Marbrume


-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

Partagez

 

 A deux doigts...

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
MagdaArtisan
Magda



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyVen 13 Sep 2019 - 22:36
La comédie d'Alaïs fut si convaincante que Magda faillit s'y laisser prendre. Mais quelques détails accrochèrent son attention : comme les regards lancés avec insistance, ou ses larmes trop appuyées pour pleurer le sort d'une inconnue. L'artisan suivit son instinct et ne donna pas plus de récriminations. Au dernier instant, elle cru s'être trompée, puis la voleuse se jeta dans ses bras pour lui chuchoter quelques explications. Les miliciens la récupérèrent sans douceur, une main sur la nuque et l'autre à lui tordre le bras. Le jeune garde regarda une dernière fois l'artisan, par dessus son épaule, avec une expression désolée.

Magda fut sciée. Un marchand de grain ? Qu'allait-il pouvoir bien faire ? Elle répéta le nom plusieurs fois pour ne pas l'oublier, tout en cherchant à faire sens de l'histoire. L'éventualité d'avoir mal comprit l'effleura, mais elle était sûre des mots, son oreille fonctionnait encore très bien. Plutôt que de suivre les instructions, elle considéra se rendre à l'Esplanade pour demander l'aide d'Esméra, son statut lui conférait une certaine influence. D'un autre côté, Magda ne souhaitait pas embarrasser sa nouvelle amie d'une histoire pareille, elle qui lui avait déjà beaucoup donné.

Après un soupir, elle se décida à trouver cet homme, Karl Stanner, Alaïs devait bien avoir une idée derrière la tête. Il appartenait sûrement à son 'groupe' dont elle parlait, ce qui signifiait que le gaillard trempait peut-être lui aussi dans des affaires pas tout à fait honnête. Dans quoi s'était-elle fourrée ? Les Trois doivent bien se moquer de moi là Haut... Mais ça en vaut la peine, la petite ne mérite pas ça.

Elle prit la direction du port, un quartier qu'elle avait peu exploré. Même avec l'adresse, il serait facile de se perdre et de tomber à un mauvais endroit au mauvais moment. Magda se concentra et mit fin aux divagations, le temps imparti devait être respecté ou Alaïs y laisserait une main, au mieux. Contrairement à sa précédente traversée du Goulot, elle slalomait entre les habitants d'une foulée rapide. Les gens apparaissaient à droite et à gauche, elle esquivait au mieux mais bousculait parfois un passant.

"Excusez-moi, excusez, s'il vous plaît poussez-vous !"
Un marchand intercepta sa trajectoire, il brandissait un collier serti d'une pierre, du quartz.
"Madame, madame, un talisman pour que votre mari regagne son ardeur ?"
"De... comment ?"
Puis elle comprit et leva les yeux au ciel.
"Non, ça va, laissez-le là ou il est... ça vaut mieux."
Sans lui laisser le temps de répliquer, Magda le contourna brusquement. Il grogna quelque chose mais n'insista pas.

Dans sa précipitation, elle faillit manquer un chariot qui débaroula à une intersection. Les roues frôlèrent ses orteils et le conducteur, un petit bonhomme rehaussé par son siège, lui beugla de se pousser.

"Casses-toi du milieu, pauvre folle !"
"Hé...!"
Magda ses mordit les joues pour retenir une insulte particulièrement colorée. Ça ne lui ressemblait pas mais la situation commençait à doucement lui monter à la tête. Elle expira lentement puis reprit son chemin, le coup de chaud stimula d'autant plus son allure. Une bonne demi-heure fut nécessaire pour atteindre les alentours du port, l'odeur des embruns lui fouetta le visage en guise de bienvenue.

Le sel présent sur la pierre conservait l'humidité et piégeait la poussière qui polluait habituellement l'air de Marbrume. De fait, les allées bordant les quais étaient fraîches et agréables en été, glaciales en hiver. Au mois d'avril, même avec le soleil, la brise mordait la peau. Magda apprécia la température, elle se plaisait au froid, les bourrasques tempéraient son emportement. La pause fut de courte durée, il lui fallait à présent trouver la boutique de Stanner. Elle aborda plusieurs badauds, partageant le nom de la rue que lui avait donné Alaïs, on répondait toujours par la négative.

Magda marcha pendant des heures, dans un sens et puis dans l'autre, envoyée sur des mauvais chemins, à croire que l'échoppe n'existait simplement pas. A un moment, elle se retrouva sur une petite place isolée marquée par une statue d'Anür, taillée dans un morceau de roche brute. Trois types bavardaient à l'ombre du monument, des jeunes gens du port. Ils devaient sûrement connaître le quartier !

"Excusez-moi, le 3 de la Passe du Farantin ? Vous savez où c'est ?"
"Farantin ?"
Il réfléchit, grattant les trois poils de barbe à son menton.
"Nan..."
Les deux autres haussèrent les épaules.
"Bon sang..."
Elle s'apprêtait à tourner les talons lorsque le garçon la rappela.
"Hé, t'aurais pas quelques pièces à lâcher ?"
La question provoqua une tension dans le corps de Magda, elle pencha la tête en avant, pour mieux entendre.
"Qu'est-ce que t'as dis ?"
Sa voix était parfaitement calme.
"Bin, y a une taxe, c'est notre place, ceux qui viennent ils doivent payer."
"Une taxe ?"
"Ouaip. T'es dure de la feuille, nana ?"
Ses camarades ricanèrent, il releva le côté de sa veste pour montrer le manche d'un couteau, suggérant qu'il s'en servirait si nécessaire. Magda n'était pas née de la dernière pluie, son regard passa d'un truand en herbe à un autre, peu impressionné. Cette bande de gamin lui évoqua une portée de chiot essayant de se faire les crocs. Elle se redressa, dépassant son agresseur d'une tête, et croisa les bras.
"Vas-y, sors-le."
"Quoi ?"
"Ton couteau. Allez. J'aimerais bien voir ça. Tu t'en es déjà servi, au moins ? Tu sais par quel bout il faut le tenir ?"
"Bin ouais, tu crois que je suis con ? ! Voilà, attends..."
Il dut batailler mais réussit à dégainer la lame, brandissant l'arme face à lui, comme pour bien montrer le tranchant mais sans parvenir à prendre une posture menaçante. Magda gloussa.
"Allez, plante-le."
"Heu... bin..."
"Je suis plutôt pressée, j'ai pas toute la journée. Donc fais-le."
Les trois compères s'échangèrent des regards, sans rien dire. Les yeux pâles de l'ancienne s'étrécirent, un fin sourire se dessina sur ses lèvres, morbide, comme une craquelure sur la glace.
"Le goût du sang, tu ne l'oubliera jamais. Comment la chair s'écarte pour laisser passer la lame et laisse ce liquide chaud dégueuler sur tes mains. Son regard, ses muscles qui se contractent une dernière fois et ses mains qui s'accrochent à toi. Tu garderas ce tableau dans ta mémoire, tu pourras le chérir ou le haïr, mais ça fera beaucoup, beaucoup de cauchemars."

Sans ajouter un mot de plus, Magda quitta la place, sans payer la taxe. Les trois jeunes murmuraient entre eux mais aucun n'osa lever la voix. Elle était encore plus échaudée, son esprit tournait dans tous les sens. Plus de souvenirs. Parfois elle réalisait à quel point sa guérison avait tenu à rien - la folie fut une camarade difficile à tuer. Elle se rappelait de sa présence et même de sa voix, comme un proche disparut, mais elle arrivait à ne plus y accorder aucune émotion.

Épuisée par la succession d'évènements, Magda erra au bord des quais, elle ne comptait pas abandonner, Alaïs comptait sur sa réussite. Finalement, elle rencontra un pêcheur qui terminait juste d'amarrer, l'homme s'occupait à faire un nœud de marine pour retenir son embarcation. Il avait les cheveux cristallisés par le sel, dressés comme les pics d'un oursin. C'était un vieux, lui aussi. Si je m'y mets de moi-même, ça ne va plus...

"Hé, excusez-moi, la rue Farantin ?"
Sans lever les yeux, il répondit :
"Continuez par là, puis c'est la seconde à gauche, vous ne pouvez pas la rater."
Magda fronça les sourcils, il s'agissait de la première réponse claire qu'on lui donnait. Cela paraissait trop facile.
"Vous êtes sûr ?"
Cette fois, l'homme se redressa.
"Oui ma bonne dame, je vis ici depuis que je suis tout petit, vous pouvez me croire."
Sa voie transpirait la bonne foi.
"Oh ..."
Les deux s'échangèrent un sourire.
"... Merci, vraiment, merci ...!"

Il rigola quand Magda repartit d'un pas vif. Son instinct lui souffla qu'elle était arrivée. On lui avait enfin donné le bon chemin. A la seconde rue, une plaque en pierre dévorée par l'air du port montrait 'Farantin'. C'est pas dommage !

Le trois se trouvait naturellement au début du passage, une allée qui suivait une côte raide et surplombait les quais. La fameuse boutique était un taudis à la façade usée, mais elle dominait le reste du port grâce à la montée, posée en évidence comme une moquerie au temps passé à la chercher. Sans plus de tergiversations, Magda déboula dans le bâtiment en oubliant de frapper. Elle était débraillée, la peau nacrée par la sueur à cause de la marche et le souffle un peu court. Mais son attitude montrait une assurance totale, elle se savait au bon endroit. L'artisan avança jusqu'au comptoir du magasin, posa ses deux mains à plat sur le bois, puis salua le tenancier d'un mouvement de tête. Sans d’ambages, elle annonça d'une voix plus aride qu'à l’accoutumée :

"Alaïs est en geôle. Vous lui devez une paire de doigts, je crois ?"
Revenir en haut Aller en bas
Karl StannerContrebandier
Karl Stanner



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyDim 15 Sep 2019 - 0:58
C'était pourtant une journée tranquille qui s'annonçait pour Karl, il avait fini de livrer ses dernières commandes dans la matinée et même la vieille Lise, cette cliente aussi bavarde que rouspéteuse, n'avait pas réussi à trouver quelque chose à redire.
Le contrebandier avait rejoint son échoppe dans le Port retrouvant son taudis quasiment vide où les étagères de bois se disputaient les quelques caisses et sac de grains restant. Il remarqua une souris qui se faufilait avec un grain d'orge entre les dents, il allait devoir mettre des pièges avant que la vermine ne prenne confiance et s'attaque directement à un sac. D'un coup de talon brusque sur le sol, il fit peur à son invité qui fila entre les meubles à l'abri du géant bruyant.

