[Décembre 1163] Les liaisons dangereuses, pv. Darius [TERMINE]

Le climat froid qu’amenait immanquablement la fin de l’année engendrait un beau paradoxe. L’hiver était une saison figée : la terre recouverte de gel plongeait dans un profond sommeil, amenant la mort des plantes en son sillage tandis que les animaux, affectés par cette conséquence, retournaient dans leurs tanières à défaut de partir pour des terres plus clémentes. Imitant la nature, l’activité humaine était au plus bas en cette période l’année.
Mais pas pour les fleurs de rue. Pas pour Emma.

Elles étaient un petit rayon de soleil en ces journées sombres et froides, apportant une brève réminiscence du printemps dans leur vivacité. Emma ne s’en plaignait guère car le compromis était satisfaisant. Plus de clients signifiait plus d’argent, et plus d’argent signifiait qu’elle pourrait davantage boire et manger ce soir – peut-être même mettre un peu d’argent de coté pour s’acheter ce joli châle qu’elle avait vu la semaine dernière au marché.

En ce début d’après-midi, c’est un client régulier dont Emma avait pris soin. Elle ne pouvait affirmer lui avoir beaucoup parlé car elle se contentait en général de faire ce pourquoi on la payait, sans s’aventurer trop profondément dans la vie privée des hommes qu’elle côtoyait. Mais ses consœurs lui avait déjà parlé du capitaine Marcus et des rumeurs circulant autour de lui. On le disait impulsif, capable de violence ; Laure prétendait l’avoir vu assommer un homme d’un seul coup de poing, un différend selon les ragots. On racontait qu’il avait de douteuses fréquentations, certains allant jusqu’à affirmer qu’il s’agissait d’individus des bas-fonds. Vérité, ou simple commérage ?
Que Marcus soit l’un de ces roublards de haute-mer ou juste un type bizarre, Emma s’en moquait. Tout ce qui lui importait, c’était que la transaction et l’acte se passe bien d’un coté comme de l’autre, et en ce sens Marcus n’avait jamais essayé de la rouler ou de lui faire du mal. Alors, ils continuaient à faire affaire, comme cela lui arrivait de temps en temps quand les flots le ramenait sur les docks de Marbrume.

Elle l’avait emmené dans la chambre qu’elle avait loué à la Mouette Rieuse, une modeste auberge de passage située à quelques pas des quais d’embarquement. Comme d’habitude, le patron ferma les yeux sur les raisons de sa présence grâce au petit accord qu’ils avaient conclus : tant qu’elle payait ce qu’il lui était dû et qu’il pouvait toucher en compensation une petite partie de ses gains, elle pourrait continuer ses activités ici. Et c’est ainsi que le capitaine et la petite brune purent monter jusqu’à la petite salle pour s’adonner à leurs activités sans que personne ne vienne les déranger.
Peut-être était-ce parce qu’elle était de bonne humeur aujourd’hui, ou peut-être était-ce parce qu’elle se sentait en confiance avec Marcus, mais elle pouvait se vanter d’avoir passé un moment agréable dans leur danse mêlant rudesse et douceur. Non sans un soupir de satisfaction elle resta à ses cotés au terme de leur aventure, son corps fluet et nu à demi caché dans les draps du lit alors qu’elle reprenait doucement sa respiration.

Par réflexe son regard se porta brièvement vers la fenêtre, et ses traits s’étirèrent d’un discret sourire en apercevant Bertrand perché à son bord, attendant bien sagement à l’extérieur. Son ami corvidé ne pouvait pas la suivre pendant ses activités, alors elle le laissait à l’entrée en sachant qu’il saurait la retrouver : combien de fois l’avait-elle fait rentrer par ce biais, après tout ?

Son regard clair revint bien vite sur Marcus. Elle pressa son frêle corps contre le sien, attirée par sa chaleur en ces températures plutôt froides.

« ‘Te fais pas d’idées, je profite un peu. Ce n’est pas désagréable d’avoir un foyer humain par ce temps là. » maugréa t’elle doucement, dans un ton faussement grondeur. Elle passa ses bras autour de lui, profitant de cet instant qui changeait de la froideur hivernale dans laquelle elle ne replongerait que trop tôt.

