Purifier le Peuple (PV Clervie!)

11 juin 1166

Un mois. Un seul petit mois… Voilà le temps qui s’était écoulé depuis la ‘catastrophe’. L’invasion, comme certains se plaisaient à l’appeler, ou ce ‘coup de maître’ comme préféraient d’autres. Marius était de ceux là.

La charge de travail au sein de la milice n’avait fait qu’augmenter, les patrouilles étaient plus régulières, de jour comme de nuit. S’entraîner, observer, inspecter, enquêter… C’était un quotidien épuisant qui s’était drastiquement intensifié depuis ‘ce jour tragique’. Un coup de pied dans la fourmilière qui avait remué toutes ces petites bêtes et leur avait fait comprendre la fragilité de leur vie et de l’équilibre qu’ils croyaient avoir trouvé en se réfugiant entre les murs de cette cité… Et les dieux savaient qu’il y en aurait d’autres des coups de pieds.
Ça oui.

Seulement pour l’instant, l’heure était à la vigilance, à la discrétion et au profil bas. Marius était un milicien, un brave gars pas très bavard qui s’exécutait sans rechigner et qui obéissait aux ordres.
Depuis ce jour de mai, la rumeur s’était étendue et accusait les Purificateurs d’être à l’origine du malheureux incident. La panique et la paranoïa s’étaient alors emparées de certains habitants tous quartiers confondus, et avait mené à un élan de délation et d’accusations plutôt nombreuses. L’un accusait le poissonnier d’être un de ces fanatiques parce qu’il l’avait entendu pester contre un client, lui priant gentiment d’aller se faire croquer par un fangeux, l’autre dénonçait sa voisine après l’avoir vu rentrer chez elle le couvre-feu tombé, le visage planqué sous un capuchon de laine -une triste histoire d’adultère qui avait dû s’achever sous les coups d’un mari trop jaloux.-
Des histoires comme celles-ci il y en avait eu beaucoup, oui. Une véritable aubaine pour les purificateurs de passer entre les mailles du filet, mais hélas la chance finissait parfois par tourner.

“Aprechamps, on a une nouvelle accusation. Tu t’en occupes.”

Encore une… Mais pas des moindres. Marius accepta sans moufter, pas franchement ravi par ce qui l’attendait. Cet homme accusé, il le connaissait. Un guérisseur dont l’affaire était située dans le quartier de la Hanse, un ancien ami de Louis. Etait-il… un membre de la secte, lui aussi ou leur connaissance n’était-elle qu’une pure coïncidence ? Comment savoir..?

“ Qu’est-ce qu’il a fait c'type ?” demande-t-il dans un haussement de sourcil à l’intention de son supérieur.

“Paraît qu’il a tendance à sortir un peu trop l’soir tombé. Encore un qui doit aller en tringler une qu’y devrait pas hinhin.” rit-il grassement. “ T’y vas pas tout seul hein ? Tires en un d’sa pause, ça lui f’ra les pieds.”

Un ordre, c'est un ordre. Marius approuve d’un signe de tête et tourne les talons pour rejoindre les quelques miliciens qui profitaient d’un moment de calme à l’abris du cagnard.
Certains jouaient aux cartes, d’autres affûtaient leurs armes et astiquaient leur armure, d’autres encore rongeaient ce qui ressemblait de loin à du vieux pain et mâchonnaient de la viande séchée. L’un d’entre eux avait rapidement planqué une bouteille entre ses jambes en le voyant arriver, finissant par la ressortir pour en boire une franche rasade en s’apercevant que ce n’était ni un coutillier ni un sergent .

Marius garde le silence, la main posée lourdement sur le pommeau de son arme passée à sa ceinture, et balaie l’assemblée de miliciens en pause d’un oeil las. Qui choisir parmi tous ces gars ?
Une masse noire attire alors son attention, posée juste là. La chevelure de jais d’une gamine l'interpelle, encadrant froidement un visage trop jeune et trop féminin à son goût pour faire partie de la milice. Une bleusaille ? Une femme ? Elle ne devrait pas lui poser trop de problèmes s’il venait à avoir besoin de couvrir les arrières de son potentiel ‘confrère’.
Parfait.

