Marbrume


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 A Flore de peau

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Alfred BernicourtCharlatan
Alfred Bernicourt



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MessageSujet: A Flore de peau   A Flore de peau EmptyJeu 6 Fév 2020 - 22:37
Aussi loin que le désaxé s'en souvenait, se déplacer dans l'ombre avait toujours été l'un des piliers fondamentaux de son existence, d'où se découlait lugubrement la suite de ses idées glauques. Ne pas s'éloigner de ses moeurs habituels, oeuvrer dans les bas-fonds, attaquer dans l'ombre, ne pas faire de témoins, toutes ses règles avaient codifié, singulièrement, chacun de ses actes tout au long de son étrange existence. Ces derniers temps, tous furent allégrement bafoués par la providence, les infortunes et le doute. Depuis ses pérégrinations dans les égouts, l'amenant paradoxalement à tout ce qu'il avait souhaité de tout son être – devenir un purificateur et enrayer cette solitude, le maraud n'avait jamais autant dérogé à ses coutumes. De ses macabres et bruyantes scènes d'horreurs dans les souterrains, en passant par le lynchage public d'un milicien, jusqu'aux mésaventures douloureusement infligées par le noble errant, chacune de ses rencontres l'avait noyé dans l'incertitude, plongé dans une remise en question permanente.

Bien que les plaies et les maux s'accumulaient en masses, sur son corps déjà fébrile, le vaurien s'en accommodait, sans difficulté qu'il ne pouvait supporter ou surmonter. Les ecchymoses des dernières rencontres musclées, jonchaient affreusement sa carcasse putride. Ici et là, en plus des infections et nécroses qui infectaient habituellement tout son être, de nombreux bandages et des plaies purulentes décoraient sa dépouille avide de survie. Etouffant ses piètres talents de guérisseur, du mieux qu'il le pouvait, seul un piètre bâton – lui servant de béquille, dérogea à son affreuse démarche quotidienne. Son dos voûté, son pas boiteux, son allure nonchalante et pitoyable, rien ne trahissait son portrait exhibé au quotidien, si ce n'était cette canne miteuse qui l'assistait ; pour ne pas s'étaler honteusement sur le sol, une énième fois.

Les sols dallés se dénivelaient plus que d'ordinaire, rendant le coût de l'effort plus cher que jamais. Tout son cortex tremblait et suait sous le poids de ses maux, mais rien n'effaçait de son visage, cet air lugubre et satisfait. Désormais purificateur et bientôt infiltré dans la haute société, le paria se réjouissait de toutes ses perfides manigances, à tel point qu'il avait voulu fêter cela, de la plus commune des manières. Au milieu de la foule déambulant, lui pérégrinait jusqu'à son but, écartant les quidams comme un rocher au milieu du torrent, tous répugnés à la simple idée d'effleurer son apparence douteuse et de renifler son odeur pestilentielle. De temps à autre, quelques murmures de dégoût atteignaient ses oreilles voilées, tranchant un peu plus, son rictus et son visage amusé. Si seulement il connaissait la noirceur de son for intérieur, ces simples d'esprits ne s'arrêteraient pas à des détails si superficiels, pensait-il en ricanant avant de tendre pitoyablement sa main, pour réclamer quelques deniers.

« Une petite pièce pour une âme tourmentée, clamait-il de sa voix nasillarde, surjouée. Les Trois vous en seront reconnaissant, ajouta t-il vainement avant de reprendre sa route. »

La pauvreté et la famine avaient malicieusement englouti toute once de générosité, constata le serpent, guère surpris, échappant un ricanement féroce - un de plus. Alors que la place des pendus se distinguait dans la brume d'automne qui s'ondulait lentement dans les ruelles de la ville, la milice se faisait plus présente, calmant aussitôt les ardeurs rebelles et démoniaque de l'antagoniste. En effet ses récentes déconvenues avec l'un de ses membres l'avait dissuadé d'un quelconque écart de conduite, ne souhaitant pas se faire occire si près de l'accomplissement de ses sombres desseins. Son allure de mendiant devrait suffire, mais le doute ne pouvait plus être permis. Aussi les courbes malicieuses de sa lippe se stoppèrent sur l'instant, réajustant également sa capuche miteuse pour ne pas que les soldats ne se méfient de ses stigmates ou des peintures gravées sur sa chaire blanche qui se découvrirait par inadvertance. Quelques gardes sceptiques lançaient de temps à un autre des regards méfiants, ne souhaitant finalement pas se confronter de si près à cette créature en décomposition, condamnée, inoffensive.