Elle resta silencieuse quelques instants avant de finalement reprendre un peu la conversation. Il était temps qu’elle délie un peu sa langue et que, peut-être, elle apprenne une chose ou deux sur lui. Marcus était un personnage aussi curieux que sympathique, et elle considérait dommage de ne pas échanger un peu avec lui.

« Au fait, par curiosité … tu pensais rester combien de temps en ville, cette fois-ci ? »

La jeune femme se détendit sous les caresses des doigts rugueux de son compagnon de lit, sa silhouette s’enlaçant avec la siene dans une intime proximité pour profiter de sa chaleur. Mais bientôt, un petit ricanement moqueur franchit les lèvres de la brune dont le corps fut secoué par le rire, amusée de la plaisanterie de ce dernier. Décidément, il était toujours fidèle à lui-même.

« Oh oui, je pleure déjà rien que de te penser loin de moi. » lui répondit-elle dans un ton qui n’exprimait en rien la prétendue affliction portée par le sens de ses mots, le toisant de ses prunelles rieuses.

Cela dit elle ne pouvait s’empêcher de remarquer que Marcus marquait un point, car même si elle avait posé la question pour faire un peu la conversation, celle-ci exprimait une vérité cachée.
Oh bien sûr, ils n’étaient pas amis. Pas vraiment. Les amis pouvaient prétendre connaître des choses sur leur vie mutuelle ; or elle ne savait rien de lui si ce n’est son métier, quelques visages des membres de son équipage et les rumeurs qui tournaient autour de lui. Mais il est de ceux qu’elle appelle ses « clients faciles », sans problèmes et avec qui elle pouvait baisser sa garde. Alors elle aimait bien savoir quand il était en ville, car cela voulait dire qu’il la visiterait bientôt.

Visiblement, il ne serait pas là très longtemps. La jeune femme fut un peu déçue, mais ne s’en émeut point. Il y aurait d’autres occasions, et il finissait toujours par revenir peu importe le temps que cela prenait.

« Dommage. T’as pas grand-chose à faire ici, mh ? »

S’il était capitaine de bateau, elle ne savait pas très bien dans quel type d’activité il trempait. Peut-être était-ce du simple transport de marchandise, ou peut-être qu’il défendait d’autres navires … ou alors était-il un aventurier chasseur de trésor, comme dans les histoires pour gosses ? Dans un cas comme dans l’autre, il ne devait pas avoir grand intérêt à rester trop longtemps ici.

La question que lui posa Marcus par la suite l’étonna un peu, mais elle ne le montra pas. D’habitude, on ne s’intéressait pas trop à elle. La petite brune haussa doucement ses épaules, sans se détacher de l’homme.

« J’imagine qu’il ne veut pas que l’endroit se transforme en bordel … son métier ne serait plus le même sinon. Mais quoi qu’il en soit on a un petit accord entre nous, tu penses bien que si ça ne l’arrangeait pas il m’aurait déjà jeté depuis longtemps. »

Emma observa sa main posée sur la poitrine de son galant actuel, le caressant machinalement alors qu’elle poursuivait la conversation.

« Mais sinon oui, ça va. L’avantage du port c’est que tu es garanti de trouver des hommes qui ont besoin de relâcher la pression après des jours voire des semaines en mer. Donc franchement, je n’ai aucun mal à trouver de quoi m’occuper bien que des fois il y a des jours avec et des jours sans. »

Des gens comme lui, en vérité. Du coup, les arrivages étaient parfois inégaux et elle devait se débrouiller autrement. Elle soupira doucement ; c’était des soucis dont elle n’aimait pas trop penser et exprimer à voix haute. Malgré tout, après un bref silence, elle finit par avouer :

« Cela dit, j’ai envie de te dire qu’on a jamais assez d’argent. Ça part assez vite entre ce que je dois au patron et la bouffe. »

Son compagnon rit du sarcasme qu’elle lui avait lancé à la volée ce qui, inévitablement, la fit sourire aussi. La bonne humeur et le rire étaient aussi contagieux qu’une bonne grippe. Tant mieux, elle avait besoin d’un peu d’insouciance par les temps qui courent. Pour rien n’arranger à cela, l’expression cocasse que prit Marcus tandis qu’il posait sa question étira ses lèvres en un rictus amusé.