Karl déposa proprement son manteau sur une chaise de l'arrière boutique avant de saisir la cruche d'eau fraîche qui attendait sagement sur la table. Il allait pouvoir jouer avec les chiffres de ses comptes car il devait refaire ses stocks. Bien entendu cela voulait dire qu'il allait faire passer une partie de son grain par les Égouts évitant ainsi de payer la taxe du Roi mais pour camoufler tout ça, il devait transformer des lignes et nourrir des nombres avec précaution.
C'était ce genre d'après-midi où il ne relevait la tête de ses livres de comptes que quand le soleil commençait à fatiguer, une journée bien remplie pour une tête qui cherchait à s'occuper.
Hélas pour l'habitué du calme, une femme en avait décidé autrement.

Alors qu'il était plongé dans ses calculs, la cloche de sa porte d'entrée résonna dans la boutique et des pas déterminés se firent entendre. Karl grogna son mécontentement mais il se redressa tout en s'étirant et d'une démarche un peu raide il se dirigea vers son comptoir. Le client est roi après tout.
Son client justement se trouvait être une femme. Une grande dame qui le dépassait sans doute de quelques bons centimètres tout comme elle avait l'air de le dépasser en âge, l'inconnue semblait avoir couru pour venir dans son échoppe et ça ce n'était pas normal. On ne court pas pour acheter du grain, par réflexe il posa une main sur le manche d'un bâton caché derrière le comptoir.
Il n'eut même pas l'occasion de la saluer qu'elle l'apostrophait, ses deux mains posée sur le comptoir accentuant son air pressé.

« Alaïs est en geôle. Vous lui devez une paire de doigts, je crois ? »

Il faut reconnaître que cette phrase brisa le masque du contrebandier laissant un rictus de surprise s'afficher. Il n'avait rien compris, s'attendant à une demande sur du grain ou même des affaires du Goulot, en tout cas pas à une paire de doigts.
Il se repassa la phrase dans sa tête avant de répondre d'une voix calme.

« En voilà une belle phrase codée. Vous êtes ? »

Karl la laissa répondre tout en analysant les paroles de sa "cliente". Il connaissait Alaïs, une voleuse des bas-quartiers doublée d'une bonne informatrice, une fille débrouillarde or d'après la femme qui se tenait en face de lui, l'acrobate était derrière les barreaux. Ils étaient en bon terme, elle méritait qu'il écoute ce que sa messagère avait à lui dire.

« Je connais Alaïs, une rousse pas bien grande toujours le sourire aux lèvres. Ça me désole qu'elle soit en cellule mais j'avoue ne pas voir le rapport avec vous. Restez là, je vais vous chercher de l'eau. »

Le contrebandier la laissa souffler avant de revenir avec son pichet d'eau et un godet qu'il posa sur le comptoir invitant cette dernière à se servir puis à continuer son histoire.
La Milice avait attrapé la voleuse avec des objets qui ne lui appartenait pas et les gardes ne plaisantaient pas avec les voleurs à Marbrume, si elle avait de la chance elle ne perdrait qu'une main.
Karl ne voulait pas se mêler de ça, il aimait bien la rousse et elle lui avait offert les types qui l'avaient mutilé sur un plateau mais ça ne valait pas le coup de se brouiller avec la Milice pour ça.

Le problème c'est qu'une autre femme lui avait fait jurer de ne pas mettre en danger la voleuse ce qu'il avait accepté. Le contrebandier n'avait rien à voir avec les problèmes de l'acrobate, pourtant une voix lui disait qu'une blonde au grand cœur serait bien malheureuse si la jeune femme finissait manchote ou pire.
Le marchand caressa les deux moignons de sa main droite, un tic qui s'exécutait quand il réfléchissait. Elle l'avait aidé à se venger de ces fumiers découpeurs de doigts. Nombres de chose qui paraissaient si simple devenaient compliqué quand il vous manquait des doigts alors il n'imaginait même pas avec une main en moins.
Il connaissait quelques miliciens, il savait qu'on pouvait en acheter certains.
Il se passa la pogne sur le visage avant de revenir à la vieille femme qui le fixait de ses yeux bleus, étrangement il avait l'impression d'avoir le même regard parfois. Sans doute la couleur de ses pupilles.

« Je vais discuter avec la Milice. Vous venez ?

Il la laissa réfléchir, le temps d'aller ranger ses livres de comptes et récupérer son manteau. Il ne ferait pas de miracles mais une phrase bien placée pouvait sauver la mise d'Alaïs, une chose qu'il n'oublierait pas d'exploiter à son avantage.
Revenir en haut Aller en bas
MagdaArtisan
Magda



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyDim 15 Sep 2019 - 21:33
Dans sa précipitation, Magda en oublia les présentations. Elle reprit son souffle. Plus jeune ça n'aurait pas été grand chose mais malgré sa forme toujours athlétique, la montée l'avait sabré. Son cœur tapait un peu trop vite. Elle passa une main dans ses cheveux pour replacer une mèche derrière son oreille, puis inspira profondément. Une phrase codée ? Ça ne veut pas dire grand chose pour moi non plus. Son regard descendit sur les mains du tenancier, elle remarqua alors les doigts manquants. Une seconde fut nécessaire pour ajouter deux plus deux et Magda se pinça l'arrête du nez, quelle balourde ! Maintenant qu'elle avait les pieds dans le plat, elle décida de prendre un peu plus de précautions, avant de paraître trop malotrue.

"Ce sont ses mots, ceux qu'elle m'a demandé de transmettre. Excusez-moi pour la brutalité de cette arrivée, elle se recomposa avec un sourire, Magdalena, et donc vous êtes Karl."

Quand Stanner lui proposa de l'eau, Magda acquiesça d'un hochement de tête, ça ne lui ferait pas de mal et elle apprécia l'attention. Il continua à parler en disparaissant dans la pièce d'à côté.

"Le rapport ? Ah..."
Malgré la situation préoccupante, l'artisan pouffa en se remémorant leur rencontre.
"Donc vous savez qu'elle ne garde pas ses mains dans ses poches ? J'imagine que vous voyez où je vais en venir..."
Karl revint avec la carafe, Magda se servit d'une main, son autre bras appuyé nonchalamment sur le comptoir. Elle bu une longue gorgée, reposa le verre, et reprit l'histoire.
"La petite a voulu m'agricher, elle secoua la tête, c'était pas son jour. Je l'ai attrapé sans méchanceté, je crois qu'elle se trouvait un peu coupable alors elle a insisté pour me ramener chez moi. Comme quoi, une vieille, faut pas trainer toute seule dans la rue et le reste... Ça m'a fait sourire parce qu'elle avait l'air de trainer pas mal de casseroles."
Magda baissa les yeux, de nouveau anxieuse.
"On en serait restées là, mais des miliciens l'ont reconnue. J'ignorais que la fille avait une réputation qui la précédait ! J'ai essayé de raisonner mais... elle rougit, j'ai peut-être pas utilisé les bons mots... Ils allaient nous prendre toutes les deux puis Alaïs avoue qu'elle est seule coupable. Juste avant de partir, elle me glisse que vous pouvez la sortir de là. La suite, vous la connaissez."

Pendant son récit, Karl la fixa d'un regard distant, peut-être plongé dans quelques souvenirs évoqués par la situation d'Alaïs. Le type possédait une expression difficile à lire malgré l'expérience de Magda. Mais à première vue, l'artisan ignorait bien comment il allait pouvoir faire quoique ce soit à propos de l'emprisonnement. Cependant, elle ne connaissait Marbrume qu'à sa surface, et les affaires qui se déroulaient dans l'ombre des porches de la cité lui étaient inconnues. On ne perdait pas des doigts en vendant du grain, surtout si l'histoire engageait une voleuse à la tire. Magda n'était pas dupe, l'homme en face d'elle savait jouer plusieurs airs.

A la suite d'un instant de réflexion, Stanner expliqua, avec un calme déconcertant, qu'il allait discuter avec la milice. L'artisan cligna des yeux, s'attendant à plus de précision, mais rien ne fut ajouté. Elle leva une main en signe d'arrêt.

"Hé... l'ami ? Karl... Je ne sais pas trop comment je dois vous appeler... On a essayé de parler avec eux, ils ne sont pas très à l'écoute. Maintenant que la petite est au trou, je doute qu'ils soient plus ouverts aux doléances."
Magda soupira, puis se pencha en avant comme sur le point de faire une confidence.
"Je veux l'aider, parce que..."
D'un coup, elle hésita, pourquoi se mêlait-elle de tout ça ? Le message était porté et sa mission accomplie.
"... C'est la chose juste à faire."
Sigil, écoute ça... ha ha ! Ce que tu as fais de moi...
"Donc j'aimerais d'abord savoir ce que ça implique, elle verrouilla son regard avec Karl, deux paires d'yeux polis comme la glace, qu'est-ce que vous avez derrière la tête ?"
Revenir en haut Aller en bas
Karl StannerContrebandier
Karl Stanner



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyMar 17 Sep 2019 - 0:29
Elle l’avait arrêté en plein élan en levant une main autoritaire avant de lui faire part de ses appréhensions sur la suite du programme. Karl n’avait pas cherché à lui échapper , c’était même une preuve d’intelligence pour lui, elle ne fonçait pas tête baissée chez la Milice en faisant juste confiance au calme du contrebandier.
Il se permit un mince sourire en soutenant son regard perçant, aucune moquerie là dedans mais plutôt un signe d’appréciation.

« Un milicien n’aime pas qu’on lui tienne tête. Je connais assez Alaïs pour savoir comment son échange avec les miliciens c’est déroulé. Je me doute que vous n’avez pas aidé non plus, sans vouloir manquer de respect. Vous avez l’air d’une femme de caractère.»

