Marbrume


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 Coalescence [Ombeline]

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CesarePrêtre responsable
Cesare



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MessageSujet: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyMar 26 Jan 2021 - 16:08
L’inspiration des divins avait toujours été la lumière guidant l’ascète dans les brumeuses ténèbres de l’incertitude et du doute, flambeau chaleureux chassant la nuit et les mains fuligineuses des spectres de la tentation et de la discorde. S’agenouiller sous les pieds de leur majestueuse statue défiant le passage du temps, là au cœur de l’édifice le plus sacré de cette terre teintée de corruption et de vices, était un merveilleux baume où on pouvait ressentir les regards bienveillants à travers les yeux de granit plus expressifs que les froids visages des miliciens patrouillant les ruelles nocturnes en frottant leurs mains glacées. Mais parfois, on n’avait pas besoin d’un flambeau, mais juste d’une petite chandelle pour trouver la force de prendre un chemin inconnu.

Cesare alluma le dernier bâtonnet d’encens avec son habituelle délicatesse, soufflant subtilement sur la timide flammèche qui libéra alors de paresseuses volutes parfumées qui vinrent caresser l’effigie murale du martyr. Le visage gravé dans la pierre avait des expressions de sagesse et de noblesse, comme dans les souvenirs de jeunesse du prêtre. Oui, Père Cuthbert avait toujours été son modèle, son idole, son messie. Un avatar de piété et d’humilité. Une main languissante vint parcourir du bout des doigts les traits sculptés, comme si elles cherchaient à ressentir à travers la peau de pierre la chaleur d’un corps bien vivant. Quand la pulpe de son index s’arrêta sur les yeux de l’effigie, il frissonna, frappé soudain par la malédiction d’une mémoire bien trop vive pour sa propre paix mentale. Le souvenir affreux ressurgit comme une bête tapie dans l’ombre, ramenant avec elle les hurlements hystériques de la figure paternelle, de ses fulminations prophétiques, de ses orbites creuses aux larmes cramoisies …

Les catacombes n’étaient pas l’endroit sordide qu’on pourrait croire, aucune aile du saint et sacré Temple ne saurait enfermer en son sein quelque chose de malsain et inquiétant, à l’exception tragique des cachots où sorcières et hérétiques avouaient leurs crimes et péchés par volonté de rédemption ou sous la persuasion des engins de douleur. Au contraire, elles étaient imbibées par une quiétude rare qu’on trouvait difficilement dans une cité étouffée par une population se bousculant sur chaque carré de terrain. Les morts qui y sommeillaient dans leurs cercueils de pierre étaient tous des témoins de siècles plus cléments, ancêtres de prestigieuses lignées et croyants remarquables dont la passion religieuse était encore retranscrite dans les parchemins de la bibliothèque. Quand Cesare évoluait en ces lieux, il pouvait reprendre conscience de son rôle en ce monde et de la fugace fragilité de la vie humaine. Son corps de chair et de sang était condamné à rejoindre ses prédécesseurs car telle était la volonté des Dieux. La fatalité de leur destin ne lui faisait pas peur car elle était une promesse de libération et d’apaisement pour le pratiquant qui n’oubliait ni prières ni corvées, mais ce qui pesait désormais sur son esprit comme dans celui de tous ces défunts étendus sur leurs lits de pierre était son héritage. Que léguera-t ’il en ce triste monde ravagé par les monstres et l’infâmie ? Un livre peut-être ? Nombreux étaient les ermites et les érudits qui firent bénéficier leur savoir et leur sagesse aux générations futures grâce à leurs écrits lourds d’expérience, mais Cesare ne désirait pas que son apport à la cause divine de sa religion se cantonne à des manuscrits empilés soigneusement parmi d’autres ouvrages jaunissants.

Il avait vu de ses propres yeux qu’il y’avait des choses plus urgentes et inquiétantes à gérer. Terrés dans les ténèbres suffocantes des marécages brumeux, des apostats blasphémateurs profanaient par leur existence même le nom de la Trinité. Si leur hérésie seule avait de quoi faire bouillir le sang de l’ascète, le souvenir encore cuisant sur sa chair lui rappelait amèrement que ces truands organisés autour d’un objectif commun de survie constituaient un danger aussi palpable et concret que la fange qui gangrenait le royaume dévasté. Si Marbrume ne saurait craindre les manigances de ces parias se bousculant dans le bourbier putréfié qui leur servait d'éden, il ne saurait en dire autant pour le Labret. Ce petit refuge qui jouait un rôle crucial dans l’approvisionnement du dernier bastion de l’humanité était dans la périphérie alarmante de l’influence des scélérats qui devaient guetter avec une haineuse envie les réfugiés comme des loups embusqués. Poulpe monstrueux aux tentacules invisibles, ses immondes appendices s’aventuraient déjà dans les terres des fidèles, semant les graines de la discorde. Or, là où les apostats évoluent, l’hérésie les suit. Les rumeurs horrifiques de ces cultes diaboliques servant une fausse divinité dont l’adoration se résumait à concurrencer les fangeux en atrocités et bestialité gagnaient de plus en plus de consistance et de réalisme à mesure que ses confrères susurraient secrètement dans la discrétion des cellules du Temple les témoignages cauchemardesques trouvés par des patrouilles de braves miliciens traumatisés par les effigies bacchanales, grotesques idoles ou testaments macabres de leurs rituels dérangés.

Cesare avait l’impression de sentir la fine et fragile épaisseur d’un voile peinant à cacher les horreurs indescriptibles et innommables que ce monde abandonné dégorgeait en légions haineuses et hurlantes, alliées dans le commun but de causer la chute des civilisations et l’extinction de leur espèce bénite des Trois. Les dernières épreuves que le clerc a affrontées sont un testament bien trop cuisant et un rappel douloureux de cette condition infernale dans laquelle Marbrume était condamnée, à jamais assiégée par les goules, les bandits et les damnés. Une guerre dont chaque escarmouche se déroulait aussi bien hors des murailles que dans chaque ruelle de ce havre agonisant.

Et pourtant l’espoir et la ferveur ne le quittèrent aucunement, loin de là. L’adversité avait quelque chose de “beau”, aussi ridicule que cela puisse paraître ; elle est la flamme qui embrase la détermination des vertueux. Dans les prunelles de l’agent du Clergé brûlaient toujours ces flammes de la divine passion et de l’indomptable foi, tant bien même son corps commençait à transporter autant de cicatrices qu’un vétéran. Sa récente confrontation avec les indignes parjures était une révélation de la noirceur qui obscurcissait des chaumières recluses de la lumière du Temple, des âmes en quête de pénitence et d’illumination, autant de bougies attendant cette étincelle qui les embrasera à l’unisson en un fervent flambeau.

Quitter le Temple qu’il chérissait tant pour rejoindre le Labret, un nouveau chapitre de son sacerdoce. La peur serrait ses entrailles, mais aussi l’excitation. Au fond de lui, une âme d’aventurier timide exprimait son enthousiasme à l’idée de plonger dans un nouveau monde et porter l’étendard de la Vraie Foi jusqu’aux abandonnés. Une reviviscence pour le prêtre qui, depuis deux ans, avait stagné dans une lente descente dans les abysses du doute et de la terreur. Sa décision était prise, les préparatifs étaient déjà planifiés et sa résolution n’en était que renforcée en présence de sa figure paternelle qui veillait sur lui d’en Haut. Mais là n’était pas la seule raison pour laquelle il était venu se recueillir devant l’icône du martyr. Une nouvelle flamme jusqu’ici constamment ténue et étouffée avait commencé à illuminer les corridors encore inexplorés du cœur du pratiquant. Emotions, sensations, images incessantes, autant de choses inédites qui harcelèrent l’esprit du prêtre sans qu’il puisse s’en débarrasser, dans ses prières ou dans ses services sacrés, la tête toujours dans les nuages, rêveur, imaginatif, languissant. Cette flamme le consumait aussi doucement que le plus suave des poisons, le plus exquis des venins. Elle le brûlait et pourtant il ne pouvait plus se passer de ce sentiment d’attache qui gagnait en intensité, gagnant place au côté du bûcher éclatant de la ferveur religieuse du ténébreux clerc.

C’était surement toutes ces rencontres, ces aventures étranges, ces discussions profondes de philosophie et de contemplation, ces épreuves et surtout les innombrables escarmouches où leurs visions et idéaux croisaient le fer avec véhémence. Elle lui avait tenu tête, avait défendu sa vision des choses, lui a tenu la main pour le guider dans son propre univers et avait partagé une proximité qu’il n’aurait pu tolérer en temps normal. Elle fut son antithèse, son Némésis, celle qu’il devait à tout prix soumettre à son dogmatisme inébranlable. Mais aujourd’hui, elle était le fruit défendu dont le parfum effleurait encore son esprit et lui susurrait des promesses qui n’avaient aucune incongruence qu’on attribuait souvent aux tentations pécheresses. Elle hantait ses pensées au point de lui faire abandonner un précepte qu’il avait chérit avec fanatisme sous l’égide de son défunt mentor.

« Père Cuthbert … accordez-moi votre bénédiction. Guidez mon cœur, car mon désir est pur et fidèle aux lois de nos Dieux. Accordez-moi votre protection, que mon corps soit pétrifié si je me jette vers ma perdition. Permettez-moi de trouver mon bonheur et de continuer à servir les Trois pour cette vie et celle d’après. Serus a sans doute jugé qu’il était temps pour moi de remplir le devoir de tout enfant des Trois, car mon cœur brûle d’une passion flamboyante. Puissiez-vous me pardonner si j’ai rompu ma pénitence éternelle, car mon âme me dit autrement et les Trois veillent. »

Le silence fut sa seule réponse, mais il ce n’était pas ce lourd et pesant vide qui fait vrombir votre cœur et provoque d’incontrôlables frissons le long de votre échine. Plutôt, une silencieuse acceptance.

