Confidence sur l'oreiller

14 avril 1167

Une des dernières choses que je dois faire, après cette journée bien remplie, est de trouver une maison de passe. D’habitude, je vais à la Balsamine, car j’avais déjà une prostituée en tête, mais d’après ce que l’on m’a raconté, une de mes seules amies est partie au Labret avec un prêtre, ce que j’ai du mal à croire. C’est dommage, car je l’appréciais beaucoup et son chien, Korlog ou Kormog, va beaucoup me manquer.

Mais comme aurait dit mon père, dans la vie ce qui compte, ce n’est pas le nombre de coups que tu peux donner, mais le nombre de coups que tu peux encaisser tout en continuant d’avancer et c’est bien ce que je compte faire ce jour. J’ai donc pris le chemin du Bourg Levant, plus précisément le quartier de la Hanse et j’hésite maintenant devant le grand nombre d’établissements de plaisir.

Mon regard est soudainement attiré par des fenêtres colorées, de couleur, bleu, jaune et rouge, elles donnent un certain air au bâtiment avec étage qui me fait face. Je hausse les épaules, après tout, c’est peut-être un signe des Trois et j’entre dans la bâtisse qui est propre, un bon point. Je suis accueilli par un jeune garçon, d’une quinzaine d’années, je pense et je lui demande :

Je suis Desmond de Rochemont, je souhaite rencontrer la maîtresse des lieux.

Je le vois ouvrir de grands yeux, ce qui n’est pas étonnant, car j’en impose avec ma très grande taille, mon costume noir et argent parfaitement coupé où l'on peut distinguer mon blason et celui de la famille Rougelac. J’ai bien sûr dans mon fourreau, mon épée à deux mains et comme si mon engin de mort ne suffisait pas, ma force physique m’identifie immédiatement comme un guerrier.

Finalement, il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que se présente celle qui gère l’endroit et d’un geste élégant, elle me fait signe de m’assoir tout en envoyant celui qui doit être son fils, chercher un verre de vin. Je la remercie d’un signe de tête et trempe mes lèvres dans le breuvage, il s’agit d’un hypocras, pas mauvais du tout et je le bois donc en entier avant de m’adresser à mon interlocutrice, qui attend patiemment :

Je suis le fondateur d’une guilde de mercenaire et je voudrais pour mes hommes, une fille qui sache tenir sa langue.

Mes subordonnées ont souvent accès des informations que certains pourraient qualifier de sensible et je ne souhaite pas qu’ils puissent faire des confidences sur l’oreiller. Je précise donc ma pensée :

Je vous enverrai mes employés qui auront besoin d’affection, à charge pour vous de les accueillir en toute confidentialité.

Si j’arrive à mettre ce système en place, ce sera un problème en moins à gérer.

Alwin, la bouche grande ouverte, les paupières battant très vite, s’en va chercher sa mère et laisse Desmond dans l’entrée. Quelques minutes plus tard, une femme apparait, une femme qui demande à son fils d’aller chercher une bouteille du meilleur hypocras et qui s’approche d’un pas lent, les deux mains jointes sous sa poitrine. Madame Rose est en train d’évaluer d’un seul coup d’œil expert tout le potentiel de ce chevalier présentement en son établissement.

- Seigneur de Rochemont, soyez le bienvenu au Jardin des Fleurs.

Elle tend la main d’un geste élégant vers un fauteuil confortable, invitant l’immense client à s’y asseoir tandis qu’elle-même prend place sur un autre fauteuil face à lui, non loin d’un âtre éteint. Alwin, les joues toutes rouges d’avoir couru, dépose une bouteille et remplit un verre d’hypocras pour Desmond avant de s’éclipser, non sans rester à portée d’oreille pour entendre tout ce qui suivra, ainsi qu’il le fait toujours.