Le marchand haussa un sourcil, elle voulait aider une femme qui avait essayé de la voler car c’était la « chose juste » à faire. Elle ne manquait pas de mystère la vieille femme même si ça restait extrêmement simpliste comme justification, il devait se méfier. Il n’avait pas pour habitude d’accorder sa confiance rapidement, même à un personnage sympathique comme Magdalena.

« Vous avez vos raisons et j’ai les miennes. Je ne vais pas faire évader notre connaissance commune si c’est ça qui vous inquiète, Magdalena. J’essaye de bien m’entendre avec la Milice et pour l’instant je m’en sors bien. »

Il ramena la cruche et le verre dans l’arrière boutique pour en revenir avec son manteau de cuir, tirant un peu dessus après l’avoir enfilé. Il continua sur le même ton, de celui qui savait ce qu’il faisait du moins il tâchait de convaincre son interlocutrice.

« Je ne promets pas un miracle. Ça dépendra de mon « client » mais je vais essayer de négocier, tout le monde n’est pas blanc et nos chers gardiens n’échappent pas à la règle. Je pourrais avoir besoin de vous, un témoin c'est toujours utile. Alors, vous venez ? »

Elle avait accepté de le suivre, Alaïs lui avait vraiment tapé dans l’œil. C’était une particularité de la voleuse, tout le monde avait l’air de vouloir la protéger, le contrebandier avait déjà remarqué ça avec Ambre, l’instinct maternelle de cette dernière l’avait poussé à venir en aide à la jeune femme sans se soucier de sa personne. C’était peut-être autre chose qui poussait la vieille femme à vouloir sortir la rousse de sa cellule, une dette ou une question d’honneur personnelle ?
Qu’importe, elle était là et son aide pourrait lui être utile, il lui expliqua donc comment il allait procéder pendant qu’elle le guidait vers l’endroit qui retenait prisonnière l'acrobate.

« J’ai besoin de savoir, Magdalena. Vous avez un talent qui a de la valeur ? Des choses que je pourrais promettre en échange de sa libération si ma simple tirade ne suffisait pas ?  Je peux simplement vous assurer que je ne les utiliserais qu’en dernier recours.»

Par cette question, il voulait vérifier le degré d’implication de la vieille femme, ses limites pour éviter la main ou la mort d’Alaïs et en vérité on ne crachait jamais sur un atout dans une négociation comme celle là.

« Je vais me faire passer pour son frère pour éviter les soupçons, vous êtes venu me chercher pour aider ma sœur. »

Quoi de plus louche qu’un inconnu qui débarque pour demander la libération d’une voleuse. Non il allait jouer la fibre fraternel pour ne pas brûler ses chances trop rapidement, de plus c’était le devoir des hommes de s’occuper des femmes de leur famille et avec ce prétexte, il s’arrangeait au moins une entrevue avec un responsable.

Il posa son regard bleu sur sa compagne du jour, elle avançait d’un pas rapide et assuré dans les rues des bas-quartiers cela lui donnait une certaine allure comme si rien ne pouvait empêcher l’artisan de poser un pied là où elle le souhaitait. Il avait réajusté ses gants avant de poursuivre sur un ton plus léger.

« J’aimerais en savoir plus sur la femme qui aide celle qui lui fait les poches. Ça vous arrive souvent d'aider votre prochain, aussi voleur qu'il soit ? »

Revenir en haut Aller en bas
MagdaArtisan
Magda



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyMer 18 Sep 2019 - 4:18
Karl faisait preuve d'une langue d'argent, ce qui paraissait naturel pour quelqu'un impliqué dans le commerce. Il ne comptait pas faire évader Alaïs, certes, mais ses euphémismes ne suffisaient pas à occulter complétement ses intentions : A demi-mots, on parlait de chantage. Magda tergiversa un peu, puis son esprit commença à rationaliser. L'arrestation et ses conséquences étaient injustes, la morale était supérieures aux lois, car les lois ne garantissaient en rien celle-ci. Elle regarda l'homme passer son manteau d'un air absent, l'urgence de la situation la poussa finalement à accepter la proposition. C'était la meilleure chose à faire et ses choix se réduisaient à une peau de chagrin.

Ils s'engagèrent dans les rues du port pour rejoindre les bas-quartiers. Magda avait déjà récupéré de sa course précédente et repartit d'un bon pas. Le soleil tombait progressivement à l'horizon, ce qui augurait une chute drastique de la température au mois d'avril. Elle gardait les bras nus, avec sa vieille tunique élimée, contrastant avec la prévoyance de Karl et de sa veste en cuir. Mais Magda brûlait de l'intérieur, depuis toujours, sauf que sa flamme ne la consumait plus, elle l'alimentait. En réalité, elle appréciait cette fin de journée plus que tout. L'effervescence de Marbrume diminuait et les gens rentraient chez eux, au chaud. Un semblant de calme envahissait les ruelles, juste animées par les échos provenant des artères majeures.

Sur la route, Stanner posa une bien étrange question. Un talent ? De valeur ? Magda appréciait les accords honnêtes, mais l'homme qui marchait à ses côtés continuait à utiliser son langage d'ombre et de lumière. Seulement en dernier recours qu'il disait et... à promettre quoi exactement ? Un service ou un mois de labeur ? Le contrat semblait contenir plusieurs closes, plus ou moins obscures. Sans être méfiante de nature, elle ignorait sur quel pied danser avec Karl.

"Je ne suis pas certaine de ce que vous voulez. Je sais me servir de mes dix doigts, pour faire des choses. De là à appeler ça un talent... après... Je suis devenue artisan. Pas par vocation, mais par chance. Je ferais tout ce que je peux pour aider."
Elle sourit.
"Mais qu'on soit d'accord, évitez de me survendre."

Malgré ses doutes sur les intentions exactes de son compagnon de galère, elle sentait qu'il était un homme de parole, sinon pourquoi s'ennuierait-il à chercher Alaïs ? Il tenait à rembourser une dette ou à tenir une promesse. Indirectement, Karl toucha cet exact sujet à sa question suivante, en voulant connaître sa motivation à elle. Apparemment, la juste cause ne suffit plus de nos jours...

"Voler est une erreur, elle rit, mais je ne serais pas celle qui jettera le pierre, je sais ce que c'est d'en faire... et les regrets qui vont avec. L'important c'est de le comprendre, pour changer, avant qu'il ne soit trop tard."
Ils arrivèrent face au quartier des miliciens, marquant une pause à l'orée de la grande place des Pendus. Plusieurs condamnés se balançaient au bout de leur corde, l'illustration morbide arriva comme en soutient aux propos de Magda. Elle adressa une prière rapide à la Trinité.
"Que ça soit par la justice des hommes, ou celle des Trois, tout se paye un jour. Croyez-moi, ça n'en vaut pas la peine. C'est ça, que je voulais dire à Alaïs."
Elle tendait la main comme Sigil l'avait fait.
"Si vous avez besoin d'une raison pour aider quelqu'un, dans la mesure du possible, c'est que votre cœur est triste. Vous ne pensez-pas ?"
Son air sombre se dissipa un peu, et ses yeux s'illuminèrent avec malice.
"Il faut aussi considérer que parfois, aider, se résume à un bon coup de pied au cul.
Magda ajouta d'un ton plus mesuré :
"Et finalement, pourquoi êtes-vous ici ? Si vous devez prétendre à la connaître en étant son frère, c'est que vous n'êtes pas si proche. Ne s'agirait-il pas d'un peu de bonté d'âme pour vous aussi ? Nos raisons ne sont peut-être pas si différentes."
Revenir en haut Aller en bas
Karl StannerContrebandier
Karl Stanner



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyDim 22 Sep 2019 - 14:17
Karl écoutait Magda en observant la potence et ses hôtes qui donnaient à la place son surnom macabre. Si la tête d’Alaïs ne revenait pas aux Miliciens, elle rejoindrait les Trois, ici, en ce lieu suspendu avec les autres et même un être détaché comme lui ne le souhaitait pas.
La nuit qui commençait à tomber n’arrangeait en rien l’endroit et ils passèrent devant plusieurs gardes aux regards désapprobateurs, sans doute l’approche du crépuscule qui rendait les miliciens nerveux. Sa compagne d’infortune s’arrêta un bref instant non loin des morts.
La vieille femme parlait tout en en rendant hommage aux pendus, priant sans doute la Trinité pour leurs âmes alors que le marchand, lui, se rappela à Rikni. Comme toujours le contrebandier cherchait les faveurs de la dame malicieuse, histoire de ne pas devenir la prochaine attraction de la place aux Pendus.
L’artisan respirait la compassion pour son prochain, elle semblait clairement avoir vécu bien trop de choses et hélas pour elle, cela ne ressemblait pas qu’à des choses biens.
« Si vous avez besoin d'une raison pour aider quelqu'un, dans la mesure du possible, c'est que votre cœur est triste »
Sans vraiment savoir pourquoi, cette phrase lui tira une grimace brisant son habituel masque de calme, elle venait de toucher un point sensible. Karl était connu pour ne jamais rien faire sans attendre une contrepartie, qu’importe l’affaire ou l’individu du moment qu’il trouvait son intérêt on pouvait compter sur lui.
Or Magdalena était ici pour aider une femme qu’elle ne connaissait que du matin avec pour seule raison : sa bonté d'âme. En revanche le contrebandier ne voyait dans cette histoire que la futur dette de la rouquine envers lui. Quand elle se retourna, il croisa le regard malicieux de la vieille femme et il ne pouvait le soutenir sur le coup alors il baissa les yeux pendant quelques secondes avant de revenir à elle, retrouvant son visage neutre.

« J’aimerais vous dire que je ne suis là que par bonté d’âme, Magdalena. J’admire néanmoins votre compassion, c’est devenu une chose aussi rare qu’un sourire à Marbrume. »

C’est peut-être aussi pour ça qu’il avait accepté finalement, pour ne pas laisser l’un des rares sourires de cette ville à finir au bout d’une corde, du moins ça le rassurait d'y croire.
D’un geste il indiqua la caserne avant de s’y rendre d’un pas assuré, un jeune milicien les arrêta d’un geste tout en posant la main sur le pommeau de son arme, la nuit commençait à tomber.