« J’sais pas. On va appeler ça l’intuition.  »

Emma aurait pu se fier à la présence de son bateau si seulement elle avait eut une seule occasion de l’observer. Elle avait souvent trop de choses sur les bras pour avoir le temps de niaiser, et ce n’est pas comme si elle avait ne serait-ce qu’une fois tenté de faire des recherches au sujet du navire de son client. Sans insister, la belle de nuit se fit une petite note mentale de s’y pencher un peu plus, à l’avenir.

Les conseils de Marcus ne tombèrent pas dans l’oreille d’une sourde, ni sa mise en garde d’ailleurs.

« Une augmentation ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? » lui demanda t’elle d’un ton calme, mais non dénué de sérieux. L’idée que ses bénéfices se réduisent ne lui plaisaient guère, et surtout pas de manière aussi abrupte que confuse.

Quoi qu’il en soit, sa paume reste gentiment posée sur l’un de ses pectoraux tandis que ses iris clairs l’observent pensivement, songeant à ses profits et la manière de les voir se multiplier. Elle pourrait essayer de gonfler ses prix, c’est vrai. Cela ne la dérangeait même pas de mentir à l’aubergiste car après tout, elle n’était pas ignorante des bénéfices qu’elle lui apportait. Il n’en saurait jamais rien et, au pire, même s’il en venait à la confronter à ce sujet, elle se débrouillerait autrement comme elle l’avait toujours fait.

L’idée d’une diversification de son activité lui chatouillait agréablement l’esprit, bien qu’elle n’y trouvait pas de réponse évidente et immédiate. Le marché dans lequel elle trempait pouvait être féroce, elle l’avait déjà appris à ses dépends par le passé. Alors comment faire pour se procurer de nouveaux clients ? Devrait-elle travailler dans un bordel ? Mais cela tirerait un trait sur son autonomie …
Sa réflexion divagua un peu sous les caresses du brun. Son regard se plongea dans le sien ; elle se rendit compte qu’il devenait plus intense tandis qu’il formulait doucement sa question presque enrobée de miel. Fascinée, ses yeux bleus observèrent ses pupilles qui semblaient pétiller d’un soudain intérêt.

« Peut-être. » lui répondit-elle doucement, ses lèvres roses se muant en un sourire délicieusement espiègle. « Disons que y’en a qui sont plus bavards que d’autres ... »

De vilains petits secrets, elle en connaissait. Parfois, il s’agissait d'aveux prononcés dans les affres de l’extase ; d’autres fois, c’était simplement l’empressement de la solitude. Moins rarement, une tête embuée d’alcool suffisait. Mais si il lui était déjà arrivé de croquer dans de petites intrigues bien goûtues, il lui fallait tout de même admettre que la plupart étaient sans grande valeur, de petits éclats de vies aussi inintéressants les uns que les autres dont elle ne s’embarrassait même pas à penser.
Elle ricana doucement.

« Pourquoi cette question ? Tu penses que je devrai essayer le chantage ? Ça me paraît assez contre-productif.  »

Emma écoute attention les explications de Marcus sans l’interrompre, ses sourcils légèrement froncés sous l’effet de la réflexion et de l’agacement liée à cette titillante perspective. Ce qu’il disait avait du sens, trop de sens. monsieur Lanier comme tout bon commerçant cherchait le profit, c’est l’une des raisons pour laquelle il n’avait pas été trop difficile à convaincre. Mais irait-il jusque là cependant ? Ne lui offrait-elle pas déjà un certain nombre d’avantages ? S’il poussait le bouchon trop loin, il pourrait la faire fuir, il restait cependant à savoir s’il trouverait mieux et plus docile qu’elle. Emma retint un soupir. Bien sûr, elle avait un caractère de cochon à ses heures et contrairement à certaines, elle ne se laissait pas marcher dessus. Et puis, il y avait des femmes bien plus jolies et douées qu’elle. Mais si l’offre de l’aubergiste était trop élevée, elles aussi s’en iraient.

Elle ne cernait pas suffisamment bien Lanier pour estimer son honnêteté. Peut-il qu’il le ferait, peut-être qu’il ne le ferait pas. En tous cas elle était maintenant prévenue et ferait le nécessaire. Soit elle lui montrerait à quel point elle lui est indispensable, soit elle irait chercher mieux ailleurs – quitte à faire ce qu’elle avait à faire dans les « ruelles sordides », comme disait Marcus. Ce n’est pas comme si c’était la première fois que cela arriverait. Tant qu’à la fin de la journée elle avait un peu d’alcool dans le sang et du pain dans le ventre, ça lui allait.
Mais la brune était plus inquiète qu’elle ne voulait l’admettre. Même si son métier ne rejetait aucun honneur sur elle – c’est bien pour cela qu’elle mentait sur toute la ligne à ses parents-, il y avait de la dignité à avoir un toit sur la tête pour la réchauffer et la cacher des regards intrusifs. Si elle perdait son accord … c’était revenir à la case départ.