Madame Rose n’est point sotte. Elle observe plus qu’elle ne parle, afin de se faire un premier avis à propos de cet homme qui est train de boire son hypocras. Immense et fort, la tunique aurait besoin d’un entretien, certes, mais elle porte un blason connu de tous à Marbrume, celui d’un seigneur tout aussi connu, celui de Victor de Rougelac. Un sourire en coin s’affiche sur le visage de Madame Rose qui croise ses deux mains sur ses cuisses, attendant que le seigneur de Rochemont s’exprime à propos de l’objet de sa venue. Et Madame Rose n’est pas déçue. Plus il parle, plus ses yeux brillent de convoitise, bien entendu. Des clients réguliers, ici, au Jardin…Voilà une opportunité qu’il ne faut pas laisser filer, aussi prend-t-elle son air le plus avenant pour répondre à Desmond.

- Ce qui se passe au Jardin demeure au Jardin, Seigneur. Nous officions dans la discrétion.

Elle se penche, subtile tentatrice, afin de verser à nouveau du vin épicé dans le verre de Desmond, en ajoutant.

- Toutes mes filles savent qu’elles doivent tenir leur langue, sauf quand on leur demande le contraire…

Elle se redresse et lance un regard entendu à Desmond avant de poursuivre.

- J’ai peut-être ce que vous cherchez à disposition mais cela a un prix, comme toute chose en ce bas monde. Comment comptez-vous régler ce que vous leur devrez ?

Madame Rose ne se démonte pas une seconde et ajoute :

- Il y a de plus une règle sur laquelle je suis absolument intraitable. Personne ne malmène mes filles. Vous êtes dans un établissement de qualité et mes Fleurs sont uniques. Je ne tolère pas la violence et je la réprime à ma façon qui n’a probablement rien à envier à cette immense arme que je vois à vos côtés.

Derrière Madame Rose apparaît alors la silhouette d’un homme presqu’aussi grand que Desmond, les bras gros comme des cuisses, chauve, l’air à peu près aussi amical qu’une paire de fers rouillés.

- Je vous présente Le Muet. Il est le garant de la sécurité de mes Filles quand elles sont sous mon toit. Le Muet, voici le Seigneur de Rochemont.

L’homme s’incline légèrement, les bras croisés sur sa poitrine, avant de s’en aller sur un geste de la main de Madame Rose. Il intervient rarement, mais quand il le fait, le malheureux qui finit entre ses mains repart souvent avec quelques dents en moins et le corps totalement douloureux. Il est le rempart derrière lequel s’abritent les Fleurs si les clients perdent le contrôle.

- Maintenant que vous connaissez mes conditions, dites-moi, avez-vous une préférence ? Blonde ? Brune ? Rousse ? Grande ? Petite ?

Il y a un thème à l’endroit, le jardin des Fleurs, avec, je suppose, un nom de fleur pour chaque prostituée. Heureusement qu’elle n’a pas choisi le thème des poissons, car je ne suis pas sûr que la morue aurait eu beaucoup de client, même si cela aura été compensé par la célébrité de la raie. Je fais un effort, pour discipliner mes pensées, l’entendant me dire que la discrétion fait partie de son métier, ce qui est une bonne chose.

Elle s’amuse même à faire des sous-entendus, mais je reste de marbre, étant là pour affaires. Bon, j’avoue que quand elle me ressert un verre d’hypocras, je le bois à nouveau en quelques gorgées, mais c’est plus pour paraître aimable qu’autre chose. On évoque enfin le problème du financement et je lui dis en toute honnêteté :

Nous travaillons essentiellement dans la sécurité des convois, aussi bien pour renforcer la milice que l’escorte des marchands ne désirant pas attendre.

Sans oublier les trafiquants qui ne veulent pas que la Milice mette le nez dans leurs affaires, mais je garde cette information pour moi et je précise :

Je peux donc vous payez en espèces sonnantes et trébuchantes ou en marchandises de toute sorte, ce sera à votre convenance. Mes hommes prendront rendez-vous chez vous le matin pour le soir et le montant, prélevé sur leurs payes, vous sera apporté, vous payant ainsi d’avance.

