Noms d'oiseaux [PV Isolde]

Quelques années auparavant.

Isolde étend les bras et essaie de tenir sur un muret en équilibre, non loin du temple. La brise froide l’hiver vient s’engouffrer dans sa robe et elle retient un soupir agréable.

« Attention » Murmure une voix tout proche d’elle, furtivement « Tu risques de tomber, demoiselle ! » Et lui prenant la main, la faisant tournoyer sur elle-même elle fit face à l’intrus. Elle l’observa, interdite.

« Je suis Rémi, enchanté » Et de toute ses dents, lui sourit.
Isolde, froide, lança.
« C’est comme ça que tu comptes m’impressionner ? » Retirant sèchement sa main de la sienne et le repoussant, le dénommé Rémi laissa échapper un doux rire tout en s’éloignant en feignant de capituler.
« Farouche, hein ? » Le jugeant silencieusement de haut en bas, elle haussa les épaules et s’apprêta à retourner dans le Temple. « Oh mais ! Mais attends ! »

Elle s’arrêta et se retournant, le jaugea avec méfiance – une défiance, presque.

« Tu ne m’as pas dit ton prénom…, Un silence, avant qu’il poursuive, amusé … Ma Colombe. »

Elle réprime une grimace dégoûtée, ce qui lui vaut un rire amusé en réponse.

« Isolde. »
« On se voit demain, Isolde ? »

Et de là, tout commença.

Et lorsqu'elle ouvrit ses yeux, à cet instant-là, elle reconnut l'étrange silhouette qui se dessina dans les pans d'ombre du temple même si elle n'était pas assez proche pour distinguer son visage. La colère lui serra les tripes et renforça la rancœur qui s'agite au creux de son ventre. Dépassée par les souvenirs, Isolde ne bougea pas et engouffra ses ongles dans la chair de ses paumes de main pour contenir sa rage vive. Le fixant d’un air sombre et mauvais, Isolde choisit la retraite.
Ou alors la chasse.

S’ensuivit une course-poursuite dans les dédales du temple, Isolde gardant en elle l’espoir qu’il s’en lasse et disparaisse, n’avait-il pas d’autres guenons à combler ?
Coincée face à un mur au détour d’un couloir, Isolde se stoppa tranquillement tout en entendant les pas de Rémi s’approcher d’elle.
Puis sa tranquillité vole en éclats.

La réplique de Rémi ne se fit pas attendre et Isolde laissa échapper un court sifflement réprobateur, ainsi il la prenait toujours à la légère ? Qu’importe, la jeune femme était calme et sereine et ne tomberait pas dans le panneau de la provocation. Croisant les bras sous sa poitrine elle adopta une posture nonchalante et se résigna à lui répondre.

« Tiens donc, Rémi…, Dit-elle en pivotant sur elle-même lentement, posant sur lui un regard attentif. « Ça fait un moment. » Lâche-t-elle avec un air lointain.

Le regard amusé de Rémi s’échoua dans le regard glacial d’Isolde.

Ses yeux perçants revinrent sur lui et sembla s'attarder sur son visage, comme pour le disséquer. Elle scruta le moindre sourire, le moindre sursaut. Isolde lâcha un petit sourire, un brin tranchant, humiliant et mauvais qui sembla ricocher contre les murs comme une hilarité générale, accompagnée par chaque brique des murs du temple. Assistant à travers leur regard de pierre à une vengeance si longtemps attendue : le retournement du sablier, la furie silencieuse d'une femme blessée sur un homme beaucoup trop amoureux de la chaire pour le comprendre.

« Pourquoi es-tu ici ? Souhaites-tu te confesser pour une faute que tu as commise ? » Son ton est lent et presque menaçant tandis qu’elle le dépasse sans lui accorder un regard de plus. « Je ne m’en occupe pas aujourd’hui. » C’est ferme et sans appel. Un sourire cruel vient maquiller ses lèvres. « Je te conseille de te diriger vers Arianne. »

Et d’un sous-entendu, elle lui fait comprendre lentement.
Elle savait.
Sur un dernier sourire amer, Isolde le contourna sans se retourner, laissant pour seul souvenir l'odeur de jasmin qu'elle portait sur elle.

La sensation de sa main sur son bras, elle se sentit tirer brutalement en arrière, son dos se heurta contre le bruit des pierres du temple. Etouffant un râle douloureux entre ses lèvres, bien trop orgueilleuse de lui montrer qu’il pouvait lui faire mal.

Et pourtant, Il lui faisait mal. Il serrait trop, trop douloureusement son bras. Il avait la force physique, la force brute et masculine. Quelques centimètres les séparaient, elle pourrait presque entendre les battements furieux de son cœur, le sifflement de sa respiration haché par l’incompréhension.

« Ça suffit » Ordonne-t-elle calmement, bien que la menace pèse sur ses mots. « Si tu ne me lâches pas, j’appelle les gardes. »

Ses mots claquaient contre les murs, sa fureur se répercutant dans toute la pièce, ses yeux s’enflamment en une ultime provocation. Sa main libre vint lui saisir violemment le revers de son col pour l’attirer plus proche d’elle.

