[TERMINÉ] Entre remerciements et... amitié? [PV Aaron]

« J'aimerais voir le père Clay, mais je peux patienter s'il est très occupé. Ce qu'il doit être. Dans tous les cas, vous seriez bien aimable de l'informer qu'Idalie d'Auvray aimerait s'entretenir brièvement avec lui. »

Idalie sourit gentiment à la jeune prêtresse, qui s'éloigna pour prévenir son collègue de la venue d'une visiteuse. La noble fit quelques pas pour prendre place sur un banc situé un peu a l'écart qui faisait face à la statue d'Anür. Elle posa contre ses cuisses le petit paquet qu'elle tenait jusque-là dans ses mains, puis reposa son attention sur la représentation de la déesse, lui adressant des prières silencieuses, la remerciant de sa bonté à son égard.

Dans un peu moins de deux mois, Idalie unirait sa vie à celle d'Aymeric devant les Trois. Anür lierait leurs âmes, et elle abandonnerait le nom d'Auvray pour porter celui de Beauharnais. Elle quitterait Marbrume pour s'installer au Labret et y vivre une vie entièrement différente de celle qu'elle vivait dans la ville, loin de son frère aîné qu'elle n'avait jamais quitté. Si elle commençait à se faire à cette idée, elle n'en ressentit pas moins un léger vertige un instant. Plus les jours passeraient, plus cette idée se concrétiserait. Elle trouverait une robe de mariage. Elle enverrait des invitations. Elle organiserait comme elle le pourrait depuis la ville divers détails pour la cérémonie. Elle viderait sa chambre de ses effets personnels, ferait ses paquets. Elle monterait à bord d'un navire et naviguerait vers une nouvelle existence qu'elle espérait heureuse. C'était une aventure aussi exaltante que terrifiante.

Une présence à ses côtés tira alors Idalie de ses prières et ses réflexions. Sursautant presque tant elle s'était perdue dans le dédale de son esprit, elle releva les yeux pour découvrir que le père Clay se tenait à sa droit. Avait-elle attendu longtemps? Elle n'en savait rien, en réalité, mais ce n'était important. Le clerc avait répondu à son appel, et elle était sincèrement heureuse de le voir. Le père Clay l'avait beaucoup aidée dans plusieurs de ses démarches personnelles et elle lui en était infiniment reconnaissante. Il s'agissait aussi d'une personne qu'elle appréciait, autant pour sa franchise que pour son sens de l'humour et son intelligence. Elle se sentait privilégiée d'avoir fait sa rencontre et elle tenait à le remercier.

Idalie se leva pour saluer respectueusement le prêtre, puis lui sourit chaleureusement.

« Bonjour, Père Clay, j'espère que vous vous portez bien, dit-elle. Je vous remercie de m'avoir taillé une petite place dans votre emploi du temps. Je tâcherai de ne pas vous retenir trop longtemps. »

Ayant déjà choisi un endroit en retrait où s'asseoir afin qu'ils puissent discuter loin des oreilles indiscrète, elle invita poliment le clerc à prendre place près d'elle. Elle poursuivit alors :

« Je souhaitais seulement vous dire que vous aviez raison... Le comte est revenu et m'a demandé de l'épouser. Et j'ai accepté. Nous allons nous marier au Labret dans quelques semaines. »

La jeune femme sourit, rougissant quelque peu en se rappelant les baisers échangés avec Aymeric dans
l'euphorie du moment. Elle ne ressentit toutefois pas le besoin de se confesser, cette fois. Nul besoin. Elle se doutait que le père Clay savait déjà qu'il y avait quelques timides dérapages juste à la regarder.

« Je tenais simplement à vous remercier de votre temps, de votre écoute et de vos conseils, continua-t-elle. Votre aide m'a été plus précieuse que vous pouvez sans doute l'imaginer... »

Idalie marqua une pause, puis tendit doucement le paquet au prêtre.

« Accepteriez-vous ce modeste présent en gage de ma gratitude et de mon amitié? J'ignore si le temple le permet, mais je me disais que cela vous serait utile vu le nombre de parchemins que je vous ai fait remplir lors de mes précédentes confessions. »

La noble rit tout bas. Le paquet contenait un carnet de notes relié en cuir ouvragé, un objet beau, mais simple dont le maître d'œuvre saurait faire bon usage selon elle.

