Une juste punition (terminé)

Le 2 octobre 1166:

Aller tourne petit bout de bois, ça ne doit pas être bien difficile de tomber sur un six ? C'est tout ce qu’il me faut pour remporter la mise, juste un peu de chance.Normalement tout devrait bien se passer, j’ai visité dans le temple de Riqni, réalisé un don à déesse reptilienne et sa bénédiction doit être sur moi, ou plutôt sur mes dés, c’est la même chose.

Cela fait une bonne heure que je suis dans cette taverne, faisant attention à ma consommation d’alcool, car même si j’ai réussi à éponger mes dettes grâce au salaire que me verse l’homme à qui j’ai fait allégeance il y a sept mois, je suis toujours un peu gêné. C’est pourquoi je suis dans ce bouge, les mises aux dés ne sont pas bien élevées et cela me permet de ressentir l’excitation du jeu, buvant juste quelques choppes de bière avant de rentrer dormir dans l’annexe du manoir sur l’Esplanade.

Mais avant de m’écrouler sur ma couche, je dois absolument gagner cette partie. Je vois le cube rouler et s’arrêter sur un cinq ! Sacrebleu, j’ai perdu toute ma mise et en plus, je vois les sourires satisfait des autres joueurs. Je leur lance un regard noir et immédiatement je les vois blêmir et c’est à mon tour de sourire de l’air sadique que j’utilise juste avant d’empaler avec mon épée à deux mains mes ennemis.

Ils ont dû se rendre compte que se moquer d’un colosse de deux mètres dix de haut et pesant près de deux cents kilos n’étais pas une bonne idée. De plus, étant chevalier, j’ai mon épée à portée de main et mon attitude indique clairement que je suis prêt à m’en servir. C’est pourquoi je vois mes anciens compagnons de jeu prendre rapidement leurs gains et s’enfuir sans demander leurs restes. Je les regarde partir, dégouté d’avoir perdu contre de telles poules mouillées et toujours énervé par la perte de mon argent.

Alors que j’allais me lever à mon tour, j’entends une conversation entre deux roturiers qui me fait dresser l’oreille :

Puisque je te dis que j’ai eu l’information, par ma tante, qui l’a entendu de la boulangère, qui connais très bien le voisin de l’assistante du prêtre qui a soigné le Comte de Rougelac. Il a reçu quelques petites blessures durant l’invasion de la Fange et rien pour çà il a gardé le lit pendant près d’un mois ! Une vraie chochotte !

Sans même réfléchir, je bondis de mon siège et j’attrape par surprise les deux hommes par la tête avant de les faire s’entrechoquer sur la table, leur pétant le nez à tous les deux par la même occasion. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet sensible pour moi, je n’étais pas là lors de cet incident, occupé à entrainer les troupes à Sombrebois, ce qui me fait énormément culpabiliser. Lorsque je suis enfin arrivé sur les lieux, j’ai découvert Victor lourdement blessé au dos et au ventre et je suis resté à ses côtés tout le long de sa convalescence.

Je vois du coin de l’œil le tavernier partir précipitamment, surement à la recherche d’un milicien quelconque, ce qui me fait sourire, car avant qu’il puisse revenir, j’aurais le temps de m’occuper de ses deux clients indélicats. D’ailleurs je n’ai pas dû taper assez fort, car ces derniers se relèvent difficilement, le nez en sang, et visiblement désireux de prendre leur revanche. Fidèle à mon habitude, ne laissant aucune chance à mes adversaires, je prends mon épée, la sort de mon fourreau et je m’apprête à tuer ces deux hommes désarmés qui comprenant mon intention, essayent de s’enfuir.

Malheureusement, je suis entre eux et la sortie, leurs destins est entre mes mains et alors que je lève mon épée, prêt à les envoyer rejoindre Anür, j’entends la porte s’ouvrir, je me retourne alors lentement pour voir qui a l'audace de me gâcher cette punition bien méritée.

Certains miliciens prennent leur travail au sérieux. D'autres, comme mon compagnon de patrouille de ce soir, disent vouloir « jeter un coup d'œil aux activités de la taverne, juste là » pour s'arrêter et prendre une bière... ou deux.

« T'as fini? », demandé-je d'un ton sec, agacée de perdre mon temps et d'étouffer parmi les ivrognes.

Mon collègue glisse un regard méprisant vers moi sans prendre la peine de me répondre. Il n'est pas ravi de devoir faire sa ronde avec moi – une étrangère, une novice, mais pire encore, une femme – et ne compte clairement pas accorder la moindre importance à ce que je peux lui dire. Je soupire en levant les yeux au ciel. Il ne se passe rien dans cette foutue taverne, et je n'ai pas l'intention de moisir ici toute la soirée.

Sans rien dire, je m'éloigne de mon collègue dans le but de me faufiler parmi les tables et de sortir pour poursuivre ma ronde. Juste au moment où j'ouvre la porte, j'entends un grand fracas. Lorsque je me retourne, je constate que deux hommes ont le nez en sang, qu'un géant est en train de dégainer son épée et que le tavernier est sur le point de m'arracher le bras pour me supplier de maîtriser la situation. Voyant que le colosse s'apprête à abattre sa lame sur les deux malheureux, je sors la mienne de son fourreau et la pointe dans sa direction.

« Milice! », craché-je durement, comme si j'avais répété ces mots toute ma vie et que j'étais réellement en mesure de vaincre mon vis-à-vis dans un combat au corps à corps.

Les deux autres guignols profitent de la distraction pour s'enfuir. J'ignore ce qu'ils ont fait pour attiser la colère de l'homme devant moi, mais je me doute que la raison de cette altercation doit être particulièrement stupide – rares sont les hommes qui s'échauffent de cette manière pour de bonnes raisons, surtout dans une taverne.

« Ça va pas, tu te penses chez le boucher?! lancé-je, vindicative. Baisse ton arme.

