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 Deux coupes et d'épées

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MessageSujet: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyJeu 23 Jan 2020 - 0:09
Les pluies diluviennes, qui s’abattaient férocement sur la cité, éloignaient farouchement la douceur et la chaleur, si habituelles, d'ordinaire, en ce milieu d’été. L’eau tombait violemment sur les toitures dans un vacarme continu et soutenu. Les gouttes se déversaient en torrents jusqu’aux égouts, sillonnant les crevasses et les pavés de ce dédale infini de ruelles. Des nuances grises venaient noyer la ville dans un décor morbide et maussade. De temps à autre, le fracas d’un éclair venait brutalement rompre le chant du déluge, forçant l’obscurité du ciel à s’illuminer, fugacement. Sous les hurlements de l’éther, le natif d’Aubépine marchait, ne dérogeant pas à son flegme et sa froideur naturelle, malgré l’humidité qui s’infiltrait jusqu’aux os. La main sur la garde de son épée, sa longue veste nébuleuse frottant le sol inondé, ses cheveux noirs ondulant au gré du vent, il marchait, de son allure altière, pensive, mélancolique.

Alors que les mondaines et les nobles opulents se hâtaient de regagner le confort d’une demeure sèche et conviviale, lui déambulait, oubliant presque la tempête qui s’effondrait sur lui. Les bribes de sa dernière péripétie torturant encore son esprit. Une nuée de visages horrifiés, hurlant une vaine détresse, les cadavres d’enfants jonchant les champs en jachères, les vieillards pleurant leur fils, une myriade de scènes démembrant son for intérieur, déjà trop entaché des nombreuses événements passés, ainsi que de l’angoisse de l’avenir incertain qui s’annonçait. Cornélius savait que ce n’était pas le réconfort de son logis à l’abandon ou de son acariâtre homme de main qui lui redonnerait ce baume au cœur si convoité. Ainsi, il battait ses semelles sur la bourbe qui s’amoncelait dans les ruelles, appréhendant la fadeur dépressive de son manoir.

Dans cette relativité frustrante et ironique, les portes de bois ornées de ferraille se distinguèrent de la brume laissée par le temps. Un soupire s’échappa du protagoniste, peu ragoûté à l’idée de retrouver son foyer et les sermons de son valet. Alors qu’il ouvrait nonchalamment le loquet qui fit sauter le verrou et pivoter les gonds, une aura cordiale et chaleureuse s’échappa soudainement de la demeure. Au début, l’androgyne pensa s’être trompé, mais la dégaine fière et enjouée de son domestique de longue date lui confirma, tristement, qu’il se trouvait au bon endroit. Les mains tendues vers le plafond fraîchement immaculé, le serviteur attendait patiemment l’ovation de son maître. Les pièces jadis poussiéreuses furent soigneusement décrassées, l’âtre était enflammé d’un brasier dont Cornélius se demandait d’où provenait le bois - si rare ; les lustres avaient été débarrassé des invasions de toiles d’araignées, la longue table du salon splendidement lustrée, une vaisselle brillante y était soigneusement disposée et les armoiries ainsi que les épées de feu son père scintillaient dignement au dessus des fauteuils, impeccablement nettoyés.

Trop fier pour lui administrer le moindre compliment, le Baron concédait que sa tanière avait pris une allure plus respectable, plus conforme à son rang. Cependant, il resta muet plusieurs minutes, préférant se dévêtir de ses affaires et gagner la chaleur des flammes, silencieux. Sa chemise blanche séchait rapidement, ses mains tendues vers le brasier, s’accommodèrent aisément à ces nouvelles commodités agréables. Finalement nettoyé des affres du climat, l’homme s’installa dans le siège nouvellement récuré, les jambes croisées, imposant sa prestance condescendante à son subalterne avant d’échapper un rictus discret.

« On dirait que vous vous êtes enfin obligé à vous comporter en véritable domestique ! Se moqua Cornélius, amusé. Quelle mouche vous a piqué ?
- Votre invité, monseigneur ! Echappa t-il d’un sourire malicieux. Elle ne devrait plus tarder à arriver.
- Mon invité ? S’angoissa soudainement le maître de maison. Qu’as tu encore manigancé, vile créature ?
- J’étais las de vous voir reclus comme une bête solitaire et de laisser cette demeure dépérir, aussi je me suis dit que rencontrer des gens de votre âge et de votre rang vous ferez le plus grand bien, répondit Bernard, fier de ses manigances.
- Tu as de la chance que je t’apprécie trop pour me passer de ton horrible compagnie, soupira le sang bleu avant de poursuivre. Et qui est cette personne que tu tiens tant à me présenter ?
- La baronne Esméra de Sibran, monseigneur d’Aubépine. J’ai sorti les plus belles bouteilles rescapées de nos terres et j’ai réussi à m’octroyer un faisan qui m’a coûté, enfin, vous a coûté les yeux de la tête, déclara t-il.
- Très bien, gardez le faisan pour votre dîner et puisse les dieux faire que vous vous étrangliez avec, mais avant ça, dépêchez d’aller dire à Mademoiselle de Sibran que je suis dans le regret de ref… ordonna t-il avant qu’un cognement répété contre la porte ne vienne interrompre ses injonctions, à son plus grand désarroi.
- Je crois qu’il est un peu tard pour ça, monseigneur, dit-il en ricanant avant de s’empresser d’ouvrir la porte et de surjouer un air surpris ridicule. Baronne de Sibran, quelle surprise ! Mon maître et moi vous souhaitons une chaleureuse bienvenue dans la demeure d’Aubépine ! »
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Esméra de SibranBaronne
Esméra de Sibran



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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyJeu 23 Jan 2020 - 14:10
- Hâtez-vous, Madame, votre cape est en train de se gorger d'eau.
- Etienne, par pitié...Je suis assez grande pour le constater toute seule!


Quel étrange duo que ce couple composé de la baronne et de son garde. L'un a la démarche athlétique de l'homme prêt à faire à face à toutes les situations, l'autre tente de rester debout sur les pavés glissants, sautant parfois au-dessus d'un petit ruisseau d'eau de pluie que les rigoles de pierre avaient du mal à canaliser. A chaque pas, elle sent sa cape s'alourdir, tout autant qu'elle ressent le bas de sa robe s'humidifier dangereusement. Elle est d'ailleurs à présent obligée de la lever un peu pour lui éviter d'arriver chez le baron dans un piteux état.

- Est-ce loin?
- Nous y sommes. Prenez mon bras.


Tenant sa robe d'une main, le bras d'Etienne de l'autre, elle attend, totalement enveloppée dans sa cape, le temps qu'on vienne ouvrir. Elle dit, à voix basse:

- Reste dans les parages, s'il te plaît. Je ne veux pas rentrer toute seule.
- Bien, Madame.


Elle a confiance en lui, elle sait qu'il trouvera un endroit adéquat d'où il sera à même de surveiller la résidence du baron d'Aubépine dont il ne sait presque rien. C'est donc une totale découverte pour Esméra qui a au moins, d'ordinaire, un coup d'avance sur son interlocuteur. Grâce à son garde qui écoute les rues et se renseigne pour son compte, elle sait des choses, généralement assez pour se faire une première opinion des gens sans les avoir rencontrés, ce qui donne toujours un avantage. Là, par contre, elle est en terrain complètement inconnu ce qui n'est pas pour lui déplaire. Un peu de nouveauté et de surprise, c'est toujours ça de pris dans un vie telle que la sienne.

