Marbrume



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 Les clefs de la délivrance

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Alfred BernicourtCharlatan
Alfred Bernicourt



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MessageSujet: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyLun 9 Déc 2019 - 1:27
Le couteau rouillé lacérait lentement la chaire pourrie qui gangrenait son cuir infecté. A plusieurs endroits de sa peau s'entachaient de plaies noires, purulentes et nauséabondes qu'il fallait retirer afin d'éviter une éventuelle propagation. A la lumière d'une bougie, dans son misérable logis envahi par les ténèbres, l'homme se mutilait. Une nécessité depuis son plus jeune âge qui lui avait permis de vivre, de survivre. Ce rituel lugubre s'accompagnait de son lot de douleurs. En effet, malgré les années écoulées, la souffrance ne s'atténuait pas. Chaque lambeau de son corps entaillé le tordait d'affliction, la sueur parcourait son échine voûtée et ni la gnôle ni l'habitude n'effaçaient ses tourments.

Pour autant, l’être ne faiblissait pas, continuant hardiment de s’écorcher, sans jamais exhiber sa peine. Les plaies sanguinolentes maculaient le plancher effrité de l’hémoglobine et des fragments moisis de ses bras. De temps à autre, ses iris carmins vacillaient, désireux de substituer ce supplice par la plénitude de l’inconscient. Et, à chaque fois que son subconscient l’abandonnait, l’homme redoublait de vigueur et d’acharnement pour ne pas sombrer. Le juste châtiment des dieux pour les blasphèmes des hommes, songeait le martyr en se promettant de rendre chaque coup qu’il s’infligeait à ceux qui avait bafoué le sacré. Le maudit ne pouvait se retenir de conclure ses pensées d’un rire macabre, faisant écho dans la pièce délabrée, réveillant le molosse apeuré qui s’était assoupi dans un coin de la pièce. Le maraud en avait presque oublié ses ronflements, sa présence, tant sa tâche douloureuse l’obstruait du monde extérieur.

« Tu as rapporté ce que je t’ai demandé, crétin ? Lâcha le paria, soupirant face au sursaut de son imposant homme de main à l’intelligence amoindrie.
- Non, l’homme n’avait ni pavot, ni champignons, ni herbes. Les temps sont dures qu’il a dit ! Dit-il en mimant la réaction du vendeur de son air benêt. Livide, son acolyte savait pertinemment la frénésie qui allait découdre de sa réponse.
- Cela ne t’es pas venu à l’idée de me le dire plus tôt ? Ne voudrais-tu pas ma mort, par hasard, imbécile ? S’exclama – presque – inquiet le va-nu-pieds en reversant violemment la table vétuste qui se tenait devant lui.
- Mais il m’a donné l’adresse d’une personne qui pourrait vous aider ! Il se nomme Avila ! Se rappela soudainement le titan apeuré.
- Et où habite cet énergumène ? J’espère que tu ne l’as pas oublié. Ajouta t-il en serrant fermement le manche de sa lame oxydée, son sourire de carnassier si marqué qu’il laissait entrevoir ses incisives.
- Dans un quartier de la Hanse ! Je crois. Répondit-il avec hésitation en se grattant le menton. »

Le manant soupira et pensa ses plaies dans la précipitation. Depuis maintenant quelques années, afin d’atténuer ses maux, l’homme consommait quotidiennement de puissants breuvages. La transe éphémère dans laquelle il plongeait lui faisait oublier son calvaire, au moins un bref instant. Sa consommation ces derniers temps avait nettement augmenté et il ne pouvait plus s’y soustraire, surtout après un tel moment. L’obtention devenait cependant ardue au marché noir avec la crise qui frappait la cité. A tel point que le troque et l’intimidation ne suffisait plus, devant user de la force de persuasion de son bras droit pour obtenir ses précieux calmants. Pour plus de discrétion et trop impatient de combler ses addictions, le vaurien décida, exceptionnellement, de prendre les choses en mains. Voilant son corps et son faciès meurtri avec son manteau à capuchon, l’homme s’extirpa de la pièce, adressant quelques politesses à son compagnon d’infortune : « N’oublie pas de me rappeler de t’éventrer comme un goret à mon retour ! »

L’éther se teintait délicieusement de nuances d’orange et de rouge, laissant entrevoir le croissant de lune s’installer gracieusement sur son trône céleste. Le miséreux devait se hâter car le couvre-feu risquait d’attirer les gardes. Les passants regagnaient précipitamment leurs demeures, se pressant de verrouiller portes et fenêtres. Le damné pouffa de rire, comment ces naïfs pouvaient-ils croire que de simples verrous pourraient empêcher le jugement des dieux !
Accélérant le pas pour arriver dans le quartier où logeait le guérisseur, l’homme enquêta brièvement auprès de quelques braves pour déterminer qu’elle était ladite battisse. Il finit, après plusieurs minutes, par arriver sur le pas de la porte menant à son salut. L'être frappa violemment à la porte. Il regarda le ciel, priant pour que les informations sur cet homme soient justes ou il jurait d’étrangler son complice avec ses propres intestins !



