Mission 2 : Accusé à tord, vraiment ?

16 décembre 1166

Lorsque je reviens chercher la prêtresse, je suis particulièrement fier de moi, je vais pouvoir aider la Milice et ils ne pourront plus dire que je suis un chat noir qui attire les problèmes, mais une personne respectueuse des lois qui en plus connaît des religieuses sexy, et ça, c’est pour bon pour ma réputation.
C’est pourquoi une fois arrivé dans le Temple, je la conduis au lieu qui avant se nommait la place de pendu, mais qui a été, à la suite des évènements, rebaptisé place des chevaliers. Comme prévu, le milicien est toujours là, d’ailleurs, il n’est pas près de se détacher, puisqu’il la tête en bas et les pieds bien attaché.

Je m’approche donc de lui et aussitôt, il me reconnaît :

Chevalier Desmond de Rochemont, je vous en prie, c’est George, vous devez m’aider !

Je suis flatté qu’il connaisse mon nom, mais le sien ne me dit absolument rien, il faut dire que je ne fais aucun d’effort pour retenir celui des nombreux gueux qui en font partie. Certains ont des noms bien particuliers et je les retiens facilement mais d’autre sont complètement commun et à la fin, ils se confondent tous. Dans tous les cas, je suis bien venu pour lui et je lui dis en le tutoyant, puisque j’ai devant moi une personne du peuple :

J’ai parlé avec tes collègues et tu as été vu en train de fricoter avec un homme, ta main était même devant son pantalon.

Je fais une grimace de dégoût en visualisant la scène, comme quoi il y a des vrais pervers dans ce monde et on a bien raison de les sanctionner. Il m’indique alors :

Mais ce n’est pas vrai ! On a voulu…

Je l’interromps en lui mettant la main sur la bouche, puis je continue mon monologue :

Fuir la vérité ne te mènera nulle part, je t’ai amené une prêtresse et j’espère que tu lui diras toute la vérité. Je suis sûr que si tu lui parles de tous tes péchés, le clergé et la Milice sera plus enclin à te pardonner, après tout ne dit-on pas faute avouée, à moitié pardonné ?

Je m’arrête de parler, le regardant droit dans les yeux avec une certaine pitié, refusé les femmes est tout à fait contre nature, certaines sont très jolies, la religieuse à mes côtés en est un parfait exemple et les prendre fais partie des plaisirs de la vie que j’adore le plus. C’est vraiment incompréhensible, je me lève donc hochant la tête puis je rejoins mon acolyte en lui disant :

Il est tout à vous, essayez de lui faire entendre raison, le pauvre a vraiment besoin d’aide.

J’espère qu’elle réussira à lui faire entendre raison, sinon j’aurais complètement perdu mon temps et je déteste perdre mon temps.

Le temps a filé rapidement depuis le matin où j’ai rencontré Sir De Rochemont. J’ai pu déjeuner et m’occuper de la prière du jour, m’occuper de quelques tâches ménagères avant d’aller regarder dans mes livres s’il n’y a pas des plantes qui peuvent m’aider à soigner l’homme que je vais voir en début d’après-midi. Malheureusement, s’il existait une méthode pour remettre une personne dans le droit chemin, ce n’est pas dû à l’efficacité d’une plante.
Une fois que Desmond de Rochemont arrive au Temple et qu’il me conduit à la place des pendus, enfin, des chevaliers. J’ai encore un petit peu de mal à utiliser ce nouveau nom, bien qu’il soit moins sinistre que le précédent. L’habitude, j’imagine. D’ailleurs, le fait de toujours y trouver des pendus n’aide clairement pas à se faire au changement de nom. L’homme accusé d’homosexualité se trouve là, la tête en bas, attaché par les chevilles. Son visage est d’un rouge violet à faire peur.

Visiblement, Sir De Rochemont est connu puisque l’homme apostrophe mon accompagnateur pour lui demander de l’aide. Il lui indique qu’il m’a amené à lui pour que j’obtienne sa confession, pour qu’il soit absous. Il se retourne ensuite et m’indique qu’il me laisse la place. Je le remercie et hoche la tête et avance d’un pas avant de m’agenouiller près de l’homme. Je n’aime pas trop l’idée de rester trop haute par rapport à lui. Certains sont mal à l’aise avec les prêtres et prêtresses car nous possédons une forme d’autorité divine : j’essaie de casser cette image en me rendant au service des autres autant que possible, même si ce n’est pas forcément la meilleure des choses à faire, parfois.

- Georges, c’est cela ? (Je pose la question même si j’ai bien noté son nom lorsqu’il l’a dit au Chevalier.) Je m’appelle Elerinna, je suis prêtresse au Temple, je sers surtout le Dieu Serus.

