Un coup pour un mauvais coup! [PV Orian]

Marbrume,
Une taverne,
Le 1er avril 1167

Les planches du plafond ne sont absolument pas droites.
Les lustres sont de guingois et une partie des bougies sont éteintes.
Je n’arrive pas à compter les toiles d’araignées, en revanche il y a au bas mot une dizaine de ces bestioles rien qu’entre trois des poutres.
Je ne veux pas savoir, par ailleurs, comment du vin s’est retrouvé au plafond, tâchant le chêne de façon durable. De la poussière tombe en quantité d’entre les lames de bois, preuve qu’à l’étage on est plus occupé à repeupler la citée qu’à se mêler des histoires de ceux qui boivent au rez de chaussée.

Je constate également que le plancher est dégoûtant, maculé de boue et là aussi, parfaitement inégale. Par respect, je ne vous détaillerai pas les différentes traces que je peux y voir mais je peux vous assurer que cela n’a rien de ragoûtant.
Entre traces suspectes et crottes de rats, vous l’aurez compris, nous sommes dans une taverne.

Mais alors, vous allez me demander pourquoi cette soudaine fascination pour le plancher et le plafond?
C’est pourtant simple, c’est ce que j’ai présentement devant les yeux. Attendez que je vous remette dans le contexte, ce sera plus clair.

J’étais venu boire un coup dans ce lieu moyen, comme ça, histoire de passer un peu le temps. Habillé comme tout un chacun et non comme un milicien, tout c’était normalement passé jusqu’à ce qu’un individu descende de l’étage, furieux. L’homme ne semblait pas satisfait de la prestation de son...accompagnatrice qu’il disait avoir, au demeurant, rémunéré une coquette somme.
Je ne m’en était pas mêlé, le tenancier avançant qu’il n’était en rien responsable. Le vieil homme arguait en effet qu’il ne proposait pas ce service et qu’il se contentait de louer les chambres aux filles. L’homme, pantalon mal fermé, s’était mis à brailler et avait finit par empoigner le vieux tavernier par le col.

C’est là que j’aurais dû quitter l’établissement, mais je n’avais pu m’y résoudre.
J’ai donc approché du gaillard en pétard pour tenter de le raisonner.
Je lui ai suggéré calmement de quitter les lieux, pantalon fermé et de ne pas faire scandale. En réponse, j’ai pris son poing dans la tronche avant qu’il ne me soulève pour m’envoyer voler sur une table. Oui, le gars m’a soulevé, moi et mon mètre quatre-vingt et mes quelques dizaines de kilos avoisinant la centaine.

Je me retrouvais donc étalé par terre, quelques chaises et une table cassée autour de moi et un plafond crade devant le nez.

Il m’était arrivé de découvrir des lieux plus sales que des étrons de Fangeux, mais cette taverne, si elle méritait même cette appellation, battait des records. Si l’on ne comptait les saoulards ayant arrosé plus que de raison leur soirée, ne se présentaient ici que les âmes en peine, le plus souvent féminines, qui n’avaient eu l’honneur de rejoindre les filles d’Anür. Certes, j’aurais dû me douter que quelque chose clochait lorsque Merrick, un de ces rares hommes qui ne m’appréciaient guère, m’avait convié à passer la soirée avec lui dans ce qu’il avait nommé, je cite, « une taverne à l’image d’Ori ».

Sans doute aurais-je dû comprendre à l’instant même où j’étais entré, mais par courtoisie et confiance sans doute mal placée étais-je resté bien plus que je ne l’aurais dû, à attendre mon compagnon qui, je n’en doutais plus, n’était pas réellement en retard.

Soit. Décidant d’ignorer mon monde ainsi que l’offre bien moins qu’alléchante d’une femme de petite vertu, dont j’imaginais qu’elle avait eu au moins autant de compagnons ce soir que de champignons sur les fesses qui, oui, étaient belles et bien visibles, je me dirigeais vers la sortie. Enfin, tel était le plan jusqu’à ce qu’un homme s’envole littéralement au travers de la pièce, n’évitant une collision que par la grâce des Trois.

« … Ignore ton monde, Orian », murmurais-je pour moi-même, en me dirigeant vers la sortie … avant de fermer les yeux à l’écoute des supplications du tenancier, et de me haïr intérieurement, me tournant vers la montagne qui m’offrait son dos, tant de muscles que de hauteur, au pantalon bien trop peu fermé, qui menaçait le pauvre aubergiste en le soulevant d’une main.