Dernière édition par Alfred Bernicourt le Sam 14 Déc 2019 - 15:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyLun 9 Déc 2019 - 20:30
Les ténèbres s'étaient tout à fait insinuées dans la cité, au moment où un coup fracassant s'abattit contre la surface en bois de chêne de la porte massive barrant l'entrée de la maison de feu Maître Avila Senior, en plein quartier de la Hanse.

Arraché à ses rêves, Taël s'éveilla dans un sursaut tragi-comique. Il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits et s'orienter. Il était chez lui, affalé sur le comptoir de la boutique - où l'épuisement l'avait rattrappé quelques heures auparavant -, le ventre creux et la mine peu amène. Qui donc venait l'importuner à une heure si tardive, alors que le couvre-feu proscrivait tout déplacement dès la tombée de la nuit?

Une urgence peut-être?, songea le châtain, considérant toutefois qu'il était étrange, dans de telles circonstances, qu'on décidât de venir le trouver lui. Haussant les épaules, la démarche encore un peu incertaine, il se glissa de son comptoir à la porte d'entrée, tira le dispositif en métal qui verrouillait le mécanisme d'ouverture, puis, lentement, fit glisser la porte sur ses gonds.

En temps normal, Taël eût sans doute décidé d'ignorer l'importun. Plutôt prudent que téméraire, il était mu par le bon sens et d'aucun le qualifiait de jeune homme mûr, sage et parfaitement raisonnable pour ses 19 ans. Une attitude qui jurait avec celle de la majorité de ses contemporains.

Ce soir-là, extirpé de son sommeil à l'improviste, Taël devait néanmoins faire montre de quelque audace.

En face de lui, le garçon détaillait à présent un individu légèrement plus petit que sa personne, encapuchonné, lamentablement vêtu et arcbouté. Dans la nuit naissante, les traits de son visage n'étaient pas perceptibles. Täel avait tout au plus cru reconnaître la silhouette d'un homme. A part lui, il n'y avait personne.

Le garçon soupira. Encore un malheureux hère, à l'évidence sans le sous, venu quémander quelque secours charitable. Un secours que lui aussi ne tarderait pas à devoir quérir, au vu de sa situation, chaque jour plus précaire. Contrairement à d'autres, il avait certes encore un logement convenable à Marbrume, mais il était désormais désargenté, et promis à un avenir funeste, faute de rapidement trouver quelques sources de revenus.

D'une voix qu'il tentât de rendre ferme, le châtain s'exclama:


- Que me vaut cette visite par-delà l'heure du couvre-feu, monsieur? Sachez qu'il n'y a rien à quérir en ces lieux... Vous n'y trouverez que le chagrin et la misère naissante de l'enfant endeuillé qui y vit. Passez donc votre chemin, en tâchant d'éviter la milice. Voilà tout ce que je puis vous souhaiter!

Un bref instant, il avait voulu immédiatement renvoyer le visiteur à sa solitude, en érigeant à nouveau entre lui et l'inconnu la cloison de bois qui les séparait peu de temps auparavant. Quelques scrupules d'humanité et la politesse bien-séante que feu son père lui avait inculqués l'arrêtèrent toutefois dans ce geste.

Le châtain scrutait toujours le misérable, dans l'attente de sa réponse. En son for intérieur, une sourde curiosité l'incitait à découvrir les motifs qui avaient poussé l'autre à errer dans les rues de la cité, bravant de la sorte les interdits du roi...


