Dans l’espoir d’un avenir meilleur. [Pv-Victor de Rougelac]

Dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Victor de Rougelac x Héloïse Coutrier

Août 1166.

Héloïse soupire longuement derrière son comptoir à la vue des chiffres sur son cahier de compte. Elle a beaucoup plus de dépenses que de recettes à cause, sans-doute, d’un mauvais marchandage avec ses fournisseurs mais surtout et principalement en raison de mauvais payeurs. À ce rythme-là, elle va être obligée de plier boutique, de mettre la clé sous la porte et de trouver une solution pour survivre. Du bout des doigts, elle vient masser les sourcils froncés qui amplifient ses rides à cause de ses maudits soucis. Elle ferme d’un geste brusque le livre dont les chiffres commencent à tapisser son cerveau et gâcher son sommeil. Depuis quelques semaines, elle n’en dort presque plus la nuit et lorsqu’elle décide d’aller dormir à la belle étoile pour chasser ses angoisses en contemplant la voûte céleste, cette fameuse nuit devient un horrible fiasco, elle ferme un instant les yeux pour chasser l’image de cette soirée-là et ne plus y penser.

La couturière range quelques tissus, nettoie le comptoir avant de quitter son commerce, elle le ferme à double-tour, elle glisse la clé dans la poche de sa jupe bleu marine et s’en va quelques ruelles plus loin pour profiter de sa pause et de cette belle journée d’été. Dans sa main, elle tient un panier en osier qui contient un bout de pain, un morceau de fromage, deux pommes ainsi qu’un tout petit pichet en poterie contenant un fond de vin doux et un gobelet en bois. Elle s’aventure dans un carré de jardin public, s’installe sur un banc, non loin de la fontaine et regarde longuement les passants qui se promènent avant de commencer à se sustenter. Il fait chaud mais il y a une petite brise agréable, elle lève les yeux vers ce ciel d’un bleu céruléen et elle arrive à sentir la chaleur du soleil sur son visage qui est dissimulé par les quelques feuillages des arbres aux alentours.

D'une main, elle balaye sa jupe des miettes de pain qui feront le plaisir à un petit groupe de moineaux avant de chercher une pomme et d’y croquer à pleines dents. Il lui arrive souvent de venir déjeuner sur cette petite placette pour quitter le temps d’une petite heure les murs de son commerce. Un chien errant qui se balade souvent dans le coin se rapproche de la couturière, s’assoit devant elle sans réellement l’approcher. Elle lui sourit, croque une dernière fois dans sa pomme et lui offre le trognon qu’elle pose sur le sol. Le chien l’engloutit en deux crocs avant de repartir dans un petit aboiement en guise, sans-doute, de remerciement.

Héloïse se saisit de son panier et s’octroie une petite promenade autour de la placette fleuries pour dégourdir un peu ses jambes avant de retourner derrière son comptoir en tête-à-tête avec ses aiguilles et ses tissus.

L'Eté semblait définitivement installé sur Marbrume et si le Comte de Rougelac remuait ciel et terre en dehors et au sein même de la Capitale, il était encore bien loin de réaliser tous ses projets. En homme d'expérience, il ne comptait pas seulement sur ses capacités à convaincre les éventuels candidats à rejoindre Sombrebois par l'intermédiaire de certains porte-parole, non il devait également user de son influence pour rallier à sa cause tout homme ou femme capable de représenter une valeur ajouté à ce vaste dessein encore bien incertain. De fait, par certaines de ses relations, hauts ou bas placées, le Gouverneur de Sombrebois s'était donc tenu informé de la situation de nombreux habitants de Marbrume. Vivaient-ils confortablement ? Etaient-ils en proie à un avenir précaire ? C'étaient bien ceux se retrouvant dans cette seconde catégorie qui intéressaient le mondain. Plusieurs listes lui furent établis et dans l'une d'elle se trouvait un nom qui le renvoya à son passé et tout particulièrement à deux années en arrières : Coutrier. Songeur, il se rappela de la jeune femme qui à l'époque travaillait pour la Maître Couturière de Beauval. Il avait eut à faire à ses services avant que plus aucune nouvelle ne lui parvint. Il se rappelait même avoir demandé de ses nouvelles à Aelys pas plus tard qu'en Avril et celons cette dernière, Héloïse avait prit seule son envole. Était-ce une bonne chose en ces temps de crise ? La première réaction du Comte fut d'affirmer que non, seulement à la lecture du rapport qu'on lui avait transmit sur la jeune femme, Victor ne put que se réjouir de la passe difficile qu'elle traversait.