- Prêtresse, vous devez me croire ! J’ai été piégé ! Ce n’était pas ma volonté ! Vous comprenez ?

Je fais une petite moue avant de reprendre un visage neutre. Se faire victimiser dans une situation où on l’a clairement pris sur le fait me dépasse. Je garde mon avis et tente de continuer de me familiariser avec le milicien. Je m’humidifie les lèvres et reprends ;

- C’est effectivement ce que vous clamer, mais les faits sont là : vous avez été pris dans une situation… Difficilement niable.

- Mais puisque je vous dis que c’était un piège !

- Oui, mais qui voudrait vous piéger ?

- Je n’en sais rien moi ! Personne, tout le monde ! Vous croyez qu’être milicien c’est une partie de plaisir ? On s’y fait des ennemis, croyez-moi !

- Je n’en doute pas… Toutefois, si vous avez été piégé, comment cela s’est-il fait ? Nous vous avons retrouvé la main dans le sac, comme on dit…

L’homme s’énerve une nouvelle fois, criant au complot. Je soupire et le laisse avant de réessayer une fois, lui coupant la parole.

- Georges, que regrettez vous, vis-à-vis de cette soirée ?

J’espère qu’il va saisir la perche et dire qu’il regrette son comportement, peut-être qu’il me dira même d’autres confidences, bien que j’en doute. Il est trop axé sur la machination pour y voir clair. Cependant, peut-être qu’il est réellement piégé ; j’ai du mal à y croire. Ses propos sont incohérents, il ne sait même pas qui en aurait après lui, et si c’est vraiment le cas, pourquoi le faire être accusé d’homosexualité ? Il y a des méthodes plus simples pour condamner quelqu’un et se débarrasser de lui.

La jeune religieuse me remercie, et commence à interroger l’ancien milicien, à genoux, comme si elle voulait se mettre à son niveau, c’est là une technique inhabituelle, mais j’espère qu’elle portera ses fruits. Le début de la conversation, n’est pas terrible, le mécréant niant toujours les faits, indiquant même qu’on a voulu le piéger !

Évidemment, il ne sait pas par qui, ni pourquoi et invoque juste le complot, ce qui me fait lever les yeux au ciel, encore un complotiste ! Je suis sûr que c’est le genre à dire que le nouveau roi à créer les fangeux pour prendre et garder le pouvoir. Bref, je ne l’écoute que d’une oreille, me concentrant juste sure les quelques jolies jeunes femmes qui passent sur la place.

Pendant ce temps-là, la conversation continue et le prisonnier essaye toujours de se justifier :
Je ne regrette qu’une chose, c’est d’avoir croisé cette femme, c’est elle qui nous a invité à boire dans de multiples tavernes, toutes autour de la place des clés, dans le quartier de la Hanse, elle a tout payé, et en plus, était tellement belle, on aurait dit un ange ! Ce n’est qu’à mon réveil que j’ai vu que ma main était dans le pantalon de mon pote et comme par hasard, la milice a débarqué pile à ce moment-là !
Je fronce les sourcils en l’écoutant et je me tourne vers eux. Voyant mon geste, il me parle à nouveau, complètement désespéré :

Je jure sur les Trois que c’est vrai ! Même si c’est toujours flou dans la mémoire, je sais que je lui ai dit des trucs sur les petits cadeaux que reçoivent mes chefs !

J’attends que la religieuse ait fini de l’interroger, puis une fois qu’elle m’a rejoint, je lui pose la question du moment :

Qu’en pensez-vous ?

Une fois entendu sa réponse, je lui fais part de mon avis :

Au début je pensais qu’il était vraiment dégénéré, mais peut-être est-il simplement idiot. Il a quand même donné quelques détails sur cette fameuse femme et je compte aller enquêter sur les différents établissements où il s’est rendu pour m’assurer qu’il ne s’agit pas d’un coup monté, est-ce que vous acceptez de venir avec moi ? Vous semblez avoir un don pour faire parler les gens.

Je ne sais pas pourquoi les prêtres arrivent si facilement à attirer les confidences des gens, mais c’est très pratique pour obtenir des informations. J’ai bien sûr ma méthode, mais elle consiste généralement à péter des dents ou des tibias, ce qui n’est guère utile, du moins pour cette occasion bien précise, sinon, ça fonctionne plutôt bien.

J’espère en tout cas que mon interlocutrice sera d’accord, sinon je devrais continuer l’aventure seul et mes chances de réussite seront bien amoindries.