« Enfin, si vous ne pouvez pas l'accepter, j'en ferai don au temple, mais comme vous prenez beaucoup de notes pour votre travail ici, j'ai cru que ce serait une façon appropriée de vous remercier plus personnellement de votre aide tout en en faisant profiter le temple... »

Le réapprovisionnement des box de soins reste un moment obligé pour notre prêtre qui en prime adore cela car cela l'oblige à garder son esprit en éveil et cela contribue à maintenir sa mémoire au niveau où elle est : exceptionnelle. Et il a compris qu'une mémoire, ça s'entraîne. Alors, repérer ce qui a été utilisé, le mémoriser, aussi pour les quantités, le faire pour chaque box, aller chercher ce qui manque et ne ramener que ce qu'il faut, c'est précieux pour lui. Et en prime, cela rend service. Il finit cette mission et récupère son nécessaire d'écriture, pensant établir des plans pour les prochaines réparations à planifier. C'est à cet instant qu'une novice vient le déranger, ce qu'il n'apprécie que modérément, mais quand elle lui apprend que c'est Dame Idalie d'Auvray qui l'a demandé, son visage s'éclaire d'un sourire. C'est qu'il a reçu des félicitations de sa supérieure pour son travail avec la noble. S'il a une relative liberté actuelle, c'est aussi grâce à la dame d'Auvray. De quoi lui pardonner des dérangements en général pas désagréables.

Face aux représentations des Trois, Idalie semble rêver. Ou prie-t-elle ? Aaron la laisse volontiers dans son univers onirique puis ne s'offusque pas quand elle réalise sa présence. Bon, comme d'habitude, Idalie s'excuse de déranger le prêtre dans ses occupations et comme d'habitude Aaron répond par un haussement d'épaule qu'il s'en contrefiche et que ça ne mérite pas des excuses. Elle l'entraîne en retrait, rien d'étonnant quand on souhaite se confesser, puis lui annonce ce qu'il espérait entendre. Le beau Comte qui hante les rêves d'Idalie est revenu, l'a demandé en mariage et elle a accepté. Contrat rempli, il l'aidait pour son auberge, elle songeait sérieusement au mariage. Et quelle preuve plus sérieuse qu'on y songe que... de se marier ? Aaron fait quelques pas de danse puis dépose un baiser sur le front d'Idalie pour la féliciter, visiblement ravi pour elle, puis son visage se ferme, et un sourcil interrogateur se dessine.

Elle a bien dit "Au Labret" ? Le mariage aura lieu là-bas ? C'est tellement gros qu'il mime deux mains qui se nouent, puis il montre le Temple des yeux et fait non de la tête avec un air interrogateur. Mais dans les faits, il sait qu'il a bien entendu, il n'est pas sourd. C'est juste que c'est surprenant. Il savait le Comte original, il faut l'être pour quitter l'Esplanade et partir vivre au Labret par les temps qui courent, mais de là à s'y marier ? Quoi qu'en y réfléchissant, cela aidera à l'intégration de son épouse, ça ne fait pas un pli, ça éloignera pas mal d'invités aussi et avoir la paix, c'est pas du luxe, puis ça fera une pub monstrueuse pour le Labret, ce qui pourrait plaire au Roi. Dans le fond, c'est une excellente idée. Et Aaron, après cette rapide réflexion, lève un pouce approbateur. Bon, il pourra pas assister au mariage, mais ça n'est pas dramatique. Même si la cérémonie s'était faite ici, il sera venu y jeter un œil, sans plus. C'est vraiment, mais alors vraiment, pas son truc !