Un serviteur vient ouvrir la porte avant de se lancer dans une exclamation de bienvenue surjouée qui ne manque d'étonner Esméra. Celle-ci glisse un regard discret vers Etienne en soupirant, avant de lâcher son bras et d'entrer, défaisant sa cape alourdie par la pluie pour la tendre ensuite au domestique.

- J'espère ne pas être en retard, la pluie est assez...intense.

Une fois débarrassée de son vêtement, elle remet un peu d'ordre dans une tenue d'une discrète élégance. Elle porte une longue robe bleu nuit aux longues manches collantes, d'une coupe qui souligne à merveille sa silhouette élancée. Ses longs cheveux d'ébène sont retenus par un filet de perles d'acier duquel s'échappent une mèche de chaque côté de sa tête, près de chaque oreille, tombant en boucle sur ses épaules gracieuses. Sa taille est ornée d'une longue ceinture de velours noirs ornée de galons argentés et tombant à ses pieds. Si sa gorge n'est ornée d'aucune parure, elle porte cependant à son doigt le sceau des barons de Sibran, un anneau d'or gravé des armoiries familiales.

- Pouvez-vous me mener au baron, je vous prie?

Elle suivra le domestique en silence, se déplaçant comme un nuage, sans le moindre bruit, les mains croisées sur le devant de sa robe. C'est une nouveauté, pour Esméra. Un repas, en compagnie d'un de ses pairs, en dehors des mondanités courantes ou des bals ennuyeux. C'est la curiosité qui l'a poussée à accepter cette invitation et elle compte bien en profiter un peu. Le temps de rejoindre le baron, elle regarde les lieux avec un sourire léger. C'est sombre mais plutôt propre et confortable. Elle a un regard approbateur pour cette splendide table couverte de vaisselle luisante, tout comme pour ces épées brillantes disposées au dessus des fauteuils. Cessant son observation, elle s'arrête près de son hôte et esquisse une ravissante révérence avant de se redresser, attendant qu'il la salue avant de prendre la parole, ainsi que l'étiquette le commande.
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyJeu 23 Jan 2020 - 23:18
« Baronne Esméra de Sibran, déclara le domestique d’une voix cérémonieuse en tendant sa main en direction du maître des lieux, j’ai l’honneur de vous présenter le baron Cornélius d’Aubépine. Baron d’Aubépine, continua t-il ennuyeusement dans ses interminables formules de courtoisies, Mademoiselle la baronne de Sibran, tendant ses mains, cette fois-ci, dans la direction opposée.
- Baronne, s’inclina t-il révérencieusement avant de lui déposer un baiser solennel sur la main qui supportait l’imposante bague ornée – certainement, des armoiries de sa dynastie. Le noble dissimula tant bien que mal sa surprise et son angoisse, par son habituel flegme condescendant, ajoutant quelques galanteries certainement fort bienvenues. Puis-je vous convier à vous réchauffer près de l’âtre ? Continua l’albâtre en lui indiquant le fauteuil qui jouxtait délicieusement, les flammes réconfortantes de la cheminée. »

Entremêlé maladroitement d’un ton à la fois sec et délicat, le sang bleu laissa planer un moment de silence, incapable de briser la glace de cette scène, gênante. Laborieusement, il tenta de hurler sa profonde détresse dans des signes de têtes à son valet qui s’extirpa malicieusement, vers les cuisines. Décidant par s’asseoir pour dissimuler cette habituelle pression, l’envahissant dès que l’on dérogeait à cette solitude qu’il chérissait tant. Malgré qu’il affirmait connaître tous les rouages, les us et les coutumes de la cour, ces ritournelles hypocrites l’exécrait, profondément même, lui remémorant les longues heures d’enseignements, fastidieuses et insipides. Comble pour l’incarnation du raffinement, le natif d’au delà du duché avouait avoir toujours privilégié l’art de l’escrime, bien que les adversaires de bois et de pailles se soient rapidement subrogés en des créatures ignobles, sorties des tréfonds des ténèbres.

Toujours muet, l’androgyne fixait ses iris noisettes sur son invité, la décortiquant de son regard antipathique. Cornélius scrutait chaque détail, chaque attention méticuleusement portée à la justesse, à l’élégance et à l’exécution parfaite de sa tenue. Ses courbes, son visage, chaque élément s’accommodait dans une composition sans défauts, ni outrances ; une osmose simplement parfaite. Ni traits, ni réactions ou oscillations dans sa voix n’exfiltraient les contours de son caractère, voilé par les dogmes fades – et parfaitement exécutés, de l’Etiquette de la noblesse. Certainement incommodant, le baron ne savait guère comment enrayer ce malaise, jusqu’à qu’un bruit brise le calme morbide. De prime à bord, un son de bois fendu, des coups répétés et rythmés, accompagnés de cris d’efforts dont le maître des lieux reconnu l’origine jusqu’à que le perturbateur en costume ne regagne la scène. Il portait, étrangement, ne hachette sur l’épaule et un amas de bois sous le bras, ressemblant à un meuble désossé.

« Cela ne vaut pas le chêne ou le bouleau, mais ça fera l’affaire, déclara t-il fièrement avant de jeter les bribes du mobilier dans la gueule vorace de la cheminée, puis de regarder son œuvre, les poings sur les hanches. Vous m’aviez dit que vous n’aimiez pas cette commode en noyer, de toute façon, se justifia t-il alors que la mauvaise combustion du meuble déclencha une nuée de crépitements intempestifs.
- Pardonnez-le, ces années de labeur l’ont amoin… tenta de parler le noble avant d’être coupé, une fois de plus, par son servant.
- Par tous les dieux, ne laissez pas le vin carafer trop longtemps, dit-il en s’agrippant la tête des deux mains, outré. Il va perdre de son ârome, continua t-il en se précipitant vers la carafe de vin rouge sur la table basse où trônait de chaque côté, deux verres. L’homme tourna quelques instants le liquide carmin dans le récipient de cristal, avant de le verser gracieusement dans les deux coupes, finissant par les proposer élégamment aux deux nobles.
- Voyez-vous, Esméra – si vous permettez que je vous nomme ainsi, mon fidèle domestique a préféré emporter des bouteilles de vin de nos terres d’Aubépine, plutôt que nos richesses, expliqua t’il à son invité. Ainsi, nous sommes ruinés, mais encombrés d’alcool, conclue t-il amusé.
- Tous les trésors ne sont pas d’or et d’argent, monseigneur, argumenta le valet avant de se saisir d’un troisième verre et de s’en servir un doigt, qu’il but d’une traite avant de le conserver dans sa bouche quelques instants, puis de le recracher dans les flammes. Il est tout simplement parfait ! J’ai toujours peur qu’il n’ait pas supporté le voyage et qu’il soit bouchonné, ajouta t-il avant de se retirer de nouveau. »

Les années avaient beau l’avoir habitué aux esclandres de son compagnon de longue date, l’être singulier arrivait encore à le surprendre. A contrario d’il y a quelques minutes, Cornélius n’osait plus regarder la demoiselle dans les yeux, préférant se concentrer sur la robe du nectar pendant plusieurs minutes, avant de, finalement, daigner divulguer, maladroitement, quelques mots.

