Le chevalier aux multiples blessures [ TERMINÉ ]

✵ 14 janvier 1167 ✵

Le temps n'était pas clément ce jour-là, de lourds nuages noirs couvraient le ciel. Levée aux aurores, Théanna se trouvait dans les rues du Labourg. Elle déambulait entre les courageux qui s'étaient levés, comme elle, dès le levé du soleil. Elle désirait ainsi, éviter la majorité des truands et autres voleurs, bien qu'elle ne se promène jamais avec quoi que ce soit de valeur. Elle ne désirait pas tenter les yeux bien trop avertis de certains. Cela faisait désormais quelques mois qu'elle se trouvait à Marbrume et peu à peu, elle trouvait ses marques. Elle était parvenue à trouver un fournisseur qui ne craignait pas de s'aventurer dans les marécages et autres lieux dangereux. Elle devait payer un prix, c'était certain, mais tant qu'elle n'était pas assez expérimentée, elle n'oserait pas s'aventurer là où il était possible de croiser des fangeux. Elle en avait déjà aperçu, de loin, évoluant dans les ombres, mais jamais elle ne s'en était approchée. Après tout, seul un fou s'approcherait de ces créatures.

L'apothicaire se dirigea vers cette ruelle qu'elle commençait à bien connaître désormais. Elle crut, l'espace de quelques instants, que l'homme encapuchonné ne viendrait pas, avant de le voir apparaître au détour de la petite habitation qui faisait le coin. Elle redoutait également de ne plus le voir apparaître, un beau jour, tué par un fangeux ou bien arrêté pour dieu seul savait quel méfait. Si un tel jour arrivait, elle devrait impérativement se trouver un nouveau fournisseur ou bien braver les dangers afin de se fournir en plantes. Elle priait cependant Riknir d'accompagner son fournisseur dans ses quêtes, ainsi, elle ne connaîtrait peut-être jamais le jour où il disparaîtrait.

S'arrêtant au milieu de la ruelle, elle jeta tout de même un regard derrière elle, rassurée de ne voir personne. L'homme la rejoignit et lui offrit son sourire habituel, auquel elle répondit par un sourire plus discret. Une relation de confiance s'était installée entre eux, leur permettant de s'accorder plus de libertés.

— J'ose espérer que votre cueillette s'est révélée satisfaisante.

Il ne parlait jamais de vive voix, se contentant de geste et d'expressions faciale. Théanna n'était jamais parvenue à déterminer si c'était parce qu'il était dénué de parole, qu'il avait subi des sévices importants ou tout simplement parce qu'il refusait de prendre la parole. Heureusement pour elle, il ne s'en montrait pas pour autant désagréable ou malhonnête, ce qui était assez rare que pour le mentionner. Il déposa alors le sac qu'il portait et l'ouvrit, lui tendant deux gros pochons. La brune s'en saisit, examinant ce qu'il se trouvait à l'intérieur. Elle découvrit alors des Cressons des fontaines, des Iris aquatiques, de l'ail des ours, et même des Eupatoires. Ravie, elle afficha un grand sourire cette fois et hocha de la tête.

Elle prit un peu de chaque plante disponible, les disposants dans sa sacoche. Elle sortit ensuite un objet enroulé dans un drap qui mériterait bien quelques raccommodages. Un petit vase en terre cuite décoré, se révéla lorsqu'elle en écarta les deux pans de tissus qui le recouvraient. Ce n'était pas une grande pièce de collection, ni un objet de valeur inestimable, mais il possédait tout de même une certaine valeur commerciale. Quelqu'un en aurait bien l'utilité et elle l'aurait elle-même bien conservé, mais elle ne pouvait se permettre de garder des objets pour elle en ce moment. Elle en avait bien trop besoin pour se créer une réserve de plante et pour s'acheter de la nourriture.

— Est-ce que ceci vous conviendrait comme paiement ?

Pas encore pleinement habituée aux subtilités du troc, elle conserva tout de même une attitude droite et sûre d'elle. Hors de question de paraître faible et fragile, c'était le meilleur moyen pour qu'un vendeur s'engouffre dans cette faille et demande bien plus que la réelle valeur de ce que l'on désirait acheter. Les opportunistes ne reculaient devant rien pour obtenir ce qu'ils désiraient. Combien de fois ne lui avait-on pas demandé un paiement en nature pour ce qu'elle désirait acheter. Théanna n'avait rien contre les prostituées, mais elle refusait de vendre son corps, elle savait qu'elle ne pourrait plus se regarder dans les yeux si elle se laisser aller à de telles extrémités.

Le vendeur hésita un moment, avant de tendre la main dans le but de se saisir du vase. Rassurée, elle le lui tendit et c'est ainsi que se termina cette brève rencontre. Elle le reverrait la semaine suivant, le même jour de la semaine, à la même heure. Lui adressant un signe de la main, elle se détourna et quitta la ruelle. Désireuse de ne pas s'attarder dehors par un temps pareil, elle s'empressa de retrouver la sécurité qu'offrait sa demeure. Le trajet retour se révéla bien plus rapide qu'à l'allée et rapidement, l'apothicaire regagna sa demeure. Elle poussa un long soupir de soulagement avant de se délester de sa cape noire et de l'accrocher dans un coin. Elle retira délicatement les plantes de sa sacoche et les disposa sur son petit bureau afin de la classer. Certaines seraient à faire sécher, tandis que d'autres devraient rejoindre une mixture ou l'autre rapidement. S'employant à préparer certaines commandes, elle se plongea complètement dans ses recettes, désireuse de s'améliorer dans son travail.

Crotte de bique de crotte de bique ! Il fallait vraiment que ce soit aujourd’hui que mon apothicaire habituel tombe malade et ferme son rideau. Moi qui souffre comme un damné à cause d’une méchante blessure au dos qui se réveille ! Cela fait un mois que les prêtres du temple m’avaient recousu et j’ai vraiment cru que cette affaire était derrière moi, mais j’ai dû faire un faux mouvement pendant la nuit, et j’ai de nouveau atrocement mal.

Impossible de mettre mon armure et s'est donc habillé avec ma tenue noire, avec des motifs argentés et les deux blasons brodés, un pour ma famille et l’autre indiquant la maisonnée Rougelac que je cherche un endroit pas trop en ruine. Au bout d’un moment, je vois une petite maison qui ne paye pas de mine, mais comme le symbole marqué sur la devanture est celui d’un apothicaire, je rentre espérant que je n’aurais pas à me battre contre des rats.