« Ne m’appelle pas comme ça. » Répond-t-elle avec froideur, comme si chaque mot passait sous la violence d’un coup de fouet. « Ne m’appelle plus comme ça. » Répète-elle, sentant d’un coup sa colère grondante et avalant tout le reste.

Isolde eût un rire sans joie. Il était grave et profondément sombre.

« Tu plaisantes ? » Questionne-t-elle, en le fixant désormais d’un regard qui laisse transparaître une colère sourde prête à exploser. « Tu plaisantes ? » Répète-t-elle, cette fois-ci, bien plus menaçante. « Comment oses-tu venir te présenter sous mes yeux, après ce que tu as fait comme si de rien n’était ? » Tonne-t-elle, dans un débit suffisamment lent et calme, celui d’avant la tempête.

Se dégageant de son étreinte, elle plante son doigt sur son épaule comme un coup de stylet.

« Tu as couché avec elle et peu importe ce qu’il est advenu d’elle, tout ça, c’est de ta faute alors n’essaie pas de retourner la situation pour te donner bonne figure, Rémi. » Commente-t-elle, contrôlant sa respiration féline pour ne pas lui bondir au visage. « Tu es responsable de tes actes alors ne te méprends pas des répercussions, c’est bien trop simple. »

Isolde en profita pour prendre une profonde inspiration, portant ses doigts délicats à son bras, elle pouvait encore sentir la chaleur de l'empreinte de ceux de Rémi. Le regard brillant d’une lueur crépusculaire, son visage vint se prostrer avec défiance près du sien, cette fois-ci, réagissant à ses paroles comme si elle venait de se faire insulter.

« Parce que moi, je n’étais pas prête à partir avec toi ? » Elle arque un sourcil insolent et le dévisage avec dédain. « Parce que tu étais le premier idiot à qui j’aurais pu m’offrir, et toi tu t’es tourné vers une autre », Elle souffla et sembla se relaxer, rouvrant doucement les paupières sur un regard plus clair. « Alors ne me donne aucune leçon de morale, mon silence, tu l’as mérité. » Elle répète, à nouveau « Tu m’entends ? »

Elle le poussa une première fois. Et dans ce geste témoignait toute sa rancœur douloureuse, la sensation de trahison. Tout.
Puis une seconde fois. Et dans ce geste résidait toute sa colère contre le monde, contre lui, contre tous ceux qu’elle détestait.
Elle redressa enfin le visage vers lui.

« Tu étais l’un des seuls en qui j’avais confiance. »

Puis ses lèvres cessèrent de bouger, et tout, du nez aquilin, au menton légèrement pointu et gracile, en passant par ses yeux dorés et ses sourcils fins. Tout sur son visage trahissait une triste colère prête à exploser…

_

Laure marchait dans le temple à la recherche de Rémi, il s’était échappé comme un courant d’air après leur étreinte ravageuse. Puis, réfléchissant peu après, elle s’était dit qu’il aurait fallu prier pour la gloire des Trois, afin qu’il lui permette de poursuivre sa voie. A vrai dire, Laure aimait beaucoup Rémi, déraisonnablement et telle une gamine jalouse et possessive, elle ne le voulait rien que pour elle.
Lorsqu’elle le découvrit traverser le temple, un grand et lent sourire s’afficha sur son visage, qui s’effaça presque aussitôt lorsqu’il détala au pas de course. Se redressant presque aussitôt, elle tenta de lui emboîter le pas mais se perdit également dans les dédales mystérieux du temple.

« Rémi ? »

Ne parvient qu’à elle un échange de voix indistinct qu’elle n’entendit pas. En tournant à l’angle, elle tomba face aux deux.

« Rémi ? » Répète-t-elle.

Isolde redressa son visage et haussa un sourcil en laissant passer une interjection mauvaise et dédaigneuse entre ses lèvres.

« Ah, je comprends mieux. Les choses ne changent vraiment jamais, n’est-ce pas ? » Elle semble s’adosser en soufflant avec insolence sur ses ongles. « Faites comme si je n’étais pas là »

« Que fais-tu ici, Rémi ? Je te cherchais partout ! »

Isolde prit un demi-sourire en coin.

« Il est venu se confesser, visiblement, il a beaucoup de choses à dire. »

Et toc, Du pont de chêne, se moqua-t-elle.

Rémi lui annonça une autre partie de l’histoire, celle immergée dans l’ombre. Haussant un sourcil, Isolde l’écouta, doutant clairement de la véracité de ses mots. Elle ne lui faisait plus confiance et même s’il était vrai qu’il avait remué le monde pour ne serait-ce que lui parler, elle ne pouvait repousser le doute qu’il se jouait d’elle. Sa naïveté l’avait poussé à le croire et aujourd’hui, elle n’en possédait plus aucune.
Elle eût un léger rire déconcertant, presque doux.