Bon, il s'attend à nouveau à une flopée de questions. La cérémonie religieuse, qu'est-ce qui est permis pour la fête, et "tout" est une réponse presque vraie, tant que ça ne nuit pas aux bonnes mœurs, des angoisses sur la nuit de noces, le statut de la fille du Comte par rapport aux enfants qu'ils auront, mais non, elle lui apporte juste un cadeau. Et visiblement, notre Prêtre est touché. Mais quand elle demande si le Temple le permet, il répond non de la tête. Les prêtres n'ont pas de possessions personnelles, sinon leurs outils de travail s'ils en ont besoin : Le vêtement religieux et pour les soigneurs par exemple leurs instruments de soin. Ce qui explique qu'Aaron, en tant que maître d’œuvre, ait sa planche à dessin qui lui sert aussi d'écritoire. Le cadeau est de qualité, en tant que bibliophile, il sait apprécier la reliure. Pour la première fois, il écrit :

- Le geste me touche, mais je pense sincèrement que l'un de nos trois hauts prêtres l'apprécieront et y feront nombre d'annotations qui serviront les Trois et la Foi.

Il l'a dit sérieusement, en prime, alors qu'Idalie a pu sentir qu'il n'était pas conventionnel comme prêtre. Mais, visiblement, il est quand même un prêtre. Ce n'est pas un contestataire, un anti autorité, c'est un prêtre qui aime débattre, s'interroger sur les dogmes. Les Hauts-Prêtres doivent trancher sur ces questions, et choisir, c'est renoncer. C'est la raison qui fait qu'il les respecte... même s'il n'est pas toujours d'accord avec. Et qu'il a un caractère assumé et indépendant. Bref, le cadeau est accepté, le geste apprécié, mais ça n'est pas vraiment lui qui en profitera.

Par contre, il ressent une petite frustration. Bon, qu'elle ne lui raconte pas les détails sur comment il a fait sa demande, c'est sa vie à elle et ça n'a pas grande importance, mais ça l'aurait amusé de savoir. Plus sérieusement, par rapport aux inquiétudes qu'elle avait, a-t-elle eu des réponses ? Et il noircit un peu plus le parchemin en posant la question qu'il estime être la plus importante :

- Vous a-t-il parlé de ses attentes vous concernant et des rôles qu'il souhaite vous confier en tant qu'épouse et Comtesse ?

Si ces rôles lui conviennent, à elle, il le découvrira à la façon dont elle lui répondra.

La réaction enthousiaste du père Clay fit rire tout bas Idalie, qui ne pouvait qu'être heureuse de voir le prêtre se réjouir autant de la nouvelle de son mariage à venir. Elle conserva le sourire lorsque le clerc manifesta son étonnement à l'évocation du Labret. Le choix de tenir les festivités en étonnaient beaucoup, mais il n'était pas question de revenir sur cette décision, peu importe ce que l'on en dirait. Le comte tenait énormément à ce que le mariage ait lieu à Usson et elle partageait son souhait, sachant qu'un tel événement apporterait du bon au Labret. Elle n'avait qu'un seul regret : le père Clay ne pourrait sans doute pas assister à la fête. Si elle ne manquerait pas de lui envoyer une invitation formelle, elle s'attendait à un refus, et ce, pour de nombreuses raisons : complexité du déplacement, charge de travail trop lourde, interdiction de ses supérieurs... Cependant, il avait joué un rôle si crucial dans son cheminement qu'elle n'imaginait pas une seule seconde ne pas au moins lui faire parvenir une missive pour lui signifier que sa présence était souhaitée.

« Oui, au Labret, confirma-t-elle devant la perplexité du prêtre. Nous pensons que les Labretans apprécieront l'événement. »

Elle offrit ensuite son présent au père Clay, qui fut visiblement touché par le geste. Comme elle l'avait craint, il ne pouvait cependant accepter le cadeau. Elle plissa très légèrement le nez, quelque peu déçue malgré la prévisibilité de la chose. Vu le caractère utile du cadeau, elle avait cru qu'il pourrait peut-être le garder, mais le carnet finirait vraisemblablement entre les mains d'un haut prêtre. Elle hocha la tête en souriant. Au moins, le carnet serait employé à bon escient. Et le père Clay savait qu'elle lui était reconnaissante de ce qu'il avait fait pour elle. C'était l'essentiel.

Le clerc noircit de nouveau le parchemin. Idalie parcourut la question des yeux, puis acquiesça avant de reposer son regard dans celui de son vis-à-vis.