« Qu’il en soit ainsi. Merci. »

C’est ainsi que le pénitent serviteur de la Trinité avait pris son ultime décision, pour le meilleur comme pour le pire. Le chemin était clair, ses objectifs bien définis et la force des Dieux le guidait pour les atteindre. Il savait pertinemment qu’en quittant le Temple pour rejoindre le Labret, il abandonnait ses ambitions d’évolutions hiérarchiques, mais désormais il avait de plus pressantes affaires qui quémandaient sa pleine concentration. Le titre glorieux de Haut Prêtre pouvait attendre, car il ne se jugerait digne de porter la toge de leader du Clergé qu’en ayant le courage de regarder à nouveau la majestueuse statue des Trois et leur dire “Je suis digne”.

Mais pour le moment, il avait une renarde à extirper de son terrier malaisant. L’idée de la savoir enfermée dans cette ruche de concupiscence délabrée lui était insupportable et il comptait bien mettre un terme à ce statu quo qu’il avait laissé trop longtemps comme tel. Cesare regrettait de n’avoir pas trouvé la solution plus tôt, mais ses sentiments envers elles n’avaient jamais atteint ce paroxysme étourdissant. Chacun de ses pas le rapprochant de la Balsamine, il sentait son corps se tendre, son cou se raidir, ses yeux clignant à maintes reprises tandis qu’il appuyait machinalement sur la canne qui l’aidait à supporter sa jambe encore endolorie. Les pansements recouvrant sa plaie le lançaient moins qu’avant, mais la morsure de la douleur était toujours présente, non pas qu’il n’était pas un vieux familier de la souffrance physique. Il se demandait d’ailleurs si la cellule froide et obscure de flagellation serait déserte en son absence ...





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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyDim 31 Jan 2021 - 3:15
Assise sur le bord de son lit, Ombeline fixait les éclats colorés du mobile au-dessus d'elle sans vraiment les voir, plongée dans ses pensées. Il n'y avait pas grand monde en bas, mais elle pouvait entendre les allers et venues de ses comparses entre les tables ainsi que la faible rumeur de quelques conversations. Depuis qu'il y avait deux nouvelles dans l'établissement en plus de la gamine en formation, la charge de travail était moins lourde pour les anciennes habitantes. S'occuper de la salle, préparer les repas, donner un coup de main au ménage ou au bain était redevenu faisable sans abandonner les clients.
La brunette aurait pu se réjouir de ce changement, mais il intervenait à une période bien trouble pour elle : l'hiver était synonyme de faim, même avec les petits arrangements frauduleux de Madame Vesseur, et les visites pour la petite aveugle ne faisaient que se raréfier. Les nouvelles offraient un peu de fraîcheur pour les clients et raflaient facilement leur attention tandis qu'elle et ses yeux voilés suscitaient toujours la méfiance depuis l'invasion. On lui avait même demandé une ou deux fois de se laisser examiner pour s'assurer qu'elle ne portait pas de morsure cachée.

Pour Ombeline, cette situation était autant un soulagement qu'un problème majeur. D'un côté elle se trouvait à faire plus de tâches d'intendance que de passes, ce qui lui convenait très bien car depuis l'automne elle se sentait de moins en moins capable de simuler ou même de tolérer qu'on la touche sans son aval. D'un autre côté, la Balsamine lui prodiguait chaleur, nourriture et protection, ce qu'elle serait incapable d'avoir par elle-même autrement. Or devenir inutile à la Balsamine c'était risquer de se faire mettre à la porte, ce qui signerait pour elle un arrêt de mort lente et misérable.

La veille, la patronne de l'établissement était venue la trouver pour lui toucher deux mots à propos de l'avenir qui se dessinait. Bien que connaissant la fleur de trottoir depuis son enfance et ayant pour elle une affection presque maternelle, il fallait avant tout penser à l'argent qui permettait à l'endroit de tenir in extremis debout. Une bouche à nourrir qui ne rapportait pas assez était un luxe que ne pouvait plus se permettre le bordel. La Vesseur avait donc encouragé sa protégée à se trouver très rapidement une activité rentable, où qu'elle soit, si elle espérait conserver sa chambre. En l'absence de rentabilité, l'aveugle devrait plier bagage et se faire à l'idée de dormir dans une ruelle dès les premiers jours de printemps.

Bien que la perspective de se retrouver dehors et livrée à elle-même soit effrayante, Ombeline n'avait pas supplié ou fondu en larmes. Elle s'attendait depuis plusieurs mois à ce que ce jour arrive et à présent que c'était officiel pour tout le monde, elle réalisait que cela signait une sorte de retraite du métier. Il y avait quelque chose de libérateur à savoir que, peut-être un jour, elle ne serait plus une catin mais une personne comme une autre, avec un métier banal et la possibilité de vivre normalement.

Mais avant de se mettre à rêver de tout ce qu'il lui serait possible de faire, elle devait trouver de quoi payer sa pension. Malheureusement, il n'y avait pas grand-chose qu'elle sache faire ou puisse faire à cause de sa mauvaise vue. Dans un premier temps elle avait songé à faire appel à ses connaissances parmi les gens un peu plus aisés, tels qu'Irène ou Desmond, pour trouver une place dans une cuisine ou au ménage. Mais pour faire le ménage, encore fallait-il voir la saleté ! Et ses dons en cuisine n'étaient pas à la hauteur pour contenter un palais aussi fin que celui de la belle Irène. Elle avait ensuite songé à faire le service dans une auberge ou se présenter comme chanteuse. La paie n'était pas la même, mais elle pouvait espérer s'en sortir malgré tout. Certains métiers en boutique pouvaient également convenir, à condition qu'on lui accorde le temps d'adaptation nécessaire pour faire de l'échoppe un lieu familier.

Plus elle y songeait et plus l'entreprise lui paraissait vaine : qui irait s'encombrer d'une aveugle alors que les affaires allaient déjà si mal ? Peut-être faudrait-il aller au Temple alors...
La brune sentit ses joues s'empourprer malgré elle et elle se leva brusquement pour aller ouvrir la fenêtre de sa chambre, laissant entrer une bourrasque d'air froid. Depuis cette fameuse enquête, elle n'arrêtait pas de revenir au souvenir de leur au revoir, à ce qu'il avait dit et ce qu'il avait fait, à ce qu'elle-même avait dit et fait. Et à présent qu'elle avait la possibilité de reprendre une vie plus droite, elle se surprenait à espérer pouvoir attendre plus que l'amitié qu'ils partageaient. Chaque fois que son esprit vagabondait un peu trop ou que ses rêves se faisaient un peu trop passionnés, elle passait un long moment à s'excuser auprès des Trois pour son comportement. Il ne lui avait jamais semblé punissable de répondre au simple désir charnel des membres du clergé, mais pour une raison idiote elle se sentait terriblement coupable de vouer des sentiments sincères à l'un d'eux. Comme si, parce que le cœur y était, cela risquait de salir le prêtre plus sûrement que s'il n'était question que de luxure.

Une nouvelle fois elle s'agenouilla devant sa fenêtre et les trois petites statuettes qui représentaient la Trinité. Les deux mains posées sur la poitrine et les yeux fermés, elle adressa une rapide prière en s'excusant une fois de plus pour ses pensées, demandant à ce qu'elles n'entachent en rien la froide vertu du prêtre dont elles faisaient l'objet. Si Ombeline se moquait régulièrement de la rigueur extrême de Cesare, elle respectait malgré tout son rang au sein du Temple ainsi que les efforts qu'il déployait pour se montrer digne des Trois. Il y avait à ses yeux une différence entre le chambrer ou parfois le chahuter un peu, et prétendre à plus qu'à l'amitié qu'il lui portait déjà. Elle n'était qu'une fille de joie d'un bordel à peine miteux, elle n'avait pas le droit d'espérer plus et ce serait orgueilleux de sa part de le faire tant qu'elle serait dans cette position déshonorante. Anür avait bien assez de raison de la punir, inutile de lui en donner une de plus.

Libérée d'un poids, Ombeline se redressa en se disant qu'elle avait déjà bien de la chance de pouvoir compter sur la sympathie du prêtre. Est-ce que ce n'était pas déjà assez de pouvoir discuter de temps en temps, en toute liberté ? En outre, elle avait plus important à penser dans l'immédiat, comme sa situation plus que précaire par exemple.
Des coups discrets frappés à sa porte sonnèrent l'heure de descendre. Elle quitta aussitôt sa chambre et pu souhaiter à Fleur un bon repos avant que cette dernière ne disparaisse dans son antre. Avec plus de personnel, un roulement avait été mis en place afin qu'il y ait toujours du monde et que d'autres puissent se reposer. Le système arrangeait les filles autant que les clients.

Sans grande surprise, personne ne l'arrêta sur le chemin jusqu'aux cuisines, ni pendant l'heure suivante. Elle distribuait boissons et plats, faisait un brin de causette au comptoir ou à table, mais pas besoin d'avoir des yeux fonctionnels pour voir que l'on attend rien de plus de sa part. C'en était au point qu'elle avait même attaché ses cheveux en un épais chignon sauvage, ce que les catins ne faisaient normalement pas pendant le service afin de signaler qu'elles étaient libres et peu farouches. Finalement, peut-être que le métier de tavernière seyait mieux à l'aveugle que celui de fille de joie ?
Par manque de clients à brosser dans le sens du poil, elle se montra productive en salle et en cuisine au point de désœuvrer les autres qui n'avaient alors plus qu'à se concentrer sur les hommes présents.

