Le Voleur et l'Assassin

Octobre 1164, la famine s’installe dans les rues de Marsembre. Tout le monde dans la ville subit les conséquences de cette pénurie de nourriture. Même s’il faut bien avouer que certains en pâtissent plus que d’autres. Les nobles par exemple arrivent plus facilement à survivre grâce à leur réserve, alors que les plus pauvres, ceux qui n’ont rien à se mettre sous la dent, finissent indéniablement par mourir de faim dans l’indifférence générale.

Kalam, de son côté, est conscient que sans l’aide de Baruk, son maitre et mentor, il ferait partie des corps disséminés un peu partout dans la ville et qui s’entassent dans les rues. Grâce à sa boutique de cordonnerie, le jeune assassin possède une chambre dans laquelle il peut rester au chaud la nuit et un atelier, le jour, dans lequel il peut apprendre le minutieux travail de cordonnier. Il profite également des quelques vivres de son Maitre pour se nourrir, non pas à sa faim, mais au moins il ne s’endort pas le ventre vide comme la plupart des marbrumiens.

Cependant l’assassin ne veut dépendre totalement de Baruk et lui être redevable à vie. Il tient à mettre ses talents à profit. Il réfléchit à la meilleure façon de le faire. Qu’est-ce qui lui permettrait de trouver et d’amener de la nourriture ? La réserve ne sera pas éternelle, il va falloir penser à la remplir. La viande séchée, les fruits secs, le pain, la farine, s’amenuisent à mesure que les jours passent.

C’est pourquoi un soir, Kalam prend une décision. Il enfile sa veste au-dessus de son pull en laine, ses jambières et son capuchon de cuir. Il sort par la fenêtre de sa chambre et se retrouve sur les toit des bâtiments. Il raffermit sa capuche sur sa tête afin de se couvrir du froid mais également pour rester dans l’ombre. Même si normalement à cette heure-ci, il ne risque rien. Plus personne à Marbrume, ne sort dans les rues à la nuit tombée. Il fait beaucoup trop froid.

Il se met à la recherche d’une maison dans laquelle il pourrait pénétrer afin d’y voler quelques vivres. Il sait que les pauvres n’ont plus rien, mais il ne rechignera pas à leur voler leur dernier quignon de pain. Après tout, c’est Sa survie qui en dépend.
Il s’avance donc sur les toits en tentant d’être le plus discret possible.
Quand soudain, au loin, il distingue une silhouette allongée sur le toit d’une maison en train de regarder quelque chose. Intrigué l’assassin s’avance.

Que peut bien faire cette personne sur les toits à cette heure-ci ? Serait-ce un voleur comme moi qui a eu la même idée ?

Sur la pointe des pieds, Kalam s’approche sans faire le moindre bruit. Le type qui regarde par la fenêtre ne l’entend pas arriver. L’assassin sort sa dague et la pointe dans le dos du...

Du voyeur ! Pas possible ! Ce type est en train de mater une femme qui prend son bain !

L’assassin a un mouvement de recul avant de se reprendre et de lui chuchoter :

- Tu veux de l’aide, mon salaud ?

C'était une journée maussade, pluvieuse. Rémi avait passé la journée dans la boutique de sa mère, l'aidant comme il pouvait afin que sa famille ne meurt de faim. Celle-ci ne voulait en aucun cas récupérer les maigres butin du petit voleur à la sauvette qu'il était pour subsister. Bien sur que non, la famille De Pont Duchêne vivrait misérablement, mais de manière honorable !
L'enfermement n'était jamais bénéfique pour le brun. Ce qu'il aimait, c'était déambuler dans les rues, sur les toit, faire le pitre à droite à gauche. Rester dans un lieu clos qui plus est avec sa mère qui avait le don de lui taper rapidement sur les nerfs, tout en étant son adorable mère adoré bien sûre, le rendait nerveux. Le voleur parcourait donc maintenant les rues de la cité à grande foulée. D'abord pour se défouler de la tension accumulé ce jour, mais aussi pour se réchauffer, car la journée était froide et humide. Sa lourde cape sur la épaule, la capuche remonté, il ressemblait à n'importe quel badaud, anonyme et insipide, assez intrépide pour braver la fraicheur.