Etonnement, il indique qu'il regrette d'avoir croisé une femme qui lui a payé bien des verres, et ce, dans tout le quartier de la Hanse. Depuis le début de notre conversation, c'est la première fois qu'il s'exprime sur le déroulement de la soirée. Je fronce les sourcils et, voyant l'accusé se tourner vers le chevalier derrière moi, me mets en retrait, le laissant finir sa tirade. Il jure , complètement désespéré et furieux. Toutefois, il a ajouté des informations à son récit : il aurait discuté du genre de cadeaux qu'obtiennent ses supérieurs. À cet instant, ses cris de conspiration semblent avoir du sens. Pour qu'il réaffirme, je résume :

- Donc, vous dites qu' hier, vous avez bu en compagnie de votre collègue et d'une mystérieuse et belle jeune femme qui, en plus de vous accompagner, vous a payé des verres dans toutes les tavernes de la place des clefs; qu'après cela, vous avez évoqué des problèmes de corruption venant de vos supérieurs, puis vous êtes retrouvé la main dans le pantalon de votre collègue. Ajoutons à cela que vous avez la mémoire défaillante. C'est bien cela ?

- Hé bien, heu, oui...

Mon sourcil gauche se lève suite à sa réponse. Se rend il compte de sa stupidité ? Le climat politique actuel est suffisamment chaotique pour ne pas avoir besoin la fuite d'informations sensibles sur les chefs de la milice dans les mains de n'importe qui ! C'est donner à quiconque de quoi agir contre le Roi, et il ne manque pas de volontaires ! Je soupire et me relève. L'homme panique à l'idée de me voir partir et m'attrape la main :

- Sur les Trois et tout ce qu'il y a de plus sacré, prêtresse, je vous le jure : je ne suis pas de ce bord là.

Je fais une légère moue avant d'hocher la tête et d'aller voir Sir Rochemont qui me demande ce que j'en pense.

- A première vue, il n'a pas l'air très coopératif, mais son récit, quoi que farfelue, soulève des points qui m'inquiètent quelque peu. L'alcool peut lui causer ses soucis de mémoire, toutefois, il existe quelques plantes puissantes qui peuvent y parvenir aussi... Par ailleurs, il est vrai que la coïncidence entre son réveil et l'arrivée de la milice est étrange.

Lorsque Desmond me fait par de son ressenti, je suis heureuse de constater que je ne suis pas la seule à me monter une histoire dans la tête. Les informations divulguées peuvent causer bien des dommages, surtout s'il s'agit de corruption. Il m'indique alors qu'il va mener son enquête et me demande si je désire l'accompagner, ayant "un don pour faire parler les gens". Cette qualification me surprend, ne me considérant pas forcément l'art du détective à tirer les vers du nez de son suspect. Mais il est vrai que j'ai une écoute assez simple qui peut aider les âmes tourmentées à y chercher refuge ou réconfort.

Quant à l'idée de partir dans la Hanse pour faire la tournée des tavernes... Hé bien, je suppose que les Trois ont envie de me faire sortir de ma zone habituelle, alors j'hoche la tête pour acquiescer.

- Vous pouvez me compter à vos côtés. Toutefois, chercher une jolie et mystérieuse femme est un critère bien trop large pour trouver quoi que ce soit...

Je me retourne vers l'accusé qui attendait notre jugement en silence.

- Nous allons tenter de vérifier vos dires ; mais n'espérez pas vous en sortir aussi bien. Vous êtes milicien, vous devez surveiller vos paroles et vos actes. Faites amende honorable et réfléchissez avant de tomber dans le piège de la première personne que vous voyez. Je ne vous promet rien, mais si vous nous aidez à retrouver cette mystérieuse lady, peut-être pourrons nous vous aider à remettre votre tête à l'endroit. Comment était-elle ? Dîtes nous tout ce dont vous vous souvenez, le moindre détail peut compter.

Je n'ai pas l'habitude de parler avec autorité ; il est indéniable que c'est le cas ici. J'imagine que c'est cette histoire qui me fait agir ainsi, après tout : corruption et complot semblent être en jeu, ce qui implique autant la sécurité de la cité que de ceux en dehors. Nous devions retrouver cette mystérieuse femme le plus vite possible. Je ne saurais dire pourquoi, mais j'avais un horrible présentiment qui ne me quittait plus.

À mon grand soulagement, la prêtresse accepte de m’accompagner et indique à l’homme, toujours pendu par les pieds que nous allons enquêter, mais ajoute bien entendu un petit sermon et je hoche la tête à ses parole, elle a parfaitement raison, il faut toujours faire attention aux jolies filles qui vous sourient, moi je paye, donc c’est normal, mais à moins d’être un homme très riche ou un apollon, il n’y a aucune chance qu’une charmante jeune femme vous invite.