Je suis agréablement surpris par l’intérieur, une grande pièce ouverte avec un bureau au milieu et un escalier menant sans doute à une autre partie du bâtiment. L’endroit semble bien entretenu et propre, ce qui peux indiquer une certaine hygiène que je ne pensais pas retrouver dans les bas-quartier.

J’entends du bruit derrière le paravent protégeant du regard le fond de la pièce, celui situé sous la pièce à coucher et je m’éclaircis la voix pour demander :

Bonjour, il y a quelqu’un ? J’ai besoin d’un cataplasme de toute urgence.

Après tout, je suis chevalier, il n’y aucune raison que je patiente plus que nécessaire. Déjà que j’ai fait tout le trajet jusqu’ici, alors l’homme qui va me recevoir à intérêt à être rapide et efficace, car si j’ai encore mal après son soin il va m’entendre et plutôt deux fois qu’une. On m’a déjà dit que la douleur me rend encore plus grognon que d’habitude et c’est vrai.

J’imagine que le propriétaire des lieux avec un vieil homme avec de nombreuses années d’expérience derrière lui, comme tous les rebouteux et qu’il connaît son affaire. J’ai déjà connu de nombreux soigneurs pendant les campagnes militaires que j’ai réalisé et j’ai modérément confiance en leurs capacités au début, les jeunes font autant mourir qu’ils sauvent et ce sont vraiment les plus anciens qui a force d’expérimentation, arrive à pratiquer des soins corrects. Donc pour moi, plus ils sont âgés et plus ils sont compétents.

Dissimulée derrière l’un des draps suspendus, Théanna était occupée à ranger les remèdes qu’elle venait de confectionner. Triant par type de remède, elle tentait de s’organiser tant bien que mal malgré le manque de place. Elle espérait pouvoir troquer de nouveaux meubles de rangement contre ses soins, mais elle savait pertinemment que pour une telle demande, il faudrait que le soin soit tout autant conséquent. Et à son plus grand dam, les blessés sévères ne se précipitaient pas à ses portes. Cependant, elle ne désespérait pas, il était vrai qu'un apothicaire perdu au beau milieu du Labourg n'était pas ce qu'il y avait de plus commun. Il faudrait donc du temps pour que les murmures de sa réputation atteignent l'autre bout de Marbrume. Si tant était qu'elle réalise un travail assez satisfaisant auprès des bonnes personnes. Ses commandes terminées, elle attendait d'éventuels clients, n'ayant pas le courage de braver un tel temps à l'extérieur.

Elle farfouillait dans ses concoctions lorsqu'elle entendit sa porte d'entrée s'ouvrir. Habituellement, ses clients réguliers savaient qu'elle aimait qu'ils frappent afin de s'annoncer. Ce devait donc être un nouveau client. Tout de même prudente, Théanna mit la main sur le manche de sa dague. Elle n'avait jamais eu à l'utiliser, mais il fallait bien une première à tout. Et pour protéger ses biens, elle serait prête à tuer. Attendant quelques instants, son inquiétude augmenta tandis que le silence s'éternisait. Était-ce réellement un nouveau client ou bien un vaurien venu examiner ses possessions ? Prête à réagir, son corps se tendit et alors qu'elle perdait patience, une voix fini par s'élever dans la petite pièce.

Une voix assurément masculine qui annonça avoir besoin d'un cataplasme de toute urgence. Fronçant les sourcils, la jeune femme quitta son couvert et se révéla au nouveau venu. Il s'agissait d'un grand homme, bien plus grand qu'elle et surtout, bien plus massif que sa frêle silhouette amaigrie par le manque de repas régulier. Détaillant la silhouette, elle remarqua automatiquement les deux blasons brodés sur le vêtement noir, qui indiquait qu'il s'agissait d'un noble. Perplexe, elle se demanda ce qu'un noble pouvait bien faire ici, perdu dans les bas-fonds de Marbrume. Mais tout à son urgence de comprendre pourquoi cet homme parlait de cataplasme, elle laissa de côté ses interrogations.

— Messire, bonjour, par ici je vous prie.

Elle lui indiqua la petite annexe d'où elle était sortie. Elle devait bien admettre qu'avec la carrure de son patient, ils seraient quelque peu à l'étroit, mais c'était tout de même mieux que rien.

— Installez-vous sur le futon s'il vous plaît.

Et, désireuse de ne pas perdre plus de temps, elle s'en alla saisir les ingrédients dont elle avait besoin afin de confectionner un cataplasme. Elle tourna à nouveau le regard vers l'homme.

— Que vous est-il arrivé Messire ?

Attendant qu'il lui réponde, elle saisit un bol rempli d'eau et monta son échelle afin de le disposer sur le feu situé sur la mezzanine. Elle prépara ensuite des feuilles de plantain d'eau afin de préparer le cataplasme.

À la place d’un homme, je vois débarquer une femme brune, plutôt bien faite de sa personne, mais qui a des curieux tatouages sur le visage, chose que je n’ai encore jamais vue, peut-être est-ce une étrangère à Marbrume. Elle est habillée simplement avec un corset et une jupe de couleur bleu, plutôt sombre et sans même se présenter, elle m’indique d’entrer dans la petite pièce sous l’escalier, étant bien enlevé, elle m’appelle par mon titre, ce que j’apprécie.

Je suppose qu’elle va ensuite chercher son maître et je la suis donc, en faisant attention à ne pas me cogner la tête en entrant, puis je m’assieds où elle me le demande, et même si j’entends le mobilier craquer un peu sous mon poids, il ne se casse pas, ce qui est une bonne chose. Elle me pose ensuite une question, tout en faisant des espèces de mixtures bizarres, comme tous les apothicaires. Je lui réponds donc, pas très rassuré :

Il ne vaudrait pas mieux attendre votre maître ?

A moins qu’elle compte lui répondre tout après et je continue donc, ne lui laissant pas le temps de placer un mot.

Si vous voulez aller tout lui répéter après, cela m’est égal, je ne veux pas perturber votre fonctionnement interne. Je me suis pris un coup d’épée dans le dos il y a un mois, lors de la sinistre soirée au Manoir, vous en avez entendu parler ?

