Pour quelques poissons de plus... [Terminée]

C'était une journée comme les autres qui finissait plutôt bien.

Je revenais de ma pêche journalière avec ma cale remplie aux trois quarts de flétans, bars et autres petits poissons qui seraient parfait en friture. J'avais un réseau bien établi pour revendre ma marchandise, les gérants des entrepôts de nourriture ne manquaient pas sur les quais. Mais mieux valait savoir à qui l'on s’adressait, tous n'étaient pas des modèles d’honnêteté et de vertu...

Je n'étais pas encore arrivé au quai tandis qu'une petite foule commença à se former. Des gens du peuple, de petits bourgeois et des limiers pour le compte de nobles se pressaient à la vue de mon arrivée. L'exode vers Marbrume avait multiplié les ventres affamés qui tentaient de venir chercher la nourriture au plus près de sa source. Les champs et les fermes alentours avaient étés progressivement vidés à cause de la menace des Fangieux, alors tout le monde se rabattait sur le port.

Je ne vends ma pêche à personne d'autre qu'a l’entrepôt De Lampln ! Si quelqu'un à un problème avec ça, vous pouvez vous adresser aux charmants messieurs qui arrivent...

J'avais pris mon air le plus sombre et le plus froid pour m'adresser à la foule mais au fonds de moi j'avais mal au cœur pour eux. La faim est le pire fléau qui puisse frapper un homme, elle le poussera aux pires bassesses tant qu’elle ne sera pas satisfaite. Je m'étais laissé attendrir une fois : la foire d'empoigne qui s'en était suivie m'avait dissuadé de recommencer. Désormais mon élan de solidarité se ferait aux temples et plus à la sortie de ma pêche. Ce serait ma façon à moi d’apporter mon aide à la Cité sans mettre ma vie inutilement en péril.

Les mercenaires firent rapidement place nette et la foule se dispersa dans le calme. Je commençais à décharger ma marchandise et à préparer le poisson lorsqu'une délégation fit irruption sur le port. Curieux, je quittais temporairement mon ouvrage pour observer ce petit groupe qui se dirigeait d'un pas décidé vers les chantiers navals. Au nombre des hommes en armes et armure richement décorées, je devinais qu'il s'agissait de l’escorte d'un noble. Les nobles ne se rendaient pas souvent sur le port, du moins pas en personne, et sa venue était un petit événement qui attirait pas mal de curieux.

Observant les armoiries, je constatais qu'elles étaient frappées de la Famille De Lampln. J'avais appris le malheur qui avait frappé cette famille de plein fouet : la mort presque simultanée du patriarche et de ses descendants légitimes. Il y avait des bruits qui disaient que la Maison était revenue à un de ces bâtards, récemment revenu de la guerre contre les Fangieux. Les choses allaient donc probablement changer dans la famille De Lampln et comme de dépendait d'eux j'espérais que les changements seraient en bien.

Lorsque la petite troupe arriva à ma hauteur je reconnu Neuf Doigts, un capitaine et un défenseur zélé de la Famille. Il ne valait mieux pas dire du mal de cette Maison en sa présence ou c'était la rixe assurée. Un vrai marin aux valeurs sures et définitives qui n'était pas pour me déplaire... Peut-être un peu trop impulsif à mon gout mais un homme de grande qualité malgré tout.

Un jeune homme que je n'avais jamais vu marchait quelque pas devant lui. Il était richement vêtu, arborant un air fier et décidé ; je supposais donc qu'il s’agissait du bâtard succédant au Baron. "Le rang des hommes n'a pas d'importance si ils sont droits et valeureux". Je croyais dur comme fer en cette phrase dite quelques années auparavant par mon père et décidait de tester le nouveau venu.

Je hélais la petite compagnie qui s’arrêta à ma hauteur. Je saluais d'un discret hochement de tête Neufs-Doigts et m'adressait au jeune homme avec déférence mais sans zèle excessif.

Monseigneur, je n'ai pas encore l'honneur de vous connaitre mais je devine votre identité et souhaite vous adresser mes salutations. Je suis Raphaël Haversac, marin de son état et vendeur régulier de ma pêche à votre Maison. Comme beaucoup ici, j'ai eu vent du décès du Baron et de ses enfants. C'est une triste nouvelle mais je serais présent à ses funérailles afin d'honorer sa mémoire et l'accompagner pour trouver la paix.

Je marquais une pause avant de reprendre.

Le moment n'est peut-être pas le mieux choisi, mais je ne peux m'empêcher de me poser des questions quant à l'avenir de votre Famille. Vous n'êtes pas sans savoir que disposez une grande emprise sur le Port et vous faîtes vivre de nombreuses familles ici. Je suis l'une de ces famille et que suis inquiet pour l'avenir. Un nouveau Baron suppose de nouvelles règles et je me demande quand elles seront appliquées et quelles en seront la nature.

Je me laissais ma phrase en suspens, attendant une réponse du jeune homme.

Encore une fois, la journée ne s’était pas avérée de tout repos.

Tenir plus ou moins une maisonnée spécialisée dans la pèche voulait dire commencé très tôt, avant l’aube de fait, sa journée pour la finir seulement après le coucher du soleil. Dès l’aurore, les navires partaient, les attributions devaient donc être effectuées au pied levé alors que les brumes parsemaient encore les quais, selon marées et les marins présents. En règle générale, c’était le travail des capitaines de s’entendre, mais je me devais, si je souhaitais assurer ma position de faire acte de présence et d’écouter les vieux marins prendre ces décisions cruciales.
Une fois les bateaux partis, il fallait encore s’occuper des entrepôts, fumoirs et saloirs du quartier du port, pour se tenir au courant avec les intendants concernant les réserves, les livraisons, le rapport de la pêche du jour précédent… Une montagne de paperasse qui occupait facilement la moitié de la matinée, bien que parfaitement nécessaire a la bonne marche de l’ensemble. En soit, là encore, ma présence n’était pas obligatoire, mais fortement conseillé, pour avoir une idée réelle de l’ordre des choses. D’autant qu’un représentant ducal était présent a chacune de ces réunions matinales, pour mieux discuter de la quantité de poissons à fournir à la ville à prix cassés, une mesure nécessaire pour nourrir la population de réfugiés toujours plus massive. En somme, c’était l’occasion de faire acte d’intérêt à la politique de la ville et mon soutien à l’ordre régnant, a contrario de certaines rumeurs. Et surtout, cela me permettait de déjeuner à mon aise en évitant ma belle-mère et ma demi-sœur, un bénéfice qui valait bien un peu de discussion administrative.
Selon les jours, le reste de la journée se passait à régler les petits problèmes occasionnels, à l’entrainement, à se rendre au temple pour prier, à discuter affaires ou encore à déambuler dans la ville, profitant du temps calme qu’offrait l’après-midi en règle générale. Pour autant, aujourd’hui rentrait dans la catégorie des exceptions, avec un message du chantier naval, annonçant la fin de la réfection de coque d’un vieux chalut abandonné dont mon père avait lancé la remise à neuf, pour enrichir notre flotte de pêche. Une notion incroyablement importante pour les temps troubles que nous traversions.
Et même si ce n’était pas ma tasse de thé, la pompe et l’apparat n’étant pas vraiment l’apanage des gens de ma condition originelle, j’avais fini par céder aux arguments de Neuf-Doigts sur la mise sur pied d’une escorte d’apparence imposante, pour donner le ton.