En tout cas, le milicien comprend qu’il s’agit de sa dernière chance et fais visiblement des efforts pour se souvenir, ce qui la tête en bas, doit être difficile, finalement, il nous indique :

Elle avait les yeux bruns, de taille moyenne et surtout, elle portait une capuche mais j’ai pu apercevoir des cheveux gris alors qu’elle ne devait avoir qu’une vingtaine d’années.

Voilà ce qui n’est pas banal et qui devrait nous aider dans nos recherches. J’ai déjà vu des personnes avec des cheveux gris, qui souffrais d’une maladie et c’est peut-être le cas ici. Je manque de connaissances en médecine, mais l’important n’est pas là, nous avons maintenant une piste et je ne compte pas la lâcher. J’indique ainsi à la sœur :

Je pense que nous avons ce qu’il nous faut pour pouvoir mener notre enquête, il ne nous reste plus qu’à partir, faire le tour des tavernes.

Puis je m’adresse à celui qui peut-être a été victime d’un complot et je lui dis :

Quant à toi, essaye de survivre jusqu’à notre retour.

C’est bien accompagné que nous allons sur la place des clefs, sur le chemin, je peux voir de nombreux hommes me regarder d’un air envieux, car je suis accompagné d’une très jolie femme et d’autre qui font le signe pour éloigner le mauvais sort en voyant les cheveux roux d’Elirinna. D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de lui demander :

Étant prêtresse, vous serez toujours sous le regard des gens, sachant que certains, quoi que vous fassiez vous prendront toujours pour une sorcière, vous n’avez jamais eu l’envie de vous teindre les cheveux ? Cela aurait été la solution de facilité.

Je suis, en effet, curieux, moi, j’ai une grande taille et je ne peux pas le cacher, mais les cheveux, c’est quand même plus facile. J’attends donc sa réponse puis nous arrivons à destination et je vois quatre tavernes, deux sont plutôt miteuses alors que les deux autres sont de bien meilleure qualité et je pense que ces dernières ont pu être utilisées par notre illustre inconnu et les deux soldats, une se nomme à l’Auberge Rouge et l’autre la Taverne des Dunes.

Je ne sais pas vers laquelle commencer et je demande donc à mon nouveau compagnon d’aventure :

Je vous laisse choisir.

Après tout, je suis bien élevé et comme mon père m’a appris, honneur aux femmes.

La description faite par le milicien est large et ne permet pas de trouver la jeune femme, du moins, jusqu’à ce qu’il indique un facteur assez étrange : malgré sa jeunesse apparente, la demoiselle avait des cheveux gris. Cette information va nous aider car cette singularité, tout comme mes cheveux roux, fait partie de l’identité de la personne. J’imagine que, comme moi, sa couleur est un sujet qui fait parler et que c’est pour cette raison qu’elle les a caché… Pour passer plus… Inaperçue. Je ne peux que faire preuve d’empathie pour cette demoiselle, vis-à-vis de ce sujet, car, en ce qui concerne sa manière de piéger le milicien, je ne peux que réprouver.

Chevalier De Rochemont indique que nous avons tout ce qu’il nous faut pour faire nos recherches et que nous pouvons partir à la place aux clefs. J’hoche la tête, considérant qu’il s’y connaît mieux dans ce genre de choses. Nous avons bien un lieu et les caractéristiques permettant d’identifier la jeune femme dans nos mains pour pouvoir la retrouver et lui demander pourquoi elle aurait piégé le milicien. Desmond lui adresse des dernières paroles, lui intimant de rester en vie le temps que nous trouvions des indices pour valider cette histoire de complot.

Sans plus attendre, nous commençons à nous déplacer vers la place. Je regarde devant moi ou sur les côtés pour observer les bâtiments plus que les personnes. C’est une action dont j’ai pris l’habitude de faire : lorsque je regarde les gens, ces derniers ont des réactions diverses et variées mais qui sont toutes possibles à catégoriser : le désir, la neutralité ou la méfiance. Bien qu’il tente de le cacher, le Sir à mes côtés fait partie de ceux qui aimeraient prendre du plaisir avec moi – ou du moins, mon corps. D’autres, les plus rares, n’ont aucune réaction particulière. Les derniers sont les plus facile à repérer ; ils expriment leur condamnation et leurs jugements de toutes les manières qu’ils peuvent : en crachant, signant, pestant… Mes habits religieux aident fortement à limiter ces critiques à de simples regards emplis de haine et de mépris.