Lorsque vint le moment où il n'y eut plus rien de pressant à faire, la brune se sentit mal à l'aise. Auparavant elle avait toujours une occupation, une façon de se rendre utile, mais à présent elle avait le sentiment d'être un poids pour l'établissement. Ne souhaitant pas s'attarder derrière le comptoir en faisant semblant de nettoyer des godets déjà propres, elle traversa la salle jusqu'à la porte d'entrée et s'accorda une pause dans le froid hivernal de Marbrume. Enroulée dans la cape rouge que lui avait offert Desmond, la capuche en fourrure relevée sur la tête, elle s'adossa près de la porte et écouta simplement les bruits de la rue. La Hanse ne manquait jamais d'activité et c'était agréable de deviner ce qui se jouait autour d'elle simplement à l'oreille. Ici une charrette qui passait, là des miliciens qui traversaient la rue, plus bas le menuisier qui donnait des consignes à son apprenti... Il fallait en profiter tant que cela durait.
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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyMar 2 Fév 2021 - 17:44
Il n’aurait pas pensé que son corps réagirait si fort à l’intensité d’une émotion qui le dépassait. Chaque pas semblait le rapprocher d’un destin que son esprit logique et dogmatique ne concevait pas, habitué à la confortable quiétude de son sacerdoce et ses problèmes inhérents. Or en ce moment près, son cœur s’affolait à mesure que des scénarios rocambolesques se bousculaient dans sa tête. Pourquoi avait-il l’impression de se diriger vers une terre inconnue ? Il était … paniqué, nerveux. Ses doigts pianotaient fébrilement les pans de sa plus belle robe, offrande faite au héros tragique de ce sanglant jour où la cité avait compris qu’on n’était jamais à l’abris des griffes des morts-vivants qui hantent ce monde. L’intérieur de sa joue devait être en piètre état à force de l’avoir grignoté de l’intérieur comme un chien affamé. Anür lui vienne en aide, il ne parvenait pas à garder sa concentration ! Chaque pas était une épreuve qui puisait dans son énergie, ses yeux hagards jetant des regards fébriles aux passants à proximité comme s’il craignait que ces badauds ne devinent ses pensées orageuses et ne le jugent, lui prêtre dont les désirs prenaient enfin le dessus sur lui. Lui, le berger des âmes, s’était finalement attaché à l’une de ses brebis.

Combien de temps s’était écoulé depuis leur toute première rencontre, cette nuit étrange dans les ailes les plus intimes du vénéré Temple ? Oh, ça remontait à si longtemps et pourtant, pourtant … l’exercitant glissa inconsciemment sa main sur son torse, se remémorant ce premier contact où la fleur-de-trottoir avait planté ses griffes sur son cœur en moquant son absence. Peut-être était-ce ainsi que la flamme animant ce cœur solitaire fut ravivée, ne serait-ce que fugacement, timide flammèche curieuse qui fut alimentée petit à petit au fil des rencontres toujours plus profondes, tissant un peu plus un lien étroit entre deux âmes qui n’avaient pourtant rien en commun. Les Trois avaient scellé la boucle de leurs destinées ce jour même, il en était convaincu. Restait à savoir si c’était réellement un sentiment partagé ou juste la traîtrise d’un fourbe enchantement qui lui faisait voir des illusions indignes d’un homme de sa caste.

Les ruelles lui étaient familières, désormais, ce qui empourpra d’avantage ses joues. Reconnaître les échoppes et établissements qui menaient vers la maisonnée de la débauche où résidait l’indomptable Ombeline lui donnait l’impression d’être entaché et corrompu, se sentant comme un de ces clients réguliers qui allaient se lover dans les bras accueillants des courtisanes. Cesare avait beau chasser cette sensation d’impureté, elle continuait à inonder chaque pore de sa peau qui, déjà, le démangeait douloureusement, réclamant la morsure du fouet qui saurait chasser cette corruption qui embrumait sa perception. Sa conscience lui hurlait d’ignorer les lamentations de son cœur, de rebrousser chemin et s’enclaver dans les ténèbres apaisantes d’une cellule où le prix d’une mortification habile saurait arracher comme une tique assoiffée cette passion qui lui était étrangère. Il pouvait encore battre en retraite, taire les voix qui susurraient des poèmes idylliques dans son imaginaire et se lancer vers le voyage au Labret, là où de vrais croyants attendaient le secours d’une main qui saurait les guider vers la lumière et chasser les ombres qui conspirent.

Assailli par autant de contradictions dans sa tête, il ne se rendit compte qu’il avait atteint sa destination qu’en heurtant accidentellement un seau qui traînait près du puits, arrachant au clerc une malédiction à l’égard de l’imprudent qui a laissé l’outil s’empêtrer dans ses pieds. Frottant son orteil endolori en maugréant dans sa barbe, il leva les yeux vers la Balsamine qui dressait farouchement ses couleurs au cœur de la rue, imperturbable édifice moquant la pudeur et la décence. Décidément, il ne pourrait jamais contempler longuement cette auberge du vice sans persifler méchamment entre ses lèvres. Ah, si ce n’était pour Ombeline, cette ruche impie serait déjà rasée jusqu’à … ses pensées furent brusquement pétrifiées quand ses yeux critiques passèrent vers la petite entrée où celle qui tourmentait ses rêves depuis un temps prenait un bol d’air frais.

« Oh … »

À essayer de ne pas trop penser à elle, la voilà qui se manifestait comme ces apparitions invoquées par des rituels païens, enrobées dans des fumeroles de mystification et de charmes. Mais aucune sorcellerie n’était à l’œuvre, il ne ressentait pas ce malsain frisson qui vous parcoure l’échine quand vous traquez l’occulte pour profession, non. L’agent du Clergé se surprit même à sourire, cette simple vision soufflant sur les débris de doutes et de chaos qui virevoltaient en frelons vrombissants dans sa tête pour ne laisser que le plaisir d’un moment innocent de contemplation vertueuse.

Il est étrange qu’une même personne puisse avoir une aura différente entre deux temps. Par le passé, elle n’était qu’une curiosité, un énigmatique phénomène dans le train paisible de son quotidien, un atome libre qui avait capturé son attention frivole. Rien de tout cela ne s’exprimait désormais, si ce n’est une fascination qu’il ne se reconnaissait pas. Elle n’était qu’une prostituée, une femme ayant abandonné toute décence et pudeur pour survivre dans ce cruel monde et malgré tout, ici devant la porte même de son terrier impur et détestable, à portée du son des rires de ceux qui avaient oublié que les Dieux les regardaient avec déception du haut de Leur trône, elle incarnait une douceur humaine saisissante. Ainsi dressée, ses prunelles laiteuses lui cachant la noirceur de la cité assiégée et l’état déplorable de ses citoyens, emmitouflée dans un manteau pour se soustraire aux caresses du froid, elle lui sembla tout aussi pure et intouchée par la malfaisance de ces temps troubles qu’une colombe immaculée dans la neige scintillante. Ou se faisait-il un portrait bien trop éloquent pour elle ? Décidément, il ne se reconnaissait plus.

Se redressant rapidement, il déplia les rides que formait les pans froissés de sa robe comme pour ne laisser aucune imperfection dans son apparence, tant bien même se doutait-il que l’acuité visuelle n’était peut-être pas la meilleure arme de jugement d’Ombeline. Se sentant ridicule de se comporter de manière aussi maladroite lui qui était un icone de froide humilité et de contrôle, il reprit contenance et approcha alors l’origine de sa venue.

« Voilà un bien beau manteau que tu as là. L’aurais-tu emprunté chez ton amie qui pique dans l’assiette des nobles incongrus ? »

Avec un petit rire taquin accompagnant cette dernière phrase, il croisa les mains derrière son dos, la limaille de ses dents se reflétant derrière ses lèvres de corail.

« Il te va à ravir, ceci dit. »

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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyJeu 4 Fév 2021 - 18:23
Cesare !

Un sourire illumina le visage de la jeune femme alors qu'elle reconnut la voix qui s'adressait à elle. Plongée dans ses pensées et bercée par tous les bruits de la rue, elle n'avait pas remarqué que quelqu'un s'approchait d'elle. Il fallut que le prêtre s'approche encore un peu avant qu'elle n'arrive à distinguer sa silhouette du reste du paysage. Quelque chose semblait différent dans sa posture, ou peut-être son approche... Mais elle n'aurait su dire quoi.

La remarque faillie la faire rougir et pour toute réponse, elle tourna sur elle-même pour montrer les pans du manteau. Elle en prenait grand soin depuis qu'elle l'avait, c'était certainement ce qu'elle avait de plus précieux d'un point de vue financier, si l'on omettait Kornog lui-même. Mais qui irait voler un chien aussi massif ?

Je vois que Manon t'as fait forte impression. Devrais-je me montrer jalouse ? Le taquina-t-elle. Figure-toi que ce n'est pas un emprunt, il est tout à moi. J'imagine qu'on doit me voir de loin avec ce rouge vif, mais c'est parfait pour mes yeux. Et cette capuche est si douce !