- Baisse ton arme! », crie mon collègue en apparaissant finalement à côté de moi.

Je le regarde du coin de l'œil, juste assez longtemps pour constater qu'il menace aussi le trouble-fête de son arme et qu'il ne s'amuse pas simplement à répéter ce que je dis.

« Tu vas nous suivre », ajouté-je fermement, sans préciser ce qui me paraît évident, c'est-à-dire que les geôles seront notre destination.

Seuls quelques murmures viennent maintenant perturber le silence qui est subitement tombé dans la taverne. À quelques reprises, j'entends un nom revenir dans les échanges. Rougelac. On le prononce avec une sorte d'inquiétude et, vu la scène que le type devant moi vient de nous servir, j'en déduis simplement qu'il est ce Rougelac dont on parle.

« Décline ton identité », demande pourtant mon collègue.

Je me fiche bien de son nom. Je veux juste qu'il dépose sa lame et qu'il coopère avant que le tavernier se fasse dessus.

Une femme ? C’est une femme qui ose me menacer, une petite jeune de la milice, une blonde aux yeux bleus qui a dut être jolie jadis mais qui à force de jouer la souillonne pour son mari a perdu tout intérêt à prendre soin d’elle-même. J’aime deux représentantes du sexe faible, les prostitués bien soumise et les nobles qui se débattent, le reste ne sert à rien, à part enfanter.

Et là j’ai devant moi cette femme, qui au lieu de rester tranquillement à la maison, là où est sa place pointe une arme vers moi. Je reste tellement sur le cul que mes deux proies en profitent pour s’enfuir, échappant ainsi au châtiment que je leur réservais. Je suis vraiment très énervé, et ça ne s’arrange pas quand mon interlocutrice me demande si je me pense chez le boucher ! C’est complètement faux, je suis le boucher !

Mais ce n’est pas fini car un autre imbécile de milicien apparait à ses côtés, me menaçant également. La demoiselle reprend la parole, m’indiquant ce que je dois faire, elle semble vraiment décidée à sortir les pieds devant de cet endroit. Son collègue plus prudent me demande comment je m’appelle et je lui réponds d’un sourire carnassier :

Je suis le chevalier Desmond de Rochemond et vous venez de faire une grave erreur en laissant ces deux va-nu-pieds s’en tirer, ils ont publiquement insulté mon seigneur et je devais les punir.

Toujours l’épée à la main, je m’approche de plus en plus, laissant sciemment la pointe trainer sur le sol, produisant un bruit de crissement très désagréable, mais qui me semble bien doux à mes oreilles car c’est l’annonce d’un combat et de l’arrivé de sang, de beaucoup de sang. Puis je m’arrête, juste à portée suffisante pour les décapiter tous les deux d’un seul coup grâce à mon allonge plus importante avant de leur préciser :

Alors la donzelle, tu veux m’emmener où ? Je te préviens que je ne baise pas dans n’importe quel endroit.

J’ai toujours trouvé cette décision du Roi de permettre aux représentantes du sexe faible de faire partie de la milice complètement absurde et j’en ai la preuve aujourd’hui. Puis je me tourne vers son binôme :

Tu es prêt à mourir ? J’espère que tu as prié Anür car tu ne vas pas tarder à la rejoindre si tu continu à vouloir rester ici.

Menacer des gens me détend toujours et je commence à réfléchir à la situation, la tension dans l'auberge à monter d’un cran et les quelques consommateurs qui n’avaient pas encore fuient, prennent prudemment le chemin de la sortie. Il ne reste plus que le tenancier qui dois hésiter entre sauver sa peau ou protéger son établissement en cas de bagarre.

En terme tactique, même en combattant à deux contre un, j’ai une bonne chance de gagner si j’attaque le premier ce qui ne devrait pas être trop difficile, les miliciens ont toujours du mal à frapper en fourbe un chevalier. Pourtant j’hésite encore, tuer deux représentants de l’ordre en public, même si l’un deux est une femme va faire mauvaise impression et je risque de me prendre quelques années de cachot sans compter que je perdrais mon emploi chez le Comte Victor Rougelac.

Je vais attendre de voir comment la situation évolue, je ne vais pas quand même me faire arrêter par une faible femme ! Surtout que je suis persuadé de n’avoir rien fait de mal, en tout cas pour le moment.

Un noble. Un chevalier. Je retiens un soupir. Il fallait évidemment que ce soit un sang bleu qui soit à l'origine de tout ce merdier. Il a à peine terminé sa phrase que je sais qu'il va continuer à protester. Ces gens-là se pensent souvent au-dessus de la loi, en particulier lorsqu'ils ont la chance d'être nés hommes.
Je le regarde tandis qu'il s'approche de mon collègue et moi en traînant son épée au sol. S'il a baissé son arme, il semble avoir interprété les instructions d'une manière bien particulière, et je ne me sens pas pour autant en sécurité. Lorsqu'il s'arrête tout près, je dois lever la tête pour continuer à le fixer dans les yeux, ce que je n'hésite pas à faire malgré l'ombre menaçante qui plane sur moi.

Alors la donzelle, tu veux m’emmener où ? Je te préviens que je ne baise pas dans n’importe quel endroit. Je serre les dents, agacée. Excédée. Qui est le dernier type à avoir senti qu'il était une perle d'intelligence en prononçant une phrase pareille? Est-il devant moi? La suite, la partie du discours réservée à mon compagnon d'armes, n'est pas mieux et je dois mobiliser tout ce que j'ai de volonté en moi pour ne pas lever les yeux au ciel. Cet homme est une véritable brute, et il ne pense qu'avec deux lames : celle qu'il a entre les mains et celle qu'il a dans le pantalon. En somme, il est comme la plupart des brutes. Juste plus grand.