« Ecoute mon garçon. Quand un noble se rend visiter ses affaires, il doit le faire avec la pompe d’un chevalier sur le champ de bataille. Si tu parais riche, les gens pensent que tu l’est. Tu parais fort ? Tu es fort. Alors fais-moi plaisir et arrête de grommeler à la dépense, rassemble des gens d’armes et impose un peu ta présence. On ne parle pas juste de tes employés là, mais aussi du reste de la population du port. D’autant plus vu l’heure. »

Des arguments forcement pleins de son bon sens terre-à-terre, qui m’avaient poussé à m’exécuter sans plus rechigner. J’avais troqué mes défroques solides pour un habillement plus ostentatoire, fais armer quelques combattants solides de tenues rutilantes, rassembler quelques gratte-parchemins pour le reste et se diriger en direction de l’évènement du jour.
Il me fallait bien reconnaitre, le spectacle du port en activité, même dans une période aussi sombre me faisait toujours de l’effet. Certes, on voyait énormément de gens sans rapports avec l’endroit, venu essayer de se procurer un peu de poisson frais, mais surtout le ballet des bateaux en déchargement, les grappes d’hommes porteurs de caisses de poissons formant des files ordonnées sous la vigilance de la Milice qui gardait les badaud loin de la précieuse nourriture.

En conséquence de quoi, il avait fallu que ce soit Neuf-Doigts qui m’arrête quand l’un des marins en question avait hélé notre troupe, trop pris dans mon observation silencieuse d’agitation portuaire pour vraiment faire attention à un individu en particulier. Rien que le geste fait par mon plus vieux marin voulait en dire long, m’intimant silencieusement de faire attention à l’homme buriné me faisant face, un loup de mer vétéran a son allure et odeur, qui ne dépareillait pas de l’endroit.

« Monseigneur, je n'ai pas encore l'honneur de vous connaitre mais je devine votre identité et souhaite vous adresser mes salutations. Je suis Raphaël Haversac, marin de son état et vendeur régulier de ma pêche à votre Maison. Comme beaucoup ici, j'ai eu vent du décès du Baron et de ses enfants. C'est une triste nouvelle mais je serais présent à ses funérailles afin d'honorer sa mémoire et l'accompagner pour trouver la paix.
Le moment n'est peut-être pas le mieux choisi, mais je ne peux m'empêcher de me poser des questions quant à l'avenir de votre Famille. Vous n'êtes pas sans savoir que disposez une grande emprise sur le Port et vous faîtes vivre de nombreuses familles ici. Je suis l'une de ces famille et que suis inquiet pour l'avenir. Un nouveau Baron suppose de nouvelles règles et je me demande quand elles seront appliquées et quelles en seront la nature. »

J’avais opiné du chef à ses salutations, recevant avec un petit sourire son attention à l’égard de feu mon père et de mon frère, avant de m’intéresser réellement au cœur de sa question. Les changements à venir, ainsi que leur impact sur le port en lui-même et ceux qui en dépendait. Des questions solides, pragmatiques, qui ne battaient pas le fourré pour se montrer directes. Ceci expliquait l’estime apparente de Neuf-Doigts envers le marin, son regard plissé me poussant silencieusement à répondre aussi précisément que possible à ces questions, les oreilles alentours tendues pour écouter ces importantes informations.

« Vous avez en effet vu juste, monsieur Haversac, je suis Alvin de Lampaln, successeur de feu le Vieil Homme. Vous avez tous mes remerciements pour votre prévenance à l’égard du décès des miens.

Et j’ai bien conscience que vos questions sont ici d’importances, je ne vais donc pas tourner autour du pot. Vous le savez sans doute, mais je n’étais pas destiner à reprendre les rênes de ma maisonnée. Aussi, il est bien trop tôt pour moi pour envisager de quelconques changements autres que ceux qui me seront conseillés par mes gens d’expérience. La Cité de Marbrume dépend tous les jours plus de notre travail en ce lieu, il est donc hors de questions pour moi de me mêler de son fonctionnement sans en savoir plus sur ce dernier et sans l’approbation de ses travailleurs. Bien au contraire, je dirais même souhaiter vouloir continuer sur la même lancée que feu le précèdent Baron, en agrandissant plus avant nos activités pour fournir la cité d’assez de vivres.
La réponse courte serait donc que je souhaite marcher dans les traces du Vieil Homme plutôt que de m’imaginer bouleversé l’ordre établi, à moins que la suggestion appuyée d’arguments ne m’en soit faites.

Cela répond-il à vos questionnements, monsieur Haversac? »

J’avais certes choisi mes mots avec soins, le ton volontairement voué à porter parmi la foule, mais j’en pensais chaque mot. J’étais trop jeune, trop inexpérimenté pour induire des changements au tripoté, le mieux était donc de poursuivre la politique qui avait fait de Père un homme respecté. Il n’était pas question de justice, mais de pragmatisme. Marbrume oscillait au bord du gouffre, je ne comptais nullement l’y précipiter.

Il avait flâné toute la journée au port, passant une bonne partie de son temps dans une petite taverne et l'autre partie à ne rien faire, restant un moment assit sur le rebord à regarder la mer, les jambes balançant dans le vide, un autre instant à marcher en chantonnant, mains liées derrière le dos, ou encore allongé sur un banc. La parfaite vie du rêveur, bien qu'un peu monotone, à la longue.

