Lorsqu’arrivait le soir, chaque artisan se retrouvait devant quatre choix majeurs : retrouver sa famille, autour d’un bon repas préparé par sa femme, mettre les pieds sous la table et si besoin recadrer la marmaille ; aller voire un verre à la taverne du coin pour dépenser une partie des recettes de la journée, voir l’entièreté si une partie de cartes était lancée ; se glisser discrètement dans un établissement de passes et profiter d’une heure ou plus avec une belle femme ; il y avait aussi l’option d’aller prier au temple et de se recueillir. Alban était plutôt de la dernière catégorie. Fervent croyant via l’éducation donnée par ses parents, il se rendait régulièrement aux cérémonies organisées par les prêtres et tentait de vivre selon les principes des Trois.
La veille, le forgeron avait terminé sa journée un peu plus tôt que d’habitude pour pouvoir assister à la cérémonie religieuse qui commençait vers le crépuscule. Il avait achevé la réparation d’une épée, dispersé les quelques gamins qui patientaient encore en le regardant travailler, puis il avait éteint son foyer et fermé toutes les portes. Pressant le pas, il arriva juste avant le début des prières et put se joindre aux marbrumiens déjà présents.
Une fois les hommages rendu à Anür, Serus et Rikni, fatigué par sa journée de travail, il rentra directement chez lui sans vraiment prêter attention à qui il croisait dans la rue. Et il s’effondra dans son lit dès son retour, réservant ses quelques provisions restantes pour le petit-déjeuner du lendemain plutôt que pour un dîner. Heureusement que les murs de la maisonnette filtraient les ronflements du forgeron, sinon il aurait risqué de déranger les pauvres voisins qui subissaient déjà le bruit ambiant en journée.
Lorsque le chant du coq réveilla Laforge, il était de nouveau prêt pour une journée de travail, néanmoins suivant les ordres de son ventre grondant, il commença par engloutir de quoi avoir des forces pour frapper du métal de manière régulière et continue. L’air était encore frais lorsqu’il sortit pour lancer les flammes de la forge. Il y consacra plusieurs minutes pour avoir un feu vif et suffisamment de charbons pour tenir plusieurs heures. Puis il sélectionna la prochaine commande qu’il devait honorer et se prépara à la façonner.
Un fois son labeur entamé, il était concentré, entrainé par le rythme répétitif du marteau et son effet sur le métal qui se transformait lentement. Bien conscient des dangers du métier, il porte un gant en cuir sur la main qui tenait fermement l’objet rougeoyant tout droit sorti des fourneaux, tandis que sa main maniant le marteau était nue, pour lui permettre de maitriser parfaitement l’outil et ses effets.
Soudain, d’un coin de l’œil Alban remarqua qu’il n’était plus seul dans la forge et qu’un inconnu, ou plutôt une inconsciente, s’était dangereusement approchée de l’âtre. Lâchant outil et ouvrage d’un même mouvement dicté par les réflexes, il attrapa le seau d’eau qui était toujours à portée et couru jusqu’à la malheureuse. Il s’exclama terrifié.
« Vite, la main dans l’eau ! »
La jeune femme ne semble pas ressentir la douleur et le salua de manière presque enfantine. La rousse ne semble pas avoir peur, cependant cela n’arrive pas à taire l’inquiétude du forgeron.
« S’il vous plait, laissez-moi regarder votre main ou au moins plonger la dans cette eau.
Et éloignez-vous du foyer, un accident peut arriver si vite… »
Il voyait bien que l’inconnue flottait dans ses vêtements qui pourtant ne semblaient pas la couvrir suffisamment pour la réchauffer. D’une voix un peu plus douce et compréhensive, il interrogea en maintenant toujours le seau d’eau devant lui.
« Vous avez froid, c’est ça ? »
Inquiet, il n’avait même pas encore réfléchi s’il la connaissait, son cerveau ayant juste fourni l’information que ce n’était pas une voisine qu’il croisait régulièrement et dont il aurait le nom.