissons. Tous semblaient subjuguer par l’efficacité de celle qui le jour d’avant avait semblé si éteinte, tous sans exception oui. La dame avait fini par libérer l’équipe en milieu d’après-midi, avouons sans grande honte avoir besoin de se reposer et soulignant qu’il serait plus efficace dans leur atelier. C’était évident. Tous avaient acceptés, disparaissant non sans s’assurer que la dame encore seule allait bien.

Peu de temps après, alors qu’Estelle était installée à son comptoir, cherchant à se rassurer vis-à-vis de l’état de ses comptes, de sa marchandise, elle releva précipitamment le nez au bruit de la petite clochette. Avait-elle eu l’espoir de voir Merrick Lorren, espoir rapidement envolé, trop sans aucun doute, devant ce visage inconnu.


- « Bienvenue à la chope sucrée » tenta-t-elle « Navrée, nous n’avons plus… »
- « Il est là ? » le coupa l’homme d’un certain âge
- « Qui ça ? Non il n’y a que moi »
- « Je cherche l’équipe, les sauveurs là, on m’a dit que je pouvais en trouver un ici, j’veux le voir. »
- « Il est… » elle n’en savait rien dans le fond « pas ici, mais je peux vous aider ? »
- « Vous n’avez pas honte de fréquenter un meurtrier ?! Ah parce qu’on le connaît ici le soûlard qui s’fait passer pour un héros, on le connaît oui ! »

Estelle avait froncé les sourcils, ses doigts s’enroulant inévitablement autour du manche de Brigitte. Ce n’était clairement pas le jour, ni l’heure, ni le moment et ce ne fut qu’une parole qui vint la brutaliser plus que tout le restant.

- « Va-vous inquiétez pas, j’le retrouverais a la caserne en train de s’enfiler une bouteille, comme hier soir ! Dites-lui bien qu’il a la salutation de ma fille, ils ont choisi de la tuer ouais.. De la tuer »

Une nouvelle fois, l’établissement fut saccagé par la colère d’un homme ayant tout perdu et l’unique chose qui chamboula réellement Estelle fut cette simple phrase, une bouteille hier soir à la caserne. Elle sentit ses jambes défaillir, perdre le contrôle et quand elle reprit conscience, tout le rangement de la chope était à recommencer et cette fois-ci, pensait-elle que Merrick Lorren avait délibérément choisi de ne pas rentrer. C’est dans un état second qu’Estelle avait fini par ranger, encore, peu avant que la nuit tombe elle avait fini par terminer, s’autorisant un bain dans la salle d’eau réparée et réorganiser, restant le liquide chaud, elle eut cette envie de plonger la tête sous l’eau de ne jamais la remonter, jamais, mais la force de l’esprit avait eu raison d’elle et c’est en prenant une grande respiration que sa chevelure rousse humide était sortie du liquide.

◈ ◈ ◈

C’est le bruit de la clochette, juste au moment où elle avait sorti la tête de l’eau qui l’a fit réaliser que quelqu’un venait de rentrer. Estelle n’osait plus réellement avoir l’espoir de voir son milicien, pour autant, elle s’était contentée de sortir de l’eau, de s’enrouler dans une serviette, de s’essuyer un peu les cheveux d’enfiler une robe longue et fluide avant de descendre les marches pour se retrouver pied nu dans la pièce principale. Là, elle attendit, avant d’entendre la voix qu’elle ne connaissait que trop bien, son cœur s’emballa presque immédiatement alors qu’elle offrit un sourire à celui qui venait de la saluer « bonsoir » c’était tout ? Absolument tout ? Elle, elle n’eut aucun mort, alors qu’il venait de rentrer dans son champ de vision, aucun commentaire vis-à-vis de son état de sa pâleur. Celle qui avait voulu croire que l’homme triste de la journée ayant saccagé l’ensemble était un menteur se retrouva confrontée à une réalité douloureuse. Ce fut le silence, encore, ce même silence qui semblait lui coller à la peau. Il était là, non loin d’elle, si proche, si loin, elle était en colère, sans oser l’exprimer par peur de le voir disparaître, elle était triste et désemparée et pour autant ce n’est rien de tout ça qui s’échappa de ses lèvres.

- « Tu peux monter, l’eau est encore chaude, je te ramène une infusion avec les plantes pour la douleur à ta tête… Et des vêtements propres. »

Voyait-il la déception dans le fond de ses yeux, voyait-il le tremblement de ses mains signe de cette colère triste. Estelle était restée immobile, juste là, avec cette envie de venir se blottir dans ses bras, cette envie de le repousser, de crier, de hurler, de pleurer. La rouquine avait fini par se déplacer, lui offrant un sourire à sa hauteur, venant simplement effleurer ses doigts des siens, offrir un peu de tendresse, un tout petit peu, se faisant violence pour être cette femme forte, cette femme horriblement forte –qui pourtant commençait à s’effriter-.

- « Dépêche-toi, l’eau va refroidir, profite en pour te détendre un peu, cela a dû être éprouvant cette charge de travail… » Estelle faisait le choix de jouer l’idiote, celle qui ne savait rien alors qu’elle savait tout – ou pensait le savoir- et puis comme si elle avait hésité, alors qu’elle s’était éloignée, elle avait légèrement pivoté vers lui « Merrick ? » te forces-tu à revenir ? c’est ce qu’elle aurait voulu lui demander, au lieu de ça, elle fut plus douce « Tu m’as manqué… Je me suis inquiété… Tu devrais monter te détendre, j’arrive. Tu as faim ? »

Un énième conflit n’était pas envisageable, Estelle ne s’en sentait tout bonnement pas capable, elle voulait profiter de lui, juste de lui, ainsi elle s’autorisa un sourire mi triste, mi-heureux de le retrouver avant de s’engouffrer dans la cuisine. L’idée que Merrick Lorren n’était pas heureux commençait à devenir une obsession, comme une réalité étrange, une réalité qui en devenait dérangeante. Se forçait-il ? L’aimait-il ? Avait-il quelqu’un d’autre ? Cette dernière interrogation qui pourtant n’était pas du tout son genre avait fini par la blesser, elle aussi et plus tôt que d’en parler, plutôt d’évoquer tout ça, chercher à comprendre, elle préféra enfouir sagement l’ensemble dans son esprit. La dame avait pris un plateau, déposé deux tasses d’infusions chaudes, dont une ou elle avait rajouté des plantes connues pour adoucir les maux de tête. Elle y avait rajouté des tartines, avec le pain d’hier qu’elle avait acheté pour faire une surprise à Merrick, il avait un peu durci, mais cela ferait l’affaire, un peu de viande séchée sur l’ensemble et hop le tour était joué. Estelle avait rapidement monté les marches et choses étranges, avait frappé à la porte avant d’entrer –si l’autorisation avait été formulée-, refermant derrière elle, elle avait déposé sur un petit tabouret qu’elle avait rapproché du bout du pied de la bassine l’ensemble du plateau.

- « Et voilà monsieur Lorren, quelques morceaux de pain, de la viande séchée et de quoi faire disparaître le mal de tête » souffle-t-elle « Le pain est un peu dur il est d’hier » elle ne précisera rien de plus « Tu veux que je te laisse te reposer ou je peux rester un peu ? »

Encore une fois, Estelle ne savait pas, plus comment se positionner, elle ne le dévorait pas des yeux, évitez de trop regarder sa silhouette très certainement dévêtue. Elle était inquiète, ne savait plus ce que Merrick voulait ou non, ne voulait-elle pas paraître envahissante, étouffante… Aussi se contenta-t-elle de garder un sourire fixe, tout en s’occupant en attrapant sa propre infusion d’eau chaude.

- « Comment tu te sens ? Ce n’était pas trop difficile ? » questionna-t-elle « Tu sais, je me disais que… » non, elle renonça rapidement à l’idée, il avait besoin de temps elle essayait de le comprendre « En rangeant, j’ai trouvé notre ‘ruban’ je l’ai coupé en deux, comme ça tu peux en garder une partie avec toi… Si tu en as envie… » elle sortit l’ensemble de sa poche pour le déposer sur le plateau, conservant l’autre partie pour elle « C’est ridicule je sais, ça ne veut rien dire, c’n’est même pas, mais… » elle sentit son esprit s’embrouiller, sa nervosité resurgir alors elle préféra changer de sujet « Enfin, je dois te faire mal à la tête à force de parler comme ça, tu as tout ce qu’il te faut ? Je peux même te frotter le dos si tu veux, mais il ne faudra pas trop t’habituer… »

Malgré l’apparence sereine qu’elle essayait de dévoiler, Estelle était inquiète, ne s’était pas véritablement approchée et trifouillé le bas de sa robe du bout des doigts pour s’occuper les mains, son regard vagabondait partout, sauf sur Merrick, hormis en effleurant de temps en temps ses yeux, mais rien de plus. Une fois son récipient entre les mains, elle ne concentrait plus que sur celui-ci et la fumée qui s’en dégageait.

- « Les meubles devraient être refait pour la fin de la semaine… » peut-être que cela l’intéressait, ou peut-être pas dans le fond elle sentit une nouvelle fois sa gorge se nouer et ce fut finalement cette phrase qui claqua dans l’air sans qu’elle ne parvienne à la retenir « Est-ce que tu es heureux d’être avec moi ou te forces-tu Merrick ? Si c’est un poids pour toi, je peux l’entendre, je sais que je suis loin d’être à ton niveau, surtout maintenant et je ne veux pas être ton boulet, ou tes chaînes, alors je peux l’entendre. »

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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyDim 1 Déc 2019 - 6:31
Est-ce que Merrick Lorren voulait la revoir ou non ? Question difficile s'il en est, alors que de se retrouver devant Estelle de Chantauvent, celle qui représentait à ses yeux l'individu exemplaire, le torturait aussi fortement que cela l'apaisait. De fait, retrouver la propriétaire de la Chope Sucrée était comme de rentrer chez lui, de se situer là où il rêvait d'être. Or, le milicien avait conscience qu'il ne devait pas mélanger rêve et réalité. Ne pouvant oblitérer ses actions qu'il jugeait monstrueuses, Merrick souffrait d'être au côté de celle qui lui rappelait sa fourberie de par sa vertu. En un sens, il avait conscience qu'il était stupide de vouloir prendre la fuite de cette relation pour si peu. Mais les maux de son esprit étaient suffisamment grands et agressants pour qu'il ne réfléchisse plus clairement.

En outre, une part de lui était faite et remplie d'aigreur. Lui était un monstre qui avait dû se salir les mains et assassiner son prochain. Elle ? Une femme qui avait sauvé une pléthore d'individu et qui n'avait pas eu à s'employer pour décapiter ou tuer. Une véritable héroïne. La preuve ? L'aide que la rouquine avait eu le lendemain, bien que l'ont soit directement après les événements. Précédemment, Il avait été un client et une tenancière. Puis, ils étaient devenus en quelque sorte des amants, voire de futurs mariés. Mais dorénavant, que restait-il réellement d'Estelle de Chantauvent et de Merrick Lorren ? Il ne pouvait le dire ou parler pour elle, mais l'ancien milicien n'était plus. Aujourd'hui il n'était plus qu'un homme d'armes rongé par les remords. Il ne lui restait que le désespoir et sa haine contre lui-même.

Ses salutations bien insipides restèrent entre eux, au point mort tel un poids mort. Ne faisant rien pour crever cet abcès de silence, Merrick plongea ses yeux dans ceux de sa vis-à-vis. Que voyait-elle de lui, elle ? Fixe, muet, se sentant aussi sale à l'intérieur qu'à l'extérieur, alors que la suie des feux bûchers maculaient ses vêtements et son faciès, il attendait. Quoi, précisément ? Dur à dire. "Merci." Cela avait été dit sur un ton neutre, tel un client remerciant une serveuse quelconque, ce qu'elle n'était aucunement, pour sa commande. Estelle le connaissait bien, pour percevoir son mal de tête derrière son masque de saleté et les âpretés que ses affectations lui avaient fait subir. Percevait-elle sa gueule de bois ? Probablement...aussi bien par expérience professionnelle que par sa connaissance de ses propres traits de visage. Se massant l'arête du nez durant un bref instant, lorsqu'elle mentionna l'infusion qui l'aiderait potentiellement à diminuer ses maux de tête, il sourit avec aigreur. Jusqu'alors, Lorren avait vécu dans un rythme de vie répétitif. L'alcool pour oblitérer ses cauchemars et les plantes de la dame de Chantauvent pour atténuer les effets de l'alcool. À présent que l'ivresse ne suffisait plus pour repousser les affres de ses péripéties toutes morbide et sanglante dans le Chaudron, comment les plantes pourraient-elles, elles, aussi suivre la cadence et le rythme de cette décrépitude de son être qui s'effectuait ? Une longue et profonde réflexion qui ne dépasserait pas la barrière de ses lèvres. Cela ne serait que superflu, qu'une simple et bien vaine futilité. Un peu comme son existence, non ?

Puis, Estelle de Chantauvent mentionna des vêtements propres. Lui en voulait-elle d'avoir sali ces frusques de ses frasques ? Il s'était bien souvent senti frustré de se sentir trop rustre pour remplacer son défunt époux. Était-ce les vêtements de cet être qui marquait encore le présent de sa vie passée ? Il ne le savait pas, il ne le savait plus. Et puis, se laver lui et se changer, est-ce que cela ferait partir le sang que le jeune homme avait sur les mains ? Il en doutait amèrement.

Non, Merrick Lorren ne voyait rien des états d'âme de celle qu'il aimait. Trop obnubilé par ses propres problèmes et émotions troubles pour voir ne serait-ce que l'once d'une inquiétude ou d'une émotion néfaste chez la jeune femme. Tout ce qu'il voyait, c'est qu'elle avançait vers lui, qu'elle venait frôler ses doigts avec sa main, sans offrir plus, ou peut-être oser plus. Est-ce qu'il la dégoûtait ? Il n'en était pas certain. Et en un sens, il lui en voudrait autant de répondre négativement que positivement. "Merci." Répéta-t-il un peu plus doucement, comme si les marques de politesse étaient les uniques mots encore présents dans son vocabulaire. Puis se raclant la gorge, sachant qu'il devrait tôt ou tard en dire plus, en offrir plus, il enchaîna avec une douce ironie macabre, teintée de fiel et d'aigreur, sur un sourire aussi acariâtre qu'amer ; " J'ai connu nettement pire comme charge de travail." Comme de massacrer femmes et enfants quelques jours avant, pensa-t-il. "Les mettre sur le bûcher était moins compliqué que..." de les tuer, ne finit-il pas, réalisant qu'il parlait à voix haute. Voilà que ses pensées s'échappaient désormais de son esprit pour se répandre et répondre aux interrogations verbales des autres. Perdait-il la tête pour ne plus être capable de se taire ? Sa conscience s'effritait-elle au même rythme que sa moralité disloquée par ses méfaits ? "...Je n'ai pas faim, merci... toi aussi...je monte." Finit-il par dire en partant vers l'étage. La fuite encore et toujours. Ça, ça ne changerait jamais chez Merrick Lorren.

◈ ◈ ◈
À l'étage, il ne lui avait pas été long de se dévêtir et de plonger dans l'eau encore chaude, mais non brûlante, que la dame de Chantauvent venait tout juste de quitter à son arrivée. Ses vêtements, qu'il avait laissés chuter ici et là sur son chemin vers la bassine, traînait et laissait entrevoir le chemin qu'il avait emprunté pour se glisser dans l'eau qui fumait encore modérément. Ses bras au fond du contenant, c'est sa nuque qui supportait l'ensemble de son poids, gardant sa tête immergée de peine et de misère, à mesure que son corps glissait vers l'avant. Sans lutte, ou ne serait-ce que broncher, il se laissa submerger par le liquide. Sous l'eau, il espérait trouver la quiétude. Tout ce que Merrick trouva fut le manque d'oxygène.

Jaillissant de cette inertie apathique, qui l'avait conduit jusqu'à l'apnée, Lorren creva les flots. Ces derniers n'étaient guère profonds comparativement aux abysses dans lesquelles il baignait depuis son retour du Chaudron, mais son cerveau était inapte à le laisser se noyer. Dès lors, sa conscience ne pouvait-elle pas faire preuve de la même résilience pour lui éviter de finir submergé par ses états d'âme ? Toujours est-il, qu'il n'était pas l'heure de ces questionnements métaphorique. La réalité se rappelait à lui sous la présence de nul autre d'Estelle de Chantauvent, qui avait fait son apparition de l'autre côté de la porte, cognant au battant pour signaler sa présence. Ne disant rien, pensant qu'elle voulait simplement se faire entendre avant de rentrer, pour éviter de lui faire peur, l'ivrogne resta stupéfait de ne pas la voir ouvrir la porte. Que faisait-elle ? Attendait-elle réellement une invitation...? "Si vous n'êtes pas rousse, passez votre chemin. Sinon, vous pouvez entrer !" Lui lança-t-il de l'intérieur. Les mots pouvaient possiblement laisser présager qu'il supplantait quelque peu ses tourments. Pourtant, l'homme d'armes s'était moins exprimé sur le ton de l'amusement que du sarcasme devant pareil retenu.

Ne se passant aucunement une main dans la chevelure pour redonner de l'allure à sa tignasse écrasée sur son crâne, le futur coutilier la regarda passer l'ouverture. Sa barbe qui devenait hirsute était aussi emmêlée qu'inégale. La fierté qu'il déployait généralement à paraître sous son meilleur jour était complètement volatilisée. Récupérant, l'infusion, mais ne touchant pas la nourriture, il prit une longue rasade du breuvage chaud en fermant les yeux. Aussi vite que ceux-ci s'étaient fermés, ils se rouvrirent. Non, cela ne changerait rien. Cela ne changerait plus rien, pensa-t-il en redéposant la mixture sur le plateau. "Tu peux rester." Court, concis, banal. Était tout ce qu'il était encore capable de déployer comme conversation ? Pour le reste, Lorren ne sentait pas forcément la nécessité de répondre. Que le pain soit dur ou non, qu'importe. Il n'en mangerait point. Non pas qu'il n'appréciait pas l'intention, mais il ne pouvait tout simplement rien, avaler. Était la faute aux remords ou à la gueule de bois ?