La foule arrivait doucement mais sûrement. Grim ne se mêla pas à elle, préférant même s'en éloigner un peu. Lui aussi aimerait bien pouvoir acheter du poissons frais et peu cher, mais il n'était pas fou : il savait comment ça se déroulait à chaque fois.
Alors, faussement détaché, il se mit à jongler dans un coin, d'abord sans feu pour s'échauffer un peu. Le peuple repartait déjà, déçu de n'avoir, encore une fois, rien pu avoir.

Il enflamma à peine quelques minutes plus tard, avant de reprendre sa série de mouvements, les exécutant comme au ralentit avant de vivement accélérer l'allure puis d'arrêter le geste d'un seul coup et de finalement recommencer à vitesse normale.
Jusqu'au moment où le mouvement fut vraiment trop rapide. La chaîne lui échappa des mains et la vitesse donna des ailes à son bolas.

- Woh ! Lâcha-t-il en le regardant prendre son envol.

Il se précipita dans l'espoir fou de l'arrêter.
Ce fut avec désespoir qu'il vit son outil rebondir sur la tête d'un homme richement vêtu et finir son envolée au sol. Grimaçant, il se faufila discrètement au milieu de ce groupe de personnes pour récupérer son bien.

À quatre pattes, il le ramassa – la boule était toujours en feu -.
Mais son soulagement fut de courte durée. Grim sentit de grosses mains se poser sur ses épaules et le soulever comme une plume, lui arrachant son bolas des mains.

- C'est à toi, ça ? Brailla l'un des deux miliciens.
- Oui, merci, dit-il en souriant innocemment.
- Tu cherches à attenter à la vie du Baron ? Ton objet de malheur a failli le transformer en torche humaine !

Sans effort, ils l'emmenèrent vers leur Baron. Les pieds de Grim ne touchaient même pas le sol et les gardes l'avaient attrapé si brutalement qu'ils avaient soulevé sa chemise, dévoilant une partie de son ventre blanc, plat et sans muscle. C'était dégradant. Vraiment.

- Nous avons trouvé le coupable.
- Mais … non !
- Silence, criminel !

Grim grogna et détailla les deux hommes qui lui faisaient face. Un pêcheur – facile à reconnaître -, et … il aurait mis sa main à couper qu'il s'agissait du Baron dont ils parlaient.

- Mon bolas m'a juste échappa, lança-t-il quand même.
- Désirez-vous qu'on le jette au cachot ou qu'on l'exécute sur place ?
- Pour un bolas volant ? S'offusqua le jongleur.

Sa voix partit dans les aigues à la fin de sa phrase. Il était outré, et un peu inquiet tout de même, car il savait que l'on pouvait être tué pour si peu. Et de manière parfaitement légale.
Il jeta un regard de biche apeurée à l'homme qu'il avait blessé, puis au pêcheur.

- J'ai pas fais exprès, marmonna-t-il pour toutes excuses.

HRP:

HRP:

La réponse du jeune homme était pleine de bon sens.

J'aimais beaucoup son humilité et son sens des responsabilités. Vouloir tout changer sans rien connaître d'autre que la vie de château ou la guerre aurait été stupide. Le port et ses habitants répondaient à des règles bien établies mais qui n'étaient visibles aux yeux de tous. Il fallait passer du temps dans sur les quais pour simplement observer ce qu'il se passait et entrevoir les jeux subtils de pouvoirs qui se jouaient entre ses habitants. Les pêcheurs, les marins, les armateurs, les charpentiers, les mercenaires : autant de personnes aux intérêts si divergeant constituaient une mécanisme complexe mais passionnante.

J'allais donner quelques conseils au nouveau Baron De Lampaln pour apprendre à lire entre les lignes du port lorsque ses cheveux prirent soudainement feu.

Cela fut si soudain que je cru à un mauvais sort, comme si un être invisible lui avait allumé un briquet sur la tête. Puis je vis un bolas enflammé qui tomba à ses pieds. Un petit homme se faufila entre les jambes du Baron et récupéra le bolas avant de se faire empoigner par deux gardes du Baron. Alvin de Lampaln s'ébroua et se mit à frapper frénétiquement sa tête pour éteindre les flammes naissantes. Il en vint à bout rapidement mais le feu lui avait ruiné sa coupe de cheveux, laissant des mèches inégales et brûlées ça et là.

Lorsque tout danger fut écarté et le jeune homme fut maîtrisé par les gardes, je ne pu m’empêcher de partir dans un fou rire incontrôlable. Je me calmais âpres quelques instants et tentais de reprendre mon sérieux tant bien que mal.

Pardonnez moi Baron, mais ce qui viens d'arriver est tellement improbable ! Combien de chance y avait-il que ça tombe sur vous ? Une sur mille ? Une sur dix-mille ? Vous devriez tenter votre chance aux dés, ne serait-ce que pour tenter de conjurer le sort !

Je me penchais vers le petit homme qui avait laissé échapper son bolas.

Quand à vous, je crois que vous devriez vous exercer un peu plus loin de la noblesse ! Vous vous éviterez bien des ennuis...

Je devais bien reconnaître m’être attendu a beaucoup de choses à la suite de ma déclaration, mais clairement pas à recevoir un bolas enflammé sur le crane. De fait, je ne l’avais même pas perçu avant qu’il ne me percute, sans trop de mal heureusement, l’objet étant relativement peu pesant, mais tout de même suffisamment fort pour me faire chanceler sous le choc, un des hommes d’armes me servant de pilier avant que je ne me retrouve au sol de surprise. Le seul vrai souci, au-delà du comique de la situation était la matière inflammable recouvrant l’objet incriminé, dont une part s’était déposée sur ma tête nue, me forçant à l’éteindre de quelques tapes avant que cela devienne plus grave. Quelques grésillements, deux trois mèches fumantes, une coupe en désordre… Rien de grave, mais c’était surprenant clairement.

Pour autant, la réaction des hommes autour de moi avait été plus que vive, en attrapant le lanceur vigoureusement pour le me le présenter comme un vulgaire colis, plus porté que remis debout, le bout des pieds pendants ne touchant même pas le sol tandis qu’ils me demandaient mes instructions.