Bon sang … C’était vraiment tentant.

Mais j’allais mourir.

… Mais c’était vraiment trop tentant.

Inspirant profondément j’approchais discrètement dans le dos de l’individu, l’air sûr de moi en attrapant une fourchette sur une table, avant de défroquer d’un seul mouvement tant pantalon que tout ce qui se trouvait au-dessous, claquant une fesse et apposant la fourchette entre les cuisses du monsieur, sur des parties qu’un autre homme n’aurait jamais dû toucher.

« Monsieur, avant que vous n’entrepreniez de m’arracher la tête, veuillez prendre note que j’ai une fourchette sur vos couilles, et que je n’hésiterais pas à m’en servir. »

Je me relevais doucement, passablement sonné par ce vol mal calculé à l'atterrissage médiocre. Au début, j’aurais pensé que le gars me serait tombé dessus immédiatement, profitant que je sois au sol, mais non. Cet homme était tellement sûr de lui qu’il me tournait le dos. Il était en effet en train de malmener le tavernier qui avait, lui aussi, le droit de ne plus toucher le sol.

Un autre type s’avançait dans le dos du colosse, armé d’une fourchette et, alors que j’allais lui signaler que ce n’était pas une arme adéquate, il baissa complètement le pantalon de l’ours. Toute la salle se retrouva donc face à un énorme postérieur, un bruit de claque retentit et les dents de l’ustensile disparurent entre les cuisses du grand costaud.
La phrase qui suivit cette étonnante action alla se graver dans ma mémoire. Je ne sais pas si j’aurais un jour l’occasion de la ressortir, mais je la trouve très drôle et parfaitement hors contexte...Ce qui est encore plus amusant!

Je devais m’ajouter à cette pitrerie!

Je repère une cuillère sur le sol et m’en empare avant de prendre appui sur une table et de bondir à côté de celui qui venait de gagner une bière pour sa déclaration. Pivotant dos à l’ours et calant une jambe contre l’homme à la fourchette, je claquais la fesse délaissée de ma cuillère avant de la caler sous son aisselle, menaçant de fait sérieusement son artère axillaire. Je m'empresse d’ajouter.

Veuillez également prendre acte de la présence de ma cuillère sous votre aisselle. De fait, tout mouvement brusque de votre bras droit entraînera une irrémédiable rupture artérielle et une mort certaine. Par ailleurs, je tiens à vous informer que vous n’aurez pas le temps d’arracher nos deux têtes mais qu’un seul de ces deux coups suffit à vous tuer.

Pour le moment, aucun de nous quatre ne bougeait.
Oui, le tavernier était toujours en suspension.

Commencez par lâcher ce pauvre tenancier!

Je l'admets, je ne m'attendais pas à ce qu'on m'accompagne dans ce théâtre pittoresque, mais la présence d'un allié, tout inattendu soit-il, n'était pas en cet instant un luxe que je pouvais me permettre de refuser. Ainsi lui offrais-je rapidement un sourire approbateur, avant de tourner à nouveau la tête vers le bourreau devenu victime. Un calme à faire suer les dieux s'était imposé dans l'enceinte, alors que personne n'osait prononcer un son ... Jusqu'à ce que le géant ne repose doucement le tenancier, sans jamais trembler.

« Monsieur, vous avez fait le choix honorab- », débutais-je, coupé dans mon élan par une lame soigneusement placée entre mes deux omoplates, mais pas encore insérée. J’imaginais sans peine qu’une autre devait s’être glissée contre mon compagnon d’infortune, alors que j’acceptais mon sort en retirant la fourchette de son fourreau improvisé.

Lentement, l’homme que l’on venait de libérer de ses chaînes se tournait, le pantalon sur les chevilles. « Anür toute puissante … », m’exclamais-je, face au pic reproducteur peut-être plus grand que mon propre poing. « Nul doute votre père était-il centaure monsieur, je n’ai jamais vu de virilité si forte que sur les plus grands étalons des plus grands palefreniers de Marbrume ! »

Et, à nouveau, un long silence s’installait … Je ne saurais pas si c’était par peur, par embarrassement ou encore en raison de la tension qui faisait rage, bien que l’on eût, je m’en rendais seulement compte, retiré la dague de mon dos, mais ainsi éclatais-je d’un fou rire mi-sincère mi-forcé, et la montagne de me suivre et d’observer tout autour de lui, rieur, finalement suivi par ses deux compères, dans nos dos, puis par le rire forcé du tenancier, et enfin par l’assemblée toute entière … Pour finir par le poing fulgurant qui m’envoya voler à mon tour à l’autre bout de la pièce, coupant d’un coup les rires de tous.

