Car c'est bien ça la guerre!

L'alcool avait toujours su apporter réconfort aux gens de guerre. Balian ne faisant pas exception à cette règle millénaire, il n'avait pas refusé l'invitation de plusieurs de ces hommes et avaient fini dans cette taverne de soudards porté par le mouvement.

L'ambiance y était explosive. Les miliciens y côtoyaient des hommes d'armes portant des couleurs, mais aussi des personnes pour le moins louches. La concentration de lames et d'armes contondantes entre ces murs pouvait concurrencer sans le moindre mal l'armurerie ducale. Enfin, royale... Balian avait du mal à se faire à ce changement. De fait, ce n'était pas le seul "fait" qu'il trouvait difficile à digérer.

Les discussions animées qui l'entouraient portaient sur les éternels sujets adorés par les soudards. Des choses simples comme les histoires de fesses, la nourriture et les anecdotes martiales. Là encore, il était sans-doute question de tradition. Le jeune comte se souvenait qu'un de ces précepteurs s'était permis un trait d'humour en la présence de son père en décrivant son ost comme une horde d'étudiants, avec quelques cicatrices en plus.

La fin des temps avait tout de même bouleversé le microcosme qu'était le monde des bretteurs et autres spadassins. Des femmes autres que les serveuses avaient fait leur apparition dans ce lieu de débauche. La cervoise n'aidant sûrement pas, elles se montraient tout aussi débridés que les habitués. Une demoiselle honorable aurait sans doute trempé ses bas en écoutant ce qui était raconté ici-bas.

Entre les ricanements et les toasts, l'odeur typique et le chatoiement des tabars, le capitaine se sentait bien plus dans son élément qu'en compagnie de ses pairs au sang bleu. Un pur produit de l'idéologie ayant conduite à l'émergence des Bellatores avait bien du mal avec ces marchands de tapis des beaux quartiers. Peut-être ne fallait il pas chercher plus loin les raisons du déclin du royaume.

Il abandonna ses pensées désagréables et pessimistes pour retourner à ses camarades de beuverie. Afin d'amuser la galerie, il joua les prudes faces à ces grognards défigurés par la guerre et l'ivresse. Il se leva pour chanter en cœur lorsque la situation l'exigeait et leva sa choppe lorsque la bienséance le réclamait.

« … et c'est ainsi que, porté son élan, sa foi inébranlable en la cause des trois et une bravoure dont seul un virois peut être le détenteur, sa seigneurie le futur comte embrocha au triple gallo un mouton de... trois cent livres ! »
« Père voulait m'apprendre à jouter. Et que dis tu là malheureux, ce mouton en faisait bien quatre cent ! »
« Imaginez la bête traversée par la lance. Et maintenant imaginez que notre seigneur n'avait jamais couché sa vouge à la charge. Le résultat ne devrait donc pas vous étonner. Sa fière monture a poursuivit sa terrible chevauchée tandis que notre futur maître restait accroché, comme le diable à un pécheur, à son arme ! »
« Il faut rester dans ses étriers, depuis cette aventure je le sais. Personne ne vous le dit à l’entraînement... »
« Car c'est aussi ça la guerre ! » hurlèrent en cœur une partie des combattants éméchés faisant écho à une anecdote précédente.

La table du comte fut terriblement malmenée par les guerriers riant aux éclats. Une quantité non négligeable d'alcool fut renversée et un malheureux termina sa crise à terre. Un sourire joueur en coin, le comte laissa ses voisins s'en prendre à sa dignité. Après tout, les anecdotes qui pleuvaient depuis bien une heure n'épargnaient personne.

Il fit un signe presque universel à une serveuse afin de demander un autre godet et se retourna vers sa table lorsqu'un baroudeur demanda aux trois demoiselles présentes :

« Et vous gentes dames ? Aucune raison de vous épargner ! Du salace, ou la douloureuse sera pour vous ! »
« Car c'est bien ça la guerre ! »