Et de manière totalement absconse, mon interlocuteur précèdent était parti dans un fou rire de première catégorie, couvrant l’instant et faisant passer la moindre envie d’intentions douloureuses à l’égard de la crevette humaine entre les mains de mes gorilles. Il faut dire que le flottement du au rire du vieil homme avait calmé les ardeurs des hommes, ne sachant plus trop ou se mettre devant le foin fait pour un incident finalement mineur causé par un gringalet.
Je m’étais permit un petit sourire a l’intention de l’incitation du vieillard à jouer aux des avant de m’adresser à mes gardes de manière apaisante.

« Doucement messieurs, l’incident est trivial, n’allons pas nous énerver pour rien non ? Je sais bien que vous tenez à mon intégrité capillaire, mais il ne s’agit pas d’un crime de lèse-majesté, rien que quelques mèches et d’un accident malencontreux.
-Mais Baron… »

J’avais levé la main pour interrompre le garde, détaillant du regard le malheureux jongleur. Même les deux porteurs du freluquet avait l’air de regretter de s’en être pris aussi brutalement a son égard, mais il était vrai que je ne pouvais tout de même pas permettre de faire comme si de rien était, une punition trop sévère n’ayant strictement aucun sens. J’avais donc désigné du pouce le bord du quai tout proche.

« A l’eau.
-Avec plaisir monseigneur ! »

Les hommes avaient esquissés des sourires, conscients de mon intention, avant d’envoyer voler dans l’eau du port le gringalet, d’une grande impulsion l’envoyant bien à plat dans l’eau froide. Autant pour lui remettre les idées en place.

« Neuf-doigts, va au chantier, occupe-toi des détails avec le maître d’œuvre, je souhaite un peu discuter avec monsieur Haversac ici présent. J'arrive dès que nous en avons terminés de notre conversation. »

Le ton ne prêtait pas à discussion, tout comme mon regard signifiait clairement d’emporter l’escorte avec lui. Pour une fois, il n’avait même pas argumenté, tout à fait au courant qu’il m’arrivait de temps en temps de devenir sacrement tête de mule, se contentant d’un soupir la avant de faire suivre de la main la petite troupe, qui lui avait emboîté le pas sans questions, du fait de la position d’homme de confiance de mon plus vieux marin.
Pour ma part, je m’étais planté au bord du quai, observant avec un demi-sourire le jongleur tirant une tête d’anthologie devant ce bain forcé, pour revenir m’adresser au vieux marin à mes côtés, le ton badin, l’incident passé de commotion a plaisanterie.

« Vous avez raison monsieur Haversac, je devrais surement prendre le temps d’aller jouer aux dés à un moment de la soirée pour voir à quel point le hasard est improbable aujourd’hui. »

HRP:

Interdit et le souffle court, Grim, eut un petit tic de visage, dévisageant le pêcheur qui semblait vraiment beaucoup s'amuser. Sincèrement, il avait du mal à trouver le comique de la situation. Il allait peut-être mourir, là, sur le champs, tout de même !
Un peu énervé, le jongleur tenta de se débattre pour la forme, bien qu'il savait parfaitement qu'ainsi encadré par ces deux armoires, il n'avait pas vraiment de chance de les faire remuer, même pas trembloter.

Finalement, l'homme se calma, s'excusant platement, sous le regard parfaitement blasé de Grim qui avait cessé de bouger. Il se permit même d'échanger un regard avec l'un des gardes qui semblait tout aussi perplexe que lui.

- Quant à vous, je crois que vous devriez vous exercer un peu plus loin de la noblesse ! Vous vous éviterez bien des ennuis …
- Merci du conseil l'ami, répliqua-t-il en forçant son sourire.

Au moins, son fou rire avait eu le mérite de dédramatiser la situation.
À son tour, le Baron prit la parole, et l'espace d'un instant, Grim fut gonflé d'espoir. Ce mec n'avait pas l'air d'être l'une de ces ordures-nobles qui se permet toutes les plus grandes excentricité sous prétexte que leurs bourses sont pleines à craquer et leurs vêtements étincelants.
Alors oui, l'homme-enfant avait cru qu'il allait s'en sortir avec juste une petite tape derrière la tête comme cela était souvent arrivé. Il lui jeta un regard particulièrement reconnaissant, juste avant que ce dernier ne prononce le jugement.

- A l'eau.
- Quoi ?! S'étrangla-t-il. Non, attendez !

Il se débattit de plus belle, agitant ses jambes dans le vide.

- Lâchez-moi, je ne sais pas nager !

Quand il se retrouva juste au-dessus de l'eau, étrangement, son discours changea. Il eut un hoquet de panique et enfonça ses doigts dans la chair du bras des miliciens.

- NON en fait ne me lâchez pas !

Trop tard.
Il ne cria pas, Grim. Mais il eut l'impression que ses entrailles faisaient un joli salto et que son cœur s'arrêtait subitement lorsqu'il se trouvait entre ciel et mer. Battant des bras inutilement, le choc fut brutal quand il entra en contact avec l'eau, bien trop froide en ces périodes hivernales.
Les sens brouillés par les bulles qui l'encadraient, il lui fallut un instant avant de parvenir à remonter à la surface. Ce n'était pas qu'il ne savait pas nager, mais plutôt qu'il se débrouillait aussi bien qu'un chien.
Il ouvrit la bouche pour avala une grande goulée d'air, s'étouffant à moitié, avant de se dépêtrer comme il le pouvait pour rejoindre une petite plate forme, pestant intérieurement. Quelle humiliation !

Se hissant tant bien que mal, il se mit sur ses jambes, chancela un peu avant de secouer la tête, trempé jusqu'à l'os. Être mouillé en étant habillé, y'avait rien de pire … Ses habits lui collaient désagréablement à la peau. Rouge de honte et de colère, Grim saisit sa chemise à deux mains et pressa le tissus pour l'essorer, le nez vers le sol, humilié. Il avait même envie de pleurer.

Il emprunta l'escalier, ignora les regards inquisiteurs que les gens présents lui portaient et, claquant des dents et reniflant, retourna près de ce très cher Baron de Lampaln.
Il était peut-être petit et timide, Grim, mais il n'était pas non plus soumis. Et il ne supportait pas qu'on le fasse tourner en ridicule sous-prétexte qu'on était supérieur à lui.

- Vous ! Lâcha-t-il en pointant un doigt accusateur vers le noble.

