Regain de foi ? [pv Erwan et Eleanor]

30 novembre 1166

Ce jour-là, sachant qu'une mission allait sûrement bientôt advenir, Clervie demanda la permission de se rendre au temple. Un curieux désir, une étrange intuition. Peut-être commençait-elle à retrouver un peu de foi. Ou simplement, voulait-elle se bercer à nouveau d'illusion ? Se dire que les dieux étaient peut-être moins cruels que ce qu'elle croyait ?
Ou peut-être simplement prier pour que les âmes de sa famille disparue eûssent bien rejoint le royaume d'Anür, ce dont elle doutait. Alaric et son père avaient été dits hérétiques. La déesse les avait-elle rejetés aussi ?
Tant de questions sans réponse...
Et il y avait aussi cet étrange concours de circonstances, ces coups de chances, ces moments de bonheur qu'elle avait vécu ces deux derniers mois.

M'observes-tu du royaume d'Anür, Alaric ? se demanda-t-elle avec un sourire. Es-tu près de moi, parfois ? J'aurais eu tant à te dire... J'ai vécu des choses si épouvantables après que tu sois parti. Et à côté de cela, j'ai vécu quelque chose de merveilleux et de tellement inespéré.
J'ai rencontré quelqu'un, grand frère. Et je vais l'épouser. Je ne sais pas encore quand, mais sûrement bientôt. Certes, il n'est pas noble. Mais je fais partie du peuple, maintenant, alors j'espère que Papa et toi me pardonnerez. Il ne sait point lire, bien entendu, comme beaucoup. Mais il voit clair en moi et je me dis souvent qu'il a peut-être mieux compris ce chemin tortueux qu'est la vie que moi-même. Il est maladroit, parle parfois sans réfléchir, mais cela le rend incroyablement touchant. Il est doux, tendre, drôle, parfois grognon, mais étonnament sensible et généreux. Ca y'est, je pourrais presque t'entendre rire et me taquiner. "Oooooh, ma petite soeur est amoureuse !" te dis-tu peut-être en pouffant, si tu peux m'entendre. Je te l'avoue sans peine, Alaric, mon coeur est pris. Erwan me l'aura dérobé, non pas une fois, mais sûrement des centaines. Si Papa et toi pouviez me donner votre bénédiction...

Clervie ne savait pas vraiment ce que son père aurait pu penser, au vu de la situation, mais elle savait qu'Alaric aurait sûrement été de son côté. Il s'était toujours soucié du bonheur de sa soeur. Tout comme la savoir à la milice et entourée d'ennemis l'aurait rendu fou d'inquiétude.

Je suis heureuse, mais j'ai terriblement peur, aussi. Après votre disparition, j'ai tenté de vous venger. J'ai mené mon enquête, exploré des pistes, et je suis sur le bon chemin. Mais se faisant, je me suis mise en danger, ainsi qu'Erwan. Puissent les Trois nous venir en aide...

Sur ces paroles silencieuses, elle s'avança vers la statue de la déesse serpent. Celle-ci la surplombait avec une certaine arrogance et férocité. Rikni, la déesse guerrière, celle que l'on implorait pour les épreuves à venir. C'était d'elle dont Clervie avait vraiment besoin.


Rikni, entends ma prière, murmura-t-elle avant de déposer son offrande. Aide-moi, je t'en conjure, à démasquer mes ennemis avant qu'ils ne m'atteignent. Et par pitié... Qu'ils ne s'en prennent pas à Erwan...

Rien qu'à cette pensée, elle avait envie de vomir. Elle resta ainsi plusieurs instants agenouillée, priant de toutes ses forces. Puis enfin, elle se releva. Plusieurs autres fidèles approchaient.
Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la salle, quelqu'un lui adressa soudain la parole.

La jeune femme qu'Eleanor regardait était agenouillée face aux grandes statues du hall du Temple. Cela faisait plusieurs minutes et elle ne s'était pas rendu compte que le temps passait, et qu'elle n'avait toujours pas bougé. Elle se tenait à bonne distance de la jeune milicienne, d'après l'uniforme qu'elle voyait. Elle n'arrivait pas à savoir si elle devait se méfier de son statut ou l'accompagner dans sa prière. Elle devait surement être venue prier Rikni, avant d'aller vers une bataille d’où elle ne reviendrait peut être pas, qui pouvait le savoir? Cependant, Eléanor était intriguée, les miliciens venaient souvent prier, elle se rappelait d'ailleurs avec amusement sa rencontre inattendue avec l'un d'eux, quelques jours auparavant. Mais cette jeune femme, elle ne l'avait jamais vue. Elle semblait pourtant prier avec ardeur, vue de loin.

Elle se décida a s'avancer vers elle, timidement. Elle ne courait pas de danger et elle le savait mais elle était d'un naturel timide et réservé avec ceux qui l'impressionnaient. Et cette femme, pour sure, elle l'impressionnait. Elle semblait si jeune, peut être plus jeune qu'Eléanor, et pourtant son regard lorsqu'elle se releva était déterminé. On aurait dit qu'elle était prête à en découdre avec tous ceux qui passaient à sa portée. La jeune prêtresse faisait tourner autour de son doigt la bague en bois sculptée, représentant des bois de cerf. Elle était vêtue de jaune comme tous les représentants de Serus et ses cheveux étaient nattés en de longues tresses serrées, même si quelque mèches étrangement grises dépassaient ça et là de sa chevelure brune, cassant sa monotonie.

Elle ne savait pas très bien pourquoi, mais quelque chose la poussait à aller vers cette jeune femme. Qu'avait elle à lui dire? Rien de bien important pourtant, et même rien du tout, si elle en croyait ses pensées. Bonjour, peut être? Elle avait beau se triturer les méninges, elle ne savait pas quoi dire. Et ses maudites jambe qui la faisaient avancer toute seule. Elle arrivait à la hauteur de la jeune femme qui, elle, se dirigeait vers la grande porte. Eléanor hésita quelques instants, cette femme avait sans doute des choses plus importantes à faire que de discuter avec une prêtresse qui, elle s'en rendrait vite compte, n'avait pas grand chose à lui dire. Pourtant, elle prit une grande inspiration et s'aventura à un malheureux...

- "Bonjour ma Fille, comment vous appelez vous?"

Elle se mit tout de suite une petite baffe mentale, oublier les usages de cette manière n'était pas digne de sa fonction. Elle se reprit tant bien que mal, secouant légèrement la tête pour chasser sa gène. Elle se sentait toute petite malgré son bon mètre 70.

- "Hmmm excusez moi, je suis Eléanor Seraphin, prêtresse et représentante de Serus. Je ne vous ai jamais vue ici et votre présence m'intriguais quelques peu, je doit l'avouer. Loin de moi l'idée de vous importuner ma Fille." Dit-elle de sa petite voix douce.

Elle sourit timidement à la jeune femme qui se tenait en face d'elle. Sa bague en bois était maintenant sur le point de tomber de son doigt, seulement retenue par son pouce. Elle avait un sourire sincère sur le visage, et la brise fraîche venant de la grande porte ouverte caressait ses cheveux et faisait virevolter les mèches qui s'échappaient de ses tresses.

"Bonjour ma Fille, comment vous appelez vous?"