C’est pourquoi elle était aussi attentive aux paroles de Marcus quand celui-ci lui rappela une vérité évidente. Emma savait des choses sur ses clients, des choses plus ou moins intéressantes ou compromettantes. Sauf qu’elle n’était pas folle : le chantage, ce n’était pas son genre. Non pas qu’elle en serait incapable, mais comme il l’avait si bien souligné, elle n’avait pas exactement les armes pour. Pire encore, cela réduirait sa clientèle si cela devait se savoir. Ce serait un très, très mauvais calcul.

Alors, il lui parla d’une autre possibilité. Une possibilité alléchante, séduisante, tout comme les caresses qu’il lui dispensait. Les douces lèvres de la jeune femme effleurèrent les siennes tandis qu’il s’approchait, toujours plus joueur dans ses gestes. Immobile, elle le sentit glisser jusqu’à son oreille à la manière d’un serpent pour lui délivrer ses derniers mots au creux de son oreille avant de venir mordiller son lobe. Elle fut pris d’un léger frisson de plaisir, fermant brièvement ses yeux pour ne les rouvrir que lorsqu’il eut fini.

Le sourire qu’il afficha, ce mystérieux et fascinant sourire, la frappa comme étant porteur d’un implicite. Elle l’observa au travers de la clarté de ses iris avant d’esquisser un léger sourire amusé qui cachait une certaine prudence.

« Et ... j’imagine que tu es cette personne ? »

Dans le soudain silence qui les enveloppe, Emma étudiait l’expression de Marcus. Son mutisme et le sourire en coin qu’il affichait étaient suffisamment éloquents pour qu’elle devine que sa supposition précédente était juste.
La fleur le laissa quitter le lit sans commentaire, ramenant quelques draps contre elle pour garder un peu de la chaleur qu’elle avait perdu. De son coté, Marcus se versait un verre d’eau et lui en proposa un par politesse. Elle hocha brièvement sa tête.

«  Je veux bien. »

Il lui ramena son gobelet rempli une fois qu’il eut fini le sien. Elle l’accueillit entre ses mains avec un petit « merci » pendant que son compagnon se réinstallait auprès d’elle. C’est alors qu’il formula le début de sa proposition. La seule mention d’un paiement suffit pour que la curiosité de la jeune femme se mue en intérêt.

« … Quoi, sérieux ? » lui demanda t’elle prudemment, épiant sa réaction.

Et sérieux, le jeune homme le semblait bel et bien car son expression ne trahissait aucune moquerie. Son regard se faisait même plus intense, observant Emma avec ce qu’elle interpréta comme étant de l’intérêt. Du bout des doigts, il commença à l’attirer jusqu’à lui ; elle abandonna son verre intouché pour se glisser dans ses bras, chevauchant ses cuisses pour être face à lui pendant que ses fines mains reposaient sur ses épaules.
Ses prunelles claires rencontrèrent celles du capitaine, qui lui expliqua alors plus en détail l’intérêt d’un tel marché et le profit mutuel qu’ils pourraient partager. Elle ne savait que penser de l’usage qu’il pourrait faire des informations qu'elle lui communiquerait mais typiquement, les exemples qu’il lui fournissait pouvaient être utilisés de bonne comme de mauvaise manière. Or, elle ne parvenait pas à cerner les intentions de Marcus ; il avait ce je-ne-sais-quoi qui le plaçait à la frontière du bien et du mal. Elle s’agaça d’abord de ne pas pouvoir lire en lui, mais chassa bien vite ces pensées. Ce qu’il ferait de ces informations ne la regardait pas. Tout ce qui comptait était que ce potentiel arrangement pouvait lui rendre la vie plus facile.

Emma regarda son galant avec une forme d’assurance. Elle ne doutait pas qu’elle serait capable de faire ce qu’il lui demanderait de faire. Les femmes comme elles étaient à peu près comme des meubles : on ne leur prêtait pas grande attention. Mais une part d’elle réfléchissait aux risques, à ce qu’elle pourrait y perdre. L’offre paraissait un peu trop belle pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche. Or, à vue de nez, tout lui paraissait convenable : elle pourrait occasionnellement se faire de l’argent ou lui demander un service et lui, s’il n’était pas stupide, garderait l’identité de son informatrice sous silence. Alors où était le piège ?

« J’en dis que ça me paraît intéressant … je me demande juste de quelle manière ça pourrait se retourner contre moi. » lui répondit-il finalement, après quelques secondes de réflexion. « Ah, et aussi … quand tu dis « quelques pièces », tu entends quelle somme environ ? »

Bien qu’il fut rationnel et posément formulé, Emma ne pu s’empêcher de se sentir tiquer face à l’avertissement de Marcus. A ses oreilles cela sonnait presque comme une menace. Une menace légitime, certes, mais une menace tout de même ; si elle décidait de travailler pour lui, il faudrait qu’elle prenne garde à ses actions.

« J’ai aucune raison de le faire. » répliqua t’elle calmement, son regard rencontrant le sien.

Pour l’instant. Elle ne connaissait pas si bien Marcus dans les faits. Si il était toujours aussi agréable en tant que client dans le domaine de la vente d’information, elle ne voyait pas pourquoi elle se retournerait contre lui. A moins que, peut-être, il ne fasse des choses innommables avec les informations qu’elle lui fournirait. Elle le dévisagea. En était-il seulement capable ?
En se posant cette question, elle se rendit compte d’un fait. Moins elle en saurait, mieux elle se porterait. Mieux valait le laisser faire ses affaires en paix, peu importait leur moralité.

Elle répondit à son sourire pour approuver silencieusement ses dires. Il n’avait pas tort. S’ils s’entendaient maintenant, il n’y avait pas de raison que cela change du jour au lendemain.

Puis la discussion tourna autour de l’argent. La première remarque l’agaça un peu dans un premier temps. Ses yeux se baissèrent brièvement tandis qu’elle réfléchissait. Puis, finalement, elle se résolu.

« … Non. »

Même si elle se donnait du mal à se procurer des informations, il n’y avait aucune raison qu’il paie si elles lui étaient inutiles. C’était comme au marché. Si un vendeur proposait des choses qui n’intéressent personne, il ne ferait pas de bénéfice et ce serait ainsi. Ici, c’était pareil. Quant à l’importance de l’information … forcément, sa valeur serait différente.

«  Ça tombe sous le sens.» admit-elle. « Mais c’est pour ça que je demandais un prix de base … Histoire qu’on ait les mêmes références. »

En y pensant, elle se demandait d’ailleurs comment elle pourrait s’assurer de la véracité des dires de Marcus. Cela pourrait l’arranger de mentir pour obtenir un prix plus bas. Même si elle lui faisait la remarque, il lui assurerait de son honnêteté. Elle ne pouvait donc compter que sur elle-même pour faire ses recherches et de ne pas se faire plumer.

La réponse que lui apporta Marcus souleva davantage de questions que de solutions. Les traits de la jeune femme se déformèrent en une moue embêtée, un brin réflexive. Est-ce qu’une information pouvait avoir le même prix que l’argent qu’elle demandait déjà à ses clients ? Est-ce qu’elle devrait demander plus, ou bien moins ? Est-ce que fixer cette somme là serait suffisante pour qu’on ne la prenne pas pour une idiote ? Tous ces calculs lui donnaient mal à la tête, et si elle se rendait bien compte d’une chose, c’était que le domaine des renseignements et de l’information n’était définitivement pas le sien.

Elle avait envie de gronder un peu le capitaine. C’était lui après tout qui s’y connaissait le mieux d'entre eux deux, pourquoi s’amusait-il à la torturer ainsi ?
L’explication surgit en elle automatiquement. Parce qu’il espérait s’en tirer pour un meilleur prix en profitant de son ignorance. C’était élémentaire en affaires, c’est pourquoi elle ne lui en voulu pas trop bien que la situation la mettait dans l’embarras.

La prostituée sourit cependant, entourant le cou de Marcus de ses bras tandis qu’elle collait sa poitrine contre la sienne. Elle avait peut-être une idée qui leur conviendrait à tous les deux.