« Oui, il m'a bien précisé qu'il souhaitait que je sois bien plus que son épouse, son amante ou la mère de sa fille et de nos enfants, répondit-elle. Il m'a dit qu'il voulait que je sois son associée, sa complice, que je m'occupe d'un certain nombre de projets sociaux qu'il me confierait. Il m'a mentionné un projet en particulier, celui d'aider des orphelins à trouver une famille pour les accueillir et pour leur apprendre un métier. C'est une entreprise de grande envergure, il y aura certainement bien des gens à convaincre, il faudra énormément d'organisation, mais la perspective ne pourrait m'enchanter davantage. Rien ne me paraît plus beau que d'offrir un avenir plus radieux à un enfant et d'aider des gens qui travaillent dur et ont probablement beaucoup d'amour à donner au passage. »

Idalie eut un doux sourire, le regard brillant à l'idée de participer à un projet qui avait le potentiel d'avoir un impact aussi positif au sein de la communauté.

« Sous ses airs parfois un brin taciturnes, le comte a réellement un grand cœur, poursuivit-elle. Ce projet revêt une importance particulière pour lui, je l'ai vu dans son regard, je l'ai entendu dans la manière dont il m'en parlait. Je me sens privilégiée qu'il m'accorde déjà sa confiance pour le mener à bien. Nous nous connaissons encore si peu, après tout... Enfin, un peu plus maintenant, mais nous avons encore beaucoup à découvrir l'un sur l'autre. J'admets être impatiente de le revoir. Son séjour ici a été nettement trop court. »

Les joues de la noble rosirent quelque peu. Elle releva le regard vers le père Clay.

« Croyez-vous que le temple pourrait avoir une objection à la concrétisation de ce projet? demanda-t-elle. Nous n'oserions évidemment entreprendre quelque démarche que ce soit sans l'accord du clergé. »

- J'en suis certain aussi

N'hésite-t-il pas à écrire quand elle explique que les labretans apprécieront. Il en connaît peu, du moins depuis la Fange mais il en a apprécié la plupart. Il se souvient cette fermière timide qui apportait quelques plantes et qu'il a menée vers l'herboristerie. Elle était ravie, au final, de sa visite et a donné quelques conseils qui ont été suivis d'effet. Quelques plantes médicinales poussent désormais dans les espaces verts du Temple et ce, sans gêner les visiteurs ou les clercs qui ont besoin de s'aérer.

Son sourire s'étire encore quand il voit que les fiancés ont parlé de leur avenir commun et que le Comte est loin d'être un idiot et qu'il compte mettre les choses en place pour que son épouse soit plus qu'un ventre à façonner les héritiers. De là à parler d'associée, le terme est fort. Une complice, il peut l'imaginer, mais une associée. La seule personne qu'il a envisagée d'épouser, il comptait lui laisser sa vie, tout en la conseillant si elle le souhaitait, mais jamais Aaron n'avait envisagé de l'intégrer dans ses projets à lui. Et ce Comte propose à Idalie un poste d'associée à qui il confiera des projets qu'il considère importants ?

- Vous paraissez avoir trouvé des réponses à beaucoup de questions et en être apaisée. Je dirai même que vous me semblez pressée d'être son épouse. C'est une excellente chose.

Si on regarde objectivement les choses et qu'il avait fallu arranger un mariage, celui du Comte de Beauharnais avec Idalie d'Auvray serait peut-être sorti du chapeau, même s'il y avait d'autres possibilités. Des nobles plus riches étaient disponibles. Mais au niveau réputation, elle était le meilleur parti, et l'union de deux familles de héros sera bien vu de tous. Mais cela devient formidable quand un mariage qui aurait dû être arrangé se fait finalement naturellement. Mais il ne peut se cacher qu'il est surpris par le portrait fait du Comte, car, évidemment, il a un peu enquêté de son côté. S'il était un coutilier attentif à ses hommes et un bon meneur, c'était aussi une forte tête, au parler rustique et pas forcément un grand commerçant. Mais l'homme est pieux, un bon donateur, déjà comme simple milicien, et pas connu pour être violent, malgré que ça soit un guerrier. Idalie le complétera idéalement sur ses défauts tout en l'accompagnant sur ses qualités. Les deux sont honnêtes, ce qui est rare de nos jours.

- Son projet est probablement lié à sa fille, j'imagine.