-"C'était beaucoup de chose à faire en peu de temps. D'ailleurs, ça risque de continuer comme ça pour encore plusieurs jours." Il y avait eu trop de morts et plus assez de bras pour aider à réguler la situation. Au moins les bûchers sur la place des chevaliers étaient disparus. Il ne subsistait désormais plus que certains endroits où les crémations continuaient. C'est-à-dire à l'ombre des regards, là où l'opinion publique ne serait pas dévastée à voir leur compagnon d'infortune finir en cendre. Chose qui n'était évidemment pas cachée à l'attention de la milice, transformée pour l'occasion en une troupe de fossoyeurs convoyant les cadavres décapités jusqu'à leur dernier repos dans les flammes. Il finira bien par ne plus en rester." Termina-t-il en haussant les épaules. Est-ce qu'Estelle réalisait qu'il parlait de la montagne de cadavre qui leur apportait un lot conséquent de travail ?

-"Comment est-ce que ça s'est déroulé ici ? Il me semble que ça n'a pas trop avancé... l'aide est parti tôt après mon départ ?" Évidemment, l'homme d'armes ne pouvait savoir que sa "réputation" avait guidé un enragé jusqu'à la Chope Sucrée et que ce dernier avait malmené les efforts de toute une communauté venue épaulée Estelle. Peut-être qu'il l'apprendrait là, maintenant. Ou peut-être pas. Mais au final, ce n'est pas une découverte négative supplémentaire qui le tuerait, non ?

La suite s'articula autour du ruban, de cette pièce de tissu qu'ils avaient noué hier en se retrouvant. Pourquoi aujourd'hui ne pouvait-il pas faire pareil, oublier et se perdre dans les bras de la rousse ? Simplement parce que la joie de la voir en vie s'était fâcheusement atténuée. Non pas qu'il n'était pas heureux, mais simplement que la force de cette découverte et de ses premiers instants s'était estompée. Pour autant, il ne refuserait évidemment pas ce gage. Celui-ci était après tout aussi important pour elle que pour lui, même si a présent il doutait sérieusement de pouvoir aller plus loin. Du moins, pas sans avoir réglé ses propres ressentiments envers on être pour les ignominies commises. "Ce n'est pas ridicule." Dit-il pour la première fois avec une honnêteté qui contrastait avec son ton ultérieur. "Ma tête devrait survivre à tes paroles..." Tenta-t-il avec un maigre sourire en vain. "J'ai tout ce qu'il me faut." Poursuivit-il en fermant les yeux. "Je n'ai besoin de rien présentement." Mis à part d'oublier tout et à tout jamais.

Encore une fois, narcissique et concentré que sur ses maux, que sur lui-même, Merrick Lorren n'avait rien vu, n'avait aucunement perçu la détresse de sa compagne. "C'est une bonne chose." Tenta-t-il en hochant la tête à la nouvelle que les meubles seraient refaits la semaine suivante. Alors qu'Estelle n'avait pas réussi à retenir sa phrase, lui ne s'y était pas attendu. Récupérant son infusion pour s'abreuver, il suspendit son geste, là, la tasse entre ciel et terre, entre le plateau et sa bouche. Avait-il réellement bien entendu ? Soupirant, il redéposa le contenant et son contenu sur le tabouret et se passa les deux mains sur le visage, frottant comme effacer toute trace de marasme sur son faciès. Plus facile à dire qu'à faire.

-"Ce n'est pas toi, c'est moi..." À dire vrai, ce n'était pas la première fois qu'il disait ça à l'une de ses conquêtes, mais cette fois-ci, il le croyait vraiment, bien que la phrase soit excessivement clique. "Je refuse que tu te penses au même niveau qu'un ivrogne, qu'un ancien coureur de jupons, qu'un couard et qu'un tueur." Si elle ne voyait rien de tout cela en lui, le jeune homme était en mesure de se juger. "Tu n'es pas à mon niveau, tu es largement au-dessus. Ça à toujours été le cas et je l'ai toujours dit. Mais là, c'est pire. Affreusement pire. Estelle je... je ne me reconnais plus. Je suis un monstre, point final." Qu'importe ce qu'elle dirait, c'était à ses yeux la triste réalité. Lui faisant face comme il pouvait, il poursuivit d'une voix atone; " Je suis l'homme le plus heureux sur terre d'être avec toi. Mais j'en souffre aussi... tu as toujours été là pour ton prochain, alors que moi, jamais. J'ai abandonné ma famille à la mort, alors que déjà, au premier jour de notre rencontre, tu m'embrigadais à aller servir les restants de nourriture de la Chope aux pauvres..." Son ton s'accélérait et son visage se crispait. "Il y en a eu plein de moments comme ça... par exemple, lorsque nous avons tenté de fuir au Labret, j'ai tué De Marais, tandis que toi tu as sauvé Harmonie en la faisant rentrer dans l'auberge. Nous vivions les mêmes tourments, pourchassés par les fangeux, et pendant que j'abandonnais mon prochain, toi tu sauvais une jeune fille !" Cette fois-ci, sa rage contre lui-même creva son inertie et d'un poing rageur il frappa la surface de l'eau. "C'est à se demander qui est la tenancière et qui est le milicien..." Dit-il en secouant la tête, non pas pour dénaturer son gagne-pain, mais plutôt pour relativiser sa propre incompétence. Ayant commencé à parler, Lorren sentait qu'il ne pouvait s'arrêter. Il devait continuer, quitte à tout perdre. "Et hier, pendant que je tuais tout le monde dans le Goulot, tu ouvrais les portes de chez toi pour faire rentrer le plus grand nombre possible de réfugiés !" Il redressa la tête. Pourquoi des larmes coulaient sur son visage ? Il n'était plus l'heure de l'apitoiement contre lui, mais plutôt de la haine contre son être, décida le futur coutilier en essuyant rageusement ses perles salines. "Tu attires les regards et l'aides des autres. La preuve dès ce matin, alors que moi, je n'offre que la mort à mes proches... ma famille, mon coutilier, Marius, sa fille, Arti, De Marais... personne ne me survit." Voyait-il tout noir ou commençait-il à voir clair ? " Oh oui, on parlera peut-être de moi comme d'un héros, mais personne ne me remerciera pour ce que j'ai fait. Personne ne viendra célébrer ou réparer un quelconque meuble pour mes actions. Pourquoi ?" Questionna-t-il avec véhémence. " Parce que mon "héroïsme" s'est inscrit dans le sacrifice des autres. Alors que toi, ton altruisme fut fait dans l'entraide envers ton prochain."

Sans plus attendre, il se leva, sortant de la bassine et s'enroulant une serviette autour de la taille. Humide, laissant de l'eau partout, alors qu'elle coulait de son corps, il poursuivit avec une agressivité non dissimulée. " Je me déteste au point d'en mourir." Secouant la tête, regardant ses pieds, il termina: "Alors oui je suis profondément heureux avec toi, Estelle de Chantauvent. Mais je suis complètement malheureux de devoir vivre en étant moi-même, en me disant que je mine ton existence." Récupérant la section de ruban qui lui appartenait, il resta quelque temps silencieux, peut-être en attente d'une réponse qui ne viendrait possiblement pas. "Je vais redescendre. Il doit bien rester une bouteille d'alcool quelconque..." Merrick Lorren n'attendait pas réellement une réponse à cette prise de parole.

L'homme d'armes trouva ce qu'il cherchait après quelques instants de recherche. En outre, il ne remonta aucunement pour dormir, ne sachant guère qu'elle était désormais la place qui lui revenait de droit.

◈ ◈ ◈
Grognant et sortant de sa torpeur, Merrick Lorren fut tiré de son sommeil par un tambourinement contre le battant d'entrée. Relevant la tête, qui l'élançait encore plus qu'hier soir, de la surface de bois qui lui avait servi d'oreiller, l'ivrogne se passa une main fatiguée sur le visage. Par la Trinité, il s'était assoupi dans la salle en bas, cuvant son alcool... "J'arrive, j'arrive !" Bougonna-t-il un peu plus fort en direction de l'inopportun qui se faisait entendre. Se relevant lentement, attrapant sa chope ébréchée pas encore vide, le jeune homme ouvrit la porte et s'appuya au rebord de cette dernière face à son homologue.

-"Bon matin !"

Éblouit par l'astre solaire, plissant les yeux pour essayer d'apercevoir qui était le joyeux luron à venir crever la nappe de son coma éthylique, il lui fallut plusieurs longues secondes avant de reconnaître le brave homme qui était charpentier. Lui offrant un sourire crispé, le milicien répondit d'un lent et bien simple mouvement de tête.

-"Dure soirée, hier ?" Demanda-t-il intrigués en voyant probablement son état et sentant potentiellement les effluves des spiritueux en tout genre que l'homme d'armes avait ingurgités.

-"On peut dire ça..." Puis soupirant, il se recula. "Vous venez pour les réparations, j'imagine ?"

-"Tout juste ! Hier j'ai oubl...par la Trinité ! Que s'est-il passé ici ?!"

Riant avec amertume, croyant en la dérision de son homologue, tandis qu'il retournait se laisser tomber dans sa chaise pour continuer à boire en paix, Merrick répondit d'un geste vague de la main. "Une attaque de la fange sur le Goulot. Vous avez entendu parler ?"

-"Je ne parle pas de ça, bon sang ! L'endroit avait été remis en état entre-temps. Il en devenait presque convenable..."

Assis, ne sachant trop que dire ou que faire, Lorren fit tourner le liquide dans son godet, avant de relever les yeux sur son homologue et de répondre lentement. "C'était comme ça quand je suis rentré hier soir...Estelle ne m'a rien dit." Que lui avait-elle caché ?

Se triturant la moustache, contemplant le désastre, les efforts d'une pléthore d'aidant mis à néant par un quelconque mécréant, comme si une tornade était venue balayer les prémices de nettoyage fait, le regard du charpentier finit par s'illuminer. Se tapant le front, puis prononçant un nom, l'individu finit par se mordre la lèvre inférieure. Gauthier..."

-"Qui est Gauthier ?" Demanda Merrick Lorren en se relevant, le regard noir.

Son vis-à-vis se mit à déblatérer rapidement, comme pour se dédouaner de la situation. "Un ami...enfin, plutôt une connaissance ! Il ne vit pas très loin en amont, par là-bas." Avoua-t-il en pointant vers le nord. " Il semblait particulièrement en colère contre vous...enfin, votre groupe, là. Pour ce que vous avez... pour les sacrifices que vous avez été obligé à faire. Je...je crois qu'il a perdu sa sœur. Eh, monsieur, vous allez où ? Eh ?... Et merde !" Jura celui qui ne savait plus quoi faire. "Eh, madame ? Madame !" Tenta-t-il d'appeler Estelle de Chantauvent à partir de l'étage inférieur.

Sans se retourner durant la fin du discours du charpentier, Merrick Lorren avait récupéré son ceinturon d'armes qui n'avait plus bougé depuis hier et avait pris la direction du nord, là où devait se trouver sa cible...

◈ ◈ ◈

Au bout d’une ou deux questions à peine, il avait trouvé la demeure de ce fieffé salopard qui était venu saccager les efforts d'une majorité dans sa quête de vengeance contre Merrick Lorren. Avançant en grande enjambée, arrivant devant la porte du domicile du dénommé Gauthier, qui se trouvait a à peine quelques rues de la place des chevaliers et de la Chope Sucrée, le milicien se mit à tambouriner sur le bois avec force. La rue était quasiment vide à cette heure-ci, mais son tapage fit tourner les quelques têtes qui se trouvaient là. Qu'importe, lui n'en avait pas conscience, trop obnubilé par sa rage. Il continua sans avoir de cesse, jusqu'à ce que la porte s'ouvre finalement sur un visage bien banal. Oui ?"

Attrapant le battant de sa main droite, l'ivrogne repoussa ce qui cachait en partie son interlocuteur. "Gauthier, c'est vous ?" demanda-t-il d'une voix basse et presque dangereuse.

-"Qui le demande ?"

-"Merrick Lorren."

Silencieusement, l'individu en face de lui reformula le nom qui venait de lui être offert. Son teint blafard et ses yeux rougis ne mentaient pas sur l'emprise émotionnelle que la disparition de sa sœur avait fait naître en lui. Pour autant, l'éclat agressif de son regard contrastait avec sa peine. La haine était sa béquille contre la peine. "Tueur !" Son cri finit par intriguer une plus grande partie de la populace locale.

-"C'est moi."
-"Vous...vous ne le niez même pas ?"

Comment faire comprendre à cet idiot qu'il s'en voulait lui-même pour ça à en mourir ? Impossible. "Que voulez-vous que je vous dise, hein ? Que j'ai tué des gens ? C'est le cas ! Alors, que me voulez-vous maintenant ? Que vouliez-vous faire ? Allez-y, profitez-en, me voilà devant vous, foutu salopard !"

Gauthier avait reculé d'un pas, interdit devant une vague d'amertume aussi forte. Or, reprenant courage sous l'allant de sa colère, fronçant le visage sous les attaques verbales de Lorren, Gauthier fit voltiger son poing en direction du visage du milicien qui ne bougea pas le moins du monde. Reculant sous l'impact, qui vint s'abattre sur sa mâchoire, le milicien ploya des genoux, vacillant avant de s'avancer de nouveau. "C'est tout ?!" Hurla-t-il comme défis à son assaillant.

Celui-ci, interdit devant pareille manœuvre, hésita, avant d'être de nouveau submergé par la haine. Y allant de deux crochets supplémentaires, un à même d'ouvrir la lèvre inférieure du milicien et l'autre le faisant mettre un genou au sol, Gauthier arrêta ses offensives en tombant en larme. "...Morgane..." Gémit-il, en pleure, son amertume assouvit par son agression.

Sonné devant lui, respirant fortement une main au sol, Lorren se releva en s'appuyant le long du mur de la demeure. Sa lèvre laissait s'écouler du sang dans sa barbe et le monde autour de lui tanguait étrangement. Cette fois-ci, cela n'était pas la cause de l'alcool. Riant stupidement, réalisant qu'il était plus amoché à cause de cet homme entre-deux âge qu'à cause des fangeux dans le Chaudron, l'ivrogne finit par reprendre la parole en supplantant son belligérant. "...C'est tout ?" En proie à la tristesse, le quidam en question ne lui offrit aucune réponse, trop occupé à s'épancher dans son chagrin. Merrick décida de prendre ce silence comme la réponse qu'il attendait. "Très bien. À mon tour."

-"Qu...quoi ?" Tiens, tiens... il retrouvait la parole sous le coup de la peur, hein ?

Attrapant Gauthier par le devant de sa chemise, le relevant de force, Lorren colla quasiment son visage à celui de l'homme agresseur devenu larmoyant. "Vous allez vous excuser à la tenancière chez qui vous avez saccagé son établissement, suis-je clair ?" Cria-t-il. Son regard laissait transparaître ses envies de meurtre. Malheureusement pour lui, Gauthier ne pouvait savoir qu'il n'était pas la cible de cette haine viscérale. "J'attends une réponse !"

-"Ou...oui !"

Satisfait, encore ivre de la veille et comateux des coups subits, Merrick se retourna en direction de la foule qui s'était faite grandissante. "Si vous aussi vous cherchez Merrick Lorren, le héros du Goulot, ou bien le bourreau, venez me chercher directement à la caserne, je vous recevrais avec obligeance !" Récupérant le godet encore à moitié plein de l'alcool qu'il avait traîné avec lui, et qu'il avait positionné sur le rebord d'une fenêtre, le milicien fendit le flot des badauds. "Poussez-vous, j'ai du travail..." Grogna-t-il de fortes méchantes humeurs. Grimaçant sous le passage du spiritueux sur sa lèvre déchiré, qui commençait à enfler, il s'en alla clopin-clopant en direction de la caserne et de sa future affectation...

Dur à dire si Estelle de Chantauvent avait été cachée dans la foule. Généralement, sa crinière rousse attirait inévitablement le regard de l'ivrogne, mais cette fois-ci, peut-être l'avait-il manqué. Après tout, il ne fallait pas oublier que la petite taille de la jeune femme lui permettait généralement de passer inaperçue si elle se tenait derrière un ou deux quidams d'envergure... toujours est-il que si elle n'avait pas vu la scène, cette dernière finirait inévitablement par être véhiculée jusqu'à ses oreilles, probablement racontées avec empressement par un curieux ayant fait le lien entre la dame de Chantauvent et Lorren. En un tel cas, difficile à dire ce qu'il en serait dit, tandis que les histoires avaient l'habitude de prendre de l'ampleur et partir dans toutes les directions une fois qu'elles étaient contées par autrui...

Ou alors, peut-être que Gauthier viendrait faire amende honorable à la Chope Sucrée, qui sait ?
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Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyDim 1 Déc 2019 - 13:17


Douce amer, c’est bien la sensation que lui offrait une nouvelle fois les retrouvailles pourtant attendue avec Merrick Lorren. La dame de Chantauvent était là, sans l’être réellement, détaillant celui qu’elle essayait de reconnaître, souffrant de la moindre parole qu’elle prenait comme un éloignement, comme une manière de la repousser. Arrivait-elle au point ou en quelques minutes, elle avait fini par détester le mot ‘merci’, au point où elle aurait pu hurler, secouer son milicien, son homme d’armes, son amant, son plus rien du tout… La gorge nouée, étouffante, Estelle cherchait à garder la raison, à se contenir, à rester une épouse –qu’elle n’était finalement pas- modèle, malgré toute cette incompréhension qui commençait à se former dans son cœur, dans son esprit. Deux étrangers, c’est la sensation qu’elle avait au moment présent. Une inconnue face à un inconnu, parlant de la pluie et du beau temps, parlant de la souffrance, échangeant sur un thème établi sans chercher plus loin, sans voir plus loin que leur propre douleur égoïste. Même au tout début, même lors des tout premiers échanges, jamais, le duo n’avait été à ce point si loin l’un de l’autre, si loin du partage, si loin de cette étrange complicité qu’il avait rapidement nouée. Estelle percevait le mal rongeant son milicien, sans l’identifier, lui restait aveugle face à sa détresse, aveugle et obnubilée par son propre mal. Déglutissant, elle avait senti son palpitant battre si fort, comme une révolte, comme un chant de guerre, un appel au conflit, qui ne trouverait aucun écho pour l’heure dans l’esprit de la tenancière.

