Marbrume


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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyJeu 21 Oct 2021 - 19:29
Temple de Marbrume, le 5 décembre 1166

Il était très tôt. Bien trop tôt pour que le reste du temple soit éveillé. On n'entendait que le bruit léger de leurs pas dans les couloirs froids, tandis que Gudrun et frère Thomas se dirigeaient en silence vers le hall principal, pour prier un peu avant de prendre leur service. L'heure matinale et sa douleur au genou ravivée par le froid ne donnaient guère envie à la prêtresse de faire la conversation.

Arrivant dans l'immense nef, sans se concerter, simplement par habitude, ils se dirigèrent vers le fond occupé par les immenses statues. Gudrun entendit le petit prêtre à ses côtés pousser un cri d'exclamation et releva les yeux. Elle-même dut ravaler un petit hoquet d'indignation devant le spectacle qui s'offrait à eux : d'immondes graffitis dessinés au charbon couvraient la statue d'Anür, si haute, si imposante, si belle en temps normal. Le plus facilement reconnaissable représentait une paire de moustaches, au dessus de la bouche de la déesse à queue de poisson. Si les dessins étaient maladroits, force était de reconnaître que le profanateur avait eu du courage pour se hisser jusqu'au visage de la déesse, qui culminait à dix bons mètres de hauteur.

Mais la prêtresse n'était pas au bout de ses surprises : un homme dormait sur un banc non loin, complètement avachi, débraillé, une bouteille vide couchée à ses pieds. Et comme si cela ne suffisait pas, elle le reconnaissait très bien. Frère Thomas suivit son regard et aperçut l'ivrogne. Lui n'hésita pas avant de partir à grands pas.

- Retenez ce gredin ici ! Je vais chercher de l'aide !

Déboussolée, Gudrun le laissa partir sans mot dire. Le temple devint terriblement silencieux après le départ de son confrère. Se ressaisissant, elle finit par se diriger vers Edgar, se planta devant lui, ramassa la canne qui était tombée au sol, et se racla la gorge.

- Edgar ? Par Anür, réveillez-vous !

HRP:


Dernière édition par Gudrun Mercier le Sam 12 Fév 2022 - 10:41, édité 2 fois
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyJeu 21 Oct 2021 - 23:00
La veille…

« Saloperies de foutaises…! »

La journée avait été longue et difficile.

Le temps était de plus en plus hospitalier. L’hiver mordant rongait un peu plus chaque jour le moral et la combattivité du vieil ingénieur qui limitait les interactions sociales et écourtait parfois ses visites au Temple, pour se limiter au strict nécessaire et professionnel. Il n’arrivait pas même à trouver refuge dans son atelier, tout aussi froid comme la Mort, impropre à nourrir une créativité tout aussi endeuillée que son âme. Il se sentait incapable de quoi que ce soit et commençait à avoir l’alcool mauvais, au point d’avoir essuyé un œil au beurre noir quelques jours auparavant, dans une taverne quelconque – il ne savait même plus laquelle – à force d’avoir forcé sur un goulot qui avait fini en tesson sous sa poigne, encore endolorie aujourd’hui et bandée d’un vieux tissu souillé.

Encore quelques jours plus tôt, il y avait eu cette virée défendue avec cette prêtresse rescapée, cette femme contrainte à une duplicité certaine pour ne pas finir ostracisée par la bienpensance templière ; par le sacro-saint clerc qu’il maudissait du plus profond de son âme, eût-il eu une réputation formidable auprès de son personnel tant le vieil ingénieur ne manquait pas les opportunités d’asseoir sa réputation de professeur savant, de monstre de connaissance, ce qui pouvait des fois énerver les plus hypocrites.

Il avait évité sœur Gudrun dernièrement. Depuis sa virée avec elle, il se sentait comme torturé, sous l’empire d’une malédiction, celle d’être incomplet, incapable de comprendre, indigne d’un savoir qu’elle détiendrait, qu’elle cacherait volontairement en ce qui concernait Étiol. Et ce langage incompréhensible qui résistait à ses irréductibles méthodes de décryptement…

Il s’était senti petit, seul, et isolé. Très peu de défis intellectuels lui avaient résisté jusqu’à aujourd’hui, et cette expérience avec le Cloaque avait comme ébranlé les édifices de son for intérieur.