« Et tu penses que ça va plaire à ton seigneur d'avoir des emmerdes avec la milice parce que son chevalier s'est attaqué à deux types qui ont eu deux ou trois propos déplacés, ou encore qu'il va être ravi d'avoir le double de ces emmerdes parce qu'à défaut d'avoir eu les morts qu'il voulait, son chevalier a décidé de baiser une milicienne contre son gré et d'envoyer son collègue saluer Anür d'un peu trop près? lancé-je avec aplomb, le ton sarcastique. Je connais pas ton seigneur, Chevalier, mais j'ai l'impression que c'est le genre d'attention dont il se passerait volontiers. »

L'épée toujours pointée vers le noble, je regarde celui-ci, non sans sentir que mon collègue me dévisage, comme surpris d'avoir entendu autant de mots sortir de ma bouche d'une traite.

« Range ton arme, suis-nous, et les seuls problèmes que t'auras seront de devoir te justifier à ton seigneur une fois qu'il t'aura sorti des geôles. Une insulte, c'est pas une raison de trancher la tête de deux malheureux qui ont probablement trop bu. »

J'ignore si ce chevalier pourra être raisonné, mais je me prépare à l'esquiver s'il tente de me frapper, car je me sais trop faible pour riposter contre un tel monstre. Nous sommes désormais seuls dans la taverne, le tenancier ayant finalement suivi la majorité de sa clientèle. J'espère que, dans un éclair de génie et dans le souhait désespéré de protéger son établissement, il est parti en quête de renforts. L'idée m'a traversé l'esprit, mais tourner le dos à cet homme me paraît être l'équivalent de signer mon arrêt de mort. Et puis, même si je n'apprécie pas spécialement mon collègue, je n'ai pas l'intention de l'abandonner à un sort aussi sinistre. Enfin, pas pour le moment. Je réévaluerai peut-être mes priorités dans quelques minutes, voire quelques secondes...

Je souris devant les propos de la donzelle, elle est courageuse, c’est certain. En plus quand elle me décrit tout ce que je pourrais faire, à la fois à son camarade et à elle, je sens une certaine excitation me gagner, car elle a très bien trouvé ce que j’avais à l’esprit et je la regarde d’un œil concupiscent.

Malheureusement elle a également raison sur les autres points, autant tuer des manants n’auraient pas été bien grave, autant tuer deux miliciens risquent d’être embêtant pour Victor.

Toutefois je ne suis pas d’accord sur son affirmation comme quoi c’est répréhensible de tuer des gens qui ont trop bu pour une insulte, mais les femelles ont toujours eu des idées bizarres, j’en ai même connu une qui m’avait dit un jour qu’elle était l’égale d’un homme ! Ça ne m’a pas empêché de lui faire sentir ma branche et cette histoire m’a fait bien rigoler pendant des jours, à chaque fois que j'y repensais.

Je décide alors de me la jouer fine et de baisser un peu la tension qu’il y a dans la taverne. Je commence tout d’abord à gueuler :

Aubergiste !

Je vois le tavernier passer prudemment la tête, et il parait soulagé de voir que son établissement soit toujours intact. Je lui demande donc, lui souriant d’un air féroce :

Est-ce que j’ai frappé les deux manants ?

Ce dernier me regarde avec de grands yeux, puis dit d’une petite voix :

Non mon seigneur, ils ont commencé à saigner du nez tous seuls et vous êtes aller les voir pour les aider.

Je hoche la tête, avant de lui dire :

C’est bien, tu peux partir maintenant.

Il repart, mais en laissant la porte entrouverte au cas où, et je me retourne vers les deux miliciens, rengainant mon épée. Je m’adresse ensuite à la jeune femme, ignorant complètement l’homme :

Toi, tu as des couilles, c’est sûr, mais comme tu l'as entendu, je n’ai blessé personne et j’ai sorti mon épée juste pour leur faire peur.

C’est un énorme mensonge bien sûr, car je compte bien les retrouver et leur donner le traitement qu’ils méritent. Je vais d’abord leur briser chaque os de leurs corps, ensuite leur couper les bras et les jambes et les laisser se vider de leur sang, tout en les regardant droit dans les yeux, savourant l’expression d’intense douleur qu’ils ressentiront.

Penser à ses futurs sévices m’a donné soif et je prends une des bières encore présentes sur le comptoir pour me sentir mieux. Je nettoie la mousse d’un revers de ma main, avant de roter bruyamment. Je laisse donc les représentant de la loi choisir ce qu’ils veulent faire, ils peuvent toujours m’emmener au poste, mais comme je n’ai rien fais de mal à part quelques blagues, ils risquent de se faire taper sur les doigts par leur supérieur.

Je les écoute donc me dire comment ils voient la suite de notre rencontre, lorsque j’entends des bruits venu du dehors, comme si une petite troupe arrivais. Est-ce des miliciens venus en renfort, des bandits venus en force pour se venger ou tout simplement un mouvement de foule, cela seul l’avenir me le dira.

Le chevalier a peut-être renoncé – enfin, pour le moment – à nous affronter, mon collègue et moi, mais il ne compte pas nous suivre pour autant. Dans un jeu qui ne m'amuse pas et qui ne paraît pas être au goût du milicien à mes côtés non plus, la brute appelle le tenancier de la taverne pour le faire témoigner. Évidemment, face à cet homme qui a réussi à faire fuir la totalité des clients de l'établissement, le tavernier n'ose pas dire la vérité. S'il s'agit d'une réaction compréhensible, elle ne manque pas de m'exaspérer, et je soupire bruyamment en fixant mon interlocuteur, qui rengaine finalement son épée.

Desmond de Rochemont clame son innocence, puis attrape une bière au hasard et boit avant de roter bruyamment. Je reste de marbre, habituée au manque de savoir-vivre des hommes, et pas assez innocente pour croire que les nobles ont plus de manières que les paysans malgré ce qu'ils prétendent.