Cela lui semble logique, quelque part. L'adoption d'Alix a fait un peu de bruit au Temple et Aaron en a entendu parler, pour une raison très simple. Celle qui s'en est chargée et qui accessoirement confessait le Comte à Marbrume n'est autre que sa supérieure hiérarchique, Constance Hilaire. Quand cette dernière a entendu des rumeurs faisant état d'un rapprochement entre son protégé à elle et sa protégée à lui, ils en ont parlé. Et les fiançailles qui sont désormais officielles seront mises au crédit du Père Aaron au sein du Temple. Voilà qui devrait continuer à aider sa réputation.

Puis la question difficile : Le Temple pourrait-il objecter à ce projet... Aaron lève un doigt pour demander le silence afin de réfléchir à la question. Doigt qui se met à bouger comme s'il s'agissait du vol d'une mouche. Et soudain il chasse une idée, semble suivre une autre piste, grimace, continue de réfléchir avec un regard qui s'agite presqu'autant que le doigt, bien que le regard semble suivre d'autres pistes que le doigt. Puis cette agitation cesse et Aaron plonge son regard dans celui d'Idalie. Il hausse les épaules avec une grimace d'excuse et fait oui de la tête. Le Temple pourrait objecter à ce projet. Puis il mime le fait qu'il va devoir écrire beaucoup et prend un nouveau parchemin.

- Le projet est magnifique et offre à des artisans la possibilité de transmettre leur savoir à des enfants qui sans cela auraient les pires difficultés à apprendre un métier est une œuvre sociale louable. Le savoir-faire ne se perdra pas et c'est une chose importante pour un artisan.

L'aspect transmission du savoir-faire semble plus important pour Aaron que l'amour, l'adoption possible et le bonheur tant du maître artisan que de son apprenti. Et il se dit aussi qu'il serait peut-être temps qu'il pense à former quelqu'un. Après tout, il commence à ne plus être tout à fait jeune. Viendra un jour où il devra baisser de rythme. Déjà, il court moins les filles...

- Mais accueillir un enfant nécessite au moins un lit où il peut dormir, des vêtements et de la nourriture. Si pour la nourriture, les enfants ne sont pas voraces, surtout petit, en matière de vêtements, cela peut être coûteux. Et qui dit coût dit aussi des échanges, des trocs et l'impression peut être qu'il s'agira d'une sorte de commerce fait sur les enfants. Et forcément, vous le comprendrez, c'est à éviter. C'est pourquoi, si les choses se faisaient en l'état, le Temple n'approuverait pas.

C'est d'une logique implacable et Idalie doit le comprendre.

- Alors il est indispensable que cela s'organise comme une Fondation, ou un Ordre et qu'un prêtre ou une prêtresse en fasse partie, comme caution morale. En plus du prêtre et de la noblesse que vous représenterez, vous en tant que Comtesse ou le Comte si c'est lui qui dirigera l'Ordre, il serait bon d'y adjoindre l'un ou l'autre artisan, qui pourront évaluer si un enfant pourra correspondre au métier qu'on lui envisage. Un officier milicien serait également le bienvenu, pour éloigner les gens malveillants envers les enfants. Et si la Fondation ou l'Ordre devaient oeuvrer et au Labret et à Marbrume, les artisans et le membre du Culte devront être doublés et vivre sur place.

Il trouve inutile de préciser qu'avec ces différentes cautions, tout le monde devrait être rassuré et le projet avalisé et sur de bons rails, puis que les dons en meuble ou vêtements ne devraient pas poser de problème. Il laisse à Idalie le parchemin qu'il vient de rédiger avec ses suggestions et reprend son parchemin initial pour ajouter :

- Je vais proposer l'ébauche de projet à mes supérieurs pour voir s'ils voient des choses à corriger ou à ajouter, mais je pense être dans le bon dans les grandes lignes, voire être allé trop loin. Ces conditions vous gréent-elles ?