---

Alors aujourd’hui, il était là, inconscient sur un banc, tel l’infirme incapable de se battre comme de percer le moindre mystère qui le rapprocherait d’un savoir salvateur et éclairé. Un vieil ivrogne inutile dont Anür s’était joué, encore une fois.

« Edgar ? Par Anür, réveillez-vous ! »

Ce furent les seules paroles intelligibles qui lui parvinrent. Plus tôt, il semblait avoir entendu maugréer quelqu’un. Sa tête et sa guibole lui causaient une douleur insupportable, alors le mieux qu’il pût répondre, c’était :

« Me faites pas chier, Gudrun. J’ai la gueule de bois, mais moi au moins, j’emmerde personne ! »

Pourquoi avait-il répondu ça ? Lui-même, au fond, il ne le savait pas vraiment. Il était sens dessus-dessous. Et le retour de frère Thomas, qu’il dévisagea entre deux bouilles tout aussi détestables l’une que l’autre, ne l’aida pas à y voir plus clair.

« Vous êtes tombé bien bas, Monsieur Duval ! J’ai toujours su que vous étiez une souillure pour le Temple ! Oser profaner la statue de la grande Anür…! »

Le boiteux fut violemment saisi par les deux clercs. Il se sentait presque flotter sur le sol. Il réprima un juron à cause de sa jambe.

« Vous m’avez dénoncé ? demanda-t-il à Gudrun, sans comprendre qu’avec cette question, il serait à l’origine d’un quiproquo. »

Et comme si cela ne suffisait pas, on le palpa, fouilla ses poches, trouva du charbon. Par ailleurs, les mains de l’ingénieur avaient été noircies.

« Elle n’a pas eu besoin ! Vous êtes tellement grossier que vous avez manqué de discrétion. Allez, enfermez-moi ce renégat. »

Il conservait un calme grandiloquent, tandis que le vieil ingénieur, trainé par les deux dévôts.

« Gudrun ! C’est quoi ce merdier ! »

Il n’avait même pas aperçu le méfait dont on l’avait accusé, trop occupé à ne pas trébucher sur sa jambe meurtrie, alors qu’on l’éconduisait aux sous-sols du Temple, dans une salle où on saurait le garder enfermé.

Dépossédé de sa canne, enfermé à double tour dans un vestiaire, presque jeté comme un vulgaire sac à patates, il aurait presque manqué de se déboîter l’épaule dans sa chute. Mais il n’avait même pas la force de contester. Outre sa douleur déjà présente, c’était l’incompréhension totale quant à sa situation qui lui avait ôté tous les mots de la bouche.

« Juste pour avoir picolé ? Mais punaise tu plaisantes ! Ça m’arrive maintenant ?! »

Il se redressa, quoiqu’il lui était impossible de se remettre sur ses deux jambes. Son regard scrutait la porte.

« QU’EST-CE QUE VOUS FAITES ? tonitrua-t-il de tout son diaphragme. »

Il espérait entendre un son, une réponse, n’importe quoi. En l’état, il ne pouvait pas faire grand-chose.
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyDim 24 Oct 2021 - 17:41
Edgar grommela, il semblait avoir du mal à émerger de son sommeil éthylique. Et comme d'habitude, il râlait, il pestait et il jurait. Même si cela l'agaçait grandement, elle devinait qu'il ne lui en voulait pas personnellement. Elle ne lui en tiendrait pas rigueur... Du moins, pas trop longtemps. Le temps manquait pour lui faire un quelconque reproche, car frère Thomas revenait avec deux autres confrères qui se saisirent d'Edgar. Elle ne savait que penser de tout ça, mais les objections de l'ingénieur ne lui rendaient certainement pas service. Quant à cette histoire de dénonciation, il était heureux qu'elle puisse être interprétée ainsi ! Quel inconscient !

Elle avait déjà eu cette sensation désagréable en côtoyant le vieil homme, cette sensation de voir un esprit brillant s'effriter et disparaître sous l'alcool. Mais là, c'était pire que tout. Il avait perdu tout sens commun, et si jusque là elle avait éprouvé une certaine compassion, cette fois-ci, pour la première fois, elle avait pitié de lui. Il était pris au piège. Quoi qu'il ait fait, ou n'ait pas fait, son attirance pour la bouteille le menait tout droit vers une déchéance certaine.