« J'ai trop d'esprit pour avoir des couilles, mais pas assez de patience pour jouer à ton petit jeu, répliqué-je. Le tenancier est en train de mouiller ses chausses, alors c'est certainement pas lui qui va te contredire, Chevalier. »

Du coin de l'œil, je perçois un mouvement de foule à l'extérieur. En entendant mon collègue jurer près de moi, je me détourne brièvement, juste assez pour constater que les deux hommes qui ont pris leurs jambes à leur cou quelques minutes plus tôt sont revenus avec des renforts. À mon tour, j'échappe un ou deux mots disgracieux dans ma langue natale. Je sens que la brute va s'animer si je ne fais rien, alors je passe ma tête par l'embrasure de la porte et j'attrape le tenancier par le collet pour lui murmurer, les dents serrées :

J« Va trouver d'autres miliciens si tu veux avoir une chance de revoir ton établissement en un seul morceau. »

Je le relâche sans plus de cérémonie et je ferme brusquement la porte, que je verrouille avant de me retourner vers le chevalier.

« Tes amis que t'as pas blessés sont de retour avec d'autres amis qui ont pas du tout envie de se venger de ces non-blessures, lâché-je.

- Et je te déconseille de bouger de là si c'est pour ne pas aller blesser d'autres gens, Chevalier », intervient mon collègue.

Le milicien allait ajouter quelque chose, mais il est interrompu par de violents coups frappés contre la porte de bois. Des voix s'élèvent dans un chaos inintelligible, jusqu'à ce que l'une, plus forte que les autres, transperce clairement le brouhaha :

« Tu t'caches pac'que t'as peur, sale fumier d'bleu?! Sors t'battre cont' nous, on va t'montrer où tu d'vrais ranger ton épée à l'av'nir! »

De la poésie. De la vraie poésie...

Je souris quand la femme parle de couille, enfin un langage que je comprends ! Et pour ce tenancier, il a déjà de la chance d’accueillir des nobles, c’est donc normal qu’il se range de leurs côtés, c’est ce que tout manant un rien éduqué doit faire dans une taverne voir même durant tout le long de sa vie. Le bruit venant du dehors que l’on entend de plus en plus est, d’après la milicienne, mes chers amis qui sont revenus.

D’ailleurs elle ferme la porte et les deux m’informent qu’ils ne veuillent pas que je bouge. Il y a une bonne bagarre qui m’attend dehors avec des va-nu-pieds qui veulent m’affronter et je dois rester ici ! D’ailleurs ces derniers m’appellent gentiment pour que j’aille les rejoindre et mon sourire s’élargit, j’avance alors de quelques pas pour n’être qu’à quelques centimètres d’eux, les dominant de toute ma hauteur et je leurs demande toujours avec un grand sourire :

Vous autres miliciens, vous avez bien mieux à faire qu’à vous faire tuer dans une bagarre de bar. Votre mission première est de défendre la population contre les fangeux, pas de mourir bêtement ici, dans une taverne.

Je les regarde droit dans les yeux, d’un air devenu grave :

C’est mon problème, et non le vôtre, laissez-moi passer maintenant, et barricadez-vous quand je serai partit, vous pourrez ainsi vivre un jour de plus.

Je vois que la porte commence à céder, un des gars a dut venir chercher une hache car je vois le fer caractéristique sortir du montant, dans quelques minutes, il sera trop tard, et je pose la main sur mon pommeau, prêt à dégainer de nouveau s’ils entrent. J’examine à nouveau les deux personnes qui me font face :

Si vous ne voulez pas me laisser sortir, allez au moins vous cachez dans la cuisine, vous serez à l’abris car il n’y a rien de déshonorant à aimer la vie plus que tout. Vous devez avoir des enfants, des personnes qui comptent sur vous et je n’ai aucune envie que votre supérieur hiérarchique aille les voir pour leurs indiquer que leur parent est mort dans une simple bagarre de bar. Qui va s’occuper d’eux si vous n’êtes plus là ?

Voilà, je pense avoir dit tout ce que je pouvais afin qu’ils changent d’avis, moi, je n’ai plus rien ni personne, je peux donc affronter la mort sans crainte, et puis la perspective d’un beau combat me réjouis, avec ce genre d’opposant, pas besoin de retenir mes coups, je vais pouvoir y aller à fond.
Je vois la porte extérieur de plus en plus abimé, elle risque de tomber à tout moment et je me retourne une dernière fois vers les représentants de la loi pour leur annoncer :

C’est votre dernière chance.

Je suis impatient de commencer cette confrontation et je me demande combien ils seront, cinq, dix, vingt ? Peu importe, l’aménagement de l’auberge va les obliger à m’attaquer de face et avec mon épée à deux mains, je vais pouvoir faire des ravages dans un si petit espace, je vais tous les tuer.

Pendant que la bande d'ivrognes essaie de défoncer la porte, le chevalier s'emploie à nous livrer quelques perles de sagesse sur le rôle des milicien et sur ce que mon collègue et moi devrions faire face à la situation qui s'apprête à nous tomber dessus. En résumé, il nous demande de dégager de son chemin et de le laisser faire un carnage dans l'auberge, comme si l'ordre public était un concept qui lui était étranger. Il ne manque pas d'humour, celui-là.

La porte commençant à céder derrière moi, je jette un coup d'œil à mon compagnon, qui beugle des ordres aux trouble-fêtes. Son intervention n'a pas l'effet escompté, et les hommes continuent à essayer d'entrer de force dans l'établissement. Il est possible qu'ils refusent d'obéir, mais je suis à peu près certaine qu'ils n'ont rien entendu, la voix de mon binôme enterrée par leurs insultes et leurs provocations.