Parfois la jeune femme s'interrogeait encore sur la raison de ce cadeau. Le chevalier de Traquemont lui avait bien expliqué que c'était parce qu'il voulait correspondre à cette image d'homme de bien qu'elle lui avait attribué, mais c'était un don plus que généreux, même pour un homme bien. Si elle en avait eu les moyens, elle l'aurait certainement remboursé d'une manière ou d'une autre. Peut-être un jour aurait-elle l'occasion de lui rendre la pareille à sa façon.

C'est un cadeau, de la part d'un chevalier. Je n'ai pas l'habitude que l'on m'offre grand-chose, et certainement pas avant d'avoir moi-même donné quelque chose en premier lieu. Mais le moins que l'on puisse dire c'est que c'est une personne assez hors du commun, alors ça lui ressemble bien. Je ne pouvais pas refuser.

S'il était commun d'offrir à une courtisane des cadeaux sous forme de bijoux ou vêtements, les catins lambda avaient moins de chance. On leur payait un verre, parfois on pouvait leur offrir un pendentif en bois gravé ou des rubans pour leurs cheveux, mais rien de plus. Ces petites attentions étaient également assez rares, elles provenaient principalement de clients fidèles qui fréquentaient souvent la même fille, ce n'était pas très courant comme pratique. Ombeline avait déjà reçu un ou deux présents, rien qui d'égale ce manteau cela dit.

Tendant une main devant elle, Ombeline chercha un instant le prêtre - ses yeux percevant difficilement certaines distances - pour finir par rencontrer son bras. Il portait autre chose que la soutane habituelle, le tissu sous ses doigts avait changé de texture. Peut-être s'agissait-il simplement d'un vêtement plus chaud, pour ne pas grelotter dans le Temple entre deux cérémonies ?

Je te proposerais bien d'entrer pour te mettre au chaud, mais je ne suis pas certaine de la réputation que cela pourrait te valoir. Que me vaut le plaisir de ta visite ? J'espère que cette fois c'est uniquement pour prendre de mes nouvelles et non pour chasser une nouvelle sorcière.
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Cesare



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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyJeu 11 Fév 2021 - 17:49
La bonne humeur de son espiègle amie était contagieuse, le sourire du pratiquant s’agrandissait tandis qu’Ombeline virevoltait allègrement pour exposer sa confortable cape aux yeux approbateurs d’un homme qui, s’il n’était pas attaché au concept de se pavaner dans des habits luxurieux au risque d’endommager une fragile humilité humaine, devait reconnaître que le manteau donnait à la brune demoiselle aux prunelles de nacre une apparence plaisante au regard. Le rouge contrastait divinement avec la pâleur de sa peau et le prêtre se pinça légèrement les lèvres en piquant de la tête vers ses pieds, comme si cet instant de contemplation lui avait valu le regard réprobateur de ses divins patriarches.

Etant souvent l’objet des taquineries incessantes de la malicieuse Ombeline, il n’était pas surprenant que tôt ou tard le rigoureux et austère clerc allait adopter ce jeu et faire goûter son adversaire à sa propre médecine.

«Une si belle première impression ! C’est d’ailleurs la raison de ma visite. » Le ton de sa voix, bien entendu, trahissait clairement la taquinerie. Il n’avait pas encore dompté l’art de faire passer une plaisanterie de façon insidieuse, mais c’était déjà un bon début pour un esprit dogmatique.

« Mais je doute que Manon trouve son bonheur avec moi. Mes biens se limitent au nombre de mes bonnes actions inscrites par les chroniqueurs de la Trinité. Rien qui ne puisse satisfaire la kleptomanie de la demoiselle. » chanta solennellement l’ecclésiaste en levant mains au ciel avant de les croiser sur son torse en une étreinte religieuse.

Ainsi donc, la soyeuse cape était un cadeau. En temps habituel, l’ascète aurait persiflé une moquerie savamment dissimulée derrière une remarque sarcastique, mais il était pour l’instant plutôt intrigué de savoir quel “ami” offrirait un présent de cette qualité à celle qui n’était pour les yeux des provinciaux qu’une simple fille de passe. Un riche marchand ou un noble, surement, car ce genre de cadeau n’était pas à la portée du commun de la piétaille délavée. Cesare préférait ne pas se plonger d’avantage dans ses questionnements internes pour ne pas livrer son esprit aux potentielles raisons ayant encouragé cet homme mystère à gâter Ombeline. Non, décidément cela ne ferait qu’empoisonner sa bonne humeur !

Fort heureusement, les doigts de son interlocutrice s’enfermant autour de son bras eurent vite fait de faire déguerpir les questionnements indécents qui bourdonnaient dans son crâne. Fait rare, il se montra moins rigide et réticent à ce contact aussi innocent soit-il, contrastant avec son habitude à déjouer les tentatives loquaces de taquineries tactiles de la belle-de-nuit à son égard.

« Ne me parle plus de sorcières, pour l’amour d’Anür. J’ai eu mon lot de rencontres infortunées ces derniers jours. »

Le souvenir de sa récente capture par les exilés des marais et sa collaboration forcée sous la supervision autoritaire et haineuse de son ancienne suppliciée résonnait toujours comme un étrange rêve, irréel. Il l’aurait aisément confondu avec une fiévreuse illusion si ce n’était ses blessures bien réelles qui marquaient encore son corps. Le croyant avait encore des frissons en se remémorant les menaces qu’on lui avait promis s’il se montrait réticent et avait honte d’avoir succombé si vite à leur cruauté. Mais ce n’était pas une mort de martyr qui lui avait été réservé alors, au fond, il avait fait le bon choix. Puis l’enfant qu’il avait ramené avec lui était désormais entre de bonnes mains et cela suffisait à mettre un baume dans le cœur frigide du prêtre.

Mais il n’était pas là pour lui partager ses dernières mésaventures avec les apostats. Le sourire de l’aveugle était bien trop plaisant pour qu’il l’abîme de sa mauvaise humeur.

« J’espère que tu es libre ? Enfin, on sait tous que je me fais un juste plaisir à t’empêcher de plonger un peu plus dans ton “travail”, quitte à t’entraîner dans une chasse aux sorcières. Une petite promenade ? »

Sans attendre sa réponse, le voilà qui entraînait la frivole demoiselle en l’agrippant par le bras, l’éloignant ainsi à petit pas de sa Ô combien détestable demeure. Cesare se souvenait bien que certaines habitantes avaient la fâcheuse habitude de tendre l’oreille avec curiosité pour saisir quelques brides de paroles et il ne souhaitait pas avoir recours à un autre subterfuge pour satisfaire cette curiosité mal placée. La température peu clémente de ce mois-ci jouait en leur faveur, la plupart des citadins préférant se cloisonner dans le confort relatif de leurs chaleureuses chaumières plutôt qu’aller se geler les miches dehors, laissant une certaine intimité à ce couple improbable pour vadrouiller entre les échoppes et les ateliers.

« Comment vont les affaires ? Enfin, je n’en ai cure, Dieux Miséricordieux ! Mais, ce que je veux dire … aheum, comment vas-tu, toi ? Les Trois ont été cléments avec toi en mon absence ? »

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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyLun 22 Fév 2021 - 1:12
Ombeline ne put s'empêcher de rire en imaginant Manon choisir ses clients en fonction de ce qu'elle pouvait leur voler. Elle n'avait jamais envisager la jeune femme de cette façon mais après leur découverte dans sa chambre, ce n'était pas si improbable. Cependant, comme le disait si bien Cesare, mieux valait penser et parler d'autre chose que de sorcière. Le mauvais sort avait épargné la Balsamine une fois, ce n'était pas pour conjurer bêtement un nouveau malheur en parlant de choses qui fâchent.

— J’espère que tu es libre ? Enfin, on sait tous que je me fais un juste plaisir à t’empêcher de plonger un peu plus dans ton “travail”, quitte à t’entraîner dans une chasse aux sorcières. Une petite promenade ?

La proposition étonna un peu l'aveugle, ce n'était le genre de son compagnon de se montrer en journée mais encore moins pour lui proposer de faire un tour. Cela dit, elle n'allait pas pour autant refuser cette invitation et resserra sa prise sur son bras en hochant la tête sous la capuche ourlée de fourrure. En d'autres circonstances elle aurait rechigné à s'éloigner du bordel mais puisqu'elle était déjà presque un pied hors de l'établissement... Madame ne la gronderait pas si elle s'absentait un moment.

Je suppose qu'il vaut mieux prendre un peu l'air que de discuter entre les murs d'un bordel, le taquina-t-elle en lui emboîtant le pas. Je compte sur toi pour tenir sur tes jambes pour deux : il fait assez froid pour que les pavés soient glissants et je risque de me retrouver les quatre fers en l'air si je ne m'accroche pas à toi.

Comme il était pratique, de temps en temps, de n'être qu'une pauvre petite malvoyante ayant besoin de se tenir à quelqu'un ! En particulier lorsque la personne dont elle tenait le bras était un charmant homme au caractère inflexible.
Ils descendirent la rue en direction du port d'un pas mesuré pour éviter de faire une glissade qui les aurait envoyé dans le caniveau. Il n'y avait pas grand monde, pourtant la rue semblait encore trop bruyante pour Ombeline qui percevait tant de choses. Elle aurait aimé un peu de calme dans cette ville surpeuplée.

— Comment vont les affaires ? Enfin, je n’en ai cure, Dieux Miséricordieux ! Mais, ce que je veux dire … aheum, comment vas-tu, toi ? Les Trois ont été cléments avec toi en mon absence ?