Ses pas l'emmenèrent machinalement vers les quartiers sombres de Marbrume. C'est là-bas qu'il s'y sentait le mieux. Pas de regard, pas de jugement. Les filles sont faciles, les vols aussi. L'alcool est ignoble, mais il fait son boulot. Quoi rêver de plus dans une vie simple comme celle que Rémi ? Arrivé la bas, il grimpa une maison basse avec souplesse. Il avait l'habitude d'accéder aux hauteurs de la ville par ce petit coin abandonné. Il aimait souvent se retrouver seul le soir sur les toits. Pas de sentiment d'oppression, juste cette liberté et ce ciel infini. L'homme aimait s'y perdre des heures durant, oubliant les rues emplies de malheurs sous lui, oubliant le reste du monde, probablement mort.

Discret comme un chat, il glissa de toit en toit, cherchant un de ses perchoirs préféré. Mais pas seulement pour sa hauteur et sa vue imprenable sur une partie des faubourgs, non. C'était une vue toute différente qui l'avait attiré en premier lieu ici. Une vue dégagée sur une petite maison à quelques mètres de la. Quoi de particulier sur cette vue ? Eh bien l'habitante de la maison, une jeune brune à la peau laiteuse, avait l'habitude de prendre son bain près de sa fenêtre tout les soirs. Toute nue. Et Rémi en homme honnête et pieu, c'était donné la mission de surveiller cette fenêtre ! Qui sait, des brigands, pire; des voleurs ! pourraient venir par cette fenêtre pendant la toilette de cette douce inconnue et lui faire du mal! Jamais il n'accepterait ça ! C'était donc régulièrement qu'l venait faire le guet pour protéger la belle... Quel homme fiable, ce Rémi.

Voila maintenant une dizaine de minute que notre jeune larron était allongé sur le toit et qu'il profitait de la vie. Dire que la vie était moins dure à cet instant n'était pas faux, cependant, quelque chose était bien plus dure que la vie actuellement chez l'homme. Concentré sur...sa surveillance ferme et rigide, il ne remarqua absolument pas l'homme qui arrivait derrière lui. Il ne remarqua pas plus la lame qui lui effleurait le dos, vraiment trop hypnotisé par cette paire de...ciseaux magnifiquement ciselé sur la commode de la chambre. Par contre, quand il entendu une voix grave derrière lui, la surprise fut telle qu'il fait un bond horizontal. Le reflexe prenant le dessus, il se tourna en quelques secondes et réussi à donner un coup du côté de la main sur le poignet de son agresseur pour le désarmer. L'arme tomba dans un bruit lourd et les deux inconnus se regardèrent avec une surprise mutuelle. L'homme en face avait un sourire mauvais, comme lorsqu'on prenait sur le fait un enfant qui faisait une vilaine bêtise.

Alors qu'il allait se justifier de sa présence, les mains déjà levé au niveau de ses épaules en signes de réédition, il remarqua que la fine bruine qui tombait depuis maintenant un moment avait rendu la surface du toit très glissante. Avant d'avoir le temps de réagir, Rémi glissa violemment vers le bas, sa cape faisant un effet d'aquaplaning sur l'étendue pentue. Après un court cri de surprise pas forcément très virile, l'homme eu le reflexe le plus humain, s'accrocher à ce qu'il pouvait. Malheureusement pour l'inconnu du toit, sa jambe était au parfait endroit, au parfait moment. Il s'agrippa donc désespérément à sa jambe. Sans surprise, la force de la glissade l'emporta sur l'équilibre de l'encapuchonné qui s'étala tête la première sur le toit et qui commença lui aussi à tomber vers le sol, entrainé par Rémi qui ne lâchait pas la jambe, comme un grigri magique qui pourrait éviter les bobos.

La chute fut rapide. Elle aurait pu être très dangereuse, voire mortelle, si un auvent n'était pas pile au parfait endroit pour amortir les deux compères. La toile se déchira néanmoins avec une facilité déconcertante, et ils atterrirent sur une sorte de tas de bois avec une odeur de moisi à faire fuir un fangeux. Avant même de pouvoir gémir de douleur, une porte s'ouvrit brusquement et une voix se fit entendre.

"Qui est la ? Je vais appeler la milice sales voyous !
- Ahhhh merde... "

Rémi se releva en grimaçant. Il fit un pas, boîta. Surement sa jambe avait amorti une partie des dégâts, mais elle lui était maintenant douloureuse et plus très souple. Quel enfer. Le brun se déplaça en claudiquant vers la masse encore étalé par terre et lui tendit la main.

"J'sais pas qui t'es, mais je crois qu'on c'est foutu dans la merde tout les deux. Lève toi, on doit degerpir avant que quelqu'un ramène la milice"

Par Etiol ! Mais quel con !