Je m’assure qu’ils vont bien où je leur dis d’aller, et je mets même la main à la poche si nécessaire, cela ne pourra me faire qu’une bonne publicité et attirer encore plus de monde. J’ai ensuite droit à la règle habituelle des maisons de passe, on ne frappe pas les femmes, même si elles l’ont mérité. Pour faire respecter cette règle, elle dispose d’un service de sécurité assez imposant.Elle me pose une dernière question qui m’interpelle quelque peu et je lui réponds en la regardant droit dans les yeux :

Je suis juste venu faire un accord et non pour tester vos « fleurs ». Mes hommes choisiront une fois qu’ils seront sur place, toutefois, j’aimerais visiter votre établissement pour constater de moi-même la propreté, je ne veux pas que la moitié de mon personnel tombe malade à cause d’une chaude-pisse.

C’est en effet une de mes craintes et encore une bonne raison de choisir le bon endroit.

Madame Rose observe le Seigneur de Rochemont sans dire un mot pendant quelques secondes, pesant silencieusement le pour et le contre. C’est elle qui arrange les rendez-vous, filtrant dès le départ tous les clients qui seraient à court de moyens ou encore ceux qui ont des manies un peu trop brutales à son goût. Chaque Fille est un investissement. Et Madame Rose veille sur leurs intérêts qui sont aussi les siens avec la férocité d’une bête sauvage sous ses atours de velours. Pour autant, ce sont les Fleurs qui ont le dernier choix.

La clientèle fréquentant le Jardin est une clientèle essentiellement aisée et discrète. Parfois des bourgeois, parfois des miliciens qui ont pu économiser sur leur solde, d’autres qui entrent ici sous le plus strict anonymat mais répandant un parfum de Cour absolument introuvable en dehors de l’Esplanade. Le respect est ici absolument essentiel. Et gare à celui qui pense se trouver ici dans un bordel mal famé dans lequel il peut tout se permettre.

Les manières rustres et directes du Seigneur de Rochemont ne lui plaisent pas mais il est, semble-t-il, en charge de la surveillance de convois qui peuvent rapporter de substantiels émoluments à son établissement ainsi qu’à tous ceux qui y travaillent. L’affaire est donc d’importance. Assez en tout cas pour qu’elle ne le chasse pas froidement à l’évocation de cette maladie si courante dans les maisons closes et dont elle redoute plus que tout l’apparition. Les rumeurs vont vite et les pertes financières seraient un désastre si une telle maladie se déclarait ici. Aussi prend-t-elle un soin infini, un soin qui confère presque à un hygiénisme maladif, à éduquer ses Filles sur les soins les plus intimes.

La réponse sur ce point ne se fait guère attendre, aussi directe que les paroles du noble sang.

- Nous ne sommes point au Goulot, Seigneur de Rochemont. Et pour votre gouverne, il n’y a point à craindre ce genre de désagrément au Jardin. Si cette chaude-pisse entre ici, cela ne sera certainement pas à cause d’une de mes Fleurs...

Elle se lève lentement et invite le seigneur à la suivre, digne, le menton haut. Non mais que croit-il, celui-ci ?, pense-t-elle tout en se dirigeant vers l’escalier qu’elle gravit d’un pas lent, Que je dirige un vulgaire tripot ?

Ils parviennent donc au couloir du premier étage, percé de trois portes. Elle frappe à la première d’entre elle, une haute porte de bois peinte en rouge, avant de dire :

- Iris ? Puis-je entrer, petite chérie ?
- Entrez, Madame.

La voix qui a répondu est celle d’une jeune femme. Lorsqu’elle ouvre la porte, Iris est derrière le paravent, occupée à ranger des choses. Lorsqu’elle termine, elle se montre enfin, curieuse, avant de lever la tête pour observer le seigneur de Rochemont. Elle hausse un sourcil puis pose une question silencieuse à Madame Rose qui lève la main avec un sourire.

- Non, il est là pour visiter. Seigneur de Rochemont, je vous présente Iris, une de mes Fleurs.
- Seigneur ?

Elle finit d’essuyer ses jolies mains puis esquisse une révérence ravissante, drapée dans une jolie robe de tissu bleu et blanc. La pièce est impeccable, aérée, le lit fait, pas de poussière au sol, et il y règne une odeur douce de savon. Iris, elle, a un large sourire pour Desmond. Ce n’est pas bien souvent qu’elle rencontre des sangs bleus. Et celui-ci est immense. Vraiment immense. Et il a une épée. Comme dans les histoires qu’elle lit. Alors, pourquoi vient-il « visiter » ? D'ordinaire, on se présente ici pour consommer...