Nouveau haussement de sourcils étonné : cela faisait bien un an qu'ils se connaissaient et jamais encore Cesare n'avait posé de question sur l'activité professionnelle de la brune. Il évitait le sujet comme la peste et n'appréciait guère lorsqu'il fallait en parler, leur point de vue divergeant toujours beaucoup. Un peu déstabilisée, Ombeline répondit sans chercher à le chambrer pour une fois :

— En vérité, je ne sais pas s'ils tentent de m'envoyer un message ou de m'achever... La Balsamine a recruté de nouvelles filles et avec l'hiver les clients sont plutôt content de venir trouver un peu de chaleur. Mais cela fait des semaines que je n'ai plus aucune "visite". Je suis devenue un poids mort pour le bordel et Madame ne peut pas se permettre de nourrir une bouche inutile. Au retour des beaux jours les portes de la Balsamine me seront fermées, que j'ai trouvé un endroit où dormir ou non.

La nouvelle était un peu abrupte et c'était la première fois qu'elle la formulait à voix haute. De se l'entendre dire lui fit un pincement au cœur et elle baissa la tête pour dissimuler l'expression inquiète qui s'était peinte sur ses traits. Sa prise sur le bras se crispa et les mots se mirent à sortir sans qu'elle n'arrive à les arrêter, de plus en plus tremblants.

Je savais que cela allait arriver : depuis l'invasion tout le monde se méfie des gens comme moi, anormaux. On se demande si on ne pourrait pas être à l'origine d'un nouveau mal, si on ne contracterait pas des maladies suite à une morsure cachée. Je suis contente de pouvoir garder mon corps pour moi mais j'ai besoin de travailler pour garder un toit sur la tête et maintenant que je suis inutile je dois trouver autre chose mais je ne sais pas quoi et il faut que ça soit un travail que je puisse faire malgré mes yeux sauf que je suis si maladroite hors de la Balsamine que personne ne voudra de moi et même si on voulait de moi il faudrait accepter Kornog parce que je ne peux pas l'abandonner !

Un hoquet lui coupa la parole tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues. Sa gorge lui semblait si nouée qu'elle peinait à inspirer sans hoqueter, ce qui provoquait plus de larmes. La brunette s'était toujours considérée comme assez forte pour supporter beaucoup de ce que la vie avait à lui jeter au visage, elle se laissait rarement aller au désespoir et trouvait toujours une façon de se dire que les choses n'étaient pas si mal. Néanmoins cette fois-ci l'avenir lui semblait plus sombre que jamais et la peur de se retrouver dehors, sans moyens de subvenir à ses besoins, à ceux de son chien, de se protéger ou de gagner de l'argent était plus forte que le calme qu'elle s'était toujours imposé. Elle ne voulait pas être la proie du premier malfrat venu et elle savait mieux que personne que vendre ses charmes dans la rue n'augurait pas une longue espérance de vie. Elle serait la cible des brutes les plus immondes et si la faim ou le froid ne la tuait pas, les clients finiraient par le faire. Ou peut-être les fangeux.

J-Je suis d-désolée ! Je n-ne sais pas qu-quoi faire ! hoqueta-t-elle en se passant rageusement une main sur les joues pour essayer d'essuyer ses pleurs.

Cesare était la dernière personne devant laquelle elle voulait craquer et pourtant c'était peut-être la seule avec qui elle se sentait assez en confiance pour se laisser aller. Il devait la trouver ridicule de pleurer pour la perte d'une vie de débauche. Comment avait-elle fait pour passer d'une plaisanterie légère à des larmes de crocodiles en si peu de temps, seuls les Trois le savaient.
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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyVen 26 Fév 2021 - 17:01
Il était étrange de voir les quartiers de la Hanse si peu animés, le froid semblant tenir à carreau les infortunés citoyens qui préféraient s’emmitoufler dans le confort relatif de leurs chaumières. Cesare renifla bruyamment son nez rougit, peu habitué à voir un spectacle aussi “paisible” dans un secteur pourtant réputé pour son animation bruyante. Même les rares chiens errants qui n’avaient pas finis dans les chaudrons des plus désespérés n’avaient pas quitté leurs tanières de fortune. Le citadin lambda dira que c’était le climat rigoureux qui en était la cause, mais l’austère clerc ne pouvait s’empêcher de penser que la dernière catastrophe de la désormais tristement célèbre place des chevaliers avait éclairci les rangs bien trop maigres des survivants de l’humanité. L’assaut impitoyable des fangeux et les fuyards piétinant à mort les malchanceux trainards avait surement coûté cher en vies humaines, réduisant toujours d’avantage les effectifs dérisoires des défenseurs de Marbrume. Cesare en encouragerait presque les gens à revigorer les rangs en exerçant la bénédiction de Serus, mais même quand l’humanité frôlait l’extinction l’inquisiteur ne pouvait se résoudre à sanctifier les actes charnels. C’était au-dessus de ses forces, un territoire glissant qu’il préférait abandonner à ceux dont l’âme était plus à l’aise parmi les soporifiques tentations.

Loin de lui l’envie de démoraliser sa partenaire de promenade avec ses fugaces morbidités, aussi avait-il opté pour une discussion un peu plus mondaine qui ne lui ressemblait pas. Or, comme à chaque fois que l’ascète sortait de sa coquille pour tâter une nouvelle approche, cette dernière dégringolait en catastrophe. Avant qu’il ne puisse piper mot, Ombeline éclata en sanglots difficilement contenus derrière ses pâles palmes, laissant un Cesare éberlué. Que Rikni le foudroie, était-il vraiment un oiseau de malheur porteur de tempêtes plus sordides que le trois-fois maudit Etiol ? Une castigation exemplaire et immédiate de sa maladresse lui semblait, en ce moment, plus que nécessaire. Dommage qu’il ne puisse se dédoubler pour se sermonner, quoique certains trembleraient à la folle perspective que deux Cesare existent. Le monde n’était pas prêt à assumer tant de ferveur zélée.

Mais il y’avait plus inquiétant ; Ombeline exprimait clairement une terreur qui hantait le cœur de tous les roturiers et malchanceux destinés à naître au pied de la pyramide sociale, une épée de Damoclès qui pendait au-dessus des têtes de ceux qui ne pouvaient se targuer d’être les élus de la Trinité et d’avoir dans leurs veines un sang noble ou une robe cléricale. La pauvreté, être chassé de son logis, à mendier désespérément dans les ruelles malfamées, attendant impatiemment une mort salvatrice qui les libérera de la misère rampante qui sera leur campagne cruelle lors des nuits froides et hostiles. La gorge du pratiquant se serra instinctivement. Les devoirs d’un agent du Clergé étaient particulièrement nombreux contrairement à ce que le commun des mortels pouvait penser, comportant entre autres l’aide charitable envers les plus démunis. Cesare avait déjà rempli le rôle d'aumônier et avait été le témoin direct de ce que la privation et la misère pouvaient engendrer comme désolation dans le regard d’un vanupied. L’apparence crasseuse, les haillons pendant comme des lambeaux de chair putréfiée, l’odeur pestilentielle de sueur insupportable, l’apparence croupie et malade … ses yeux furent frappés par la vision d’une Ombeline recroquevillée dans le noir, enroulée dans son manteau délavé et couvert de vermines, les pieds noirs gelés et ses cheveux en bataille. Cette manifestation l’ébranla tellement qu’il ne se rendit pas compte qu’il avait soudainement saisit l’une des mains de la belle-de-nuit pour la serrer furieusement dans sa palme, les yeux pétillants d’émotion fixés dans ses prunelles laiteuses, les lèvres tremblantes.

« Non ! Jamais tu n’auras à souffrir des tourments de l’abandon. Pas tant que Anür veille sur ses fidèles ! »

Pourtant, dans l’antichambre de son esprit rationnel et pieux, une voix en lui exprimait avec condescendance son contentement. N’était-ce pas ce que l’homme de foi avait toujours désiré ? Extirper la demoiselle de l’influence néfaste et corruptrice de cette maison d’hédonistes, l’arracher des griffes de sa maîtresse manipulatrice pour sauver son âme teintée de noirceur et de vices. La providence a voulu que ce soit la main nourricière même qui menaça la fragile créature de la jeter à la merci des proxénètes les moins scrupuleux et les coupe-jarrets les plus dérangés. Pourtant, tout ce dont il pouvait se soucier était le bien-être de son amie.

« C’est surement un signe. Ta place n’a jamais été entre ces murs maudits, à sacrifier ta vertu pour rassasier l’appétit des damnés. De toute façon, je ne pouvais plus tolérer te savoir … »

Il se mordit la langue et rentra sa tête dans ses épaules, son regard se détournant pour fixer un crottin sur le sol gelé, n’importe quoi tant qu’il évitait de trahir sa gêne soudaine à la fleur de trottoir. Toussotant légèrement comme pour s’éclaircir la voix pourtant bien audible et vibrante, il reprit contenance.

« Tu devrais te réjouir. C’est l’opportunité rêvée pour abandonner ce taudis immonde et vivre décemment. Un nouveau départ. Et tu n’es pas la seule. »

L’ecclésiastique avisa un vieux cèdre noueux dont les branches alourdies par la neige offraient un toit de fortune non négligeable. Il traîna sa partenaire à l’abris des éléments et frotta énergiquement ses mains engourdies en reniflant bruyamment. Sa jambe l’élançait plus que d’habitude et il s’avait bien qu’il n’avait pas à forcer dessus, mais l’inaction était un poison redoutable pour Cesare.