Le père Clay avait raison : Idalie avait, lors de sa récente rencontre avec le comte, obtenu des réponses à plusieurs de ses questions et avait ainsi pu calmer une partie de ses angoisses. S'il ne faisait aucun doute que son mariage allait la garder éveillée de nombreuses nuits, les paroles de son fiancé l'avaient rassurée sur le rôle qu'elle jouerait après s'être installée au Labret. Certaines nobles lui auraient assurément conseillé de se méfier de ces belles paroles, mais elle avait étrangement déjà confiance en Aymeric. Il était honnête, elle le sentait. Il n'avait aucune raison de mentir et, elle, de remettre en cause sa sincérité. Elle avait, après tout, bien peu à offrir par rapport à d'autres partis, hormis une bonne réputation. S'il lui disait qu'elle prendrait part activement à ses initiatives, elle le croyait.

Lorsque le clerc mentionna que le projet de rassembler orphelins et artisans était probablement lié à Alix, Idalie acquiesça en souriant. La mine sérieuse, pensive, elle lut ensuite l'avis de son confesseur sur le sujet. Elle souhaitait par-dessus tout faire ce qu'il fallait pour permettre au projet d'Aymeric de prendre vie de façon appropriée, aussi était-elle prête à suivre à la lettre toutes les recommandations du père Clay et des hautes instances du clergé. Elle n'avait évidemment pas le dernier mot dans cette histoire, mais elle pensait que son fiancé apprécierait qu'elle lui transmette rapidement les exigences des représentants des Trois tandis qu'elle pouvait encore en prendre note en personne.

« Les conditions me paraissent raisonnables, répondit-elle en relevant les yeux sur le père Clay. Il me paraît essentiel de mettre toutes les mesures nécessaires en place pour qu'on ne puisse douter des bonnes intentions derrière cette œuvre de bienfaisance. Si vos supérieurs souhaitent me rencontrer avant d'avaliser le projet, je serai ravie de revenir au temple pour en discuter avec eux. Je ne peux parler au nom d'Aymeric, mais je peux lui rendre compte des préoccupations et des exigences du clergé ainsi que des étapes à suivre. En plus de correspondre avec sa fille, j'ai l'intention de lui faire parvenir des missives pour l'informer de l'avancement réalisé de mon côté concernant le mariage. Je pourrai aborder le sujet en même temps et tenter de régler le plus de choses possible du côté de Marbrume avant de quitter la ville. »

Idalie sourit, visiblement enthousiaste. Entre l'auberge, les préparatifs du mariage et le projet d'Aymeric, les prochaines semaines allaient être particulièrement remplies. C'était sans compter que la noble voulait passer du temps avec son frère avant leur inévitable séparation. Son horaire allait être chargé, mais elle ne s'en plaignait pas, loin de là.

La jeune femme relut une dernière fois les conditions énoncées par le père Clay, puis posa son regard dans le sien. Après une brève hésitation, elle se lança :

« Je sais qu'il me faudra l'accord d'Aymeric et que votre travail de maître d'œuvre vous tient occupé, mais... si le comte et vos supérieurs donnent leur permission, accepteriez-vous d'être le représentant de la Fondation ou de l'Ordre à Marbrume? Mes visites en ville risquent d'être plutôt rares et j'aimerais que quelqu'un de confiance soit mes yeux, ici... Enfin, j'ai confiance en vos confrères et en vos consœurs, bien évidemment, je n'oserais prétendre qu'ils ne sont pas qualifiés, au contraire... C'est seulement que... j'ai davantage confiance en vous. »

Alors qu'elle semblait avoir terminé, elle ajouta un peu précipitamment :

« Mais je comprends si vous n'avez pas envie ou si vous êtes déjà trop débordé pour accepter. Loin de moi l'idée d'essayer de vous imposer quoi que ce soit. »

La future Comtesse est très raisonnable mais de cela, Aaron ne pas. Elle accepte les conditions qu'il a émises, les comprenant parfaitement. Elle précise, naturellement, qu'elle devra les soumettre à son futur époux, mais de cela notre Prêtre était conscient. Il lui laisse le parchemin avec les conditions qu'il a envisagées. Il note sur leur parchemin de dialogue :

- Le Comte est pieux, je ne doute pas qu'il acceptera, d'autant que les aides sont bienvenues.

Un agréable sourire se dessine sur son visage, sourire qui ne s'éteint pas quand elle lui demande s'il veut faire partie de l’Œuvre. Il réfléchit, bien que sa tête ait déjà fait non en réponse à la question et écrit :

- Je manque de temps, mais comme beaucoup ici. Mais en prime, je n'ai absolument aucune patience avec les enfants. Et pire, je pourrais discuter les décisions de l'artisan, car je me sens souvent plus artisan que prêtre.

