Les premiers rayons de l'astre solaire s'étiraient et flattaient les pierres claires du clocher lorsque Cassandre termina son soin. La nuit avait été rude, particulièrement longue, et le temple avait vu quantité de blessés être amenés en son sein. La situation de la ville était plus que préoccupante et la milice, flanquée de ses hommes d'armes, faisait tout pour repousser au mieux la tentative d'invasion de la fange. Mais l'affaire se montrait complexe. Les fangeux étaient de ses créatures infatigablement dangereuses que l'on ne voulait croiser et qui, pourtant, faisaient des ravages au cœur même de leur enclave. Les murs de Marbrume n'étaient plus sur et l'angoisse de se faire attaquer sournoisement régnait en maître, telle l'épée de Damoclès. La menace était bien là, insidieusement occultée mais pourtant suffisamment palpable pour que la ville retienne son souffle pour protéger la vie.


La prêtresse n'avait ainsi que peu dormi. Même si le couvre-feu avait été décrété et que les portes du Temple avaient été scellé pour la nuit, cela n'empêchait pas les religieux d’être à pied d’œuvre. La Fange faisait quantités de blessés que l'on se devait de les guérir aussi prestement que possible. Ainsi Cassandre, avec ses connaissances et sa pratique sur le sujet, avait été réquisitionnée et s'affairait depuis des jours dans des soins toujours plus complexes. Certains avaient pu être sauvé, d'autres avait péri à cause de trop grands maux et d'autres encore s'était vu marqué par l'horreur mouvante. Ces derniers avaient été soigné du mieux qu'on pouvait avant d'être chassé de la ville et considérés comme bannis. Cassandre trouvait cela horrifiant et particulièrement injuste mais en comprenait le motif. Le but était de sécuriser la ville et ce mal trop peu connu ne devait être pris à la légère. On ignorait encore comme s créait les fangeux et on ne pouvait faire courir de risques en gardant des personnes infectés par la fange.


La jeune femme s'étira légèrement et soupira. La fatigue commençait clairement à se faire sentir et il fallait qu'elle fasse une pause. Au moins quelques minutes, au moins quelques instants, juste pour s'asseoir et souffler un peu. Cassandre laissa l'homme, dont elle venait de suturer une plaie, dormir du sommeil du juste et décida de sortir des quartiers réservés aux soins. Dans la grande salle les blessés continuaient de s'entasser et les prêtres courraient déjà à leurs tâches de bon matin. Soudainement prise de remords, Cassandre se promit de ne s'accorder qu'un court répit avant de s'en retourner aider les médecins du Temple.


Les grandes portes venaient tout juste de s'ouvrir sur le ville que déjà la milice arrivait avec d'autres invalides. Cassandre les laissa entrer avant de passer à son tour les portes, mais dans l'autre sens. La jeune femme se dirigea vers ce qui semblait être les jardins du Temple, qui longeaient ce dernier. Elle savait que, le matin dès l'ouverture des portes, certains prêtres et prêtresses se rendaient là pour communier un moment avec Serus. Pour le moment l'endroit semblait encore désert et seuls quelques oiseaux troublaient le silence. Cassandre prit le parti de s'asseoir sur un petit banc de pierres claires et soupira de nouveaux. Contrairement au Temple, l'endroit était tranquille, calme et apaisant. On avait beau être à deux pas de l'immense bâtisse, l'impression d'être à milles lieues de là était saisissante et cela faisait un bien fou. La prêtresse respira longuement l'air porté par de petits zéphyrs fort matinaux et se perdit un moment dans la contemplation d'un parterre d'herbe sans importance. Sans doute la fatigue se dévoilait ainsi, dans un élan de somnolence apaisante, bercée par le chant lointain de quelques oiseaux.

Cassandre était tellement plongée dans ses pensées et acculée de fatigue. Son regard clair était toujours braqué sur le parterre d'herbe qui poussait au pied d'un des arbres, mais aussi perdu dans le vague à cause de son état somnolant. Elle repensait aux derniers événements qui s'étaient déroulés dans la cité et qui rendaient la vie plus compliquée. L'attaque de la Fange, en début de mois, avait laissé Marbrume affaiblie et en deuil de bien trop de morts. Les pertes étaient catastrophiques et, malgré son tempérament optimiste, Cassandre se demandait comment la ville allait s'en remettre. Ils étaient enclavés, reclus dans une ville assaillit par les fangeux dont certains quartiers avaient même été compromis. La famine elle aussi était là et rongeait le cœur et le ventre des survivants. La prêtresse avait beau croire que les Trois les mettaient à l'épreuve, parfois – comme ce matin – elle doutait de leur motivation. Dans un moment de doute et de fatigue extrême, sa foi vacillait au profit d'autre chose, un sentiment qu'elle ne comprenait pas encore très bien et qui, pourtant, parvenait par moment à la faire douter de ses croyances : une terrible colère mêlée d'injustice.