« Toi aussi » répéta-t-elle sans qu’aucun mot ne se fasse entendre, un simplement mouvement de lèvres, un poignard venant l’assassiner. Toi aussi, je monte. La phrase se répéta dans son esprit, elle se répéta si fort qu’une réponse toute trouvée se définissait dans son esprit.


- « C’est vrai que la bouteille à la main et la tête dans une bassine, je devais te manquer aussi, tu es certain que ce n’est pas le nom de ta bouteille que tu as nommé Estelle ?! C’pas moi qui te manque c’est ton précieux mélange, c’est ça de toute façon la raison de ta présence ici, l’alcool, non ? »

Malheureusement, la phrase ne trouva aucun écho, ne s’échappa nullement de ses lèvres, elle resta dans son esprit, parfaitement verrouillée, parfaitement contenue, parfaitement tout. Estelle avait fini par s’engouffrer dans sa cuisine, manquant de laisser volontairement échapper sa vaisselle pour l’éclater sur le sol, manquant de se laisser agonir en hurlant et pleurant sur le bois du plancher, manquant de regretter d’avoir survécu à tout ça, encore. Encore, oui, pourquoi ne pouvait-elle pas simplement mourir, pourquoi était-ce toujours elle qui restait, pourquoi… La rouquine ne put que préparer ce qu’elle avait promis, oui, de manière mécanique, de manière réflexe. La dame avait la sensation d’être trahie dans son intimité la plus profonde, dans sa confiance la plus sincère et elle ne parvenait pas à déterminer la meilleure manière de réagir. Estelle ne pouvait supporter, imaginer, songer un seul instant à perdre Merrick Lorren. Inversement, sa propre conscience commençait à rentrer en conflit ouvert avec ses sentiments. Fallait-il être suicidaire pour s’infliger pareil tourment.

◈ ◈ ◈
Les marches menant à l’étage furent montées de cette manière fuyante, de cette manière incertaine, de ce besoin irréaliste et désagréable de le voir et de le fuir à la fois. Pour autant, plateau en main, doigt ancré dans l’équilibre de l’ensemble la rouquine avait fini par parvenir à la porte, venant frapper, puis attendant une autorisation qui ne la fit nullement sourire. Estelle était devenue amère, comme une coquille vide, comme une moule sans son rocher, comme une auberge sans tenancière. Son regard s’était lui aussi vidé de toute étincelle de vie, ou d’envie. Encore une fois, la Trinité semblait vouloir lui prendre ce qu’elle avait de plus cher, encore une fois, la dame ne semblait pas être dans un esprit combatif. Était-ce trop douloureux de réaliser être incapable d’aider l’homme qu’elle l’aimait, était-ce trop douloureux de comprendre que lui ne voulait sans aucun doute plus d’elle. La tenancière avait véritablement essayé de lutter, de s’accrocher, de ne pas sombrer, mais cette fois-ci, la force semblait lui manquer. Trop de morts, trop de danger, trop de pertes, plus d’espoir et un homme qui ne semblait même plus souhaiter perdurer, avancer. Estelle nota évidemment l’absence d’entretien de sa barbe, l’absence de passage de ses doigts dans sa chevelure. Elle avait déposé les éléments sur un tabouret, poussé du pied pour le rapprocher de l’ensemble et quand il n’avait rien pris, elle se contenta de laisser percevoir un soupir.

- « Pour encore plusieurs jours » murmura-t-elle en articulant « Je comprends, oui. » l’imaginait-elle désormais durant plusieurs jours s’alcooliser à la caserne, en oubliant de rentrer. « Les choses vont finir par s’arranger, nous allons nous en sortir ensemble je te le… » promets ? Elle ne pouvait plus lui promettre, plus maintenant que sa propre joie de vivre venait de s’éteindre « J’en suis convaincue »

Puis la conversation avait légèrement dévié sur son établissement, sur ce qu’elle ne pensait même pas qu’il aurait remarqué. Comment Estelle aurait pu lui dire la vérité en le voyant dans cet état, comment aurait-elle pu rajouter un tourment supplémentaire sur les épaules d’un homme qui n’était même pas en mesure de supporter le quart ? Alors, pour la première fois de sa vie, Estelle fut le choix de mentir, d’inventer une tout autre version, de camoufler la réalité, de la déformer pour la rendre plus acceptable, moins alarmante, moins douloureuse pour l’homme qu’elle continuait à aimer.

- « Oh non, enfin, pas tout de suite après ton départ, mais peu de temps après, il était préférable pour eux de travailler dans de bonne condition et puis d’être proche de leur famille, alors je leur ai demandé de rentrer. Et puis, c’est mon établissement, je suis en mesure de le ranger toute seule » affirma-t-elle sans y croire réellement « Je me suis un peu surestimée, j’ai voulu m’asseoir un petit instant et je me suis endormie… Je me suis réveillée tard, alors je n’ai pas vraiment pu avancer. Rien de grave tu vois, je terminerai demain sans aucun doute, le ménage, ça me connaît. » Habituellement aurait-elle rajouté un pique, une taquinerie vis-à-vis de lui, mais pas cette fois, plus cette fois.

À peine son mensonge formulé qu’Estelle culpabilisa déjà, pour autant, n’avait-elle d’autre choix à ses yeux. La suite de la conversation lui sembla bien fade et tout aussi formée par des faux semblants, le ruban, la non-idiotie de ses paroles, les meubles. Plus la conversation avançait, plus la dame avait la sensation de succomber, d’étouffer, d’agoniser. La suite ? La suite bien trop réelle, bien trop sincère fut une véritable catastrophe pour celle qui tentait de maintenir la tête hors de l’eau. La rouquine se tenait juste là, debout, mais semblait menacer de s’effondrer, de s’écrouler, sans que jamais Merrick de s’en aperçoive. Sa mâchoire était si contractée qu’elle en devenait tout aussi douloureuse, blessée, Estelle n’était pas en mesure de comprendre l’ensemble, mais de retenir que ce qui allait dans le sens de sa réflexion, dans sa certitude que Merrick Lorren allait la quitter, disparaître, s’enfuir, partir. Ainsi, la rouquine n’avait pu retenir que l’essentiel : il souffrait d’être avec elle, il était un monstre, il voulait mourir. Cette fois, pour celle qui avait déjà trop souffert, c’en était trop, beaucoup trop. Ce n’était même plus une goutte d’eau qui avait fait déborder le vase, mais une pluie torrentielle et quand ses lèvres avaient fini par s’ouvrir ce fut pour laisser entendre un « ça suffit » colérique et rempli de tristesse.

- « Tu veux jouer à ça Merrick Lorren ?! Tu veux véritablement jouer à ça ? Celui de nous deux qui à la vie la plus MERDIQUE ?! Oooh, mais il n’y a pas de problème, allons-y ! ALLONS-y. » hurla-t-elle en levant une main lui interdisant tout bonnement de descendre la moindre marche, de passer le seuil de cette foutue porte de salle d’eau « Tu es une immonde merde c’est ça que tu penses de toi ? C’est ça ? Alors que suis-je moi ? Merrick Lorren ? Abusé par son frère depuis sa tendre enfance, sans parent, sans proche, refusant d’admettre la mort d’un mari qui est mort englouti par la fange ?! Que suis-je ? Moi qui ne rêve que de tout ça chaque nuit, moi qui suis incapable d’aider et de soutenir celui que je souhaite voir devenir mon mari qui préfère boire toute une nuit dans sa putain de caserne avec sans aucun doute quelques putains ?! Que suis-je moi, Merrick Lorren ?! » elle le dévisagea si durement « Tu ne te rends même pas compte que tu es ton propre bourreau… Le propre coupable de tes maux… Si tu ne survis pas pour toi, oserais-je te demander de le faire pour moi ? Ou est-ce que là aussi, j’ai été véritablement trop stupide pour croire que tu m’as seulement un jour véritablement aimé ? »

La voix d’Estelle avait fini par redescendre, le dévisageant lui, sans qu’aucune larme ne vienne rouler, sans qu’aucun cri de désespoir ne vienne trahir ce mal la rongeant. Elle était là, immobile, non loin de cet homme qui s’apprêtait encore à fuir avec la certitude que peu importe ce qu’elle pourrait bien formuler, il n’en tiendrait pas rigueur, il n’écouterait pas, trop occupé à se malmener, à se juger coupable de tout et de rien à la fois.

- « Dois-je tuer Merrick, dois-je tuer pour que tu cesses de me repousser ? Dois-je devenir une putain pour que tu me regardes et que tu sois en mesure de percevoir que je ne vais pas bien ? Dis-moi… Dis-moi ce que je dois faire Merrick, dis-moi et je m’appliquerais à le réaliser si ça peut te soulager un peu. » elle avait compris que Merrick lui en voulait pour son comportement, la condamnant de son altruiste qui semblait les éloigner l’un de l’autre « Je ne suis pas meilleure que toi Merrick et personne ne voudra de moi en connaissant mon histoire, je suis indigne des Trois… Tu ne peux pas partir après avoir tout remué ainsi… après avoir rendu mes cauchemars réels… Je ne suis pas mieux que toi, tu n’es pas mieux que moi… Faut-il simplement survivre et avancer… »

Que pourrait-elle lui dire de plus ? Que pouvait-elle admettre de plus. Estelle aurait donné n’importe quoi, même son âme pour prendre un peu de sa peine, pour trouver un moyen de le soulager, mais aucun mot ne semblait trouver écho, réconfort et c’est finalement déconfite, réaliste, et surtout submerger par des émotions qu’elle se rangea de son côté :

- « Tu peux descendre Merrick, tu as raison, c’est sans doute mieux comme ça pour ce soir » souffla-t-elle « Peut-être que ça n’a pas la moindre valeur pour toi, notre union en dehors des Trois, mais je respecterais mon engagement. Même si ça signifie te regarder d’alcooliser chaque soir et voir chaque matin un presque fangeux au réveil. Maintenant, descend s’il te plaît, je n’ai plus envie de discuter, je vais ranger et me coucher dans notre chambre, la porte sera ouverte si tu souhaites venir dormir, au moins te reposer. »

Estelle aurait pu perdre son sang-froid, au lieu de ça avait-elle choisi la sincérité, essayait-elle de le mettre face à des responsabilités, de le sortir de sa réflexion en ‘je’ pour l’amener à penser un peu en ‘nous’.

Pour la suite, Estelle s’était contentée de ranger, de nettoyer et de s’effondrer silencieusement dans des draps qui ne seraient possiblement pas partagé pour une nuit, sans aucun doute pour d’autres nuits. La Chantauvent espérait, priait pour ne pas se retrouver seule, pour ne pas voir fuir l’homme qu’elle aimait, dans le fond, espérait-elle aussi cet éloignement, pour souffrir un peu moins, pour respirer un peu plus.


◈ ◈ ◈

Estelle n’avait pas dormi de la nuit, allongée sur le dos, sur un amont de vêtements la rouquine tentait d’essayer des larmes qu’elle n’avait plus. Difficile pour elle de se lever, difficile pour elle de réaliser, de comprendre qu’il n’était pas venu la rejoindre, de l’accepter. Elle avait vu le soleil se lever par la fenêtre, elle avait entendu une conversation se jouer à l’étage inférieur, mais rien, elle n’avait absolument envie de rien et ne trouvait aucune solution à sa problématique, absolument aucune. Merrick Lorren était une énigme à part entière, bien trop lourde, bien trop conséquente… Et puis ce fut un cri, un murmure qui la tira de ses pensées, sortant de sa chambre, vêtue de la même tenue que hier soir, elle descendit les marches pour détailler le charpentier qui semblait bien surpris de la voir dans cet état. Supposant bien évidemment et à raison une discorde dans le couple, l’homme s’empressa de raconter ce qu’il s’était passé à la tenancière, qui ne put que davantage se presser.

- « Merrick Lorren » grogna-t-elle « Merci… Je vous laisse les clés sur le comptoir ! J’en ai un sur moi, faites ce que vous avez à faire et repartez, je vous tiendrais au courant ! »

Elle enfila rapidement une perte de bottes, une cape sombre et une capuche qu’elle glissa sur sa crinière de feu avant de s’engouffrer à l’extérieur. Estelle n’avait aucune idée de où elle devait se rendre, mais il était hors de question qu’elle laisse son milicien se mettre en danger. C’est l’aspect de groupe, cette foule plus loin qui l’attira pour découvrir inévitablement une scène qui lui tira une larme et un gémissement plaintif. Cette fois-ci, Estelle réalisa pleinement à quel point Merrick Lorren n’était plus en état de rien, l’état de choc l’empêcha de réagir, l’empêcha de s’interposer ou même de se faire voir. Non, Estelle était restée ainsi un long moment à aviser l’homme qu’elle aimait disparaître le visage tuméfié en direction de la caserne. Maintenant, que pouvait-elle faire ? Estelle avait erré un long moment dans les rues de la ville, avisant la catastrophe, la souffrance sur les visages, les traces de sang, l’état des maisons, les larmes de l’humanité entière et se sentait-elle soudainement particulièrement égoïste de reprocher à Merrick son mal-être, lui qui avait confronté directement à tout ça. Triste, pleine de nouveau de cette culpabilité à ne pas trouver de solution, mais aussi à ne pas être en moyen de le soulager : Estelle eut cette idée, cette étincelle et elle se rendit finalement directement à la caserne :

- « Bonjour Eugène » fit-elle en direction de celui qu’elle reconnaissait qui sembla surpris de la voir là
- « Merrick est… »
- « J e sais, c’est vous que je voulais voir » affirma-t-elle en l’entraînant un peu plus loin « J’ai besoin d’aide » avoua-t-elle « Merrick ne va pas bien et je ne sais vers qui me tourner… Il a besoin d’aide, promettez-moi de rester avec lui, s’il vous plaît… J’ai besoin de savoir qu’il rentrera vivant, qu’il ne va pas… »
- « Merrick à toujours.. »
- « Non, pas à ce point-là… Ecoutez, je me fiche de savoir combien de conquêtes il a eues ou il a, je me fiche de savoir combien de bouteilles il s’enfile avant de rentrer ou de ne pas rentrer, je me contre fou de savoir si c’est le meilleur ou le pire milicien que vous n’ayez jamais rencontré… C’est un de vos collègues, j’ai besoin de vous, il a besoin de vous et j’ai besoin que vous l’empêchiez de revenir durant 5 jours »
- « Hein ?! »
- « S’il vous plaît, 7 jours. Dites-lui que je suis partie, que je me ressource, que je travaille trop, que je suis au temple en soin, que je suis morte même si il le faut ! Mais la chope sera fermée durant 7 jours et j’ai besoin que vous, vos hommes, vos amis, ses amis… Vous l’entraîniez à la chope au bout du septième soir, pas avant, s’il vous plaît… C’est important. »

Eugène ne sembla pas réellement savoir comment réagir, quoi dire, toujours était-il qu’après autant d’insistance et de détresse sur le visage de la rouquine, il ne put qu’accepter, sans trop savoir vers quoi elle l’entraînait. Estelle promit de le rémunérer, ce qu’Eugène refusa, comprenant sans aucun doute l’urgence de la situation. Eugène lui avait promis d’enquêter et de convoquer l’ensemble des proches de Merrick Lorren, même plus éloignée à la chope sucrée le septième soir, tout du moins en fin d’après-midi. Par la suite Estelle s’était semble-t-il volatilisée. Comme elle l’avait évoqué à Eugène la chope sucrée fut fermée, entièrement, et nulle ne semblait avoir vu la crinière rousse dans les parages.

◈ ◈ ◈

Estelle n’avait pour autant pas disparu de la ville, conservant un œil attentif sur l’homme qu’elle aimait. La rousse avait dissimulé sa crinière trop reconnaissable dans un châle noir, portait en permanence une cape et une capuche et empruntait uniquement les ruelles étroites et peu fréquentées. Elle rendait régulièrement visite au charpentier, lui ayant fait promettre de mentir si Merrick Lorren venait à sa rencontre, de prétendre ne plus avoir de nouvelles, ne pas savoir où elle se trouvait. Il ne fallait pas s’y méprendre, pour Estelle instaurer cette séparation était une véritable torture, pour autant, elle était désormais convaincue que ce n’était que pour le bien de Merrick Lorren. N’avait-elle d’ailleurs pas arrêté, jamais. Le charpentier avait eu pour mot d’ordre de retravailler entièrement les meubles, mais de rajouter la lettre L en signature en plus du C. De refaire le logo, ainsi que le présentoir, une commande monumentale devant être réalisé en sep jour à peine, évidemment, elle lui avait promis une rémunération à la hauteur du travail, argent qu’elle n’avait pas, mais qu’elle avait été trouvée chez la personne qu’elle détestait le plus : son frère.

Estelle n’avait rien évoqué, elle avait prétendu avoir rompu avec Merrick Lorren et avoir eu besoin de temps, de disparaître, la dame qui n’avait jamais menti avait fini par devenir une presque experte dans l’art de la manipulation. L’aîné, aimant sa sœur –bien trop- et convaincu de pouvoir retrouver de l’emprise sur elle lui avait donc avancé l’argent, lui faisant promettre de se faire voir au temple, dans son teint l’inquiétait, tant elle semblait épuisée et à bout de nerfs. Oh, ne fallait-il pas s’y méprendre le frère avait bien évidemment tentée oui, essayait de retrouver ce qu’il estimait être dut, mais Estelle avait joué de malice, le repoussant, allant même jusqu’à glisser des plantes dans son infusion pour s’assurer un sommeil profond. Estelle sombrait, oui, elle sombrait au fur à mesure qu’elle mettait en place l’ensemble de son œuvre qui n’avait que pour unique but : faire comprendre à Merrick Lorren qu’il n’était pas seul, qu’il n’était pas un monstre.