Il prit le temps de le rejoindre, indexe toujours braqué vers lui, marchant de sa démarche raide et laissant derrière lui un sillage d'eau salée.
Face à lui et au pêcheur, il se sentit malgré tout bien moins à l'aise dans sa colère :

- Je … Vous … Agissez de manière inappropriée ! Brailla-t-il.

Ce qu'inappropriée voulait dire ? Aucune idée. Il savait juste que ça sonnait bien à l'oreille. Continuant sur sa lancée, il s'approcha encore plus, rompant les limites de l'intimité entre lui et le Baron, et s'ébroua volontairement, bien décidé à faire profiter cet homme de sa baignade glaciale.

- Je .. Je vais tomber malade par votre faute ! Et vous aurez ma mort sur la conscience ! Et … et vous serez exécuté, car je suis très apprécié par la noblesse ! Oui, monsieur ! J'exige …

Prenant une grande inspiration, il leva le doigt et le fit dessiner des petits cercles dans le vide, cherchant ses mots.

- J'exige une paire de bolas neuve ! Et des vêtements secs !

Bien sûr. Il avait de l'espoir, le jongleur. Enfin, il ne savait pas vraiment quoi dire, se contentant de lâcher ce qu'il paraissait normal de demander quand on venait de se faire lâchement jeter à l'eau. De plus, il profitait que le Baron ne soit pas accompagné de sa horde. Ils faisaient peur, ces miliciens.

- Et vous, làààà ! Ajouta-t-il à l'intention du pêcheur. Vous devriez être solidaire plutôt que vous moquer !

HRP:

Lorsque sa troupe s'éloigna vers le chantier naval, j'invitais le Baron à s’asseoir à la table où j'écaillais mes poissons. Ce dernier s'installa aussi confortablement que possible sur un tabouret de bois et je commençais à parler.

Je vous remercie de prêter attention à un simple marin comme moi, plus encore après ce petit incident. Le port est un endroit complexe Monseigneur et les mécanismes qui le régissent sont très différents de ceux d'un château ou d'un bivouaque. Le simple fait que vous choisissiez de me parler à moi et pas à un représentant des pêcheur aura des conséquences. Les ragots et les jalousies sont encore plus destructrices que les Fangeux ici. Si vous voulez asseoir votre importance sur le port...

Vous !

L'exclamation du jongleur remonté sur le quai m'avait interrompu avec véhémence. Il était furieux et vexé d'avoir été ridiculisé par les hommes Baron. Il s'en pris au Baron puis à moi, réclamant réparation et des vêtements secs pour sa peine. Je ne laissais pas le temps au Baron de répondre et me levais lentement de mon tabouret. Sans un mot et avec une lenteur toute calculée, je descendais dans mon bateau pour fouiller dans un coffre et sortir une couverture que je roulais sous mon bras.

J'allais remonter sur le quai lorsque le Baron décrocha une droite au jongleur. Je fis mine de ne pas sourciller, mais je fus choqué par la violence de la réaction du noble. Il l'avait déjà jeté à l'eau pour le punir, pourquoi en rajouter ? Je décidais cependant de ne pas montrer ma compassion, de peur d’enflammer la colère du Baron et de me retrouver en prison. Mieux valait jouer profil bas et continuer sur ma lancée de bon conseils. Peut être cela pourrait-il apaiser un peu la situation...

Je remontais vers le jongleur et lui lançais la couverture, laquelle lui échappa des mains.

Jeune homme ce n'est pas la peine de beugler comme ça. Si vous n'êtes pas capable de jongler correctement, il faut changer de métier. Surtout avec des bolas enflammés !

Je le toisais d'un air sombre et sérieux, simplement pour lui faire comprendre que je plaisantais pas.

Je suis un marin, la solidarité est dans ma nature profonde et ce n'est pas un mot que l'on prononce à la légère ici. Vous ne pouvez pas vous en servir comme bouclier pour masquer votre incompétence en espérant que nous passions l'éponge. Vous auriez pu blesser quelqu'un, vous en êtes conscient ? La folie et les tourments de ces deniers mois ne vous suffit pas ?

Je marquais à nouveau un pause et adoucit un peu ma voix. Après tout l'incident avait plus été comique de grave et je ne voulais pas risquer un autre coup de sang du Baron. Je retournais m'asseoir à table et sorti un tabouret supplémentaire.

Allons, nous n'allons pas nous quereller pour si peu. Prenez le temps de vous asseoir quelques instants pour sécher un peu, je vous invite à boire un verre après ma discussion avec le Baron si le cœur vous en dit.

Je laissais le jeune homme à ses pensées et repris ma discussion avec le Baron.

Comme je vous le disais, la seule manière pour asseoir votre position sur le Port, c'est de traiter avec équité toutes les factions ici. Je vous dis bien équité et non égalité, vous vous rendrez vite compte que certains sont dignes de confiance et d'autres beaucoup moins. Il ne faut cependant pas les ignorer : il est important d'être proche de ses amis et plus encore ses ennemis.

Neufs-Doigts est quelqu'un de fiable et il pourra vous aider à découvrir à qui vous pouvez faire confiance ou pas. Mais ne vous basez pas sur sa seule opinion : passez du temps sur le port, seul ou avec votre escorte. Prenez le temps de bien observer les gens d'ici et lorsqu'ils viendront vous voir sur l'Esplanade, ils ne vous seront pas inconnus.

J'avais suivi la progression laborieuse du jongleur avec attention, un peu confus d'avoir oublié de prendre en compte sa possible inexpérience en natation, comme la plupart des gens d'ailleurs, une large part des marins ne sachant nager par exemple. En conséquence de quoi je n'avais pas accordé grande attention aux propos du vieil homme, pour plus m'occuper de ses ébats aqueux, au cas ou il faudrait le sortir de la, même une fois attablé a sa table, voyant se précisément l'arrivée en fanfare du chien mouillé... Ce qui n'avais pas manqué d'arriver, avec une diatribe parfaitement ridicule.

Si j'aurais tout a fait pu m'excuser et qu'il s'agissait de mon intention première, sa façon de faire un scandale de la conséquence de ses actes m'avait fait monter la moutarde au nez brutalement, d'autant plus a s'approcher de moi et d'outrepasser toutes les limites communément admises en société comme étant l'intimité.. Ce n'était pas là le fait de parfaitement ignorer la différence de rang qui m'avait fait voir rouge, mais bien de se comporter comme un gamin colérique après s’être fait justement punir pour sa maladresse. Autant dire que je ne comptais clairement pas passer sur l'affront, la projection d'eau a la figure en bonus, quoi qu'en dise le pêcheur a mes cotés. Un pêcheur aux réactions erratiques, a se lever ainsi pour nous laisser seuls un instant descendre chercher une couverture.