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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyJeu 12 Déc 2019 - 23:39
D’ordinaire, le moins que rien était peu enclin à la conversation. D’un naturel solitaire, le vagabond avait préféré œuvrer dans l’ombre pour éviter de s’acoquiner à la populace, s’évitant ainsi la stérilité des formules de politesse. L’homme exécrait plus que tout cette banalité qu’était « la vie en société », si bien que les quelques tentatives de feindre le gentilhomme se sont conclues, pour la plupart, dans un bain sang. De temps à autre il prenait plaisir à se confondre en oracle, magicien de rue ou même conteur, mais la saveur de ces mascarades étaient tout autre. Lorsqu’il n’avait pas d’autre choix, l’être malfaisant envoyait désormais ses larbins pour gérer ses requêtes et ses basses besognes.

Déroger à ses coutumes était donc, plutôt rare, exceptionnel, même. Son état second et ses addictions nocives avaient altéré son esprit, étonnement laxiste, étrangement imprudent. De moins en moins lucide au fur à mesure que les secondes s’écoulaient, le temps semblait pourtant ralentir, se figer, comme si une entrave impalpable empêchait la roue d’avancer, paralysant l’être dans cette éternité pernicieuse. Le proscrit avait cette affreuse sensation qu’il était devant cette porte depuis un âge, la notion de durée lui échappait, tout comme le contrôle de ses pulsions frénétiques, habituellement déjà si dures à contenir. D’un poing rageur, il toqua une seconde fois, faisant danser la poussière dormante sur la porte, plutôt inquiet cette fois qu’impatient.

L’effort demandé lui fut curieusement coûteux, la sueur s’écoulait le long de sa peau atrophiée, un frisson engourdissait son corps frêle et des vertiges vinrent parachever son malaise. Tenir droit sur ses jambes paraissait même devenir une épreuve, perdant toute conception d’équilibre, seul un fil invisible semblait empêcher sa carcasse de s’écrouler sur le seuil de la demeure. L’entrebâillement grincent de la porte d’entrée arrêta un bref instant son déclin, le ramenant soudainement à ce monde qui l’abandonnait.

Le paria ne put voir qu’une silhouette floue, altérée par ses divagations. Une tignasse rousse l’avait accueilli, une carrure menue qui lui fit supposer qu’il s’agissait d’un gosse. Mais il en était pas sûr. Il n’était plus sûr de rien, trop faible. Le manant ne réussit guère à comprendre ce que le jeune homme avait tenté de lui dire. Son angoisse était à son paroxysme, s’était-il trompé de maison ? Les passants lui avaient pourtant indiqué qu’ici vivait un guérisseur. Impossible, ou pas, le maraud ne savait plus. Alors que son cortex le trahissait lâchement, que son anxiété singulière s’emparait de son subconscient, l’homme brava l’entrée de la battisse dans un ultime effort avant de tenter vainement d’agripper par le col son interlocuteur.

« Conduis moi au guérisseur avant que je ne te pèle à vif comme une orange ! Balbutia t-il faiblement, espérant maladroitement retrouver de sa prestance macabre qu’il affectionnait. »

La tension devint trop insoutenable, le miséreux tituba quelques pas dans la pièce, essayant tant bien que mal de se tenir à ce qu’il entourait. Son regard carmin s’éteignit brusquement avant que son corps ne s’effondre comme une proie, paniquée puis résignée à se laisser engloutir dans les ténèbres.
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyDim 22 Déc 2019 - 1:09
L'encapuchonné ne s'était embarrassé d'aucune convenance. En cela, la première impression de Taël selon laquelle il avait affaire à un pouilleux des bas-fonds se trouva confirmée. Silencieux et chancelant, l'individu s'était insinué dans son lieu de vie, avant de l'agripper faiblement par le col - ce geste, exécuté si péniblement, était l'incarnation même du désespoir et de la misère -, de proférer quelque menace en quémandant l'aide dont il avait si cruellement besoin, puis de s'effondrer lamentablement à même le plancher, l'air éteint.

Le jeune homme eu un rictus en contemplant le gisant. Son regard vif l'examinait avec une certaine curiosité, mêlée à du dégoût et de l'exaspération.


- Me peler à vif comme une orange?, marmonna le garçon. Tu sais me parler, toi!

Un instant, il avait songé à se débarrasser de l'inconvenant en le traînant par les pieds jusqu'à la rue, et en l'abandonnant au cœur de la Hanse. Cela dit, ce projet avait trois inconvénients. Premièrement, il l'exposait lui en le contraignant à sortir après le couvre feu. Deuxièmement, si l'autre n'était pas tout à fait mort et qu'il revenait à ses esprits, après avoir été cueilli par des miliciens, il y avait bien des chances qu'il lui attire des ennuis administratifs en dénonçant son comportement aux autorités. Enfin, troisième inconvénient, au vu de son entrée en matière, le quasi-macchabée, s'il en réchappait, pourrait nourrir quelques velléités de revanche. Taël demeura donc impassible quelques secondes, hésitant. Puis il prit une résolution.