L’invisible tenancière avait fini par rendre visite à celui qui était rentré en conflit, lui offrant une somme généreuse ainsi qu’un repas. Elle lui fit une proposition qu’il ne pouvait pas réellement refuser : un travail, un salaire ainsi qu’une cérémonie pour sa famille. Elle s’excusa pour le comportement de son compagnon, elle s’excusa pour la perte de qu’il avait dû subir avant de préciser que non, l’homme contre qui il en avait n’y était pour rien et si la conversation s’envenima rapidement à la fin il avait semblé entendre, comprendre. L’homme avait fini par lui attraper le bras, la questionnant sur le pourquoi, le fameux pourquoi dont Estelle n’avait pas la moindre réponse. La tenancière s’était surprise à lui murmure que les Trois nous regardaient et que personne ne devait lutter, qu’on devait être ensemble, avancé ensemble. Difficile de savoir si elle comprenait elle-même les paroles qu’elle prononçait, essayait-elle tout au plus d’y croire. Le quittant, elle lui fit promettre de ne jamais parler de sa visite. Elle devait disparaître un temps, pour permettre à Merrick Lorren de sombrer pour mieux par la suite se relever.

Estelle n’avait donc pas arrêté, dormant dans des auberges différentes, toujours avec un autre nom, allant même parfois jusqu’à user de celui du milicien : Lorren. Elle avait invité les personnes ayant perdu des proches à cette fameuse soirée, y compris ceux qu’il avait sauvés en l’oubliant évidemment. Estelle avait organisé dans l’ombre un événement à la fois si grand et si minime à la fois, juste pour celui qui semblait si troublé. Les individus avaient tous acceptés, miliciens, membres du peuple, petit bourgeois, témoins, contents ou moins contents, tous avaient acceptés devant l’insistance de la dame de Chantauvent de se rendre à l’événement qui n’avait que pour un unique but : prouver à Merrick Lorren qui n’était pas seul, qu’il n’était pas pour tous un monstre horrible. Le comprendrait-il, elle l’ignorait, mais la dernière acceptation vint finalement sonner pour elle comme un véritable miracle.

Une ancienne habitante du village perdu de Merrick avait fini par s’installer à Marbrume, Estelle ignorait si Merrick en avait conscience, mais elle l’avait appris un peu par hasard, en s’arrêtant dans une nouvelle auberge. Cette fois-ci, elle s’était fait beaucoup plus insistantes et la dame avait accepté de venir. L’ensemble de l’événement se mettait en place dans le plus grand secret.


◈ ◈ ◈

Chaque jour, Estelle venait observer Merrick, percevait-il sa présence, elle l’ignorait, mais chaque jour peu avant que le couvre-feu prenne place, Estelle s’arrangeait pour venir le voir, de loin. Chaque fois avait-elle senti son cœur se serrer, mais chaque fois elle finissait par disparaître avant de se faire repérer ou presque. Avait-il fait partie du groupe qui l’avait pourchassé, alors qu’à trop l’aviser, elle en avait oublié le couvre-feu, se mettant ainsi hors-la-loi ? Avait-elle fui pour ne pas être reconnue, manquant de ce fait de se faire blessé par une attaque à l’arc et aux flèches.

Quoi qu’il en soit le fameux soir avait fini par arriver et Estelle n’avait qu’une angoisse : que Merrick Lorren ne soit pas présent.

Cette journée-là fut intensive, trop sans aucun doute. La chope sucrée fut en travaux du petit matin, jusqu’au milieu d’après-midi. Tous les éléments s’installant avec soin, notamment les meubles, signés aux deux lettres des noms. En cuisine, Estelle n’avait pas arrêté, à aucun moment, la surprise ultime fut néanmoins la chambre du couple. Puisque Estelle avait fait absolument tout remplacer, pour remettre des nouveaux meubles, y compris un portrait du couple, des nouvelles affaires faits spécifiquement pour Lorren, ainsi qu’un petit cadre accroché au mur contenant sa partie du ruban. Il n’y avait dans l’établissement, plus aucune trace, absolument plus aucune de son ancien mari. C’était éprouvant pour la rouquine, ne fallait-il pas s’y méprendre. Éprouvant, mais avait-elle la sensation d’avancer enfin dans le bon sens. Lorsqu’enfin tout fut prêt, que les premiers invités entrèrent, picorant dans les plats réalisés pour l’occasion, s’abreuvant des alcools livrés juste à temps. Estelle sentit l’angoisse progresser, montée. Merrick Lorren se rendrait-il compte qu’il connaissait toutes les personnes présentes, prendrait-il conscience que la soirée était faite en son honneur ? Lui en voudrait-il d’avoir disparu si soudainement après une dispute ? Estelle l’ignorait, toujours était-il que lorsqu’enfin, le concerné passa le seuil de la porte, tous ensemble se mirent à fredonner des paroles –très maladroite- rédigées par Estelle en personne. Elle immobile, murmurait elle aussi l’ensemble, paniqué, angoissé, terrorisé.


« Merrick Lorren est là, notre séducteur en herbe,
Toujours des mots superbes, armée d’une bouteille,
Il était quand même temps, de le remercier,
Pour ce qu’il a enduré,
Femme, enfant, il a dû affronter,
Surtout mari, faut-il bien l’avouer,
Humour de qualité, cela reste à discuter,
Merrick Lorren est là, notre séducteur en herbe,
Toujours des morts superbes, armée d’une bouteille,
A la tienne Merrick Lorren ! »

Les chopes se levèrent un instant, sans qu’Estelle ne réalise, sans qu’elle ose s’approcher. Craignait-elle sa réaction, remarquerait-il l’ensemble des petits éléments ?

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Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyMar 24 Déc 2019 - 17:11

-”Du balai !” Crachat un Merrick Lorren en tout point acrimonieux en direction du flot de badauds ébahis qui le contemplait éberlué. D’être le centre d’intérêt de cette plèbe, occupant ainsi les devants de la scène sous cette mer de regard, ne le dérangeait plus le moins du monde. De fait, Lorren avait le sentiment que désormais le désarroi n’était plus en mesure de le désarmer. Tout était futile et stérile en comparaison aux affres de son ressentiment. D’ailleurs, en cette heure, le jeune homme n’était non pas étreint par une paresseuse ivresse, mais plutôt par une fougueuse détresse qui semblait s’être faite inexpugnable. Cette dernière, retranchée derrière la barbarie des actes commis par le soldat, ne lui laissait plus aucun répit. C’est ainsi qu’il était parti en quête du fieffé forban qui était venu détruire le dernier élément auquel il s'agrippait encore, en l'occurrence; Estelle de Chantauvent.

Effectivement, ce stupide scélérat avait fait étalage de sa haine viscérale pour l’ivrogne en venant détruire les efforts de reconquête de la Chope Sucrée. Ainsi, détruisant ce qui avait été rebâti, le lascar avait fomenté ce grabuge pour démontrer l’antipathie qui l’étreignait devant la survivance de nul autre que Merrick Lorren. Se sentant de nouveau coupable de ce ressentiment qui avait sapé le travail d’une pléthore dans le lieu de vie de sa rousse, le futur coutilier était parti en direction de l’habitation de cet arrogant. Ne sachant point trop comment tout cela allait se terminer, hésitant entre une vengeance acerbe, soit un exutoire à ses peines, et une passivité toute servile en se ruant sous les poings et attaques de cet inconnu, Merrick avait fait vaciller le battant de bois de sa paume jusqu’à ce que l’ouverture soit grande ouverte. Là, finalement, sa rage avait explosé et pour autant, il s’était livré à la violence de cet homme déchiré par les griffes du chagrin.

Le visage en sang, traversant cette masse d’inconnu venu contempler cette altercation, le milicien se dirigea vers la caserne, la mine sombre et le regard torve. Poussant de l’épaule les gens trop lent pour sortir de son chemin, ou grognant des menaces gutturales pour forcer certains à accélérer leur rythme, il ne remarqua jamais la présence de la dame de Chantauvent, venu en quelque sorte assisté à cette mascarade de justice offerte à l'insipide et ô combien stupide Gauthier. Et de toute façon, il semblait nettement plus approprié qu’il ne l'aperçoive pas. Après tout, comment aurait-il pu réagir à cette détresse qui avait creusé de profonds sillons sur le visage de la jeune femme, et marqué ses yeux d’une infinie tristesse ?

Bref, qu’importe ces truculentes fadaises malveillantes. Déjà, bien qu’amoché, son esprit était ailleurs tandis qu’il cheminait. Ou plutôt, encore perdu dans les mêmes pensées, dans les limbes de souvenirs devenus cauchemar. Passant tout simplement la herse qui fermait la caserne en cas de nécessité, Lorren marcha sans poser un regard sur quiconque. Pour autant, cela ne fut pas le cas d’autrui, tandis qu’un certain nombre de personnes ne se privèrent pas de lui jeter un coup d’oeil. Parfois, la mine de ces miliciens se crispait d’interrogation, d'autrefois celles-ci se détendaient sous la complaisance de voir le visage de cet ivrogne invétéré tuméfié. Quelqu’un lui avait finalement fait fermer la bouche, noyant son flot de paroles acerbe sous un déferlement de sang.

-”Bordel, Merrick. Ça va ?” Questionna un Eugène qui le rattrapa en arrivant de derrière lui. Pour toute réponse, son partenaire de dortoir n’eut droit qu’à un grognement évasif pouvant à la fois signifier un “oui”, un “non ou un “je t’emmerde”. Au final, il semblait plus probable que le borborygme représente un peu de chacun à la fois. Que voulez-vous, réputation oblige ! “C’est la tenancière qui…?”

-”Si c’était-elle, Eugène, elle n’aurait pas bâclé le travail et je serais déjà six pieds sous terre...où relever en fangeux.” Égrena lentement un Merrick au ton acerbe. Bien que d’humeur noire et usant d’un humour tout aussi sombre, le milicien ne doutait aucunement de ses dires. De fait, les poings de Gauthier n’étaient rien face à la terrible Brigitte. “Maintenant, pousse-toi, j’ai du travail.” Mentit-il.

Loin de s’en laisser bercer par l’humeur massacrante de son comparse, et le mensonge éhonté de ce dernier, Eugène agrippa l’épaule de Lorren pour le retenir. “En effet, on a du travail. D’ailleurs, ça ne sera pas une tâche facile aujourd’hui.” Présenta-t-il en pointant un chariot rempli d’outils de constructions. “Mise sur pied de la première ligne de défense pour restreindre le Chaudron.”

-”...le Chaudron ? C’est quoi ça, encore une mission stupide couvert par un nom tout aussi stupide ? On est bien bon qu’à ça nous la milice, inventer des fut…”

-”C’est la partie perdue du Goulot, c’est plus compréhensible pour toi maintenant, crétin ?”

Fusillant du regard Eugène, prêt à en découdre, Merrick finit par hausser les épaules et détourner la tête. Après tout, à quoi bon ? Qu’importe qu’il soit un crétin, alors qu’au final il était un monstre, un tueur, un bourreau et un assassin. Se secouant pour sortir de la poigne de son vis-à-vis, Lorren se dirigea vers le chariot qui avait été pointé, avant d’être à nouveau coupé par Eugène qui se mit sur sa route, les mains sur les hanches. “Si j’étais toi, j’irais d’abord enlever le plus gros du sang sur ton visage. Je ne suis pas certain que la sergente apprécie le spectacle.”

Merrick ouvrit la bouche avant de la refermer et de plisser les yeux. Il lui semblait hautement improbable que la “terrible” Sydonnie d’Algrange soit de la partie. Et puis, n’avait-il pas entendu hier que celle-ci avait été blessée ? Il n’en était pas certain. D’ailleurs, c’était bien le style d’Eugène de mentir pour le forcer à se montrer présentable. Mais encore là, c’était difficile à savoir… préférant ne prendre aucun risque de se voir incomber des tâches supplémentaires pour son manque de propreté, ou simplement parce qu’il semblait avoir participé à une rixe, Merrick partit en direction du puits un peu plus loin, grommelant son manque d'entrain, marmonnant dans sa barbe des insultes et autres insanités aussi bien en direction de son homologue que de la sergente.

C’est sur ces entrefaites qu’Estelle se présenta à la caserne, à l’insu encore une fois d’un Merrick Lorren aveuglé par la haine, et demanda de l’aide à nul autre que le dernier contact un tant soit peu intelligent et amical envers le futur coutilier. Ce dernier, nullement aux faits de l’ensemble des problèmes, accepta tout de même de venir en aide à celui qui semblait sur le bord de se perdre à tout jamais, et celle qui combattait justement pour que cela n’arrive point. À moitié fait par bon coeur, et l’autre un peu forcé par la rouquine qui savait se montrer convaincante, Eugène ne put s’empêcher de la retenir juste avant son départ, proférant encore une fois une vérité de laquelle Estelle semblait s’aveugler.

-”Je le ferais. Mais vous savez, vous êtes trop bien pour lui...ça va mal finir.” Babillage présomptueux ou prémonitoire ? C’était dur à dire et difficile à savoir. Pour autant, rien ne s'annonçait simple pour l’ivrogne, pour la tenancière et aussi pour le malheureux Eugène qui devrait retenir Merrick d’aller se perdre à la Chope Sucrée durant les sept prochains jours. Par la Trinité, Estelle réalisait-elle à qu’elle point c'était une mission impossible ? Soupirant devant pareil constat et suite au départ de la propriétaire de l’auberge, le milicien repartit en direction de sa “cible”, en ne sachant pas trop comment il allait aborder ledit problème.

◈ ◈ ◈

Les deux premiers jours, cela ne fut pas une tâche bien difficile. En effet, le soir même de la journée où Estelle s’était présentée face à lui, Eugène avait proposé à Merrick d’aller s'enivrer dans une auberge bien quelconque. N’étant toujours pas certain de comment agir en présence de la dame de Chantauvent, et ne sachant trop quoi suivre, ses pensées ou son coeur, lorsqu’il était question d’Estelle, Lorren accepta de bon coeur de s’épancher dans l’ivresse et de dormir à la caserne pour une nuit. Cela devrait lui donner le temps de réfléchir à la question, se mentit-il éhontément, sachant pertinemment qu’il n’aurait pas le courage de s'appesantir de par lui-même sur le sujet. Ainsi donc, arguant faussement qu’il ne serait présent qu’à condition que son compagnon paie la première tournée, et probablement la seconde avec cela, l’ivrogne finit par agréer à la proposition sans plus de formalité.

Vers la fin de la soirée qui fut plutôt courte à cause du couvre-feu bien, le stupide jeune homme avait oublié l’ensemble de ses interrogations plutôt malhabile concernant Estelle. De fait, ivre bien trop rapidement tandis que le soleil n’était même pas complètement disparu, ayant accéléré le rythme pour pouvoir s’assommer avant la fermeture du débit de boisson, Merrick se leva en formulant l’idée qu’il rejoignait la Chope Sucrée. Eugène réussit de peine et de misère à le retenir en mentionnant qu’il avait une bouteille de tord-boyaux de bonne qualité à la caserne. Se “sacrifiant” pour le restant de la soirée, le futur coutilier lui emboîta le pas cahin-caha, désignant le complice de la rouquine comme son nouveau meilleur ami maintenant que le dernier était mort et qu’il lui proposait de partager de l’alcool. Devant pareille insanité, Eugène, qui gardait en toute circonstance un contrôle de lui-même exemplaire, ne fit que soupirer encore et toujours plus.

Qu’elle mission plus qu’horripilante, qu’elle lui avait dévolue…

Le deuxième jour, aucunement en mesure de suivre de nouveau le rythme d’alcoolémie, Eugène les fit tomber dans le piège d’une remontrance d’un supérieur hiérarchique pour se voir décerner des heures supplémentaires. De fait, laissant vagabonder la nouvelle autour de lui qu’ils avaient consommé de l’alcool au milieu même de la caserne, le complice réussit à se faire forcer de monter la garde de nuit devant l’entrée du bastion de la milice. Alors que Lorren morigéna en face dudit coutilier, puis blasphéma tout bas dans son dos, Eugène resta parfaitement silencieux, soupirant de bonheur de ne pas avoir à tordre de nouveau son foie pour suivre la descente d’alcool de celui qui sombrait plus dans la déchéance de son ressentiment que dans les bas fond du houblon.

Sombre à cause de cette nouvelle impossibilité de revenir à la Chope Sucrée, réalisant que cela risquait de ne pas être au goût de la jeune femme qui risquait de s’inquiéter, Merrick fut particulièrement silencieux durant sa garde. Puis, au milieu de la nuit, juché sur les murailles, il remarqua que les lumières de l’établissement d’Estelle étaient complètement fermées. Rien de plus normal, alors que le couvre-feu avait pris le contrôle de l’ensemble du quartier et de la place des chevaliers. Pour autant, pas même une chandelle ne brillait au second palier. De quoi l'inquiéter et faire naître un très mauvais pressentiment en son for intérieur…

Par la Trinité que se passait-il ?

◈ ◈ ◈

Le lendemain, la chance sourit à l’infortuné qui faisait quasiment contre sa propre volonté partie de la surprise pour son fantasque et saugrenu compère. De fait, ce fut la date choisie par nul autre que leur supérieure hiérarchique, Sydonnie d’Algrange, pour annoncer au “héros du goulot” qu’il devenait, sans autre forme de procès, coutilier. Hésitant entre estimer cela comme une bonne ou une mauvaise nouvelle, sachant qu’il était dorénavant sous la surveillance de ce bourreau de travail, Merrick n’eut pas la chance de retourner à la Chope, commençant à s’impatienter, et si possible, à en devenir plus acerbe avec son entourage. Entourage qui pour la plupart mettait cela sur le dos de sa nouvelle affectation, de cette charge de travail supplémentaire pour un être fait que de laxisme et d’ivresse.

Ainsi de suite, le nouveau coutilier ne put jamais réellement s’émanciper de ses tâches, de sa fonction ou des impératifs qui lui tombait dessus comme par enchantement. Du moins, jusqu’au cinquième soir, où n’y tenant plus, il abandonna son “poste”, marchant d’un pas vif sur la place des chevaliers pour rejoindre l’établissement où il avait rencontré et apprit à connaître la Chantauvent.