« Il est étrange, mais c’est un ami fidèle. En revanche c’est un serviteur désastreux, dit-il en échappant un léger sourire. Je trinque à votre santé, Esméra, dit-il en se levant et tendant son verre vers elle. Que puis-je vous souhaiter de bonne augure dans ces jours sombres qui s’annoncent ? »
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Esméra de SibranBaronne
Esméra de Sibran



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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyVen 24 Jan 2020 - 11:26
Le pompeux domestique ayant fini ses présentations pleines d'ostentation, Esméra demeure seule avec le baron qui l'accueille d'un très élégant baise-main exécuté à la perfection. Quel changement, quel savoir-vivre, en comparaison de tous ces butors qui croisent parfois son chemin. Un fin sourire appréciateur se dessine sur son visage d'ange alors qu'à la requête de son hôte, elle prend place près de l'âtre pour s'installer dans un confortable fauteuil, le dos droit, les mains croisées sur se genoux, dans le respect le plus strict des codes propres à ce genre de soirée. Inutile d'effrayer le baron avec ses manières personnelles qui n'ont absolument rien de strict et qui n'ont rien à faire ici. Faire bonne impression, passer une bonne soirée, établir un contact et pourquoi pas s'amuser, plus tard, quand le baron aura terminé son inspection de sa personne.

- Je vous remercie Baron. La pluie tombe intensément, il est bien agréable d'apprécier un peu de chaleur après avoir traversé les éléments pour vous rejoindre.

Esméra, elle, pose un regard impassible et parfaitement détaché sur son hôte même si elle note de flagrantes dissonances avec ses pairs masculins. Alors que la norme, parmi eux, semble se situer à mi-chemin entre le fermier gentilhomme et le guerrier en fin de vie, il est, lui, d'une resplendissante jeunesse, ce qui ne manque pas de l'intriguer. Elle ne peut toutefois s'empêcher de noter l'allure de cet homme encore jeune. Des yeux noisettes inquisiteurs et perçant à la fois, un corps qu'elle devine gracile sous les habits masculins, une pâleur et une prestance presque féminine, une splendide chevelure...Oui, le baron d'Aubépine est bien loin de correspondre à ses pairs. Et c'est très bien comme cela.

- Puis-je prendre quelques instants pour vous rem…

Elle avait voulu apaiser cette étrange tension qui accompagne toujours les rencontres entre deux personnes qui ne se connaissent pas mais fut interrompue par un bruit retentissant qui la fit s'arrêter net. Elle eut un regard pour l'endroit d'où venait le bruit puis reporta son attention sur le baron, intriguée, vaguement inquiète.

- Que se passe-t-il?

Elle n'eut pas à attendre bien longtemps avant d'obtenir sa réponse. Le serviteur qui l'avait accueillie revint vers eux, une hache sur l'épaule, du bois sous le bras, bois qu'il jette dans les flammes, d'un air absolument satisfait, avant de s'exclamer de la plus inconvenante des façons à propos du vin qu'il servit aux deux nobles. Esméra, elle, haussa un sourcil, puis l'autre, observant ce manège étrange sans dire un mot, avant de regarder le baron qui semblait confus au dernier point. Qu'est-ce que cela signifie? Elle prit le verre tendu, écouta les explications étranges de Cornélius, sans plus porter la moindre attention au grossier merle qui lui servait de domestique jusqu'à ce qu'il se retire, enfin. Il serait de la dernière inconvenance de faire une quelconque remarque à son hôte à propos de ce serviteur exubérant mais elle put s'empêcher de faire la comparaison avec ses propres serviteurs, des êtres discrets et calmes, à l'exact opposé de cet être grossier qui se pavane, la hache sur l'épaule, le poing sur la hanche.

- Vous avez eu de la chance d'avoir pu emporter de tels rappels de vos terres, Cornélius, répondant de cette façon à sa demande de l'appeler par son prénom. Lorsque j'ai fuit le domaine de Sibran, je n'ai pu emporter que deux ou trois objets de valeur. J'aurais apprécié d'emporter...quelques souvenirs.

Le tout est dit d'une voix douce, calme et posée mais il pourra sentir sous ces paroles une réelle tristesse. Elle est aussi ruinée que lui et cherche à faire bonne figure, ce qui n'est pas toujours aisé quand on ne dispose de presque rien qui soit personnel. Une tristesse vite dissipée alors qu'elle lève son verre, de la plus gracieuse des façons en ajoutant:

- Puissent les Trois nous accorder des jours de lumière et de joie, et exaucer nos souhaits les plus chers!

Elle eut un vrai sourire charmant pour le baron avant de boire une petite gorgée, toute en mesure, de ce vin qui est absolument divin. Un sourire de satisfaction étire ses lèvres lorsqu'elle reprend la parole:

- Je confirme les dires de votre serviteur, ce vin est une merveille absolue.

Elle prit le temps de gouter à nouveau avant de regarder les éclats de meubles brûler dans les flammes de l'âtre, rêveuse. Adorablement rêveuse. Elle se reprit, au bout de quelques instants, continuant ses paroles de cette même voix douce et reportant son attention sur la baron:

- Je disais donc, avant d'être interrompue par la venue de votre serviteur, que je souhaite vous remercier pour votre charmante invitation. Je n'ai pas beaucoup d'occasions de rencontrer mes pairs si ce n'est à des bals où personne ne danse ou des soirées mondaines où tout le monde se regarde en se demandant qui fera le premier faux pas. J'imagine que vous voyez parfaitement ce que je veux dire par là. Mais dites-moi...Depuis combien de temps résidez-vous ici? Je n'ai jamais eu l'honneur de vous rencontrer, à quelque manifestation que ce soit. Venez-vous d'arriver en la cité?

Elle dirige la conversation, percevant le malaise de son hôte. En cela, elle se comporte en invitée charmante, cherchant à le mettre à l'aise, à sa manière.
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptySam 25 Jan 2020 - 23:51
Le déluge continuait de s’abattre sur les immenses vitres du manoir, battant continuellement sur les immenses fenêtres tout en enrobant la conversation d’une douce mélodie, naturelle et pure. Dans cette rixe des éléments, la comtesse de la nuit démarrait son ascension dans la voûte tourmentée, laissant l’astre diurne décliner, vaincu. Bien que les protagonistes ne se préoccupaient pas des forces lointaines qui se déchaînaient, elles contribuaient, implicitement, à l’atmosphère conviviale qui régnait dans la demeure. Dans ce moment anodin, empli de simplicité, chaleureusement concentré autour d’un brasier salvateur, un millésime entre les mains, les aléas macabres du quotidien n’étaient que des souvenirs désagréables, oubliés. Malgré son aversion pour les mondanités, Cornélius se résignait à apprécier la légèreté de cette rencontre. Dans cette transe délicieuse, la banalité devenait le tout, le reste devenait insignifiant. Il n’existait plus rien, seul l’instant présent perdurait, le futur lui, s’éloignait. Etait-ce donc cela vivre ?