Le chevalier tente de nous avoir par les sentiments en nous parlant de nos enfants qui resteront sans parents si nous mourons ce soir. Ma mâchoire se crispe, mon regard s'assombrit. Je sens une souffrance sans nom m'envahir, et une rage encore plus indéfinissable me prendre au ventre. Je n'ai pas envie d'en entendre plus, juste de lui cracher que je n'ai personne, que jamais il n'y aura pour moi d'enfants sans mère, car je suis une mère sans enfants. Mais je ne dis rien. Mon passé m'appartient et je ne donnerai pas à une brute pareille la satisfaction d'en savoir quoi que ce soit.

« Non, c'est ta dernière chance, répliqué-je d'un ton dur, sans appel. Lorsque cette porte va céder, si la présence de la milice ne suffit pas à les arrêter, tu vas te contenter de te défendre. Si je vois un seul de ces idiots expirer sous tes assauts, je te garantis que tu vas pas t'en sortir comme ça.

- On a ton nom et celui de ton seigneur, Chevalier, complète mon collègue. C'est donc pas la peine de jouer au plus malin avec nous, tes actions finiront par te rattraper. »

Sur ces mots, la porte cède, et nous évitons de justesse de nous la prendre en pleine tronche. Devant nous se tiennent les deux gaillards qui ont fui quelques minutes plutôt, ainsi que quatre autres suicidaires tenant entre leurs mains des armes de fortune – couteaux de boucher, hache de bûcheron, etc. Comme ils empestent tous l'alcool sans exception, j'imagine qu'ils fêtaient dans une taverne avoisinante et qu'ils ont vu dans cet affront fait à leur camarade un stupide divertissement.

D'un même geste, mon binôme et moi pointons nos lames vers les nouveaux arrivants et crions :

« Milice! Baissez vos armes! »

Nos paroles auront-ils un quelconque effet dissuasif? Si certains membres du petit groupe semblent particulièrement enragés, d'autres paraissent plus incertains tout à coup, possiblement parce que leurs amis ont omis de leur mentionner que le type auquel ils se mesuraient était un colosse armé d'une lame bien affûtée.

Du coin de l'œil, je regarde le noble. Un avertissement silencieux tandis que j'espère que ces combattants du dimanche renoncent à leur entreprise et que les renforts arrivent bientôt.

Je ne les comprends vraiment pas, si j’aurais été dans leur situation, j’aurais depuis longtemps pris la poudre d’escampette. J’avoue être surpris par leurs réactions, pas celui du milicien qui me menace, je n’en ai un peu rien à faire, s’il se prend un coup de couteau dans le bide et crève dans un coin, en pleurant, ce sera bien fais pour lui. Je suis plus surpris par la réaction du second membre leur duo, une femme devrait penser à ses enfants avant tout, surtout qu’elle ne fait que jouer à la milicienne, son véritable travail c’est de s’occuper des marmots.

Je n’ai de toute façon pas trop le temps de réfléchir là-dessus, car la porte vole en éclats, le type maniant la hache semblant particulièrement motivé. Je vois ainsi déboulé six types à la mine patibulaires, deux que je connais déjà et les autres que je n’ai jamais vu, tous armés de manière hétéroclite. Autant les couteaux ne me gênent pas, je peux facilement les contrer grâce à mon allonge supérieure, autant le gars avec la hache m’inquiète plus, son arme étant presque aussi grande que mon épée à deux mains.

Comme je m’y attendais, les miliciens menacent maintenant les pauvres hères qui voulaient me dire bonjour ! C’est bien simple, depuis que l’aubergiste leur a demandé d’intervenir, ils n’ont pas cessé d’intimider les gens, leur donner des ordres et de leur crier dessus. Je trouve ces apprentis soldats vraiment très agressifs, il faudra que j’en parle à leur supérieur. J’hésite maintenant sur la conduite à tenir, j’ai plusieurs choix devant moi, le plus simple est de ne rien faire, les laisser se débrouiller et regarder ce qu’il va advenir.

Le choix le plus fourbe, celui qui demandera le plus d’effort, mais également le plus satisfaisant, est de tuer tout le monde, les miliciens me tournant le dos, ce sera facile de commencer par eux, puis je liquide tous les témoins et je raconte un bobard, comme quoi, ils se sont tous entretué à l’intérieur. Le seul soucis, c’est que je ne suis pas sûr d’en sortir indemne.

Je vais plutôt choisir une option intermédiaire entre les deux, je dégaine donc mon épée, me met au niveau des miliciens et je m’adresse à celui qui a la hache, car c’est lui qui me parait le plus dangereux :

Alors comme çà, on m’en veut pour un simple écoulement nasal tout à fais involontaire ?

Je vois dans les yeux de tous mes opposants, une certaine incompréhension, et je précise davantage ma pensée :

Espèce de gonzesse.

Là, il a compris et il se précipite vers moi, la hache bien levée, je peux donc légitimement me défendre et je pointe mon épée à deux mains pour l’embrocher avant qu’il ne m’atteigne. Je le touche de peu et je vois une tache rouge s’élargir au niveau de son plexus. De toute évidence je ne l’ai pas blessé gravement, mais il recule avant d’avoir pu porter son coup, l’alcool ne l’ayant pas aidé à garder de bon réflexe.

Je vois maintenant de la peur dans ses yeux et j’enfonce le clou en m’adressant à tous ses amis va-nu-pieds :

En temps ordinaire, je vous aurais tous tuer, mais je n’ai guère envie de dormir dans les geôles cette nuit, alors barrez-vous avant que je change d’avis, tas d’excrément.

Je me sens dans une forme olympique, l’adrénaline coulant dans mes veines à flots, il n’y a pas dire, il n’y a rien de mieux que le combat ! Un large sourire orne mon visage, je suis vraiment dans mon élément !