Je commence un peu à stresser et dans ces cas-là, soit je frappe, soit je parle beaucoup. Ne pouvant pas faire la première, je me rabats sur la seconde et encore une fois, ne lui laisse par le temps de répondre, avant d’enchaîner :

Bref, un prêtre du temple m’a recousu mais j’ai dû faire un mauvais geste pendant la nuit et maintenant j’ai le dos qui me brûle atrocement, dès que le propriétaire de cet établissement sera présent, je pourrais enlever ma chemise et lui montrer.

Je ne vais pas bien sûr me déshabiller devant une demoiselle, elle risque d’être choqué à vie par ma musculature. Il faut dire que tout mon corps est particulièrement bien développé suite à mes nombreuses années de musculation intensive et à mes entraînements quotidiens. Je suis en effet à la lettre le commandement des Trois avec un esprit sain dans un corps sain, même si je bois de l'alcool et mange beaucoup.

Rassurée de se voir écoutée, elle observa d'un œil distrait l'homme s'allonger sur le futon. Lorsqu'il passa à côté d'elle, elle put pleinement remarquer sa stature et songea que s'il le désirait, il pourrait la briser en plusieurs morceaux. Théanna savait comment se comporter poliment, bien qu'elle ne possède pas les formules de politesse utilisées par les nobles, il n'en demeurait pas moins qu'elle connaissait la manière dont on parlait à des nobles. Et si l'on désirait éviter les problèmes, il valait mieux accéder aux demandes de ces derniers. L'apothicaire n'avait jamais eu peur de s'opposer à ces personnes au statut bien plus élevées que le sien, mais choisir ses batailles était son credo. Il était inutile de provoquer un noble quand on savait ce qu'ils étaient capables de faire de pauvres gens du peuple. Dans le Duché d'Hendoir, elle avait déjà assisté à ce genre d'humiliation et elle s'était jurée qu'elle éviterait cela le plus possible. Le pauvre homme qui avait refusé la demande d'une noble... Il s'était retrouvé encore bien plus pauvre qu'avant le jour qui avait suivi sa rébellion.

Cependant, elle avait appris que la fange avait retiré du pouvoir aux nobles et qu'ils se contentaient de demeurer dans leurs maisons protégées avec les objets et richesses qui leur restaient. Mais un noble possédait des relations et parfois, les relations faisaient toute la différence. C'est donc pour toutes ces raisons que, lorsqu'il mentionna désirer attendre l'arrivée de son maître, elle n'en prit pas ombrage. Après tout, elle était bien au courant des mentalités et il n'était pas rare qu'on la sous-estime due à sa qualité de sexe faible. Se rendant compte de son manque total de politesse, elle s'apprêtait à se présenter, mais le noble reprit bien rapidement la parole afin d'expliquer ce qui lui était arrivé. Laissant momentanément de côté ses feuilles de plantain, elle écouta attentivement son histoire.

À la mention du coup d'épée dans le dos, les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent sensiblement et elle se demanda comment il avait bien pu faire pour survivre à une telle blessure. Les premiers mois de son arrivée à Marbrume, elle n'avait prêté aucune attention à ce qu'il s'était produit auparavant et elle ne s'intéressait guère aux histoires de nobles. Elle n'avait donc aucune idée de ce dont il pouvait bien parler, mais ne souhaitant pas l'arrêté, elle se contenta de hocher légèrement de la tête. Il poursuivit donc, bien que sa réponse ne fût pas réellement attendue. Au moins, s'était-il rendu chez un prêtre, c'était déjà cela. Une fois la fin de son histoire explicitée, Théanna plongea ses prunelles dans les siennes, désireuse de réparer ce malentendu.

— J'ai manqué à tous mes devoirs d'hôtesse Messire, veuillez pardonner mon impolitesse. Je suis Théanna, apothicaire du Labourg. Il n'y a pas de maître, rien que moi-même.

La brune savait ô combien les hommes avaient du mal à ce qu'une femme effectue des soins sur eux, suspectant le moindre produit utilisé. Comme si les femmes étaient bien moins accomplies qu'eux-mêmes. Elle devait bien avouer que ces comportements enfantins l'agaçaient toujours autant, cependant, elle conserva un visage neutre, apaisant. Elle ne devait pas oublier à qui elle avait affaire et comme elle ignorait tout du pouvoir qu'il possédait, il était hors de question d'être hors de ses bonnes grâces. Après tout, c'était lui qui était blessé. S'il ne désirait pas se faire soigner par une femme, il n'aurait qu'à trouver un autre apothicaire ou retourner au temple. Elle ajouta tout de même :

— Je suis apothicaire depuis bien des années Messire, je peux vous soigner, si vous m'en donnez l'autorisation.

Elle n'ajouta pas cependant qu'elle apprenait toujours à découvrir les plantes de cette partie du monde, plantes qui étaient bien différentes de celles de son Duché natal. Elle était cependant parvenue à en connaître certaines au fil des mois et elle ne travaillait qu'avec les plantes dont elle était certaine des effets. En attente de sa réponse, elle ouvrit un petit tiroir qui se situait sur sa gauche et prit quelques morceaux de jonc afin de les laisser infuser dans l'eau qui chauffait au-dessus. Cela permettrait au corps de lutter contre une éventuelle inflammation et permettrait également à l'homme de se détendre si jamais elle devait effectuer des soins sur la blessure.

— Si cela vous inquiète, je peux vous décrire ce que je ferais et les effets des plantes que je vais utiliser.

Elle ignorait si cela suffisait à lui faire prendre une quelconque décision, mais elle ne pouvait pas non plus réaliser l'impossible en changer de sexe. Elle laissa donc le silence s'installer, le laissant à sa réflexion.

Pour une surprise, c’est une sacrée surprise ! C’est donc cette jouvencelle qui compte me soigner ! En plus, je n’ai jamais entendu parler d’elle, ce qui n’augure rien de bon, mais bon, vu le quartier, il ne fallait pas non plus s’attendre à quelqu’un de renommée. Je suis encore plus en colère contre mon apothicaire habituel, et il va vraiment que je m’en trouve un autre de replis, aussi compétent que le premier, pour éviter d’être dans cette situation.

Lorsqu’elle me demande l’autorisation de me soigner, arguant qu’elle a de nombreuses années de soin derrière elle, je ne sais pas trop quoi dire, car j’ai du mal à prendre ma décision, me faire soigner par une femme, jeune de surcroit ou partir en espérant trouver mieux, mais sans certitude, c’est un choix bien difficile.