Visiblement, le Père Aaron se connait bien et ne se ment pas concernant ses propres qualités et ses propres défauts, et les raisons évoquées en font un mauvais candidat. Il apprécie visiblement l'action sociale mise en place et en reconnaît l'utilité, mais ça n'est pas pour lui. Il fait deux suggestions :

- Ma responsable a eu des jumeaux il y a quelques semaines et a aidé à l'adoption d'Alix. Elle a les compétences et l'intérêt pour vous aider et faire partie de l'organisation. Juste, avec des jumeaux et en tant que soigneuse, elle pourrait manquer de temps, mais elle pourrait choisir le prêtre adéquat, et je pense qu'une femme serait une bonne idée. Mais pourquoi ne pas proposer à votre frère d'occuper, pour Marbrume, le poste dévolu à la Milice ?

Son sourire s'agrandit et il gratte encore son parchemin.

- Je vais lui en parler et si nécessaire poser la question à nos Haut Prêtres. Si changement il doit y avoir, je viendrai à l'auberge vous en informer. Sinon, considérez l'accord comme bon. Mais je viendrai de toute manière avant votre départ au Labret pour profiter de votre généreuse offre, qui incluait un repas et une nuit à l'auberge. Aux alentours du 15 octobre, ça vous irait ? Nous partagerons le repas. Puis je profiterai d'une literie de luxe. De façon totalement égoïste et assumée.

Lorsque le père Clay refusa en souriant son offre, Idalie ne put retenir une petite moue sincèrement déçue. Elle aurait beaucoup aimé que son confesseur fasse partie du projet, mais il était déjà très occupé et manquait de temps. Même si elle s'était permis d'espérer un peu, elle n'était pas étonnée de la décision. Elle retrouva rapidement son sourire, plutôt amusée de lire que le clerc n'était doté d'aucune patience avec les enfants et qu'il se sentait capable de remettre en doute les artisans. Malgré son optimisme, il n'était pas l'homme qu'il lui fallait. Pas du tout, même.

Idalie acquiesça à la suggestion du prêtre, admettant sans peine qu'une prêtresse responsable était sans doute la mieux placée pour aider à sélectionner le candidat. Elle resta toutefois songeuse quand il lui proposa de demander à son frère s'il souhaitait occuper le poste destiné à la milice. Elle un peu honte de ne pas y avoir pensé immédiatement d'elle-même.

« C'est une bonne idée, dit-elle en souriant. Je lui soumettrai la proposition, même si je m'attends à un potentiel refus de sa part pour les mêmes raisons que vous avez évoquées. Il est également très occupé... quoiqu'il serait capable de me dire oui uniquement pour me faire plaisir, ce qui ne serait pas raisonnable. »

Idalie plissa le nez, désormais incertaine de l'approche qu'elle allait adopter. Elle finit par balayer l'air de la main d'un petit geste, comme pour signifier qu'elle pèserait le pour et le contre plus tard.
Reposant le regard sur le parchemin, elle rit tout bas à la conclusion du père Aaron. Elle était ravie qu'il revienne sur son offre de profiter d'une nuit à l'auberge et ne s'en cachait pas. S'il n'avait pu accepter le carnet qu'elle lui avait apporté, il passerait un bon moment au Bonheur des âmes.

« Voilà qui me va parfaitement! dit-elle avec enthousiasme à voix basse. Je vais vous réserver notre plus belle chambre afin de vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi et pour le Bonheur des âmes. Et personne ne pourra m'en empêcher. »

Elle sourit, une lueur gentiment espiègle dans le regard, puis replia soigneusement le parchemin que le père Clay lui avait remis.

« Je ne prendrai pas davantage de votre temps, Père Clay, poursuivit-elle. Je souhaitais seulement vous faire part de la bonne nouvelle et de ma reconnaissance. Les choses se seraient peut-être déroulées de façon bien différente sans vos conseils et votre soutien. »

Après s'être levée, Idalie fit une révérence gracieuse et salua une dernière fois le clerc qui, elle espérait, resterait un ami malgré la distance qui allait bientôt les séparer