La mauvaise surprise de son compagnon s’estompa, pour ne garder que le meilleur, le bon, l’essentiel. Bien qu’il serait difficile d’envisager le maître des lieux s’extasier outre mesure, il exhiba un sourire à son invité, un geste qui en disait long sur son glacial personnage. Plutôt que de s’hypnotiser dans les tréfonds carmins de son verre qu’il tourbillonnait nerveusement, il fixait la baronne dans les yeux, écoutant les mots qui s’exfiltraient de sa voix douce et mesurée. Dans sa clairvoyance affinée, le sang bleu savait qu’elle se réservait, poliment, se contentant de le désosser sur regard. A défaut d’être de bonne compagnie, le noble voulait emplir cette soirée de vérités et non de courbettes puériles sucrant le vrai par le faux. Dans son for intérieur complexe, l’homme trinquait à une soirée sans mensonges, seulement à l’authenticité, à l’évidence.

Dans son introspection, l’albâtre avait perdu la notion du temps, priant les dieux que ses réflexions n’est pas générées un long malaise silencieux. Finalement interpellé par le timbre gracieux de son hôte, il s’extirpa du monde spirituel, revenant à cette réalité agréable.

« La chance, je crois qu’elle m’a accompagnée, malheureusement, trop longtemps. Les artistes qui ont contribué à ce nectar n’ont pas eu la fortune de pouvoir faire perdurer l’œuvre de leur vie, répondit-il sur un ton désolé. Mon mal être, aussi mal formulé soit-il, n’est pas dû à un caprice luxueux, mais de la honte qui m’accompagne, de n’être qu’un survivant et non un sauveur… déclara t-il en exhibant un regard mélancolique, coupable. Cependant, Esméra, sachez que je compatis aux malheurs qui vous sont arrivés. Je le regrette et je pris chaque jour que les dieux fassent, de pouvoir contribuer à des lendemains meilleurs.
- Ne l’écoutez pas mademoiselle, dit le servant en sortant de l’ombre pour remplir les coupes des deux nobles, il ne cesse de se morfondre, préférant se lamenter plutôt que d’aller de l’avant, déclara t-il, outrepassant son rôle primaire avant de s’extasier des compliments de la dame de Sibran sur la qualité du vin. Enfin quelqu’un selon mon coeur, déclara t-il en s’inclinant, ne s’attardant point sur ses vœux optimistes et naïfs. Une âme pure qui sait apprécier les bonnes choses que les dieux nous offrent ! Aubépine étant une terre rocheuse s’échouant jusqu’à la mer et disposant d’un versant éclairé, nos terres produisent un raisin délicieux, idéal à la conception de notre vin, expliqua t-il avant de se retirer une nouvelle fois dans les cuisines.
- Esméra, puisse les divins vous entendre, déclara, humblement, le natif d’Aubépine en levant sa coupe, préférant se satisfaire du charmant sourire qui lui était accordé, plutôt que de relever l’énième écart de son valet. »

Cornélius but une gorgée du vin, prêtant toujours une oreille attentive à chaque parole de sa convive. Lorsqu’une question réveillait involontairement ses complexes, ses gênes, l’angélique chevalier avait pris l’habitude de fuir du regard, préférant musser la fragilité de son for intérieur meurtri. Le verre à la main, il se leva et se saisit, de sa main inoccupée, du tisonnier pour triturer le bois dans le feu, tournant ainsi, discrètement le dos à la baronne. Son attention se portait sur la valse ardente du feu, y cherchant désespérant, l’inspiration et les mots justes.

« Pour être totalement franc avec vous, Esméra, c’est Bernard qu’il faut remercier pour cette agréable soirée, avoua t-il avant de boire une gorgée de plus. Il est l’instigateur vicelard de cette rencontre, je n’ai appris votre venue que quelques minutes avant vous. Sans lui, pour veiller à ma vie sociale, je ne serais qu’une ombre dans un manoir poussiéreux. Mon apparence, mon mutisme ou mes origines étrangères font de ma compagnie un calvaire, plus qu’une aubaine. Grâce aux dieux, mon valet s’évertue depuis des années à maintenir mes titres et mon rang à flot. A défaut d’être un servant irréprochable ou saint d’esprit, il est le grand frère que toute personne rêverait de posséder, je lui dois énormément, je… avant qu’une voix d’une pièce voisine n’entrave ses confessions.
- Vous pouvez m’augmenter, en guise de remerciement, monseigneur ? Hurla le domestique, ignoré par le maître de la demeure.
- Pour continuer mes lamentions, je dois vous confesser que je suis un danseur très médiocre, concéda t-il d’un rictus discret avant de continuer ses réponses. J’habite ce manoir depuis plusieurs années, je ne saurais vous dire quand, ayant perdu le compte des jours depuis longtemps, trop longtemps. »

L’androgyne regagna finalement son fauteuil, terminant le fond sa coupe. Il n’osait point regarder son invité dans ses yeux en amandes, préférant se concentrer sur le sol, timidement. Dans cet enchevêtrement de paradoxes complexes qui formaient son psychique confus, l’homme ne savait quoi faire. Il était une bête sauvage, intimidé par l’imprévu, mais pourtant curieux, attiré par une force invisible qui le poussait à se risquer, à bafouer ses instincts primitifs.

« En espérant que vous pardonnerez mon impolitesse, qu’est-ce qui peut bien pousser une demoiselle à se risquer dans la demeure d’un inconnu ? En ces temps funèbres, où trouvez vous encore le courage de vous confronter à l’imprévu, à braver l’inexploré ? »
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Esméra de SibranBaronne
Esméra de Sibran



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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyDim 26 Jan 2020 - 16:34
Faire fi de l'attitude envahissante du serviteur est tout un exercice de patience et de mesure. Que les gens sont donc grossiers. Une chance que le maître des lieux fasse pencher la balance du côté du bon goût et des excellentes manières sans quoi elle aurait prétexté n'importe quoi pour s'en aller. Ses interruptions intempestives sont tout à fait déplacées. Gardant le sourire et une attitude digne, Esméra eut toutefois un regard lourd de sens pour cet homme étrange qui se comportait en maître alors que le véritable seigneur, lui, ne semblait plus du tout préoccupé par les événements de ce monde, plongé dans une rêverie étrange alors qu'il remue les braises de l'âtre à l'aide de son tisonnier. Cela lui donne l'occasion de l'observer un peu mieux.

Il y a quelque chose de touchant dans son attitude pleine de réserves et de timidité. Il est jeune, cela ne fait aucun doute, il a encore cette grâce du corps qui vient de quitter l'adolescence, des gestes mesurés, des hésitations charmantes. Il a cette fragilité intense dans le regard, dans les gestes, dans toute son attitude, une fragilité qui incite à serrer contre soi comme elle le ferait d'un petit enfant perdu dans un chateau trop grand, errant au milieu de meubles trop lourds. Même le geste de se lever pour remuer des braises, afin de se donner une certaine contenance, sans doute, ne parvient pas à cacher le fait que le baron est en proie à un malaise. Un malaise dont elle obtient l'explication en quelques mots étranges, où il est question de ce Bernard, se chargeant lui-même de l'invitation à cette soirée, ce qui a au moins le mérite d'expliquer l'embarras de Cornélius et la joie triomphante de ce domestique insupportable. Esméra, elle, reste parfaitement maîtresse d'elle-même en apprenant la nouvelle.

- Le choix de Bernard aurait pu être infiniment plus judicieux. Nul doute qu'il existe en ces lieux de nobles dames et de nobles chevaliers bien plus élégants, plus charmants, plus à même de mener une conversation digne de ce nom ou qui pourrait vous sortir de cet étrange torpeur que je perçois dans vos gestes. Cela étant...Je suis ravie qu'il se soit trompé et d'être en votre compagnie ce soir. Il est plaisant, de temps à autre, de sortir de ma demeure pour rencontrer un membre de la noblesse qui ne soit pas une horrible colporteuse de ragots ou un fat personnage pétri de suffisance.