Cette fois-ci, à contrario des derniers jours mouvementés, sa marche s'était déroulée sans imprévus et les portes en bois de la taverne furent à porté de main. Les bruits de pintes s'entrechoquant, les rires avinés et tous les autres sons festifs qui s'émanaient de la taverne se stoppèrent dès que le grincement des portes se fit entendre. Dès le bruit de ferraille des gonds qui sautaient, un mutisme angoissant s'empara de la scène, comme si la vie venait subitement de s'arrêter. Les visages austères fixaient férocement l'intrus, dont son apparence étrange et suspecte ne fit que décupler et forcer les sillons obscurs des trognes fatiguées. Ni la chaleur des chandelles, ni le charme des serveuses, pas même le nectar au fond des coupes ne parvint à atténuer le malaise qui sévissait dans ce lieu de réjouissances. Le bruit de sa canne battant le sol résonnait dans l'auberge au silence lugubre. Plusieurs de ses occupants exhibaient un haut les coeurs avant de frissonner d'écoeurement lorsque l'odeur de putréfaction du psychopathe vint leur chatouiller désagréablement les narines.

Pourtant, il suffit d'un acquiescement de la tenancière, à la crinière embrasée, pour que l'ambiance du lieu retrouve son charme. Pour remercier cela, le spectre adressa une révérence surjouée et ridicule, affichant de nouveau son sourire fourbe qui lui seyait si bien, avant de glaner le comptoir, seul endroit où – entre les nombreux piliers de bar – la solitude paraissait banale. Maladroitement, alors qu'il tentait difficilement de se hisser sur l'imposant tabouret, son geste se déroba et il s'écrasa maladroitement sur la malheureuse qui trônait sur la chaise d'à côté. Malgré la volonté de se redresser discrètement, rien n'y faisait, son corps l'abandonnait lâchement, une fois de plus.
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Flore MaisonfortHerboriste
Flore Maisonfort



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MessageSujet: Re: A Flore de peau   A Flore de peau EmptyVen 7 Fév 2020 - 10:21
Dernière semaine de septembre 1166
La chope sucrée, Marbrume


Je ne sais ce que j’avais imaginé en acceptant le paiement de la sergente, peut-être me suis-je laissé entraîner par ce désir exaltant de l’inconnu, la radieuse perspective de n’avoir absolument rien à faire durant plusieurs jours à part peut-être m’occuper de moi-même. Peut-être est-ce cette perspective qui m’a si fort étranglée le cœur alors que je passais la porte de la taverne, avec un tout petit baluchon dans les mains. Comment s’occuper de soi quand on a passé toute sa vie à s’occuper des autres ? Par quoi commencer ? Comment font ces jolies dames de la cité pour être belles et fraîches ? Je venais à peine d’entrer dans la taverne que déjà j’avais envie de rebrousser chemin et d’aller me réfugier dans le seul endroit que je connais par cœur et qui me rassure tant, ma petite chaumière dans les faubourgs. Il y a du bruit, des chants, des gens qui mangent, il règne une délicieuse odeur de plat mijoté dont je ne parviens à déceler les composants, il y a aussi derrière le comptoir, en train d’essuyer des choses avec un torchon, une ravissante demoiselle au sourire magnifique. Automatiquement, je pince les lèvres, terrifiée par l’idée qu’on me prenne pour une mendiante ou une voleuse. Un regard pour mes frusques et je rentre ensuite ma tête dans mon cou, très gênée. J’avais choisi la robe la moins abîmée de mon trousseau et pourtant elle avait l’air d’une vieille serpillière aux couleurs passées à côté des jolis vêtements de la tenancière. Rouge jusqu’aux cheveux, je la vois qui me regarde, d’ailleurs. Tout le monde me regarde. Qu’est-ce que je fais ici ? Je suis venue sans m’annoncer, peut-être que la sergente n’a pas non plus averti la demoiselle qui cesse ses activités, un poing sur la taille, le torchon à la main, avant de me demander ce que je veux.

Je bredouille une explication vague dans lesquels la tenancière distingue le nom de la sergente de Rivefière, ce qui est apparemment suffisant pour qu’elle quitte ses occupations et me fait signe de la suivre. Serrant mon petit sac contre moi, longeant les murs à toute vitesse pour échapper aux regards mornes des clients, je la rejoins, toujours en bredouillant des explications, des excuses, des remerciements, bref, en étant parfaitement incohérente, gênée et très mal à l’aise. Cela n’a pas l’air de la déranger, elle me conduit, avec un sourire, jusqu’à une petite chambre dans laquelle elle me pousse gentiment, en me disant de m’installer, de prendre mon temps, et de descendre manger si j’en ai envie. Une fois la porte fermée, je me sens mieux. Je prends quelques instants pour observer les lieux, voyant enfin ce pour quoi je suis ici. Un lit. Pas bien grand, certes mais solide. Assez solide en tout cas pour recevoir tout le poids d’une femme épuisée qui s’écroule sur lui.