- Alors Seigneur ? Cela vous convient-il ou préférez-vous continuer votre visite ? Chaque chambre est à la semblance de celle-ci bien que chacune soit décorée différemment en fonction des goût de son occupante.

Mes paroles sur la maladie ne semblent pas vraiment plaire à la tenancière de l’établissement, mais cela ne m’impressionne guère, car c’est un désagrément malheureusement courant à notre époque et c’est une des raisons qui me pousse à toujours porter un préservatif en vessie de porc, lors de mes rapports, on n’est jamais trop prudent.

Je la suis donc au premier étage où se trouvent trois portes, peut-être une allusion aux Dieux, difficile à dire, à moins que ce soit moi qui vois des signes partout. Nous commençons par l’occupante d’une chambre, qui ma fois est très jolie, en plus de posséder d’excellente manière, vu la révérence qu’elle effectue à la perfection.

J’avoue être agréablement impressionné et je ne peux m’empêcher de sourire à la rousse en retour. Sa tenue aux couleurs du ciel et des nuages, son visage très avenant, ses cheveux de feu, sa dentition parfaite et sa taille… Bref, je suis sous le charme et cela doit se voir, car je me tourne vers la maîtresse des lieux pour lui dire, d’une voix soudainement plus douce :

J’avoue être impressionné, si Iris et cette chambre représente votre établissement, vous avez là une de mes meilleures adresses de tout Marbrume.

Je n’ai guère l’habitude de faire des compliments, mais ceux-ci sont justifiés. La propreté des lieux est parfaite et je demande à mon hôtesse :

Combien avez-vous de fleurs avec combien de chambres ?

Après avoir entendu sa réponse, je lui indique simplement, toujours dans l’encadrement de la chambre d’Iris, mes yeux ayant du mal à se fixer autre part que sur la jeune femme :

C’est vraiment une bonne surprise, je suis maintenant persuadé que nous arriverons à un accord. Pour moi, il est inutile de voir le reste de l’établissement, l’essentiel est là.

Si je permets à mes hommes d’entrée dans un lieu pareil, les candidats vont se bousculer au portillon ! J’attends donc les éventuelles remarques de mon interlocutrice avant de formaliser notre accord.

La tenancière ne les quitte pas des yeux, ni l’un ni l’autre et le visible adoucissement du Seigneur de Rochemont ne lui échappe pas. Un fin sourire rusé apparaît alors brièvement sur les lèvres pleines de Madame Rose. Décidément, cette petite Iris est probablement le meilleur investissement de toute sa vie. Jamais une plainte de la part de ses clients, toujours des cadeaux, pour elle ou pour les autres, discrète, avenante, très jolie, Iris est certainement la meilleure réclame du Jardin même si les autres Fleurs n’ont rien à lui envier sur bien des points.

La jolie rousse, elle, sourit plus largement avant de modestement baisser les yeux au compliment du noble sang, les mains jointes, sagement, sur le devant de sa belle robe. Elle ne répond rien parce que ce n’est pas à elle qu’il s’adresse mais cela lui fait plaisir bien sûr. Madame Rose, elle, la couve d’un regard plein de fierté et répond donc à Desmond, tout en rangeant les clés dans une de ses poches.

- Il y a trois Fleurs plus d’autres petits Boutons travaillant selon leurs disponibilités. Iris, Lilas et Lavande ont chacune leur chambre parce qu’elles sont les plus demandées. Les autres reçoivent dans les mansardes à l’étage, généralement pour des personnes qui ont peu de moyens. Il faut savoir combler tous les appétits après tout. Pour autant, les mansardes sont toutes impeccables et entretenues avec soin. C’est un point sur lequel je ne transige pas.