Elle a un sourire plus large que les autres cette fois. Elle a bien compris que le noble baron qui lui fait face, ce soir, est avant tout un être effacé, un dormeur qui doit se réveiller, se complaisant dans une solitude qui finira par l'éteindre. La baronne boit une nouvelle gorgée de ce divin nectar avant de prendre appui contre son fauteuil et de regarder, pensive, la danse des flammes dans l'âtre. Que cela lui avait manqué. Une discussion simple et sans fioriture devant un bon feu, un verre de vin à la main, en compagnie d'une personne de qualité. La dernière expérience du genre datait d'avant le bal royal. Elle songea une fraction de seconde au Vicomte de Terresang, se demandant ce qu'il a bien pu advenir de lui. Elle n'a bien évidemment pas répondu à son invitation à le rejoindre au Labret, pas après qu'il se soit aperçu de ses manigances et de sa supercherie au bal. Leurs regards se sont croisés, cela avait suffi apparemment pour éloigner définitivement le Vicomte. On ne rejoint pas un homme tel que celui-là après lui avoir menti, pour de bonnes raisons certes, mais menti tout de même. Nul doute qu'à leur prochaine rencontre, s'il y en a une, il ne manquera pas de lui faire la remarque avec toute la vivacité dont il est capable et qui est connue de tous. Enfin…

Elle tourna alors la tête pour plonger son regard dans celui du baron, d'un air tranquille. Sa dernière question ne manque pas de sens. Elle y répond, avec toute la franchise qui la caractérise:

- Je suis ici ce soir parce que j'en ai envie. Et que c'est très précisément l'inconnu qui est l'impulsion de toute ma vie, baron. L'inconnu, l'aventure, toutes ces choses qu'on destine aux hommes et que je peux vivre ici sans que personne ne m'en empêche.

La jolie baronne porta à nouveau son verre à ses lèvres, profondément amusée à présent. Cela peut paraître absolument outrageant mais c'est bien cela qui caractérise cette femme. Dépasser les limites, vivre des expériences tant que la vie le lui permet. Et parler de cette façon, directe et sans détour, à un homme de sa caste reste le plaisir qui la fait frémir le plus. Comme si c'était le seul moyen de se réapproprier sa propre personnalité après des années sous tutelle masculine. Elle a d'ailleurs un regard pour ces épées qui trônent au-dessus des fauteuils. Une fois de plus, l'image du Vicomte, baton à la main, lui revient. Quelle soirée ce fut pour elle!

- Sont-ce vos épées, Cornélius, ou ne sont-elles destinées qu'à la décoration?
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyMar 28 Jan 2020 - 11:55
La douce flambée continuait de réchauffer la pièce, vacillant et dandinant dans la voûte de pierre noircie par les âges. Sur le plafond à demi-éclairé, son ombre dansait, amplifiée par les perspectives invisibles de la demeure. Son oscilliation irrégulière et sombre éclairait, par alternances, l'immense salon, illustrant délicieusement, les mystères qui planaient sur la suite de la rencontre. La carafe, encore récemment noyée de teintes écarlates, se vidait au fur et à mesure, hydratant les lipes actives des deux protagonistes. D'un oeil omniscient, le baron appréciait la scène, entremélée de confessions et de secrets à semi-révélés. De son autre oeil, le naïf, le curieux, le natif d'Aubépine se laissait inhabituellement porter par les palabres de sa convive, savourant le vin qui s'épuisait, trop hâtivement.

Dans cette avalanche de questions et de réponses, quelques phrases affectives se dessinaient entre les lignes, explicites et maniérées. Plus qu’une quelconque gêne, d’en être ainsi la cible, c’était l’agréable sensation d’être mis en valeur par une personne connue depuis quelques instants, seulement. N’étant pas habitué à la moindre marque d’affection de qui que se soit, Cornélius préféra répondre à ces compliments d’un silence glauque, se contentant poliment de remplir la coupe de son interlocutrice, lorsque le liquide pourpre déclinait, regagnant ensuite son fauteuil pour dévorer froidement du regard, les sourires discrets qui lui étaient adressés. Les jambes croisées, sa coupe posée sur ses genoux, la main disponible immobile sur l’accoudoir en velours, l’aristocrate achromique écoutait chaque son, chaque mot extirpé de sa bouche gracieuse, chacune des palabres qui emplissait le manoir, exceptionnellement, de bruit et de vie.

L’ultime tirade retint cependant son attention, en tant qu’humain brisant – involontairement - les dogmes de la noblesse, autant que par son physique hors du commun que par son attitude singulière, le corbeau ne pouvait permettre de laisser des mœurs dépassés, entravant le progrès, se perpétuer en ces lieux. Ainsi, le sang bleu brisa son vœu de silence pour instaurer une règle, l’unique, la seule qui valait ici.

« Esméra,  l’interpella t-il pour attirer délicatement son attention,  sachez que vous n’aurez nuls besoins d’être quelqu’un d’autre en ma demeure, la seule chose qui vous sera ordonnée en ma présence, c’est d’être vous même,  lui exhorta t-il. Je ne supporterai guère que mes rares moments de complicités ne soient altérés par des manières ancestrales ou des précautions qui n’ont pas lieux d’êtres, ici. »

Le regard de son invité s’égara soudainement sur le mur où s’exposait un bouclier ornée d’un arbuste d’Aubépine en fleurs, transpercé de deux épées, parfaitement briquées. Sa curiosité s’échappa d’une interrogation, Cornélius ne sachant pas s’il s’agissait d’un intérêt purement banal pour alimenter la conversation, ou d’une indiscrétion enrobant des désirs plus profonds. Dans une cité en crise, voir des armes dans le logis d’un noble n’étaient pas des choses rares, en soit. Alors pourquoi cette attention soudaine ? Surtout venant d’une femme de son rang, qui d’ordinaire ne prêtait guère d’appétence pour ces orfèvreries de fer et de mort. L’androgyne posa sa coupe sur la table, se levant, muet, décrochant l’une d’elles pour la tendre délicatement à la dame de Sibran. Attentif, il scruta chacune de ses réactions, tentant discrètement de relever ces curiosités sous-jacentes, qu’il suspectait chez elle.

«  Non, répondit-il avant de ce rasseoir. Elles étaient à mon père, j’ai vainement tenté de m’en accommoder, comme le font les héritiers mâles de notre lignée, mais elles sont trop lourdes et encombrantes, puis… 
-  Le repas est fin prêt, scanda le domestique avant de s’avancer jusqu’à la table puis de regarder la demoiselle tenir une épée entre les mains, offusqué.  Madame ! Je vous conjure d’en prendre grand soin, ne la faite surtout pas tomber, j’ai passé des heures à les astiquer,  déclara t-il d’un air condescendant avant de retourner à son service en grommelant discrètement, quelques mots que les deux sangs bleus avaient, évidemment, entendu. Une femme avec une épée, ça porte malheur... »
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyMer 29 Jan 2020 - 11:24
La baronne suivit tous les mouvements de son hôte, avec la plus grande attention, alors qu’il décrochait une des épées de son support mural pour ensuite la lui tendre. Incrédule, elle resta là à le regarder sans comprendre de prime abord puis enfin elle déposa à son tour son verre sur la table avant de se lever et d’approcher, sans dire un mot. Elle le regarde lui, hochant la tête pour être certaine qu’il l’invite bien à se saisir de l’arme, puis regarde l’épée, avec un sourire radieux avant d’en saisir la fusée, serrant ses longs doigts fins sur le métal bandé de cuir et de l’extirper des mains du baron, qui la laisse seule face aux flammes afin de reprendre sa place. Elle pouvait sentir son regard sur elle mais elle n’en avait cure. Sans le savoir, le baron d’Aubépine venait de se faire une amie, une alliée.