Kalam n’en revient toujours pas. Deux secondes auparavant, il était perché sur les toits prêt à pénétrer dans une maison afin de la vider de tous ces vivres et maintenant il se retrouve le cul par terre, avec un parfait inconnu et, qui plus est, avec une autre personne sur le dos prête à appeler la milice.

- Putain mais c’est d‘ta faute !

En même temps, j’aurai jamais dû aller le voir ce...

Sous le coup de l’énervement, Kalam s’apprête à sortir sa dague pour planter l’impertinent voyeur qui ne tient pas sur ses jambes. Il met la main à son fourreau...

Vite ! Bordel ! Ma dague !

En un éclair, la vision de l’individu lui envoyant un coup de poing dans le poignet et faisant ainsi valser son arme, lui revient en mémoire.

Par Étiol ! Ma dague ! Va falloir la récupérer !

Kalam se lève rapidement et commence son ascension sur les toits sans se préoccuper de l’énergumène qui l’a fait chuter. Sa dague, l’assassin y tient. Il a fait ses premières armes avec et compte bien la récupérer pour continuer son œuvre. Il s’aide d’une gouttière pour grimper et retourne facilement sur les lieux de l’altercation. Il cherche son arme.

Introuvable ! Pourtant elle devrait être là !

Il se penche par la fenêtre et là, il la voit, près de la paire de ciseaux magnifiquement ciselé sur la commode de la chambre. Sa dague.

Bordel cette pute l’a récupérée !

Soudain un visage boursouflé, haineux et portant une grosse moustache surgit de la fenêtre, faisant sursauter l’assassin qui a juste le temps de baisser sa capuche pour ne pas montrer son visage.

- C’est vous petits garnements qui mataient ma fille ! Vous allez voir si je vous chope !

Le fenêtre s’ouvre. L’assassin détale. Il court sur les toits manquant à plusieurs reprises de perdre l’équilibre. Il sent qu’il est suivi. Il jette un regard derrière lui et aperçoit le mateur en train de le suivre.

- Dégage !

Pas le temps de tergiverser, Kalam connaît une maison abandonnée dans laquelle il peut aller se planquer. Il fonce de plus belle en tentant de semer son poursuivant. En vain. Arrivant près de la maison, il se dirige vers la fenêtre et l’ouvre sans ménagement. Connaissant les lieux, il saute et atterri près d’un lit en piteuse état. Il attend que le jeune homme qui le suit pénètre dans la chambre et l’attrape au vol par le col.

- Par Étiol ! Tu m’as fait perdre ma dague ! Va falloir m’aider à la récupérer maintenant !

Rémi remarqua à peine que l'homme avait voulu le planter lorsqu'il lui avait tendu la main en toute gentillesse pour l'aider à se relever. Il le vit juste remonter en haut du toit qu'ils venaient de dégringoler, avec une facilité déconcertante. Le voleur le regarda faire d'un œil admiratif. D'ailleurs, que faisait cet inconnu sur le toit au moment ou il surveillait cette gente dame ? Vu son habilité à grimper au mur, peut-être était-ce un voleur comme lui. La curiosité l'emporta sur la sécurité et Rémi le suivi après quelques secondes d'hésitations.

Son ascension se fit plus hasardeuse que l'inconnu, et quand Rémi se retrouva enfin sur le toit, il le vit en train de s'enfuir au loin.

« Eh attends ! J'aimerais qu'on se parle ! Reviiiiens »

Mais bien entendu, la distance était trop grande pour qu'ils puissent s'entendre mutuellement. Cependant, le voleur vit l'homme se retourner pour lui crier quelque chose. Parfait, surement lui proposait-il de le suivre ! Les grands esprits se rencontrent ! Tant bien que mal, le malhabile réussit à suivre l'autre jusqu'à un coin un peu plus calme de la ville. Il s'engouffra souplement par une fenêtre ouverte, et alors qu'il allait poser son regard sur la pièce dans laquelle il venait de pénétrer, il sentit deux bras le saisir et le plaquer violemment contre le mur.

Oh, comme Rémi aurait préféré qu'il s'agisse d'une belle femme à la belle chevelure de feu. Quelle déception ce fut de voir son nouvel ami encapuchonné qui lui criait rageusement dessus pour un poignard donc il n'avait foutrement pas idée d'où il pouvait être. Il haussa les épaules d'un air innocent et repoussa l'homme en posant ses mains sur son torse, juste assez pour le faire s'éloigner sans le déséquilibrer. Il ne voulait pas engager une se prendre un coup de poing pour rien !