Je suis étonnée lorsque le chevalier prend la parole pour me parler de ma carrière et de mes cheveux. Je le regarde, attendant qu’il termine, et qu’il souligne la facilité de cacher mes cheveux en les teignant. Je souris doucement et répond avec pragmatisme :

- J’y ai pensé, lorsque j’étais plus jeune. Toutefois, je suis orpheline et, ayant toujours été au Temple, les personnes savaient pertinemment de quelle couleur étaient mes cheveux. Les cacher n’aurait eu que pour effet d’attester leurs dires. Lorsque le mal est, le plus souvent, il se cache et prend différentes formes, voyez vous ?

Cette réponse est la plus logique, cependant, ce n’est qu’une demi-vérité. Par nostalgie, je décide d’expliquer ma seconde raison ne ne pas les cacher :

- Par ailleurs, ma gardienne les trouvaient bien trop uniques pour oser les cacher. Elle disait qu’ils étaient une bénédiction des Trois, mais que pour la mériter, je devais passer par le jugement des mortels. Selon elle, être ingrate en les cachant vexeraient grandement les Dieux.

Sylvie avait été la meilleure des gardienne. Plus une mère qu’une gardienne, elle avait toujours été là pour moi lorsque j’en avait besoin. Veuve à trente ans et sans enfant, le clergé avait considéré que s’occuper de moi ne pouvait que lui être bénéfique pour surpasser le deuil : et cela avait été le cas. Nous répondions au besoin de l’autre, l’affection ne pouvait que se développer. Sa mort, voilà déjà cinq ans, me fait toujours souffrir. Pourtant, je sais qu’elle est bien mieux avec les Trois plutôt qu’ici bas avec les fangeux. Heureusement qu’elle n’a pas eu à vivre ces épreuves là.
Nous arrivons enfin à la place aux clefs et, n’étant vraiment pas familière avec l’endroit, je me rapproche inconsciemment du fort chevalier. Il me laisse choisir l’établissement dans lequel commencer l’enquête et, pour aucune raison avérée, décide d’aller vers l’Auberge Rouge. Son nom, peut-être, me semble mieux convenir aux fréquentations du milicien.

- Pourquoi pas l’Auberge Rouge ?

Nous nous y dirigeons et entrons dans l’établissement. L’odeur de sueur et d’alcool est saisissante. Mon nez se plisse un instant, cherchant à s’accoutumer. Je regarde autour de moi et découvre des tables rondes et rectangulaires en bois, dans un espace assez grand et ouvert. Il y a aussi un escalier, lui aussi en bois, où doit mener quelques chambres. Quelques hommes sont assis aux tables à finir leur déjeuner. Devant nous se trouve un bar auquel un homme est entrain d’essuyer et ranger des pintes. En nous observant en retour, rien ne passe sur son visage et j’ignore ce qu’il peut penser de notre duo assez improbable.

- J’vous sert qué’q’chose ?

La jeune femme répond étrangement à ma question sur la couleur de ses cheveux, comme si elle en était fière, alors que pour moi, c’est plutôt un problème mais qui suis-je pour essayer de comprendre les intentions des Trois ? En tout cas, je n’ai rien à répondre à ses raisons qui me semblent tout à fait mystiques comme on peut l’attendre de la part d’une religieuse.

Je préfère me concentrer sur ce que je peux comprendre et toucher et une fois que mon acolyte a choisie l’auberge que nous allons visiter en premier, nous y entrons et sommes immédiatement accueillis par le tenancier de l’établissement qui nous demande si nous voulons boire. C’est ma foi une excellente idée et faisant fi des regards inquisiteurs des autres clients, je m’assieds sur un des grands tabourets, faisant attention à laisser le plus propre à la jeune femme qui m’accompagne et je commande :

Ce sera une bière pour moi, la meilleure que vous ayez et pour vous ma sœur ?

Inutile de passer incognito, avec sa robe de prêtresse, elle est immédiatement identifiée, mais ce n’est pas grave, je ne compte pas passer des jours à gagner leur confiance. Au lieu de cela, je laisse la jeune femme choisir sa boisson et une fois que nous sommes tous les deux servis, j’indique tranquillement :

Nous sommes ici en mission, nous devons découvrir ce qu’il s’est passé hier soir et châtier les coupables.

Je vois le sourire commercial de l’aubergiste disparaître d’un seul coup et il me demande d’une voix apeurée :

Châtier les coupables ?

Je réponds par l’affirmative et lui indique :

Cela concerne deux miliciens, je suis sûr que vous savez de quoi je parle.

Il déglutit avec difficulté et me répond en hochant la tête :

J'vous jure que je savais point, ils sont venus ici bien émécher, accompagnés d’une jeune femme mais pas d’une…

Il s’interrompt en regardant la religieuse et terminé à voix base dans ma direction pour que je sois le seul à entendre :

Pas d’une pute.