“Hey, toi là, avec les cheveux noirs.“ lance-t-il dans un grognement à l’intention de la jeune femme. “ J’ai une affaire à régler à La Hanse et faut quelqu’un pour m’accompagner, c’...” Un gaillard s’approche de lui en brayant et lui donne une bonne tape sur l’épaule.

“ La Corbac ? Beeeeeh, tu pourrais en prendre une de ton âge mon gars ! Laisses nous la chair fraîche !” s’esclaffe-t-il, suivi par le gloussement vaseux de deux de ses camarades. Marius repousse la main intrusive d’une claque sèche et laisse un regard pesant retomber sur l’emmerdeur avant de reporter son attention sur la demoiselle.

“ Un gars est accusé d’faire partie d’la secte, faut aller le voir pour... tirer ça au clair. Prends de quoi te défendre au cas ou et dépêches toi ; on part tout d’suite. J’t’attends dehors.” dit-il froidement avant de se détourner et d’aller se poster devant la caserne -si rien ne l’en empêchait-.

Le fils de chien en cape verte s'approcha, l'air autoritaire, avant de s'adresser à elle.

“ Un gars est accusé d’faire partie d’la secte, faut aller le voir pour... tirer ça au clair. Prends de quoi te défendre au cas ou et dépêches toi ; on part tout d’suite. J’t’attends dehors.”

Clervie finissait de mâchonner son pain et sa viande séchée, et songeait à passer à la fontaine histoire de prendre une gorgée d'eau pour faire passer tout cela. Mais visiblement, c'était trop demandé si elle en jugeait par l'urgence du ton.


Et où sont tes épaulettes, Coutillier ? le nargua-t-elle en réponse. Ah, laisse-moi deviner: tu n'en as pas ? Et je suis censée te suivre bien gentiment ?

Clervie savait qu'il n'était jamais bon de défier un milicien, surtout lorsqu'il y avait du public à côté. Cependant, courber complètement la tête la répugnait, encore plus depuis ce qui était arrivé à ce pauvre gosse au Labret. Surtout que jouer profil bas n'empêchait absolument pas les nombreuses humilliations et tentatives de viol qu'elle avait été obligée de déjouer depuis son arrivée. Heureusement que le stylet maintenait quelque peu les conscrits à distance. Aussi ajouta-t-elle avec un sourire moqueur :

Enfin, ma foi, une petite promenade ne peut pas faire de mal, n'est-ce pas ? Toujours mieux que de subir votre compagnie à vous autres ! lança-t-elle en direction du milicien qui venait de conspuer.

"Toujours aussi grande gueule, Corbac, ça t'perdra ça, tu verras !"

Sans doute, mon fumier, sans doute, songea la jeune femme avec hargne. Dire que cela fait tout juste deux mois que je suis arrivée ici et que j'ai l'impression d'avoir vécu dix ans... Mais tu vaux bien toute la peine que je prends, Sacro-Sainte Majesté... Toi et tes petits copains bien installés sur l'Esplanade...

Ce fut ainsi que le duo improbable se mit en route vers le quartier de la Hanse. Clervie apprit que l'accusation concernait un certain Angus Ifmort, guérisseur de son état. Des délations, des accusations, cela tombait pratiquement toutes les semaines et la jeune femme s'était rendue compte que la plupart des arrestations étaient pour ainsi dire, arbitraire. Mais impossible d'intervenir, impossible de dire quoi que ce soit quand on était une petite bleusaille arrivée tout juste et pire, qu'on était une femme dans ce milieu implacable.

Et elle se devait à Alaric, son frère mort si injustement, ainsi qu'à leur père, le Baron de Sombrelune, dont le nom avait été souillé en plus qu'il se fût trouvé condamné à subir agonie atroce avant que les Trois n'eûssent pitié de lui. Aussi Clervie avait-elle vite appris à faire passer sa propre survie avant celle d'un autre, même si chaque jour lui ajoutait un nouveau poids sur la conscience. Un jour, elle contribuerait à faire changer les choses. Un jour, elle ferait payer à toutes ces crapules responsables de la mort de tant d'innocents...

A cette heure de la journée et malgré la canicule, le marché de la Hanse était bien animé et Clervie sentit son estomac gargouiller lorsqu'une odeur de pain chaud lui chatouilla les narines. Macabre point positif au premier mai, la famine était désormais moindre. La cité avait été soulagée de plus de quinze milles âmes qui étaient tout autant de bouches en moins à nourrir. La jeune femme se demandait presque si c'était la réponse des dieux à la prière de certains de faire cesser la faim dans le Royaume...