« Tu es en train de dire que tu as couché avec elle pour me préserver ? » Murmure-t-elle dans un sifflement à mi-chemin entre la colère et la déception. « A quoi t’attendais-tu en faisant tout ça ? »
Et alors qu’elle allait poursuivre, sa voix s’étouffa dans sa gorge lorsqu’elle aperçut la dénommée Laure faire son petit scandale enfantin. Levant les yeux au ciel, elle assista à la scène d’un air dépité, adossée contre les murs du temple. Alors qu'elle était spectatrice à l'affirmation du territoire de la serveuse, s’appropriant Rémi sans aucune gêne, Isolde poussa un profond soupir, se pressant l'arête du nez du bout des doigts.

Donnez-moi la force d’être patiente.

Isolde ferma les yeux lorsque Laure sembla s'adresser à elle puis prit une profonde respiration.

« Qui suis-je ? » Répète-t-elle en reprenant ses mots, comme si elle en soupesait le poids. « Qui suis-je ? » Et un léger sourire contrit vient étirer ses lèvres.

C'est un regard de pitié qu’elle déposa sur Laure, la colère s’étouffant d'elle-même devant le triste constat qui enveloppait la silhouette de la jeune femme lui faisant face, une simple et futile perte de temps. Elle entra en mouvement la blonde pulpeuse, son corps trahissant toute sa maladresse, un manque flagrant de grâce tandis qu’elle s’avançait pour finalement se lover avec l’indélicatesse d’une gamine insupportablement capricieuse, crachant l’arrogance de ses ébats à travers une myriade d’idiotie que rarement Isolde n’avait vu.
Un éclair de contrariété dessina sur son visage une mimique perplexe puis sa voix claqua dans les airs comme un fouet.

« C’est bon ? Avez-vous terminé ? »

Calmement elle redressa sa silhouette avant de se tourner vers elle en souriant, d’un semblant de bienveillance alors que sa voix rompait soudainement l’illusion.

« Savez-vous où vous êtes et face à qui vous vous présentez, Demoiselle ? » Interrogea-t-elle lentement. Son regard agile se posa à nouveau sur Laure en la dévisageant avec attention. « Vous êtes dans un Temple. » Répondant elle-même à sa propre question rhétorique, précisant pour qu’elle se rende compte de son erreur. « Dans la maison des Trois, même, que vous insultez avec vos inepties. »

Elle pencha délicatement la tête sur le côté.

« La discrétion serait-elle une notion qui vous échappe ? » achève-t-elle en appuyant son regard sur elle, ses yeux perçants se plissant pour décortiquer chaque émotion défilant à vive allure dans le regard de la jeune femme. « Je vous laisse à peu près une dizaine de secondes pour vous retirer, ce serait si… dommage qu’après de tels aveux que votre réputation en pâtisse, n’est-ce pas ? »

Elle vint lever sa main et lui caressa la joue en concluant ses mots d’un air mystérieux, et derrière l’apparente douceur de son geste résonna l’éclat d’une sombre et sincère menace.

« Maintenant. [/color] » Ordonna-t-elle en désignant la sortie d’un geste vif et sec de la tête, devenant d’un coup plus autoritaire.
« Je… » Débuta maladroitement Laure. « Je… »

Laure, sûrement surprise par le calme inquiétant d’Isolde, lança un regard plein de détresse et s’arma d’une rancœur terrible vers Rémi avant de d’abaisser le menton au sol et d’y visser son regard. Elle pivota lentement, très lentement, comme si elle espérait être retenue au dernier moment ou bien qu’il la suive. Ses pas résonnèrent et s’éloignèrent de la discrète alcôve et Isolde sembla un peu plus s’adoucir.

« Quant à toi… » Murmura-t-elle en tournant la tête vers Rémi. « Je te laisse tout m’expliquer, et tu as intérêt à être convaincant. Si j’apprends que tu m’as menti, c’est contre toi que je serais énervée. »

Elle commença à sortir de l’alcôve, l’invitant silencieusement à la suivre puis sembla s’arrêter dans son élan. Tournant la tête par-dessus son épaule, elle lança calmement.

« Si tu veux la rejoindre pour lui expliquer, va, je t’attendrais dehors. » Marquant une légère pause, elle précisa. « Là où l’on avait l’habitude se rejoindre. »

Elle traversa le temple particulièrement plongé dans un silence méditatif. Au détour d’un couloir elle déboucha à l’extérieur du temple. Isolde se dirigea vers un muret pour les protéger des regards indiscrets. Prenant place en siégeant face à lui, elle sembla l’observer avec insistance.

« Je pensais que tu m’en aurais parlé, je pensais que… » Souffle-t-elle, avant de se reprendre. « Je pensais que tu serais venu, que tu m’aurais expliqué avant de faire cet acte. » Et son ton sembla moins féroce, peut-être plus compréhensif. « Nous pourrions refaire tout un monde et pourtant, il est bien trop tard pour avoir des regrets, n’est-ce pas ? »
Sa tête pivota vers le paysage et ses yeux se fermèrent.

« Je t’écoute, Rémi. » Fit-elle, et son regard posé sur le sien ressemblait à une tempête de sable lorsque les rayons de soleil y passèrent. « Je t’écoute très attentivement. »