Cassandre sursauta lorsque la prêtresse se baissa à son niveau. Elle était tellement perdu dans sa réflexion qu'elle ne l'avait pas entendu et encore moins vu arriver. Pendant un court instant elle tenta de remettre de l'ordre dans ses idées embrouillées, voire même un peu sombres, et finit par secouer la tête pour tenter de chasser l'endormissement qui la menaçait. Face à elle se trouvait Eleanor Séraphin. C'était une jeune prêtresse de son âge, fervent adepte de Serus d'après ce qu'elle avait entendu dire. Elle ne la connaissait pas personnellement, mais savait que les prêtres avaient du mal en sa présence à cause d'une histoire rocambolesque que Cassandre ne comprenait pas. Depuis longtemps déjà elle avait compris que, parfois, les apparences étaient forts trompeuses et qu'il suffisait de creuser un peu pour découvrir une pépite brute. Elle était résolue à se faire son propre avis sur tout. Et à l'heure actuelle le 'tout' se nommait Eleanor.


« - Oh... Euh... »


La prêtresse de Rikni cligna des yeux plusieurs fois pour en chasser la fatigue. Ce n'était décidément pas le moment de faiblir et de s'endormir. Il restait bien trop de choses à faire, bien trop de personnes à aider...


Cassandre se redressa légèrement en entendant le discours d'Eleanor. Elle avait l'air gentille, prévenante, et allait jusqu'à s'enquérir de son état. Pourtant, elle aussi avait l'air fatiguée et ses traits étaient marqués par un manque de sommeil évident. Cela devait être le cas pour la majorité des membres du clergé de toute façon, la prêtresse ne se faisait pas d'illusion là dessus. En revanche, elle ne se sentait pas l'âme à se reposer avant les autres, en les abandonnant ne serait-ce que quelques heures alors que la charge de travaille était si importante. Et puis, elle ne se sentait pas si épuisée que ça finalement. Ou alors se fourvoyait-elle totalement.


« - Ne vous inquiétez pas, Ma Sœur, tout va bien. J'étais simplement venue souffler quelques minutes dans le silence apaisant du jardin. Je crois même avoir un peu somnolé contre ma volonté... »


Cassandre lui rendit son sourire bienveillant et s'étira avant de soupirer légèrement. Eleanor avait raison, elle avait besoin de repos. Mais le sommeil était un luxe qu'elle ne pouvait se permettre, ou plutôt qu'elle ne voulait pas se permettre. Son esprit, sans doute trop altruiste, lui interdisait de se laisser aller à ce confort quand d'autres pouvait mourir par manque de soin. Soin qu'elle pouvait sans doute prodiguer, ou tout du moins apaiser en attendant qu'un meilleur soigneur ne puisse s'en occuper. Il était évident pour elle qu'elle se devait de retourner aider.


« - Si vous voulez vous joindre à moi pour quelques minutes de calme avant de retourner dans la tempête, vous êtes la bienvenue Ma Sœur. Je ne compte pas m'attarder cependant, il y a fort à faire et bien peu de temps pour y parvenir, vous ne croyiez pas? »

Cassandre devait s'avouer que converser avec Eleanor l'avait un peu éveillée. A la vérité, cela n'avait pas été compliqué surtout quand on voyait l'état de fatigue dans lequel elle se trouvait, mais pourtant la présence de la prêtresse avait quelque chose d'apaisant. Elle ne savait pas trop si c'était sa voix plutôt douce ou la justesse de ses mots, mais Cassandre se sentait à l'aise avec la jeune femme. D'ailleurs, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi tant des leurs la fuyaient. Eleanor était aimable et visiblement fort attentionnée envers son prochain ce qui constituait un atout de taille pour sa profession. La prêtresse de Rikni ne saisissait pas pourquoi ses cheveux posaient autant de problème. Ils étaient particuliers, certes, mais cela n'était qu'un point de détail, un élément peu commun qui ne constituait pourtant pas la base de sa moralité. Cela n'avait même rien à voir. Cassandre trouvait consternant de s'attacher autant à un point physique pour juger d'une personne, car après tout, les Trois ne l'avaient-ils pas faite ainsi pour une bonne raison? Si leur semblables étaient suffisamment fermés d'esprit pour se rendre compte d'une telle évidence, le Temple avait sans nul doute du soucis à se faire...