-” Eugène, pousse-toi.”
-”Tu ne peux pas y aller.” Annonça fermement celui qui n’avait plus le moindre plan pour réfréner les velléités de son vis-a-vis. Les yeux de l’ivrogne se voilèrent et devinrent noirs. “Pardon ?”
-”Tu ne peux pas y aller maintenant, voilà ! Estelle n’est pas là, elle…”
-”Dégage. C’est un ordre.”

C’était la première fois que le coutilier usait de son nouveau titre pour forcer un de ses confrères à lui obéir. En quelque sorte, cela aurait pu échouer. Pourtant, Eugène était un individu tellement obnubilé par le respect de la fonction d’homme d’armes, que l’ordre supplanta, bien qu’amèrement, sa promesse faite à la dame de Chantauvent. Livrant le passage à Merrick, il lui emboita tout de même le pas. Traversant les derniers mètres pour rejoindre la façade de l’auberge, constatant que la porte était close et qu’aucune trace de vie n’était perceptible de sa position, Lorren resta quelques instants silencieux et immobile. Puis, réagissant rapidement, laissant sa colère le noyer, comme si cela devenait une habitude, il attrapa le milicien qui était derrière lui par le col et le plaqua à la porte de la Chope Sucrée. Porte qui n’avait jamais été obstrué et fermé pour lui et qui maintenant, ne s’ouvrait plus.

-”Que se passe-t-il ?!” Argua-t-il farouchement, séparant chaque mot sous les contrecoups de la colère. Loin d’en être effrayé, sachant avoir la prédominance de la force et de l’entraînement au pugilat et au combat si besoin était, Eugène attrapa la poigne sur son col d’une de ses mains.

-“Elle n’est pas là, Merrick. Elle avait besoin de temps pour elle, pour réfléchir. Elle est partie faire le tour de ses fournisseurs pour le débit de boisson…”
-”Ce n’est pas un putain de débit de boisson ! C’est la Chope Sucrée !”

Restant silencieux quelques instants, regardant son ami d’un regard véritablement interdit, se demandant s’il était devenu fou, Eugène réajusta cet “impair”. En effet, la rouquine avait raison; Merrick Lorren n’allait pas bien. “La Chope Sucrée...Bref, elle m’a dit de te surveiller pour éviter que tu fasses une connerie.” En soi, cette partie n’était pas un mensonge. Et puis, Merrick était en mesure de concevoir que cela était probablement une façon de procéder qu’Estelle aurait mise en place en cas de départ. Se reposer sur un individu semblant exemplaire pour s’assurer que le fantasque, et l’habitué aux frasques, d’ivrogne qu’il était ne succombe pas entre temps d’une énième bourde de trop.

-”Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?!”
-”Pour éviter ça.” Dit-il en pointant la main qui lui agrippait le devant de la tunique.

Jurant, lâchant son “opposant”, Merrick se détourna en s’en fut vers la caserne pour ne plus en sortir durant les jours restants avant la surprise. Est-ce qu’Estelle tentait de mettre un terme à leur relation ? En un sens, il n’était pas prêt à l’accepter. C’était stupide, alors que lui-même voulait la préserver de sa présence. Toutefois, à ses yeux d’idiots, il y avait un monde entre le fait que cette volonté vienne de lui plutôt que d’elle. Oui le résultat en était le même, et les conséquences seraient identiques. Alors, pourquoi cette idée le torturait et le rendait encore plus véhément que d’habitude ?

◈ ◈ ◈

Enfin, le jour fatidique arriva. Cette fois-ci, Eugène n’eut même pas à forcer Merrick à se diriger vers la Chope. De fait, le coutilier, qui ne lâchait plus l’auberge des yeux depuis quelque temps, avait remarqué que l’endroit était de nouveau occupé. Accomplissant sa journée de travail dans un stoïcisme surprenant, le jeune homme avait regagné son baraquement directement après et en silence, histoire de se préparer. Là, juché devant ses affaires, s’habillant du mieux qu’il pouvait, passant son baudrier et ceinture où son épée battait à ses hanches dans son fourreau, l’homme d’armes se contempla de haut en bas sans émettre le moindre son.

-”Tu pars en guerre ?”

Se retournant, avisant son camarade, soupirant et lui tournant à nouveau le dos, Lorren prit la décision de lui offrir une réponse. “En quelque sorte.” De fait, lui-même ne savait pas trop ce qu’il allait faire, ni comment il devait agir. Pour autant, craintif, Merrick se cachait derrière son apparence et l’apparat de ses frusques quelque peu fruste pour paraître à son meilleur. Telle l’armure d’un chevalier, sa barbe de nouveau taillée -enfin- et ses cheveux replacés comme par le passé étaient le meilleur moyen -à ses yeux- de reconquérir la jeune femme sur laquelle il avait jeté son dévolu, qui était devenue le centre de ses préoccupations et son principal intérêt. Du moins, si c’était réellement ça qu’il désirait faire, alors qu’il n’en était pas encore certain.

-”Crois-tu que…?”

-”C’est parfait, Merrick.” Le coupa Eugène qui n’était en aucun cas là pour juger de l’apparence du coutilier. “Tu ne vas pas faire une demande en mariage non plus.” Dit-il dans un sourire en coin, sachant pertinemment que l’idiot n’oserait pas en pareille circonstance. Grognant à l’affirmative, se retournant de nouveau l’homme d’armes s’assura d’être prêt. Cette fois-ci, il fut tiré de ses pensées par d’autres quidams qui arrivèrent en faisant un brouhaha digne d’ivrognes.

-”Z’êtes prêt, m’sieur l’chef ?” Crachat en riant grassement un individu à la mine vérolée, au sourire édenté et à l’allure déjà bien aviné. Ses trois autres camarades le suivant n’avait guère une meilleure allure que le premier. Sans être réellement des subordonnés au nouveau coutilier qui n’avait véritablement encore aucune recrue sous ses ordres, ces lascars étaient généralement les amis de taverne à Merrick lorsque ce dernier était trop ivre pour reconnaître à quel point ces êtres étaient exécrables. Coulant un regard à Eugène, celui-ci sourit malicieusement en haussant les épaules.

-”Aucun chef ne part en guerre sans une armée.”


◈ ◈ ◈

C’est ainsi que le groupuscule traversa la place des chevaliers. Menant la troupe, marchant tout d’abord rapidement, puis fermant la marche, ralentissant à mesure que la destination se rapprochait, Merrick Lorren ne lâcha pas des yeux l’ouverture de la bâtisse. Devant le dernier obstacle, la porte, il suspendit tout mouvement, se mettant à danser d’un pied à l’autre. Finalement, reculant d’un pas, il secoua la tête comme pour abandonner, avant d’avancer de nouveau, de secouer la tête et de déposer sa main sur la poignée. Main qu’il enleva rapidement, comme s’il avait été brûlé, recommençant le même manège qui prenait racine entre sa volonté et ses craintes d’agir. Soufflant par trois fois, l’homme d’armes finit par avoir le sentiment que bien qu’Estelle semblait de retour, il était fort possible que la porte soit close, non ? Oui, elle ne voudrait sans doute pas le revoir tout de suite. Dès lors, la porte ne s’ouvrirai…

-”...’chier.”

Finalement, la porte s’ouvrait bel et bien. Encore quasiment fermé, l’ivrogne ne voyait rien par l'entrebâillement, mais entendait les sons des conversations. L’établissement semblait avoir rouvert ses portes de nouveau. “On rentre maint’nant ?” Le silence fut l’unique réponse qu’il reçut. Soufflant de nouveau, Merrick ouvrit finalement la porte en grand. Pour le meilleur ou pour le pire, et étrangement, cette fois-ci ce fut surtout pour le meilleur. N’analysant rien de ce qui l’entourait, cherchant une crinière rousse potentiellement munie d’un plateau au milieu de cette marre de gens qu’il pensait n’être qu’une populace anonyme, Merrick sonda la pièce à la recherche de sa “cible”, pensant qu’elle pourrait bien être un peu plus grande, sans pourtant oser l’avouer, pour la retrouver plus facilement. La voyant -enfin- il avança d’un pas.

-”...Est’...hein ?”

Coupé dans tout mouvement ou volonté de parole par la prise de parole commune de la salle, le coutilier réalisa enfin qu’il connaissait quasiment tout le monde. Puis, quelques secondes plus tard, il comprit que les mots qui étaient fredonnés étaient à son intention. Interdit et indécis, ne comprenant pas trop, mais ne sachant que faire ou comment agir, il resta statique et sa bouche forma un “o” de surprise. Puis, quand le brouhaha des invités s'estompa, Lorren se retrouva avec une chope de “l’amour de sa vie” dans ses mains. Et pourtant, il ne lâcha pas des yeux Estelle de Chantauvent, la mine toujours indéchiffrable.

-”À not’ nouveau coutilier’chef aussi !” Gueula le poivrot qui avait fait son apparition en précédant le jeune homme à l’intérieur. Les verres et pintes se levèrent sans que le principal concerné ne participe, déposant même sa chope sur une des nouvelles tables qu’il n’avait pas encore regardé. “Il...il n’boira pas…? Bordel, il n’boit pas ! Il est malade ? Il doit être malade !” Eugène coupa les récriminations de l’idiot qui se sentait lésé de voir un Merrick intéressé par autre chose que l’alcool.

S'avançant, traversant cette mer de monde qui l’arrêtait pour lui parler, pour le féliciter ou pour prendre des nouvelles, Merrick Lorren ne détacha pas ses yeux de sa cible. Répondant par onomatopée, offrant des brefs hochements de tête et bien souvent libérés par ces mêmes gens qui réalisait qu’il avait quelque chose de plus important à faire ou a dire, il continuait à avancer sans ciller. Cette fois-ci, elle ne s’enfuirait pas pendant sept jours. Même si c’était pour organiser cette surprise, même si c’était pour lui et le tirer des affres de ses problèmes. Cette fois-ci, ils feraient face. Ensemble. Du moins, l’espérait-il…

Arrivé devant nul autre qu’Estelle de Chantauvent, lui faisant face, la regardant sans frémir ni laisser transparaître un quelconque sentiment, il finit par prendre la parole lentement. “C’est long, sept jours.” Dit-il comme s’il parlait de la météo en hochant la tête. Puis redevenant silencieux un instant, glissant un regard sur ceux qui l’entourait, il se mit à être hésitant. Puis il prit sa décision. Qu’importe les autres. Attrapant sa tenancière, peut-être contre son gré, l’enfermant dans une étreinte en la soulevant du sol et la faisant tourner, il ne la redéposa à terre, sans la lâcher, se cachant dans cette crinière fauve qu’il appréciait tant. Humant la fragrance de son odeur, se perdant dans le contact physique et s’imprégnant de sa présence, il ferma les yeux, oubliant être le centre d’attention d’une attirance qui pouvait être mal vue, alors que tous ici connaissaient sa réputation de coureur de jupons. S’en foutant allègrement, peut-être à tort, il partit en quête des lèvres d’Estelle. Si celles-ci ne lui étaient pas refusées, il l’embrasserait doucement, presque timidement depuis le temps. Pour autant il ne s’arrêterait pas là. Sans prévenir et sans l’avoir prévu, il ourdit bien pire… ou bien mieux ?

Déposant son front contre celui de la jeune femme, il prit la parole d’une voix enrouée, mais assez forte pour être audible de tout un chacun; “ Estelle de Chantauvent, veux-tu m’épouser ?”

Un silence de stupeur vola dans l’assemblée, finalement coupé par un simple mot proféré par un groupe de milicien guère présentable; “...merde !”
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyDim 5 Jan 2020 - 22:00


La crinière rousse semblait prendre plaisir à voir l’établissement de nouveau pleinement rempli et ouvert. Néanmoins une boule avait fini par naître au plus profond de son ventre, douloureuse, indélicate, cette même angoisse semblait faire continuellement pression sur les nerfs qui doutait du bienfait de sa fameuse surprise. Ne laissant rien paraître, la dame de Chantauvent traversait plateau en main en main la chope sucrée, servait sans la moindre once d’hésitation les clients sélectionnés pour l’occasion. Elle répondait à l’affirmation lorsqu’on lui demandait si tout allait comme elle voulait, opinait vivement quand la question était vis-à-vis de sa joie de rouvrir enfin la fameuse auberge. Son sourire alternait entre faux semblant et représentation sincère de son plaisir. Pourtant, cette soirée aussi particulière soit elle sonnait comme un vent de renouveau, une page devant se tourner et une volonté de démontrer à Merrick Lorren son besoin de s’engager, de le soulager, de l’aider. Sa tenue avait été sélectionnée avec soin, sa coiffure tout autant et avait-elle-même osé une pointe de maquillage. Il n’y avait plus rien de l’ancienne chope, plus rien en souvenir, hormis les âmes qu’elle apercevait parfois, comme un voile. L’écho d’un rire d’un homme qu’elle avait précédemment aimé, la silhouette floue de ce même homme disparaissant pour affronter le pire. Tout ça, elle n’en voulait plus, ne pouvait-elle plus vivre ainsi, définitivement pas, définitivement plus. Ses doigts s’étaient enroulés autour d’une chope d’alcool, consommer durant un service ne lui ressemblait guère, mais ne se sentait elle pas capable de l’affronter sans ça.

L’ombre de Merrick Lorren planait pourtant malgré son absence, allant du choix de l’alcool, de sa manière de se comporter, des multiples regards anxieux qu’elle jetait en direction de la porte. Ne manquait-il que son milicien, son coutilier. Viendrait-il, ferait-il acte de présence ou préférait-il tourner la page à son tour, reculer plutôt qu’avancer, n’était-ce pas toujours ce qu’il avait jusqu’à présent ? Ses lèvres s’étaient pincées à de multiples reprises alors sa poitrine semblait s’être lancée dans un concert de boum boum insoutenable, presque douloureux. Depuis combien de temps son cœur n’avait-il pas battu aussi vite, depuis combien de temps ses doigts n’avaient-ils pas été aussi moites, aussi… tremblants. La maladresse de ses gestes devait être notables, quelques gouttes d’alcool sur les tables, quelques gestes indélicats, coups involontaires sur certains clients. Estelle faisait de son mieux pour être dans un paraître le plus agréable, sans qu’elle ne dupe quiconque vis-à-vis de son stress, pour autant tous avaient cette même question brûlant les lèvres : qu’attendait-elle véritablement d’un coureur de jupons, pourquoi réalisait-elle tout ceci pour Merrick Lorren. A chaque fois que la question lui avait été posée, elle avait répondu que le coutilier était une personne importante, se camouflant derrière une amitié, une redevance, oui lui devait-elle sans aucun doute la vie. Que ce soit suite à leur aventure au Labret –où jamais ils n’avaient atteint le Labret d’ailleurs-, ou durant leur rencontre avec le cannibale… Et même sans doute vis-à-vis de sa propre famille avec son frère.

La vérité était un peu plus délicate à dire, à prononcer, puisqu’elle-même ne saurait dire ce qu’elle attendait véritablement. Incertaine, la tenancière ne voulait pas prendre le temps d’y réfléchir, attendre était prendre le risque d’être déçu et s’était-elle convaincu qu’elle ne survivrait tout simplement pas. Pas encore, pas une nouvelle fois. Plus elle voulait en savoir, plus elle s’attachait à cet homme, plus elle y voyait une forme de noirceur, de peine incommensurable qu’elle ne parvenait pas à combler. Essayait-elle encore, ne s’arrêterait-elle jamais de tenter de le soulager, jusqu’à quel prix ? Déglutissant, elle avait fini par avaler plusieurs gorgées, le temps s’écoulait et la salle légèrement alcoolisée indiquait bien que Merrick aurait déjà dû être présent. Le doute avait fini par s’introduire dans son esprit, jusqu’à ce que la porte s’ouvre enfin. Son homme d’armes. Ses prunelles s’étaient mis lentement à briller, alors qu’elle ne loupait pas la moindre de ses réactions, la moindre de ses analyses, avait-elle besoin de se rassurer, sans pour autant trouver immédiatement la satisfaction qu’elle aurait voulu y voir. Comprenait-il seulement ?

S’activant pour lui offrir la chope de son alcool de prédilection, la rouquine s’était approchée de quelques pas, évitant quelques gestuelles maladroites, ainsi que des clients qui entonnant la fameuse mélodie apprise se sentait soudainement volontaires pour l’acter de gestes et de mouvement en rythme –ou presque-. C’est seulement à cet instant, ce minuscule instant où elle crut enfin lire de la surprise sur le trait de son coutilier. Une bouche en forme de ‘o’ de bref regard à droite à gauche et une troupe qui s’enjaille davantage dans une chanson plus forte et plus dynamique. Immobile, la dame de Chantauvent se contentait de le contempler, lui, lui qu’elle avait surveillé de loin durant si longtemps, lui qui était de nouveau devant elle à porter de pas, lui qu’elle avait tant voulu soulager un peu sans savoir si elle y était parvenue au moins un peu. C’est peut-être à ce moment que pour la première fois, sa volonté vacilla, se rendait-elle compte qu’elle était tout bonnement incapable de bouger, comme immobilisée par la peur, la crainte, tout se mélangeait dans sa tête. Lui qui avait déposé sa chope sur le comptoir, lui qui avait soudainement décrété que les gens présents n’étaient pas dignes de converser et qui fondait sur elle. Déglutissant, elle sentit une nouvelle fois le tremblement de ses doigts, son cœur tambouriner et son incapacité ni à fuir ni à avancer. « C’est long, sept jours »

Oui. C’est ce que ses lèvres avaient formé comme réponses sans qu’aucun son ne s’échappe de celle-ci. Toujours dans cette incapacité aux moindres mouvements, Estelle détaillait Merrick comme si elle n’avait pas eu la chance de le contempler depuis de très nombreuses années. Il n’avait pas tort, le temps qui s’était écoulé avait été long, atrocement, mais n’était-ce pas pour le meilleur. Encore fallait-il définir le meilleur pour qui, se souvenait-elle de son absence, de son état d’ivresse, de son agressivité vers un homme en souffrance… Son cœur s’était mis à battre plus fort, plus intensément, ses sourcils à se froncer légèrement. Merrick Lorren était-il seulement là pour les bonnes raisons ? Un doute. C’était bien ce qui avait fini par naître dans l’esprit de la Chantauvent, un simple doute, une graine qui germait ou fanait au rythme des actes du coutilier en personne.