« Mais bordel, je sais même pas qui t'es ! C'est toi qui t'es incrusté sur le toit ou je... travaillais ! Elle a quoi de spécial cette dague ? Moi je voulais juste discuter alors que tu nous as fait dégringoler, et en plus tu m'agresses ! »

Pourtant, en regardant l'homme en face de lui, il vit la panique qui l'habitait. Qu'importe ce qu'avait cette dague, il était clair qu'elle lui était importante. Rémi soupira.

« Tu as de la chance, je suis voleur. Mais je suppose que toi aussi vu comment tu grimpes partout. Il est ou le problème du coup ? Tu l'as fait tomber ou ? T'es pas très doué dis donc.... »

- T’as pas besoin de savoir qui je suis et ce que je faisais sur les toits. Tout ce que je sais, c’est que toi t’étais en train de mater une gonzesse dans son bain. Et je voulais juste... Il soupire. - Nan laisse tomber.

L’assassin prend une grande inspiration et parvient à se calmer. L’individu a raison après tout, si Kalam ne lui avait pas fait peur, ils n’en seraient pas là. Il secoue la tête et continue :

- Cette dague, c’est ma dague et puis c’est tout. Elle n’a rien de particulier mais c’est Ma dague. C’est avec elle que j’ai... Enfin la première fois que... Nan laisse tomber. C’est ma dague et c’est tout, je veux la récupérer. Si tu ne m’avais pas tapé dans le poignet, je ne l’aurais pas faite tomber et... Par Étiol ! Pourquoi je me suis arrêté quand je t’ai vu !? Comment on va faire pour aller la récupérer bordel !? Ce type qui m’a gueulé dessus avec sa moustache immonde va être encore plus vigilant maintenant et il va peut-être même prévenir la milice.

Il s’arrête et réfléchit.

Je devrais peut-être le tuer ce sale moustachu avant que ça dégénère. Mais il est trop tôt pour tenter quoique ce soit maintenant et j’ai pas ma dague. Le père de famille doit être sur ses gardes à l’heure qu’il est, s’il n’est pas déjà à notre recherche d’ailleurs.

Kalam passe la tête par la fenêtre et regarde discrètement sur les toits. Il ne voit rien. Le soleil vient à peine de se coucher. Avant de sortir d’ici, il vaudrait mieux attendre qu’il fasse nuit noire et que tout le monde soit couché. Mais que faire pendant ce temps ? L’assassin regarde son insolite compagnon du soir.

Je ne vais quand même pas me le coltiner pendant des heures...

Néanmoins, il réagit à ses derniers propos :

- T’es un voleur ? Et tu le cries sous les toits ? Et si j’étais un garde déguisé ?

Imperceptiblement il sourit.

- Mais t’as de la chance je ne fais pas partie de cette espèce de pourriture. Et je ne suis pas non plus un voleur. J’ai d’autres talents, si l’on puit dire. Mais de temps à autres, je m’adonne à ce pauvre petit passe-temps. Il faut bien survivre après tout.
Quand tu m’as vu sur les toits, je m’apprêtais à cambrioler une maison ou deux pour y trouver de la nourriture. Je suppose que toi aussi tu souffres de la famine, non ?

Sans s’en rendre compte, Kalam commence à discuter avec le voleur à deux pièces de cuivre.

- Donc si tu dis bien être ce que tu es vraiment, tu vas pouvoir m’aider à récupérer mon bien. Et en échange, je te montre une maison ou deux dans laquelle on va pouvoir se servir ? Qu’est-ce que t’en penses ?

Sans attendre de réponse, Kalam sort par la fenêtre et se retrouve à nouveau sur les toits. Il se retourne pour voir s’il est suivi et se dirige vers une maison dont tous les volets sont fermés sauf un, à l’étage.

- Ce couple a perdu son enfant, il y a quelques mois. Je le sais parce qu’ils sont venus à la... Non on s’en fiche de savoir comment je le sais. Tout ce qu’il faut savoir, c’est qu’ils ne rentrent plus dans la chambre de leur fils. Mais nous, si.
Quand on sera dans la maison, on se faufilera discrètement au rez-de-chaussée et on ira directement dans leur garde-manger se servir. Mais attention, il faudra être extrêmement prudent et ne pas faire un bruit. Ils seront certainement dans leur chambre en train de dormir ou en train de pleurer. Je suis déjà venu deux fois et j’ai entendu des sanglots.

L’assassin se penche vers la fenêtre. Il l’ouvre avec précaution et pénètre dans la chambre avec une grâce et une agilité déconcertantes. Il fait quelques pas afin de laisser la place à son compagnon d’infortune. A peine a-t-il le temps de faire trois pas, qu’il entend un gros BOUM derrière lui.
Il soupire.