Il reprend ensuite sur un ton plus haut :

C’était plutôt une noble, très mignonne et qui n’arrêtait pas de les remercier pour leur travail de protection de la cité. Je n’ai pas pu bien entendre, car j’avais d’autres clients, mais elle a tout payé avec des pièces d’or !

Je vois ses yeux brillés à ce souvenir, l’argent se faisant rare, tout un système de troc s'est mis en place, la monnaie est réservé aux nobles et cela me confirme sur l’idée que le milicien pendu par les pieds a dit la vérité, reste maintenant à la trouver et je laisse donc la parole à mon compagnon d’aventure, espérant qu’elle aura une bonne idée.

Je vois bien que mes propos ont perturbés légèrement l’homme à mes côtés, je me réserve donc d’ajouter quoi que ce soit pour éviter qu’il se méprenne sur qui je suis, ou sur mes activités. Mes cheveux roux suffisent pour qu’on me qualifie de sorcière, si en plus de cela mes propos deviennent louches…

Nous entrons et nous installons dans l’Auberge Rouge, au niveau du bar du gentilhomme qui le tient, certainement le gérant de l’établissement. Le chevalier s’installe sur un grand tabouret de bois et me laisse la place à côté de lui. Je ne suis pas familière avec ce genre de bâtiment et je ne me sens pas vraiment à ma place. Je me dandine un peu, mal à l’aise, sur mon tabouret et répond que je ne souhaite que de l’eau aux deux hommes. Le tenancier prépare mon verre avant de s’occuper à verser la bière de Desmond.

Je suis surprise de la franchise avec laquelle le chevalier commence son introduction. Venir et avouer si rapidement ses intentions, surtout de cette manière. Le tenancier blêmit lorsque Desmond parle de « châtier les coupables ». Il n’en faut pas plus pour que l’homme s’ouvre et nous dise tout ce qu’il sait sur cette histoire de miliciens. J’écoute et constate que l’homme validait les dires du milicien pendu la tête en bas. Une jeune femme s’était bien présentée ici pour remercier et flatter les deux officiers, payant même en or. Cette ressource, devenue rare, nous laisse supposer que la demoiselle était aisée, voire noble, ou du moins, qu’elle avait quelqu’un d’aisé ou noble derrière elle pour pouvoir la faire agir ainsi. Le chevalier ne disant rien après cette déclaration, je décide de prendre la parole.

- Vous savez que la vie de ce milicien est en jeu… Si vous pouviez vous rappeler d’un détail sur cette demoiselle ou… Si vous saviez quand et où ils sont partis, s’ils sont partis tous les trois ensemble ou séparément par exemple, vous pourriez être d’une grande aide.

- J’voudrais bien, ma sœur, mais j’pourrais pas vous dire grand-chose de plus… Comme j’l’ai dit au sieur, j’avais d’autres clients… Mais je crois qu’ils sont partis tous les trois ensemble, quand et pour faire quoi, ça, seuls les Trois le savent.

Je souris faiblement et hoche la tête.
- Vous deviez p’t’être faire un tour chez les autres, vu comme ils étaient éméchés en arrivant, ça m’étonnerait pas qu’ils aient fait une tournée dans d’autres établissements.

- Merci pour vos conseils. Que les Trois veillent sur vous.

Je me tourne vers le chevalier pour savoir s’il désire ajouter ou faire quelque chose avant que nous nous en allions.

Malgré l’intervention de la sœur, nous ne tirons aucun autre renseignement de la part de l’aubergiste, mais nous savons maintenant, que ce n’est pas ici qu’ils ont été arrêtés dans cette taverne c’est pourquoi, une fois que la religieuse a remercié le gérant, je finis rapidement ma bière et je paye, avant de sortir en compagnie de mon acolyte.

Il ne reste plus que deux bars sur la place et je lui indique :

C’est maintenant à mon tour de choisir, direction la Taverne des Dunes !

J’attends la réaction de la jeune femme puis je pars dans la direction du débit de boissons, ma première impression sur la qualité de l’établissement n’était pas exactement la bonne, car il semble plus prospère que l’Auberge Rouge et je ne vois que des bourgeois en train de boire, dans une grande pièce très bien tenue, il y a même des serveuses qui font leur travail, bien habillé et sans être peloté par les clients, signe que nous sommes dans un lieu sélect.

Notre arrivée passe ainsi plus inaperçu et cette fois-ci, je choisis directement à une table, aidant Elerinna à s’asseoir avant de faire de même, puis je lui demande :

Est-ce que vous avez faim ? Je vous invite.