Une jeune prêtresse à la chevelure d'argent et aux grands yeux clairs venait de lui adresser la parole. Grande et mince, elle était d'une beauté à la fois saisissante et naturelle. Sa voix était hésitante, mais mélodieuse alors qu'elle poursuivait :

"Hmmm excusez moi, je suis Eléanor Seraphin, prêtresse et représentante de Serus. Je ne vous ai jamais vue ici et votre présence m'intriguais quelques peu, je doit l'avouer. Loin de moi l'idée de vous importuner ma Fille."

Clervie lui sourit chaleureusement. Une prêtresse de Serus ? Cela serait sûrement l'idéal pour son mariage... Néanmoins, elle n'était pas encore sûre de la manière dont les choses allaient se passer. En effet, elle continuait encore de penser que l'idée d'Erwan d'officialiser leur union s'apparentait à une imprudence folle. Mais allez le dire à cet entêté ! Elle était prête à parier que le forgeron était déjà entrain de fabriquer les alliances.

Mais je vous en prie. Nous pouvons même prier ensemble si vous le souhaitez. Ravie de faire votre connaissance, ma mère. On m'appelle Claire et je préfère être connue sous ce nom. J'ai dû oublier mon passé pour survivre.

Sa réponse était quelque peu imprudente, mais malgré que sa foi eût été ébranlée, Clervie se refusait à mentir ouvertement à un prêtre ou une prêtresse, d'autant plus dans le temple. C'était une faute grave, passible d'une errance sans but sur terre lorsque son âme serait rappelée.

Il est vrai que je ne viens point souvent prier et que jusqu'à aujourd'hui, je ne priais que lors des cérémonies avec les camarades miliciens. J'ai douté de la bienveillance des dieux, ma mère, à cause de tous les malheurs que je me suis vue infliger, ainsi qu'à mes proches. Et pourtant...

Elle poussa un soupir :

Il semble qu'ils veillent tout de bon sur moi. Ils m'ont accordé récemment un étonnant bonheur, une véritable surprise dans tous mes chagrins. J'ai perdu toute ma famille, j'ai vu mourir des innocents et j'en ai eu le coeur brisé. J'ai bien failli m'égarer sur de sombres chemins, et pourtant, me voici de nouveau là. Il est tant de questions que je me pose dès lors...

Elles se bousculaient dans sa tête, ces questions. Quelle était sa véritable place dans Marbrume, elle qui refusait de suivre la plupart des règles ? Pourquoi n'était-elle pas encore morte, après toutes les épreuves qu'elle avait subi ? Pourquoi la pousser à aimer encore, alors qu'elle redoutait de s'attacher aux autres, qu'elle craignait de les voir lui être arrachés comme l'avait été sa famille ?
Son visage se fit plus sombre, une lueur de tristesse teinta les yeux obsidienne de Clervie. Durant un instant, la sauvage milicienne s'effaça, laissant place à la jeune femme perdue qu'elle demeurait au fond d'elle-même, la jeune femme déracinée, à jamais marquée par la vie.

Pourquoi tant d'épreuves, ma mère ? Comment savoir si le répit que j'ai obtenu n'est pas prélude à quelque chose d'encore pire ?

Elle sentit une larme perler sur sa paupière alors qu'elle prononçait ces mots. Alors que la douceur de la prêtresse l'avait incitée à ouvrir un peu son coeur, ce n'était plus uniquement le bonheur offert par son fiancé et ses amis qu'elle ressentait, mais de nouveau le terrible chagrin de la perte de sa famille. Avait-elle seulement le droit d'être heureuse alors qu'ils avaient péri, et d'une manière si injuste, si ignoble ? Comment concilier des sentiments aussi contradictoires ? Sans parler de la peur qui continuait de la tirailler quand elle repensait à la terrible enquête qu'elle menait ?

Eléanor se détendit. La dénommée Claire ne semblait pas avoir mal pris son intrusion dans sa vie, bien au contraire. Ce qui la surprit, en revanche, ce fut la suite des propos de la jeune femme. Elle se confessait, en plein milieu du grand Hall, et pratiquement devant la sortie. La prêtresse se dit qu'elle n'avait pas mentit sur ses rythmes de visite au Temple et cela l'attendrit quelque peu. Elle ne s'était donc pas trompée lorsqu'elle disait ne l'avoir jamais croisée auparavant. Elle avait déjà eu affaire avec des jeunes hommes et femmes qui ne savaient plus ou placer leur foi, qui avaient vécu trop d'épreuves pour leur jeune âge et qui, de ce fait, n'accordaient plus leur confiance à la Trinité. Ceux qui avaient affronté le Fléau au corps à corps, les miliciens souvent, étaient les plus difficiles à guider sur le droit chemin.

Elle écouta sans broncher les paroles de Claire et sourit lorsqu'elle parla du bonheur qu'elle vivait. Elle pouvait, au ton de sa voix, déceler un amour profond et la promesse d'une joie infinie dans cet amour. Elle se sentit heureuse, elle aussi, pour la jeune femme d'avoir trouvé son âme sœur. Puisse Serus veiller sur eux, si elle ne se trompait pas. Cependant, la pointe de joie qu'elle ressentait dans la voix de la jeune femme s'estompa bien vite quand elle évoqua la perte de sa famille. Eléanor vit des larmes poindre le bout de leur nez aux paupières de la jeune femme et elle lui sourit avec bienveillance. Elle la regarda dans les yeux, les mains jointes devant ses hanches, écoutant le court récit de la jeune femme. C'était une image saisissante. Les deux femmes, en face l'une de l'autre, et la milicienne à l'air dur qui perdait peu à peu ses moyens face à la douceur de la prêtresse.

Eléanor vit que des fidèles commençaient à arriver et elle ne voulait pas heurter trop longtemps la fierté de la jeune femme. Du moins ne la connaissait elle pas assez pour décider de la laisser pleurer au beau milieu de l'entrée du Temple, et de toutes façons, elle n'aurait pas voulu cela pour ses pires ennemis. Elle dénoua ses doigts doucement et passa une main chaleureuse sur la joue de Claire, essuyant la petite larme qui avait coulé sur sa joue.

- "Venez avec moi ma Fille" dit elle d'une voix qu'elle fit la plus douce possible. "Je vous emmène discuter dans un endroit ou nous ne serons pas dérangées." Elle lui sourit encore une fois et elle voulut faire passer dans ce sourire toute la compassion qu'elle éprouvait pour le jeune milicienne. Elle lui fit un petit signe pour l'inviter à avancer et se plaça à ses côtés. Par élégance, elle laissa Claire reprendre ses esprits le long du chemin qui les menait aux jardins du Temple, endroit ou Eléanor se sentait la plus à l'aise. Elle l'invita à s'asseoir sur l'un des bancs de pierre qui longeaient une allée de rosiers et s'assit à côté d'elle.

- "Vous êtes courageuse, Claire. Vous avez affronté bien des épreuves jusqu'ici et je ne peux qu'imaginer la douleur que vous ressentez à la perte de votre famille. Je ne sais dans quelles circonstances ils ont malheureusement disparu, et en tant que milicienne, vous avez du voir des choses épouvantables en dehors de ces murs." Ce n'était pas la chose la plus rassurante à dire, elle le savait. Cependant, elle voulait montrer à la jeune femme qu'elle était là pour la comprendre et non la juger.

- "Vous avez le droit de vivre."

Ces mots, elle les pensait. Sincèrement. Elle voulait rassurer cette jeune femme qui semblait complètement perdue au milieu de ses questionnements, et elle trouva que ces mots étaient un condensé assez clair de ce qu'elle voulait exprimer. Aussi mit-elle toute la conviction dont elle disposait dans cette phrase, et elle regardait la jeune femme avec la bienveillance qui la caractérisait.

Clervie se rendit compte presque en même temps que la prêtresse que des gens arrivaient et que l'endroit n'était pas le meilleur pour une discussion, même si bien évidemment, elle avait parlé tout bas. Une fois de plus, la douceur de celle-ci la désarma alors qu'elle passait une main sur sa joue pour essuyer la larme qui perlait.
Reprenant en quelques secondes une attitude plus digne, Clervie suivit donc la prêtresse jusqu'au jardin. L'allée où elle la guida était bordée de rosiers dont les tiges étaient noircies par le froid d'hiver, mais dont certains arboraient encore une dernière floraison, composée de corolles rouge et orangé. En les contemplant, la jeune femme se rappela brièvement les jardins de son enfance et sentit une certaine sérénité l'envahir. Elle aperçut un ou deux prêtres entrain de soigner les fleurs et cela la fit sourire.

"Vous êtes courageuse, Claire. Vous avez affronté bien des épreuves jusqu'ici et je ne peux qu'imaginer la douleur que vous ressentez à la perte de votre famille. Je ne sais dans quelles circonstances ils ont malheureusement disparu, et en tant que milicienne, vous avez du voir des choses épouvantables en dehors de ces murs. Vous avez le droit de vivre."

Le droit de vivre, n'est-ce pas ? C'était ce qu'Erwan avait lui aussi tenté de lui faire comprendre à maintes reprises. Laisser le passé derrière elle. S'autoriser à penser à un avenir. Mais évidemment, lorsqu'il lui avait dit tout cela, il ignorait encore à quel point le passé de Clervie pouvait encore impacter le présent.
La milicienne avait les nerfs à fleur de peau, elle s'en rendait compte à présent, pour avoir manqué de craquer ainsi dans un lieu public en face de la première personne qui s'était souciée d'elle. Alors qu'elle avait prononcé cette dernière phrase, Clervie sentait de nouveau sa gorge se nouer.

Vous avez dû voir grand nombre d'atrocités aussi, ma mère. Après tout, votre mission est aussi de secourir les blessés et les malades. Quand mon devoir est parfois de tuer.

Elle repensait au purificateur qu'elle avait abattu dans les égouts, le soir où elle avait appris la vérité sur ce qui était réellement arrivé à sa famille. Elle n'avait eu aucun remord à le faire, certes. Ce genre d'infâme individu le méritait.

J'ai vu nombre d'injustices, de choses si... aberrantes. Des gens qui ne le méritaient pas sont morts alors que des crapules vivent dans la tranquilité la plus totale. Parfois, j'essaie de faire changer les choses, mais c'est si difficile...

Elle marqua une pause :

Comment gardez-vous foi face à tout cela, ma mère ?

Eléanor écouta tranquillement la jeune femme, sans dire un mot. C'était bien ce qui lui avait semblé, elle se sentait perdue. Elle sentit que Claire voulait retrouver la foi, mais elle ne savait que faire. Ses multiples expériences face à l'horreur la faisaient sans doute encore bien trop douter.
La prêtresse pensa a son grand frère mort quelques mois plus tôt pendant le couronnement du Roi. Elle avait vu son corps être décapité puis brûlé et avait mis longtemps à faire son deuil. Elle pensa aussi aux vagues de blessés qui étaient arrivés avec la milice au Temple pendant ces jours si sombres. Elle n'avait pu se reposer pendant des jours, avait vu des blessures si profondes, des marques laissées à vie sur les corps des innocents... Pour ceux qui avaient survécu. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieux et des jeunes, personne n'avait échappé à ce déchaînement de chaos qui était venu briser la paix déjà fragile qui régnait à Marbrume. Mais elle se souvint qu'elle avait aussi rencontré Cassandre, pendant cette période si dure. La jeune femme était un rayon de soleil et une amie qu'elle chérissait. Elle avait fait bien plus que l'aider à se sortir du deuil d'Ilias, lorsqu’elle avait commencé à perdre espoir.

Eléanor pensa aussi à tous ces malheureux qui vivaient dans une misère sans nom, et qu'elle rencontrait quand elle descendait au Labourg pour faire la charité. On l'avait souvent prise pour l'un de ces clercs qui cachaient leur véritable visage derrière un masque de bienveillance. Ces regards à la fois méfiants et implorants avaient marqué son esprit au fer rouge. Elle se souvenait de gens qui lui avaient demandé du pain un jour, alors qu'elle n'avait plus rien, et qui avaient été retrouvés le lendemain morts de faim dans la rue. Elle avait parfois été tentée de désespérer, elle aussi, face à l'injustice qui régnait en ce monde. Pourtant, elle ne l'avait pas fait.

- "Ma Fille, nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort, et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez vous seulement la leur rendre? Nous vivons toutes les deux dans un monde ou l'injustice règne en maître, parfois parce que les gens sont des montres, parfois parce qu'ils cherchent simplement à survivre. Il est difficile, je vous l'accorde, de ne pas sombrer dans le désespoir. Les Trois nous ont gratifiés d'une épreuve, et la foi est l'arme dont nous avons besoin pour la surmonter."

Comment faire passer cela, pour que la jeune femme ne sente pas d'incompréhension de sa part?

- "Vous savez, parfois, même les moments les plus sombres peuvent nous apporter de la lumière. Parfois, on s'y perd, mais qui sait ce que les Trois nous ont réservé? Il n'y a pas vraiment de dualité malheureusement, ce serait bien trop simple, mais c'est aussi grâce a cela qu'il m'est impossible de perdre la foi. Il y a du bon dans chaque situation, parfois Leur choix est de l'occulter par la noirceur, parfois Ils en font une évidence. C'est une épreuve bien plus difficile, que de trouver cette bonté au milieu de la cruauté du monde. Mais ne perdez pas espoir, vous êtes forte, vous y arriverez. Ayez foi en Eux, ils vous réservent surement encore de belles surprises."

Elle avait dit cela avec un peu d’hésitation. Elle ne savait si la formulation qu'elle avait adoptée était ce qu'il fallait à la jeune femme. Sa foi ne reviendrait surement pas comme cela, avec de simples paroles, non, il faudrait qu'elle voie par elle même ce que la prêtresse lui disait. Cependant, peut être que d'entendre ces paroles la rassurerait, même si Eléanor elle-même les aurait surement trouvées un peu niaises. Elle soupira, fixant un petit point devant elle, puis tourna un regard bienveillant vers la jeune milicienne qui l'écoutait, attendant sa réponse.

La réponse de la prêtresse était le genre de réponse à laquelle on pouvait forcément s'attendre de la part d'un membre du clergé. Que sans épreuve, la foi ne serait pas. Qu'une simple dualité dans le monde serait bien trop simple. Cependant, elle ne put s'empêcher de sentir son humeur s'assombrir encore davantage lorsqu'Eleanor évoqua qu'il y avait du bon dans chaque situation. Même s'il y avait malheureusement de la vérité en cela.
Clervie savait en effet devoir son bonheur présent à sa déchéance. Une triste ironie du sort. Il y avait deux ans de cela, l'adolescente qu'elle était n'eût sûrement jamais imaginé tomber amoureuse d'un homme du peuple. Point par quelconque mépris, mais parce qu'on lui avait toujours bien expliqué qu'il y avait le peuple d'un côté, et eux, les nobles de l'autre. Pour la jeune femme, le meilleur moyen de ne pas être tentée par la transgression avait donc été d'éviter les gens qui n'étaient pas de sa condition. Et fréquenter assidûment Gwendal avait achevé ce conditionnement sournois.

Du bon dans chaque situation... Si seulement...

Elle ajouta :

Peut-être bien que la Trinité ne peut être tenue responsable des vils chemins que choisissent de prendre les hommes. Après tout, nous sommes complexes, nous autres humains, et libres de nos décisions. Mais que peut-il y avoir de bon dans le Fléau ? Que peut-il y avoir de bon dans des événements qui coûtent tant de vies humaines ? Je crains que cela ne continue un bon moment de m'échapper, ma mère. Néanmoins, je suis heureuse que nous ayons cette conversation. Vous me dîtes forte, mais je crains par moment de manquer de cette force. Non seulement, il y a le Fléau, mais il y a les bandits, et pire, il y a les hérétiques aussi, surtout ces malades qui se donnent le nom de purificateurs...

Elle s'interrompit.

Et au milieu de toute cela, moi et cette personne que je souhaite plus que tout protéger... Lui a toujours cru, lui n'a jamais renoncé. Il me demande de croire en l'avenir alors que jamais je ne l'ai autant redouté, cet avenir. Je vous envie de pouvoir encore y croire.

Des larmes montèrent de nouveau à sa vue, mais elle les essuya. Comme ce jardin était serein ! Cela faisait tant de bien de pouvoir ne serait-ce qu'un instant relâcher sa garde...
Malgré qu'elle ne pouvait croire entièrement en les paroles d'Eleanor, Clervie aimait la lueur douce et tendre dans les yeux bleus gris qui la fixaient. Cela lui donnait envie de la connaître, en tant que personne. Aussi se permit-elle une question plus personnelle.

Avez-vous toujours eu la vocation, mère ? Comment choisit-on de se consacrer aux trois ? Les quelques prêtres et prêtresses que j'ai connus étaient destinés au temple de par leur naissance. Est-ce votre cas ?

La prêtresse ne savait que répondre a tant d'incertitude. La jeune femme posait tant de questions, et elle ne pouvait prendre le temps de répondre a toutes, malheureusement. Que pouvait-il y avoir de bon dans le Fléau? Claire avait raison, cette monstruosité dépassait tout entendement. Cependant, les fangeux n'étaient-ils pas le reflet de l'acharnement, de l'arrogance des Hommes? Qui pouvait le savoir? Eléanor se posait ces questions parfois, surtout depuis la mort de son frère ainé. Etaient-ce les Trois qui avaient envoyé ces... choses dans ce bas monde, et si oui pourquoi? Pour punir l'humanité de ses méfaits, du trop grand pas qu'elle prenait déjà sur la nature? Pour limiter la population d'humains? Mais pour quelle étrange raison? La mortalité infantile était déjà haute, surtout dans les campagnes. Pourquoi limiter les populations alors que l'on perdait déjà tant d'enfants? La jeune femme se reprit, elle s'était encore une fois égarée dans ses pensées.

Elle opta, dans un premier temps, pour une réponse silencieuse. Elle voulait d'abord réconforter la jeune milicienne qui semblait sur le point de fondre en larmes, et elle posa doucement sa main fine sur celle de Claire. Elle resta là quelques instants, murmurant une petit "Ça va aller" inaudible pour qui se tiendrait à plus d'un mètre du banc. La milicienne parlait dorénavant des bandits, des hérétiques, et Eléanor se dit que les Hommes étaient, peut être finalement bien a l'origine du Fléau. Quelle état cette idée que de renier les Dieux ou bien de piller les autres par pure méchanceté? Elle savait que parfois, certains étaient obligés de s'adonner a des monstruosité pour survivre. Ceux là, elle en avait peur, mais elle ne les jugeait pas. Ceux, en revanche, qui avaient choisi cette voie car la société ne leur convenait pas, elle les trouvait méprisable. Quelle sorte de personnes ces gens étaient-ils pour ne pas trouver de moyens pacifiques de changer leurs vies? En y réflechissant, elle savait que beaucoup trouvaient la société injuste, très dure avec les plus pauvres. La noblesse n'était pas une caste qui laissait beaucoup de place aux autres, mais c'était aussi pour cela qu'existait le Temple. Pour aider à limiter les injustices. Elle s'arrêta là dans ses pensées, sinon elle allait finir par se dire qu'il existait aussi une injustice chez les prêtres, ce qui était, somme toute, plutôt vrai.

La jeune femme soupira. Cela faisait plusieurs secondes qu'elle avait la main posée sur celle de Claire, et, sen rendant compte, elle la retira. Elle ne voulait pas être trop insistante, d'autant que maintenant la jeune femme parlait de celui qu'elle aimait, mais elle essuyait déjà aussi ses larmes. Elle ne pouvait avouer qu'elle ne savait que répondre, elle représentait le Temple et devait redonner du courage à ceux qui n'en avaient plus. Elle devait apporter la parole des Trois et dire qu'elle ne savait que penser de leurs agissements ne ferait que renforcer les doutes de la milicienne. Aussi opta-t-elle plutôt pour une réponse vague, mais sincère.

- "Les Trois agissent sur des temps que nous ne verrons jamais, ma Fille. Ils déterminent leurs actions sur des milliers d'années. Lorsqu'ils reviennent dans notre présent, je suis persuadée qu'ils veillent sur nous tous avec autant d'équité que possible. Ils jugeront et accepteront ceux qui leur ont plu, et ceux qu'ils délaisseront seront laissés pour compte, Ils ne voudront pas d'eux. C'est comme cela. Parfois, les Trois interviennent en notre faveur, c'est ce qu'il s'est passé pour vous et celui que vous souhaitez protéger. Qui sait ce qu'ils ont prévu pour vous à l'avenir? Vous devez rester courageuse pour affronter leurs épreuves, et faire le bien envers ceux qui en ont le plus besoin. Les Dieux ne sont pas nos ennemis."

La prêtresse passa une main sur sa joue. La fraicheur qui émanait de sa peau à cause des brises fraîches du début de l'hiver la surprit presque autant que la question qui vint ensuite sortir de la bouche de la jeune femme. Elle était plus personnelle, plus intime. Avait-elle eu la vocation dès la naissance? Elle était cadette dans sa famille, oui, mais elle s'était toujours sentie bien plus spirituelle. Elle se souvint furtivement de l'Homme qui lui avait donné sa bague en forme de cerf, quand elle était petite, et la regarda en souriant. Elle représentait un Dieu qui n'agissait que pour la vie: naissance, culture, travail, abondance.

- "J'ai toujours eu cette vocation, oui. Je suis cadette, moi aussi, mais je voulais, bien avant qu'on ne m'y oblige par devoir, entrer dans ce Temple. J'ai toujours aimé voir les signes des Trois, tenter d'y trouver une signification. La spiritualité de cette fonction m'inspire et me donne chaque jour le courage d'avancer dans ce monde. Je suis passée d'apprentie à prêtresse l'année de la propagation du Fléau. J'y ai vu le signe d'une mise à l'épreuve. Il me fallait garder la foi en toutes circonstance pour pouvoir aider ceux qui ne pouvaient subvenir à leurs besoins. Je crois qu'être prêtre implique d'avoir assez de bienveillance, d'empathie et d'ouverture d'esprit pour aider les autres. Beaucoup ne le comprennent malheureusement pas, et trouvent dans la foi sans faille du Temple un moyen de se réfugier dans la peur, ou de fuir leur condition. Ce n'est pas mon cas."

Ces mots n'étaient jamais vraiment sortis de sa bouche. Elle agissait comme cela depuis qu'elle était née, mais le formuler était autre chose. Elle sourit à Claire, la remerciant par la même occasion de l'avoir obligée et aidée à faire sortir ces phrases. Elle sentait qu'elle en avait eu besoin, et espérait que ses réponses n'avaient trop perdu la jeune femme. Elle s'autorisa alors elle aussi une question plus personnelle.

- "Et vous ma fille, pourquoi êtes vous entrée dans la milice?"

J’aime travailler pour le Temple. C’est rare et mal payé, mais je ne le fais guère pour la rétribution. Je me contente même, généralement, de ne facturer que le matériel et non le temps passé. Un prêtre, une fois, au moment de me payer m’avait demandé pourquoi j’étais ci peu cher. Selon lui, mon travail valait bien plus, il valait une somme qu’il ne pouvait me donner certes, mais quand bien même je n’en réclamais que la moitié.
J’avais simplement répondu que je n’allais pas facturer au Temple tout ce temps privilégié passé avec les Trois. Car oui, à chaque fois que j’avais un chantier au temple, peu importe à quel endroit, je passais tous mon temps à leur parler. Pas à prier, car si je suis croyant, je ne suis pas convaincu par la prière que je trouve trop de circonstance. Combien ne prient que lorsqu’ils ont quelque chose à demander ?
 
Moi, je préfère leur parler, leur faire part de mes remarques, de mes interrogations, de mes espoirs mais aussi de mes doutes et de mes craintes. Je m’adresse à eux comme je le ferais à un ami, avec respect et courtoisie, leur laissant leurs places de Dieux.
 
Ce jour là, en revanche, je n’étais pas venu au Temple pour travailler.
J’étais venu avec une requête bien plus humaine et concrète.
Aussi, me fallait-il trouver un prêtre ou une prêtresse, assez rapidement.
 
Pour vous remettre dans le contexte, il y a de cela quelques jours, j’ai demandé à Clervie de m’épouser. J’ai certes du négocier, mais elle à finalement dit oui, pour mon plus grand bonheur. Depuis lors, après son départ, j’ai œuvré à faire nos alliances et elles sont fin prêtes, aussi est-il temps de voir avec le Temple pour concrétiser cela. Non pas que je doute de la parole de Clervie, mais je la connais suffisamment pour savoir que chaque instant passé après cette promesse peut faire naître le doute en elle.
 
Aussi, arpentais-je les couloirs du Temple, vides, jusqu’à apercevoir une jeune prêtresse dans les jardins. L’un des piliers ornementés du cloître me cachait la personne qui parlait à la prêtresse mais cette dernière me faisait face.
Je ne perdis donc pas de temps et fit, à l’attention de la guide spirituel, un grand geste pour attirer son attention. Je plaçais mes mains en prière pour insister sur l’urgence de mon besoin de lui parler.
 
Je sais, il est parfaitement impoli d’interrompre quelqu’un, mais je ne tiens plus en place. Depuis cette soirée, un sentiment d’urgence me prend aux tripes alors que je plane tel un faucon au dessus d’un océan de bonheur.

[HRP: j'ai cru entendre parler de moi, alors je suis venu faire coucou :)]

Clervie savoura la douceur et la tendresse offerte par la prêtresse. Cela lui rappelait vaguement celle de sa mère et c'était réconfortant. La main de la jeune femme était fraiche, mais ferme et douce. C'était un contact rempli de l'amour de l'humanité, d'une sincère attention d'apaiser. Ce dont Clervie avait besoin.
Elle se montrait forte, elle essayait toujours d'agir pour le mieux, mais dans le fond, elle restait une jeune femme apeurée. Elle enviait Eleanor d'avoir trouvé sa voie ainsi, si facilement, comme une évidence. La jeune femme respirait la sérénité malgré les épreuves qu'elle avait dû elle-même franchir. L'écouter parler était une frais bouffée d'air frais.

Une mise à l'épreuve... Sans doute avez-vous raison...

Elle poursuivit:

C'est bien mon souhait, ma mère. Faire le bien pour aider ceux qui en ont le plus besoin. C'est en partie ce qui a motivé mon souhait d'entrer dans la milice.

En partie... Clervie n'allait pas plus loin bien entendu. Inutile d'avouer à la prêtresse que plus ça allait, moins elle s'y sentait à sa place. Au moins avait-elle appris à se battre comme un homme. Ce qui ne pouvait qu'être précieux dans un monde aussi dangereux que celui où elle vivait. Les fangeux apparaissaient toujours plus nombreux d'après les rumeurs et elle était persuadée qu'un jour, la ville sombrerait définitivement. A ce moment-là, seul les plus habiles survivraient et elle en ferait partie. Elle l'avait promis à Erwan. Se battre pour vivre, coûte que coûte.
Il y avait aussi, bien entendu, sa quête personnelle. Les purificateurs, dont le responsable de la mort de ses parents, se promenaient toujours librement et il était hors de question de les laisser faire. Mais cette partie-là de l'histoire, Clervie jugeait bon de l'occulter. C'était là son secret.

Vous êtes une belle personne, mère Eleanor, décréta-t-elle en souriant. Peu de gens ont votre foi et votre bonté. Nous devrions sûrement discuter ensemble plus souvent, peut-être pas uniquement la prêtresse et la milicienne, mais peut-être aussi simplement comme deux personnes ayant estime l'une pour l'autre...

A cet instant, les deux femmes interrompirent la conversation et le regard d'Eleanor sembla se porter sur quelqu'un qui arrivait. Clervie se retourna alors et son coeur fit une belle embardée, des picotements envahir son estomac.
Par les Trois, décidément ! Cette matinée était celle des surprises ! Erwan n'avait pas mentionné qu'il travaillerait au temple aujourd'hui.

Quand on parle du loup... commenta-t-elle en apparté à la prêtresse avec un sourire.

Ses yeux brillaient à présent d'une douce lueur d'amour destinée à l'homme qui se tenait près du pillier. Les joues un peu rosies sur le coup de l'émotion et le souffle court, une joie étonnante gonflant sa poitrine, Clervie s'avança vers Erwan. Cela ne faisait que quelques heures depuis qu'elle l'avait laissé, et pourtant, elle ressentait le même plaisir à le voir que s'ils avaient été séparés plus longtemps. Un soudain rayon de soleil dans la tristesse qui l'avait traversée. Elle espéra d'ailleurs qu'Erwan ne remarquerait pas qu'elle avait pleuré.

Eh bien, messire Dacier ? le taquina-t-elle ouvertement. Quel péché venez-vous donc confesser à heure aussi matinale ? Auriez-vous déjà quelque chose à vous reprocher alors que vous vous apprêtez à prendre femme ? La malheureuse !

Visiblement, le forgeron n'était pas venu pour travailler. Il ne portait en effet pas son tablier et était simplement vêtu comme à l'ordinaire, pantalon et chemise. Et encore tout propre, sa chevelure brune parsemée d'éclats argentés brillant à la lueur du jour. Elle esquissa un sourire :

Pour une fois que ton beau minois n'est pas noir, j'ai failli ne pas te reconnaître !

En plus de ces quelques paroles qui trahissaient une complicité authentique, son regard sombre venait de plonger dans ceux obsidienne d'Erwan et elle se permit de lever doucement une main vers lui pour caresser la joue rugueuse. Elle en avait presque oublié la présence d'Eleanor à côté. C'était un geste tendre et simple, qui restait dans la limite de la bienséance, et pourtant, quiconque les observait à ce moment-là ne pourrait guère douter de la puissance du lien qui les unissait.

- "C'est bien mon souhait, ma mère. Faire le bien pour aider ceux qui en ont le plus besoin. C'est en partie ce qui a motivé mon souhait d'entrer dans la milice." La prêtresse hocha la tête à cette réponse. Elle se sentait heureuse, car elles avaient toutes deux les mêmes objectifs. C'était exactement comme ça qu'elle voyait la milice. Bien sur, elle savait que sur tous les miliciens, beaucoup étaient très différents et elle ne faisait pas d'illusions quant à la cruauté de certains. Mais la jeune femme ne lui laissa pas le temps de répondre car elle enchaîna.

- "Vous êtes une belle personne, mère Eleanor. Peu de gens ont votre foi et votre bonté. Nous devrions sûrement discuter ensemble plus souvent, peut-être pas uniquement la prêtresse et la milicienne, mais peut-être aussi simplement comme deux personnes ayant estime l'une pour l'autre..."

Eléanor écoutait tranquillement la jeune milicienne qui semblait vouloir devenir son amie, et la prêtresse n'avait rien contre cela, au contraire. Elle s'apprêtait à répondre qu'elle serait ravie de discuter plus avec la jeune femme lorsqu'un mouvement attira son attention à quelques pas derrière. C'était un homme, de loin elle n'arrivait pas à l'identifier. Il la priait de trouver un moment pour lui parler, apparemment il en avait besoin. Elle voulut lui adresser un signe pour lui demander de venir les rejoindre, mais Claire avait suivi son regard et elle parut soudain se redresser. Elle parti à la rencontre de l'homme et, curieuse, Eléanor se leva et la suivit. En s'approchant, elle remarqua que l'homme était dans la force de l'age, ni trop vieux, ni trop jeune. Elle n'arrivait pas bien à identifier le lien entre les les deux, mais ils semblaient se connaitre. A la manière dont la jeune milicienne le regardait, elle comprit. C'était donc lui, l'homme qu'elle aimait. Elle se sentit heureuse pour la jeune femme, une bouffée de joie monta en elle. Elle vit un bonheur pur s'étendre sur les deux visages, d'autant que ceux ci semblaient avoir totalement occulté sa présence.

Elle leur laissa quelques instants à eux, Claire taquinait l'homme, qui semblait avoir comme nom de famille Dacier, et Eléanor sourit silencieusement, amusée. Elle ne savait très bien que faire, elle ne voulait pas les déranger mais monsieur Dacier semblait vouloir s'entretenir avec elle. Elle s'était retirée à quelques pas derrière, discrète, le temps de les laisser à leurs retrouvailles. Ils semblaient s'aimer d'un amour sincère, le même qu'elle portait à Lydian. Elle retrouvait en eux la même complicité qu'elle voulait avoir avec lui, la même joie de se voir, chaque jour. Elle se décida néanmoins à les interrompre, car elle était curieuse de voir ce que l'homme lui voulait.

- "Excusez moi" dit elle d'une voix douce. "Mon Fils, je suis ravie de vous rencontrer." Elle s'inclina devant les deux amoureux, les mains jointes. "Je vous ai vu de loin et ai cru comprendre que vous vouliez vous entretenir avec moi? Que puis-je faire pour vous être utile?"
Elle observa plus avant le visage de cet homme et crut reconnaitre le forgeron qu'elle avait croisé quelques fois alors qu'il faisait des travaux pour le Temple. Elle admirait son travail, propre et soigné, à l'image de ce que le Temple voulait représenter. Cependant, comme l'avait dit si justement Claire, il n'avait pas l'air d'être venu pour travailler cette fois, il ne portait aucunement ses habits caractéristiques. Que pouvait-il bien lui vouloir dans ce cas?

La jeune prêtresse spécula quelques instants, attendant tranquillement la réponse de l'homme. Elle ne voulait aucunement le presser, d'autant qu'il ne s'attendait surement pas à se trouver en présence de celle qu'il aimait. Peut être voulait-il s'entretenir avec elle en privé, pour se confesser d'une quelconque faute, et Eléanor se dit alors qu'elle avait peut être fait une erreur de lui demander ouvertement ce qu'il lui voulait. Elle se reprit et se dit que si c'était le cas, cela ne manquait pas de clercs dans ce Temple et il aurait surement cherché quelqu'un qui était seul. Aussi attendit-elle sa réponse, le regard droit et bienveillant, passant de l'un a l'autre avec une petite lueur toujours amusée.

Non!

Par les Trois, c'est pas possible!

Serus, décidément vous avez un sens de l'humour qui me dépasse!
Alors que la prêtresse se tourne vers moi pour me faire un signe, la personne avec qui elle parlait n'était autre que la raison de ma présence en ces lieux...
Souriante, radieuse, elle se dirigeait vers moi d'un pas décidé, la prêtresse sur les talons et, arrivée à mon niveau, elle s'adressa à moi d'un ton plein de plaisanterie et de taquinerie. Ce ton, elle ne l'utilisait habituellement qu'en privé, lorsque nous étions à la forge. Même à la taverne, lorsque nous avions bien bu, elle n'avait pas usé de ce ton. Alors là!
Au temple, devant une prêtresse en plus?
J'ai besoin de vous dire que j'étais légèrement déstabilisé?

Claire?! Euh! Je...

Afin de me perturber encore un peu plus, la voilà qui dit que je suis près à l'épouser, du moins que je suis près à épouser une femme. Elle enfonce le clou en rigolant sur le fait qu'elle à manqué de ne pas me reconnaître. Je suis trop propre par rapport à d'habitude.
En attendant, je suis complètement perdu, incapable d'aligner deux mots.

C'est dans ce moment de parfaite confusion que la prêtresse se décide à me parler. Elle me tire de ma perte cérébrale, ayant visiblement parfaitement compris qui j'étais pour Clervie. Elle me rappel que je souhaitais lui parler, ce qui m'avait complètement échappé à ce moment.
Mon regard va de ma promise à la prêtresse, puis inversement.

Euh! Claire, quelle surprise!

Je lui fais un bisou sur la joue avant de me tourner vers celle que j'étais venu voir.

Ma mère, pardonnez mon interruption! Je vous interromps! C'est impromptu, je...!

Oulà! Je ne sais plus parler correctement?
Je secoues la tête brièvement pour remettre mes idées en place, levant un doigt pour faire patienter la jeune-femme. Un coup d'oeil vers Clervie, une grande inspiration.
Tout ce que j'avais prévus d'aborder avec un prêtre, ou une prêtresse, venait de s'écrouler.
Pouvais-je demander à parler seul à seul de mon mariage alors que ma future épouse se trouve à peine à un mètre de moi?
Non! Assurément pas!
Je lance un regard peu assuré à ma belle avant de pousser un profond soupir et de relever sur la prêtresse un regard décidé.

Pfffiou! Pardonnez-moi ma mère! La situation me perturbe quelque peu. Je souhaitais m'entretenir avec vous d'un sujet personnel mais mes plans viennent de changer.
Je m'appels Erwan, je suis forgeron. Il semblerait que vous ayez déjà rencontré Claire, qui se trouve être ma promise. Ma fois, étant donné que je souhaitais vous parler de mariage, surement cela tombe-t'il bien qu'elle soit ici également...Euh! Enfin, j'imagine...

Je pris une nouvelle inspiration, lente et profonde. Je me sentais fébrile. Je glissais ma petite sacoche, puis je serrais les poings l'un contre l'autre avant de mettre les mains dans le dos, puis de croiser les bras sur mon torse...
Je regardais tout autour de nous. Pour mon plus grand soulagement, il n'y avait personne.
Mes joues étaient tellement rouge que je devais surement illuminer le Temple.

Je...J'aurais souhaité savoir s'il vous était possible de nous unir officiellement devant Serus...

Je me sentais mal...

Je...Voilà, je dois confesser que nous avons eu relations charnelles avant de célébrer l'union sacrée. Aussi, j'aurais souhaité savoir s'il vous était possible de nous marier...

J'ouvris la main droite, tremblante, pour dévoiler deux anneaux. Un petit et un plus grand. Tous deux étaient d'un acier que j'avais préalablement traité thermiquement, leur donnant une teinte bleutée, avant de les polir. Sur la petite on pouvait voir comme une forme géométrique complexe en spirale, une représentation d'un C et d'un E entrelacés. Sur le plus grand, outre un gainage intérieur en cuir pour protéger ma peau de l'anneau chauffant pendant que je travaille, la surface extérieure présentait des courbes comme si elles étaient entrelacées tout autour de la bague.

Je me sentais parfaitement ridicule, j'avais chaud...Non, froid! Bref, je n'étais pas vraiment dans mon écuelle...

Je...Euuh!

Ben je ne savais plus quoi dire, ni où me mettre.
J'aurais peut-être dû faire demi-tour en apercevant Clervie en fait...

La seule chose que j'ai réussi à ne pas rater, ce de veiller à ne pas appeler Clervie par son vrai prénom...

La prêtresse était de plus en plus amusée. Décidément, celui qui se faisait appeler Erwan avait été plus que surpris de voir sa douce apparaître aux cotés d'Eléanor. Il fallait dire que c'était un hasard des plus amusants, et la jeune femme souriait de plus en plus en voyant la confusion qui régnait dans les yeux du forgeron et dominait ses paroles. Elle sourit de plus belle lorsqu'elle apprit qu'ils voulaient se marier, et admira la finesse avec laquelle l'artisan avait conçu les alliances, quoi que ce ne soit réellement un objet habituellement utilisé pour lier deux âmes entre elles. Elle reconnaissait que le travail était remarquable, et ne manqua pas non plus de remarquer la rougeur qui montait sur les joues des amoureux.

Elle se sentit émue, car ils se tenaient comme deux enfants qui n'osaient pas s'avouer leurs sentiments, et elle les trouva adorables. Aussi répliqua-t-elle a la demande du forgeron:

- "Eh bien mon Fils, je pense que votre demande pourra être honorée sans problème, quoique les mariages soient célébrés en l'honneur d'Anür. Mais il m'est évidemment possible de vous unir, et de faire de vous deux un mari et une femme heureux, et heureuse. Les anneaux que je vois ici sont magnifiques, et vous pourrez les offrir comme présent a votre future dame, comme en est la coutume. Cependant, pour vous lier, il faudra que vous prévoyiez un ruban."

Elle s'interrompit quelques instants, car elle devait tout de même leur rappeler que fauter avant le mariage était découragé et que Claire y avait perdu sa dignité. Elle se décida donc à leur offrir un sermon, assez sévère pour être pris au sérieux, mais l'on sentait tout de même un léger amusement dans sa voix.

- "Cependant, mes enfants, je crois qu'il est inutile de vous rappeler que votre faute pourrait amener à de lourdes conséquences. Vous feriez bien de me la confesser en bonne et due forme, car sans cela, Claire ici présente perdrait tout honneur. Je ne doute pas de votre amour pour elle mon Fils, aussi je pense que vous souhaitez racheter cet honneur en la mariant sous peu."

Elle marque encore une petite pause, que rajouter de plus, elle ne pourrait résister longtemps à leurs demandes. Elle les trouvait bien trop adorables pour sa santé, et à voir comment ils se regardaient, quiconque aurait arrêté de douter de leur amour sur le champs. Aussi son sourire, qui s'était effacé pendant son petit sermon, réapparut et elle s'inclina légèrement. Elle voyait bien qu'aucun des deux ne savait vraiment quoi dire, et elle souhaita les mettre à l'aise.

- "Oh excusez moi, je ne me suis pas présentée à vous mon Fils. Je suis Eléanor Séraphin, prêtresse de Serus."

Elle les invita à la suivre dans le Temple et les conduisit dans une petite pièce chaleureuse, vide à cette heure, afin de trouver un cadre plus privé pour parler de leur union. Elle leur désigna une sorte de petit canapé ou ils pourraient s'asseoir tous les deux, et une fois la porte close et la prêtresse certaine qu'il n'y aurait pas d'oreilles indiscrète, elle s'assit en face d'eux.

- "Donc, si j'ai bien compris, vous souhaitez vous marier. Avez vous déjà une date? Souhaitez vous que la cérémonie se déroule en petit commité, ou bien ouvrirons nous les portes du Temple à tous pour cette occasion?"

Son regard était à la fois amusé et bienveillant, et elle attendit patiemment que les deux jeunes gens lui répondent, quoi que l'un paraisse moins jeune que l'autre.

Clervie n'eût jamais pensé avoir un jour autant envie de disparaître sous terre. Même le jour où Thomas, le fils du charpentier, avait fait irruption dans la boutique en demandant si Erwan et elle étaient fiancés alors qu'ils ne se connaissaient que depuis trois jours, elle n'avait pas autant rougi.
Tout d'abord, elle avait été très amusée par la réaction de son cher fiancé à ses taquineries. Il en avait perdu ses moyens, cherchait ses mots. Et évidemment, le contact de la main tendre sur sa joue n'avait pas dû arranger les choses. Clervie n'avait pu s'empêcher de sentir son coeur gonfler de tendresse. En réponse, son promis la gratifia finalement d'un tendre baiser sur la joue avant de se tourner vers la prêtresse, sans cesser lui-même de rougir. La jeune femme ne comprit pas, sur le moment. Avait-il vraiment une faute si grave à confesser ? Par Rikni, avait-il fini par céder aux avances de la fille de la couturière, qui ne manquait jamais une occasion de lui exhiber ses jolies épaules ?
Non, elle ne pouvait pas y croire. Le jeune forgeron avait trop eu à batailler pour qu'elle acceptât sa demande en mariage. Il n'eût jamais rien fait qui mît ce projet en péril.
Après un dernier regard vers elle et une profonde inspiration, Erwan parla alors, et Clervie ouvrit grand la bouche... Avant de la refermer. Il était venu parler de leur union et fixer une date ! Son coeur en battit à grands coups dans sa poitrine et elle sentit ses mains devenir moite.
Bien sûr, par les Trois, elle aimait Erwan de tout son coeur, de toute son âme, mais elle continuait de penser que dans sa situation, cela était une folie. Et quelque chose lui disait qu'Erwan sentait ses dernières hésitations. Il lisait trop bien en elle.
Mais ? Qu'est-ce qu'il venait de dire là ? Il venait de confesser leurs... relations charnelles ??? C'était tellement gênant ! La prêtresse eut d'ailleurs un léger regard de reproche, bien qu'heureusement, elle paraissait plus amusée qu'autre chose. Il fallait dire qu'il y avait quelque chose de comique à les voir tous les deux rivaliser pour ressembler à des pommes bien mûres.

Erwan, tu...

Elle s'interrompit, les yeux ronds, pour regarder les deux magnifiques alliances qu'il avait forgés. Des larmes manquèrent à nouveau de serrer sa gorge, mais cette fois-ci, c'était des larmes de joie. Elles étincellaient d'un magnifique éclat bleuté, semblable à ceux de sa propre chevelure. Le forgeron s'était surpassé. Elle releva également la reprise du C et du E entrelacés tels qu'elle les avait un jour elle-même dessinés. Ainsi, Erwan avait fait le rapprochement après avoir créé la bague de fiançailles...
Ces deux anneaux portaient en eux une telle marque d'amour qu'elle en trembla presque.
Un nouvel éclair de gêne la parcourut soudain lorsque la prêtresse les sermonna, légèrement réprobatrice, à propos de leurs activités nocturnes. Elle dit même que Clervie devrait se confesser entièrement, sous peine d'être déshonnorée. La jeune femme sentit une certaine amertume l'envahir. Si seulement c'était Erwan le responsable de ce "déshonneur" je m'en serais trouvée bien ravie. Elle ne le dirait pas, mais à ses yeux, Erwan n'avait fait que réparation pour le mal que lui avaient fait les deux crapules, alors qu'elle était encore adolescente. Peut-être bien qu'ils auraient dû réfréner leur ardeur, certes. Mais Clervie pensait mourir avant même que le forgeron ne songeât réellement à elle comme future épouse.
La prêtresse les fit entrer dans une petite salle du temple pour parler en toute tranquilité. Clervie se permit de parler la première, bien que cela défiât quelque peu la convention. Mais il y avait quelque chose qui devait être parfaitement clair, et ce, dès à présent.

En petit comité, s'il vous plaît. Mieux vaut être discret. Vous comprendrez pourquoi lorsque je vous aurais fait confession. (Elle n'était pas enchantée à l'idée de devoir révéler de nouveau son vrai nom à quelqu'un, mais elle savait ne pas avoir le choix pour légitimer leur union...) D'ailleurs, serait-il possible de garder la page du registre sous scellé ?

Elle savait qu'Erwan, qui partait du principe que la discrétion ne serait pas très utile, ne goûterait pas cette demande, aussi le fusilla-t-elle brièvement du regard pour le dissuader de toute protestation. Ce nigaud avait en effet tendance à oublier que même si ce n'était pas les purificateurs qui s'occupaient de leur cas, clamer en public avoir épousé la proscrite Sombrelune pourrait lui valoir tôt ou tard, ou une violente perte de réputation, ou pire, la corde. Si elle pouvait devenir pour de bon Claire Dacier devant les gens qui les connaissaient, un nom qui n'aurait plus rien de commun avec son ancienne identité, cela faciliterait grandement sa renaissance. Le passé allait devoir être enterré, tôt ou tard.

J’étais dans un état de tension tel que j’avais l’impression que j’allais m’écrouler. Je ne savais plus où me mettre et craignais la réaction des deux femmes. A vrai dire, si je redoutais la réaction de la prêtresse à ma confession, c’était celle de Clervie à ma demande qui me faisait le plus peur. La prêtresse finit par sourire après que j’eu terminé mes confidences et il s’écoula un petit moment silencieux. Seule Clervie avait prononcé mon prénom avant de se taire pour observer les alliances. Je ne savais pas si elles lui plaisaient et cela renforçait mon appréhension.
 
Je n’osais ni bouger, ni même m’approcher de Clervie, j’étais tétanisé. Puis, enfin, la prêtresse parla. Elle acceptait de nous marier et ce sans problème. Je due me retenir de pousser un soupir de soulagement et je sentais un sourire timide se fendre sur mon visage. Mon cœur fit un battement de trop lorsqu’elle complimenta les anneaux. Elle parla alors du ruban nécessaire à l’union, sans lequel elle ne pouvait consacrer l’union.
 
Euh… !!
 
Je me maudissais d’avoir oublié ce détail ! Tellement pris par la crainte que les bagues ne conviennent ou ne plaisent pas, que j’en avais oublié le ruban. Alors que je tergiversais en jetant un regard plein d’angoisse à Clervie, constatant les larmes qui semblaient vouloir couler, la jeune prêtresse repris parole d’un air grave.
 
La tête basse, j’écoutais le sermon. Je le connaissais, presque par cœur, l’ayant déjà entendu une dizaine d’années auparavant. Bien évidemment qu’il fallait passer à confesse et à cela je m’étais préparé. Aussi mon soulagement ne fut que plus grand lorsqu’elle dit ne pas douter de notre amour. Son air grave fut rapidement remplacé par un nouveau sourire alors qu’elle se présentait. Une fois de plus, j’eu l’impression que Serus me gardait sous son aile. Eléanor était une de ses prêtresses, comment ne pas y voir un possible signe de sa bienveillance ?
 
Enchanté Mère Eléanor ! Je suis heureux que ce soit vous qui m’entendiez.
 
Elle nous conduisit alors à l’écart, dans une petite pièce plus intime. Durant le trajet, je n’osais presque pas regarder ma douce, lui frôlant légèrement la main. Je ne savais ce qu’elle avait en tête puisqu’elle n’avait presque pas desserré les lèvres.
Les portes fermées derrière nous, nous avions pris place sur des banquettes confortables.
Puis tout alla très vite.
 
A peine Eléanor nous interrogeais sur l’organisation du mariage que Clervie précisait sans tarder que le comité se devait d’être le plus intime possible, allant jusqu’à demander la scellée du registre. Après avoir fait cette requête, elle me lançait un regard noir. Je ne pouvais même pas apprécier qu’elle accepte une fois de plus de s’unir à moi puisque son regard me clouait sur place.
Je fis un sourire tendre et timide à ma promise avant de me tourner vers Eléanor.
 
En effet, nous souhaiterions le plus petit comité possible. Nous ne souhaitons pas clamer notre union outre mesure. A dire vrai, la présence des seules personnes indispensables nous conviendrait parfaitement.
 
Plongeant la main gauche dans ma bourse, je lançais un sourire à Clervie avant de me tourner de nouveau vers la prêtresse. La main droite, tenant les anneaux, tremblait toujours en l’absence d’une quelconque remarque de ma promise. Lorsque j’ouvris la gauche, ce fut pour dévoiler un vieux ruban bleu.
Les alliances dans une main, un ruban dans l’autre.
Je déglutis avec un sourire confus.
 
J’étais trop impatiens d’avoir un avis sur les alliances tout à l’heure…J’avais oublié que j’avais également apporté ce ruban. Mon père me l’a donné il y a quelques années pour « lorsque le jour viendra », comme il à dit.
 
Je repris une goulée d’air.
 
Je l’avais apporté pour savoir si, tout comme les anneaux, cela convenait pour notre union.
 
J’eu alors un petit rire angoissé avant de dire sur un ton de plaisanterie.
 
En fait, présentement, il ne reste plus qu’à procéder…Hahaha !
 
Peut-être aurais-je du me taire…