Il s'accroupit et approcha son visage de ce corps éteint. Une odeur immonde s'en dégageait. Après quelques secondes, il saisit l'individu au niveau des chevilles et le tira dans le coin de la pièce, sans ménagement particulier. Il le laissa choir non loin du comptoir, derrière lequel il alla s'affairer quelques minutes, ouvrant les derniers tiroirs de son mobilier encore susceptibles de contenir des restes d'un quelconque médicament. Il ne trouva que les ultimes extraits d'une résine brunâtre et très odorante, tirée d'une plante cousine du pavot. Taël se boucha le nez en manipulant la substance, qu'il apprêta sur l'extrémité d'une petite lame. Il s'apprêtait à administrer ce remède à son patient, sachant pertinemment qu'il avait autant de chance de le tirer de son état inconscient que de le tuer, lorsqu'il se rappela la manière peu avenante dont il avait été approché. En ces circonstances, il valait mieux parer à toute éventualité. Que sa médecine produise l'effet escompté, ou non. Le guérisseur en herbe abandonna donc sa lame un instant sur le comptoir de l'échoppe et s'éclipsa. Il revint bientôt munis de cordelettes, dont il se servit pour lier l'un avec l'autre les deux membres supérieurs et inférieurs de l'inconnu. Il alla ensuite récupérer sa petite lame. Il se positionna à la hauteur de sa tête, retira son capuchon et laissa échapper un cri de stupeur en découvrant le visage marqué de l'infâme. La main tremblante, suant, Taël approcha la lame de son couteau des narines de l'inconscient. Il réparti ce qui restait de la mixture entre les narines droite et gauche, sans jamais toucher directement le malheureux. Ceci-fait, il ramena la lame sur le comptoir, puis revint à l'inconnu, qui ne donnait toujours aucun signe de vie, alors qu'il s'était vu administrer des extraits de l'une de plante les plus revigorantes du duché. La résine du pavot d'automne avait sur les hommes cet étrange pouvoir de stimuler leur corps, tout en endormant leur perception de la douleur, et en les transportant dans un idylle éphémère dont ils revenaient souvent béat et transpirant, avec l'inextinguible envie d'y plonger à nouveau. De temps à autre, il arrivait aussi qu'ils ne revinssent pas de ce voyage.

Se servant de l'étoffe dégueulasse du capuchon de l'homme allongé dans sa remise pour faire rempart entre sa peau malade et lui, le garçon pressa les narines de l'homme l'une contre l'autre, écrasant les quelques graines de ces restes de résine qu'il avait introduit dans les orifices de ce qui lui servait de nez.

Si le remède devait faire effet, c'était maintenant ou jamais!
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyMar 24 Déc 2019 - 14:16
Le royaume onirique lui avait ouvert chaleureusement ses portes, laissant l’âme damnée s’engouffrer dans ces contrées, embrumées d’un épais brouillard obscur.

Aucun son n’était perceptible, un silence morbide, un calme déroutant. Une paix, aux premiers abords agréables, finalement fade et insipide. Il n’y avait pas de vent, ni de chaud, ni de froid. Une désagréable impression que rien ne pouvait traverser cette geôle opaque et sans vies dans laquelle la créature était prisonnière. Le monde des songes ne semblait pas avoir de fin, ni de commencement d’ailleurs. Seul, il errait dans ce néant interminable où chaque seconde paraissait être une éternité, où chaque pas déroutait un peu plus son subconscient. Etait-il mort ? Etait-ce un mauvais rêve dont il n’arrivait pas à se défaire ? Le serpent n’en savait rien et l’angoisse le rongeait, paniquant, perdant la raison jusqu’à que le sol finisse par se dérober subitement sous ses pieds, se laissant engloutir, impuissant, dans cet abysse infini.

Le paria sursauta, puis cria, se tirant soudainement de ses tourments spirituels. Le malheureux avait dû attendre plusieurs minutes pour se rassurer que tout cela n’était bien qu’un cauchemar et revenir à la réalité. Une horrible fièvre l’avait gagné, tous ses membres étaient engourdis, ankylosés et son esprit, désorienté, aspirait difficilement à se repérer dans le temps, dans l’espace. Sur le plancher d’une demeure, la créature apeurée gisait, pieds et poings sanglés. Se débattant tant bien que mal pour se défaire de ses liens, le vaurien s’interrogeait vainement sur les évènements qui l’avaient conduit dans une énième situation contrariante. Que s’était-il bien passé ? Qu’avait-il – encore – fait ? Les dernières bribes de souvenirs étaient ses pérégrinations dans la ville, désespérément à la recherche d’un substitue à ses souffrances. Ensuite, le flou, plus rien.