Espèce de gonzesse. « L'insulte » fait immédiatement réagir l'homme à la hache, qui se précipite aussitôt vers le noble pour défendre son honneur. Je n'ai même pas le temps de réagir qu'une scène que j'aurais voulu éviter se déroule sous mes yeux : le chevalier riposte et blesse son attaquant, qui semble ralenti par son évidente consommation l'alcool. Mon collègue et moi sommes occupés à gérer les autres gaillards, que nous menaçons de la pointe de notre lame en leur criant de rester immobiles.

Aux propos du chevalier, les hommes se regardent les uns les autres d'un air incertain. Je devine que le courage que leur état aviné leur a conféré quelques minutes plus tôt est en train de fondre comme neige au soleil face à la perspective d'essayer d'atteindre un colosse muni d'une épée gigantesque avec un couteau de boucher. J'imagine aussi qu'ils n'étaient pas réellement au courant de la présence de la milice dans cette histoire, car certains lèvent les mains devant eux en signe de paix. C'est une chose de semer la pagaille dans une taverne, c'en est une autre de le faire alors que les bras armés de la ville sont là pour les jeter aux cachots.

« On s'barre, les gars! déclare l'un d'entre eux après un instant d'hésitation. C'bleu, il mérite pas not' temps et encore moins not' sang! J'avais pas fini ma bière, en plus! »

Le bonhomme se détourne et dégage, suivi du reste du groupe. Les deux hommes à l'origine de cette mascarade nous jettent un regard mauvais, puis crachent aux pieds du chevalier avant de partir. Le type a la hache, pour sa part, se tient le torse et s'apprête à partir en jurant et en titubant, mais mon collègue l'attrape par le bras.


« Toi, tu vas pas t'en sortir comme ça, intervient-il. T'as attaqué le premier et t'as détruit la porte de cette taverne, alors t'as des comptes à rendre, mon gars. »

Il me lance un regard et j'acquiesce simplement alors qu'il sort avec le blessé, restant près de la porte. Pour ma part, je me tiens devant le chevalier, que je regarde dans les yeux bien qu'il me surplombe de toute sa hauteur et que je risque presque le torticolis.

« T'as presque été raisonnable, Chevalier, dis-je froidement. Alors je vais être raisonnable aussi. T'as tué personne, alors t'iras pas en geôle. Ton seigneur recevra une amende pour désordre public et c'est tout. »

Je m'approche lentement de lui pour m'arrêter juste devant lui, tout près de lui. Je relève encore davantage la tête pour pouvoir continuer à le fixer dans les yeux, mon expression de marbre.

« Mais je vais t'avoir à l'œil, Desmond de Rochemont, continué-je. T'as l'air d'avoir une fâcheuse tendance à régler tes problèmes les plus insignifiants en versant du sang et, malgré ton rang, tu pisses et tu chies comme tout le monde, alors sache que t'es pas au-dessus de la loi. »

Je marque une brève pause, puis termine :

« Tiens-toi tranquille. »

Spoiler:

Et voilà, il suffit que je hausse la voix pour que ces manants filent la queue entre les jambes, comme les chiens galeux qu’ils sont. Ils n’osent même pas viser mes chausses avec leur expectoration, crachant à plus d’un mètre pour être sûr de ne pas m’atteindre. Quant au type à la hache que j’ai blessé, il ne va pas loin, il est vite arrêté par le milicien pour avoir osé m’attaquer, ce qui est grave, et cassé une porte, ce qui n’est pas grave.

Quant à la femme, elle me regarde droit dans les yeux, comme une vraie guerrière et m’indique que je n’irai pas en geôle, ce qui me fait sourire, comme si un noble irai moisir en prison, cette personne est vraiment bien naïve, mais bon c’est une femme, il ne faut pas s’attendre à un comportement rationnel. Mais elle n’en a pas fini avec moi, et m’indique qu’elle va me surveiller car j’ai, d’après elle, à noyer mes problèmes dans le sang, ce qui est exact, loi ou pas.

Comme elle est très près de moi, j’approche moi aussi mon visage du sien, m’arrêtant à seulement quelques centimètres de sa bouche, je lui souris et je lui dis d’une voix douce :

Toi, je t’aime bien. Tu es la plus couillue de tous les miliciens que je connaisse et crois-moi, c’est un sacré compliment. C’est juste dommage que je ne t’aie pas vu te battre.

Puis, je me remets droit, prenant une bière abandonnée sur table, et je lui dis :

Dis-moi, pourquoi tu ne m’as pas laissé partir dehors ? La plupart des miliciens auraient considéré que c’était mon problème et m’aurais laissé quitter la taverne, puisque c’est ce que je voulais. À la place, tu as risqué ta vie et j’aimerais bien savoir pourquoi.

Je suis en effet curieux, je ne comprends pas du tout ce genre de comportement, car je suis plutôt dans une dynamique où chacun doit gérer ses propres problèmes, avec le fort qui domine le faible. J’aurais pu aussi ajouter que si j’avais pu punir les deux malfrats dès le début, rien de tout cela ne serait arrivé, l’aubergiste aurait fait disparaitre les cadavres et Malbrume ne s’en serais porté que mieux. Pourtant je ne lui dis rien, car je suis persuadé qu’elle ne me comprendrait pas.

J’ai parfois l’impression qu’un gouffre sépare les gens du peuple et ceux de la Noblesse, car les premiers qui ne dépendent plus directement d’un seigneur ont pris de mauvaises habitudes et le Roi actuel ne les mènent pas assez à la baguette pour qu’ils se reprennent par eux-mêmes. Je bois donc ma bière pendant la réponse de mon interlocutrice, puis une fois qu’elle a fini, je lui dis à voix basse de manière à ne pas être entendu de son compagnon :

Si un jour tu veux régler une affaire, sans que la milice ne soit au courant, je suis prêt à t’aider, tu n'auras qu'à m'envoyer un message, on ne doit pas s’ennuyer une seule seconde en ta compagnie.