« Je ne voulais pas t’inquiéter, mais j’imagine que je te dois une explication pour mon absence ces derniers temps. Il n’y a pas longtemps, une bande de bannis m’ont capturé dans les faubourgs et m’ont embarqué jusqu’à leur camp, dans les marais. Si j’ai survécu, c’est d’abord grâce à la bienveillance de nos Dieux, mais aussi parce qu’ils avaient besoin de moi pour mettre au monde un bébé. Je t’épargne les détails malsains, mais disons que ce séjour chez les apostats a été une épreuve qui a lourdement pesé sur ma Foi. »

Soufflant une petite buée entre ses lèvres serrées d’amertume, il poursuivit sur un ton plus froid, presque rancunier. On aurait dit une lame frottant contre son fourreau, acérée et lourde d’hostilité.

« J’ai vu l’hérésie, l’abandon de toute décence. Ils blasphémaient comme ils respiraient, leur présence même était un sacrilège impardonnable, un testament de la ruine qui corrompe nos terres. Les savoir si proches du Labret, leurs tentacules corrupteurs léchant les barrières des villages éloignés de la lumière du Temple, de l’influence du Clergé … je ne peux plus dormir en paix en sachant que chaque jour qui passe voit l’apostasie gagner du terrain hors de murs. Je dois leur venir en aide. C’est ce que voudrait Père Cuthbert, que son nom soit sanctifié. »
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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyDim 7 Mar 2021 - 16:57
Hoquetant pour ravaler sa détresse mais le visage trempé de larmes, Ombeline se laissa entraîner plus loin sans lutter. Elle entendait bien ce que Cesare essayait de lui dire et sans doute essayait-il de la rassurer ou de lui remonter le moral, mais elle ne voyait pas ce qu'il y avait de réjouissant à se retrouver sans protection, sans domicile et sans nourriture. Sa vie à la Balsamine était loin d’être parfaite, mais au moins elle servait à quelque chose là-bas et avait eu l’occasion de grandir sans que sa vie ne soit menacée. Les chances de survie lorsque l’on n’y voyait pas à plus de deux centimètres devant soi étaient minces dans ce monde, Ombeline ne devait qu’à la patience et à la bienveillance des autres d’avoir atteint l’âge adulte.
Mais c’était terminé.
Alors comment pourrait-elle se réjouir ? Comment Cesare pouvait-il dire qu’il ne s’agissait pas d’un abandon pur et simple de la part des Trois ? Si signe il y avait, ça ne pouvait qu’être celui d’une lassitude de la part des Dieux qui avaient enfin décidé d’abréger sa vie. Non, elle n’allait pas se réjouir ! Il n’y avait pas de vie décente pour elle, pas d’opportunité ou de nouveau départ, juste la rue.

Le souffle coupé par de multiples sanglots qu’elle peinait à contenir, les yeux humides de larmes et l’air misérable, la jeune femme n’osait pas répondre de peur que ses propos soient noyés par de nouveaux hoquets. Mais peut-être aurait-il mieux valu qu’elle parle que de laisser le prêtre lui annoncer tout ce qui lui était arrivé et ce qu’il comptait faire.
Avec des yeux ronds et une expression défaite, elle l’écouta narrer brièvement ses mésaventures avec les bannis, retenant à grand-peine de l’interroger à ce sujet. Voilà donc pourquoi il s’était fait si absent… Et pourquoi il revenait la voir en boitant. Elle n’avait pas manqué de remarquer le bruit de canne qui l’accompagnait, ni sa démarche irrégulière alors qu’elle lui tenait le bras, mais ses propres soucis lui occupaient trop l’esprit pour qu’elle l’interroge. Elle avait au moins l’explication à présent, sans avoir eu besoin de demander.

Pourtant cette nouvelle ne fut rien à côté de celle qu’elle devina lorsqu’il lui confia sa volonté de porter la parole des Dieux hors des murs. De nouvelles larmes lui vinrent et elle sentit son cœur se serrer si fort qu’il sembla sur le point d’exploser.

Tu t’en vas… Tu vas quitter Marbrume, c’est ça ?

Sa voix se brisa, sa gorge se noua au point de lui bloquer la respiration. Quel mauvais tour le ciel était-il en train de lui jouer ? Pourquoi fallait-il qu’elle perde tout de cette façon ? D’abord son travail, puis son logis et ses amies, à présent le seul homme qui… C’était injuste ! Qu’avait-elle fait pour mériter qu’on la punisse de cette façon ? Sa seule consolation et son seul espoir étaient que même en quittant la Balsamine, elle pourrait toujours se tourner vers le Temple et vers Cesare. Et voilà qu’il lui annonçait qu’il comptait partir ?
Les deux mains accrochées à la tunique du prêtre, la jeune femme du faire appel à tout ce qu’il lui restait de retenue pour ne pas hausser la voix.

S’il te plaît, ne me laisse pas ! Ne m’abandonne pas, toi aussi ! Les Trois ne veulent plus de moi malgré mes prières, mes amies ne peuvent rien pour moi si je ne rapporte pas d’argent, alors si même toi tu… S-si tu p-pars… S-s’il te p-plait, r-reste ! N-ne me lai-aisse pas seule !

La voix brisée et entrecoupée de gros sanglots, Ombeline se serra contre l’ascète, l’entourant de ses bras, se raccrochant à lui avec l’énergie du désespoir. Il était certainement venu pour lui dire adieu, sa mission divine le poussant vers d’autres horizons, cependant elle ne pouvait se résoudre à le laisser partir. Ses visites n’étaient pas fréquentes et ils n’étaient pas d’accord sur tellement de points que c’en était ridicule, pourtant elle se faisait une telle joie de passer quelques moments avec lui que d’imaginer ne plus jamais le revoir lui causait une détresse plus grande encore que de perdre son travail.
Elle voulait continuer de se chamailler avec lui, l’entendre s’offusquer lorsqu’elle évoquait des pratiques indécentes et se faire encore gronder pour des raisons futiles. Elle voulait entendre sa voix, sentir cette odeur d’encens et d’herbes médicinales qu’il charriait toujours derrière lui, elle voulait sentir le tissu de ses tuniques sous ses mains lorsqu’elle lui tenait le bras pour marcher à ses côtés. Elle voulait revoir son visage d’aussi près que possible pour deviner encore une fois la couleur de ses yeux et se sentir rougir lorsqu’il laissait échapper qu’il s’inquiétait pour elle. Jamais plus elle n’en aurait l’occasion s’il partait de Marbrume.

J-je t’en s-supplie Cesare, r-reste avec m-moi. S-s’il te p-plaît.

Les mots se coincèrent dans sa gorge alors qu'elle tentait de reprendre son souffle, haché par la détresse.
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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyJeu 18 Mar 2021 - 17:15
« Je comprends … »

En y repensant, le clerc se rendait compte qu’il avait mal calibré l’ordre de ses révélations. Au moment le plus désespéré et délicat de la vie d’Ombeline, l’instant où elle exigeait son aide, ce laps de vulnérabilité où fierté et orgueil étaient ravalés douloureusement en soit dans l’espoir de recevoir l’aide d’une main charitable, lui avait assené le dernier coup de marteau pour clouer son cercueil avec son annonce mondaine de désirer quitter Marbrume vers des terres où son sacerdoce était ardemment désiré.

Pour quelqu’un dont le but était de conforter et apaiser les âmes en peine, il se trouvait bien maladroit en présence de la fleur de trottoirs. Il soupira intérieurement, exaspéré par son indélicatesse. C’est dans ces moments précis que se manifestait le parallèle troublant entre son don d’empathie et sa nature inquisitrice. À trop endosser le manteau de l’austère inflexible et sans failles, son âme s’était endurcie, devenant aussi rigide que le corps glacé d’un mort. Noir et blanc, bénédiction et sermons, bons et mauvais, juste et coupable … l’homme était toujours hanté par l’éducation dogmatique de son enfance et les séquelles se voyaient dans cette interaction humaine. Quand elle partagea son malheur, son instinct ecclésiastique s’était plutôt réjouit de la savoir hors d’atteinte des émanations putrides du péché de la chair et de la luxure qui suintaient des murs souillés de cette bâtisse de malheur, oubliant brièvement que la courtisane n’avait pas d’autre alternative pour subvenir à ses besoins les plus primordiaux.

Il n’avait pas le temps de se mordre les lèvres pour sa bêtise, car Ombeline s’était jetée sur lui, imbibant sa robe cléricale de ses larmes. Cesare n’avait pas souvenir d’avoir vu la jeune femme dans un état aussi vulnérable. Même la fois où son dos avait fini en sanglant patchwork sous la fureur d’un clerc zélé, elle avait retenu son désespoir caché en fond de son âme. Même la fois où le sort de la Balsamine semblait sellé quand ils crurent que c’était Manon qui était la responsable de la démence de l’héritier des Blanchemuraille, elle avait ruminé son amertume à l’écart. Elle devait être vraiment à bout, un pied enfoncé dans le bourbier du désespoir, à un pas d’un précipice béant. Ses tremblements, sa voix déchirée, ses doigts agrippés avec la force d’un naufragé s’accrochant à un morceau d’épave … son état était contagieux, le prêtre avait presque l’impression de sentir les bouillonnantes émotions de la brune se propager le long de sa peau comme un désagréable bain d’eau glacée.

« Ombeline … »

Avait-il déjà susurré ce nom dans un ton aussi triste ? C’est à croire que l’abattement de la catin s’était reflété sur lui, plombant sa voix même. L’exercitant secoua doucement la tête en signe de négation avant de laisser tomber sa canne de fortune et saisir les épaules de son amie, l’obligeant à le regarder dans les yeux. Ses sourcils formaient deux arcs qui soulignaient les rides de son front, fruit d’une vie de corvées et de privations volontaires. L’éclat de ses iris pétillants pouvait-il transpercer la buée surnaturelle qui enveloppait les prunelles de l’aveugle ? Il l’espérait, car il souhaitait, plus qu’avec les mots, lui communiquer le brasier qui brûlait en lui.