Balayant la pièce tamisée du regard, c’est lorsqu’il vit la silhouette fluette du garçon dans un recoin moins en lumière, que la mémoire lui revint, brusquement, brutalement. Cette crinière blonde-vénitienne, ce visage juvénile et mystérieux, ce regard mâture et prudent qui le fixait à distance, était-ce lui qui l’avait guéri ? Etait-ce le guérisseur dont son complice lui avait parlé ? Le maraud s’était imaginé un homme d’un âge plus avancé, une barbe grisonnante et une calvitie plus affirmée, plutôt qu’un adolescent imberbe aux contours angéliques. Finalement, peu lui importait que son sauveur soit, ou non, dans les stéréotypes, le plus important était qu’il l’avait soigné, ou offert, tout du moins, quelques jours de répit supplémentaires.

« C’est toi qui m’a sauvé, petit homme ? S’interrogea le moins que rien dans un ton empreint de gratitude. Merci, Taël ? Supposa t-il en le remerciant, heureux de n’avoir pas goûté plus longtemps à l’amertume de l’au delà. »

Retrouvant peu à peu son calme et de sa sérénité, le désaxé se redressa laborieusement avant de constater que son visage était découvert, à la mercis des yeux de son interlocuteur. Ses mains entravées tentèrent inutilement de réajuster sa capuche. Face à l’échec, l’anxiété le dévorait de nouveau. L’homme avait beau s’auto-proclamer au dessus du commun des mortels, chaque fois qu’on le confrontait à ses nécroses qui meurtrissaient son cuir livide , il se sentait faible, souillé. Cette humanité qu’il fuyait constamment, depuis son jeune âge, la poursuivait comme une bête féroce. Ce n’était pas de la pudeur, encore moins de la discrétion, mais seulement cette honte que les dieux lui imposaient de porter et d’exhiber au monde.

« A défaut de daigner me libérer, puis-je te demander de couvrir mon visage ? Supplia t-il au garçon. Personne ne devrait s’infliger un pareil spectacle. »
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyMar 24 Déc 2019 - 17:21
Depuis l'angle de la pièce où il se trouvait, Taël avait observé son "patient" durant une ou deux minutes, le temps qu'il avait fallu à la substance qu'il lui avait administré pour agir, et le tirer de son trépas naissant. A présent, l'inconnu avait retrouvé ses esprits et déjà, il s'adressait à lui avec une question, doublée de remerciements.

Un frémissement parcouru le fils Avila lorsqu'il entendit l'entravé le désigner par son prénom. Comment diable savait-il? Profitant de la situation pour dévisager son homme avec insistance, il ne répondit pas immédiatement à son questionnement, préférant étudier son personnage, qui ne lui inspirait guère confiance. D'aucun prétend toutefois que les apparences sont trompeuses.

Percevant sans doute le regard scrutateur posé sur lui, le type en haillons commença à s'agiter, tentant de se libérer de ses liens et de rabaisser sa capuche pour dissimuler son visage. Ce spectacle misérable laissa toutefois Taël de glace. Il n'arrivait pas encore à ressentir de l'empathie pour le gueux. Quelques secondes de plus s'écoulèrent jusqu'à ce que le garçon daigna s'exprimer.


- Oui, j'ai eu cet honneur dans l'immédiat. Mais n'allons pas trop vite en besogne, tu es loin d'être sauvé!, s'exclama le garçon sur un ton parfaitement neutre.

- Qui t'as instruit s'agissant de mon nom?


Un brin de nervosité, tout juste perceptible, avait filtré de sa voix au moment de questionner l'individu. Taël ne su dire si celui-ci, dans son état, l'avait perçu ou non. Quoi qu'il en soit, il s'approcha de l'homme, s'accroupit à sa hauteur, le dévisagea encore un instant, avant de tendre un bras frêle vers sa capuche et de la ramener sur ses yeux.

Satisfait, Taël recula afin de regagner la place qu'il venait de quitter. Lui aussi avait son lot de questions à l'adresse de l'autre. Il conviendrait aussi qu'il l'instruise sur la situation extrêmement précaire dans laquelle il s'était fourré.