Je n'ai pas honte de l'avouer, je n'avais pas su me contrôler, envoyant purement une solide droite au visage de l'artiste de rue, avec toute la maîtrise soldatesque dont je disposais. On ne parlais pas la d'une baffe, ou d'un soufflet de noble, mais bien d'un vrai coup de poing, porteur de force, qui avait visiblement pris au dépourvu l'impudent, a sa tête outrée et le choc sur son visage. Heureusement que j'avais frappé de la main gauche, libre de toute bague tiens.

J'imagine que c'est l'arrivée du pêcheur aux longues diatribes qui nous avait empêchés d'en venir aux mains, au moins pour ma part, ses grandes tirades sur la moralité ne se préoccupante même pas de l'hématome naissant sur la joue du jongleur, me tirant un petit soupir, la situation ne prêtant pas vraiment a l’écoute paisible, me poussant garder le regard rivé sur le jongleur, une flamme claire dans le regard, l'informant que nous n'en avions pas fini tout les deux, qu'en dise le marin.

« Monsieur Havresac. Autant je prend bonne note de vos conseils, autant, si vous permettez, j'aimerai en finir avec l’énergumène ici présent, afin que les choses soient bien claires entre nous, son envolée colérique ne donnant pas cette impression. »

Mon ton avait été tranchant, retrouvant les intonations du soldat de ses dernières années, une main levée a l'adresse du vieux marin a la fin de son discours pour l'interrompre, celle porteuse de ma chevalière par ailleurs, je ne m'en étais rendu compte que plus tard, pour mieux designer le jongleur par la suite.

« Vous. Vous "exigez" des excuses ? A moins que je ne me trompe, il s'agit de votre bolas, de votre erreur, corrigez moi si je déforme les faits. J'ai certes été un peu impulsif en ne prenant pas en compte le fait que vous sachiez nager ou non en compte. Néanmoins, je vous enjoint de suivre les conseils de monsieur Havresac ici présent et de réfléchir a vos paroles, en remettant vos actions en perspectives avant que nous ne continuions cette discussion vous et moi.

Mettons que je fermerai les yeux sur vos menaces voilées et vos prétentions de relations. »

J'avais reposé les mains bien a plat sur la table, le poing rougi de l'impact sur la figure de l’espèce de garçonnet qui me faisait face, l’enjoignant d'un regard a prendre en compte avec grand sérieux mes paroles, si il ne souhaitait pas que les choses aillent bien plus loin.

Comme lassé, comme agacé, le pêcheur prit congé, laissant Grim en tête à tête avec le noble. Et étrangement, le jongleur se sentait d'un seul coup bien moins assuré dans sa pseudo colère. Intuition ? Probablement. En tout cas, il n'eut pas le temps de voir arriver le poing du Baron, qui l'envoya tout bonnement dans le décor, frappant de plein fouet sa pommette et laissant éclater la douleur sur l'ensemble de son visage.
Grim renversa une chaise et le contenu d'une table au passage, dans un joli brouahah, et demeura un instant par terre, complètement sonné. Calmé. Net. Il n'avait même pas envie de se relever, de crainte d'en recevoir une autre.

Il porta une main là où l'autre homme avait frappé, touchant doucement l'hématome qui commençait déjà à fleurir de son œil jusqu'à sa mâchoire, avant de recueillir une perle de sang au niveau de sa bouche. L'impact avait été si brutal qu'il s'en était mordu la lèvre.

Tremblant des pieds à la tête et la gorge serrée, l'agressé s'aida du mobilier pour se remettre sur ses jambes, tanguant un peu, n'osant plus du tout affronter le regard de Lampaln. S'il y avait bien quelqu'un qui n'était pas un bagarreur, c'était bien Grim. Alors, se prendre ainsi une mandale en pleine face, aussi méritée soit-elle avait fait naître en son ventre une profonde terreur. La peur de s'en recevoir d'autre, la peur d'avoir mal.

Ce fut quand il se retrouva de nouveau bien ancré sur ses jambes que le pêcheur, un certain Raphaël apprendra-t-il plus tard, revint. La réaction de Grim quand il lui lança la couverture fut de fermer les paupières et de reculer d'un pas, s'attendant au pire.

- Jeune homme, ce n'est pas la peine de beugler comme ça. Si vous n'êtes pas capable de jongler correctement, il faut changer de métier. Surtout avec des bolas enflammés !

Il continua sur sa lancée, parlant de la solidarité, trait de caractère inné chez les marins, puis traitant Grim d’incompétent, et autres immondices, plongeant l'artiste de rue dans le plus grand embarra.
Lui, incompétent ? Il était vexé, terriblement vexé. Qu'on le traite d'incompétent, lui qui trimait jouer et nuit pour atteindre un niveau plus que professionnel, et qu'on se permette de le rabaisser au stade de débutant …
Encore un peu déboussolé par ce qu'il venait d'endurer, il ramassa la couverture, la serra entre ses doigts avant de se tamponner les cheveux, le regard dans le vide – ne surtout par croiser les yeux perçant du Baron -, le visage animé de petits tics nerveux. Il était bien ravi malgré tout que le marin ne décide de changer de sujet et de l'ignorer. Grim n'avait plus qu'une envie à présent : partir. Avec ou sans ses bolas, avec ou sans vêtement de rechange. Il voulait juste aller se terrer dans un coin pour pleurer un bon coup et pour se lamenter de sa condition de petit homme faiblard.

Lampaln coupa court aux propos de l'autre homme, revenant à la charge sur celui qu'il avait violenté, l'incendiant comme un enfant. Et, comme un enfant, Grim garda la tête baissée, serrant la couverture contre lui comme un bouclier, les joues rouges, humilié au plus haut point, sentant le regard d'autres personnes présentes en ces lieux peser sur lui. En coin, il jeta un coup d'oeil au marin, comme s'il pouvait faire quelque chose pour lui.

Ne sachant plus vraiment où se mettre quand le Baron eut fini de parler, Grim avala sa salive, glissa doucement le plaid sur ses épaules, et, trop effrayé pour affronter le regard du noble, s'adressa au pêcheur.