Brièvement, l’espoir me prend que la montagne de méchante humeur se soit radoucit et commence à obtempérer. En effet, il repose le tavernier en douceur sur le plancher miteux.
Après un sourire de bienvenue de mon compagnon de couverts, ce dernier entame même ce qui aurait pu sans doute être une belle phrase, si elle n’avait pas été brusquement interrompue.
Je pivote la tête dans la direction de mon nouvel ami pour découvrir qu’un nouveau loubard est accroupi derrière lui, une dague affectueusement placée sur son dos.
Je note dans le même temps qu’un troisième larron à judicieusement choisi de coller sa lame affûtée sur ma gorge.

Je pris alors la décision, et ce de façon parfaitement personnelle, d’écarter mon arme du recoin humide et odorant où je l’avais placée avant de la laisser tomber au sol. Le colosse se décidait alors à se retourner et une chose frôla mon pantalon.
Je vous promets que le premier qui me dit que c’est bien ce que j’imagine, j’en fais de la chair à fangeux!
Alors, mon voisin jure et je ne peux m’empêcher de loucher sur le côté.

Par les Trois!

J’entre aperçois le gourbin qui fait face au châtain qui m’a rejoint, j’entends distinctement la surprise qu’il exprime et me joint au fou rire général mélodieux…
La note de fin, une percussion, fait littéralement décoller mon camarade.

Ayant déjà rencontré ce poing un peu plus tôt, je m’agenouille, dès fois que je sois sur la trajectoire, un bras en parade. Je sais que le prochain coup est pour ma tronche, mais là, j’ai un vilain sourire qui se dessine sur ma bouche alors que le pied d’un pote de la montagne se tient juste à mon côté.

Après la symphonie, place aux choeurs!

Le couteau qui se trouve dans ma botte est maintenant dans le pied gauche de celui qui me tenait en respect.

Un baryton ! M’exclamais-je, apercevant mon pote bouger.

Je pivote sur ma droite, ramassant au passage la dague du chanteur de ma main gauche. Je m’agrippe fermement à la proéminence phallique avant d’envoyer un violent coup de pied dans le genou droit du second loustique qui produit un crack dégoûtant suivie d’un hurlement puissant et profond.

La basse!

Relevant les yeux vers notre imposant adversaire, je tire violemment sur cette extrémité molle, lui arrachant un cris de ténor. Je fronce les sourcils et place vivement le fil de la dague sur la base de ses deux pendouillantes, pressant de façon pesante.

Contre ténor! J’le savais!

Je reste écrasé au sol, demeurant ainsi hors de portée de ses grosses pattes. Il n’osera pas porter un coup de pied, de peur de devenir castrat. S’il se penche, il s'émascule lui même.
Je lui lance un sourire mauvais.

L’inconvénient des lourdauds fort pourvu, c’est qu’à l’air libre ça fait un parfait bras de levier!

Dans une acrobatie inédite, j’écarte la lame tout en tirant sur son attirail vers le bas et en lui envoyant mon pied entre les cuisses. Il pousse un hurlement muet avant de tomber à genoux. J’exécute une roulade de replie et lui balance mon poing dans la tempe.
La montagne s’écroule, ce qui fait taire ses deux amis, malgré leur douleur. Lentement, je ramasse ma cuillère et menace celui qui a un truc dans le pied.

Tu me rends mon couteau puis ton pote et toi vous embarquez l’étalon et vous dégagez. Sinon, je vais arrêter d’être sympa!

Je l'admets, je n'avais pas fait le fier, reprenant doucement mes esprits, la tête plus lourde qu'après une cuite à l'hydromel. Sans doute avais-je perdu brièvement connaissance, car à mon réveil ne trouvais-je nulle montagne, nul brigand. Seulement une salle estomaquée, murmurant quelques paroles qui m'étaient encore inintelligibles.