Je fais ensuite signe à l’employé et je lui indique :

Je vais vous prendre une tourte avec une bière, et pour vous ma sœur ?

Je la laisse commander si elle en a envie, puis je me retourne vers la serveuse :

J’aimerais aussi voir votre patron, une fois que les plats seront servis.

C’est donc au bout de quelques minutes que les assiettes arrivent et un homme d’une trentaine d’année, déjà chauve comme moi, nous rejoint avec un grand sourire :

Que puis-je pour vous chevalier et prêtresse de Serus ?

Je lui souris aimablement, et je lui indique une chaise libre :

Je vous en prie, asseyez-vous, cela ne durera pas longtemps.

Toujours aussi souriant, il s’installe et je peux donc lui demander :

Nous enquêtons sur cette triste affaire avec le milicien avec la main baladeuse, vous devez savoir de quoi je parle.

Mon interlocuteur s’arrête de sourire pendant quelques instants, mais il se reprend vite et m’indique :
Bien sûr, c’est un grand scandale, je l’ai vu de mes yeux et je peux vous assurer que tout est vrai.
Nous avons donc trouvé l’établissement où cela s’est passé, et alors que je commence ma tourte, je lui demande d’un ton léger :

Est-ce qu’ils étaient seuls ?

Je le vois hésiter puis me répondre :

Oui, juste tous les deux et déjà bien aviné, ils se sont mis à notre meilleure table et ont commandé du vin, le premier c’est évanoui et le second a alors mis sa main dans le pantalon. La milice a débarqué quelques minutes après et voilà toute l’histoire.

Je lui annonce en souriant :

Je vous remercie pour votre aide, j’ai juste une petite remarque et après vous pourrez vaquer à vos occupations et nous ne vous dérangerons plus.

L’homme semble se détendre, j’en profite alors pour l’interroger :

Je trouve ça un peu bizarre qu’un établissement comme le vôtre, accepte deux miliciens bien avinés, leur offre du vin et leur meilleure table.

Je me tourne alors vers la religieuse pour lui demander :

Vous ne trouvez pas ça étrange, ma sœur ?

Desmond n’ajoute rien, paie pour la bière qu’il a consommé et sans plus attendre, nous sortons de l’auberge. Il choisit cette fois-ci l’autre destination : la Taverne des Dunes. J’hoche la tête pour signifier mon assentiment. Nous nous dirigeons ensuite vers cet établissement, bien différent de celui d’avant : tant par sa clientèle que par son allure. Plusieurs personnes sont déjà présentes à boire et à discuter. Cette scène me rappelle qu’il existe encore quelques endroits où le temps semble s’être figé et où la misère et la fange apparaissent comme des mauvais cauchemars. Comme avant, je laisse le chevalier choisir où nous installer ; cette fois-ci il m’aide à m’asseoir en tirant ma chaise. Il s’installe ensuite en face de moi et me demande si j’ai faim, indiquant au passage qu’il m’invite.

J’avais bu uniquement un verre d’eau à l’Auberge, et même si mon estomac est habitué à manger à des horaires plus ou moins fixe, je reconnais que l’odeur qu’il se dégage des cuisines ouvre mon appétit. Timidement, alors, je commande après lui lorsque la serveuse vient prendre nos commandes.

- Juste de la tourte avec de l’eau, s’il vous plaît.

Le chevalier demande ensuite à voir le patron. Je l’observe et suis en quelque sorte fascinée par sa confiance en lui. Il agit toujours avec assurance, comme s’il savait d’avance qu’il pourrait surmonter toutes les épreuves qui se présentent à lui.

Après quelques minutes, le patron nous rejoint avec un sourire commercial et une voix trop mielleuse à mon goût. Je laisse encore le chevalier s’exprimer et mener l’enquête. Pendant ce temps, j’écoute, j’observe et mange convenablement. Bien rapidement, l’homme nous avoue qu’il a vu cette main baladeuse. Je regarde ses réactions ainsi que celles de mon acolyte. Je vois une touche de fierté chez l'un et de l'angoisse chez l’autre. Peut être est-ce ce stresse qui lui fait dire ces inepties. Le chevalier s’en rend compte, aussi ajoute t’il, tout sourire, ses remarques. Il se tourne juste après pour me demander mon avis. J’hoche la tête et m’humidifie les lèvres.

- Hé bien, je ne m’y connais pas en commerce, mais oui, cela me semble étrange de flatter autant de simples miliciens, qui plus est, des miliciens qui, avec leur haut niveau d’alcoolémie, auraient pu créer si facilement du grabuge dans ce noble et respectable établissement…

Je fais une petite moue d’incompréhension et fronce les sourcils en regardant le patron.