- « Sept jours, c’est le temps qu’il a fallu pour tu fasses un effort vestimentaire » tenta-t-elle maladroitement, très maladroitement. Ça avait bien voulu s’échapper de sa chope, dans cette sonorité taquine qui ressemblait bien au couple « Je.. Sur… » surprise, oui c’est ce qu’elle aurait formulé en montrant la salle.

C’est bien Lorren qui réalisa la plus grande surprise, attirant la silhouette féminine jusqu’à lui, la capturant de sa la totalité de sa corpulence, avant de la soulever du sol pour la faire tournoyer. Un geste avait suffi à la faire oublier le moindre doute. Ne pouvait-elle que dévoiler un très large sourire, fermer les yeux et profitant de l’instant. Laissant ses bras s’enrouler autour de la nuque de son homme d’armes, la rouquine ne put que simplement savourer ce contact, cette odeur agréable qu’elle connaissait par cœur. Il était là, véritablement là, après sept longs jours. Avait-elle été dans un premier temps hésitante dans cette proximité n’osant pas véritablement laissé ses doigts courir sur sa joue, ou passer dans sa chevelure comme elle affectionnait le faire. N’avait pas noué leurs doigts comme à son habitude, ni même acceptés tout de suite de retrouver ses lèvres. La présence des étrangers –la concernant en tout cas-, la multitude de regards, le fait d’être le centre d’attention la déstabilisait davantage jusqu’à qu’elle se retrouve à terre, toujours dans cette promiscuité ou elle pouvait davantage le serrer contre elle, savourer sa présence. Elle avait murmuré son prénom, dans un souffle chaud et vibrant, alors que le visage de son milicien s’enfouissait dans sa chevelure rousse, ce n’est que lorsqu’il avait acté le mouvement de recul léger, que ses lèvres étaient venues à la rencontre des siennes, tout bonnement incapable de résister à ce besoin bien trop incontrôlable. Il n’avait rien de passionnel cet échange, rien d’extravagant, il était plutôt discret, plutôt hésitant, doux, délicat et plein de cette maladresse du début. Front contre front, Estelle s’était apprêtée à prendre la parole, pour lui expliquer, pour lui présenter, pour l’inciter à savourer la soirée pleinement, mais Lorren l’avait devancé.

- “ Estelle de Chantauvent, veux-tu m’épouser ?
- « . . . »

Cette fois-ci, ce fut à son tour de former un ‘o’ avec ses lèvres, de sentir son souffle se couper, alors que son regard alternait entre un milicien et l’ensemble de la foule qui semblait cette fois-ci les dévisager. Les chopes des poivrots en étaient tombées à la renverse, se déversant sur le sol allégrement, alors que la rousse devait être silencieuse depuis plusieurs minutes déjà. Pourtant, la réponse était évidente, fluide et hurlait déjà dans son esprit. Il y avait-il pourtant cette incapacité à parler, cette immobilité, la sensation d’être figé sur place. Son regard devait lui aussi hurler la réponse, la réponse et cette émotion, cette étrange émotion qui ravivait la douleur de sa boule d’angoisse. Veux-tu m’épouser ? N’avait-il déjà pas eu cette discussion, n’avait-il déjà pas décidé de se lier l’un à l’autre ? Il voulait plus, s’était lui qui voulait plus cette fois et la situation avec témoin devenait soudainement effrayante et terriblement concrète.

- « Merde… » répéta-t-elle sans même s’en apercevoir comme un écho à la stupeur de la troupe, avant de réaliser qu’elle l’avait dit à voix haute « Pour de vrai… » questionna-t-elle comme pour se rassurer, comme pour réaliser alors qu’il devait la sentir trembler comme une feuille morte balayé par le vent durant une tempête « Merrick… » ce n’était pas prévu, c’était lui qui aurait dû se trouver au dépourvu sous la surprise, sous l’émotion, lui qui aurait dû trembler, sentir son ventre se nouer et là… « Tricheur…»

Elle avait appuyé davantage son front contre le sien, l’emprisonnant pour l’empêcher de fuir ou même de douter, elle était venue retrouver ses lèvres avec sa douceur habituelle, oubliant le reste du monde, oubliant les quand dira-t-on, oubliant même de donner sa fameuse réponse qui lui semblait si évidente. L’ensemble des murmures, l’incompréhension, la joie aussi, mais surtout cette fameuse réputation qui lui collait à la peau, à lui, personne ne pouvait véritablement y croire, personne sauf Estelle de Chantauvent, qui ne pouvait que s’accrocher à cet espoir de réussite, s’accrocher à ce besoin, s’accrocher à cette non-perte qui à se brûler beaucoup plus qu’une aile. Quelque chose avait changé. Elle n’aurait jamais imaginé qu’au-delà de ses prières, c’est en lui qu’elle trouverait la force de miser sur un nouveau départ, laisser les vents la porter.

- « Oui, Merrick » fit-elle en se détachant « Oui, je veux bien être ton ultime conquête.»

Le silence fut de nouveau de mise, alors que tous avaient dû mal à réaliser la scène qui venait de se jouer devant eux. Fallait-il être un brin suicidaire pour s’engager avec Merrick Lorren, ou complètement fou, mais folle Estelle l’était sans aucun doute un peu, sans brin de folie, n’aurait-elle jamais survécu à tout ça. C’est dans un simple murmure qu’elle lui fit cette étrange promesse.

- « L’ultime Merrick Lorren, sinon je te fais la promesse de te faire disparaître avec Brigitte. » avait-elle peur, craignait-elle de le voir se désintéresser, sans aucun doute, mais l’amusement dans sa voix, cette promesse menaçante ne sonnait guère comme tel.

- « Bon c’est b’ien bô tout ça, maiiiiis… qu’est-ce qu’on boit ?! »

Ce fut d’abord un nouveau silence, puis un rire commun devant l’instant. Un rire communicatif qui avait fini par gagner la rouquine, qui, à contrecœur s’était détachée de Lorren, promettant dans une formulation silencieuse qu’il aurait du temps, pour eux, après. Ce fut d’abord hésitant, puis plus franc une ruée d’applaudissement alors que tous deux s’étaient retrouvés une chope entre les mains et entraîné pour trinquer avec l’ensemble, tous voulaient en savoir plus, tous voulait discuter avec Merrick, prendre des nouvelles, le féliciter pour sa prise de fonction. Elle l’avait relâché pour le laisser discuter, non sans lui murmurer à l’oreille de cette manière rassurante qu’elle n’était pas loin. Estelle n’avait finalement pas besoin de lui expliquer, pas besoin d’évoquer le pourquoi, non l’heure n’était pas à ce type de discussion l’heure était au fait de profiter, simplement.

S’installant contre le comptoir avant de servir les nombreuses chopes, Estelle avala une nouvelle gorgée de son propre récipient, sentant le feu de l’alcool brûler cette boule qui venait de disparaître. Un instant, Estelle profita de cet ensemble, de Merrick non seul, au milieu d’une foule qui l’appréciait plus ou moins, par intérêt ou par sincérité. Eugène avait fini par la rejoindre un sourire sincère sur les lèvres, il n’avait pu s’empêcher de déposer une main sur son épaule pour la féliciter. Avant de récupérer la chope qu’elle venait de lui tendre.


- « Je ne pense pas qu’il réalise sa chance » fit-il simplement en détaillant Merrick « Estelle, vous avez conscience que cela ne sera pas simple ? »
- « Je sais Eugène… » murmura-t-elle lentement « Vous devez me prendre pour folle n’est-ce pas » admit-elle lentement « C’est le cas sans doute, mais… C’est plus fort que moi, c’est comme si.. Je savais au plus profond de moi-même que c’était lui, comme si tout me ramenait toujours à lui »
- « Et une fois qu’il n’y aura plus rien à sauver Estelle, sera-t-il toujours l’unique, on ne peut pas toujours se sauver en sauvant les autres. »

La rouquine le détailla un instant comme incrédule vis-à-vis de la maladresse, sans pour autant s’en offusquer véritablement. Était-ce ça l’excuse qu’il avait déterminée pour justifier l’acte, était-ce ça que tous devaient se dire, qu’elle était une pauvre femme cherchant à se sauver elle-même en venant secourir autrui.

- « Si ce n’était que ça Eugène, croyez-moi, mon nombre de conquêtes serait bien plus élevé que deux. » il s’était mis à rire et elle lui avait offert un simple sourire « Voyez-vous Eugène, je vais vous abandonner là, afin de participer à ce fameux jeu d’alcool qui se prépare au fond de la salle et battre l’ensemble des participants ! »

Elle avait traversé la foule devant le ricanement sincèrement amusé de l’homme d’armes qui secouait lentement la tête. Peut-être que finalement, elle n’était pas si différente de Merrick, bien qu’il soit complexe de lui arriver à la cheville pour le suivre dans sa consommation. Levant une main la dame fit entendre un « Hep, Hep, attendez moi je participe ! » devant les yeux ronds des collègues de Lorren, ils ne purent que glisser un regard vers le futur mari désormais décisionnaire pour elle pour tous « Mais oui, il est d’accord » rouspéta-t-elle en glisse une main sur sa taille « Auriez-vous peur de vous faire battre par une femme ?! »

Eugène lui avait abandonné sa posture au comptoir, deux chopes entre les mains, capturant le désormais futur époux des nombreuses questions que les nombreuses personnes devaient lui réserver. Il lui mit une fameuse tape dans le dos avant de lui glisser entre le doigt le récipient, silencieux dans un premier temps, il dévisageait son supérieur d’un air interrogatif, avant de faire un geste de la tête en direction de la rousse.


- « Ce n’était pas prévu n’est-ce pas ? » demanda-t-il en commençant à connaître le lascar « Je ne veux même pas savoir comment tu vas te sortir de là… Parce que le temps lui-même va être contre toi et tu peux être sûr que d’ici ce soir, toute la caserne va être au courant de ta demande. » il leva sa chope en sa direction et en celle de la rouquine « A la tienne et félicitations futur marié… Merde Merrick Lorren, tu viens de demander la tenancière à la réputation montante en mariage, devant tout le monde… Bordel le royaume va pas y croire » il n’avait pas pu s’empêcher de glousser en avalant une longue gorgée de son alcool « J’sais pas si vous êtes vraiment différent en fait » avoua-t-il « Elle tient l’alcool au moins, parce que si tu veux mon avis, tes deux compères de boissons, ils ne vont pas y aller de main morte… »

Il avait de nouveau fait un geste de la tête en direction de la rousse, avant de rouler des épaules avalant une nouvelle gorgée. De son côté, Estelle semblait au contraire mener la vie dure à ses adversaires, avalant cul sec ses verres sans pour autant sembler déstabiliser. Oh, il ne fallait pas s’y méprendre, elle avait les joues roses, le regard pétillant, mais un large sourire sur les lèvres.

- « Bon hop, bande de petits joueurs, dernière manche, devinez qui va encore boire » plaisanta-t-elle en plaçant une main dans son dos « Parchemin, papier, puit, couteau !!! 1 ;2 ;3 »

Plaçant dans son dos sa main, la jolie rousse attendit prête à crier victoire, sauf que voilà, ce fut une égalité qui tira une moue plus que visible sur les traits du visage de la jeune femme. Il fallut rejouer cette manche et tous avaler un nouveau verre, qui celui-ci fallait-il bien l’admettre commençait à lui tourner la tête, mais voilà l’étape suivante elle sortit victorieuse et surprit elle-même à sautiller sur place bras en l’air à crier qu’elle était la grande gagnante prête à affronter toute autre adversaire absolument pas redoutable. Large sourire sur les lèvres, la jeune femme ne put que constater la mine déconfite des deux hommes pourtant habitués à ce type de jeu, chacun grommelant dans sa barbe, annonçant la chance comme unique responsable avant de quémander une revanche.

- « C’dla faute à Lorren ça encore, il l’entraîne… »


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Merrick LorrenCoutilier
Merrick Lorren



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MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyLun 6 Jan 2020 - 22:00
Merrick Lorren était-il un tricheur ? À dire vrai, c'était difficile à dire. Pour bon nombre de ses camarades d'infortunes, la réponse s'avérerait positive. Après tout, pour gagner, vaincre ou triompher sans le moindre effort ou sans la moindre parcelle de risque, ledit scélérat était prêt à tout, et donc notamment à la triche. À ses yeux, la victoire importait plus que le chemin accompli pour s'y rendre. À son sens, le baratin, la dissimulation et le filoutage étaient une seconde nature pour arriver à son objectif, pour remplir ses impératifs, quels qu'ils soient. Ainsi, crapule déloyale dans l'âme, le nouveau coutilier était un être à la réputation aussi pitoyable de fripon que de coureur de jupons. Misérable ivrogne et malplaisant malandrin, Merrick Lorren était avant tout un vainqueur frauduleux et un défait malencontreux lorsque son baragouinage ne suffisait pas à le tirer d'un mauvais pas ou à lui apporter les lauriers de la gloire.

Pour autant, cette triche avait quelques fois du bon. Ici, il n'a pas lieu d'être de parler des dividendes qu'il pût faire en pipant une partie de cartes, ou bien en gagnant un quelconque concours pour se faire payer la prochaine tournée. Oui, ces maigres victoires avaient quelque chose de gratifiant et de positif pour celui qui avait la bourse aussi trouée que son âme l'avait été par le passé. Toutefois, là n'était pas son plus gros gain, son plus puissant larcin de ses tricheries. Et à cause de celui-ci, Lorren ne se mentait plus; il était le plus grand des tricheurs, lui qui avait réussi à nouer une relation à la fois houleuse et amoureuse avec nul autre qu'Estelle de Chantauvent.

De fait, il ne fallait pas oublier que ce qui l'avait amené à rencontrer la tenancière de la Chope Sucrée, était le maigre butin qu'il avait gagné, un soir où il était -encore- aviné suite à une victoire déloyale aux dés avec ses camarades. Sans cela, il n'aurait jamais fait sa connaissance. Puis, mauvais joueurs, vil truand aussi inconscient qu'indigne de confiance, Merrick avait récidivé, franchissant les maigres règles et barrière que la rouquine pouvait dresser contre ses tentatives de charme à la fois aussi fructueuses sur le temps long qu'infructueuse sur le temps court. Ainsi, il s'était joué de l'interdiction de courtiser la tenancière de l'établissement, agissant à ses risques et périls face à la terrifiante Brigitte, actant encore à contre-courant, suivant un chemin sinueux et guère emprunté qui ne respectait pas les règles établies à la Chope Sucrée. Continuant sur le même sentier, Merrick avait gagné un premier rendez-vous avec celle qui l'intéressait de plus en plus. De là, il n'avait eu de cesse de transgresser et bafouer les vaines règles qui se dressaient face à lui, d'user de malhonnêteté pour triompher et gagner l'appréciation d'une seule et unique personne. Enfin, n'avait-il pas triché devant les Trois en consommant leur relation au Labret en dehors des liens du mariage ? Par contre, pour celle-là, il n'était pas l'unique fautif ou le seul coupable...

Alors oui, Merrick Lorren se l'avouait à lui-même avec plaisir aujourd'hui; il était le pire tricheur de Marbrume. Et le plus comblé. "Moi un tricheur ? Jamais !"... Toujours est-il qu'il y avait encore un monde à l'avouer à autrui et à vive voix.

Tricheur ou non, il était toujours en attente d'une réponse à sa demande en mariage. Sortie de nulle part, prononcé devant tout le monde, les mots proférés n'en restaient pas moins à destination d'une seule et unique personne et hautement honnête si ce n'est particulièrement réfléchi. Bien qu'entouré d'une multitude de visage bigarré, il n'en voyait aucun, trop concentré à retrouver celle qu'il avait cru disparue pour de bon. De fait, il ne mentait pas en disant que la période de sept jours avait été longue. Trop longue. Ses mimiques amoureuses et bien lointaines de l'image de l'ignare ivrogne que lui connaissaient ses partenaires de boissons en étaient la preuve. Estelle était depuis quelque temps, bien qu'il tente parfois de l'oublier ou de s'aveugler, le centre de son univers, quelque chose de nettement plus important que l'ébauche d'une quelconque débauche. La rencontre de leur lèvre, l'effleurement de leur corps et l'envie difficilement coercible d'effeuiller ici, là, maintenant, les dernières barricades de vêtements qui séparaient leurs corps de l'union en étaient en la preuve irréfutable.

-"Oui c'est pour de vrai. Ne viens pas me dire que tu crois que c'est une plaisanterie...?" Murmura-t-il plus bas, fronçant les sourcils pour mimer une contrariété qui ne l'habitait pas, bien qu'une légère sueur froide lui coulait le long de la colonne vertébrale. Allait-elle refuser ? Il n'y avait pas pensé, transporté par l'instant... C'est sur cette pensée néfaste et difficilement conciliable qu'il entendit un raclement de gorge dans la salle. Par la Trinité, pourquoi avait-il fait ça maintenant, là devant tant de monde ?! Allait-il se transformer et devenir la risée de tout un chacun ? L'homme d'armes aucunement armé pour ce genre de palabre se mordit la lèvre inférieure. Il aurait voulu s'esquiver en une plaisanterie ou dans une pitrerie. Ou alors, il aurait apprécié pouvoir soulager cette pression dans l'atmosphère en s'épanchant d'une blague quelconque. Or, cela serait contre-productif pour sa quête qui était devenue l'élément central de cette surprise qui lui était adressé; l'acceptation de cette demande officielle par Estelle. Ainsi, Merrick Lorren prit son courage à deux mains, acceptant potentiellement et possiblement d'être sujet de moquerie en cas de refus. Pour unique défense, le jeune homme se passa une main bien vaine dans la tignasse.