La prêtresse soupira légèrement. Eleanor avait bien évidemment raison, et sur plusieurs points. Cassandre avait besoin de repos, c'était évident, mais elle avait aussi peur que cette accalmie provoque la mort de personne qu'elle aurait pu soigner et sans doute sauver par la même occasion. Il ne lui restait que bien peu de monde dans son entourage, tout au plus sa sœur aînée. Bien entendu elle tenait à elle mais au fil des années au Temple, Cassandre s'était détachée peu à peu de sa famille. On ne pouvait pas dire qu'elles aient jamais été proches, c'était plutôt une relation cordiale et fraternelle à seulement quelques occasions. Elle était sa famille, du moins sur le papier. Cassandre s'inquiétait aujourd'hui bien plus pour les blessés et les malades que pour sa sœur qui n'avait aucune raison, hormis la prière, de venir au Temple.


Eleanor finit par s'asseoir à côté de la prêtresse de Rikni et tenta de l'apaiser au mieux. Cassandre soupira une nouvelle fois et se contentant de l'écouter en rêvassant quelque peu. Elle profitait des premiers rayons du soleil qui éveillaient la ville et plus particulièrement le jardin où elles se trouvaient. Il y avait un petit brin d'air, suffisamment léger pour flatter délicatement le visage de Cassandre et faire flotter quelques mèches de cheveux dorées et rebelles qui s'étaient décrochées de sa coiffure tressée. D'un simple geste de main, la prêtresse glissa les mèches derrières derrière ses oreilles pour ne plus qu'elles l'importunent. Maintenant qu'elle était assise là, elle était prise d'une lassitude pesante, presque engourdissante . L'envie et le besoin de sommeil tendaient à se métisser et Cassandre savait qu'elle ne pourrait de toute façon plus luter bien longtemps.


« - Vous avez raison, ma Soeur, et sur bien des points. Perdre d'autres personnes me serait intolérable, mais pourtant je ne saurais travailler encore longtemps avec tant de fatigue accumulée. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des soignants à cause d'une telle lassitude, ce ne serait que pure bêtise. Et nous ne pouvons pas non plus nous permettre de risquer un mauvais diagnostique, ni même de perdre quelqu'un par simple négligence... »


Sa main droite vint occulter, pendant quelques seconde, la bouche de Cassandre et le bâillement silencieux qui s'en échappa. Bien sur qu'Eleanor avait raison, étant donné son état travailler dans ses conditions devenait réellement dangereux. En revanche, avec une heure ou deux de sommeil, ses résultats nouvaient qu'être bien meilleur. Cassandre allait écouter la jeune prêtresse et se reposer un peu. Juste un peu.


« - Je vous remercie pour vos conseils avisés, ma Soeur. Je saurais m'en souvenir. »


Elle la regarda un moment et lui offrit un sourire bienveillant, presque amical, puis finalement Cassandre décida de se lever et lui tendit la main pour l'aider à faire de même. Une fois que cela fut fait, elle voulu la lui rendre mais tout ne se passa pas exactement comme prévu. Au lieu de cela, Cassandre s'accrocha à la main d'Eleanor pendant quelques instants, victime d'un léger malaise. Les couleurs avaient momentanément fuit son visage et peinait à y revenir et la jeune femme dut se rasseoir un peu bien vite finalement, de peur de s'écrouler sans doute. Elle ne s'était sans doute pas rendu compte qu'elle tenait toujours la main de la prêtresse, troublée par le malaise qui l'avait assaillit.

Cassandre avait bien sentit qu'elle avait perdue toute ses couleurs et le peu de contenance retrouvée avec cette petite pause. Son visage s'était soudainement mis à picoter et une gangue de froid l'avait recouverte, la glaçant jusqu'aux os. Le contact avec le banc la rassura et lui évita probablement de tomber, mais elle ne savait pas comment elle avait réussit à s'asseoir. Le malaise avait été puissant, suffisamment pour qu'elle ait un éblouissement passager et que la seule chose dont elle soit encore certaine c'était de ce contact avec la main de la prêtresse. Cela devait sans doute être Eleanor qui l'avait aidé à se poser sur le banc mais la jeune femme n'en était pas certaine. Elle avait peu conscience de ce qui se passait autour d'elle, même si le malaise tendait à s'étioler.