« T’abandonner ? Après toutes ces péripéties, ces moments de partage, ces discussions empruntes de conflits sur nos principes respectifs, ces tragédies auxquelles nous avons survécu … comment pourrais-je t’abandonner maintenant que tu es la seule qui me connaît mieux que quiconque ? »

Serrant son emprise sur elle, il passa minutieusement la pulpe de son pouce sur le visage humide de son interlocutrice pour la débarrasser de ses larmes abondantes.

« Je ne peux pas le concevoir, pas après tout ce temps passé à essayer de t’arracher à cette maison du vice. Je ne suis peut-être pas le compagnon de table le plus jovial, mais je serais la pire pourriture humaine si je tournais le dos à mon amie. »

Si les habitués de ses discours élogieux sur la foi et la religion pouvaient avoir chez certaines oreilles une dissonance monotone, l’écouteur avisé ressentirait dans ces dernières paroles la sincérité et l’émotion dégagée par un être très peu habitué à exprimer ses sentiments. Mais on ne pouvait en vouloir à Ombeline de croire qu’il était sur le point de lui faire des adieux sans remords, l’ascète avait effectivement surprit plus d’un ces derniers temps par ses étranges délires d’hagiomanie et de pèlerinages suicidaires, d’autant qu’il semblait attirer bien trop les caprices du destin qui s’amusait à le mettre, lui homme de foi banal, dans des situations peu anodines.

Quoi qu’il en soit, le trouble du pratiquant à exprimer ce qui faisait bouillir son sang et rougir ses joues était une épreuve plus ardue que les travaux forcés qu’on pouvait lui solliciter au Temple. Il désirait lui dire que depuis quelques temps, elle hantait ses esprits comme un démon le possédant, aucune prière ni exorcisme ne parvenant à conjurer sa présence, la sensation de ses doigts autour de ses mains, sa voix moqueuse et enjouée.

« Je comptais t’aider, de toute façon. Je ne peux pas te laisser derrière moi, les Trois seuls savent quelles folies tu causeras pour me faire regretter de t’avoir connu, en diablesse que tu es. C’est dans ma responsabilité de veiller à ce que les âmes égarées soient sous mon égide, hors de question donc que je te laisse semer la zizanie dans Marbrume. »

Il se retourna brusquement, les mains croisées derrière le dos et le menton haut dans une attitude suffisante qui peinait à cacher ce fugace tremblement dans sa voix, ou encore le petit battement nerveux de son pied indemne sur la couche de neige.

« Tu pars avec moi. Ne discute pas, c’est décidé. Tous les saints ont eu un fardeau à endurer durant leurs pèlerinages, tu seras le mien dans ma nouvelle vie au Labret … pour le reste de mes jours, s’il le faut. »

Après un bref moment où un silence plana entre les deux étranges personnages, Cesare finit par se rendre compte du sens de sa toute dernière réplique et marmonna aussitôt pour se rattraper en soufflant comme un vieux crouton amer.

« Mes intentions sont clairement portées à mon service pour les Dieux ! Je veux que tu m’accompagnes … non, enfin, je t’oblige à venir pour te donner une vie digne d’un enfant des Trois, voilà tout. Disons que c’est pour te garder … te remodeler en parfaite citoyenne, loin de l’influence néfaste de ces rues corrompues. Voilà tout ! Je … hm, voilà maintenant que j’en perds mes mots. »

On dirait qu’il était embarrassé. Décidément, son séjour forcé chez les bannis lui a sans doute laissé les séquelles d’une vilaine fièvre ou un mal inconnu. Qui sait, avec toutes ces immondes bestioles grouillant dans les marais ?



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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyMer 14 Avr 2021 - 16:23
Il ne lui devait rien et un monde les séparait : lui parmi les gens d’influence et approchant les hautes sphères du clergé, elle tout au fond du trou avec le reste de la racaille. Prier les Trois et avoir bon cœur ne changeait rien au fait qu’ils n’auraient même pas dû passer du temps ensemble en premier lieu, Ombeline avait conscience du mal qu’elle pouvait faire à la réputation d’un homme si bien en vue (d’autant plus depuis l’invasion). Elle n’avait su retenir ses suppliques, trop effrayée à l’idée de finir seule et dans la plus noire des misères, néanmoins elle ne s’attendait à rien d’autre qu’à “je dois y aller, c’est mon devoir, il faut comprendre”.

La tête basse et avec force reniflement, elle accepta de lever les yeux vers Cesare malgré les larmes qui brouillaient le peu qu’elle distinguait encore. Ce qu’elle devait être moche à voir en cet instant ! Les belles dames de la haute noblesse devaient rester élégantes même en pleurant, mais il n’y avait pas de doute qu’une catin avait bien moins de classe lorsqu’elle éclatait en sanglots. Avait-on jamais vu une fille de joie retenir un homme en fondant en larmes ? Non et c’était parce qu’il n’y avait pas plus pathétique qu’une catin aux yeux humides en train de renifler.
Aussi la brune crut-elle à un mauvais tour de son esprit lorsqu’elle entendit le prêtre lui promettre de ne pas l’abandonner à son sort. Elle s’entendit bredouiller un “quoi ?” décontenancé tandis qu’il essuyait ses pleurs.

— C’est dans ma responsabilité de veiller à ce que les âmes égarées soient sous mon égide, hors de question donc que je te laisse semer la zizanie dans Marbrume.

Un rire nerveux entrecoupé de hoquets la soulagea miraculeusement du poids qui lui écrasait la poitrine. Elle n’avait donc pas rêvé, il acceptait de l’aider ? Même dans cette situation peu enviable, elle pourrait compter sur la main salvatrice du prêtre pour ne pas tomber corps et âme dans l’abime ? Peu importait comment il s’y prendrait, la simple perspective de ne pas être laissée seule redonnait à Ombeline un semblant d’espoir. Et les Trois savaient qu’elle en avait grand besoin en cet instant.
Elle aurait aimé lui sauter au cou en le remerciant, mais voilà qu’il s’écartait pour se retourner et poursuivre. Elle en profita pour essuyer rapidement son visage dans un coin de cape en tentant de maîtriser les hoquets qui lui coupaient toujours la respiration par intermittence. Cesare n’en avait pas terminé car il avait déjà un plan en tête ! Tout tracé, déjà décidé et il n’y avait pas à protester : elle était du voyage.

Ouvrant de grands yeux ronds, la jeune femme tenta de mesurer les conséquences de cette annonce. Avait-elle la berlue ou venait-il de dire qu’il l’emmenait avec lui et se disait prêt à la garder à ses côtés jusqu’à la fin de ses jours ? Pour une fois, elle restait sans voix, incapable de trouver quoi répliquer. En revanche, ses joues étaient désormais aussi rouges que sa cape.

En dépit de la détresse, de sa mise à la porte, du froid, de la peur, la donzelle se sentit sourire de manière irrépressible. Soudainement, son avenir si sombre venait de s'inonder de lumière et de prendre un tournant qu’elle n’aurait jamais osé imaginer. Bien sûr, sortir de la ville était synonyme de dangers, d’inconnu et d’une difficile période d’adaptation, en particulier pour elle qui ne pouvait pas compter sur ses yeux pour découvrir de nouveaux environnements. Cependant, elle serait avec quelqu’un d’exceptionnel, quelqu’un qui se disait prêt à se tenir à ses côtés aussi longtemps qu’il le faudrait.
Devait-elle vraiment croire qu’il n’agissait que par devoir ? Comme d’habitude lorsqu’il était gêné, Cesare s’était mis à ronchonner comme un vieil homme en brandissant ses devoirs sacrés comme un bouclier contre toute tentative d’interprétation de ses paroles. Il l’avait dit, il la considérait comme une amie chère et elle ne devait sans doute pas s’autoriser à penser autrement, pourtant la brunette ne parvenait pas à chasser le rouge de ses joues ou le sourire sur ses lèvres.

Ombeline tendit une main pour chercher celle du prêtre et la serrer avec reconnaissance. Ils avaient tous deux les doigts glacés par le froid.

Merci Cesare. Merci, merci du fond du cœur. Je te promets d’être un fardeau léger et utile. Puisque tu me sauves la vie, je veux la dédier toute entière à toi. Les jours, les nuits, jusqu’à la dernière minute. P-Pour t’aider, évidemment ! se rattrapa-t-elle précipitamment. Ça ne va pas être facile de repartir de presque de zéro si loin de murailles, mais je ferai tout ce que je peux pour t’être utile, voilà.

Si la foudre pouvait tomber sur elle, là, immédiatement, elle en aurait été reconnaissante. Elle ne mentait évidemment pas pour ce qui était de l’aider, mais elle se sentait coupable d’avoir prononcé ses mots avec un mélange d’intentions plus ou moins pures. Heureusement, l’ascète se montrait généralement innocent et naïf lorsqu’il s’agissait de certains sujets et la jeune femme espérait qu’il n’entendrait rien au double sens de cette promesse.

Elle serra ses doigts un peu plus fort, désormais assaillie de dizaines de nouvelles questions et de nouvelles frayeurs : devait-elle renoncer à toutes ses affaires ? Y avait-il de la place pour elle au Labret ? Verrait-on d’un bon homme une aveugle venue de la ville et n’y connaissant rien en agriculture ? Que dirait-on si elle passait son temps à dépendre d’un prêtre nouvellement arrivé ? Comment devrait-elle se présenter ? Kornog pouvait-il venir ?
Plus qu’une nouvelle vie, c’était une véritable aventure qui l’attendait désormais et la mort deviendrait une probabilité bien plus grande. Mais entre ça et se retrouver à errer dans les rues sans le sou, il n’y avait pas à hésiter.