Toujours est-il que peu à peu, sa confiance en lui lui revint. De fait, bien que n'ayant pas encore une réponse honnête et officielle, certains gestes et contacts entre eux ne mentaient guère. Dès lors, la lueur d'inquiétude dans ses pupilles s'évanouit devant la certitude que cette femme était faite pour lui. Leur front collé l'un à l'autre, le contact retrouvé et renoué de leurs lèvres dans une nouvelle caresse doucereuse, dans cette valse qui lui avait tant manqué, qui sembla à la fois durée une éternité et qu'un court instant, bref laps de temps d'une éternité continuellement en mouvement. Et enfin, la réponse qu'il attendait lui vint.

- « Oui, Merrick » fit-elle en se détachant « Oui, je veux bien être ton ultime conquête.»

-"Échec et mat, Estelle..." Dit-il avec un sourire taquin, mais les yeux illuminés par le bonheur et la félicité de ladite réponse. En quelque sorte, il se sentait le plus grand vainqueur, l'homme ayant l'honneur de connaître le plus grand triomphe. D'ailleurs, quant au regard de l'évolution de leur relation, du cheminement qu'ils avaient effectué, passant d'ivrogne et tenancière à amis, puis ennemis et enfin amoureux, Lorren ne pouvait que se congratuler lui et la rousse pour avoir triomphé des plus grands écueils qui avaient déchiré leurs pérégrinations ensemble. "C'est un peu comme ma victoire, non ?" Puis, déposant ses lèvres sur son front sans la lâcher, redescendant son visage vers son oreille et murmurant pour elle seule cette fois-ci, corrigeant l'hérésie de ses mots; "notre victoire."

Toutefois, dans ces instants de paix et d'attendrissement, il ne fallait pas oublier un élément plus qu'important, le fait qui expliquait pourquoi cet exécrable coutilier était tombé plus qu'amoureux de cette resplendissante tenancière. Sa repartie à toute épreuve, sa volonté de répondre à l'ensemble de ses velléités et répartie. Ainsi, à titre de contre-attaque à son "doux" murmure, la dame de Chantauvent le menaça de le faire disparaître à l'aide de sa plus fidèle alliée. Seul à l'entendre, Merrick n'en ria pas moins aux éclats. "Je n'avais pas besoin de l'entendre, j'avais conscience des... "conditions" pour te capturer et te garder pour moi seulement !" Puis haussant les épaules et dressant toujours le même sourire, il poursuivit; " Il n'y en a pas d'autres. Jamais." C'était si simple comme mots, mais si vrai comme pensée. Il avait eu une pléthore de chance depuis qu'il l'avait rencontrée et pourtant, pas une seule fois il n'était aller voir ailleurs. Loin d'avoir besoin d'être loué pour cette "fidélité" dans sa traque de la rousse, cet état des faits venait simplement définir son attachement toujours plus grand pour cette dernière.

- « Bon c’est b’ien bô tout ça, maiiiiis… qu’est-ce qu’on boit ?! »

Suite au rire commun qui frappa la salle, Merrick y alla d'une réponse; "Et bien, nous pouvons boire l'ancien amour de ma vie ?" Dit-il, pouvant officiellement donner ce titre à une certaine personne et non plus à un perfide breuvage à base de houblon.

-"...Hein ?"
-"Une bonne bière !"
-"Aaaaah !"

N'ayant pas d'autres choix que de se séparer, pour œuvrer et laisser un peu de place à autrui, alors qu'ils restaient tout de même entourés d'une multitude, le jeune homme ne manqua tout de même pas de dresser une moue de déception lorsqu'Estelle quitta ses bras sous les applaudissements. Le connaissant, cette dernière lui signifia qu'ils auraient plus de temps pour eux un peu plus tard. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, l'ivrogne alla récupérer sa bière, glissant un dernier regard insistant à sa fiancée qui venait de lui murmurer qu'elle ne serait pas loin.

Traversant la foule, saluant cette masse de gens présents pour lui, gratifiant certaines d'une tape sur l'épaule ou d'une poignée de main, Merrick Lorren reçut les félicitations hésitantes et les encouragements et autres bonnes chances circonspectes formulés ici et là. Sans jamais chercher à en savoir plus, répondant de simple remerciement platonique avant de changer de sujet, le milicien continuait tout de même à se demander pourquoi on le congratulait et pourquoi on lui souhaitait bonne chance. Était-ce des félicitations pour sa demande en mariage et des encouragements pour sa nouvelle fonction sous la houlette de la houleuse Sydonnie de Rivefière, ou bien le contraire ? En un sens, il ne voulait pas le savoir, par peur de ne pas aimer la réponse...

-"Merci d'être venu, j'app..."

De derrière lui, une main vint lui agripper l'épaule pour le forcer à se retourner, tandis que des mots venaient couper ses premiers palabres envers un tiers individu. "Prenez-en soin, Lorren." Les yeux embués, Lissandre, l'habitué des lieux et l'autre quidam épris de la propriétaire des lieux, plongea ses iris rougis dans les pupilles du coutilier, combattant vaillamment ça tristesse et découvrant sa défaite à un moment impromptu. "Rendez-là heureuse. Sinon, je viendrais m'occuper de vous."

Décidément, cette demande en mariage semblait vouloir lui réserver d'affreux instants néfastes et mortels s'il échouait. Entre la "menace" de celle qui avait accepté sa demande devant tout le monde, puis après les mots de Lissandre, Merrick avait de quoi craindre pour sa vie s'il rendait malheureuse la principale concernée. "Je vous le jure." Répondit-il toutefois sans la moindre once de plaisanterie dans la voix ou le regard. Il devait bien ça à cet ennemi vaincu avec les honneurs. Se détournant, marmonnant une maigre félicitation, Lissandre parti en direction de la dame de Chantauvent. Toutefois, à mis chemins, il resta interdit et indécis avant de se détourner et de partir de la Chope Sucrée. Le léger bruit de la clochette d'entrée fut l'unique bruit qui accompagna sa fuite et son âme en peine.

Restant fixe et perdu dans ses pensées durant quelques instants, Merrick se mit à réfléchir au dernier de ses pires adversaires qu'il restait en lice. De fait, l'apparition de l'habitué de l'auberge avait fait remonter à son esprit qui croulait sous le plaisir et la félicité l'existence d'Adrien de Miratour. Auparavant, engoncé dans sa peine et ses souffrances, puis dans le plus grand bonheur de son existence de savoir Estelle sienne plus qu'officiellement, le coutilier avait omis l'existence de ce salopard, de ce monstre de la pire espèce. Toutefois, le milicien se promit de ne plus faire cette erreur. À n'en pas douter, ce fou risquait de se faire entendre avant la fin. Et avant cettedite fin, Merrick Lorren devrait agir. Pour le meilleur ou pour le pire, allez savoir...Soupirant, puis se secouant pour évacuer ce futur défi probablement fatal et tragique, qui l'égratignait et le vrillait d'une sourde peur d'être perdant, l'ivrogne se concentra sur le bonheur simple de l'instant. Sur les gens l'entourant et sur celle qui vaquait non loin comme elle l'avait promis.

Sa chope toujours bien en main, il se retourna en quête de la crinière rousse qu'il passait le plus clair de son temps à chercher dans la salle. La trouvant un peu plus loin, en compagnie des miliciens qui l'accompagnaient généralement dans ses pérégrinations alcoolisées le soir venu, Merrick secoua la tête un bref instant, voyant un sourire en coin se dessiner sur son visage. Il ne pouvait dire qui regretterait le plus cette rencontre. De là où il était, le jeune homme pouvait voir qu'un jeu d'alcool se préparait. L'expérience contre le caractère fougueux de la dame de Chantauvent et son horreur de la défaite. La lutte s'annonçait serré, d'autant plus que les hommes d'armes risquaient de la sous-estimer. Puis, sorti de nulle part, un souvenir creva la surface de son esprit; une Estelle ivre dans une auberge, à moiti dénudé et trop occupé à vomir et cuver son vin. Son petit sourire se transforma pour devenir un froncement de sourcil. Finalement, il commençait à avoir une idée plutôt claire de qui risquait d'être le véritable perdant dans ce duel opposant la tenancière à l'attroupement de miliciens; lui-même.

Devant les regards intrigués et insistants de ses collègues, Merrick ne fit que lever les mains en l'air d'un signe fataliste. la jeune femme restait en mesure de décider pour elle-même. Par ailleurs, il ne voulait pas de ce poste de gestionnaire de ses occupations. Il avait déjà assez de mal à se gérer lui-même... "Faites attention, messieurs." Dit-il une fois arrivée au côté de sa fiancée. Souriant et se tapant du coude, les poivrots ne réalisèrent pas qu'ils les mettaient en garde contre leur opposante, plutôt que de leur demander d'y aller doucement avec la tenancière. Mal leur en prit, à tout le moins. Sur la table devant eux, les verres qui seraient les armes des opposants étaient prêts à être vidés à tout moment. Regardant l'ensemble, le regard du coutilier fut attiré par les nouvelles gravures qu'il n'avait pas remarquées et qui figuraient désormais sur les tables de l'établissement. Cette lettre "C" et "L" si caractéristique. Émotionnellement égratigné par cette découverte, mais trop fier, ou trop narcissique, pour en dire un mot, Lorren ne fit que passer sa main à la taille de la rouquine qui s'était démenée -encore- corps et âme pour cet instant, offrant une petite pression reconnaissante. Un jour, il faudrait bien que lui aussi lui apporte quelque chose d'aussi grand que ce qu'elle faisait continuellement pour lui.

Finalement, il n'eut d'autre choix que de quitter sa place au-devant de la scène, alors que la partie s'enflammait et que les verres se vidaient. Laissant seule la dame de Chantauvent, le coutilier se retourna pour faire face au premier milicien de sa coutelerie encore quasiment inexistante; Eugène. Écoutant ce dernier le questionner, il finit pas répondre, partant d'un éclat de rire. "Par la Trinité, bien évidemment que ce n'était pas prévu !" Dit-il en se passant une main dans la tignasse. Si tel avait été le cas, l'ivrogne aurait probablement hésité et n'aurait rien fait. Simplement parce que la peur de l'échec, la crainte de s'afficher devant tout le monde aurait été trop grande. " Je ne cherche pas spécialement à me sortir de là, Eugène. Je suis bien, ici et maintenant." Puis secouant la tête; "De toute façon, que la caserne soit au courant ou non, ça ne change rien. La plupart me prennent pour un simple ivrogne et quelques-uns pour un héros. Ils n'auront qu'à estimer que ma montée en grade m'a ramené dans le droit chemin." La vision des miliciens ne le préoccupait aucunement. Il était plutôt inquiet de la contre-attaque d'Adrien qui finirait par l'apprendre grâce à ses contacts dans la milice. En outre, le seul détail qui le dérangeait était sa propre réputation de coureur de jupons; cette dernière image risquait de faire passer la dame de Chantauvent pour une simple énième conquête. Chose qu'il n'acceptait pas.

-"Merci, Eugène...pour tout." Il n'en dirait pas plus, mais il lui en devait beaucoup dans cette dernière semaine. Avec la disparition de son support qu'était Estelle, Lorren avait fini particulièrement esseulé et isolé, notamment à cause de son caractère qui était devenu plus que négatif suite aux péripéties macabres et morbides du Chaudron. Pour autant, son collègue était resté auprès de lui, bien qu'ils n'aient que très peu de choses en commun et qu'ils n'aient jamais été amis. Au final, Eugène était un homme beaucoup trop bon pour son propre bien. Un grognement des gaillards faisant face à la rouquine le fit couler un regard vers ceux-ci. Amicaux, ces hommes n'en restaient pas moins de piètres amis, de simple connaissance de beuverie. Ce n'est pas eux qui auraient levé le petit doigt pour le coutilier. "Eh oh, moi aussi j'ai une réputation montante !... Non ?" Demanda-t-il intrigué, laissant son regard vagabonder sur la silhouette d'Estelle. Elle était sublime ce soir. Oui, bon, elle l'était toujours à ses yeux d'homme épris. Mais il était évident qu'elle avait fait un effort ce soir. "J'ai dépassé le quota de surprise que je peux faire subir au Royaume. Déjà, je pense qu'il a du mal à s'en remettre de mon nouveau grade..." Commença un Lorren joueur. "Elle est aussi belle que moi, à tout le moins, hein ?" Pour celle-là, il ne reçut qu'un roulement d'yeux de son camarade. "Je ne m'inquiéterais pas trop pour elle dans le jeu de boisson en lui-même. Mais pour après..."

-"Ça, c'est ton problème en temps que futur époux !" Répondit un Eugène en riant.
-"Bordel, j'aurais dû lire les petits caractères du contrat..."
-"Tu ne sais pas lire."
-"C'est un fait. Bon, je vais faire avec alors."

Rappelé auprès de la table par un commentaire d'un des deux miliciens défait par la dame de Chantauvent, Merrick offrit un clin d'œil à Eugène, puis une tape sur l'épaule avant de se rapprocher. "Ce n'est pas de ma faute, c'est elle qui m'entraîne !" Mentit-il en hochant la tête en essayant de paraître convaincu. "Vous ne le saviez pas ? Pour avoir le droit de l'approcher, il faut être en mesure de vider un...non. Deux tonneaux de bière en quelques instants à peine !" Puis un peu plus bas, comme un conspirateur avouant son méfait à tout le monde, il poursuivit. "Pour tout vous dire les gars, je n'ai jamais été un ivrogne. Je m'entraînais à boire pour la faire mienne !"

-"Oui c'est ça chef, et tu troussais la gueuse pour t'entraîner à être bon pour elle... Bwahaha !" Un silence fut l'unique réponse qu'il reçut. En plus d'un claquement de langue et un regard noir du principal concerné. Foutu ignare et hilare ivrogne. Ce dernier, loin d'être méchant, mais tout aussi loin d'être malin, réalisa ça bourde. Glissant un regard vers Estelle, puis vers Merrick, il finit par se racler la gorge. "Ahem...J'vous demande pardon." À qui s'adressait-il ? Dur à dire... son second camarade, vola à son secours. Moins stupide, mais tout aussi insipide, celui-ci proposa un second duel au jeu de boisson: "Va falloir affronter notre champion, mamzelle, si vous voulez être la championne!" Dit-il en pointant son futur époux. "Où auriez-vous trop peur de perdre ?" Continua-t-il en tentant de piquer sa fierté.

-"Écoutez les gars, je ne pense pas que ça..."
-"T'es trop gentil, chef !"

Pas spécialement, il avait simplement des souvenirs d'une Estelle ivre qui lui faisait craindre le pire. Toutefois, coupé par l'adhésion générale à ce duel, le coutilier coula un regard hésitant vers la principale concernée, lui laissant le choix final de cette possible et potentielle rixe sur son terrain de prédilection.

◈ ◈ ◈

Fin de la soirée

-"Tu...hips !...Tu nous accompagnes chez Rupert, Chef ?"

-"Pas ce soir les gars." Répondit le jeune homme nettement moins amoché que ses collègues. Devant sa réponse, l'un deux soupira en secouant la tête, tandis que le second se rapprochait, soufflant son haleine fétide au visage de l'homme d'armes. "J'espère que tu vas pas trop changer, Lorren !" Dit-il en pointant du menton la rousse. "Eh mamezelle, vous n’oublierez pas de le laisser parfois à ses meilleurs amis, hein ?!"

-"C'est bon les gars, allez boire en mon honneur." Finit le coutilier en les poussant à l'extérieur, coupant toute récrimination en fermant la porte derrière eux et la verrouillant. S'appuyant sur le battant quelques instants, soupirant et fermant les yeux, Lorren prit le temps de profiter du calme qui venait de revenir. Sa tête le tiraillait et ses sens étaient ralentis par l'ivresse. Loin du coma éthylique, il n'en restait pas moins qu'il avait bu une bonne quantité de spiritueux en tout genre, bien souvent amené et offert par des connaissances voulant le saluer ou le féliciter pour une quelconque raison. Autour de lui, les objets bougeaient quelque peu et son centre de gravité était vacillant, précaire. Pour autant, son centre d'intérêt principal était tout trouvé. Une certaine personne à la chevelure flamboyante...

S'approchant de cette dernière qui se trouvait dos à lui, Merrick Lorren finit par la capturer en l'enserrant par la taille. Laissant sa tête reposer sur le crâne de celle qui était nettement plus petite que lui, l'ivrogne ne dit rien pendant un moment, profitant simplement du contact retrouvé avec Estelle. Puis ouvrant les yeux, faisant tourner la jeune femme pour qu'elle puisse lui faire face, ou en la regardant tout simplement si elle avait d'elle-même changé de position, le coutilier parti en quête d'information ne mentant pas; son état général. Était-elle plus ou moins amochée que lui ? Dur à dire sans nouer la conversation. Chose qu'il fit bien évidemment, sans pour autant forcer les mots. Il avait plusieurs choses à lui dire, maintenant qu'ils étaient seuls.

-"Merci pour..." Dit-il en montrant la pièce d'une main, pour lui faire comprendre qu'il parlait de la soirée, certes, mais pas seulement. De faits, il mentionnait un peu tout à la fois; sa présence, son acceptation du mariage et plus encore. "Tu es certaine que tu ne regretteras pas ton choix ? Enfin, je ne voulais pas te forcer la main devant une foule. D'ailleurs, je ne les pas fait pour attirer l'attention, hein ! Je n’ai pas trop réfléchi dans les faits. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas convaincu de ma déclaration ! C'est juste que... que je ne l'avais pas prévu. C'est quand je t'ai vu que...bref, voilà." Voilà quoi ? Rien n'était clair bordel ! Lorren se morigéna lui-même. C'était à cause de l'alcool, se mentit-il, et non pas à cause d'une nervosité qu'il n'arrivait pas à définir la cause.