- Merci, lâcha-t-il d'une petite voix cassée.

Il regrettait sa petite montée de colère ! Que pensait-il ? Qu'il parviendrait à impressionner un homme de sa carrure ? Qu'il obtiendrait un dédommagement ? Il avait pourtant assez d'expérience pour savoir que s'attaquer à la noblesse n'apporter rien d'autres que des ennuis.

Du bout des lèvres, il ajouta, presque dans un chuchotement :

- Je ne suis pas incompétent. Vous étiez juste au mauvais endroit au mauvais moment.

Il semblait s'adresser au coin de la table, qui, d'un seul coup, paraissait très, très intéressant. Les yeux bleus pénétrants du Baron ne faisait que l'intimider un peu plus. Au moins, cette table ne le regardait pas.

- Faut bien s'entraîner quelque part.

Sa main vint de nouveau palper la zone enflée et bleui de son visage, précautionneusement, du bout de l'indexe. Pour avoir comprit la leçon, il l'avait comprise.

HRP:

Cette fois ci je ne pu ignorer la détresse du jongleur.

Il n'avait même pas osé s'adresser au Baron alors que ce dernier semblait visiblement attendre des excuses de sa part. Et en plus cet imbécile continuait de se justifier, de dire que ce n'était pas de sa faute et que c'était le destin qui avait fait s'envoler le bolas sur la tête du noble ; fuyant le regard du Baron contre tous principes et tout respect du à son rang. Ne se rendait-il pas compte que cela risquerais de lui coûter bien plus qu'un plongeon et un taquet ?

Je choisis mes mots avec soin pour éviter un potentiel bain de sang.

Jeune homme, vous êtes un incompétent : c'est ainsi que l'on nomme les gens qui mettent la vie des autres en danger et se cherchent des excuses en blâmant le mauvais sort. Alors ne vous enfoncez pas outre mesure et contentez vous de faire amende honorable auprès de M. De Lampaln.

Je me tournais ensuite vers le noble.

Monseigneur, je vous conjure d'ignorer cet imbécile qui ne se rends même pas compte qu'il vous insulte. Il devrait s’excuser auprès de vous mais il semble totalement ignorer comment faire.

J'avait fait un gros effort pour retrouver ma maîtrise de corps en partie attendri par le spectacle pitoyable qu’offrait le jongleur. De fait, j'en venait même à regretter ce coup de poing, soupirant doucement en opinant de la tête vers le vieux marin, croisant les doigts, pour m’adresser de nouveau au jongleur après une grande respiration. De fait, si ce dernier ne me regardait pas, il aurait surement pu croire que j'allait en remettre une couche.

« Ce n’est rien Monsieur Havresac.

Mais je me dois de donner raison sur un point à notre artiste de rue, j’ai été excessif en vous faisant jeter à l’eau. Et avant que vous ne vous sentiez triomphant, vous méritiez le coup de poing, soyons bien clair sur ce point. Et tenez-vous correctement que diable, je ne vais pas vous manger. Vous n’êtes pas mon genre, je vous rassure. Encore moins trempé. »

J'avais attendri ma la tirade d’un sourire bien moins dur, la moquerie volontairement douce pour rassurer son interlocuteur, alors que mon regard finissait par se porter, comme un réflexe a force de manier des armes, sur les mains serrant un pan de la couverture. Des mains surprenantes, laissant apparaitre un autre homme, me poussant a dévisager ce dernier avec une curiosité intense, pour mieux me rendre compte des petites marques que l’âge avait causé sur sa personne et d'enfin percevoir que mon interlocuteur devait surement avoir plusieurs années de plus que moi-même. Autant dire que je me sentait sacrement confus de l’avoir rabrouer comme un gamin un peu trop exubérant.

« Prenez place et séchez-vous un peu, vous allez attraper la mort en cette saison. Monsieur Havresac, pourriez-vous avoir l’obligeance d’aller nous chercher du vin chaud pour remettre d’aplomb notre malchanceux maladroit ? »

Le non-dit était là, aisément perceptible pour n’importe qui. J'aurait très bien pu demander à n’importe qui de s’en occuper, mais je lui demandait, personnellement, comme une faveur au vieux marin que de nous laisser un instant, pour pouvoir m’adresser au jongleur sans s’embarrasser plus avant des convenances. Nul doute que le vieil homme était perceptif, m'offrant gracieusement le temps demandé, s’éloignant un temps.
J'avait donc repris, rivant mon regard à celui de l’homme-enfant, sans plus d’hostilité mais une franchise aussi brute que glaciale, à mi-voix pour ne pas donner court aux rumeurs, la voix redevenue tranchante pour clore cette affaire définitivement. Il convenait d'y mettre les formes.

« Premièrement, je m’excuse de vous avoir traité ainsi.
Secondement, vous devriez savoir que la différence de rang demande certains comportements, d’autant plus ici en publique.
Troisièmement… Ceci, pour votre dédommagement monsieur.
J’estime à partir de maintenant que nous sommes quittes pour cette histoire. J’ose espérer que la chose est claire. »

J'avait sorti une triplette de pièces d’argent de ma bourse, les posant devant le jongleur, plus pour le symbole qu’autre chose, reconnaissant mes propres torts par le geste autant que la parole. Alors que le vieux marin revenait, j'en était revenu à une posture plus détendue, l’incident mis de côté sauf sur la volonté du jongleur.

« Et vous êtes par ailleurs ?

Ah, merci monsieur Havresac, je sous sûr que cela va faire du bien à notre ami.
Enfin, avec tout ceci, je crains de ne pas avoir porté l’attention convenable à vos propos sur le port, que disiez-vous donc ? Et votre point de vue aussi m’intéresse, même si je gage que vous ne faites pas exactement parti de la faune portuaire..»

La dernière phrase avait été à destination du jongleur, le regard revenu sur le pécheur sans grandes traces de l’acier que avait presque brandi précédemment, la tête penchée de côté, une curiosité véritable lisible dans ma posture.

HRP:

HRP:

- Jeune homme vous êtes un incompétent : c'est ainsi que l'on nomme les gens qui mettent la vie des autres en danger et se cherchent des excuses en blâmant le mauvais sort. Alors ne vous enfoncez pas outre-mesure et contentez-vous de faire amende honorable auprès de Monsieur de Lampaln.

Piteusement, Grim hocha la tête, levant un regard craintif vers le pêcheur qui, de nouveau, s'adressait au noble pour prendre sa défense. Et, de nouveau, Grim en était soulagé. Il ne le connaissait pas, mais il l'aimait bien, ce marin. De toute manière, de base, il aimait tout le monde. Encore plus lorsqu'on lui venait en aide.
Finalement, le Baron admit le fait qu'il y soit allé un peu fort, faisant lever la tête du jongleur pour le regarder, un peu soulagé. Lorsque ce dernier lui intima de mieux se tenir, prit au dépourvu, Grim se redressa un peu, juste un petit peu, histoire de dire, refermant la couverture devant lui pour en faire une cape et, accessoirement, pour se protéger du mistral.

Les mots du noble le détendirent grandement, bien que ses joues demeuraient rouges pivoines et ses yeux brillants de larme. Grim s'assied, au bord de la chaise, prêt à décoller et partir en courant s'il le fallait, toujours autant mal à l'aise. Le côté gauche de son visage le chauffait et il avait l'impression de sentir les pulsations de son cœur contre sa peau meurtrie.

Et le pêcheur s'éloigna, obéissant à la requête de Lampaln, les laissant seul et plongeant Grim dans le plus grand embarra. Cette fois-ci pourtant, il tenta d'affronter son regard, avec grande difficulté malgré tout : ses yeux verts se défilaient sans cesse, impressionné par le charisme qui se dégageait naturellement de l'homme.

- Premièrement, je m'excuse de vous avoir traité ainsi.
Secondement, vous devriez savoir que la différence de rang demande certains comportements, d'autant plus ici en publique.
Troisièmement … Ceci, pour votre dédommagement monsieur. J'estime à partir de maintenant que nous sommes quittes pour cette histoire. J'ose espérer que la chose est claire.

Le regard de Grim se baissa vers les pièces qu'il glissa vers lui. Un poil méfiant tout de même, le jongleur se mordilla la lèvre inférieure, avant de lever sa main pour venir jouer avec les sous, les laissant d'abord sur le table. Devait-il accepter ? Oh, au diable la fierté ! Grim avait peu de revenus, un père malade, il n'allait pas cracher sur de l'argent si gentiment offert …

- La chose est claire, bougonna-t-il du bout des lèvres avant de glisser lentement les précieuses pièces dans sa bourse en cuir. Je m'excuse pour avoir causé tant de chamboulement.

Et c'était vrai. Ce n'était pas là juste des mots balancés au hasard, pour faire plaisir, pour faire entendre au noble ce qu'il voulait. Grim s'en voulait, lui qui d'habitude préférait rester dans l'ombre et ne surtout pas se faire remarquer.

- Grim, répondit-il simplement, posant ses mains sur ses genoux.

Après tout, son nom de famille ne devait rien lui évoquer de concret. Et de toute manière, il devait s'en moquer éperdument.
On posa devant son nez un verre rempli de liquide rouge fumant qui donna l'eau à la bouche du jongleur. Il enveloppa la chope de ses deux mains, savourant la chaleur qui se diffusait dans ses paumes. Un instant, son esprit se perdit dans les formes abstraites que formait la fumée. Pauvre petit artiste qui venait de vivre une sacrée aventure … Il n'avait pas l'habitude d'être ainsi chamboulé.

- … et votre point de vu aussi m'intéresse, même si je gage que vous ne faites pas exactement parti de la faune portuaire.
- Binh … non.

Il n'avait pas suivit le dialogue, trop plongé dans ses pensées. Portant la chope à ses lèvres, il bu une longue et agréable gorgée de ce breuvage revigorant. Puis il porta son attention sur Havresac, gardant le verre serré contre lui, attentif à ses propos pour réussir à comprendre de quoi le Baron parlait. Et puis, s'il pouvait s'effacer, se faire oublier, c'était d'autan plus appréciable.

- Je n'ai aucun avis, dit-il cependant. Je ne suis pas au courant de grand chose, de toute manière.

Aucun regret dans sa voix, plus une sorte de ton fataliste qui ne le dérangeait pas : il n'était pas au courant de grand-chose, mais ne cherchait pas à l'être.

Je fus très heureux de la tournure que prirent les événements.

Lorsque le Baron invita le jongleur à prendre place je compris que les choses n'allaient pas virer au tragique. Il s’expliqua en quelques mots fermes mais rassurants puis me demanda d'aller chercher une cruche de vin chaud. Les choses semblaient s'apaiser mais je m’enquérais de sa demande en gardant un œil sur la scène de loin. Nous n'étions pas à l'abri d'un autre coup de colère du noble ou d'une maladresse su jongleur. Mais lorsque je les vis se parler les yeux dans les yeux et une bourse passer de main en main, je compris que l'affaire était close.

Voila qui était très bien : il n'y aurais pas de bain de sang aujourd'hui.

Je revins à la table ou je nous servis trois verres que nous buvions avec plaisir. Alvin De Lampln demanda au jongleur son avis sur le port, lequel se révéla n'en avoir aucun. Ce n'était pas très étonnant car il n'était pas vraiment à sa place comme l'avait deviné le Baron. Nous vidions nos chopes avant de nous lever tous les trois de concert.

Le temps resta suspendu un instant, comme si nous ne savions pas vraiment comment réagir à cette dernière heure qui fut si riche en péripéties. Un Noble et sa troupe sur le port, un bolas enflammé, un bain glacial, un coup de poing que personne n'attendais, quelques mots d'explications et une cruche de vin chaud. Il se passait toujours quelque chose sur le port, mais la journée avait décidément été bien remplie.

Je m'ébrouais discrètement pour revenir à la réalité et pris la parole.

Messieurs, je vais prendre congé et retourner à mes poissions. Je ne voudrais pas que ma pêche soit gâtée à cause de toute cette agitation. M De Lampln, je vous remercie de m'avoir écouté et je vous souhaite bonne chance dans la prise de vos nouvelles fonctions. Jeune homme, je maintien mon conseil initial de vous entraîner loin de la noblesse. A vrai dire, mieux vaut vous entraîner loin de toute matière inflammable pour éviter une catastrophe ! Bonne journée messieurs et puisse le vent vous être favorable à tous les deux.

Je me levais de table et retournais vers la cale de mon bateau pour terminer de débarquer ma marchandise.