- Qui es-tu?


Après quelques instants, il ajouta...

- Tu fais si mauvaise impression que j'ai préféré t'entraver dans tes mouvements, pour me prémunir de toute mauvaise surprise. Tu as de quoi me payer? Ou bien comptes-tu toujours m'écorcher vif comme une orange, en guise de toute rétribution?, déclara le châtain, sur un ton sarcastique.

A ce stade, il était le seul des deux hommes à savoir que s'il lui arrivait malheur, le destin se chargerait rapidement de solder cette injustice en s'acharnant comme rarement sur la personne du damné encore jonché sur le planché. La substance qu'il avait ingurgitée n'était en effet pas anodine et ses effets se feraient sentir tôt ou tard. Cela dit, avant de juger du bien-fondé d'en avertir son interlocuteur, Taël Avila comptait bien jauger le terrain sur lequel il se mouvait.

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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyLun 6 Jan 2020 - 1:26
L’ombre était son domaine. Tel un doux parent qui le couve délicatement, drapant ses stigmates de sa couverture nébuleuse. Cette noirceur l’avait protégée tout au long de son existence. Dans ce monde ténébreux, aucun jugement ne pouvait pénétrer, il avait construit son macabre personnage, à l’abri des regards. En sortir, pour gagner la lumière, sans un minimum de précautions ni quelques renseignements, le mettait en danger. Cela impliquait donc quelques prédispositions à ses sorties si peu conventionnelles, exceptionnelles même. Aussi il se servait de son homme de main pour s’éviter toute infortune désagréable, enquêtant ici et là, récoltant toutes les informations qu’il pouvait glaner pour son maître. Bien que la scène présente contredisait ses dogmes et ses habitudes prudentes, le malandrin connaissait au moins le nom du jeune guérisseur.

« Lorsque l’on est un homme dans ma situation, on ne sort jamais sans quelques informations au préalable, expliqua le maraud. Mes petits serpents ont juste omis de me susurrer que tu n’étais qu’un gosse. Je m’attendais à quelqu’un de plus vieux, et un visage sillonné par les âges et plus aviné, conclue t-il en ricanant, sans vraiment savoir si son interlocuteur se contenterait de cette réponse. Celui-ci réajusta sa capuche sur sa trogne lugubre, brisant l’anxiété qui gagnait le vaurien. Merci, coupla t-il d’un signe de tête, reconnaissant. »

Le rôdeur ne s’était jamais habitué à ces yeux qui se rivaient sur son cuir gangrené, son allure maladive, agonisante. Le courroux divin pour ses vices… Le châtiment des dieux le hantait et il n’éprouvait plus grande honte que lorsque le regard des autres fixait son supplice, son fardeau. Ses plaies nécrosaient, jusqu’à estomper les peintures qui ornaient sa chaire. Du pus s’écoulait de sa carcasse, une odeur de putréfaction permanente enrobait son corps damné. Son visage souillé n’avait plus rien d’humain, seulement quelques traits péniblement perceptibles, entre les innombrables cicatrices, se distinguaient encore. Désormais, il s’apparentait plus à une engeance de la fange qu’à un humain, pensait-il en scrutant ses doigts écorchés supporter des ongles infectes et les multiples lambeaux de peau morte qui s’accrochaient, laborieusement.

Dans sa longue et lente décadence, il s’était défait de son nom, de ses origines, ne gardant que la rancœur et l’amertume pour ce monde qui l’a rejeté. Lui même avait fini par l’oublier, noyant ses ultimes fragments d’humanité dans des marres de sang et des hurlements de douleur. Il était devenu un être bestial et une bête méritait-elle d’avoir un nom ? Le pourvoyeur de la volonté des trois ne se faisait nommer plus que par de banals sobriquets, son apparence fut oubliée, sa vie sociale devint inexistante, la citadelle effaça son existence. Il était devenu invisible, un spectre, une ombre.