Esméra pouvait enfin apprécier tout le poids d’une telle arme au bout de son bras sans que personne ne vienne troubler ce moment d’une étrange communion. Peu importe ce qu’il pouvait bien penser de son invitée, elle pouvait enfin regarder de plus près, porter, manier avec d’infinies précautions. Elle put sentir ses muscles se tendre alors qu’elle la soulève un peu pour poser la lame sur la paume de son autre main afin d’en admirer le travail. Elle s’approche un peu des flammes pour mieux voir, en silence. Le baron d’Aubépine pourra l’observer sans la moindre difficulté, Esméra est littéralement transfigurée. C’est un visage éclairé d’une intense satisfaction qui se tourne vers lui alors qu’elle murmure :

- Merci…

Elle reporte son attention sur l’objet et ajoute, d’une voix douce et étrangement apaisée :

- La lame est émoussée…Cela fait bien longtemps qu’elle n’a pu rendre un quelconque service.

Se tournant tout à fait pour lui faire face, sa silhouette éclairée par les flammes dansant derrière elle, elle doit faire un bien curieux portrait, un spectacle inhabituel, d’une singulière beauté et d’une mélancolie étrange. Quel plaisir peut bien envahir son être à tenir ainsi une arme telle que celle-là ? Elle lui apporte une réponse, baissant à nouveau son regard sur l’épée, en disant, de sa douce voix chantante :

- Personne ne m’a jamais laissé porter une épée. Mon père s’y refusait. Mon défunt époux aurait préféré me couper les mains plutôt que de me voir porter un tel objet. Même mon garde s’y refuse, prétextant le poids, la lourdeur, l’encombrement. Alors je me contente d’un stylet, qui a l’avantage d’être maniable et léger. Un demi pain vaut mieux que pas de pain du tout, c’est ce que je me dis tous les jours, sans parvenir à m’en convaincre.

Grande, mince et dégageant une aura de délicatesse subtile, on pourrait presque s’attendre à ce qu’elle rende l’épée parce qu’effectivement son poids est assez conséquent. Cependant il n’en est rien. Esméra est une fervente adepte des exercices, des courses, de toutes les activités physiques qui en font une femme aux longs muscles fins et secs, sous une peau de velours. Elle porte l’épée sans aucune difficulté. La manier en plein combat serait sans aucun doute une autre histoire mais en tout cas elle ne s’en plaint pas. Elle allait ajouter quelque chose mais l’entrée du serviteur met fin à la magie du moment. Comment expliquer ce que ressent Esméra aux paroles pleines de condescendance du serviteur ? Le visage de la baronne se ferme en une fraction de seconde, elle ne quitte pas le serviteur du regard, un regard peu amène et brillant d’une colère à peine contrôlée.

- La faire tomber ? Vous voulez dire…comme ceci ?

Elle reporte son attention sur son hôte. La main qui soutient l’arme s’abaisse, avant d’effectuer un mouvement de contre poids, alors que sa main gauche serre son emprise sur la fusée et effectue un mouvement rapide en direction du baron d’Aubépine. La lame s’arrête à bonne distance de sa gorge mais l’objectif aurait pu être atteint si l’effort n’avait pas été aussi intense. Le mouvement, uniquement propulsé par sa colère froide, a été ralenti par le poids considérable de l’épée. Le bras gauche tendu par l’effort vers le baron, l’épée luisant sous l’effet de l’âtre, elle ne le quitte pas des yeux, le cœur battant. Elle s’adresse à Bertrand, tout en ne quittant pas Cornélius des yeux, esquissant un sourire :

- Il est vrai qu’il serait dommage qu’elle tombe sur votre maître. Quelle maladroite je ferais, n’est-ce pas ?

Elle abaisse l’arme et s’approche de Cornélius et la lui tend, afin qu’il la replace au mur. Elle a un regard espiègle pour le baron.

- Les préceptes ancestraux et les précautions n’ont pas lieu d’être ici, ce sont vos propres mots.

Elle recompose alors un visage parfaitement serein, toisant le serviteur de toute sa stature, tout en replaçant les plis de sa robe, impeccable de froideur et de mesure. Elle sait parfaitement que ce petit éclat risque fort de compromettre cette soirée qui s’annonçait pourtant délicieuse. La soirée et sa réputation. Quoiqu’il en soit, le sang vif et bouillonnant de la baronne a pris le dessus. Cornélius peut décider d’écourter la soirée ou de la prolonger, mais :

- Si votre serviteur cuisine aussi bien qu’il ne parle, le repas s’annonce exceptionnel.

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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptyVen 31 Jan 2020 - 15:11
« Ce ne sont que des tristes vestiges de mon passé, désormais, répondit l'androgyne en fixant le métal scintillant, elles suffoquaient sous la poussière depuis des années, mais Bernard ne semble pas s'être résigné à les laisser périr, termina t-il en regardant Esméra admirer l'arme. »

Lorsque l'épée était entre ses mains, son aura paressait changée, estompant la polie et courtoise baronne qu'elle peinait à exhiber, au fil que la soirée s'écoulait. Ce n'était pas cette vision d'un enfant capricieux comblé par un nouveau jouet, ni le simple plaisir de bousculer les codes de la société, mais cette incommensurable puissance qui s'emparait de son cortex lorsque l'arme prolongeait ses bras délicats. Cornélius connaissait cette sensation, pour y avoir tant de fois était confronté. A cet instant précis, ou le pouvoir de vie ou de mort se tenait dans ses mains, tous les titres et honneurs disparaissaient. Il n'y avait plus d'homme ou de femme, plus de roi ou de serf, plus de noble ou de miséreux, seulement le guerrier et son destin, la vie ou la mort. En ces quelques instants ou la survie et le trépas se confondaient sur un seul fil, à ce moment précis, le mot liberté prenait tout son sens. Etre à la fois l'instigateur et le spectateur de cette scène singulière lui procurait une satisfaction, une fierté qui se dessina à la commissure de ses lèvres, déformées d'un rictus discret. Finalement, les quelques mots qu'elle prononça, atténuèrent sa fougue, substituant cette hargne par une mélancolie, semblant la tourmenter depuis des années.