Le bâtiment ne paye pas de mine et ne se différencie des autres qu’à la nuit tombée, quand la petite lanterne rouge est allumée sur le pas de la porte. Là, il est impossible de s’y tromper, tout le monde peut voir qu’il s’agit d’une maison de plaisir. Iris, elle, n’y travaille jamais de nuit. Elle est présente uniquement en journée, généralement l’après-midi, afin de garantir sa couverture et son secret et afin de rentrer chez elle avant la nuit. Eviter les questions de Clémence est sa principale préoccupation, avant de subvenir à leurs besoins. Sa sœur serait totalement anéantie d’apprendre ce qu’elle fait ici et elle tient à ce que cela n’arrive pas.

La jolie rousse relève son regard un instant pour constater que le noble sang a toujours les yeux fixés sur elle. Elle ose un sourire espiègle avant de saluer et de retourner à ses occupations, derrière le paravent. Desmond peut deviner sa silhouette, en ombre chinoise, une silhouette qui est en train de relacer correctement sa robe dans de petits gestes plein de grâce et de délicatesse. Un manège qui n’échappe à Madame Rose, qui sourit en coin.

- Venez Messire, continuons notre conversation au petit salon, je vous prie. Merci Iris, je viendrai te voir juste après, petite chérie.
- Bien Madame.

Madame Rose sort de la chambre et en ferme doucement la porte, avec une lenteur toute calculée, avant de redescendre l’escalier et de reprendre sa place dans le petit fauteuil qu’elle occupait quelques minutes plus tôt. Alwin, lui, est toujours là, non loin, le visage défait et triste. Il ne dit rien, il se contente d’écouter ce que sa mère s’apprête à dire.

- Je suis heureuse de voir que notre Jardin a retenu votre attention. Voici donc ce que je mets à votre discrétion. Trois fleurs ayant chacune leur chambre et leurs heures de prédilection. Lilas et Lavande sont là tous les jours, Iris est ici un jour sur deux et uniquement l’après-midi. Les Boutons reçoivent sur demande, à n’importe quelle heure de la journée. Il suffit de prévenir quelques heures auparavant, afin qu’elles puissent se libérer au besoin.

Elle sert à nouveau de l’hypocras au Seigneur et dépose la bouteille sur la table avant de poursuivre.

- Vos hommes payent la serviette et le savon, le temps passé ici et les plaisirs qu’ils demandent. En retour, j’offre la perspective de délices en un lieu propre et parfaitement entretenu, sécurisé et discret. La discrétion, Seigneur de Rochemont, n’est pas un vain mot, entre ces murs. Les boissons et les éventuels repas sont en supplément, bien entendu. On paye comptant, avant d’entrer dans la chambre.

Elle croise les mains sur ses cuisses, attendant la réponse.

- Avons-nous un accord ?

Comparé à la Balsamine, cela reste un petit établissement, mais il est de qualité et c’est le principal. De plus, avoir deux types de prestations est une bonne idée, qui me fera faire des économies, je peux très bien imaginer une prestation habituelle réalisée par les Boutons et après une mission particulièrement réussie, les récompenser avec une Fleur.

Tout cela est à creuser bien sûr, et c’est donc en pleine réflexion que je vois la silhouette derrière le paravent, ce qui me fait imaginer bien des choses et je tort involontairement le cou pour en voir plus, alors que la tenancière de cette maison close ferme impitoyablement la porte de la chambre d'Iris.

Il ne me reste plus qu’à la suivre dans les escaliers et écouter le fonctionnement de l’établissement, ce qui me fait me demander pourquoi la rousse ne travaille pas tous les jours et surtout la nuit, c’est là où les clients sont les plus nombreux et je suis persuadé qu’elle gagnerait des fortunes en « privatisant » certaines soirées.

Mais ce n’est pas mon problème et le reste des informations est assez basiques, alors quand la responsable me demande si nous avons un accord, je lui réponds en souriant :

Nous avons un accord.