- Veuillez excuser ma lente compréhension, pourriez vous m’expliquer ce geste commercial ? Après tout, ils n’ont certes pas blesser des clients hier soir mais votre Taverne pourrait être considérée comme un lieu de débauche, où tous les plaisirs peuvent avoir lieu.
- Mais, prêtresse, cet établissement condamne ces pratiques, je vous l’assure ! C'est pourquoi ces hommes ont étés arrêtés.
- Je vous crois mais, tout de même, votre réputation pourrait en pâtir de ce fait. Au-delà d’avoir hébergé des homosexuels qui se sont tripotés, ils ont aussi étés attrapé chez vous. La réputation même de vos clients peut être mise en cause désormais ! Par ailleurs, il ne verront plus un lieu de refuge ici, mais un lieu où leurs gestes seront étudiés. Quelle terrible affaire !
- Non, non… vraiment ! Nous n’en arriverons pas à de telles extrémités, dit-il avec précipitation, le visage un peu blême. D’ailleurs, personne ne sait que cela s’est passé ici, la Taverne des Dunes n’a jamais été mentionné par les autorités.
- Oh ! Maintenant que vous le dites, vous avez raison. Vous devez être fort reconnaissant d’une telle discrétion de leur part. Je ne savais pas qu’ils protégeaient autant les hébergements aux mœurs si légère. Le saviez-vous, Sir ?


Je regarde Desmond qui fait lui-même parti de la milice, avec un léger sourire. J’aurais pu me sentir mal à l’aise de jouer ainsi avec les nerfs du patron de la Taverne, toutefois, son comportement et ces manigances me faisaient horreur.

La prêtresse m’aide maintenir la pression sur notre victime, tout d’abord en lui indiquant qu’il était dangereux pour lui d’accueillir les deux miliciens éméchés, puis c’est le tour de sa réputation d’établissement respecté des bonnes mœurs, qui est mise en cause. Je vois l’aubergiste bafouillé de plus en plus, devant cette véritable torture mentale, finalement, la religieuse est une vraie sadique.

Je fini en tout cas ma tourte pendant leur entretien, ne perdant pas l’appétit pour si peu. Acculé, il indique bien que la Milice a réglé cette affaire en toute discrétion et la jeune femme me demande mon avis, inversant ainsi les rôles. Pour ma part, je lui indique avec un air très sérieux :

C’est grave, très grave, nous allons devoir mener une enquête complète, si vous faites preuve d’autant de laxisme dans le choix de vos clients, ce n’est pas étonnant que le garde a choisie votre tripot pour se tripoter !

Je le vois blêmir d’avantage, son visage devant complètement blanc et il s’assoit d’un coup à notre table, comme si ses jambes ne pouvaient plus le supporter, il murmure même entre ses dents :

Elle m’avait promis que tout se passerait bien, je suis un établissement respectable, oui un établissement respectable.

Je l’entends marmonner quelques autres paroles indistinctes, mais j’en sais suffisamment pour lui dire :

Maintenant, fini de jouer, nous savons qu’il y avait une femme aux cheveux gris avec eux, c’est elle qui les a fait venir ici, boire et a fabriquée toute cette mise en scène, alors maintenant vide ton sac, si tu ne veux pas dormir dans les geôles !

C’est là un pari risqué, n'ayant aucun pouvoir pour l'emprisonner, mais il faut que j’en profite pendant qu’il est en pleine détresse psychologie, c’est quelque chose que j’ai très vite apris, quand ton adversaire perd l’équilibre, fais le complètement tombé et rajoute quelques coups de pieds en prime. En tout cas, cela semble fonctionner, car il s’écroule comme un château de cartes et après avoir renifler de manière insupportable, il avoue ;

Je suis désolé, quand la dame est venue il y a quelques jours, se devait juste être une simple vengeance, mais quand je l’ai vu mettre en place cette mise en scène, j’ai été saisi et je n’ai pas osé intervenir. Quand la milice a débarqué quelques secondes plus tard, c’était trop tard et je n’ai rien osé dire.

Je l’attrape par le col et lui demande d’une voix sans pitié :

A cause de toi, un milicien est peut-être mort à l’heure qu’il est, je veux un nom, tout de suite.

Il suffoque un peu, mais il réussit quand même à me dire :

Je ne peux pas, c’est une noble et ils sont protégés par les Trois !

Je relâche mon étreinte avec difficulté, car j’ai grande envie de le frapper encore et encore pour le faire avouer, mais je dois éviter de faire preuve de violence, surtout devant une représentante de Serus et je me contente de demander à cette dernière :

Pouvez-vous éclairer notre hôte ici présent, sur ce qu’il risque sur le plan spirituel ?