« Il est un peu sot de demander l’identité de quelqu’un qui souhaite se cacher, non ? Rétorqua t-il en guise de réponse aux interrogations de son sauveur. Tout comme il le serait encore plus de vouloir faire du mal à quelqu’un qui a pris la peine d’atténuer mon mal, ajouta t-il en forçant son rictus avant de reprendre. Cependant, je suis dans le regret de t’annoncer que ma bourse est sevrée de deniers depuis trop longtemps pour espérer te rétribuer pour tes services. Puis-je espérer un peu de charité pour le miséreux que je suis ? Demanda t-il en étouffant un rire macabre en se rappelant que dans cette vie, rien n’était gratuit. Je peux également m’endetter d’un service pour effacer ma dette . Qu’en dis-tu, petit homme ? »
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyDim 19 Jan 2020 - 14:07
Aucune des réponses qui ne lui fût faite ne surpris véritablement Taël. Quelle misère qu'une fois de plus, c'était un vaurien désoeuvré qui était venu frappé à sa porte en quête de son aide, plutôt qu'un riche bourgeois ou quelque seigneur puissant. Le sort s'acharnait sur lui, décidément, mais en même temps, les circonstances présentes lui rappelaient que d'autres étaient plus à déplorer que sa personne. Haussant les épaules d'un air blasé, Taël s'exprima bientôt en ses termes.

- Je te concède que je n'avais pas vraiment l'espoir d'apprendre ta véritable identité, mais au moins une manière de te désigner. Tu éludes, c'est ton droit. Que m'importe... tu n'es rien, ou en tout cas, pas grand chose. Et moi, pour toi, présentement, je suis tout...


En prononçant ses paroles, le fils Avila s'était avancé à nouveau vers son patient. Celui-ci, la tête recouverte de son capuchon, toujours ligoté ne devait que trop bien réalisé la précarité de sa situation. Cela ne semblait toutefois pas l'indisposer particulièrement, peut-être parce qu'il y était trop habitué.

- Nulle charité pour toi, l'inconnu, tu n'es de toute manière pas en état de négocier quoi que ce soit.


Récupérant une lame abandonnée sur le comptoir de l'échoppe alors qu'il continuait de se rapprocher du mystérieux personnage, Taël veilla à ce que l'autre, sous sa capuche, puisse déceler la présence entre ses mains de l'arme blanche. Qu'il la craigne ou non - ou à tout le moins l'usage que lui serait peut-être amenée à en faire -, il était prévenu.

Le roux, parvenue à la hauteur de l'autre, s'agenouilla et le scruta. Il surplombait cette charogne nauséabonde recouverte de guenilles; un observateur extérieur eût pu voir ici deux êtres de catégories complètement différentes. L'esclave et le maître, le miséreux et l'opulent, l'humain et le dieu.

- Ecoute attentivement. Je t'ai administré par le groin une résine puissante pour endormir tes douleurs et stimuler ton organisme. Tu as pu revenir à tes esprits grâce à elle, mais ce ne sera pas sans conséquences. Tu as trop attendu avant de consommer le pavot qui, j'imagine, te sert habituellement à apaiser tes douleurs, alors je t'ai servi les derniers restes de ce que j'avais de plus puissant.

Le garçon marqua une courte pause, afin de laisser le temps à son vis-à-vis de bien imprimer la situation et d'anticiper ce qu'allaient être ses prochaines paroles.

- La résine en question crée toutefois une forte dépendance, qu'il te faudra combattre par un sevrage. Je peux t'aider et aller me procurer de jour les herbes requises, et les apprêter en les diluant chaque fois davantage pour te permettre, à terme - d'ici quelques semaines - de te passer de mes remèdes.


Faisant tournoyer la lame entre ces doigts agiles, Taël conclut...

- Mais naturellement, ce ne sera pas gratuit, et tu vas t'endetter non pas d'un seul service, mais de trois, que tu t'engageras à accomplir selon mon bon plaisir...

D'un geste gracile, il trancha les liens qui entravaient l'encapuchonné au niveau de ses membres inférieurs, avant de ramener son attention sur ses deux poignets et la corde qui les maintenaient enlacés l'un à l'autre.

Souriant, l'air calme et posé, Taël la rompu également, d'un geste rapide et précis.


- A présent... Jure sur les trois divinités que tu me rendras ces trois services!

... Et je m'empresserai ensuite de te faire part de ma première requête, songea le châtain-roux, en gardant un oeil attentif sur l'étranger redevenu libre, et qui pour l'heure jonchait toujours le sol de sa demeure.
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Alfred BernicourtCharlatan
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MessageSujet: Re: Les clefs de la délivrance   Les clefs de la délivrance EmptyMer 22 Jan 2020 - 17:57
Le ciel se paraît de ses teintes nocturnes, accueillant l’astre immaculé en son centre, phare de cette immensité obscure. Les ondes de l’astre buttaient contre les volets et les rideaux de la demeure, se contentant des quelques imperfections laissées par les âges pour s’immiscer faiblement dans la pièce. Cette lune imparfaite était l’unique témoin, silencieuse et attentive, de la discussion des deux protagonistes singuliers, finalement moins opposés qu’il n’y paraissait au premier regard.