« Hola, qu’est ce q’vous foutez là ? »

Karl changea de masque et offrit un bref sourire au garde avant d’incliner légèrement la tête pour reprendre d’une voix pressée, levant les mains en signe d’apaisement.

« Je viens pour discuter du sort de l’un de vos prisonniers. »

Le milicien le toisa, puis regarda autour de lui à la recherche de soutien, apparemment il ne portait pas l’armure depuis longtemps. Il finit par répondre.

« Y’a pas d’innocents en geôle, M’sieur. »


Le contrebandier repassa un pli son manteau d’une main, observant le jeune homme de haut en bas avant de continuer.

« Je n’ai jamais dit le contraire. Vous pouvez m’indiquer l’homme en charge ? »

Son interlocuteur, voyant que Karl n’avait pas l’attention de bouger hésita un moment à le menacer pour le faire dégager, il finit par se résigner car on ne venait pas à la caserne sans raison. L’homme avait peut-être une bonne explication...Il pouvait laisser la responsabilité d’un bottage de cul en règle à son supérieur.

« Sergent ! V’ner voir ! »

On entendit un grognement dans le petit poste de garde devant la caserne puis un homme trapus et moustachu en sorti, la démarche un peu raide de celui qui venait de faire une sieste réglementaire.

« Sergent, c’type et cet’femme veulent discuter d’un prisonnier. »

Le sous officier toisa son subordonné et poussa un soupir pour se tourner vers Karl et Magda. Le contrebandier caressa les moignons de ses doigts manquants au travers du cuir, une bref pensée pour la voleuse lui traversa l’esprit.

La négociation commençait.
Revenir en haut Aller en bas
Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyMer 25 Sep 2019 - 15:13




Quartier de la milice
Mars 1166

L’environnement d’une cellule est un monde opiniâtrement clos et étroit. Humide. Environné des crissements des chaînes, des cris des prisonniers rendus à l’état de bêtes. L’obscurité ambiante plonge aussitôt l’âme dans une forme de marasme, et Alaïs n’y échappait pas. Elle avait été fouillée, évaluée, dépouillée comme une vache qu’on mène à l’abattoir. Et on l’avait jetée dans ce trou sordide avec quelques autres bêtes comme elle, qui restaient recroquevillées sur elles-mêmes dans l’attente de leur délivrance redoutée et redoutable. Ils n’étaient rien. Juste des égarés du Goulot, des ivrognes restés trop longtemps dehors après le couvre-feu, comme des papillons attrapés par les flammes d’un brasier. Pour certains, c’était bien le feu qui les attendait dehors.

La voleuse frissonna, recroquevillée dans son coin. Comment se faisait-il qu’il fasse si froid alors que le soleil brillait avec tant d’intensité dehors ? Elle l’oublierait bien trop vite, le soleil, si elle restait ici. Il fallait qu’elle sorte. A tout prix. Les heures passaient, diluées par les cris des détenus de l’autre côté des grilles, et le bruit des matons qui passaient faire leur moisson. Des raclements métalliques, quelques bruits sourds de lutte dans l’obscurité humide. Puis le silence bref, avant qu’un nouveau cycle ne se répète. Elle ne songeait à rien, elle songeait à tout. La honte, la peur, le ressentiment, la rage. Le visage de son père, fugace et pesant. Les ridules de son visage creusé par le souci et le poids d’une vie de labeur.

Elle repensait aux paroles de Magda. La leçon devenait confuse dans son esprit. Elle avait voulu l’aider, ou du moins lui montrer un peu d’amitié, et le destin l’avait cruellement récompensée. Devait-elle en déduire qu’il aurait mieux valu tracer sa route ? Ou bien était elle punie de sa vie passée ? Etait-ce une erreur d’essayer de survivre ? Elle ne volait ni par envie ni par caprice. Elle avait commencé, poussée par une faim qui ne laisse aucun répit. Et elle avait gagné le sentiment d’exister un peu, à travers les mille poches qu’elle avait fouillées et explorées. Quand son estomac, enfin rassasié s’apaisait pour quelques heures. Elle avait le sentiment de reprendre son destin en main. La vie lui avait craché au visage, dès le début. Et elle avait choisi de sourire. Mais à trop se rire de cette chienne, on finit par se faire mordre.

Ce n’était pas le moment de flancher cependant. Pas maintenant. Pas tant qu’elle aurait ses deux mains, une tête pour penser et un coeur pour vivre. Elle alpagua le premier garde venu, il lui semblait reconnaître les traits d’un de ceux qui l’avaient embarquée.

“Eh ! Eh ! Oui, toi ! Tu sais ce qu’ils comptent faire de moi ? Je connais des gens ! Ils vont pas tarder… Et…”

Elle évalua le bonhomme. Evidemment qu’il n’allait pas la croire sur parole. Elle ne possédait rien, et elle avait tout à fait la mine d’une crève la faim aux promesses d’ivrognes. Elle soupira. C’était mal parti, cependant il avait ralenti le pas…

“Ecoute. Je sais de quoi j’ai l’air, mais… Si tu m’aides à m’en sortir à moindre mal, je pourrais te rendre un service ou deux… Je connais pas mal de monde. Mais pour ça, j’ai besoin de mes mains.”

Elle scruta attentivement ce visage qui la fixait sans aménité. Il pourrait l’envoyer valdinguer d’un coup de botte ou d’un revers de manche. Et il avait la tête du sale type. De la vermine sans foi ni loi qu’elle croisait trop souvent dans le Goulot. Peut être un bon choix, finalement.

“Putain. On a tous besoin de quelque chose dans la vie, pas vrai ?”

C’était une conclusion des plus lamentables, mais elle y mettait de l’ardeur. La balle était dans le camp adverse, et elle espérait bien que quelque chose chez elle retiendrait l’attention de son dernier espoir. Finalement, alors qu’elle voyait le garde s’éloigner, elle se laissa tomber sur le sol crasseux en soupirant.

Elle eut une pensée pour un contrebandier du port à qui il manquait deux doigts, et une vieille femme sèche comme une coup de trique qui fabriquait des boîtes.

***

Le sergent Rufus plissait les yeux tout en s’appliquant sur son dernier rapport, plume à la main, se retenant de tirer la langue en coin tout en écrivant. Il savait que ça lui donnait un air stupide, sa femme lui répétait assez souvent pour qu’il s’astreigne à contenir ce réflexe lingual. Putain, vivement la quille. Malgré les exécutions de plus en plus sommaires, la prison ne désemplissait pas. Avec la famine, on entassait les traine-savates un peu plus chaque jour, pour un vol de pomme, de pain ou d’une paire de bottes. Tout le monde était susceptible de se faire chaparder le moindre objet de valeur. Et ça se troquait dans toutes les rues de la ville, au milieu de la crasse, de la pisse et des détritus. Rien ne se perdait. Tout s’échangeait. Même les filles donnaient de leurs charmes contre une botte de navets.

Le sergent soupira. Il avait imaginé autre chose quand il s’était mis au service du Duc. On venait à la caserne pour des querelles sans queue ni tête, on enfermait des gosses et des donzelles à peine plus vieilles que sa fille. On n’avait plus assez de corde pour exécuter les pendus, si bien qu’une exécution sur trois finissait avec une corde rompue, le chanvre se délitant à force de servir. Non, vraiment, Rufus en avait ras le bol de ce boulot. Il aurait dû devenir boucher ou bosser à l’abattoir. Ca aurait été plus proche de ses fonctions actuelles. Il pourrait peut être demander à être assigné à l’extérieur… Qui sait. Au moins il verrait moins souvent la trombine de la marâtre qui lui servait de femme. Mais il ne pourrait plus veiller sur sa gosse qui grandissait trop vite à son goût. Soupir.

Il fut tiré de ses réflexions familiales quand on frappa à sa porte. Il attendit, mais personne n’ouvrit.

“Entrez par les Trois !"

Un bleu se décida finalement à franchir la porte, l’air timide et empoté comme la moitié des nouvelles recrues qui savaient à peine tenir une épée. Bons dieux. Le gamin avança d’un pas ou deux, et s’embourba dans quelques explications à propos du frère d’une voleuse qu’on avait enfermée le jour même pour une histoire de chapardage. Il venait “négocier” sa sortie et Rufus eut un rire bref et désabusé. On était pas au marché, ici. Comme si les décrets du Duc n’étaient pas assez durs, comme si chacun pouvait donner de son petit avis pour arranger ses affaires toutes aussi insignifiantes. Comme si, lui, Rufus, avait la moindre idée de qui était cette bougresse qu’on avait enfermée, si elle méritait ou non le fouet, une main en moins, ou la corde si habile à délivrer la bénédiction d’Anür ces derniers temps…

“Et alors que veux-tu que ça me fasse ? J’ai que ça a foutre peut être ?”

Mais comme le gamin dansait d’un pied sur l’autre sans avoir l’air de vouloir repartir, Rufus comprit qu’il lui fallait une réponse un brin moins évasive.

“Va me chercher un des gars qui a fait la dernière patrouille. Dis lui de se ramener fissa, j’ai pas que ça à foutre. Et fais rentrer le gaillard… Ah bah oui, la vieille aussi, tant qu’on y est. On est pas aidés, je te jure...”

Et le bleu trop content de savoir quoi faire, fila à travers le couloir. Un certain Dan Sobre qui remontait des geôles fut appelé au bureau du sergent Rufus, tandis qu’on menait sans grande politesse une artisane et un honnête marchand dans le même bureau. Rufus avisa tout ce beau monde assemblé là. Ca commençait comme une blague de taverne : un type patibulaire, une vieille femme, et un milicien désabusé entrent dans la même pièce et… Rufus renifla en faisant mine de fouiller dans ses papiers.