Une aubaine ? Peut-être car il n'avait pas dilapidé toute sa fortune dans la réhabilitation de Sombrebois et pouvait donc encore user de son influence et de sa fortune pour convaincre et manipuler. En tout cas, le constat était clair, les affaires de la couturière n'étaient pas florissante et d'ailleurs, devait-elle être confronter à la solide concurrence de la Dame de Beauval qui avait pour elle la réputation de son activité à travers tout Marbrume, ce qui n'était pas forcément le cas d'Héloïse. Si cette dernière n'était pas encore endettée, elle était semble-t-il sur le point de l'être et évidemment, un mécène serait le bienvenue après tout ? C'est ce qui motiva Rougelac à attendre la jeune femme un soir à la fermeture de sa boutique.

Dans un apparat sobre mais de riche facture, mêlange de pourpre foncé et de marron, il était adossé à la devanture de l'échoppe lorsque la demoiselle quitta son lieu de travail. Evidemment, le Comte ne s'était pas aventuré à une heure si tardive sans une escorte et un de ses homme de main restait tapis dans l'ombre en observant la scène qui allait suivre. C'est donc lorsqu'elle verrouilla la porte de son établissement que le mondain qui resta adossé au mur, un talon contre la façade en gardant une pose à la fois altière et décontractée, tourna la tête en direction de la couturière, pour l'interpeller de sa voix qui se voulait rassurante et bienveillante.

- Mademoiselle Coutrier. A la bonne heure. Vous souvenez-vous de moi ? Cela fait bien longtemps nos chemins ne se sont points croisés...

Il lui adressa un léger sourire amicale avant de quitter sa posture contre le mur et se porter à sa rencontre dans un veston qui le protégeait de la fraîcheur estivale.

- Une nuit qui s'annonce bien étoilée, vous ne trouvez pas ? Puis-je me permettre de vous raccompagner jusqu'à votre chaumière ? Les longues journées déclines depuis ces dernières semaines et l'obscurité rogne sur la clarté du jour, laissant bien des aubaines à quelques vils malfrats qui voudraient faire les poches à d'innocents marbrumiens.

En effet, le soleil déclinait et se couchait bien plus tôt à présent et à l'horizon, ce dernier laissait un halo rouegoyant d'une rare beauté pour qui prenait la peine de le contempler. La proposition semblait sommes toute cordiale et nul menace ne semblait transpirer du Comte de Rougelac, que ce soit dans ses mots ou ses gestes.

Après sa petite promenade, Héloïse revient ouvrir son commerce. Elle y passe tout le reste de la journée et elle s’attelle méthodique dans son travail. Elle commence par repriser des chaussettes filetées, à recoudre le col d’une tunique et à raccommoder le laçage d’un chemisier. Assise sur un tabouret, près de la fenêtre, elle s’applique dans ses tâches. Dans cette longue après-midi, elle a la visite de trois personnes, deux femmes et un homme. La première femme, une vieille dame dont les doigts sont tordues par des années de labeurs vient marchander pour réparer son corsage. La cliente amaigrit explique que son corset ne lui tient plus aussi bien qu’avant, même en tirant au maximum les lacets. La deuxième femme souhaite une nouvelle tunique pour sa jeune-fille de douze ans qui a bien trop grandit et le troisième client, un milicien, souhaite rafistoler son gambison.

Tandis que la lumière naturelle du soleil s’estompe doucement à travers la fenêtre à petits carreaux, Héloïse se frotte les yeux mais s’efforce de terminer une couture avant de ne pouvoir s’adonner à plus et qu’il est tout simplement temps de rentrer chez elle. Après un petit nettoyage succinct, un petit coup de balai et quelques rangements de tissu et de fils, elle quitte son commerce. Son panier dans une main, la mine quelque peu épuisée, elle met le pied dehors. Elle referme lentement la porte derrière elle, la clef lui tombe des mains lorsqu’une voix à la fois puissante et amène surgit de nulle part. Elle tourne la tête vers l’homme, adossé et détendu, contre la façade de sa boutique.

Héloïse affiche un expression surprise et met quelques secondes pour retrouver ses moyens. Elle s’abaisse pour récupérer sa clef et de donner deux coups à la serrure avant de se tourner vers son visiteur et de lui offrir une révérence polie.

- Monsieur de Rougelac… Quelle surprise.. Dit-elle en levant les yeux vers les siens. Oui, je me souviens parfaitement de vous.. Elle dessine un fin sourire, glissant sa main dans ses cheveux pour constater son chignon quelque peu décoiffé et hoche lentement la tête. Effectivement… Cela doit faire… Un peu plus d’une année. Elle l’observe quitter sa position et jette un œil scrutateur à sa tenue avant de lever le menton pour étudier le ciel.