Je la vois farfouiller dans des tiroirs et préparer une potion, qui a la même odeur que celle qu’utilisait mon rebouteux habituel, ce qui me rassure, car cela semble indiquer que mon interlocutrice a quelques connaissances, alors quand elle ajoute qu’elle peut m’expliquer comment elle compte me soigner, je la regarde droit dans les yeux et au bout de quelques secondes, je lui dis :

Inutile de m’expliquer, je n’y comprendrai rien.

Je ne me suis jamais intéressé aux plantes, que ce soit pour me soigner ou les cuisinier, c’est là le travail des gens du peuple et un noble est bien au-dessus de cela. Je continue donc sur ma lancée :

Les remèdes de mon rebouteux habituels sentent comme les vôtres, je vais vous faire confiance.

J’enlève donc ma chemise, lui faisant voir les nombreuses cicatrices que j’ai sur mon large torse, souvenir de nombreux combats ayant plus ou moins bien tournés. Il n’y a que sur le visage que je n’en ai pas, signe que les Dieux me protègent, et je lui montre du doigt mon dos en ajoutant :

C’est la dernière qui me fait mal.

Et c’est peu de le dire ! Alors pour éviter de penser à la douleur, j’essaye de me changer les idées en lui demandant, pendant qu’elle me soigne :

Ça fait longtemps que vous êtes installé dans cette boutique ?

Voilà une question neutre, et j’enchaîne sur une autre plus personnel, car je suis vraiment intrigué :

Vos tatouages sont bien étranges, je n’en ai jamais vu de pareil, ils ont une signification particulière ?

Je sais que certains de mes anciens camarades de combat aimaient se faire tatouer le nom de leur femme, de leurs enfants voir, pour les plus bizarres d’entre eux, ceux de leur mère et je me demande si c’est la même chose ici. Moi je n’est jamais aimé ce genre de chose, préférant sculpter mon corps sans faire de dessin dessus, car on ne sait jamais, ta femme peut partir rejoindre les Trois et courtiser une demoiselle avec le nom d’une morte sur le torse ou l’épaule est loin d’être facile.

Après quelques instants, le noble semble prendre une décision, une décision plutôt sage aux yeux de l'apothicaire. Il était évident que, si un prêtre du Temple s'était chargé de le recoudre, la blessure devait être assez profonde. Un coup d'épée n'était pas anodin et elle n'osait imaginer les conséquences si la blessure ne cicatrisait pas correctement. Il pourrait assurément en mourir. Il refusa les explications des soins, ce qui soulagea plutôt Théanna. Non pas qu'elle aurait eu des difficultés à tout lui expliquer, mais elle craignait de devoir expliquer chaque terme utilisé, ce qui l'aurait empêchée de pleinement se concentrer sur sa tâche.

Il affirma lui faire confiance et la jeune femme afficha un sourire en hochant de la tête. Voilà qui était raisonnable, après tout, peut-être que certains nobles étaient plus conciliants que d'autres. L'inconnu, puisqu'il ne s'était pas non plus présenté, retira prestement sa chemise, donnant une vue imprenable sur la musculature marbrée de cicatrice. Oh, Théanna avait déjà vu bien des corps masculins, de par les soins qu'elle prodiguait, mais jamais elle n'en avait vu d'aussi impressionnants. C'était une véritable montagne de muscles. Il ne semblait d'ailleurs pas avoir un gramme de graisse. Demeurant impassible, elle conserva ses réflexions pour elle et s'en alla chercher l'eau qui s'était mis à bouillir. Elle déposa le bol sur le bureau et attendit que l'eau refroidisse. Il lui indiqua son dos, qu'elle s'en alla immédiatement observer.

Lorsque la plaie fut visible, l'apothicaire ne put retenir une grimace. Elle comprenait bien que cela lui fasse mal. Par tous les dieux, comment avait-il fait pour dormir avec une telle blessure. Heureusement, la plaie semblait à peu près saine, saignant par endroits. Elle voyait clairement les quelques points qui étaient partis, laissant derrière eux une peau irritée et gonflée. Elle devrait retirer les derniers points afin de pouvoir effectuer un travail propre. Théanna alla chercher un ciseau en fer, qu'elle nettoya à l'alcool. Une fois stérilisés, elle se lava également les mains et saisit en passant, quelques chiffons propres.

Elle s'installa derrière lui, prenant place sur un petit tabouret de bois qui grinça sous son poids. Ensuite, elle déposa son matériel sur la petite table qui trônait non loin. Une question fut posée et la brune savait qu'il s'agissait là d'une manière de détourner l'attention. Elle se prêta au jeu, bien qu'elle répugne à confier des choses personnelles aux inconnus.

— Quelques mois à peine, je dois bien avouer que ce n'est pas le meilleur endroit pour prodiguer des soins, mais je fais de mon mieux pour qu'il soit propre et accueillant.

Elle posa les mains sur les dos du noble, avant de s'arrêter un moment.

— Désirez-vous vous coucher sur le ventre Messire, ou désirez-vous demeurer ainsi ?

Elle se disait qu'il serait peut-être mieux installé sur le ventre, cela ne changeait rien pour elle dans les deux cas, ce n'était qu'une question de confort. Mais avant qu'elle ne reçoive sa réponse, une autre question fut posée. Cette fois, bien plus personnelle que la première. Cette question-là en particulier la dérangeait plus que toutes les autres, cela lui rappelait bien trop de mauvais souvenirs et elle désirait s'écarter du sujet le plus rapidement possible. Cependant, elle savait que pour attirer des clients, il fallait nouer une relation de confiance, alors elle répondit.

— Cela fait partie de ma culture Messire, je suis une naufragée.

Une demi-réponse offerte qui n'était un secret pour personne au sein du Labourg. Son installation avait fait grand bruit de par son appartenance aux étrangers et il avait fallu du temps pour qu'elle soit acceptée. Du moins, par certains seulement. Car d'autres ne cessaient de lui jeter des regards noirs, des regards qui lui faisaient froid dans le dos. Alors elle dissimulait le plus possible ses biens, car il n'y avait rien de pire qu'une étrangère qui gagnait mieux sa vie que certains natifs du Labourg. Si la rumeur de ses maigres richesses se répandait, elle ne donnait pas cher de sa peau.

Jetant un coup d'œil au bol déposé sur son bureau, elle constata qu'il ne fumait plus et s'en alla déposer quelques morceaux de jonc à l'intérieur, les laissant infuser. Elle touilla l'eau durant quelques minutes avant de saisir une chope en bois. Elle y versa la tisane infusée, retirant les morceaux. Théanna apporta ensuite la tisane au noble.

— Tenez, ceci vous aidera à vous détendre. Je tiens également à vous prévenir, il me faut retirer les autres points afin de reprendre depuis le début... Ce ne sera pas agréable. Cette tisane vous aidera peut-être à moins ressentir la douleur, mais ce n'est pas son objectif premier. Je ne dispose hélas, d'aucun alcool à boire, qui pourrait vous permettre d'anesthésier la douleur, je suis navrée Messire.

Sa situation n'était pas encore idéale de par ses maigres moyens, elle ne disposait pas de toutes les plantes nécessaires, ni de tous les outils nécessaires, mais elle comptait bien rectifier cette situation au plus vite.

Je la vois faire sa petite tambouille, puis saisir un ciseau qui semble fort bien aiguisé et je me demande ce qu’elle va faire avec. J’ai bien vite l’explication quand elle se met dans mon dos et commence ses soins. Elle répond par ailleurs à mes deux questions et j’apprends ainsi que c’est une naufragée, ce qui ne fais donc que quelques mois qu’elle est ici à Marbrume.

Je pense que c’est la première fois que je parle avec une personne venant de ce fameux bateau échoué, car ils se font relativement discret, peut-être même que j’en ai croisé quelques uns sans même m’en rendre compte, c’est bien possible. Bien sûr, le Roi les a invités à rester, mais je ne sais pas si c’est une bonne décision, car ils sont différents de nous.

Quant à sa question, à savoir si je souhaite être allongé ou assis, je lui réponds simplement :

Si c’est pour que ce soit plus facile pour vous pour me soigner, je peux m’allonger, sinon je suis très bien assis.

Je la laisse donc choisir, n’étant pas rebouteux, je ne sais guère comment tout cela fonctionne. Quand elle me tend une boisson chaude, je la regarde intriguer et elle me confirme que je dois la boire pour me détendre, comme si je ne l’étais pas déjà. Elle précise même qu’elle ne dispose pas d’alcool et je lui dis en souriant :

Pas de soucis de côté-là, j’ai toujours ce qu’il faut avec moi.

Je tire de ma veste une petite flasque et je bois une lampée d’alcool de cerise venant d’un petit producteur local du Labret, une pure merveille puis je bois ce qu'elle me propose qui n'a pas un bon goût. Je n’en propose pas à la jeune femme, car elle doit garder des gestes précis et il serait dommage de me faire souffrir davantage. Je peux donc lui indiquer:

Ne vous en faites pas, avec mon médicament personnel, tout va bien se passer, je suis plutôt coriace et je ne bougerais pas.

Je reste donc stoïque quoi qu’elle fasse à mon dos et je lui demande, une fois qu’elle a commencé :

Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vos tatouages signifient.

En effet, elle a indiqué qu’il s’agissant d’un ornement culturel, mais il doit bien y avoir une raison à un si curieux dessin, j’écoute donc sa réponse, puis je lui dis :

Au fait, j’ai oublié de me présenter, je suis le chevalier Desmond de Rochemont. Quand j’étais enfant, le prêtre de la paroisse de mon village avait un livre très ancien et régulièrement il nous en lisait un passage, où il était question au-delà des mers, d’un pays de lait et de miel où tous les habitants vivaient heureux, en pleine communion avec les Trois, est-ce là d’où vous venez ?

Le noble prit sa décision concernant la position dans laquelle il souhaitait demeurer. Elle s'aligna donc sur son choix et entreprit d'apporter le reste de son matériel. Théanna découpa finement les feuilles de plantain d'eau afin de les mélanger avec un peu d'eau. Lorsque la mixture se transforma en bouillie, elle y ajouta un peu de miel afin de lier plus efficacement le cataplasme. Elle saisit quelques bandages et y déposa le mélange avant de rejoindre le tabouret qui l'attendait dans le dos de son patient. Heureusement pour elle, il disposait de son propre alcool. Au moins, cela faciliterait son travail de ne pas le sentir se crisper à chaque passage de ses soins. Un petit sourire étira ses lèvres à sa remarque et elle se demanda si tous les hommes qu'elle allait soigner la prononceraient, car il n'était pas le premier à l'exprimer.

— Oh, je n'en doute pas un seul instant Messire.

Elle commença alors à retirer les points de suture qui restaient, à l'aide du ciseaux, avant de se raidir à nouveau. Loin d'être idiot, il n'avait pas oublié qu'elle avait omis de répondre à sa question concernant son tatouage et elle se retrouva donc à nouveau coincée. D'un côté, elle ne désirait pas, plus encore, attirer les foudres des natifs envers les naufragés, mais d'un autre côté, elle n'avait pas plus envie de raconter des éléments aussi personnels de sa vie.

Elle dut bien se résoudre à lui offrir une autre partie de réponse.

— Ils permettent d'exprimer les liens qu'on entretient avec sa famille. Une tradition familiale en quelque sorte, qui exprime le passage des générations.

Elle ne s'étalerait pas plus sur les coutumes qu'elle avait découvertes en compagnie de son père adoptif, car cela n'appartenait qu'à elle seule. S'il insistait encore, elle se verrait dans l'obligation de lui dire de se mêler de ses affaires, au diable son statut de noble.

Bien heureusement, il se contenta de se présenter, lui offrant enfin la possibilité de mettre un nom sur son visage. Il était donc chevalier, le Chevalier Desmond de Rochemont. Un nom à la consonance assurément noble, comparé à elle qui ne possédait pas même un nom de famille. Il mentionna alors son passé, à son tour, ce qui soulagea la tension qui s'était répandue dans les épaules de l'apothicaire suite à sa curiosité. Il énonça la lecture faite d'un livre qui parlait d'un pays lointain. Un pays de lait et de miel. Il fallait bien avouer que son pays d'origine n'avait rien en commun avec ces terres abondantes en plantes et en animaux. Chez elle, il était plutôt question de plaines à pertes de vues, de montagnes permettant d'accéder au Royaume des Dieux. De grottes qui s'enfonçaient loin dans le Royaume d'Etiol.

Dans son pays, il faisait froid une grande partie de l'année et la neige y était monnaie courante, parfois tout le long de l'année à certains endroits. On y voyait principalement que des sapins et pratiquement aucun arbre fruitier.

Théanna entreprit alors de retirer le cataplasme, heureuse de voir les rougeurs estompées par l'effet de la plante et du miel. Elle nettoya à nouveau la plaie et saisi du fil ainsi qu'une aiguille, qu'elle stérilisa de la même manière que les ciseaux.

— Je crains de vous décevoir en vous indiquant que mon pays n'est...

Elle s'arrêta un moment, se souvenant brusquement que son pays natal n'était certainement plus de ce monde à présent. Une onde de tristesse lui enserra le cœur et elle se racla la gorge avant de se mettre à le recoudre.

— Je veux dire... Était. Mon pays n'était pas comme vous l'a décrit votre prêtre. Mon pays... Oh, je suis certaine que vous l'auriez aimez, nous l'aimions tous à notre façon.

Des souvenirs lui revinrent en mémoire et elle sourit doucement.

— Il débordait de verdure, de plaines à perte de vue et de montagnes gigantesques. Nous possédions de nombreux lacs et d'ailleurs, la ville dans laquelle je suis née, était une ville en bord de lac. Le commerce maritime y était presque indispensable. Il y avait également de nombreuses fermes, qui s'occupaient de l'élevage de moutons, de cochons, de brebis et de chevaux. Il y faisait toujours frais, comme si l'air ne s'alourdissait jamais.

Théanna termina rapidement de le recoudre avant de se lever et se saisir d'un baume qu'elle avait confectionné elle-même. Un baume à base de racine de consoude, qui permettrait de faciliter la cicatrisation de la blessure. Elle en disposa une petite couche sur l'entièreté de la blessure et se chargea ensuite de bander son torse et son dos. Elle continua alors ses explications.

— Nous ne vivions pas tous en harmonie et joyeux. L'esclavagisme était monnaie courante chez nous, alors il était habituel de ne pas mener une vie paisible. Mais je sais que ma ville n'était pas la pire concernant cet aspect. Vous devez certainement savoir que certains vénéraient les quatre déités. Mais tous, nous vénérions les Trois.

Elle n'allait certainement pas avouer qu'elle faisait toujours partie de ceux qui vénéraient les quatre déités, il en allait de sa vie.

— J'ai été très heureuse là-bas, avant que la Fange n'arrive et ne détruise tout. Je me suis rendu compte, en arrivant ici, que nous n'étions pas si différents de vous. En réalité, il n'y a que les paysages, les aliments et les coutumes qui changent.

Elle termina son travail, avant de se lever à nouveau et nettoyer ses mains du sang qui les salissaient.

— J'ai terminé Messire. Je vous conseille de vous reposer pendant deux semaines, le temps que votre blessure cicatrice parfaitement. Au minimum une semaine et demi, si vous mettez du baume cicatrisant chaque soir dessus. Il vaudrait également mieux éviter les mouvements brusques et surtout, de dormir sur le dos.

C’est parti, je la sens farfouiller derrière mon dos, en manipulant son ciseau, ce qui me rassure très peu. Je ne sais pas si c’est techniquement possible, mais il me faudrait un énorme miroir pour voir ce que fait l’apothicaire derrière moi. Cette pensée me rappelle une fois où je suis allé dans un bordel de luxe et qu’il y a une dizaine de miroirs au plafond, pour quelqu’un d’aussi narcissique que moi, c’était très plaisant.

C’est donc en souriant que j’écoute sa réponse sur ses tatouages qui semblent importants pour elle et je retiens ses paroles au cas où j’aurais un nouvel adepte de ses modifications corporelles devant moi. Je lui dis d’ailleurs :

C’est intéressant, je ne connaissais pas.

Je suis déçue que son pays ne soit pas celui des légendes de mon enfance, mais je m’en remettrais, car elle me décrit un endroit rempli de lacs avec un temps plus frais. Elle parle également de l’esclavage et j’en conclus qu’elle a dû être directement impliquée, car c’est une activité bien étrange, de priver une personne de liberté et de la considérer comme un objet.

Je sais qu’il y a toujours des grincheux qui considère que le servage est la même chose, mais je ne suis pas d’accord, on ne peut pas tuer un serf sans de bonnes raisons, alors qu’un esclave si, et cela fais toute la différence. J’ai maté plus d’une révolte de gueux et pratiquement à chaque fois, c’était dû au maître du domaine, qui a perdu beaucoup dans cette affaire, que ce soit en termes de force de travail ou financière.

Bref, je m’apprêtais à lui dire mon ressentit, mais je n’en ai pas le temps, car elle m’indique qu’elle a déjà terminé ! Je dois vraiment avoir une peau dure comme la pierre, car je n’ai pratiquement rien sentit et je lui en fais compliment à la rebouteuse :

Je dois vous avouer qu’au début, j’avais quelques craintes, devant le fait que vous soyez une femme et surtout très jeune, mais je suis agréablement surpris, vous êtes une véritable professionnelle.

Lorsqu’elle me parle de baume cicatrisant, je suis immédiatement à l’écoute et je lui indique :

Votre produit m’intéresse, je vais en prendre assez pour tout le traitement.

Comme cela, je suis sûr de pouvoir réduire au minimum mon temps d’utilisation, car rester immobile pendant des semaines est au-dessus de mes forces. Victor est resté au lit de nombreuses journées et je n’ai aucune envie de faire pareil. Je lui demande ensuite :

Pour le paiement, que souhaitez-vous ? J’ai quelques pièces, mais je peux vous procurez des couvertures, des vêtements, de la nourriture ou d’autre produit qu’il peux être parfois difficile à obtenir.

C’est l’avantage d’habiter sur l’esplanade avec une personne haut placée, certaines choses tombent de la charrette et il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser.

Et alors qu'elle s'attendait à une réflexion exprimant une simple gratitude, voilà qu'elle s'en retrouvait complimentée. Un sourire sincère étira ses lèvres, tandis qu'elle goûtait cette petite victoire sur la gente masculine qui avait refusé ses soins. Voilà un homme qui semblait être raisonnable et qui n'hésitait pas à admettre ses torts. C'était sacrément rafraîchissant. Combien de fois n'avait-elle pas dû se battre pour être reconnue en tant que femme apothicaire, même auprès de confrères. Observant son travail et les autres cicatrices qui parcouraient le corps du chevalier, elle se promit de le conserver comme client. Après tout, un chevalier aurait toujours besoin d'une apothicaire à son service. Effectuant une petite courbette, Théanna pencha la tête sur le côté.

— Je vous remercie Messire, le compliment est apprécié à sa juste valeur.

Il lui indiqua ensuite qu'il désirait avoir un peu de son baume et elle se chargea donc d'aller prendre ce qui lui restait dans sa réserve. Elle versa la crème dans un flacon de verre avant de tendre ce dernier au noble.

— Ce baume vous aidera à cicatriser un peu plus rapidement. Mettez en le soir, avant d'aller vous coucher. N'oubliez pas de bien couvrir votre plaie d'un bandage propre. N'abusez pas non plus de ce baume Messire, il pourrait alors avoir l'effet inverse et vous irriter plus qu'autre chose. Normalement, vous devriez en avoir assez. Conservez-le dans un endroit frais, il ne doit en aucun cas être en contact avec une quelconque source de chaleur. Si le baume change de couleur, ne l'utilisez surtout pas, c'est qu'il n'aura pas été bien conservé. Vous pourrez revenir me voir si jamais il vous en faut encore. Vous pourrez conserver ce baume pendant trois semaines, après cela, vous devrez le jeter.

Le baume créé à base de plante était fragile et il ne se conservait pas indéfiniment. Tout comme la nourriture, il devait être utilisé rapidement et uniquement pour ce pourquoi il avait été prescrit. Vint ensuite le sujet du paiement et Théanna se retrouva momentanément bouche bée devant tout ce qu'il avait à offrir. Elle ressenti un pincement de regret à l'idée d'être juste et commerciale, ne demandant que le prix juste de ses soins. Elle aurait eu besoin de tout, mais elle savait qu'il lui serait impossible de tout prendre. Il lui fallait réfléchir par ordre de priorité.

— Comme paiement, je désire de la nourriture ainsi qu'une chemise. Concernant la nourriture, je ne demande pas un festin Messire, simplement quelques aliments qu'il serait possible de conserver plus de quelques jours, comme du pain ou bien quelques légumes.

Cela lui semblait être juste dans la mesure où elle avait utilisé plusieurs de ses plantes et qu'elle lui donnait l'un de ses baumes. Elle l'avait également recousu. Elle espérait qu'il ne trouve pas ses demandes excessives, ainsi, il reviendrait peut-être auprès d'elle afin de se faire soigner.

— Si votre blessure s'enflamme ou si vous ressentez les effets de la fièvre, n'hésitez pas à revenir me voir également.

La jeune femme me remercie avec modestie, elle a vraiment une très bonne éducation et c’est bien dommage que tous les gueux de Marbrume ne suivent pas son exemple. Elle me tend ensuite un baume en me donnant quelques explications que j’ai du mal à suivre, mais ce n’est pas bien grave, je guéris vite et dès que ma plaie sera refermée, je le jetterai, c’est aussi simple que cela.

Nous passons ensuite à la partie paiement, avec des exigences qui me semblent raisonnable, surtout par rapport à l’apothicaire où j’ai l’habitude d’aller, mais il est âgé, reconnu et surtout c’est un homme. C’est donc tout à fais normal qu’il se fasse payer deux fois plus cher qu’une femme, c’est dans l’ordre des choses, car avoir un sexe à l’extérieur de notre corps nous rends plus performant dans tous les domaines, c’est tout à fait logique.

Le problème que je n'arrive pas à résoudre concerne la chemise, autant pour les légumes, pas de problème, autant les vêtements, je me demande bien comment faire. Après quelques secondes de réflexion, je fais la proposition suivant à l’apothicaire :

Je ne suis pas très au fait de la mode actuelle, si vous avez un peu de temps, nous pourrions aller chercher ensemble votre chemise dans une boutique, nous pourrons également en profiter pour acheter votre nourriture, qu’en pensez-vous ? Bien sûr, si vous n’avez pas le temps maintenant, je pourrai venir vous chercher un peu plus tard.

C’est ce qui s’appel être arrangeant, d’habitude ce n’est guère ainsi que je suis, mais je dois avouer que l’arrêt de la douleur me rends beaucoup plus sympathique. Si elle accepte, je vais dehors pour rejoindre mon page de douze ans, Milas, un des gamins faisant partie des plus futés de Marbrume et je l’y attend, car je sais très bien que les femmes mettent toujours une éternité à se préparer.

S'inquiétant face au silence qui s'était installé, Théanna en vint à douter quant à la raisonnabilité de ses demandes. Peut-être que, pour un noble, ce prix était trop élevé pour une personne de sa condition. C'était bien la première fois qu'elle négociait ses prix avec un chevalier et elle ignorait encore comment s'y prendre. Elle savait combien les nobles pouvaient se montrer capricieux, s'estimant bien supérieurs aux gens comme elle. Théanna imaginait déjà combien il lui serait difficile de se forger une solide réputation auprès de ce dernier et combien celle-ci était importante. Car cette rencontre déterminerait si elle avait sa place dans le cercle fermé de la haute société. Lui seul pourrait l'y introduire en nommant son nom, en parlant de la qualité de ses produits. Alors elle se devait de lui laisser une excellente impression.

Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, le chevalier fini par reprendre la parole, soulageant ainsi l'inquiétude qui montait en elle. Il lui annonça ne pas être au fait de la mode actuelle et Théanna se retint de lui signaler qu'elle-même, n'y connaissait rien non plus. Il semblait avoir accepté ses conditions, ce qui alluma une flamme de joie en elle. Elle y était parvenue, à négocier un prix raisonnable pour un noble. C'était une sacrée étape dans ses projets futurs. Elle réfléchit quelques secondes, le temps de se repasser ses commandes et finit par décréter qu'elle pourrait bien l'accompagner.

— Si cela ne vous dérange pas, ce sera avec plaisir que je vous accompagnerai Messire.

Après cet accord tacite, le chevalier quitta sa demeure pour l'attendre dehors. Théanna rangea donc le reste de ses affaires et enfila sa cape. Elle referma consciencieusement derrière elle, désireuse de ne pas faire attendre outre mesure le noble. Elle ignorait où ils se rendraient pour acheter ce qu'elle désirait comme paiement, mais elle le suivrait. Elle se doutait qu'il ne voudrait pas rester au sein du Labourg une éternité, qui le voudrait d'ailleurs. Ce lieu puait la mort, les excréments et le désespoir. Tous ceux qui y vivaient, finissaient par en ressentir les effets et perdaient de leur joie de vivre. Parfois, on pouvait découvrir un cadavre au coin d'une ruelle, mais personne ne prenait le temps de réellement s'y intéresser, découvrir s'il s'agissait d'un visage connu ou non. Chacun détournait le regard, ne se préoccupant que de ses problèmes personnels. Elle-même s'était rapidement mise à faire de même.

Attendant de savoir quelle direction prendre, elle resserra sa cape autour de sa silhouette et observa Desmond. Il était dormais maître à bord.

Comme prévu, j’attends dehors que l’apothicaire finisse de se préparer ce qu’elle fait assez vite, ce qui est une bonne surprise. Elle sort avec une cape et je lui indique, pour qu’elle ne soit pas étonnée :

Je vous présente Milas, mon suivant.

Ce dernier s’incline comme je lui ai appris et il dit en lui souriant :

C’est un plaisir de faire votre connaissance.

Je hoche la tête pour lui faire comprendre qu’il a bien agi, le jeune garçon fait des progrès rapides et fera bientôt un serviteur tout à fait acceptable, doublé d’un bon guerrier, s’il ne se fait pas tuer avant sa majorité, bien sûr.

Je prends la tête de notre petite équipe et nous arrivons en quelques minutes dans le quartier marchand. Comme à chaque fois, je suis surpris de l’activité qui règne dans ce quartier, avec ses larges avenues pavées, ses charrettes remplies de denrées, ses coursiers passant d’une boutique à l’autre, le tout sous l’œil vigilant des miliciens qui sont présent en nombre.

C’est vraiment le quartier le plus animé de tout Marbrume et je trouve facilement ce que je recherche, une boutique de vêtement de bourgeois qui pourra sans aucun doute plaire à la jeune femme, j’entre donc le premier et je vois immédiatement un vendeur, suivit par une employée, se précipité vers moi en me disant :

C’est un grand honneur que vous nous faites messire, que désirez-vous ? Une nouvelle tenue peut-être ?

Je le regarde d’un air hautain et je lui dis sobrement :

Je n’ai besoin de rien, j’accompagne cette demoiselle qui a besoin d’une chemise, merci de la servir rapidement, je suis pressé.

L’homme semble déçu, mais comme c’est un véritable professionnel, il se reprend vite et me répond en s'inclinant;

Il en sera fait selon vos désirs.

Il se rapproche ensuite de Théanna et lui indique :

Je vous souhaite la bienvenue dans notre humble établissement, nous avons quelques étoffes qui vont irons à ravir puis Marion, prendra vos mesures.

Il désigne ainsi la femme qui l’accompagne, tout en lui montrant de nombreux tissus.

Pour ma part, toute cette agitation me fatigue déjà et j’espère que je n’aurai pas à rester trop longtemps dans ce temple de la mode, n’y connaissant rien, je vais m’ennuyer comme un rat mort. À l’inverse Milas, semble fasciné par tous ses vêtements et n’arrête pas d’aller de l’un à l’autre, tel un papillon de nuit devant des bougies.

Le chevalier lui présenta alors un jeune garçon, Milas, qui s'inclina en exprimant son plaisir de faire sa connaissance. Un sourire étira les lèvres de l'apothicaire et elle rendit son salut au garçon d'un mouvement délicat de la tête.

— Je suis ravie de faire ta connaissance également.

Théanna avait toujours adoré les enfants, elle rêvait d'ailleurs de devenir mère un jour, ou tout du moins elle l'avait rêvé un jour. Désormais, la question ne se posait plus réellement au vu de sa situation actuelle. Et puis, désirait-elle réellement offrir un tel monde à son enfant ? Elle-même n'était pas certaine de vivre jusqu'à un âge avancé, alors songer à mettre au monde un bébé pour qu'il ne grandisse peut-être jamais. Cela avait de quoi lui donner froid dans le dos. Pourtant, donner la vie demeurerait un espoir qu'elle chérirait indéfiniment.

La sortant de ses pensées, Desmond prit la tête de leur petit groupe et rapidement, ils arrivèrent dans le quartier marchand. La brune n'y avait que rarement mis les pieds, n'ayant ni la fortune, ni les relations que pour réellement y passer du temps. Mais peut-être que cela changerait désormais. Le noble pénétra dans une boutique qui ne ressemblait à rien de ce qu'avait pu espérer Théanna. Jamais elle n'aurait osé s'aventurer dans une telle échoppe, habillée comme une souillon avec ses vêtements crottés. La honte laissa derrière elle une sensation cuisante et elle se mordit la lèvre inférieure, mal à l'aise face à tout ce luxe.

Un homme se précipita à l'arrivée du chevalier, ce dont la jeune femme ne s'étonna pas du tout. Chaque commerçant savait reconnaître les clients fortunés et surtout, agir dans l'optique de conserver lesdits clients. Desmond expliqua se présenter pour elle, afin d'honorer le marché qu'ils avaient passé précédemment. Théanna s'en retrouva mortifiée, elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait bien choisir parmi tout ce faste. L'homme se présenta alors à elle et lui souhaita la bienvenue. Oh, elle ne se faisait aucune illusion, elle était certaine qu'il n'aurait jamais eu toute cette déférence envers elle, si le chevalier n'avait pas été présent.

Laissant de côté ses appréhensions, elle hocha de la tête et répondit.

— Je vous remercie. Comme Messire De Rochemont vous l'a expliqué, je suis à la recherche d'une chemise.

Elle examina les tissus, mais ignora tout de la qualité de la plupart. Elle reporta donc son attention sur le vendeur.

— Le tissus le plus résistant sera suffisant.

Après tout, il fallait que la chemise dure dans le temps, car Théanna ignorait quand elle pourrait à nouveau en acheter une nouvelle. Son attention fut attirée par un mouvement dans la périphérie de sa vision et elle remarqua que le petit Milas ne cessait de détailler chaque recoin de la boutique. Cela lui tira un sourire amusé, avant qu'elle ne soit rappelée à l'ordre par la fameuse Marion qui se mit à prendre ses mesures. Bras tendus, elle laissa l'autre femme travailler, ne pouvant s'empêcher de grimacer intérieurement face à toute cette attention dirigée vers elle. L'apothicaire détestait d'emblée cela, elle n'avait jamais été habituée à tout cela et elle espérait que cela ne prendrait pas trop de temps.

Elle se tourna alors vers le noble et baissa la voix afin de ne pas être entendue de tous.

— S'il leur faut confectionner la chemise, vous pourrez toujours me la transmettre à ma demeure Messire. Je m'en voudrais de prendre excessivement de votre temps.