“Ouais bon. Alaïs Mal… Mra.. Marlot” Il fallait vraiment qu’il s’applique un peu plus dans l’écriture. “On a des preuves matérielles contre elle, ça me semble.” Il interrogea le milicien qu’il n’avait jamais côtoyé ou presque. “Sobre, c’est ça ? Ah ouais, j’ai vaguement entendu parler de vous…” Le regard indiquait que ce n’était pas en bien, mais Rufus s’en moquait comme de la dernière chaussette de sa femme. “Bon écoutez, Sabre. Vous avez fait l’arrestation, vous allez conclure l’affaire.” Les noms n’étaient pas son fort, mais il décela une lueur dans le regard de son vis à vis et se demanda bien où il avait pu fourcher. En tout cas, le gaillard n’avait pas l’air complètement idiot, du moins il semblait un peu au dessus de la moyenne de la caserne. Toujours un bon signe. Il se tourna ensuite vers les deux gugus qui se prétendaient à tort ou à raison de la famille de l’inculpée “Je vais pas vous mentir. Si elle est reconnue coupable, elle perdra quelques doigts dans l’affaire. Je vais être clément, vu son âge, on lui coupera pas toute la main. Sinon, qu’elle nous débarrasse le plancher au plus vite et que je revoie aucun de vous trois.”

Et après ces mots de la plus grande sagesse et probité, il se redressa séant, attrapa un dossier sous son bras et salua le milicien qui restait planté là. “Pas de connerie, Sombre. Je vous ai à l’oeil. Vous allez gérer ça, hein. Prenez ça comme un test.” Un test de quoi, restait à savoir, mais ce n’était déjà plus son problème. Du reste il était convoqué pour l’organisation d’un convoi, et il était trop content de se débarrasser de l'affaire. Une chose de faite.


Revenir en haut Aller en bas
Dan SobreMilicien
Dan Sobre



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyMer 25 Sep 2019 - 22:30
Il continuait de tourner sans chercher à comprendre ce qu'il faisait. Ca n'avait plus d'importance, ses espoirs, ses rêves ainsi que ses idées revenaient toujours au même point. Un massacre de masse, un brasier sans limites ni fins avec pour seule tendresse, les chants qu'entonnaient fièrement les serviteurs des trois. Toujours une faible préférence inavouable pour Rikni, il se voyait déjà balader son glaive du haut des murs, prenant la place d'un compositeur infernale, qui offrirait une dernière valse à la citée. Une hymne aux labeurs, défis et autres horreurs qu'ils pouvaient finalement tous laisser au feu. Le vent se chargerait de porter les restes de cendres avec parcimonie, entre les ruines noircie de la citée et les jambes moisis des fangeux qui viendraient décortiquer les restes de leurs dépouilles. Les idées noires qui traversaient son esprit ne cessaient de fuser, alimentant ses désirs ainsi que ses ambitions refoulées.

Il ne parvenait pas à décoller, que cela soit en buvant des coups avec les coutilliers, ou en essayant d'user de sa fonction pour intimider les bougres qui parsemaient les rues. Nuls ne lui donnaient sa chance, à tel point qu'il refusait de croire au pouvoir du labeur. Peut-être lui manquait-il quelque chose de cruciale? Portaient-ils sur lui l'attitude d'un bâtard depuis trop longtemps pour espérer pouvoir briller en société ? La notion de respect était quelque chose qui lui échappait sans cesse, la crainte, la force, la richesse, n'achetaient, ni ne soumettaient ce principe ancestrale. Il n'en avait jamais goutté les mérites, ni même éprouvé les bienfaits de manière spontanée. Impossible pour Dan de réaliser ce qu'il lui manquait, qu'est-ce qu'il clochait au sein de ce corps si désireux de devenir autre chose qu'un larbin? Que devait-il accomplir pour se soustraire à cette vaste marée noire qu'était les bas-fonds de Marbrume?

Traversant les couloirs humides et profondément ancrés dans les profondeurs des geôles, Dan ne se pressait pas pour gagner le bureau du sergent l'ayant appelé. Il avait écouté la bleusaille, déposé son chiffon et rangé les divers instruments de travaille qu'ils finiraient de polir une autre fois. Certains servaient autant à l'entretien des lieux, qu'à l'interrogation des détenus. Il n'y avait pas à proprement parlé de bourreau ici-bas, chacun y allait de son expérience et s'évertuait à montrer son savoir faire pour le comparer avec celui des copains. Suivant la procédure en marchant bien au milieu des artères des geôles sans s'inquiéter du sort des miséreux qui languissaient derrière les barreaux. Il préférait essayer de se focaliser sur l'odeur de pierre humide, plus que sur les divers fumets qu'apportait l'incarcération d'autant de miséreux. Ces yeux se promenaient d'une cellule à l'autre, alors que ses doigts tapotaient le flanc de son arme. Certains pourrisseurs d'existences cherchaient à attirer son attention, ou à l'intimider, lui arrachant simplement un regard livide et dédaigneux. La folie était contagieuse ici-bas, alors autant s'économiser et éviter de s’adonner régulièrement aux joies des coups de fourreaux dans le nez.

Une voix plus énergique et fluide que la moyenne détourna son regard, réveillant une once d'humanité qu'il préférait généralement taire dans les tréfonds. Dépassant brièvement la cellule d'où provenait l'appel à l'aide, un instinct qu'il ne se connaissait pas le força à revenir sur ses pas. Ses yeux brièvement noircis par la colère, se teintèrent d'une certaine peine en croisant ceux d'une gamine d'à peine vingt année à tout casser. Pour le coup il savait fort bien à qui il avait à faire, ayant lui-même participer à son arrestation quelques heures auparavant. Ses yeux scrutaient la gamine de la tête aux pieds, il n'avait jamais remarqué à quel point l'état des détenus se dégradaient aussi rapidement une fois derrière les barreaux. Elle était encore capable de rire, se moquer et même de les provoquer il y a de cela moins de huit heures. Et désormais elle était là, les yeux plaintifs, la mine creuse et le corps presque chétif. Il la laissa déballer ce qu'elle avait sur le cœur, prenant ses supplications comme une tentative de lutte face au désespoir. Dan s'imaginait commencer le grand brasier par ces cellules, la pauvre enfant n'avait pour réel crime que sa propre stupidité aux yeux du milicien. Que faisait-elle aussi prêt des quartiers de la milice lorsque leur patrouille lui était tombée dessus ? Ses souvenirs lui rappelèrent qu'une vieille dame cherchant à gagner le temple était à ses côtés, un accès de douceur expliquait sûrement sa maladresse.

Il attrapa l'un des barreaux, sondant les autres feignasses qui se lamentaient sur leurs sorts derrière elle, puis plongea subitement son regard dans le siens:

"Puisses les trois entendre tes prières, car je ne peux rien garantir ma petite. Avec un peu de chance, les gens dont tu me parles sont arrivés. Cela expliquerait pourquoi le sergent me fait demander. Tiens bons, il n'y en a plus pour longtemps, arranges tes cheveux et..."

Un homme dans l'une des cellules auxquels il tournait le dos élevait la voix, incendiant le milicien qui prenait certes pitié d'une gamine. L'ordure commençait à jouer de la voix pour réveiller le reste des mort-vivants, espérant ainsi instaurer un climat de terreur et de zizanie. Retrouvant soudainement ses instincts de maton, Dan se retourna brusquement jusqu'à la source d'ennui, puis frappa les barreaux à l'aide de son fourreau. Hurlant sur le détenu en lui faisant clairement comprendre qu'il n'en avait plus pour longtemps à respirer le même air qu'eux, contrairement à la gamine qu'il essayait de rassurer. Mais ça il ne le souligna pas, se contentant de vomir encore deux trois menaces sur à la tronche du miséreux qui était désormais recroquevillé sur lui-même à la limite des larmes. Ne cherchant pas à retrouver le regard de la gamine, Dan se contenta de poursuivre sa route en maugréant pour lui-même de lourdes insalubrités à l'encontre de sa hiérarchie. Si il n'écoutait que lui-même, les exécutions seraient à la chaînes et sans interruptions.

Quelques minutes plus tard il se retrouvait au milieu d'un bureau croulant sous des dossiers sans intérêts. Coincé entre un homme sinistre aux airs de pirates repentis, et une dame qu'il ne pouvait que respecter non pas à cause de son âge, mais bien par les paroles qu'elle avait entonnée lors de l'interpellation de la petite. Dan n'imaginait pas ce que ce duo lui réservait, mais après la présentation que le sergent venait de faire de lui, il se voyait difficilement être pris au sérieux. Une fois la porte claquée, le milicien n'eut aucunement l'envie de repartir, on lui laissait un bureau, une chaise et du temps pour conclure une affaire qui semblait déjà convenu. Parfait, il n'avait aucunement l'intention de châtier la gamine à outrance, ni envie de faire plaisir à un homme incapable de lire son prénom correctement. Il pouvait se carrer ses sois disant tests là où il pensait, puisque Dan était aux commandes autant en profiter pour savoir ce qu'il pouvait tirer des deux civils:

"Enchanté messieurs dames, je me nome Dan SOBRE. Prenez place, ne restez pas plantés comme des piquets. La politesse n'est pas coutume dans la milice, pour des raisons d'efficacité et d'exécutions. Je vous prierais simplement de ne pas vous formalisez par rapport à la raideur qu'ont pu vous témoignez mes collègues.

Il leur offrait deux chaises qu'ils pouvaient aligner devant le bureau du sergent, quant à lui il se contentait de prendre place dans le fauteuil de ce dernier. Sans s'attarder sur le confort précaire de son assise, il plantait ses coudes sur la table joignant tranquillement ses doigts. Son regard se promenait sur le bleu de leurs yeux, cherchant à discerner leurs caractères respectifs, bien qu'il en avait déjà une bonne idée en ce qui concernait la femme.

Maintenant que nous sommes installés, expliquez-moi plus en détails ce que vous espérez obtenir en venant demander la libération de la petite? Vous êtes conscient que son crime n'encours pas le peine capitale n'est-ce pas? Elle risque au pire, d'y perdre un ou deux doigts histoire de lui apprendre à ne pas sous-estimer l'importance des règles en société comme nous l'a sagement rappelé le sergent. "

Parfaitement conscient de ce que signifiait la perte d'un ou deux doigts dans la société actuelle, il cherchait surtout à savoir qu'elles étaient les réelles intentions de ces deux individus vis à vis d'Alaïs. Il n'allait certainement pas remettre une gamine, entre les mains d’esclavagistes, ou d'une bande d'illuminés du temple aux idées mal placé.