« Foutrebleu », grognais-je en secouant doucement la tête, regrettant le geste l'instant suivant. « Que s'est-il passé, exactement ? », m'enquis ensuite à l'adresse d'un badaud à l'expression plus absente que la majorité de ses dents.

« Le type là, il s'est frité les trois en deux secondes et demi », répliqua son voisin de tablée. Je haussais les sourcils, un peu circonspect, mais la situation ne prêtait point à croire un mensonge, et il était vrai qu'il semblait bien plus frais que s'il avait fini tabassé à son tour. « Les gars se sont barrés en portant la montagne. »

« Eh bien ... », murmurais-je pour moi-même, étonné, en m'approchant de mon allié d'infortune. « Il se raconte, monsieur, que vous êtes meilleur bagarreur que voltigeur. Je ne peux que vous conseiller de poursuivre votre carrière actuelle, ayant moi-même tenté à mon tour la dernière que je ne recommanderais pas à mon pire ennemi », lançais-je à son adresse, le sourire teinté d'un rouge foncé qui deviendrait certainement bleu durant la nuit.

Mon compagnon de vol plané revenait doucement, l’air surpris.

Bof, c’est en grande partie grâce à toi. Tu n’aurais pas été là pour les distraire, j’aurais réussi à rien.

J’allais demander un remontant pour mon camarade et moi mais le tavernier nous servait déjà.

Quant au vol plané, ça n’a rien de terrible en soit, c’est surtout l’atterrissage qui gratte un peu!

Je lui tends une choppe en remerciant le tenancier et prend la mienne. Je dépose alors une pièce sur le comptoir et regarde le vieil homme.

Prenez un verre, pour la demoiselle aussi, c’est moi qui vous l’offre!

Le tavernier se sert avec un plaisir et un soulagement non dissimulé après avoir rempli un godet pour la jeune-femme. Je me retourne vers mon “frère de couvert” avec un sourire et lui tend la main libre.

Loghart, enchanté! Et accessoirement, merci du coup de main.

Je bois une bonne gorgée avant de ramasser mon couteau et de poser la dague “empruntée” sur le comptoir.

Sinon, cela t’arrive souvent de menacer ainsi les parties des hommes que tu croises? Non parce que je ne me laisserais pas faire, autant te le dire de suite! Hahaha!

Eh bien, au moins ma bonne action était-elle récompensée cette fois. Avec un bref sourire reconnaissant, j'acceptais la choppe et la levais à l'adresse de mon compagnon d'infortune. Décidemment, l'homme était plus que généreux, puisqu'il en offrait également aux principales victimes de l'altercation passée.

« Orian, mais vous pouvez m'appeler Ori », fis-je en frappant délicatement ma choppe contre la sienne avant d'en boire une gorgée. Je grimaçais ensuite, frottant douloureusement ma joue. Je pourrais m'estimer chanceux si le bref affrontement ne laissait de marque éphémère.

Je laissais s'échapper un bref rire à sa plaisanterie, pour mieux surenchérir à sa suite.

« Ne vous inquiétez pas, je ne touche aux habituellement parties intimes que de mes conquêtes. Et malheureusement pour vous, vous manquer de quelques bonnets pour entrer dans cette catégorie. Vous me voyez cependant ravi d'avoir pu vous présenter mes talents d'escrimeur à la fourchette, un art qui se transmet de génération en génération dans ma famile. Je ne peux d'ailleurs que souligner l'aise avec laquelle vous maniez la cuillère. »

Je buvais une nouvelle gorgée de ma choppe, en tentant d'oublier l'aigreur de la boisson, laissant supposer une qualité bien trop égale à celle de la pisse.

« Qu'est-ce qui amène un gentilhomme dans un taudis tel quel celui-ci, d'ailleurs ? »

Nous trinquons alors qu’il se masse la joue. Il a eu, comme moi lors de mon propre vol, beaucoup de chance de ne pas se faire casser la mâchoire. Cela aurait sans nul doute été fort pénible.

Enchanté Ori, tu peux m’appeler Log.

Il me suit dans ma blague douteuse et j’en suis ravi. Ce genre de plaisanteries, ce n’est pas fait pour rester lettre morte. Je ris de bon cœur en buvant une nouvelle gorgée. Le tavernier et la demoiselle boivent de leur côté, ne s’occupant plus de nous.