Effectivement, la voûte céleste est dégagée et elle chuchote un petit : « Oui. » à sa question sur le sujet de nuit étoilée. Héloïse vient de nouveau chercher le regard du noble, plus interloquée, qu’étonnée à sa proposition. Elle range la clé dans la poche de sa jupe et l’invite à la suivre dans un mouvement de main.

Elle marche d’une allure mesurée le long de la rue de la Hanse, silencieuse dans les premières minutes. Elle fronce les sourcils interrogative sur cette soudaine rencontre, elle ne doute pas de la galanterie de Sir Rougelac de la raccompagner jusqu’à sa chaumière, quoi que cela lui semble incongru. Elle toussote, pivote à peine la tête vers Victor et le temps de quelques secondes, elle examine le profil du Comte avant de retourner son attention sur la route.

- Monsieur de Rougelac… Je devrais sans-aucun doute prendre de vos nouvelles comme l’exige la bienséance… Mais votre visite inentendue… m’intrigue. Ose-t-elle dire en serrant la anse de son panier en osier.

De sa main libre, elle vient balayer une mèche de cheveux qui lui chatouille le front.

- Vu votre complet.. Je ne crains pas me tromper en pensant que vous ne venez pas à ma rencontre pour de nouveaux atours. Elle en-biais une nouvelle fois la tête vers lui, avant de lever la main pour lui indiquer qu’il faut prendre la prochaine rue à droite.

La surprise provoquée par son apparition impromptue passé, Héloïse se ressaisit, verrouillant l'accès à sa boutique avant d'accepter d'être reconduit jusqu'à chez elle par l'intriguant mondain. De toute évidence, elle devais naturellement se poser des questions quand à sa présence et ses intentions et ce ne fut qu'au bout d'un certain temps qu'elle s'osa à l'interroger après un toussotement de circonstance. L'attention du Comte se posa alors sur le panier dont la propriétaire serra la anse, signe distinctif qu'une légère anxiété qui pouvait fort bien se comprendre.

Héloïse Coutrier était loin d'être idiote et déduisait par les neuves étoffes que portait son compagnon de balade qu'il n'était pas venu lui passer commande et donc que l'objet de sa présence soudaine et tardive était d'une toute autre nature. Captant alors le geste de la main qu'elle lui offrit, Victor emprunta la rue à sa droite non sans adresser un léger signe à son homme de main qui les suivaient dans l'ombre à bonne distance.

- Je puis comprendre que vous désiriez obtenir quelques réponses quand à ma présence aussi tardive qu'impromptue. Soyez tout d'abord rassuré quand à mes nobles intentions.

L'avisant d'un regard entendu alors que la lune semblait l'unique source de lumière qui leur permettait l'un l'autre de se dévisager, il invita la couturière à presser le pas non sans lui proposer de se délaisser de son panier et prendre ainsi en charge personnellement ses effets.

- Vos suppositions sont juste. Je ne suis point venu vous passer commande. Mes intentions sont toutefois de l'ordre de la bienveillance. Comment se porte vos affaires d'ailleurs ? Depuis que vous avez quitté votre place chez Damoiselle de Beauval, et au vu des récents évènements, nombreux commerçants rencontrent des difficultés et je m'inquiète de votre devenir, comme je m'inquiète de la santé financière d'autres valeureux commerçants de Marbrume.

Le Comte de Rougelac arborait une mine inquiète, dissimulant parfaitement toute forme d'intérêt personnel quand au sort que subissait la couturière. En tout état de cause, il semblait vouloir œuvrer lentement et calmement, se gardant bien de dévoiler son plan et ses intentions hâtivement. L'objectif était déjà de renouer le contact avec la jeune femme et se montrer à l'écoute. Qui puis est, deviser en pleine rue pouvait être sources de risques et il préférait parler de choses plus concrètes derrière quelques murs de pierre ou de bois, là où aucune oreille ne pourrait épier ses propos.

La soirée est douce pour ce début de mois d’août, la chaleur de la nuit n’y est pas oppressante et Héloïse apprécie le trajet jusqu’à sa petite maison. Tandis qu’ils s’orientent tous les deux dans une démarche quasi-synchronisée vers la droite, Victor tente de la rassurer sur sa visite inopinée. Elle croise son regard qui se veut rassurant et il l’invite à se hâter quelque peu, tout en lui proposant de porter son panier, qu’elle refuse poliment d’un mouvement de tête.

La couturière essaie de soutenir l’allure du noble et l’écoute curieuse et attentive. Elle fronce légèrement les sourcils et se permet de prendre quelques minutes avant de lui répondre. Elle ne souhaite pas afficher sa détresse sur les finances de sa boutique sans-doute à cause de cette vilaine et stupide fierté. Toutefois, doit-elle le croire ? S’inquiète-t-il vraiment pour les commerçants de Marbrume ? Elle a le sentiment que son visiteur ne dévoile qu'une partie des circonstances de leur entretien.

C’est à ce moment-là que deux badauds sortent d’une auberge, se tenant par les épaules, déambulant complètement ivre et chantent une chanson à haute-voix qui ferait rougir la plus hardie des courtisanes. Héloïse détourne la tête pour cacher son sourire autant que son embarras tandis que les deux ivrognes continuent leur chemin réveillant les dormeurs avec leur sérénade.

La couturière se racle doucement la gorge reprenant suite à sa conversation avec le comte.

- Je vous remercie de votre sollicitude.. Votre prévenance est tout à votre honneur et la communauté de Marbrume vous en est, je n’en doute pas, reconnaissante. Dit-elle en prenant une nouvelle rue, à sa gauche, plus étroite avant d’arriver devant sa bicoque.

Elle montre d’une main la porte pour lui indiquer qu’ils viennent d’arriver à destination. Elle fixe un instant la poignée avant de lever les yeux vers l’homme désormais face-à-elle. Peut-être souhaite-t-il la tranquillité de quatre murs pour discuter plus soigneusement sur le prétexte de ce véritable tête-à-tête. Elle plante ses yeux dans les siens pour rechercher cet indice de bonne foi avant de les baisser pour ne pas se montrer incorrecte.

- Il me reste un fond de cidre… Souhaitez-vous un verre ? Propose-t-elle sans attendre réellement une réponse. Elle pivote vers sa demeure, cherche la clef dans son panier pour ensuite ouvrir la porte en deux coups dans la serrure.

La maison n’est pas bien grande. A l’entrée, il y a un petit couloir ou est entreposé le bois contre un mur. Il y a une porte à gauche qui mène à la pièce principale. Celle-ci est composée d’une cheminée ou un chaudron, contenant un fond de soupe aux légumes, y est suspendu, encore tiède de la soirée d’hier. Il y a une table rectangulaire avec deux bancs en bois en centre de la pièce, un meuble contre un mur et une bassine vide contre la fenêtre. Il y a bien évidemment quelques objets de décoration, comme un tableau représentant un paysage et un bouquet de fleurs séchées dans un vase en terre-cuite.

A cette pièce, il y a une ouverte qui se trouve être la chambre de la couturière, celle-ci est séparée par un rideau.

- Je vous en prie, installez-vous. Elle montre le banc d’une main avant de prendre place à son tour, face à lui, après avoir déposé deux gobelets en bois et le pichet de cidre à la pomme.

Il y avait de ses spectacles de rue qui prêtaient à sourire. Alors lorsque les deux ivrognes qui passaient tout à côté du duo réveillèrent le voisinage de leur chant sujet à faire rougir n'importe quelle courtisane, le Comte de Rougelac ne put que sourire et étouffé un gloussement amusé alors qu'il voyait sa comparse détourner ne regard comme gêné par ces deux éléments perturbateurs. Peut désireux de deviser sur le sujet, il emboîta le pas de la jeune femme cette fois ci pour emprunter une rue dur la gauche et plus étroite, signant bientôt la fin du trajet.

Ce fut lorsqu'il patienta tranquillement pendant qu'Héloïse cherchait ses clefs dans son panier, que Victor adressa un hochement de tête à son homme de main pour lui indiquer de surveiller les allées et venues. Chemin faisant, le Comte , qui n'offrait l'ombre d'une reponse aux deux répliques tenues par la couturière jusque là, passa silencieusement le pas de la porte après que la propriétaire ouvre la voie. Non sans intérêt, Rougelac se montra soigneusement attentif à ce nouvel environnement qu'il découvrait. Le logis de la jeune femme semblait somme tout simple mais suffisamment accueillant pour mettre en confiance le Comte. S'il ne vivait pas dans les meme conditions qu'Héloïse, il ressentait toutefois l'âme chaleureuse qui pouvait transpirer d'entre ses murs.

Jaugeant les meubles présents d'un bref regard, il caressa d'une paume toute la longueur de la charpente qui soutenait la base inférieure de la cheminée, humant au passage la bonne odeur qui émanait du chaudron encore tiède. Ce fut ensuite au son de la voix d'Héloïse qu'il se dirigea vers l'un des deux bancs qu'on lui proposait avant de s'y asseoir et ainsi respecter son rôle d'invité. Avisant alors les deux gobelets puis la bouteille de cidre, il rompit enfin le silence.

- Vous n'étiez pas obligé, mais merci pour votre hospitalité.

Il la laissa remplir les deux contenants non sans lui adresser un sourire aimable et entendu avant de s'intéresser quelques instant au rideau qui semblait séparer la pièce à vivre sans doute de la chambre de son hôte, même s'il ne faisait que supposer cette éventualité.

- Vous habitez une charmante chaumière, mademoiselle Coutrier. Dit-il par politesse avant de venir la soutenir du regard. J'espère sincèrement ne point vous déranger. Si vous aviez quelques obligations, je me permettrais de revenir une autre fois, je ne voudrais surtout pas vous importuner. Seulement comme je l'ai dis, ma prévenance a votre égare me tient à cœur. Voyez-vous, vous venez d'une notable maison de couture et je connais vos talents, il sera dommage que Marbrume ne puisse continuer à en profiter. Et je crois vous apprécier en temps que personne, d'où vais-je me permettre d'oser vous demander si vos affaires sont aussi florissante que vous puissiez le faire croire ou le faire paraître. Si je me montre indélicat ou insolent dans ma requête, faite le moi savoir, car mon intention n'est point de vous mettre mal à l'aise ou de vous mettre dans une situation délicate.

Pour l'heure, elle ne semblait manquer de rien, son logis n'accusait d'aucune souffrance, le bois dans l'entrée et la soupe venant confirmer cet état de fait, a moins qu'Heloise ne cache bien une profonde détresse et difficulté à subvenir à ses besoins. Mais Victor n'en savait rien et le plus important était d'obtenir des premiers aveux. Aurait-il de la meilleur des méthodes ? Peut-être pas, l'âge le rendant peut-être moins subtile, qui sait ! Patientant, il ne quittait des yeux la jeune femme, acceptant si besoin le soupé non sans, lorsqu'elle serait dos à lui, la détailler sous toutes les coutures avec discrétion.

Les trois bougies de la pièce scintillent mais elles illuminent péniblement le lieux. Un bougeoir est au centre de la table, une autre sur la tablette de la cheminée et la dernière sur le meuble contre le mur. Héloïse remplit à-moitié les deux gobelets et pousse l’un des verre vers le noble avant de reposer le pichet entre eux. Elle boit une petite gorgée de cidre lui offrant un sourire au compliment de sa maisonnette même s’il manque, à son goût, une décoration un peu plus personnelle.

Son regard se perd un instant dans celui du comte et l’écoute avec attention. Elle fait un simple geste de la main en lui spécifiant ainsi qu’il ne l’importune pas et que sa seule obligation en cette fin de soirée et celle d’allumer un petit feu dans le foyer de sa cheminée pour réchauffer son repas. Elle porte son index sur la naissance d’un sourcil, le gratte à peine du bout de l’ongle avant de détourner les yeux vers son gobelet.

Héloïse se lève doucement pour ensuite se saisir de quelques morceaux de bois dans l’emplacement du bûcher, sous la cheminée. Dos au comte, elle reste silencieuse et se concentre à l’aide du tisonnier à attiser les anciennes braises pour lancer une petite flambée. Une fois l’opération effectuée, elle pose l’outil et se retourne vers son invité. Debout, dos à la cheminée, les doigts croisés devant son corset, elle jauge le temps d’une œillade Victor de Rougelac. Elle pèse les pour et les contre d’admettre sans demi-mesure les quelques ennuis liés à sa boutique.

- Il se trouve... qu'effectivement.. que j’ai quelques difficultés que je m’obstine à résoudre. Se risque-t-elle d’avouer avant de rejoindre le buffet pour sortir une louche propre et revenir près de l’âtre afin de remuer la soupe dans le chaudron suspendu, prenant garde de ne pas se brûler. Elle retient un bâillement, ces jours-ci, le sommeil est aussi fuyant que des étoiles derrière des nuages d’orage.

Elle contourne gracieusement la table pour venir ouvrir la seule fenêtre de la pièce afin que la chaleur du feu n’envahisse pas trop la maison et ainsi aérer pour profiter de la douceur de cette soirée d’août. Elle revient prendre place sur le banc. Elle s’apprête à énumérer ses quelques préoccupations, puis ne dit-on pas que lorsque le vin est tiré, il faut le boire... Autant aller au bout de ce qu'elle vient de commencer.

- Je fais fasse à quelques mauvais payeurs… Ou pire des personnes qui me commandent des vêtements mais qui ne viennent pas les essayer, les récupérer et les payer… Il est par la suite, plus difficile de les vendre. Admet-elle tout en grattant machinalement, du bout de ses ongles courts, le bois de la table.

- Je suis loin d‘être à plaindre… Mais si cela continue, je risque de ne pouvoir joindre les deux bouts. Dit-elle dans un sourire quelque peu forcé, gênée d’avouer ses petits déboires financiers.

Elle boit une nouvelle gorgée de cidre avant de jeter un œil sur sa marmite et d’un revers de main s’essuie le front.

- Avez-vous soupé ? L’invite-t-elle ainsi à partager son repas. Héloïse tire un tiroir dissimulé sous la table pour sortir quelques couverts.

Le Comte de Rougelac œuvrait méticuleusement, peut enclin à précipiter le cours des choses. Avant même de venir trouver la jeune femme devant sa boutique, le sang-bleu avait tout planifié dans sa tête, ne laissant que peut d'imprévu au stratagème qu'il avait soigneusement préparer en amont. Ainsi, cherchant à mettre au pied du mur son hôte, il lui était indispensable de ne pas mettre mal à l'aise la couturière et ce fut alors dans une ambiance tamisée et sujette à confidence qu'il posa les premières pierres à son édifice ou comme il se plaisait à en faire le parallèle, avançait ses premiers pions sur un échiquier bien plus étroit et aux marges de manœuvres bien moins complexes.

De son regard curieux et alerte, il scruta les moindre mouvements de sa comparse de tablée qui s'en retira un court instant nourrir le foyer de la cheminée avant de la contempler aux fourneaux. Il ne lui échappa d'ailleurs pas ressentir une certaine forme de fatigue chez Héloïse qui pourtant s'efforçait de garder bonne figure face à son noble invité. Non sans mal, la couturière fini part accorder quelques aveux au Comte avant de lui proposer le souper qu'il accepta volontiers.

- Je serais ravi et honoré de partager le soupé en votre agréable compagnie.

Acceptant donc son invitation, il laissa la jeune femme tirer les couverts d'un tiroir situé sous la table et l'aida même à dresser la table, non sans subtilement et faignant la maladresse, à effleurer l'une de ses mains sans pour autant donner quelques impressions équivoques d'un éventuel rapprochement autre. La gratifiant d'un regard faussement confus, il regagna sa place, espérant avoir initier un léger trouble dans l'esprit de la demoiselle.

- Hum, pour en revenir à vos propos, sachez que je ne souhaite nullement vous mettre mal à l'aise. Pour me montrer transparent avec vous, quelques chuchotements me sont parvenu aux oreilles, mais je voulais vérifier par moi-même que ces rumeurs étaient vraies. Pardonnez ma démarche, seulement, elle me semblait nécessaire pour ce qui suivra. Mais soupons, l'odeur éveille mon appétit.

D'autres éléments avaient bien éveillés des appétits autres, mais Victor se défendit de les exprimer. Pas maintenant, peut-être jamais ou... peut-être après ce dîner. A vrai dire il n'en savait rien et préférait ne pas trop y penser même si ce rideau plus loin chatouillait sa curiosité. Laissant alors volontiers la jeune femme bénir si besoin la soupe avant d'ouvrir les hostilités culinaire, le Comte retroussa ses manches avant de la suivre volontiers non sans nourrir le feu de l'intrigue qui l'avait amené jusqu'à cette modeste chaumière.

- Vous êtes bien debrouillarde à ce que je puis constater. Il ne dois pas être évident d'entretenir seul votre foyer, de lourde tâche vous incombe. Dit il en avisant un bref instant les bûchettes. Les désagréments que vous rencontrez dans vos affaires me désolent. Je n'apprécie pas particulièrement les mauvais payeurs ainsi que les désistements et la situation de Marbrume nourrit ces déconvenues qui vous affectent. Alors... permettez-moi de vous apporter mon soutien et mon aide.

Il laissait intentionnellement en suspens les modalités découlant de ses propos, cherchant à provoquer la curiosité et l'intérêt de son hôte. Pour autant, jamais n'afficha-t-il la moindre expression de compassion à l'endroit d'Héloïse, par respect et dignité pour cette dernière.

La soupe a toujours un goût de partage à savourer un soir d’été, du moins, elle en a déjà l’odeur. Un doux parfum de légumes s’évapore doucement de la marmite, embaumant la pièce. Le Comte accepte volontiers de souper en sa compagnie et Héloïse ouvre le tiroir sous la table en bois pour se saisir des couverts. Il propose son aide pour dresser la table et dans un méli-mélo de doigts, il effleure sa main. Il s’excuse d’un regard confus, elle lui répond par un sourire quelque peu embarrassée, peut-être même intimidée. Elle fuit son regard tout en portant à ses lèvres le rebord de son verre, elle boit une petite gorgée de cidre, fixant la braise de la cheminée.

- Des chuchotements vous sont parvenus aux oreilles... Répète-t-elle d’une voix basse, elle crispe légèrement la mâchoire, ennuyée que des rumeurs circulent sur son compte car ce n’est jamais bien positif pour les affaires.

Elle se lève lentement pour retourner près du buffet et déposer sur la table un pain entamé de quelques jours recouvert d’un torchon propre, ainsi qu’un reste de jambon sec tout aussi bien protégé. Héloïse dépose également un couteau sur la table et invite le Comte à couper quelques tranches de jambon.

- Si vous voulez bien... Lui demande-t-elle dans un sourire poli avant de retourner vers le meuble et déposer deux assiettes creuses au bout de la table.

Elle se rapproche de la cheminée, se protège les main d’un chiffon pour soulever le couvercle de la marmite et le dépose autour du foyer. Héloïse écoute le gouverneur de Sombrebois alimenter leur discussion avec, elle n’en doute pas, délicatesse. Elle prend la louche et remplit généreusement les deux assiettes, déposant l’une d’elle devant son invité. Un fois le repas servi, elle reprend place sur le banc et s’apprête à rompre le pain.

- J’ai dû faire face seule après le ravage de mon village, il y a déjà deux ans… Et les Trois ont décidé de préserver ma vie lors des attaques de Mai… Ses yeux viennent se perdre dans les siens et l’un de ses sourcil se plisse légèrement. J’ai appris que vous aviez été blessé… Je suis ravie de constater que vous vous portez bien. Dit-elle en déposant près de son assiette un bout de pain. Donc, oui, Monsieur le Comte… J’ai dû me débrouiller pour survivre.. Mais je suis loin d’être à plaindre, certaines personnes ont beaucoup moins de chance.

Dans l’usage des bonnes manières, Héloïse attend que le Comte s’alimente avant de pouvoir prendra sa propre cuillère pour goûter la soupe. Elle s’applique, avec éducation, a ne pas faire trop de bruit à buvant. Ils débutent le repas en silence, une silence qui est loin d‘être gênant ou pesant, mais plutôt chaleureux et convivial malgré le sujet de conversation qui titille la couturière.

- Votre soutien.. Dit-elle entre deux cuillères les yeux dans sa soupe. Est-ce le hasard ? La destinée ? Ou juste une sacré aubaine qu’un Comte vienne partager son repas mais surtout lui propose son aide pour régler ses quelques difficultés.

Elle trempe un bout de pain dans sa soupe avant de le porter jusqu’à sa bouche.

- Il doit y avoir une contre-partie ? N’est-ce-pas ? Laquelle est-ce…? Demande-t-elle en levant ses yeux vers les siens et de plonger ses pupilles d’un saphir bleu-nuit dans celles noisette, qu’Héloïse trouve presque ambrées sous la faible luminosité des bougies.

Elle ne remet pas en cause la générosité de Victor de Rougelac mais elle le soupçonne d’y trouver également un, ou peut-être des avantages, à lui porter son assistance.

Cette chaumière respirait "l'authentique" et Victor ne boudait pas son plaisir d'avoir, l'espace d'une soirée, quitter son Manoir au luxe démesuré. Finalement, en ce lieu, n'y avait-il pas tous les ingrédients étant en mesure de satisfaire n'importe quel gens ? L'endroit était peut-être étroit pour un sang-bleu mais après tout le moindre mètre carré n'était-il pas optimisé ? Et puis pour tout dire, observer Héloïse était une petite bouffée d'air frais car elle entretenait le logis avec beaucoup de coeur. Et du cœur à l'ouvrage d'ailleurs, elle en mettait, s'efforçant justement d'offrir à son noble hôte un cadre chaleureux et convivial.

Non sans se laisser gagner par ce vent de fraîcheur et d'inconnu, le Comte de Rougelac avait donc sciemment provoquer le trouble chez son interlocutrice et de ses doigts faussement maladroits, il obtenu en retour exactement ce qu'il avait recherché. S'il ne savait encore pas de quelle sorte de manière il utiliserait cette information qui lui ouvrait d'éventuelles autres perspectives ce n'était pas par hasard. Bien délaissé par une épouse absente, en pleine dépression et en proie à une profonde remise en question, une amante provisoirement établie au Labret, Victor ressentait un vide affectif. Ressentait-il quelque chose face à cette femme qui ne vivait que simplement, sans péjoration aucune? Il était encore trop tôt pour le savoir mais elle ne le laissait pas indifférent.

Chassant d'étranges et complexes pensées de son esprit, le mondain retrouva ses esprits lorsqu'Héloïse le mit à contribution, l'invitant à couper des tranches de jambon. S'exécutant avec un plaisir non dissimulé, il renouait avec le choses simple et lorsque le soupé démarra, ce fut, sans nul doute possible, un moment de partage que s'offrait deux êtres que tout séparait, comme l'avait justement prouvé la demoiselle Coutrier en évoquant son passé. Une soupe au bon goût de légume, finalement n'y avait il pas meilleur condition pour toucher l'essentiel ?

Restant alors interdit à toute violation de ce silence aussi nécessaire que symbolique, le quadragénaire dégusta plusieurs cuillères de ce breuvage revigorant. A chaque contact de ses lèvres sur le brûlant élixir du potager, à chaque gorgée de ce qui venait de mijoter depuis des jours dans cette marmite, ce fut une explosion de saveur qui réveilla les papilles du Comte. Ce silence n'était que le gage de la saveur incomparable de ce soupé et c'est finalement l'hôte, a ne surtout pas qualifié de ménagère, qui rompit le sortilège de la soupe aux légumes enchanté pour s'exprimer et revenir à l'objet même de la visite de Victor.

Non, malgré la gêne et la timidité, non malgré les rumeurs embarrassantes, la jolie brune n'avait pas perdue le sens de la réalité, mais que son regard était si profond et captivant. Cela lui rappelait Adélaïde meme si le parfum y était radicalement différent. En noble averti, il y décela du soupçon, de l'inquiétude peut-être ? Héloïse n'était pas née de la dernière pluie et évidemment qu'elle ne pouvait en ces temps de troubles, compter sur u mécène désintéressé. Posant alors le dos de sa cuillère sur le rebord de son assiette creuse, il récupéra son gobelet de cidre pour en savourer une autre gorger. Se faisant, il se régla la gorge avant d'incliner légèrement la tête sur le coté et accentuer l'effet d'ombre et de lumière sur sa personne et ses yeux au reflet ambré.

- Tout d'abord, soyez sure que ces chuchotements ne sont points des rumeurs mais bien des éléments que je tiens de rapports dont je ne puis que taire les sources. Ensuite, oui... hélas je ne suis pas en mesure de vous offrir un don désintéressé. Nous parlons là d'usure, seulement pour vous, j'aimerais me proposer comme un usurier d'un autre genre, qui sait, avant-gardiste ? Mais je vais vous expliquer cela sans que vous ne preniez peur.

Reprenant sa cuillère, il acheva lentement mais sûrement d'honorer son breuvage, avant de reprendre la parole alors qu'il saucait le fond de son assiette.

- Voyez-vous, je ne vous demanderais pas un retour d'intérêt sur une période donnée. Non, oubliez derechef ce concept. Je vous propose bien mieux, même si les risques sont réels.

Il soutint alors le regard saphir de la jeune femme comme pour mesurer le degré d'attention de cette dernière et l'importance de sa requête par-delà les apparences.

- Je souhaiterais vous voir prendre part à la vaste oeuvre émergeant des marais. En qualité de Gouverneur de Sombrebois, je vous propose de vous voir vous installer dans le Bourg lorsque celui-ci sera réhabilité. Vous y jouirez alors de l'exclusivité de votre activité. Mais rassurez-vous, cette proposition ne verra le jour que dans quelques années, le temps de vous refaire une santé financière.

Le pari de la convaincre était bien osé, et pourtant n'était pas le seul à ce jour à vouloir ouvertement lui porter assistance ? Pouvait-elle refuser ? Evidemment que oui, mais alors, réussirait elle à se sortir de ses propres difficultés? La carotte était belle, comment ne pas s'en saisir ?

- De combien avez-vous besoin ? Je vous en offrirais le double et ce solde vous sera versé celon les modalités qui seront vôtres.

Prenant en main le déroulement des événements, il joignit la verbe aux gestes, s'offrant le luxe de couper deux autres tranches de pains sur lesquelles il allongea le jambon cru soigneusement et finement coupé quelques temps plus tôt. Recouvrant le pain de son torchon, il poussa alors l'un des toast vers sa comparse de tablé, gardant cet air serein meme si intérieurement bouillonnait l'anxiété et des sensations encore mystérieuses.

- Bien entendu, je n'attends aucune réponse ce soir et vous laisse le temps de mûrement réfléchir...

Allongeant lentement son bras droit, il chercha le contact amical et rassurant de sa main sur l'une des sienne, finissant son monologue sous couvert de cette luminosité tamisée.

- Auriez-vous également le besoin de mieux me connaitre. Ce serait légitime de votre part avant de vous engager dans une telle entreprise. Mais qu'importe votre décision, je m'engagerais dès aujourd'hui à éponger quelques impayés sans la moindre contrepartie, en gage de ma bienveillance à votre égare.