Revenir en haut Aller en bas
MagdaArtisan
Magda



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyJeu 26 Sep 2019 - 4:58
L'ambiance du quartier général de la milice puait le souffre. Des murs jusqu'au plafond, du plancher et des pierres, la noblesse propre à la droiture semblait avoir désertée les lieux depuis longtemps. On ne cherchait plus à appliquer la justice mais simplement à procéder les cas, suivant une cadence martiale, seul reliquat de la discipline qui avait jadis habité le corps armé. Le sergent Rufus n'avait plus aucune fierté, las de ces histoires et de sa fonction. Son discours nonchalant ne manqua pas de faire grincer des dents Magda, détaché comme si l'on parlait d'un commerce de bête. La fenêtre du bureau donnait directement sur la place où les pendus continuait de se balancer, un rappel qu'on ne cherchait plus à protéger mais à punir.

L'homme se défaussa rapidement de son rôle en appelant une recrue, ce qui estomaqua un peu plus l'artisan. Elle tiqua sur l'incapacité du gradé à retenir le nom de l'un de ses propres hommes, faisant preuve d'une attitude dégradante. Il n y avait aucun mystère quant au fait qu'un tel manque d'attention ne servait en rien à former la nouvelle génération des défenseurs de Marbrume. Elle se mordit la langue pour ne pas faire un autre scandale, et choisit de prendre son mal en patience. Une fois le numéro de l'officier terminé, un silence gênant pesa dans la pièce. Puis le milicien, Dan Sobre, eut au moins la dignité d'excuser les frasques de son supérieur - bien qu'un peu maladroit. Efficacité et... exécution... la bonne histoire ! Magda jeta un autre regard vers les condamnés à mort qui flottait au vent nocturne. L'exécution était là, à n'en pas douter. L'efficacité, en revanche... Oui, en étant juge, parti et bourreau, sûrement. Elle était dégoûtée et peinait à le masquer.

Elle s'assit avec Karl, sans dire un mot, elle ne devait rien dire, c'était le plan à suivre pour sortir Alaïs de geôle, attendre qu'on lui demande son avis. Alors que le soldat commençait son discours, elle le détailla, se remémorant sa présence lors de l'arrestation. Il n'avait rien dit à ce moment, accomplissant sa besogne d'un air taciturne. Malgré son âge plutôt jeune, l'homme avait l'air fatigué. Avec des traits noirs sous ses yeux rougis, il était tout juste assez bien mit pour être présentable. Son expression acerbe donnait l'impression qu'il se trouvait sur le point de faire une crise de colère, à peine contenue. Ce type n'aimait pas non plus son travail.

Magda cligna lentement des yeux aux mots du milicien. Tout allait bien, Alaïs ne recevrait pas la peine capitale, juste une petite amputation et elle pourrait repartir. Le discours aurait pu la faire rire jaune, mais la situation ne s'y prêtait pas. Y'avait-il un châtiment pour les sadiques de la maison ? Est-ce que l'on réalisait que les gens étaient aux abois ? Que les crêve-la-faim s'entassaient dans les rues ? Tais-toi... Laisses faire Karl, c'est pour ça que tu as traversé la ville, il sait comment tirer l'épingle du jeu...

Elle soupira bruyamment. Puis lentement, elle rapprocha sa chaise du bureau, faisant grincer les quatre pieds sur le sol. Ses deux mains se croisèrent, d'énormes pattes gonflées par le travail manuel, et elle riva ses yeux sur Dan, soutenus par un sourire figé.

"Ce qu'on espère, c'est que l'on ne va pas trancher les doigts d'une gamine pour un quignon de pain."
Ses paroles furent soufflés à voix basse, comme on confierait un secret, une toute petite brise. Mais ils contenaient une intensité pénible propre à ce que l'on laissait en suspens. Elle avait commencé, c'était trop tard pour s'arrêter.
"J'espérais, qu'avec le nombre de morts et de mutilés laissés par la Fange, on ferait un effort, qu'il serait le moment idéal pour faire preuve de...
Elle prit une inspiration, et lâcha le mot avec lourdeur.
"... Pardon."
Après s'être redressée pour marquer une pause, Magda enchaîna sur un tempo beaucoup plus véhément.
"La société a changée, les mêmes règles ne peuvent s'appliquer de façon aveugle. Nous ne sommes plus très nombreux. Oui, nous, les humains, au cas ou vous n'auriez pas remarqué... tout le monde meurt, des blessures, de la faim ou simplement, de trouille. Mais on veut continuer à faire craindre ! Des lois obsolètes, alors qu'on regarde déjà par dessus nôtre épaule, et que personne ne fait confiance à personne et s'isole en attendant la fin. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant, chaque main, chaque... doigts, compte ! Alors par les Trois et tout ce qui est sacré, mettons fin à cette sordide charade : pour un jour ne tuons pas l'espoir encore un fois !"

Le discours inattendu laissa Magda tremblante, elle était outrée par la léthargie et le manque d'humanité, sachant trop bien où cela menait. Son ton portait une sincérité difficile à ignorer, mais il pouvait facilement retourner certaines sensibilités. Lorsque la poussière termina de retomber, elle réalisa qu'elle avait peut-être ruiné les négociations envisagées par Karl. Mais au final, Magda n'avait plus l'âge de fermer sa gueule.
Revenir en haut Aller en bas
Karl StannerContrebandier
Karl Stanner



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyLun 30 Sep 2019 - 19:43
Le contrebandier observait son nouvel interlocuteur, il avait en face de lui une recrue qui allait décider de l’avenir de la voleuse, ce n'était pas vraiment professionnel pourtant ça l'arrangeait.
Il adressa une nouvelle prière à Rikni pour ce bon présage car non seulement il pouvait s’attendre à ce que la recrue ne soit pas encore blasée par son travail mais aussi vouloir faire un pied de nez à sa hiérarchie.
Le sous officier n’était même pas capable de prononcer son nom correctement, Karl se demandait parfois comment la Milice pouvait tenir en respect les Fangeux. Le marchand avait déjà eu des contacts avec des vrais professionnels, pourtant il ne voyait pas comment un homme comme Rufus pouvait inspirer un semblant de loyauté et de courage.
Néanmoins les braves avaient réussi à repousser l’invasion alors il s’employait à ne sous-estimer personne, ni même la recrue Sobre qui voudrait peut être faire un peu de zèle dans l’application de la loi.
Cependant au vu de son discours ce n’était pas le cas, le milicien avait l’air d’avoir à cœur que les règles soient respectées et pour ce faire, compte tenu de l’âge de la voleuse, un doigt ou deux suffiraient.
Belle ironie pour le contrebandier qui caressa les deux appendices fantômes au travers du gant en cuir. Alaïs n’avait pas besoin de tous ses doigts pour voler par contre pour grimper c’était terminé, il le savait d’expérience.

« Enchanté, Monsieur Sobre. Merci de prendre la peine de nous recevoir. Je suis Karl Marlot. »

Le négociant avait bien insisté sur le fait de connaître son nom, tout en lui fournissant un sourire aimable. Il jeta un bref regard à Magda, elle affichait une drôle d’expression qu'il n’arrivait pas à décrire mais l'artisan ne semblait pas particulièrement content. Le contrebandier ne s’attarda pas et continua.

« Il est question de ma sœur, Alaïs et j’espérais pouvoir vous faire chan... »

Karl ne termina pas sa phrase, dérangé par un crissement sur le plancher. Il tourna la tête vers sa compagne d’infortune, Magda avait traîné sa chaise jusqu’au rebord du bureau pour fixer la recrue Sobre de son regard d’acier azuré.
Elle souffla quelques mots crus au visage du milicien et , pris par surprise, Karl essaya de nuancer les propos de la vieille femme.

« Elle résume notre pensée mais je pense qu’il ne faut pas... »

Elle ne l’avait pas laissé terminé, le contrebandier pouvait maintenant mettre un nom sur le visage de Magdalena qu’il avait remarqué juste avant : La colère contenue.
Elle exprima une tirade qui en aurait fait rougir plus d’un et pour cause, il ne s’agissait plus seulement de sauver la voleuse. Non, elle voulait mettre un coup de pied dans la fourmilière et qu’importe si tout devait exploser avec. Dans un courroux d’une rare sincérité elle rhabilla toute la Milice, si ce n’est tout Marbrume, même Karl s’était senti visé, l’artisan avait un don pour faire ressortir la culpabilité du négociant.
Quand Magda termina, on n’entendait dans la pièce que le souffle rauque de la vieille femme tremblante après avoir exprimé une rage sans doute retenue depuis un moment. Le contrebandier ne l’avait pas quitté des yeux, interdit devant ce discours endiablé et franc se laissant quelques secondes pour digérer la tempête.
Il tourna la tête vers l’autre membre de l’auditoire pour en étudier sa réaction, son esprit tourna à vive allure car de toute façon il ne pouvait plus rien changer à ce qu’il venait de se passer.
Après un long soupir, il posa une main qui se voulait amicale sur l’épaule de Magda avant d’enchaîner même si ses mots sonnaient bien creux après un tel discours.

« Pardonnez son emportement, monsieur Sobre. Elle tient à ma sœur presque autant que moi. Vous avez vu l’état de notre ville, de notre monde, il est parfois difficile de suivre toute les règles devant tant de souffrances. »

Karl inspira un bref instant avant de reposer son regard sur Sobre, reprenant du même ton calme.

« Vous avez raison, monsieur Sobre. La loi doit être appliquée et sa violation sanctionnée. Elle a fait un séjour en geôle et je ne doute pas qu’elle ait fait connaissance avec un monde qu’elle veut vite oublier. Mais si vous lui coupez les doigts, monsieur Sobre, vous la condamnez. Tout à sa vie, cette marque lui rappellera un passé honteux non seulement à elle mais aussi aux autres, je sais de quoi je parle. »

Le contrebandier retira son gant tout en montrant sa main mutilée de deux doigts.