Je lui tends ensuite la main, un geste que je fais actuellement souvent avec les gens du peuple, car je traite maintenant avec un certain nombre d’eux. Si elle accepte, je m’efforce de la serrer tout doucement, de façon à ne pas la broyer, puis je lui dis :

Milas, mon suivant vous apportera les sommes demandées en avance. C’est un gamin futé qui comprend vite. Bien sûr, je m’engage à ce que mes hommes respectent les règles de votre établissement, si l’un d’eux cause le moindre problème, remontez-moi l’information et je lui apprendrais qu’il vaut mieux éviter de me prendre pour un jambon.

Je termine ma phrase par un sourire carnassier et attends de voir si mon interlocutrice a encore quelque chose à me demander. Si ce n’est pas le cas, je quitte les lieux, vers ma prochaine destination, le visage de la très jolie rousse encore en tête. Dans une auberge, un peu plus tard, je recrute Pierre Dubois, un mercenaire pour ma guilde, l'argument de l'accès aisé à une maison close semble l'avoir persuadé de travailler pour moi.

La main qui se calle dans celle de Desmond n’est ni grande ni virile mais il pourra sentir sous sa main que Madame Rose a de la poigne.

- Vous m’en voyez ravie. J’attendrai donc Milas et vos premières instructions. C’est un plaisir de faire affaire avec vous, Seigneur de Rochemont.

Lorsque le noble sang se lève afin de prendre congé, Madame Rose le regarde, incline légèrement la tête puis le laisse s’en aller, tout en le suivant du regard. Elle regarde encore la porte, quelques secondes après qu’il ait quitté l’établissement puis dit, d’une voix tranquille et posée :

- Tu sais ce qu’il te reste à faire, Alwin.

Le jeune garçon sort alors de sa cachette, tête basse, la mine renfrognée pour rejoindre sa mère. Une taloche donnée sur l’arrière de la tête s’abat rudement sur lui, alors que la voix de la tenancière se fait plus aigre.

- Cesse donc d’afficher cette tête de six pieds de long et va à la cuisine, Le Muet va avoir besoin de toi pour tout organiser. Dépêche toi.
- Mais Mère…, dit-il en se frottant la tête, l’œil brillant de honte.
- Cesse également tes enfantillages. Tu m’agaces. Va t’en.

Alwin ne dit plus rien, lèvres serrées, et s’enfuit donc vers les offices pour rejoindre Le Muet qui l’accueille d’une tape amicale sur l’épaule. Madame Rose, elle, replace soigneusement les plis de sa robe avant de remonter à l’étage et de rejoindre Iris qui vient de terminer de tout ranger dans la chambre qu’elle occupe. D’un regard, la tenancière vérifie le bon état général de la pièce et de celle qui y officie avant de s’adoucir considérablement et d’approcher la rousse, tout sourire.

- Le Seigneur de Rochemont nous enverra ses hommes bientôt.

La tenancière replace une mèche de cheveux roux derrière l’oreille d’Iris, son autre main posée sur la taille fine et délicate de sa Fille, pensive.

- Tu as fait bonne impression, Iris. Peut-être serait-il opportun que je comble ta garde-robe d’une ou deux autres robes plus jolies que celles que tu possèdes déjà ici, qu’en dis-tu ?

Iris a un large sourire ravi avant de prendre la main de la tenancière et d’y déposer un baiser, l’œil brillant.

- J’en serai ravie. Pensez-vous qu’il reviendra bientôt, Madame ?
- Je l’ignore. Quoiqu’il en soit, il peut nous faire connaître à d’autres clients s’il est satisfait. Des clients que l’on ne voit que rarement ici, tu vois ce que je veux dire ?

Iris se contente d’esquisser un sourire en coin. La noblesse, sans doute. Il en vient un ou deux, de temps en temps, mais jamais pour elle, puisqu’elle n’est jamais là en soirée, forcément. Quoiqu’il en soit, la main de Madame Rose sur la taille d’Iris se fait plus possessive. Exploratrice aussi, caressant les doux tissus jusqu’à la fronce de son décolleté, pensive, l’œil luisant de quelque chose d’indéfinissable et qui disparait bien vite.

- Tu ne m’as jamais déçue. Continue en ce sens, petite chérie.

Une caresse, un soupir, et Madame Rose est déjà dehors. Il est temps de penser à tout organiser. Le travail n’attend pas, après tout.