« Vous savez Esméra, je ne me prétends pas habilité à juger du bienfondé, ou non, de ces coutumes ancestrales, débuta t-il, de son ton froid et austère. Cependant, l'aube du chaos me parait être le bon moment pour que toutes les forces disponibles sachent manier le glaive et le bouclier. Lorsque la fange frappera aux portes des nobles, quelques guerrières aguerries ne seront pas de trop, pour freiner l'avancée de ces créatures. Eux ne feront pas de distinctions, ni de manières. Ne laissez donc pas des préceptes – bientôt révolus, entacher votre libre arbitre. Entretenez-le, à l'abri des regards, conclue t-il. »

Immobile, imperturbable, l'angélique chevalier pensait que ses palabres s'étendraient sur une discussion des dogmes de la société, interminable et fastidieuse. Il fut finalement surpris que le dialogue tourne dans un débat plus rythmé, provoqué par le domestique qui avait mis la patience de la dame de Sibran à rude épreuve. Le natif d'Aubépine l'avouait, son étrange valet avait le don d'échauffer les esprits, même les plus sages. Lorsque la baronne, malicieuse, mima la chute de l'épée, celui-ci sursauta et hurla de terreur, laissant sa frayeur raisonner dans la salle de pierre. Impassible, l'albâtre ne broncha pas, bien qu'amusé, en tout cas jusqu'à que l'épée fende l'air et frôle son épiderme achromique. Le fer froid qui caressait sa gorge rompu l'ambiance, jusqu'ici conviviale, par un malaise glacial, morbide. Le maître des lieux fixa pendant un long moment, sans osciller, les yeux de sa belligérante, muet, amorphe. Bien que rien ne transparait de son faciès livide – plus que d'ordinaire tout du moins, le sang bleu escomptait ne pas laisser cette provocation sans suites, malgré les effluves alléchante du repas qui emplissaient la pièce et les regards de son complice, lui exhortant de passer outre.

En fin de compte, ce fut la demoiselle, elle-même, qui retarda son propre châtiment, en redonnant l'épée à son propriétaire. Les représailles viendront, pensa t-il en posant le vestige de métal contre le fauteuil de velours plutôt que de le remettre à sa place. Dans ce geste, Cornélius annonçait implicitement à sa convive que ses actes ne seraient pas sans conséquences, malgré l'affection qu'il s'était surpris à éprouver pour elle. De son charisme marmoréen, l'aristocrate au tain hâve se contenta de gagner la longue table cirée, tirant la chaise vide et invitant, d'un geste de main courtois, sa convive à le suivre.

« Croyez-moi, Bernard est un vrai maître queux, venez donc vous asseoir et vous restaurer, insista-t-il d'un sourire poli. Je ne voudrais pas que votre appétit gâche la suite de cette soirée, ma chère. »
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptySam 1 Fév 2020 - 23:09
Il lui sembla que les traits pâles du baron venaient de pâlir davantage, si c’était encore possible. La froideur de son regard lui fit un instant hocher la tête. Une certaine incrédulité s’affiche à présent sur le visage de la baronne. Ne lui avait-il pas dit de faire fi des convenances ? Parlons-en d’ailleurs. Son serviteur est à lui tout seul l’antithèse du « bien recevoir » mais à priori, cela semble être dans ses habitudes donc on ne lui dit rien. Elle, elle répond à une attaque outrageusement misogyne, répond par une plaisanterie de son cru et cela déplaît ? Cela choque ? Bien entendu. La baronne avait pensé, un bref instant, que ce baron d’Aubépine pourrait peut-être faire figure d’exception au milieu d’une esplanade remplie de mufles et de vieux barbons pétris de principes. Qu’il pourrait peut-être devenir autre chose qu’un voisin, peut-être bien un ami. Visiblement, elle s’est bien trompée. Même ici, même en prétendant vouloir être un minimum libéral et ouvert d’esprit, les vieilles habitudes sont tenaces. Droite devant lui, elle le regarde replacer son épée sur le mur avant de le suivre à table, sans plus dire un mot. Il sera toujours temps d’écourter cette soirée par un fallacieux prétexte au besoin. En attendant, il lui faut rester digne, aimable et jolie. Comme avant.

Prenant place là où Cornélius le lui indique d’un geste de la main, elle ne peut s’empêcher de dire, d’une voix lointaine :

- Je ne vois pas très bien en quoi mon appétit gâcherait quoi que ce soit, Cornélius. Je me ferai un plaisir de goûter au repas, surtout s’il est à la hauteur du vin que j’ai bu tout à l’heure.

Le vin. Elle en reprendrait bien un verre, d’ailleurs. Assise avec toute la dignité requise, elle ne peut s’empêcher d’admirer la sophistication de la table, tout autant que la qualité de la vaisselle disposée avec grand soin sur cet imposant support de bois sculpté. Elle a un regard pour Cornélius. Esméra a très bien senti le malaise provoqué par son mouvement. Si encore il y avait un troubadour qui pourrait distraire cette ambiance glaciale et lugubre…Mais non, il ne faut pas compter sur ce genre de divertissement. Après tout, le serviteur du baron est déjà, en soi, un divertissement à lui tout seul. Désagréable, certes, mais distrayant.

- Dites-moi, Cornélius, je suppose que si vous aviez une épouse, Madame d’Aubépine serait présente ce soir. Êtes-vous veuf ? Avez-vous déjà été marié ?

Quitte à être dans le malaise, autant y aller franchement.

- Ne voyez aucune inconvenance dans cette question, voyez-y plutôt un moyen de vous connaître mieux. En ce qui me concerne, je suis veuve. Mon défunt époux, le baron de Sibran, a péri lors de l’attaque de notre château. Telle que vous me voyez en cet instant, je suis la seule survivante de tout un domaine, si on excepte ma suivante et mon garde.

Elle passe pensivement ses mains sur sa robe, afin d’en lisser les plis, songeuse.

- C’était atroce.

Qu’en est-il du baron d’Aubépine ? Quelle peut bien être son histoire ? Voudra-t-il seulement la lui confier après ce petit éclat de tout à l’heure ? Esméra se prépare à manger son repas dans le silence, alors que le serviteur apporte de nouveaux plats délicieusement parfumés. Elle évitera désormais d'adresser la parole à ce dernier ou même de réagir à ses propos. La baronne se contente d’un bref salut de la tête pour le remercier.

- Cela sent merveilleusement bon.

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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptySam 7 Mar 2020 - 14:01
Être en si mauvaise compagnie comme celle que pouvait offrir le Baron d’Aubépine s’accompagnait souvent de son lot de malaises et de maladresses. Rares étaient d’ailleurs les valeureux qui avaient osé franchir à nouveau les portes de sa demeure. D’ordinaire cela lui importait peu, le satisfaisant presque, de ne pas avoir à renouveler d’aussi pénibles moments que les mondanités lourdes et ennuyeuses de la noblesse. Pourtant, cette fois-ci, en voyant la flamme qui avaient illuminé brièvement les iris délicats de sa convive, se glacer soudainement et parer son doux visages de traits pensifs, l’androgyne se plongea dans un remord brutal, soudain et frustrant. Celui qui avait tant cultivé la solitude se retrouvait désormais tourmenté par ce que tout attachement quelconque procurait, la crainte de perdre. Une sensation inconnue, un sentiment nouveau, un attachement inexplicable. En agissant avec tant de maladresse, l’albâtre n’avait-il pas enfoui tout ce que son invité avait bien généreusement daigné lui confier ? De son dédain naturel et repoussant, n’avait-il pas brisé le charme et l’intérêt de cette rencontre, étrange et unique ?