Je ne me réveille que bien plus tard, le lendemain, toujours vêtue de mes habits de voyage, le baluchon contre mon ventre, roulée en boule sur une couverture propre. J’avais cru que dormir ailleurs serait difficile, il n’en a rien été, je n’ai absolument rien entendu, et j’ai dormi comme un petit enfant, sans me réveiller une seule fois. C’est la faim qui m’a tirée de mon sommeil. Passé le choc de voir un autre décor, bien plus joyeux, dès le réveil, je prends le temps de passer un peu d’eau sur mon visage et mes bras, avant de démêler mes cheveux avec un peigne aux dents de bois. Il n’y a pas d’urgence, il n’y a pas de ronde à effectuer. Juste…me peigner. Remettre de l’ordre dans mes habits, avant de descendre, en triturant mes doigts. Ma tenue est semblable à celle de la veille, j’ai juste laissé ma cape dans ma chambre. Je porte donc une robe de lin marron lacée sur les côtés agrémentant une chemise à manches longues autrefois blanche, autrefois jolie, mais propre, ainsi que la petite paire de bottines légères offertes par Irène. Voilà toute l’élégance dont je peux faire montre. Je prends place sur un tabouret et demande un peu d’eau avec un peu de pain.

La tenancière revient avec ce que j’ai demandé, en plus d’un petit morceau de fromage dur et quelques fruits, ce qui me semble un luxe inouï. Je n’ai en effet plus mangé de fromage depuis un moment et, affamée, je m’apprête à dévorer ce somptueux repas quand j’entends le brouhaha de la pièce s’estomper pour ensuite s’éteindre tout à fait jusqu’à ce que j’entende le bruit d’une canne et d’un pas claudiquant. A vrai dire, je ne prête pas une réelle attention à ce bruit, je me concentre sur les parfums délicieux du pain et des fruits, heureuse de pouvoir enfin manger quelque chose de correct. J’étais sur le point de mordre dans un de ces fruits quand enfin je vis la personne qui venait d’entrer. Plus que la voir, je la sentis d’abord et déposai alors mon repas sur le bol de bois, le nez retroussé par une odeur que je ne connais que trop bien. L’odeur pestilentielle de la maladie et du manque total de soin. L’odeur de la négligence et des malheurs des pauvres. Tournant la tête vers le nouveau venu, je ne peux pas voir grand-chose, excepté qu’il semble en grande détresse physique compte tenu de toute son attitude hésitante, saccadée, de son dos vouté. Immédiatement, je me sens vraiment mal pour cet homme qui tente de grimper sur le tabouret qu’il a choisi. J’allais lui dire quelque chose, timidement, mais les événements s’enchainent sans que j’aie vraiment le temps de m’y opposer.

Il chute, j’ai à peine le temps de me retourner que le voilà quasiment dans mes bras tandis que je cherche tant bien que mal à garder un équilibre sur mon propre tabouret. Par les Trois, il sent mauvais. Vraiment mauvais. Pourtant, je reste calme et je me redresse du mieux que je peux avant de descendre de mon tabouret et de l’aider à rester debout.

- Vous ne devriez pas chercher à grimper sur un tabouret si haut. Voulez-vous que je vous aide à rejoindre une table ? ça ne me dérange pas du tout.

En fait, si, ça me dérange dans mon repas, mais je ne peux décemment laisser un homme dans son état se débrouiller tout seul. Je le soutiens de mon mieux et me dirige vers une table un peu à l’écart, sous les regards surpris de l’assistance qui n’avait pas seulement levé le petit doigt pour aider ce malheureux. Tirant une chaise, je l’aide à y prendre place, plaçant sa canne contre la table avant de l’observer. Il reste caché, il se dissimule à mes regards, ce qui me met un peu mal à l’aise.

- Vous avez besoin de soins, Monsieur. Que vous est-il arrivé ?

Et voilà. Même en dehors de chez moi, alors même que je devrais être en train de savourer un repas délicieux, je me retrouve à apporter de l’aide, une aide dont il ne voudra peut-être pas, si ça se trouve. Je suis définitivement irrécupérable.
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