Prenant une grande respiration, il secoua la tête avant de se passer une main dans la chevelure. Ce n'était pas de son ressort ce genre de discours un peu mièvre. Laissant sa tête se pencher vers la gauche, rapprochant sa promise au plus près de lui, alors que l'une de ses mains descendait au creux des reins de celle-ci, Merrick dressa un sourire canaille à sa partenaire. " Mais bon, il serait quand même étonnant que vous vous refusiez à moi, Princesse." Puis alors que son sourire s'agrandissait, il continua: " Nous n'avions pas prévu d'en arriver là, dans notre jeu de séduction." Poursuivit-il tout à fait honnête. "Alors, qui en est finalement le vainqueur ?" Puis s'approchant de son oreille et murmurant tout bas; "En ce moment, je me sens personnellement comme le plus grand vainqueur du royaume, ayant remporté le gain le plus important." Dit-il en parlant d'elle-même et déposant tendrement ses lèvres sur sa joue. Puis, se décollant et la regardant dans les prunelles, il mit fin à sa prise de parole de bien savante manière. Enfin, à son sens; "Et donc, cela fait de moi le grand gagnant, non ?"
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] Empty
MessageSujet: Re: Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]   Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick] EmptyDim 19 Jan 2020 - 13:21


Échec et mat, Estelle. La phrase avait dû résonner un temps dans l’esprit de la rouquine qui n’avait pu s’empêcher de détailler Merrick, aurait-elle pu lui répondre par cette même phrase, avant de réaliser un instant le chemin qu’ils avaient parcouru, ensemble. Échec et mat, se répéta-t-elle intérieurement avec cette sensation de chaleur dans l’ensemble du corps. La tenancière n’avait pu s’empêcher de fermer les yeux, de savourer le contact de ses lèvres sur son front, de son souffle non loin de son visage, ses doigts s’étaient roulés sur ses avant-bras, comme pour l’obliger à rester, à maintenir encore cette proximité, leur proximité. Il serait mentir que d’affirmer que la présence de tous ses autres ne la dérangeait pas, aurait-elle adoré être seule à ce moment-là, pouvoir laisser ses doigts vagabonder sous le tissu de son désormais futur mari. Ses joues avaient dû légèrement s’empourprer d’ailleurs, alors que son regard devait trahir sa pensée. Surprise. Merrick Lorren était bien le victorieux de cette soirée, sans même avoir livré la moindre bataille, Estelle était donc la perdante de ce premier jeu lancé ensemble : celui qui s’attache à perdu. Le laissant reprendre une proximité plus convenable, elle n’avait pas pu s’empêcher de lui rappeler les conditions d’un tel engagement. Une inquiétude sans doute, aussi furtive que passagère, l’infidélité elle avait déjà donné, elle ne voulait plus ressentir cette douleur, plus jamais.

Le coutilier avait fini par la rassurer dans une simple phrase, riant simplement à la douloureuse menace de la Chantauvent. Aurait-elle pu lui répondre, lui dire de ne pas trop rire, parce que Brigitte était redoutablement douloureuse. Elle n’en fit rien se contentant de savourer pleinement le moment présent et cette étrange émotion s’emparant de son esprit. Elle était finalement à ses côtés, se surprenant à rire lors de son étrange humour concernant l’ancien amour de sa vie dont il était seul à connaître ce petit nom, l’incrédulité d’abord du poivrot l’amusa davantage, avant qu’il ne réalise qu’il ne s’agissait que de bière. Avait-elle dû laisser ses doigts traîner dans son dos, quelque peu en de très légères caresses avant de l’abandonner, de le laisser vagabonder pour retrouver ses collègues, amis, ou toute autre personne qu’il aurait fréquentée à un moment donné. Estelle avait dû le suivre du regard un long moment sans trop réaliser, sans trop savoir comment tous deux en avaient pu arriver là. Elle avait échangé quelques brèves paroles avec celui qu’elle pensait être le plus fidèle collègue de son futur mari avant de se retrouver entraîné dans un jeu d’alcool dès plus divertissant. Fallait-il l’admettre, Estelle était une mauvaise joueuse, avec une révulsion complète de la défaite. Si elle n’était pas la plus résistante à l’alcool, son caractère un brin têtu et déterminé lui permettait parfois de surmonter bien des épreuves, les vapeurs des mélanges de boissons comprises. Ainsi fut-elle surprise de voir les hommes hésiter avant d’accepter de jouer en sa compagnie. Dynamique par habitude, ses prunelles s’étaient illuminés de cette étincelle de plaisir, de future victoire. Tout ne s’était pas exactement passé comme elle l’aurait souhaité et prise à son propre jeu avait-elle senti quelque tournis la guetter.

L’homme d’armes avait fini par la rejoindre, glissant une main autour de sa taille y mettant une très légère pression, l’obligeant à relever le nez de son attention première ses adversaires. Fallait-il être aveugle pour ne pas constater dans ce simple regard toute l’affection que la jeune femme portait au coutilier, l’alcool aidant n’était-elle pas en mesure de le camoufler comme elle aurait pu le faire habituellement et ce fut un sourire beaucoup plus franc qui vint ponctuer ce petit instant suspendu au bout milieu de la soirée. Merrick avait fini par repartir, non sans être rattrapé un instant par quelques doigts venant effleurer les siens dans une hésitation presque enfantine. Estelle l’avait une nouvelle fois observé s’éloigner sans ne jamais avoir la possibilité de lui dire tout ce qu’elle aurait aimé lui dire… Il y avait pourtant tant à évoquer. Heureusement ou malheureusement pour la rouquine, elle fut rapidement rattrapée par la compétition et par les ignares, retournant donc à son occupation principale de la soirée : boire. Avait-elle un brin mal à la tête un brin la vision plus floue, mais cela ne semblait pas l’importer aujourd’hui était une journée différente, consacrée au bien-être de merrick Lorren et à la bonne humeur générale. Terminé de s’apitoyer, terminé de se lamenter et d’avoir peur du lendemain. Après tout n’allait-elle pas devenir madame Lorren ? Cette pensée sembla la déstabiliser un long moment, comme si elle venait soudainement de réaliser qu’elle allait perdre son nom et de ce fait le dernier souvenir concret de feu son ex-mari. Cette fois-ci, elle avait porté le verre à ses lèvres, plus par véritable besoin que par défaite, ce qui ne manqua pas d’être relevé par les quelques idiots présents.


- « Eh eh f’aute pas boire là hein… C’que quand qu’vous perdez hein »
- « Oups » fit-elle simplement en levant les mains, innocente.

Elle n’avait pour autant pas pu s’empêcher d’avaler une nouvelle gorgée. Estelle Lorren. Merde. Ça elle n’y avait pas réellement pensé, elle ne l’avait pas pris en compte et même si la jeune femme s’appliquait à tourner définitivement la page de son passé, son nom semblait encore la bloquer dans son acceptation, dans sa joie nouvelle. Ce ne fut qu’après être sorti victorieuse de l’ensemble, que la rousse releva enfin le nez de ses pensées pour aviser celui qui venait de la rejoindre. Son presque futur mari, semblait à la fois amusé, mais aussi un peu perplexe vis-à-vis de la situation. Les paroles maladroites de l’ivrogne semblèrent piquer légèrement la tenancière, sans qu’elle n’en exprime le moindre mot, glissant son sourire habituel sur ses lèvres. Masque illusoire, représentation, alcool ou non, savait-elle parfaitement user de ce talent d’apparence.

- « Quand on a réussi à transformer un Merrick Lorren à l’homme le plus résistant du royaume à l’alcool » souffle-t-elle « Et qu’on est pleinement responsable de ce fait et de cet entraînement acharné, car il a fallu du temps pour le voir triompher, on ne va pas s’engager vers une défaite certaine face à notre propre création n’est-ce pas ? » tenta une Estelle avec un amusement maîtrisé et provoqué « Je rends les armes, je ne peux rien contre le grand et redoutable Merrick Lorren, ni même contre son passé ! »

Au fond, la blessure avait été sans doute un peu plus forte que ce qu’elle n’avait bien voulu entendre, sans pour autant en tenir responsable son milicien à qui elle avait offert un sourire qui se voulait rassurant. Une main au niveau de ses hanches, elle s’était glissé sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue, avant de disparaitre prétextant avoir l’air de rien, pas mal de travail. C’est que la salle, les renversements et le remplissage des chopes n’allaient sans aucun doute pas se faire tout seuls.

◈ ◈ ◈

Estelle avait délaissé Merrick, simplement pour lui offrir la possibilité de saluer une dernière fois l’ensemble des participants –et sans aucun doute aussi qu’il ne constate pas à quel point elle avait abusé de l’alcool-. Armée de son balai la dame tâchait de rendre le sol plus convenable, cependant, quand on n’était pas en mesure de voir convenablement les éléments il était fort complexe de réaliser l’acte à la perfection. Ainsi, n’y avait-il pas un tas de poussière, mais plusieurs, passait elle-même parfois en plein milieu du premier pour un réaliser un autre. Pire devait-elle amocher les poils du balai tant elle mettait son poids sur l’ensemble pour conserver son centre d’équilibre. La rousse n’en restait pas moins préoccupée, elle qui avait voulu surprendre et déstabiliser Merrick Lorren s’était retrouvée prise à son propre piège. Sur l’instant présent, elle était incapable de dire qui de lui, ou d’elle, était le plus chanceux de la soirée, qui avait réussi le plus à surprendre son partenaire. S’arrêtant dans ses mouvements, elle releva le nez de ses pensées, pivotant pour détailler ceux qui semblaient avoir envie de poursuivre la soirée. La tenancière se contenta d’un bref signe de la main à leur égard, laissant son homme d’armes décider de ce qu’il souhaitait faire ou non.

Égoïste, la rousse ne l’avait jamais été, prenait-elle la plupart du temps sur elle pour éponger ses blessures, ses déceptions et ses cicatrices. Merrick avait toujours eu un attrait particulier pour les femmes et la boisson et ne se jetait-elle aucunement dans la moindre illusion que ses deux éléments pourraient véritablement changer. Bien que pour la première, elle conservait ce petit espoir sans doute un peu naïf.

Le silence retrouvé fut un véritable régal pour l’esprit et les oreilles de la rouquine, qui loin de s’en offusquer prenait plaisir à ne percevoir que l’unique bruit de son balai sur le sol en bois. Merrick devait terminer les quelques au revoir à l’extérieur, du moins le supposait-elle. Bien trop alcoolisée pour tenter de se retourner brusquement, elle n’en fit rien, préférant rester parfaitement concentrée sur son entretien. La dame appréhendait néanmoins ce moment, où elle se retrouverait de nouveau seule avec lui, après avoir disparu sept longs jours, après avoir réalisé cette soirée, après avoir accepté de l’épouser devant tout à chacun.

Cherchant un brin de courage dans une énième inspiration, elle fut surprise de se retrouver capturée par des bras qu’elle ne connaissait que trop bien. Loin de chercher à s’échapper, elle osa se laisser un peu plus reposer contre celui qui était finalement resté. Elle sentit inévitablement son cœur battre dans sa poitrine, sa respiration se faire plus hésitant, plus nerveux, alors que ses yeux se fermaient lentement pour savourer pleinement l’instant présent. Estelle Lorren. Peut-être que cela ne sonnait pas si mal finalement, peut-être, oui. La gérante de l’établissement n’avait pas bougé, à aucun moment, préférant simplement redécouvrir ce contact qu’elle appréciait tant, se laissant par la suite pivoter, sans pour autant lâcher son balai. Relevant légèrement les yeux vers Merrick, elle lui offrit un sourire sincère, les yeux brillants de cette étincelle d’affection mélangée à son état d’ébriété un brin avancé.


- « Je ne regrette pas » affirma-t-elle en laissant ses doigts d’une de ses mains libres venir effleurer son visage « Mais ne te sens pas obligé de quoi que ce soit Merrick, j’aime notre relation comme elle se trouve aujourd’hui avec sa multitude de problématiques » murmura-t-elle sincèrement « Et puis tu n’as pas besoin de me remercier, je ne l’ai pas fait pour ça »

Elle avait conclu en haussant les épaules, réalisant pleinement qu’elle se devait de lui parler, tout en ayant conscience que ce n’était pas le bon moment. Elle prit une légère inspiration, prête à formuler cette phrase redoutée de tous, avant de se retrouver réduite au silence par la prise de parole de son futur mari. Rapproché davantage physique, la dame ne put que lui offrir un nouveau sourire avant de se mettre à rire. Peu probable qu’elle se refuse à lui, rien que ça. Estelle avait doucement secoué la tête avant de laisser échapper un nouveau rire, déposant sa tête contre lui, avant d’enfin abandonner le fameux balai en l’extirpant pour le laisser tomber sur le sol. Merrick Lorren était le grand gagnant, cela ne faisait aucun doute, éprise Estelle n’était guère en mesure de renoncer, de comprendre ou même d’exprimer les quelques souffrances que sa relation lui avait fait éprouver et puis… Elle laissa de côté tout ça, tout ce qu’elle aurait voulu lui dire, cette conversation sérieuse qu’elle s’était promis d’avoir était de nouveau passé en second plan, repoussé habillement.

- « Tu sais surtout ce que tu as gagné ? » fit-elle dans un large sourire « Le droit de tout nettoyer ! Eh, ne crois pas qu’en plus de tout préparer c’est moi qui vais devoir tout ranger » affirma-t-elle une étincelle dans le fond des yeux « Et puis cette fois-ci tu ne pourras pas y échapper, Merrick Lorren. »

Volontairement, Estelle n’était pas revenue sur cette notion de relation, d’affection, de cette demande non programmée, non prévue et pas du tout envisagée par la rousse. Elle s’était contentée de se pencher pour récupérer le fameux balai afin de lui glisser entre les doigts. Il ne fallait cependant pas se leurrer, il y avait entre eux cette attirance, cette évidence. Le ressentait-elle à chaque fois qu’il prenait la parole, à chaque fois qu’un murmure venait trouver écho au creux de son oreille, à chaque fois que ses lèvres effleuraient sa joue, ou que ses doigts trouvaient une accrochée sur le tissu qu’elle portait. Oui, Estelle avait entièrement succombé à Merrick Lorren, répondant sans lutter à cette attraction qu’elle n’expliquait pas, ce besoin inconscient d’être là au plus proche de lui. Le réalisait-elle davantage quand elle lui remit le balai entre les mains, quand ses doigts effleurèrent une nouvelle fois les siens. Malgré sa promesse de le faire tout astiquer, elle n’avait pas pu s’empêcher de se hisser sur la pointe des pieds, de venir trouver ses lèvres, de déclencher cette propre envie de plus, tellement plus et cette fois-ci ce ne fut plus Merrick qui prit les devants, qui entama un jeu de séduction, mais bien la Chantauvent. Laissant glisser ses lèvres sur le coin de sa bouche, son cou puis remontant jusqu’à son oreille, elle ne put que venir lui murmurer comme une invitation silencieuse :

- « Bienvenue chez toi… chez nous… tu sais que même notre chambre a été refaite… entièrement. Je me disais que peut-être, nous devrions tester le confort du lit avant de valider pleinement la transformation… »

Elle était une nouvelle fois venue l’embrasser, avant de le regarder avec cette lueur de provocation. Estelle restait joueuse, mais surtout hésitante, elle avançait pour mieux reculer, pour mieux avancer une nouvelle fois. Un pas en avant, trois pas en arrière… Et reprenant de vive voix :

- « Mais toute récompense se mérite ! » affirme-t-elle en secouant le balai sous son nez « Je connais un jeu… » poursuivit-elle « Pour chaque objet rangé ou tâche effectuée un vêtement en moins ! » tenta-t-elle de plaisanter pour lui donner le goût du travail bien fait « Alors, monsieur Lorren, acceptez-vous de jouer avec moi ? »

Elle s’était mise à papillonner des yeux, battant pleinement des cils pour le faire succomber. L’action lui avait provoqué un léger vertige, l’obligeant à se rattraper à son bras, avant de se mettre doucement à rire. Ivre, elle l’était très certainement, sans quoi n’aurait-elle pas formulé ainsi ses propositions, ni même son once de provocation. Estelle était à la fois très contradictoire dans ses paroles et dans ses gestes, puisque ses doigts étaient venus très lentement effleurer la silhouette de son milicien, jusqu’à s’essayer à s’infiltrer sous ses vêtements.

- « Sept jours, c’est beaucoup trop long » souffle-t-elle lentement « Tu m’as manqué Merrick… » avoue-t-elle avec une certaine émotion « j’ai cru te perdre » poursuit-elle dans cet aveu sans grande réflexion « Tu n’es pas un monstre… » articule-t-elle en enfouissant sa tête dans son cou une nouvelle « Je voulais te le prouver, je voulais que tu vois qu’ils étaient nombreux ceux t’appréciant, je voulais que tu réalises que tu n’avais pas fait que tuer, tu avais sauvé aussi et je.. je… » elle avait eu peur, horriblement peur de le voir se perdre, souffrir sans être en capacité de remonter, sans être en capacité de s’apercevoir de sa noirceur, de sa dérive « Je voulais juste que tu le remarques aussi… Sept jours sans toi, s’était un peu comme sept jours sans une partie de moi… Mais tu as tellement de choses à découvrir… j’ai voulu.. que ce soit chez toi ici, vraiment, tu comprends ? Tu ne m’en veux pas ? Dis… »

Était-ce peut-être une étrange crainte, mais elle était sincère : avait-elle été à la hauteur, Merrick avait-il réalisé qu’au-delà de tout le négatif de ses actions il en découlait aussi du positif, du très grand positif ? Elle l’ignorait, pour autant était-ce la réalité. Et puis, elle avait fini par se détacher, ne parvenant pas à formuler ses inquiétudes, ne parvenant pas à exprimer ses propres mots, Estelle préférait une nouvelle fois laisser tout sous le tapis, encore. Elle lui avait offert un sourire, laissant ses doigts venant ébouriffer sa chevelure, non pas sans un petit regard malicieux et taquin, car elle savait pertinemment qu’il n’appréciait pas ça. Elle s’était ensuite reculée, manquant inévitablement de chuter, elle s’était mise une nouvelle fois à rire :

- « Merrick Lorren, vous avez une très mauvaise influence sur moi je crois que j’ai un peu trop bu… Oh, mais je sais, ce n’est nullement de ma faute… C’est que j’ai dû m’entraîner durement pour être à votre hauteur de consommation et pouvoir vous tenir tête… » affirma-t-elle en attrapant un chiffon « Bien, que le plus rapide gagne, mais dépêche-toi si tu ne veux pas finir tout nu avant moi ! »

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Quand le royaume s'écroule faut-il toujours retrouver son chemin [Merrick]
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