« Je n’ai pas réussi à protéger ma sœur, monsieur Sobre, mais vous vous pouvez m’aider. Laissez lui une chance d’avoir un avenir, un mari et une famille sans porter le poids d’une erreur de jeunesse. Pour reprendre les mots de mon amie : Ne tuez pas l’espoir de son futur. »

Le visage de Karl affichait une moue qui se voulait sincère et en vérité elle l’était en partie. Le négociant avait lui aussi terminé sa tirade néanmoins il ajouta une dernière phrase comme une main tendue à un autre type de personnalité.

« Personne dans cette pièce n’oublierait un tel acte. »
Revenir en haut Aller en bas
Dan SobreMilicien
Dan Sobre



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptySam 5 Oct 2019 - 23:54
Ses nerfs peinaient terriblement à maintenir le cap. Cinq brèves secondes auparavant il s'attendait à entendre quémander mielleusement les deux civils, prêt à tout pour voir leur congénère sortir des cachots. Au lieu de ça, un véritable ouragan moralisateur déferla dans le petit bureau, à tel point que la table sur laquelle reposait ses coudes ne semblait plus assez solide pour affirmer ses aises. Ses yeux s'écarquillaient progressivement, suivant les multiples faces que le visage de Magda lui offrait au cours de ce discours fort inspiré et inspirant. Pourquoi devait-il toujours se coltiner des vieillards aux fortes têtes ? Nostalgique, il repensait brièvement à Edmond en entendant la fureur de cette vieille dame. Cherchait-elle à déclencher une révolution au sein de ce petit bureau? Qu'espérait-elle obtenir si ce n'est des railleries ou des haussements d'épaules, suivi par des regards insondables de jeunes trous du cul? L'interpellation d'Alaïs ne lui avait-elle pas suffit? Est-ce qu'il pouvait vraiment remettre la gamine entre les mains d'une telle femme, sans s'imaginer que cette dernière ne la renverrait derrière les geôles dans les jours qui viennent ? Là n'était pas la question, il comprenait le fond de son discours, sans en partager la forme. A ses yeux, l'optimisme de Magda était une grave erreur d'interprétation de la volonté des trois. Mais encore une fois, Dan cherchait à négocier des biens, non pas à débattre religion. Il espérait pouvoir troquer une vie contre quelques menus services. Et voilà que cette gueuse d'artisan lui balançait un pamphlet sur la société actuelle et ses dérives. Ca la foutait mal, il avait l'impression d'être un clebs qui se voyait le museau plonger dans ses propres déjections.

Certes ils l'avaient cherché en amaigrissant les sévices que la sanction d'Alaïs risquait d'avoir sur son avenir. Mais merde, ils étaient la milice, ils se devaient d'agir ainsi. Ils ne pouvaient pas prendre parti pour les civils lorsque ces derniers commettaient des délits. Les temps étaient durs, les vivres rares, on se devait tous d'être rigoureux dans nos actes. Le voleur ne pouvait qu'être pleinement conscient des risques qu'il prenait en se risquant aux divers jeux de mains qu'il exerçait. Tout comme les miliciens qui risquaient leurs vies chaque jour pour défendre X ou Y citoyens. Ils n'engageaient pas leurs sentiments, ni émotions personnelles dans la bataille au risque de se voir eux même devenir des complices du laxismes et de la famine. Ils ne faisaient qu'appliquer les peines, sanctionner les perdants et laisser vivre les gagnants. Ils n'étaient que des arbitres d'un match pas si truqués que cela, quand on voyait les multiples restrictions et possibilités que chacun avaient. Le noble pouvait aligner avec aisance autant de buffets qu'ils désiraient, une seule faute de goût, ou manquement aux codes de conduites et d'usages, le condamnait à l'isolation et au mépris de ses confrères. Alors qu'un badaud pouvait se ridiculiser autant de fois qu'il le désirait, sans jamais craindre d'être abandonné par la communauté, même si cette dernière n'avait pas plus d'une soupe à lui offrir. On demandait à l'un d'être irréprochable alors que l'autre se devait de toujours persister et corriger ses erreurs pour mieux avancer. On pouvait retourner le problème autant de fois qu'on le voulait, chaque place apportait son lot de malheur et d’injustices.

Sans s'en rendre compte, ses mains s'étaient resserrées, il détestait être moralisé par des gens de la même classe que lui. Il avait pourtant envie de rendre service à la petite, mais son instinct le poussait à remettre cette dame, qu'il aurait presque pu apprécier, à sa place. Heureusement pour eux, le barbu prit la parole, son verbe était impeccable. Ses paroles sensées, il semblait déjà plus terre à terre et un peu moins téméraire que sa camarade. Ils formaient un beau duo, sans se laisser amadouer, il sentait déjà ses désirs de punitions verbales être réfrénés par les explications du commerçant. Il ferma brièvement les yeux après que Karl eut fini de plaider pour l'intégrité physique de sa soeur, soufflant délicatement le nuage d’orgueil qu'avait provoqué la tempête Magda sur la psyché de Dan. S'était comme se battre contre sa conscience, une partie angélique et démoniaque œuvrait ensemble pour obtenir la meilleur manière de résoudre un problème.

Dan desserrait les mains, respirant tranquillement en se confortant contre le dossier de son siège, il rendait chaque regard, coup sur coup, il était finalement décidé à jouer ses cartes:

"Je conçois parfaitement ce que vous voulez dire par là. En revanche, je déteste être moralisé et méprisé sans ménagement. Je l'ai vue vôtre petite. Sans même la connaître, je suis convaincu que si nous allons lui demander ce qu'elle pensait risquer en exerçant ses larcins, elle vous répondra spontanément quelque chose du même goût que les sanctions annoncées précédemment par mon supérieur. Et cela en dehors des barreaux comme en dedans. Croyez-le ou non, mais ça me peine de la voir avec les autres délabrés, astiquer les barreaux derrières lesquels on l'a enfermée."

Il roula ses épaules nerveusement en dévisageant les deux civils, puis reprit sur un ton clair et autoritaire:

"Non, les lois ne sont pas obsolètes, oui nous sommes capable de faire preuve de pardon. Mais si vous croyez que c'est en laissant chacun faire à sa guise que l'on parviendra à se sortir du trou dans lequel les trois ont décidés de nous plonger. Je vous invite à aller faire un tour du côté des bas quartiers et me dire ce que vous pensez de leurs innovations. Notez, que beaucoup de nos recrues proviennent d'ailleurs de ces bas-fonds. Vous savez pourquoi ? Parceque l'être humain est doté du présent le plus précieux qui soit."

Son regard, bien que noircis et trahissant sa haine lugubre de l'espèce humaine, portait une sincérité qui ne laissait planer aucun doutes sur ses ambitions. Soutenant celui de Magda le temps de terminer son sermon, il n'y prenait aucun plaisir, ni aucune douleur, s'était aussi une forme de devoir en tant que fervent croyant de partager son aspect de la réalité des choses:

"Le libre arbitre. Nous ne sommes pas des démons jubilant en voyant les autres souffrir, mais chacun de nous sait à quoi s'en tenir une fois arrivé à maturité. Nous faisons partie d'un tout, vous voulez changez les règles? Donnez-vous en les moyens."

Il replongeait ses yeux dans ceux de Karl, reprenant un air plus décontracté, mais non pas moins sérieux:

"Très bien, maintenant que vous savez ce que je pense de tout ça, je suis prêt à vous accorder l'intégralité physique d'Alaïs, en échange d'une mémoire implacable et d'une adresse précise et exacte."
Revenir en haut Aller en bas
Karl StannerContrebandier
Karl Stanner



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptySam 12 Oct 2019 - 1:40
La partie touchait à sa fin, heureusement pour lui le milicien semblait réceptif à ses arguments et ne semblait tenir que peu rigueur à la tumultueuse Magdalena. Certes, cette dernière avait eu le droit à son petit paragraphe moralisateur en juste retour, Karl posa son regard sur l'artisan observant sa réaction.
Il appréciait la vieille femme, du peu qu'il connaissait d'elle et pour cause cela remontait à quelques heures pourtant sa franchise charmait le contrebandier taciturne habitué aux faux-semblants.
D'un léger mouvement de tête, il essaya de lui faire comprendre qu'il prenait pour lui les demandes de Sobre, le gardien de Marbrume ne remettait pas en cause la relation fraternelle qu'il avait avec Alaïs mais il n'était pas dupe non plus sur ses motivations.
Il se doutait que l'honnête marchand qui côtoyait des voleuses et des vieilles femmes revanchardes, pouvait offrir plus qu'un simple service de vente de grains, du moins c'est ce que Karl supposait.

Le risque était présent, presque palpable car le contrebandier jouait gros sur ce coup-là, si on découvrait sa véritable activité et que Dan laissait cette information dans l'oreille du mauvais milicien, il finirait comme nouveau locataire du chanvre à l'extérieur de la caserne.
En revanche, il pouvait mettre un pied dans la Milice si Sobre donnait autant qu'il recevait et le garde ne semblait pas être un grand amoureux de sa hiérarchie, ni hostiles à changer quelques règles.
Il montrait juste une volonté à survivre dans l'abîme malheureuse qu'était devenu la ville mais encore une fois tout ceci n'était que suppositions par rapport aux paroles du milicien : Il pouvait être un atout comme un ennemi mortel, il fallait trouver le juste milieu où chacun y trouvait son compte.

Karl n'avait plus beaucoup de cartes à jouer et Sobre avançait un jeu solide, il allait devoir prendre des risques aussi bien pour sauver la voleuse que de se faire un nouvel allié chez les militaires. En contrepartie, son interlocuteur attendait de lui une adresse et de la mémoire, pas difficile pour le commun des mortels mais pour un contrebandier c'était comme vendre une partie de ses richesses : Mettre en péril sa couverture de négociant en grain.
Pourtant, le barbus ne se démonta pas et déposa son regard sur le milicien quittant le portrait de sa compagne d'infortune. Il répondît de son ton calme après une réflexion de plusieurs dizaines de secondes.