A vrai dire, Marius ne s’était pas vraiment attendu à ce répondant et à cet air provocateur. Il avait été clair, poli, avait ignoré les sous-entendus de son camarade et voilà que la gosse se permettait de monter sur ses grands chevaux ?
Le garde balaie l’agacement et la colère grandissante d’un battement de paupière lourd. Il cille, laisse son regard la transpercer un instant avant de faire demi-tour sans rien ajouter. Du désintérêt, pur et simple.
A quoi bon répondre ? Il n’avait plus rien à prouver, lui.
Il avait à son actif des années d’expérience, de nombreux combats, escortes et pugilats… Sa vie était déjà faite, il devait avoir presque le double de ses printemps. Cette morveuse ne valait pas la peine de dépenser davantage d’énergie, surtout pas ici, pas devant tous ces grouillots. Il lui ferait grâce de cette humiliation.

Le duo prend la route sans un mot, l’atmosphère entre les deux miliciens est lourde et électrique, Marius l’ignore, se contentant de l’informer du minimum nécessaire jusqu’à arriver à la Hanse où la vie battait son plein. Les commerces étaient ouverts, les citoyens dérivaient ici et là, passant d’une échoppe à une autre pour oublier la morosité de cette période et les nombreuses pertes qu’ils avaient essuyé. Un mois seulement et pourtant les choses semblaient être complètement rentrées dans l’ordre… il faudrait frapper plus fort la prochaine fois.

La baraque d’Angus n’est qu’à quelque mètres d’eux, elle ne donne pas sur l’extérieur ; il faudrait donc rentrer en espérant que le type soit là et sans clients. Les accusations n’étaient pas vérifiées encore, mais dans le doute, mieux valait être prudent -et éviter d’avoir trop de témoins-.
Marius attrape d’une main ferme l’avant bras de la brunette pour attirer son attention et planter ses pupilles dans les siennes. La gamine fait sa taille, mais son regard à lui est sévère et assuré.

“On veut pas lui faire peur pour l’instant. Simplement lui poser quelques questions, prendre la température.” explique-t-il d’une voix calme.

“On va rentrer tous les deux, je ferais sortir les gens s’il y en a pour qu’on puisse être seuls avec lui. S’est déjà fait accuser, faudrait pas qu’des rumeurs se propagent s’il est innocent. Paraît qu’il a tendance à sortir le soir malgré le couvre-feu, on pourra pas le vérifier à moins d’rester en planque ou de trouver quoi que ce soit de suspect chez lui.” il marque une pause et humecte ses lèvres : “ Moi c’est Marius.” se permet-il d’ajouter sérieusement avant de hausser un sourcil taquin à son égard.

“T’avais l’air d’avoir la langue bien tendue tout à l’heure ma p’tite… Alors je te laisse commencer et montrer c’que t’as dans l’ventre?” Il lui tapote doucement la joue comme à une enfant, un rictus mauvais étirant le coin des lèvres : “Pas d’inquiétude, j’m’attends pas à grand chose de ta part… alors j’risque pas d’être déçu.”

Il la relâche et lui adresse un regard entendu avant d’ouvrir la porte du commerce et de l’inviter à passer devant lui. Marius observe l’intérieur du bâtiment, laissant sortir un gosse qui venait vraisemblablement d’acheter quelques plantes séchées.

“ De quoi il avait besoin le gamin ?” demande-t-il naïvement, cherchant des yeux le commerçant qu’il avait déjà croisé. Il tente de le sonder, de trouver quelque chose… Mais rien. Que lui avait dit Louis ? Quel lien avaient-ils tous les deux ? Etait-il l'un des leurs ou un marchand lambda sans secret aussi... dangereux.

Angus garde son sourire derrière le comptoir et répond tranquillement :

“De la mélisse et de la passiflore. Sa mère n’arrive pas à bien dormir depuis quelques jours.” se sent-il obligé de préciser. Il tourne son visage vers la jeune femme :

“Je peux vous aider en quoi que ce soit m’sieur dames ?” Son sourire est un peu plus crispé désormais. Marius reste légèrement en retrait, les bras croisés contre sa poitrine en attendant avec impatience l’intervention de sa partenaire.