La prêtresse de Rikni respirait doucement et profondément, comme pour chasser le voile qui s'était légèrement déposé sur ses prunelles claires. Cela pris quelques instants avant de se sentir mieux et que sa peau daigne enfin récupérer quelques bribes de coloration. Cassandre finit par sentir la main qui s'était posée sur son épaule et entendit dans le lointain les premières paroles d'Eleanor. La prêtresse soupira comme pour essayer de chasser définitivement les dernières effluves de mal-être et tâcha de focaliser son regard sur la jeune femme. Elle capta ainsi un petit sourire qu'on lui offrait de bon cœur et nota qu'elle retira sa main d'entre les siennes. Cassandre n'avait pas volontairement gardé le contact, à la vérité le malaise avait occulté une partie de ses sens et cela avait été plus un réflexe qu'autre chose. Pendant un instant, elle se demanda si Eleanor l'avait mal pris mais, avec la réaction amicale de cette dernière, le doute ne subsista pas longtemps.


Cette fois Cassandre entendit parfaitement ce que la jeune femme lui dit et se décida à en tenir compte. Elle n'avait de toute façon pas la forme physique pour se lever et détaler pour aller soigner qui que ce soit. Elle risquait plutôt de tuer quelqu'un par négligence si elle agissait de la sorte et cela lui était inenvisageable. Ainsi, toujours assise sur le banc de pierres claires, Cassandre regarda filer Eleanor. Elle échappa à sa vue rapidement et la jeune prêtresse, bien mal en point, soupira de nouveau. Qu'il était honteux de se trouver dans pareil état alors qu'il restait en à faire... Cassandre ne se rappelait d'ailleurs pas la dernière fois où elle avait manger à peu près correctement. Elle se souvenait qu'on lui avait porté de temps à autres quelques mets ainsi qu'un pichet d'eau mais avec tous les soins, elle doutait d'y avoir touché. S'était maintenant qu'elle se rendait compte qu'elle aurait sans doute dû prendre quelques minutes pour avaler quelques choses pour ne pas se trouver dans cet état lamentable. Elle avait été trop insouciante et Eleanor avait raison, cela aurait pu la perdre.


La prêtresse se demanda si ce malaise n'était pas un signe des Trois. A moins que ce soit l'intervention d'Eleanor qui le soit. Après tout, il était encore tôt et, pour une fois, il n'y avait que peu de mouvement au sein du jardin du Temple. Peut-être les prêtres étaient-ils tous occupés à cette heure? Ou peut-être leur avait-on soufflé de ne point venir ce matin? Seule Eleanor semblait avoir pris le pas de se diriger ici à cette heure et, sans elle, Cassandre aurait pu rester allongée au sol bien longtemps. Sans doute était-ce une coïncidence. Ou peut-être pas. Seuls les Trois le savaient.


Emplie de questionnement, Cassandre soupira encore une fois et décida de rester tranquille. Un moineau venait d'ailleurs de se poser sous l'arbre qui lui faisait face et avait entreprit de grignoter quelque chose au sol. La prêtresse le regardait faire paisiblement alors que la couleur continuait de lui revenir tranquillement. Le malaise était enfin partie, mais il avait laissé place à une lassitude tenace, de celle qui vous fatigue les sens et l'esprit. Cassandre était d'ailleurs tellement focalisée sur l'oiseau qu'elle sursauta lorsqu'Eleanor reparue non loin d'elle. L'oiseau s'envola avec légèreté et Cassandre porta une main à son cœur, surprise.


« - Oh ma Sœur, je ne vous avais point entendue arriver. Asseyez-vous je vous en prie, je crains d'être trop épuisé pour me lever tout de suite. »


Cassandre tenta un petit sourire rassurant, mais il était évident que sa forme n'était pas revenue d'un claquement de doigts. La fuite du malaise avait permis à quelques couleurs de reparaître mais il était évident que son état n'était tout de même pas au mieux.