Toi, je t’aime bien. Venant de la part d'une brute comme lui, d'un noble, je ne suis pas certaine que je puisse le prendre comme un compliment. Je le fixe, le sourcil arqué, le nez légèrement froncé parce qu'il est maintenant si près de moi que je sens son souffle sur mon visage et qu'il sent la bière périmée mêlée à une insupportable odeur de gaillard qui se surestime. Il dit regretter de pas m'avoir vue me battre et je ne lui révèle certainement pas qu'il n'y a pas grand-chose à voir, jusqu'ici. Je sais à peu près me défendre et je le fais comme un furie, mais mes talents à l'épée laissent encore à désirer. Je garde évidemment cette information pour moi et laisse échapper un léger Mh pour répondre aux propos du chevalier.

Le noble me pose alors une question qui me laisse perplexe. À quel genre de miliciens fait-il face, normalement? Est-il considéré anormal dans le coin de mettre un frein aux événements violents? Pour moi qui suis affectée à l'interne, cela me semble être la base, mais quelque chose me dit que les rangs ne manquent pas de trouillards qui font mine de travailler pour récupérer leur solde. Et peut-être le chevalier a-t-il eu la chance de tomber sur des misérables de ce genre jusqu'ici.

« Parce que si je voulais pas risquer ma vie, je serais pas milicienne, dis-je. Et je pense que t'as surtout eu de la chance jusqu'ici parce que je doute que les autorités acceptent qu'il y ait du sang à profusion dans leurs rues comme ça, Chevalier. »

Je regarde ce Desmond de Rochemont tandis qu'il boit sa bière comme s'il ne s'était rien passé. Il baisse alors le ton pour me faire une confidence. Il m'offre son aide en cas de besoin, une aide que la milice ne pourrait pas m'offrir. Je l'avise d'un air impassible. Cet homme est des plus étranges. Un instant, il menace de me violer, l'autre d'après, il me propose ses services. Ses services de quoi, exactement? D'intimidateur? De gros bras? D'assassin? Rien de très légal, dans tous les cas.

« Je pensais pas que t'empêcher de faire un massacre et coller une amende à ton seigneur allait m'attirer un tel capital sympathie de ta part, Desmond de Rochemont, répliqué-je, piquante. Je prends note. »

Je perçois du mouvement plus loin, à travers la porte. L'aubergiste est allé chercher d'autres miliciens comme je lui ai demandé. Je fais signe à mon collègue de leur dire que la situation est sous contrôle avant de me retourner vers le chevalier. Je n'ai aucune intention de faire appel à ses services, mais inutile de l'envoyer paître et de l'échauffer, d'autant plus qu'il paraît assez susceptible.

« Il a fait quoi de si incroyable pour mériter que tu t'énerves comme ça contre des types pour quelques paroles d'ivrogne, ton seigneur? », demandé-je, tentant de cerner le personnage que j'ai devant moi et d'en savoir un peu plus sur cet autre homme, le comte de Rougelac.

J’écoute sans interrompre la milicienne, jusqu’au ce que ses collègues arrivent en force et ne prennent en charge toute l’affaire. Elle me demande alors ce qu’à réaliser Victor pour moi et je lui réponds en souriant :

C’est une excellente question ! Le comte de Rougelac m’a sorti de la misère où j’étais, alors que je vivais de contrat pour les autres nobles. Il m’a tendu la main, m’a offert la protection de sa maisonnée, un véritable travail et m'a rendu mon statut, et pour cela je ne l’oublierais jamais. Je ne sais pas si tu peux me comprendre, mais quand tu es au fond du trou et que quelqu’un te tend la main, tu lui en est éternellement reconnaissant et tu vois rouge quand on insulte ton bienfaiteur.

Tout ce que je lui dis, est bien sûr exact et je considère plus mon alliée comme une personne à protéger absolument qu’un simple individu appartenant au monde de la Haute Noblesse. Je réponds ensuite à la remarque de la jeune femme sur la milicienne :

Tu m’as tout à l’heure dit que j’étais chanceux que les forces de l’ordre ne m’est pas arrêté plus tôt, mais ici tu es dans les quartiers pauvres de Marbrume et le sang coule à flot tous les jours. Tu as aujourd’hui arrêté un homme, mais vingt vont se lever pour prendre sa place dès aujourd’hui et deux cents demain, c’est sans fin, car ici, la vie a une valeur proche de zéro.

Je m’arrête un moment pour reprendre une gorgé de cette bière, parler autant me donne soif :

Comme je te l’ai dit, je t’aime bien, la plupart des gens sont peureux et ne manifesteront pas une once de courage de toute leur vie. Prêt à tout pour éviter les ennuis, ils passeront leur vie à ramper devant les puissants, essayant de se faire tout petit et acceptant de faire tout ce que leur dira de faire, mais toi tu es différente. Tu sais ce que tu veux et tu es prête à prendre des risques pour arriver à tes objectifs.

Je finis ma bière d’un seul trait, avant de reprendre :

Je peux sentir que la vie ne t’as pas fait de cadeau, mais si tu penses que la milice va t’aider à prendre ta revanche sur ton passé, tu te trompes. Elle est complètement pourrie jusqu’à la moelle, les bandits font la loi et elle ferme les yeux sur tous les trafics, tant que leurs membres touchent leur part. Ton collègue, si tu n’avais pas été là, aurais depuis longtemps pris ses jambes à son coup. C’est le pourquoi de ma proposition, si un jour tu veux punir véritablement ceux qui le méritent et que la milice ne te laisse pas les mains libres, je serais là pour t’aider.

J’aime en effet particulièrement tuer les tueurs, c’est le gibier le plus intéressant, car ils savent se défendre et chaque combat est une véritable épreuve. Le but de ma vie est de me mesurer aux personnes les plus fortes de cette cité et d’en sortir vainqueur, prouvant à tous que Desmond est le digne fils de son père.