Derrière son allure impassible et marmoréenne s’exhibait quelques traces de sa culpabilité, de sa déception. Même son valet semblait le lire sur son visage, corroborant le malaise d’un silence dont il n’était guère coutumier, préférant s’atteler, cette fois-ci, à ses fonctions primaires. L’homme servit gracieusement les deux sangs bleus, avec toute la classe et le savoir-faire qui seyait si bien au gouvernant. Muet, Cornélius se contenta de remplir la coupe de son invité du nectar écarlate, bien souvent mentionné par cette dernière en termes élogieux. Gêné, embarrassé par ce malaise qui gangrenait la demeure, l’androgyne se contenta de gagner sa place, fixant son verre et le vin qu’il faisait onduler entre ses doigts. L’orage grondait et la pluie continuait de s’abattre violemment sur les vitres du manoir, subliment lugubrement le malaise qui s’était instauré dans la pièce. Seul l’âtre de la cheminée résistait et propageait un peu de sa chaleur à ce moment glacial.

Le bruit strident des couverts contre les assiettes rompait le silence, le natif d’Aubépine se concentrant sur son repas pour ne pas croiser les yeux de la baronne. Aussi il fut surpris – et presque soulagé, lorsque sa voix estompa le grincement désagréable de la vaisselle. L’homme avala sa bouchée difficilement tout en cherchant ses mots. S’essuyant la bouche, il réfléchissait à la formule la plus courtoise de répondre à cette interrogation peu conventionnelle à laquelle il n’avait pas vraiment songé en ces temps macabres. La notion de mariage, au plus grand désarroi de son domestique, lui était volontairement étrangère. Aussi bien via le peu de désir et de compassion qu’il suscitait que par les multitudes d’arrangement cupides qui entouraient cette union malsaine. Aujourd’hui, naïvement, le noble prêchait pour des concepts plus romantiques. L’amour, la confidence, le partage, la protection ou la foi, tant de préceptes de la Trinité, désormais bafoués par l’avidité de l’homme. Ainsi, malgré les brimades de ses frères de sang, le chevalier avait fait vœu que ses noces ne soient pas le socle de profits quelconques, préférant la honte du célibat.

« Je ne suis ni marié, ni veuf, malgré les nombreuses insistances de Bernard à ce sujet, répondit-il simplement en fixant son valet. Je ne crois pas être capable d’assurer le confort et l’honneur qui conviennent à une dame, tenta t-il de résumer pour ne pas étaler ses convictions. Soyez rassuré et j’insiste, de ne vous parer d’aucune bienséance puérile en ces lieux, octroyez vous le droit légitime d’être vous même, lui implora t-il avant de continuer la conversation. Je suppose que perdre sa moitié est un véritable supplice et que l’on ne s’en remet jamais, je n’ose imaginer votre peine, mais j’y compati, sincèrement. Si je puis me permettre d’être curieux et indiscret, comment trouvez-vous la volonté et l’énergie de ne pas sombrer dans la mélancolie ? Malgré toutes les épreuves que vous avez traversé, vous semblez être une personne forte et déterminée. »
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MessageSujet: Re: Deux coupes et d'épées   Deux coupes et d'épées EmptySam 7 Mar 2020 - 21:05
- C’est tout à votre honneur, de vouloir le confort et le bonheur d’une autre personne avant le vôtre. C’est une qualité rare, je puis vous l’assurer. Cela montre que vous ne désirez faire souffrir personne.

Elle avait parlé entre deux petits mouvements élégants de fourchette, esquissant un fin sourire complice.

- Être moi-même implique de nombreuses choses qui risqueraient fort de vous déplaire, Cornélius. A l’instar de bon nombre de vos pairs masculins, je pense que vous n’êtes pas prêt. Laissez-moi être une dame élégante et courtoise, une parfaite invitée. Vous aurez peut-être l’occasion, un jour prochain, de voir qui je suis vraiment.

Un autre mouvement délicat de sa fourchette afin de porter de la nourriture à sa bouche s’interrompit en pleine course. Elle redéposa l’élégant petit outil d’argent sur son assiette, avant d’essuyer sa bouche, dans un geste parfaitement étudié et maîtrisé. Elle prit ensuite le verre de vin que venait de remplir pour elle le baron d’Aubépine et le regarda, pensive, alors que ce dernier venait d’évoquer la mort du baron de Sibran. De la peine ? Elle fit tourner lentement le liquide dans le verre, un sourire amer flottant sur ses jolies lèvres roses.

- C’était un couard, doublé d’un houlier. Je le haïssais de toute mon âme.

Elle eut un autre sourire avant de boire une gorgée de vin et de déposer son verre sur la table, amusée. Si la Fange n’avait pas pris les devants, il est certain que le baron de Sibran serait mort sous la lame meurtrière de son épouse maintes fois bafouée. Elle rejoua la scène dans son esprit, avec une jubilation mesurée, se rappelant l’expression terrifiée du baron alors qu’elle approchait, la lame à la main, pour se faire justice elle-même. Il aurait peut-être mieux valu pour le baron périr sous ses coups à elle plutôt que de vivre l’ultime déshonneur d’être mangé par une créature en couinant comme un goret qu’on égorge. La Fange lui aura au moins permis de ne pas avoir de sang sur les mains. Elle reprit ses couverts en main et mangea de nouvelles bouchées, avec un raffinement exemplaire, prenant le temps de répondre. Levant un instant les yeux au ciel, faisant mine de réfléchir, elle dit alors :

- La personne que je suis, forte et déterminée, comme vous dites, est née à l’instant même où je suis devenue veuve. La mélancolie et la tristesse ont largement grignoté mon esprit pendant mon mariage, tandis que j’étais rangée parmi les possessions d’un homme ignoble, au même titre que son meilleur cheval ou sa plus jolie lame.

Elle termina son assiette, déposant les couverts en son centre, ainsi qu’on le lui a appris et resta bien droite sur sa chaise, consciente que de dire de pareilles choses à un noble baron relève de la pure hérésie. Telle est Esméra, irrévérencieuse et vive sous un aspect des plus distingués.

- Quant à la volonté et l’énergie, je les trouve dans les menus plaisirs que je puis m’offrir. Ou dans ceux que je peux offrir à ces deux courageuses personnes qui ont survécu à notre voyage jusqu’à la cité et qui me sont entièrement dévouées. Un nouvel habit, un bon repas, le plaisir d’une conversation sans filtre, le bonheur de pouvoir être soi-même sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit. Voilà la source de mon énergie. La liberté. L’indépendance. Cela étant, vous ne pouvez comprendre. Vous êtes un homme. Vous n’avez probablement jamais du vous battre pour avoir cela. N’y voyez rien de personnel, c’est malheureusement notre époque qui veut cela.

Elle reprit une gorgée de vin, pensive, avant de reporter son attention sur son hôte, vérifiant au passage s’il n’était pas trop outré. Ils sont tellement farouches, ces hommes, quand on remet leur dignité en question.

- Si je puis à mon tour être directe…Vous devriez sortir de chez vous de temps en temps et prendre un peu le soleil. Vous êtes pâle comme une fesse. Que vous est-il arrivé ? Vous êtes malade ?

Elle dissimula un sourire derrière son verre, tout en le fixant sans ciller. Une provocation. Evidemment. Cela étant, derrière ces mots directs et sans équivoque, se cache un réel intérêt envers sa personne. Après tout, la provocation, c’est un moyen de communication comme un autre. Même venant de la bouche d’une jolie dame qui avait demandé à rester élégante et courtoise, une parfaite invitée.
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