« - Où êtes-vous allée ma Sœur? Je vous ai vu disparaître rapidement et... vous revoilà. »

Encore un peu surprise par l'arrivée inattendue de la jeune prêtresse, Cassandre papillonna des yeux comme pour reprendre pied avec la réalité du moment. L'oiseau s'était envolé, tout comme une partie de sa rêverie accumulée lors de l'absence d'Eleanor. La religieuse avait reprit un peu de couleur, même si elles étaient loin d'être encore suffisantes, et soupira distraitement alors que l'angoisse du malaise refluait lentement. Elle dirigea son regard clair vers la jeune prêtresse pour finalement lui offrir un petit sourire rassurant en l'entendant lui expliquer la raison de son départ un peu précipité. Cassandre se décida finalement à accepter le petit pain et la gourde d'eau qu'on lui tendait avec gentillesse et décrocha un morceau du met. Elle se mit ensuite à mastiquer le petit morceaux de pain sous le regard bienveillant d'Eleanor. Pourtant, Cassandre se retenait. Quelque part, elle répugnait à manger de la sorte, loin des yeux des autres et simplement sous prétexte d'un malaise passager, alors que d'autres mourraient littéralement de faim. Elle savait qu'elle en avait besoin mais elle ne voulait pas être la seule à en profiter, la famine guettait déjà trop de monde et ce pain était bien trop gros pour elle de toute façon.


Elle nota que la jeune prêtresse s'était de nouveau assise à son bord. Cassandre n'était pas bête au point de croire que la fatigue ne s’acharnait que sur elle. Elle savait que bien trop de religieux en souffrait actuellement et, visiblement, Eleanor en faisait partie. Cassandre pouvait noter son souffle légèrement court et la fatigue qui marquait ses jeunes traits. Il était évident qu'elle se trouvait dans un état proche du sien et que malgré toute sa gentillesse et sa bienveillance, la jeune femme ne tiendrait guère longtemps sans repos.


La prêtresse de Rikni s'arma d'une nouvelle détermination et rompit le pain en deux part à peu près égale. Puis elle regarda avec douceur Eleanor et lui tendit la moitié de son petit repas.


« - Mangez un peu vous aussi ma Sœur, vous en avez besoin autant que moi. »


Cassandre but ensuite une ou deux gorgées de l'eau contenue dans la gourde et la referma avant de la donner à la jeune femme. Elle lui offrit par la même occasion un nouveau sourire à la fois apaisant et amical, presque complice. Cassandre se sentait à l'aise avec la prêtresse. Elle ne semblait pas enclin à s'embarrasser de fioritures ou de masques hypocrites et paraissait sincère et amicale malgré le malaise que Cassandre avait subit. Eleanor lui paraissait droite et juste, mais auréolée de préjugés arbitraires et même dégradants. Contrairement à certains, Cassandre ne s'attardait pas sur de telles choses et préférait de loin se faire sa propre opinion sans tenir compte d'une particularité physique. Les Trois créait les gens dans leur entièreté et le physique n'en était qu'une partie. Bien souvent la vrai beauté venait du cœur, tout comme la laideur d'ailleurs, et ce qui était d'ailleurs fort trompeur.


Cassandre fut d'ailleurs surprise par la question, visiblement gênée, de la jeune femme. La prêtresse de Rikni porta ses iris clairs sur Eleanor et, le plus simplement du monde, elle posa une main amicale sur celles de son interlocutrice comme pour attirer son attention. Toutefois, elle la retira pour ne pas paraître envahissante et pour ne pas mettre Eleanor mal à l'aise.


« - Je ne suis pas de celles qui s'attardent dans l'ignorance et l'injustice du préjugé. »


La prêtresse laissa son discours en suspens pendant quelques secondes avant de reprendre.


« - De plus, je trouve votre présence apaisante contrairement à ce que certains peuvent en dire ou en penser, donc non, vous ne me dérangez pas du tout ma Sœur. Bien au contraire. Sans vous j'aurais sans doute céder au malaise, votre être s'est avérée précieuse et je vous en remercie. »


Elle attrapa distraitement un petit morceau de pain qu'elle mangea en quelques instants. La nourriture lui faisait du bien finalement et elle était réellement reconnaissante à la jeune femme de l'avoir aidé.


