La journée est enfin terminée, on a mangé, le Jean est reparti à la taverne, la Lucie qu'a veillé avec nous monte se coucher, et moi j'arrête de repriser les braies que j'ai sous la main, j'attrape Jeannot et je m'couche aussi sur la paillasse. Seul le foyer nous éclaire, d'une petite flamme qui peut pas nous réchauffer tant que ça... Mais c'est agréable de pas êt' dans le noir complet. Bientôt, Jeannot arrête de gigoter et moi aussi je me sens sombrer dans le sommeil...
Quand soudain, on tape à la porte. Réveillée en sursaut, je me fige. Ça frappe de nouveau. Le Jean ? Bizarre, il toque pas comme ça d'habitude. L'a encore dû trop boire. Si j'tarde trop à lui ouvrir ça va me retomber dessus. Marmonnant, je m'lève pour retirer la barre quand j'entends une voix que je reconnais après un petit instant. Je finis d'ouvrir la porte, et l'homme à qui appartient cette voix s'engouffre dans la maison sans rien demander. Je referme rapidement la porte et remets la barre.
- T'héberger ? Mon gars, j'suis ptêt pas dans une tenue de femme respectable là tout de suite, mais pourtant j'suis mariée et ça va barder si le Jean te trouve ici...
Malgré tout, c'est un gars qu'est toujours utile à avoir dans sa poche, débrouillard comme il est... J'hésite, je sais pas trop.
- Ah et pis tant pis ! La vieille Lucie te connaît, et l'Jean monte jamais là-haut. Tu peux y dormir, j'm'arrangerais avec elle pour ce service, tu lui diras. Mais demain matin tu r'pars pas avant qu'le Jean soit parti, compris ? Et pas un bruit !
Je fronce les sourcils.
- Et pis tu m'en devras une !
Je lui fais signe de me suivre pour s'asseoir sur les tabourets au coin du feu, pis j'lui sers de l'eau dans une timbale crasseuse avant de lui tendre. On a pas d'alcool ici, ce serait trop cher, et puis le Jean est toujours fourré à la taverne de toute façon.
- C'quoi ton explication alors ? Une histoire, c'est déjà un début de compensation.
J'écoute son récit, mais j'y comprends rien.
- Ils te connaissaient tu veux dire ? Tu les as menés jusqu'ici ? S'ils surveillent la rue et qu'ils te voient sortir j'suis foutue !
Je m'prends la tête entre les mains, les coudes posés sur les genoux. D'une, si l'Jean me trouvait ici en chemise de nuit avec un inconnu, j'suis morte, de deux si les salopards savent que l'type est ici, j'suis morte. Mais dans quel pétrin que j'me suis encore fourrée moi ?