« Voyons Marcus, n’ait pas peur de rêver un peu. Un repas de roi, un poney et une jolie robe par information c’est super raisonnable non ? »

Le sarcasme se lu aisément sur ses lèvres, mais ne s’y arrêta pas bien longtemps. La jeune femme poursuivit bien assez tôt, reprenant avec une mine un peu plus appliquée.

« Plus sérieusement, j’t’avoue que j’ai du mal à fixer un prix, donc voilà c'que je te propose à la place : pour chaque information utile, on va dire que tu me dois un service de mon choix mais qui, bien sûr, sera égal à sa valeur. Et non, j’te parle pas de me masser les pieds. » ricana t’elle, un sourire en coin. « C’est comme tu as dis … pourquoi pas un repas quand j’en ai besoin. Ou bien par exemple, disons que j’ai un jour un client difficile qui ne veut pas me payer … je pourrais t’appeler toi et tes gros bras. T’en penses quoi ? »

La demande lui paru raisonnable, à voir ce qu’il en penserait. L’avantage de ces petites faveurs était leur flexibilité et leur adaptation selon les circonstances … d’autant plus qu’elles pourraient lui offrir des choses que l’argent ne pouvaient acheter ; c’est pourquoi elle espérait qu’il accepterait son offre.

Marcus l’incita à exprimer ses conditions, si elle en avait d’autres. La brune le regarda de ses yeux clairs, un peu intriguée.

« D’autres conditions ? Écoute, tant que tout ça ne m’apporte pas d’ennuis avec qui que ce soit, que ça n’empiète pas sur mes activités actuelles et que tu m’traites avec le même respect qu’avant … je pense que ça devrait être bon. »

Personne n’est à l’abri des ennuis. Emma hausse doucement des épaules, exprimant par ce biais l’évidence qu’exprimait la précision de Marcus. Bien sûr, l’activité en elle-même pouvait comporter des dangers qui la mettraient éventuellement en difficulté. Mais cela n’arriverait que si elle manque de jugement et de prudence, et la plupart du temps elle considérait qu’elle n’était pas suffisamment bête pour qu’une telle chose arrive. Elle agirait comme d’habitude. Elle se tairait et écouterait sans se mêler aux discussions, ou bien elle userait de ses flatteries habituelles pour délier les langues les plus en besoin d’attention. Quelles étaient les chances qu’on la soupçonne, tant qu’elle n’irait pas crier les secrets de chacun sous tous les toits de Marbrume ?

Quoi qu’il en soit, Marcus lui assura qu’il ne comptait guère lui causer de problèmes. A moins bien sûr qu’elle ne vienne pas lui en causer : elle se souvenait de ses paroles plus tôt lors de leur petite discussion. La belle de nuit ne s’en soucie point pour le moment ; elle considérait que les spéculations faites dans le noir n’étaient en rien productives. Adviendrait que pourra. En attendant, elle savait que tant qu’elle ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues tout se passerait bien, et elle comptait bien faire subsister cette paix autant que possible.

La proposition qu’elle lui fit sembla trouver une once d’approbation chez le pirate, qui dû cependant y apporter quelques corrections afin que l’accord lui convienne. Emma l’écouta avec attention sans l’interrompre, le laissant formuler ses objections et ses compromis. De temps en temps, elle opinait la tête afin de manifester sa silencieuse approbation. Il était vrai que négocier l’objet de sa récompense était plus réaliste à bien y réfléchir, car il arriverait forcément un moment où Marcus ne pourrait lui offrir ce qu’elle désirait ou qu’ils ne soient pas d’accord sur la valeur d’une information.

Il laissa sa dernière phrase en suspend, laissant Emma le regarder avec une confusion à la fois amusée et interrogatrice. Que préparait-il ?

A peine avait-elle intérieurement formulé cette question qu’elle se retrouva sous lui, leurs regards plongés l’un dans l’autre. Emma aurait presque rougit, si elle n’avait jamais connu de personnes comme Marcus. Un sourire étira ses lèvres à sa conclusion forte en promesses de nouvelles rencontres enflammées dans le confort de ce lit.
Ses longs cheveux bruns étalés autour d’elle pareils à un sombres halo, la jeune femme ne dévia pas ses iris clairs de ceux de son nouvel associé. Doucement, sans le quitter des yeux, elle conclut en un murmure satisfait.

« On dirait bien que oui.  »