« - Quand à ces cheveux que certains trouvent étranges, moi je les trouve très jolis, Sœur Eleanor. Par les temps qui courent beaucoup ne savent plus reconnaître les présents des Dieux et confondent ce qui est rare avec ce qui est mal. Pour moi c'est un cadeau des Trois, non pas une damnation. »

Cassandre avait bien sentit que la jeune femme s'était tendue en attendant sa réponse. Elle devait avoir tellement « l'habitude » qu'on la brime ou qu'on la fuit à cause de sa particularité capillaire qu'elle avait sans doute eu peur une fois de plus d'être jugée. Hors Cassandre n'était pas ce genre de personne. Elle avait à cœur de se faire son propre avis sur chaque question et sur chaque personne, sans tenir compte des rumeurs. Ces dernières étaient bien trop souvent fausses, ou tronquées,e t ne reflétaient en rien la réalité des faits. En ce qui concernait Eleanor Séraphin, c'était la même chose. Elle avait entendue quantité de chose qui, finalement, se révélaient être totalement erronées maintenant que la jeune femme conversait avec elle. C'était triste à dire mais les gens étaient parfois si obtus d'esprit. Dire qu'on pouvait être gêné par quelques mèches de cheveux plus claires... C'était si impensable pour Cassandre. Elle remerciait mentalement les Trois de lui avoir donné une croyance, un minimum d'intelligence et un esprit critique pour ne pas sombrer dans l'obscurantisme imbécile.


Pour réponse au « Merci » d'Eleanor, Cassandre lui offrit un sourire franc et amical. Elle n'allait pas se perdre dans des remerciements qui traînaient en longueur, mais le cœur y était et son sourire le démontrait. Le visage d'Eleanor lui aussi s'était éclaircit, comme si elle était rassurée par les paroles de la prêtresse de Rikni. A croire qu'elle s'attendait à tout autre chose, et Cassandre pouvait le comprendre. Seulement voilà, Cassandre n'avait pas peur de quelques mèches plus claires et rebelles et Eleanor semblait y être sensible. Pendant un moment, Cassandre crut même qu'elle allait lui dire quelques chose, mais il s'avéra que ce ne fut pas le cas.


Au lieu de cela, la prêtresse de Sérus ne manqua pas de s'enthousiasmer sur le retour des couleurs sur le visage de Cassandre. Un petit sourire s'étira sur les lèvres de la jeune femme lorsqu'Eleanor mentionna le dernier point à combler. Le sommeil. Visiblement elle y tenait et Cassandre ne pouvait lui en vouloir. Après tout elle avait bel et bien fait un malaise et ne voulait pas être un fardeau de plus pour le Temple. Il y avait déjà bien trop à faire sans cela, aussi avait-elle décider de se laisser tenter par quelques heures de repos.


Puis Eleanor sauta sur ses pieds, sans doute requinquée par le petit repas improvisé qu'elles avaient fait, et lui tendit la main. Elle paraissait plus joyeuse désormais, un peu comme si la joie de vivre venait de renaître en elle. A croire que le fait de se sentir comprise et non plus rejetée avait un effet immédiat sur la jeune femme et que cela déclenchait un regain soudain d'énergie. A moins que cela ne soit dû au morceau de pain, allez savoir...


Cassandre se décida à prendre sa main et se leva à son tour, sans trop de peine cette fois-ci. Le pain et l'eau lui avaient fait du bien et elle se sentait tout à fait disposée à regagner les dortoirs du Temple alors qu'auparavant cela lui avait semblé impossible.Même si la fatigue avait un peu reflué, Cassandre sentait malgré tout qu'elle avait besoin de repos. Elle se laissa donc guider par la prêtresse de Sérus à travers le jardin.


Cassandre espérait qu'Eleanor aurait comprit qu'elle aussi avait besoin de repos et, puisqu'elles allaient aux dortoirs, qu'elle en profiterait aussi pour prendre un peu de repos par la même occasion. Elle ne savait pas si telles étaient ses intentions mais sans doute aurait-il été judicieux qu'elle fasse commence Cassandre. Même pour une heure ou deux. Juste quelques heures pour regagner quelques forces.


La prêtresse de Rikni ne dit rien et laissa Eleanor la conduire dans le temple, sans se départir de son sourire. Elle ne savait pourquoi, mais elle avait une bonne intuition concernant Eleanor et était presque déçue de voir leur discussion écourtée. Cassandre espérait avoir le loisir, dans un futur proche, de discuter de nouveau avec la jeune femme et de pouvoir la remercier comme il se doit pour son aide. En attendant, elle était contente d'avoir eu l'occasion de partager un moment avec elle, même bref, et tâcha de ne pas plus l'embarrasser en regagnant les dortoirs.