« Vos demandes sont raisonnables et à ma portée, monsieur Sobre. Si vous garantissez la vie de ma sœur je promets, les Trois m'en soient témoin, de vous aider en souvenir de votre acte charitable. Pour ce qui est de l'adresse, je vous laisse la mienne en gage de confiance. »

Après lui avoir indiqué comment retrouver sa boutique dans le Port, il lui tendit la main comme on clos un accord après une négociation même si cette fois l'enjeu dépassait la caisse de grain. Il ne demandait rien de plus en retour pour le moment, il avait déjà gagné la dette que l'acrobate et un premier rencard avec Dan Sobre.
Ce dernier voulait sans doute se servir de lui c'était même sûr mais on est tous l'outil de quelqu'un, Karl devait aussi tirer son épingle pour éviter que ça ne dégénère et peut-être même se servir du milicien aussi. Il avait saisi l'opportunité, maintenant c'était quitte ou double.
Revenir en haut Aller en bas
Dan SobreMilicien
Dan Sobre



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyVen 18 Oct 2019 - 0:16
Dan se levait de sa chaise après avoir préalablement, sondé les deux civils, la réponse de Karl ne pouvant que le satisfaire. Il acquiesçait silencieusement en les invitant d'un geste de la main à le suivre. Il poussa la lourde porte du bureau, laissant le marchant et l'artisan passer devant lui. Il avait une adresse, la conviction qu'ils ne mettraient pas la petite dans une situation désavantageuse, à quoi bon s'épancher en multiples billevesées hypocrites ? Ses yeux scrutaient leurs mouvements, sans non plus les menacer, il leur demanda de patienter quelques instants à l'entrée des cachots, puis partit chercher la gamine. Ses yeux quittaient plus longuement les deux individus, pour scruter les environs, peu de vigiles semblaient s'inquiéter de leurs présence, ni même patrouiller sérieusement. Pas d'officiers en vue, ni de convois aléatoire en train de débarquer qui ou quoi que ce soit. La voie semblait libre, il s'enfonça de nouveau dans l'antre des parias, laissant courir le bruit de ses bottes le longs des froides pierres emmurant les condamnés. Il s'était rapidement saisit du trousseau requis pour libérer la voleuse, se rappelant fraîchement de la cellule dans laquelle on l'a conservait. Quelques souvenirs lugubres concernant une gamine qu'on avait accusé de mordue lui traversaient l'esprit, alors qu'il se rapprochait d'elle. Il n'avait jamais vraiment réussi à se pardonner cet échec. La pauvre devait sûrement être traumatisée au meilleur des cas, morte dans le pire par des représailles du coutillier l'ayant dans le nez. Elles n'avaient pas le même âge, ni même les mêmes traits. Mais l'amertume qu'apportaient la fragilité et l'injustice de leurs conditions, lui laissait un gout ferreux dans le palet.

Une fois devant la grille, ses yeux plongèrent directement dans ceux de la voleuse:

"Toi, tu te mets là, les mains en évidence contre le mur. Les autres vous dégagez loin dans le fond en faisant de même. Premiers geste suspect je charcute."

Pas besoin de préciser qu'il ne comptait pas faire dans le détail, ni prendre son temps à analyser la situation, dans des cas pareils il était hors de questions de jouer dans le raffinement ou la bonté. Son ton était sec, concis et fluide. Si l'un des gueux n'avaient pas compris les ordres, ils n'avaient qu'a filer avec les autres et faire au mieux. Une fois les affreux en place, le milicien ouvrit la grille, puis s'empressa de lui prendre les poignets, les tordant brièvement pour lui mettre dans le dos en se contentant de la sortir sans ménagement. Il ne voulait pas laisser voir aux autres le moindre traitement de faveur, il lui lia les mains, scrutant les faits et gestes des autres convives qui restaient passablement calme. Ils avaient l'air plus désespérés qu'effrayer, ce qui convenait parfaitement au milicien. Il referma la cage à double tour, puis poussa la voleuse en direction de la sortie:

"Pas un bruit, il semblerait que ton grand frère soit quelqu'un de dévoué et d'aimant. N'oublies pas la faveur qu'il t'a fait et ne te fais plus prendre gamine...Quand on sort, tu te tiens la main gauche et tu pleures.

Il lui pinçait violemment le dos, espérant l'aider à amener quelques larmes couler le long de ses joues, lui faisant comprendre qu'elle devait se plier à cette exigence. Qu'importe qu'elle le haïsse, ils ne devaient pas attirer les soupçons des autres. N'étant pas imperméable aux regards, ils devaient être crédible. Une fois dehors, les procédures ayant été largement bafoué et détourné pour l'excursion que le milicien venait de se réserver. Il délia les mains de l'ex détenue en invitant le marchand à la réceptionner.



Dernière édition par Dan Sobre le Sam 19 Oct 2019 - 1:17, édité 2 fois
Revenir en haut Aller en bas
Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  EmptyVen 18 Oct 2019 - 20:29




Quartier de la milice
Mars 1166



La voleuse avait attendu. Les minutes, les heures, le temps lui même semblait se distendre à l’infini, de façon inversement proportionnelle à la place disponible pour remuer. On aurait pu croire que la proximité avec ses autres compagnons d’infortune aurait créé comme un genre de solidarité ou de rapprochement entre ces destins malheureux, mais c’est comme si la prison n’était pas seulement un rempart avec le monde extérieur, mais aussi pour soi-même et le genre humain, chaque détenu se rencognant dans une forme de solitude - comme une enveloppe impossible à déchirer. Aussi, Alaïs s’était laissée aller contre les barreaux, attendant recroquevillée, que le contrebandier du port vienne la chercher. Le garde avait dit qu’il était là, que l’artisan l’avait accompagné. Ils étaient là, quelque part, à l’intérieur d’un bureau, en train de négocier sa sortie. Peut être que le temps qu’ils y mettaient était bon signe ? Qu’on ne les avait pas renvoyés derechef ? Ou bien l’affaire avait été expédiée, et elle n’était simplement pas encore au courant de ce qui allait lui arriver…

Cette incertitude devenait insupportable. Être à la merci de ce garde à la mine trop pâle ou de ses supérieurs lui donnait la nausée. Elle se sentait faible à crever. Pathétique. Mais finalement, elle entendit le bruit de pas familiers résonner en échos le long du corridor obscur. Elle se tendit de nouveau, plaquant son visage vers les barreaux pour mieux saisir l’identité de celui qui approchait. Le garde qui lui avait adressé la parole, celui qui l’avait regardée un instant avec l’air sensible à son destin revint. Mais impossible de déchiffrer son expression sur ce visage morne qui la cherchait néanmoins dans sa cellule.

— Toi, tu te mets là, les mains en évidence contre le mur. Les autres vous dégagez loin dans le fond en faisant de même. Premier geste suspect, je charcute.

Elle sentit son regard plonger dans le sien avec une intensité qui dénotait ou contrariait l’expression dure de son visage. Comment pouvait-on sembler si froid et si cassant tout en regardant l’autre avec cet intérêt profond ? Elle secoua la tête. Il était milicien, elle était voleuse, l’un et l’autre n’étaient pas censés se comprendre, seulement remplir leur rôle, en tout cas ici. Aussi, elle suivit exactement ses ordres, de la même manière qu’on fait profil bas devant un chien qui grogne. Bientôt elle entendit la porte s’ouvrir, et sentit le contact de deux mains trop fermes lui tordre les poignets avant de les ferrer une nouvelle fois dans les menottes. Elle grimaça mais elle se montrait encore trop fière pour se permettre un son. Elle doutait fortement que le garde était le genre à s’apitoyer sur les pleurnichardes, de toute façon. D’une bourrade brutale, il la dirigea à l’extérieur de la cellule, lui faisant quitter ses colocataires d’infortune sans un regard en arrière. Alors qu’ils progressaient dans le boyau de la prison qui servait de couloir, il la menait toujours de cette poigne brutale, glissant quelques mots à son oreille, en marchant tandis qu’elle faisait de son mieux pour ne pas trébucher dans l’obscurité.

— Pas un bruit, il semblerait que ton grand frère soit quelqu'un de dévoué et d'aimant. N'oublie pas la faveur qu'il t'a fait et ne te fais plus prendre, gamine...Quand on sort, tu te tiens la main gauche et tu pleures.

Ainsi Karl avait fait marcher sa ruse et roublardise habituelle, mêlant vrai et faux pour la tirer de cette énième embûche. Un drôle de sentiment la parcourut à cette pensée. Encore une fois, elle avait eu raison de lui faire confiance, même si l’artisane n’avait pas dû chômer pour le convaincre. Encore une envers qui elle aurait une dette de taille. Peut être que le bien existait toujours sur cette terre finalement. Quant au milicien qui la menait, elle ne savait que penser… Ne plus se faire prendre… Etait-ce vraiment le discours d’un homme de loi ? Elle avait peut être deviné juste à son sujet, il appartenait peut être aux gens de son espèce, finalement. Elle souffla entre ses dents, avec un étrange sourire :

— Toi et moi on est pas si différents, hein...

Dans un entre deux étrange, cet uniforme était peut être un déguisement dont il usait pour se tirer du chaos qu’était devenu leur monde. Elle n’eut pas besoin de développer à haute voix. Elle comprenait. Il voulait qu’elle joue la comédie. Il avait défié le règlement et peut être la loi pour la tirer de là. Encore un marché passé avec le contrebandier du port.

Il lui pinça violemment le dos, la rappelant à la réalité tout en la tirant brutalement de ses réflexions. Elle n’eut pas beaucoup besoin de se forcer pour crier, puis se mettre à pleurer en se tenant le bras, courbée en deux, une fois arrivés dans la cour, là où on pouvait les voir. Elle se débattait faiblement, faisant mine de souffrir le martyr en gémissant entre ses dents, plus facile à faire le visage baissé, et que le spectacle plaise à son garde ou qu’il joue très bien la comédie lui aussi, il l’aidait bien à tenir son rôle. Malgré elle, elle cherchait du regard un manteau de cuir et une barbe hirsute. Elle sanglotait désormais avec un certain talent, il était temps de se montrer convaincante. La liberté lui tendait les bras.



Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



A deux doigts...  Empty
MessageSujet: Re: A deux doigts...    A deux doigts...  Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
A deux doigts...
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Port-
Sauter vers: