Parfois, la pluie, ce n'est pas si mal [PV Rémi]

L’après-midi touchait lentement à sa fin lorsqu’Idalie s’arrêta devant la boutique de vêtements de la famille Duchêne. La main sur la poignée de la porte, elle allait entrer, mais s’arrêta au dernier moment et leva plutôt les yeux vers le ciel, un geste qu’Ilda, sa femme de chambre, imita aussitôt par réflexe.

« Le ciel s’assombrit rapidement, commenta-t-elle en faisant légèrement la moue. Il vaudrait mieux nous dépêcher si nous voulons éviter la pluie...

- Je peux aller chercher l’autre commande pendant que vous prenez celle-ci, Mademoiselle d’Auvray, offrit Ilda. Je sais que vous aimez vous assurer que tout est en ordre vous-même, mais je vous promets de tout vérifier avec la plus grande attention.

- Je vous fais confiance, Ilda, vous le savez bien... Vous connaissez le chemin?

- Oui, ce n’est qu’à trois rues d’ici.

- Très bien, alors, mais retrouvez-moi ici dès que vous avez terminé. »

Ilda acquiesça et, après lui avoir donné les pièces de monnaie nécessaires pour ses achats, passa la porte de la boutique, refermant doucement derrière elle. En balayant l’endroit du regard, elle ne vit personne. Même si elle ne souhaitait pas traîner, elle décida d’attendre un peu avant d’indiquer sa présence, se disant que les propriétaires l’avaient probablement entendue, mais étaient occupés à l’arrière-boutique. Pour patienter, elle fit quelques pas et observa tranquillement les vêtements présentés, passant délicatement ses doigts sur le tissu d’une jolie robe bleu clair parcourue de motifs floraux blancs. La tenue était finement travaillée et bien plus complexe — et coûteuse — que celle qu’elle avait choisie pour remplacer l’une de ses robes préférées, qui avait malheureusement rendu l’âme alors qu’elle aidait au temple. Idalie faisait attention de bien protéger ses vêtements pour ne pas les abîmer, mais personne n’était à l’abri des accidents, et cette fois, la tache de sang d'un blessé s’était frayé un chemin derrière son tablier et n’avait pas pardonné. Ilda avait frotté la tache à l’infini, et elle-même avait également essayé sans grand espoir d’avoir plus de succès — avec raison, car elle n’avait eu aucun succès. Elle avait alors rendu les armes et était partie en quête d’une nouvelle robe, quelque chose de simple qui ne serait pas hors de prix. Comme les finances de la famille n'étaient pas au beau fixe, elle se gardait bien de vivre au-dessus de ses moyens et ne s’achetait réellement que le nécessaire. Peut-être aurait-elle tout de même pu se permettre un peu plus, mais elle était du genre à œuvrer avec prudence. Le passé lui avait bien montré que rien ne pouvait être tenu pour acquis et que tout, y compris le pire, pouvait arriver.

Tout en contemplant la robe, Idalie se perdit vaguement dans ses pensées, songeant à tout ce qui avait changé depuis qu’elle avait dû fuir sa terre natale avec son frère. Elle n’avait jamais réellement vécu dans la démesure, mais elle avait aujourd’hui bien plus conscience de la valeur de chaque petite chose qui faisait son quotidien. Un achat auparavant banal n’était plus si banal et, si elle avait bien appris quelque chose depuis qu’elle était arrivée à Marbrume, c’était d’apprécier encore davantage tout ce qu’elle possédait déjà, de ses biens matériels aux gens qu’elle avait dans sa vie, et de remercier les Trois de leur bonté tous les jours.

La jeune femme en était à ces pensées lorsqu’une présence près d’elle la fit sursauter. La main sur le cœur, elle se retourna un peu vivement, remarquant qu’un homme se trouvait là, constatant qu’il ne s’agissait pas des propriétaires... D’où sortait-il? Elle n’avait pas entendu la porte s’ouvrir et se fermer, elle n’avait vu personne en arrivant...

« Pardon, vous m’avez fait peur, s’excusa-t-elle, visiblement confuse. Je ne vous ai pas entendu approcher, j’attendais que les propriétaires reviennent pour récupérer une commande et j’étais certaine d’être seule... »

L’ennuie.
Rémi s’ennuyait ferme. L’homme avait envie de sortir, profiter de l’air frais, se mêler à la foule. Devoir rester enfermer était une véritable torture pour quelqu’un comme lui. Malheureusement, il n’avait pas vraiment eu le choix aujourd’hui. Ses parents avaient tout deux dû partir à un rendez-vous important avec un riche client sur l’esplanade et avait demandé (à contrecœur) à leur fils de tenir la boutique pour la journée. Rémi avait d’abord refusé. Cela demandait de prendre des responsabilités, et de rester une journée à ne rien faire ! Enfin, à travailler honnêtement. Et ça, Rémi avait bien du mal. Mais il aimait ses parents, et ceux-ci n’ayant pas trouvé d’autre solution, il finit par accepter.

La journée était donc passé lentement. Peu de client était passé. La plupart avaient besoin de récupérer des commandes, ce qui ne prenait que quelques minutes tandis que les autres qui avaient besoin de prises de mesures repasseraient en présence des propriétaires pour un travail aussi conséquent. L’ennuie c’était donc installé et Rémi avait l’impression de tourner en rond comme un rat en cage. Cela faisait maintenant plusieurs heures que personnes n’étaient entrée dans la boutique et le jeune homme était partie en quête de bêtises à faire. Oui, comme un enfant. Hélas, l’échoppe était si ordonnée qu’il n’y avait pas grand-chose à faire sans risquer de nuire au travail de ses géniteurs, ce qui n’était pas le but premier.

La clochette de la porte d’entrée retenti. Dans l’arrière-boutique, le brun sursauta. Il c’était à moitié endormi dans les tissus soyeux entassés dans un coin de la pièce secondaire. Personne n’appela. Il referma les yeux, prêt à se rendormir. Après tout, quelqu’un viendra le déranger au besoin. Ses yeux se fermèrent. Malgré ça, une pointe de culpabilité se fit ressentir. Et si c’était un voleur ? Rémi rigola intérieurement à cette idée. Ce serait vraiment le comble. Mais bon, il fallait bien aller vérifier, par sécurité. Le fripon se leva souplement sans un bruit et s’avança dans la partie boutique libre au public.

A sa grande surprise, il vit une jeune femme de dos légèrement penché sur la plus belle pièce du magasin, une robe bleu clair très raffiné. A vrai dire, il ne voyait pas vraiment le visage de la femme qui semblait inspiré par cette manche, mais la vision qui s’offrait au voleur était très intéressant. Silencieusement, il s’accouda au comptoir du magasin tout sourire et admira le popotin de l’inconnue. Qu’importe son visage, elle était déjà très belle à regarder de derrière. Ses formes arrondies et fermes à la fois étaient hypnotisantes. Rémi aurait pu rester des heures là, à contempler ce magnifique objet de luxure. Mais il faut avouer qu’il avait bien envie de jouer et de voir l’envers du décor. Silencieusement, tel un chat, il s’approcha de la visiteuse au plus près. Si près qu’il pouvait sentir son parfum et confirmer qu’il s’agissait bien d’une noble. Si près qu’elle détecta enfin sa présence et se retourna dans un sursaut.

Il s’en fallu de peu pour que Rémi n’éclate pas de rire devant la tête déconfit de la brune maintenant face à elle. Mais il faut avouer qu’il resta bête devant l’avant, aussi jolie si ce n’est plus que le derrière qu’il avait déjà pu contempler tranquillement. C’était un beau morceau, clairement. Ses cheveux couleurs ébènes, aux léger reflets roux et si bien coiffé, entourait un visage aux traits fins et délicats. Ses yeux étaient d’une couleur si particulière, mais si belle. Ils se rapprochaient étrangement de la couleur du miel sous le soleil. Le voleur resta quelques secondes sans rien dire, souriant un peu bêtement avant de se ressaisir et de faire une révérence acrobatique.

« Pardon si je vous ai fait peur. Je m’appelle Rémi, je suis le fils ainé de la famille de Pont Duchêne. Que me vaut cette agréable visite ? La robe vous intéresse ? Si vous voulez, vous pouvez l’essayer ! »

C’était maintenant l’heure de jouer. Rémi attrapa d’une main la hanche d’Idalie pour la pousser délicatement vers la pièce secondaire, rempli de robes et agrémentés de lourds sièges ou les clients pouvaient s’installer. Une estrade surélevée au centre était destinée à prendre les mesures des visiteurs pour d’éventuels travaux sur les vêtements proposés, voir les pièces sur mesure. De son autre main, il lui attrapa la sienne pour l’accompagner dans un mouvement plus que galant.
Il ne connaissait pas cette femme, mais elle ne le connaissait pas non plus. Il ne la lâcherait pas et tiendrais son rôle jusqu’au bout. Après tout, en tant que vendeur de robe, voir une femme se dévêtir n’a rien de pervers, n’est-ce pas ?
Tout sourire, il invita la dame à s’asseoir.

« Voulez-vous quelque chose à boire ou manger ? La pluie ne cessera pas tout de suite, il serait dommage de mouiller un si joli visage. Et puis, qui sait, nous vous trouverons peut-être une robe parfaite pour vous ! »

Ah, il s'agissait du fils des propriétaires. Idalie se détendit légèrement et retira sa main qui s'était posée sur son cœur pour lisser sa robe, un réflexe auquel elle ne songeait même plus depuis le temps. Soit ce Rémi était excessivement silencieux, soit elle avait été réellement plus absorbée par la beauté de la robe devant elle qu'elle l'avait cru. Dans tous les cas, il lui offrait maintenant d'essayer la jolie tenue. Elle ouvrit la bouche pour refuser poliment, répéter qu'elle était simplement venue récupérer une commande, mais il la poussa gentiment vers une deuxième pièce.

« Ce n'est p... »

Trop tard, elle était déjà dans la pièce, entraînée avec galanterie par le vendeur. Il l'invita à s'asseoir, ce qu'elle fit sans trop savoir pourquoi – elle venait seulement chercher sa robe! Elle allait d'ailleurs se relever lorsqu'il mentionna la pluie et, en prêtant l'oreille, elle put constater que non seulement le mauvais temps qu'elle avait voulu éviter s'abattait sur eux, mais aussi qu'il ne s'était pas contenté de se pointer le bout du nez. Non, ils avaient droit à un déluge en règle et il était évidemment impensable de sortir dans l'immédiat. Idalie espéra qu'Ilda avait réussi à arriver à destination, qu'elle ne s'était pas fait prendre par cette pluie surprenante.

La noble reporta son attention sur le fils de Pont Duchêne, les joues un peu rosées par la gêne en raison du compliment plutôt direct qu'il lui avait fait. Elle n'avait pas l'habitude de ce genre de manières et ne savait pas comment réagir. Elle se contenta donc de garder au mieux sa contenance.

« Je... Je vous remercie de votre offre fort généreuse, mais non, ne vous embêtez pas, je vous en prie. Je croyais avoir le temps d'éviter la pluie, mais il faut croire que j'ai mal évalué la situation. Je vous serais simplement reconnaissante si vous me laissiez attendre ici que le déluge se calme. »

La jeune femme sourit à Rémi. Il semblait gentil, peut-être un brin charmeur, ce qui ne l'étonnait pas réellement puisqu'il était plutôt bel homme et pouvait sans doute se le permettre. Il ne paraissait pas lui vouloir de mal, mais, comme toute bonne femme sensée, elle se méfiait lorsqu'elle se retrouvait seule en présence d'un homme. Elle demeurait toujours vigilante... et n'oubliait jamais que, sous ses jupons, se cachait une dague. Une dague dont elle savait parfaitement se servir.

« Vos robes sont magnifiques, fit-elle en guise de compliment, pour faire la conversation. Si je m'écoutais, je les essaierais toutes et je m'en procurerais des tonnes, mais je dois malheureusement me limiter... J'ai toutefois une robe qui m'attend normalement dans votre arrière-boutique. On m'a dit de venir la récupérer aujourd'hui. »

Elle jeta un coup d'œil rapide aux tenues exposées dans la pièce, puis se leva après avoir laissé échapper un petit « ah! » victorieux et alla montrer celle qu'elle avait choisie lors de sa précédente visite.

« Il s'agit de celle-ci.»

Elle toucha le tissu d'une robe lilas jolie, mais beaucoup plus simple que celle qu'elle avait admirée en entrant dans la boutique. Beaucoup moins coûteuse, aussi.

« Serait-il possible de la voir? demanda-t-elle en souriant. J'aimerais seulement m'assurer que tout est en ordre. »