Me voilà rassuré, j’aurais été attristé de devoir retourner cette cuillère contre toi. Et de toute façon, tu as raison, laissons les bonnets qu’il nous manque à ces dames. Elles sont bien plus gracieuses et habile avec que nous ne le serions.

Je ris de plus belle lorsqu’il me questionne sur l’origine de ma présence dans cet établissement douteux.

Gentilhomme? Comme tu y vas! Je ne suis qu’un simple milicien l’ami! Alors comme tel, je suis juste venu boire un coup entre deux missions dans un endroit que ma solde me permet de fréquenter.

Une nouvelle gorgée s'ensuit.

Et toi? L’usage de la fourchette autrement que pour manger, c’est que les repas de famille sont aussi animés que cela?

Le dénommé Log me semblait de fort bonne compagnie, malgré les circonstances, et de de surcroît il s'agissait manifestement d'un collègue, bien que je n'avais pas nécessairement besoin de lui en faire part, il s'en rendrait bien compte tôt ou tard, et peut-être pourrais-je utiliser cette information - ou son absence - à bon escient.

« Au moins vous savez, désormais, le danger que je représente une fois à table », lançais-je sur le ton de la plaisanterie. « Quant aux repas de famille, je n'y suis accepté qu'armé de couverts pour nourrisson. »

Je buvais une nouvelle gorgée, avant de prendre un air plus sérieux.

« Vous êtes milicien », commençais-je d'un air plus sérieux. « Comment ça se passe, pour vous ? Ca ne doit pas être un métier facile tous les jours. Depuis le couronnement, j'imagine qu'il ne s'est pas simplifié. »

Hahahaha! En effet, je crois bien que je m’arrangerais pour qu’à notre table nous n’ayons que des mets qui se mangent avec les doigts.

Ce gars avait de l’humour, c’est une chose rare en ces temps troubles et pourtant d’une telle nécessité. Tellement de gens se contentent de survivre, mais survivre pour tirer la gueule tout le temps, à quoi cela sert-il? Ne faut-il pas survivre pour vivre un peu? Et vivre, cela se limite t-il au fait de pouvoir manger et d’avoir un toit à la sûreté relative au-dessus du crâne?

Bref, il a de l’humour et cela me plait!

Ma foi, cela ne va pas trop mal. Ce n’est pas toujours facile, évidemment, on a encore eu un convoi d'attaqué la semaine passée, mais personnellement ça se passe. Parfois, ce sont les civils qu’on trimballe qui posent le plus de soucis. En février, j’ai dû repêcher un apprenti forgeron qui s’était fait entièrement avaler par des sables mouvants. Heureusement, j’avais l’aide d’un autre milicien, un archer borgne, qui était pas mal dégourdi.

Je bus une nouvelle gorgée.

Au fait, tu peux me tutoyer hein! Je me permets de le faire depuis tout à l’heure, mais tu peux faire de même!

Je l'écoutais avec un sérieux qui m'était rare. Les mois n'avaient pas été plus cléments ces derniers temps que lors des premières invasions, mais au moins avait-on l'expérience de notre nouvelle situation. Et il n'avait pas tort : neuf fois sur dix, balader un civil semblait plus difficile que d'affronter la Fange. Pour autant, Log me semblait être de ceux de ma trempe, à préférer profiter des joies du quotidien plutôt que de s'apitoyer sur ses malheurs.

« Pardonnez-moi l'ami, j'ai pour crédo de ne tutoyer qu'après avoir partagé au moins une soirée - arrosée, si possible », m'expliquais-je en levant mon verre. « J'imagine qu'il ne nous reste plus qu'à transformer les paroles en actes. »

Après une enième gorgée, je couinais douloureusement en me tenant le côté du visage. Le géant ne m'avait pas raté ...

« En ce qui me concerne, je vous avoue que ma vie a moins à voir avec un fleuve tranquille, et davantage avec une rivière chaotique. Entre pister un voleur dans mon plus petit appareil, affronter le chef d'une compagnie mercenaire avec un balai ou encore parler prostitution avec une soeur dans un temple, ces derniers mois n'ont pas été très tranquilles non plus de mon côté. Mais ce sont des histoires pour une autre fois, pour l'instant, contentons-nous de boire en l'honneur du géant dont la troisième jambe aura été la raison de notre rencontre. »

Je claquais mon verre contre le sien, pour ajouter le geste à la parole.