Je sais faire à manger et même recoudre des vêtements, je pourrais apprendre à faire pousser des plantes peut-être, ou à m’occuper d’une basse-cours. Kornog sera un bon chien de garde ! Et tu n’auras pas besoin de me surveiller, je trouverai comment me rendre utile, c’est promis.

L’angoisse et l’excitation se mêlait peu à peu tandis que son esprit mesurait toutes les perspectives inattendues de ce nouveau projet. Ses yeux étaient encore un peu rouges, néanmoins les sanglots avaient disparus de sa voix et l’on pouvait sentir l’énergie lui revenir tandis. Cesare lui offrait une occasion de recommencer une vie ailleurs, peut-être même de se débarrasser de cette image de catin qui lui collerait toujours à la peau à Marbrume, alors elle retrouvait courage. Se battre pour se faire une place, elle en avait l’habitude et il n’aurait pas à regretter sa décision, elle en faisait le serment face aux Trois.

Dis-moi ce que je peux prendre et quand je dois être prête, et je serai à l’heure. Je deviendrais qui tu veux : une aide, une protégée, une domestique, une fermière… N’importe quoi ! Je n’ai jamais franchi les murs, alors une fois dehors je pourrais bien devenir ce que tu veux. Et peut-être même ce que je veux aussi.

Au diable les fangeux, la mort et la survie permanente qui les attendait, elle ne voyait qu’une soudaine, une terrifiante et pourtant enivrante liberté. Un quotidien chamboulé, mais également une main à tenir, comme elle le faisait dès à présent.
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MessageSujet: Re: Coalescence [Ombeline]   Coalescence [Ombeline] EmptyDim 16 Mai 2021 - 13:33
« Allons, ce n’est rien … inutile de me remercier. »

Se pinçant les lèvres, il fixa d’un air presque éberlué les doigts de son amie enserrant les siens, ressentant à nouveau cette proximité si troublante, à la fois étrangère et familière. L’ascète s’était privé de tout contact par vœu de pudeur et de chasteté, s’était paré d’une armure de dogmes et d’austérité pour ne pas vaciller hors du siège de son autorité léguée par les Divins, pourtant le voilà qui sentait la familière chaleur d’une paume qu’il reconnaitrait par le toucher entre mille tant les deux mains s’étaient enlacées plus d’une fois dans les moments où la barrière invisible séparant le prêtre de la catin s’était effritée, affaissée, laissant deux âmes que tous opposaient nouer un lien qui n’avait fait que se renforcer à chaque rencontre, chaque interaction, chaque aventure et mésaventure.

« Après tout, tu m’as sauvé aussi … » susurra l’homme de foi, dans un ton si bas qu’il était peu probable qu’Ombeline ait entendu plus qu’un souffle timide.

Elle l’avait sauvé, oui, il s’en rendait compte tandis qu’il voyait son visage s’illuminer. La tristesse et le chagrin abandonnaient son cœur et ses yeux larmoyants brillaient enfin d’une lueur d’espoir réel. Les rares flocons planant paresseusement autour d’elle, sa cape écarlate mettant en valeur la pâleur de sa peau d’albâtre, son sourire ému et ce rire, son rire cristallin, celui d’un canari libéré de sa cage et chantant librement dans le vent sa délivrance. Ce moment avait sauvé Cesare. Ses propres doutes, les fantômes de son passé, les démons qui le hantaient et empoisonnaient ses nuits de pensées morbides ; Qu’il avait échoué dans son rôle, qu’il était indigne de l’amour des Trois, que ceux qu’il était sensé sauver se flétrissaient comme des roses se fanant sous l’influence d’une corruption insipide. Le futur s’était évanoui pour lui, il était devenu plus aveugle que la fleur de trottoir, incapable de trouver une cause à son existence à mesure que la mort et le mal continuaient à moissonner et récolter leur dut. Peut-être qu’il aurait été préférable qu’il plonge son poignard dans son cœur ce jour funeste où les fangeux donnèrent l’assaut à la barricade de fortune érigée par ses compagnons.

Mais en cet instant précis, la gratitude d’Ombeline lui rappela qu’il pouvait encore faire du bien, que quelqu’un appréciait réellement ses sacrifices, qu’il pouvait être aimé par autre chose que le regard inflexible des statues du Temple. L’émotion qui l’assaillit fut si forte et si inédite pour lui qu’il en avait la gorge serrée et les traits étirés. Un tel bonheur ne lui semblait pas digne d’un agent du Clergé avant-gardiste, or il ne parvenait pas à endiguer ce flux d’émotions qui l’énivrait. Pour une fois, il accepta d’abandonner son air austère et réservé et laisser clairement un sourire franc et joyeux éclairer ses traits.

« Il est bon de te voir sourire, Ombeline. Bon ! Trêve de bêtises, je ne te demande pas de te métamorphoser en une nouvelle personne, ce serait embêtant si tu venais à devenir mon sosie. Je doute que le monde soit prêt à encaisser l’existence de deux Cesare, tu ne crois pas ? Ton rôle à toi, c’est de veiller à ce que je ne perde pas ce qui me définit comme humain, tu as toujours eu le don de faire ressortir le bon en moi. Je compte sur toi pour me sermonner convenablement, car je n’hésiterais pas à le faire de mon côté, ne te crois pas tirée d’affaires si facilement. »

Sur un petit rire amusé, il tapota doucement la tête de la jeune brune avec un air qui différait de ses contacts plus paternels dont il avait l’habitude. Une affection différente transparait dans ses gestes, dans son sourire, dans l’éclat de ses prunelles. Où était passé cette réticence à la toucher qui, jadis, faisait de lui encore le prude et incorruptible parangon de la vertu ? Cherchait-il juste à revivre, ressentir à nouveau cette proximité, ce contact fugace avec celle autour de qui orbitait désormais toute son attention ?

« Il y a tant de choses que j’aimerais t’avouer » bredouilla l’agent du Clergé avant d’annoncer sur un ton plus ferme « … mais tu as raison, il faut te préparer. On en reparlera la prochaine fois. Ne t’encombre pas de bricoles inutiles, contentes-toi du nécessaire, tes vêtements ou des objets qui ont de la valeur à tes yeux. Je m’occupe des provisions avec le capitaine du navire qui nous escortera en mer. »

Loin d’être un intendant habile dans l’art de la gestion et de la logistique, le prêtre pouvait cependant compter sur l’aide précieuse de ses frères et sœurs de Foi pour l’aider dans son périple. Ainsi s’était-il orienté vers ceux qui veillaient sur les réserves de ressources du Temple afin de le guider et le conseiller, l’orienter et lui recommander contacts et astuces. Réserver les services d’un honnête et pieux marin, préparer les provisions nécessaires à la subsistance du couple, écrire des lettres aux temples du Labret pour quémander leur assistance à leur arrivée … Cesare ne pouvait que compatir à l’égard des sergents qui devaient mobiliser toute une armée constamment pour subvenir au manque cruel de main d’œuvre.

Un petit nuage de buée se forma devant ses lèvres. L’air était glacial et hostile, pourtant il avait l’impression d’évoluer dans une étrange torpeur, comme si un feu insidieux coulait dans ses veines et l’animait d’une énergie et d’une motivation ardente. La promesse d’un nouveau départ, d’une nouvelle étape pour son sacerdoce et la compagnie d’une personne en qui il pouvait entièrement se confier étaient autant de choses qui revigoraient son cœur et lui donnaient un entrain qu’il n’avait pas ressentit depuis le premier jour de son entrée au sein du Grand Temple. En pensant à son foyer spirituel, il cligna brièvement des yeux lorsqu’il se rappela quelque chose et enfouit une de ses mains dans les plis de sa soutane.

« Oh, j’ai oublié de te redonner ceci. »

Le claquement de perles se frottant les unes aux autres devait déjà trahir la nature de la relique qu’il déposa au creux des mains d’Ombeline avec un sourire satisfait. L’instrument des prières qui les avaient rapprochés le jour où il s’était interposé entre elle et ce fanatique, avant qu’elle ne lui redonne son talisman à la suite du carnage de la place des chevaliers. Un étrange cycle, vraiment.

« Et cette fois-ci garde-le. Je pense qu’il te sera d’une plus agréable compagnie la nuit que moi à bord du navire. Je ne sais pas si je suis fait pour ce genre de voyages, il paraît qu’un étrange mal saisit ceux qui sont bercés par les vagues d’Anür. Tu pourras donc prier si jamais mon estomac me trahit durant notre périple. »

Hochant la tête avec satisfaction, il leva la tête en direction de l’imposante forteresse du Duc devenu roi, dressée fièrement du haut de son esplanade, opulente et inquisitrice. Un spectacle qu’il ne pourra plus revoir pour très longtemps. Mais c’était le Temple qui allait lui manquer. Un pincement au cœur se fit sentir et il se crispa légèrement, déjà nostalgique. Qu’il était étrange de quitter son nid pour de nouveaux horizons. La vie était une bien étrange aventure, mais peut-être qu’elle réservait de belles surprises en compagnie de la plus espiègle des renardes.

Les aventures du prêtre et de la catin, voilà un récit qui ferait fureur dans les tavernes et inspirerait bien des bardes !

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