En quelques mots, le chevalier me résume les raisons de sa loyauté envers le comte de Rougelac. À sa question, je hausse les épaules. Contrairement au noble, je ne crois pas être capable d'une telle allégeance, que l'on me tende la main ou non. Les humains sont trop faillibles, trop changeants pour qu'on se lie à eux ainsi aveuglément. Pour moi, la méfiance reste de mise peu importe les circonstances.

Je laisse ce Desmond de Rochemont parler sans l'interrompre. Il en a étonnamment long à me dire pour un homme que je menaçais d'envoyer aux cachots un instant plus tôt. Il me répète qu'il m'aime bien, non sans tenter de m'expliquer le sens de la vie, de m'informer que les rangs de la milice sont infestés de pourritures, de me dire que ce n'est pas en maniant l'épée au service du roi que je réussirai à prendre ma revanche sur mon passé. J'ai presque envie de sourire avec ironie. J'ignore ce qu'il pense connaître de mon passé, mais je doute que son imagination réussisse à le mener près de la vérité.

« Alors si tu balances ton épée vers le cou d'autres types comme tout à l'heure, tu vas marcher toi-même jusqu'aux geôles pour m'aider à te punir? demandé-je, caustique. Ce serait une juste punition, après tout. »

J'ajoute, cette fois plus sérieusement :

« J'attends rien de la milice. J'attends rien de personne. »

Sur ces paroles, je fais un geste vague vers le chevalier pour lui indiquer d'abandonner sa beuverie solitaire. Je ne compte pas lui parler de ma vie ou revenir sur sa proposition. S'il a une once de clairvoyance, il réalisera bien que je n'ai pas l'intention de lui révéler quoi que ce soit sur moi.

« Allez, lâche les bières qui traînent et bouge tes fesses de là, dis-je. L'aubergiste va vouloir récupérer son établissement et, toi, tu ferais mieux de rentrer à l'Esplanade. T'as fait assez de merde dans le quartier comme ça. »

Je l'invite une fois de plus à sortir et à me suivre à l'extérieur, espérant qu'il obéira sans faire de vagues. La soirée ne fait que commencer pour moi et plusieurs heures de patrouille m'attendent encore.

« On fera envoyer l'amende à ton seigneur demain matin, annoncé-je. Tu ferais mieux de l'avertir si tu veux lui éviter une mauvaise surprise. »

Tout ce que j'espère, c'est que ce comte de Rougelac va payer sans créer davantage de problèmes. S'il peut s'assurer ainsi les services d'un chevalier, il a, selon moi, les ressources nécessaires pour réparer les dommages que celui-ci cause autour de lui. Mais bon. Les plus riches sont aussi souvent les plus radins, et je m'attends à moitié à ce que ce noble conteste cette amende juste parce qu'il peut le faire...

La jeune femme ne semble pas prendre ma proposition d’aide au sérieux, tournant même en dérision mes paroles. Il y a des gens qui mérite des punitions, comme des gueux qui insulte un noble et d’autre qui mérite des louanges, comme un chevalier qui se dresse devant les mêmes manants pour rétablir la vérité et châtier les coupables.

Mais lorsque j’entends ses paroles, sur le fait qu’elle n’attend rien des autres, je me dis qu’elle doit se sentir bien seule pour parler de cette manière. Beaucoup de personnes ont perdu des proches lors de l’arrivée de la Fange et j’en suis un exemple vivant car j’ai dû fuir à cheval, laissant tous mes gens sur place pour pouvoir sauver ma vie, ma maisonnée étant annihiler en l'espace d'une seule nuit. Mais la vie continue et j’ai pu me faire de nouveaux liens, mais cela ne semble pas être le cas de mon interlocutrice.

Suivant ses instructions, je pose ma chope qui est de toute façon vide, faisant craquer les jointures de ma main pour me détendre et je sors de l’auberge, souriant à ses paroles, qui loin de me blesser, me font très plaisir. Après tout, je suis arrivé à mon objectif, cette nouvelle va se répandre comme une trainé de poudre, un grand géant est le protecteur de Victor Rougelac, et la milice le protège, arrêtant celui qui ose lever la main sur lui.

Maintenant, celui qui osera médire de Comte, le fera à voix basse, regardant par-dessus son épaule, au cas où je serais derrière lui. Il est grand temps que les gens du peuple reviennent à leur juste place, sinon ce sera l’anarchie. Le roi actuel est trop souple et permet trop de déviance, il faut mener la population à la baguette, la milice n’inspire plus la peur et ne se fait plus respecter.

Lorsque je suis sorti, la soirée est bien entamée et je sens un peu d’air frais me caresser le visage, la vie est belle et même si c’est dommage de n’avoir pas pu tuer les deux mécréants, j’en ai blessé un et même fais emprisonner par la même occasion. Je suis interrompu dans mes réflexions par la milicienne qui m’informe qu’ils vont envoyer une amende à Victor demain. J’ai toujours un peu de mal à croire que les soldats vont vraiment mettre une prune, alors que le seul témoin de la scène indique que je n’y suis pour rien. De plus, je reste un noble et mon statut devrait me protéger, mais quoiqu’il arrive, ça en valait vraiment la peine.

J’indique donc simplement à la jeune femme :

Ne vous inquiétez pas pour moi, c’est vous qui allez risquer votre vie cette nuit.

Lorsque j’étais sous les ordres d’un baron sur les champs de bataille, je pouvais bien sûr être blessé ou même mourir, mais c’était une belle mort. Je ne comprends toujours pas comment on peut mettre sa vie en jeu pour séparer des ivrognes, mais c’est sa décision, et je ne vais pas la faire changer d’avis.
Je prends le chemin, non de l’Esplanade mais du Balsamine, l’établissement hébergeant des tables de jeu et des prostituées, je compte en effet fêter dignement ce combat !