« Tout ? S’étonna le spectre. Ah, ah. Tu n’es qu’un amas de chaire et d’os, comme nous tous, pauvres mortels que nous sommes. Ce que tu crois être un instant de pouvoir n’est en fait rien d’autre qu’une brève opportunité, comme un vautour lévitant au dessus de sa proie mourante, attendant que l’inévitable ne se produise, ah ah. »

Il était amusant de voir la fugacité du pouvoir au sein du petit peuple, passant d’un humain à un autre au gré de la providence, de la situation. A défaut d’un titre ou d’un rang noble qui en permettait sa sereine continuité ou sa légitimité, un être de basse naissance devait se battre pour ne pas être la victime de ce diction vieux comme le monde : « Manger ou être mangé ». Le va-nu-pieds connaissait cet adage, intemporel, mieux que quiconque. Ayant trop souvent jonglé entre la proie et le prédateur au cours des années, le damné savait qu’une simple opportunité ou une once de négligence pouvait brutalement faire basculer un malheureux de chasseur au chassé. Le jeune guérisseur avait habilement suivi le dicton pour embourber un peu plus, le damné, mal en point.

Toujours solidement sanglé, les cordes serraient violemment ses poignets, lacérant et brûlant violemment sa chaire pourrie qui se décharnait sans grandes difficultés. Son esprit divaguait toujours par moment. Sa vision se floutait un bref instant, puis s’éclaircissait de nouveau. L’exilé scrutait ses doigts étriqués tremblotant et des maux douloureux vinrent corroborer le malaise passager. Au fur et à mesure que le chérubin démoniaque exposait les multiples effets secondaires des soins administrés, une sensation étrange s’empara de tout son être. Une angoisse, une anxiété soudaine qu’il luttait pour ne pas exhiber à son bienfaiteur, ou son agresseur ? Malgré la vive inquiétude qui le traversait, il ne voulait pas daigner faire ce plaisir au petit être, préférant surmonter cette panique d’un ricanement féroce qui résonna dans la pièce tamisée.

« Ce n’est pas un remède, mais une malédiction, ah ah, constata t-il, confus. Il est amusant de voir que même les plus vils démons peuvent prendre l’apparence d’enfants innocents. »

Sa langue bifide léchait ses crocs, dénudés par son sourire féroce. Ses iris, voilés, injectés de sang, scrutaient inflexiblement les lèvres de son interlocuteur. Il contractait frénétiquement chaque muscle de son corps, cherchant à ce que les cordes aiguisées le déchirent jusqu’à l’os, jusqu’à la moindre parcelle de sa chaire blafarde. Chaque mot, chaque son de sa voix l’entraînait un peu plus dans les limbes de sa déclin. Pourtant, alors qu’un homme ordinaire chercherait une solution diplomatique, lui s’excitait, à chacun des mots de son verbiage fourbe et mesquin. Comme l’agréable sensation d’exhiber son dédain pour la mort, pour la souffrance. Aujourd’hui, il les accueillerait avec joie, tel un parent, éloigné depuis trop longtemps. Cela ne sera pas pour aujourd'hui, pensa t-il en voyant le rouquin angélique le détacher de ses liens

Désormais libre, l’ectoplasme rampa comme un insecte jusqu’à son guérisseur juvénile, se redressant du mieux que sa frêle carcasse lui permettait. Il approcha sa trogne en putréfaction aussi près de son bourreau que possible, que l’enfant puisse le fixer attentivement dans les yeux avant que le désaxé ne réponde.

« Je le jure, je te rendrai ces trois services, dit-il en surjouant un ton solennel, que les trois en soient témoins. Ne te fatigue cependant pas de mystères puérils et déclare sereinement tes trois souhaits. Cependant, garde bien ceci à l’esprit, mon cher, dit-il en levant son index vers les cieux pour souligner l’importance de ses prochains mots. Lorsque j’aurais achevé de payer mes dettes, marche en pensant que je serais toujours derrière toi. Peu importe où et quand, même lorsque tu penseras m’avoir oublié, je serais toujours là, comme l’ombre de la mort… déclara t-il avant de glousser étrangement et d’applaudir des deux mains. Ô par tous les dieux ce que ça va être amusant ! »
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