Elle essaya de suivre le mouvement, mais les deux gaillards et frère Thomas l'eurent bientôt distancée, la laissant seule dans un couloir, avec la canne d'Edgar dans les mains. Là, dans le silence matinal, elle se sentait simplement triste. Il n'y avait personne contre qui se mettre en colère. Personne à accuser, personne à sermonner. Tournant pensivement la canne entre ses doigts, elle finit par se résoudre à aller voir ses patients, vérifier qu'il n'y avait pas d'urgence, prévenir qu'elle devait s'absenter un moment.

◈ ◈ ◈

Elle était de retour dans le couloir qui menait à un des sous-sols du temple. Elle trouva assez rapidement l'endroit où l'on avait enfermé Edgar, puisqu'un des clercs était resté à la porte.

- J'entre lui rendre sa canne. Je le connais, je vais lui parler un peu.

Sans attendre de réponse de son confrère, elle souleva le loquet, entra, referma la porte. Ses yeux avaient du mal à scruter la pénombre.

- Edgar, votre canne. Dans quel pétrin vous êtes-vous mis cette fois-ci ?

Avec un soupir, elle s'assit prudemment sur un banc qu'elle distinguait vaguement. Elle avait besoin d'entendre de sa bouche ce qui s'était passé.

- Avez-vous encore bu en demandant des comptes à Anür ? Est-ce vous qui avez profané sa statue ?
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Edgar DuvalIngénieur
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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyDim 24 Oct 2021 - 22:59
Pas de réponse.

Dépossédé de sa canne, il avait entrepris de ramper jusqu’à la porte ; de frapper comme un sourd, de vomir des noms d’oiseaux à ses bourreaux. Il obtint rapidement réponse lorsqu’il entendit le loquet se déverrouiller ; et de voir surgir de l’embrasure de la porte une silhouette méconnaissable, menaçante aussi, qui écrasa son pied contre le visage d’Edgar avant de le déplacer plus après, le laissant joncher le sol tel un pochetron inconscient et assommé. Le vieil ingénieur s’était tu. L’homme n’avait même pas pris la peine de vérifier qu’il était bel et bien en vie, mais fort heureusement, c’était simplement un alcoolique qui avait retrouvé le sommeil, la douleur s’éteignant en même temps que sa conscience, plongeant dans un nouveau sommeil.

Mais le sommeil ne fut que de courte durée. À nouveau le bruit du loquet, de la lourde porte grinçante qui s’ouvrait et se refermait. Il distingua son hôte avec grande difficulté, mais comprit vite qu’il s’agissait de sœur Gudrun avec son allure sévère, sa chevelure de jais et son odeur féminine.

Mais il se rappela qu’il avait la gueule de bois, et qu’il ne disposait malheureusement pas de son médicament à portée. Sa tête se battait avec sa guibole pour savoir lequel des deux organes lui infligerait le pire supplice. Les yeux injectés de sang, il relevait la tête vers Gudrun, essayant de déchiffrer ce qu’elle lui demandait.

Il n’y comprenait rien. Tout ce qu’il trouva à répondre, c’était :

« J’ai besoin de mon calmant… Je ne sais même pas de quoi vous me parlez… »

Il palpa maladroitement ses effets personnels, et bientôt on entendit un autre bruit métallique. Il fit tomber une clef sur le sol.

« Chez moi, du pavot somnifère, fiole bleue. L’atelier « Duval constructions » à la Hanse… Puis à l’étage dans la mansarde… »

Il avait voulu fournir plus d’indications à la prêtresse, mais bientôt d’autres personnes s’invitèrent dans la salle. Cette fois il ne s’agissait pas de membres du personnel, mais bien de deux miliciens. Frère Thomas était resté derrière eux.

« C’est lui ! C’est lui qui a profané la statue d’Anür ! dénonça à nouveau le frère Thomas.
Allez, debout, espèce de sac à merde ! »

L’un d’eux avait parlé d’un ton rauque et sec. Sans ménagement, il avait empoigné Edgar par le col pour le relever et lui administrer une paire de baffes afin d’asseoir son autorité. C’était un homme dans la fleur de l’âge, plutôt bien portant malgré la période de disette, un homme de loi qui se prenait pour un cador. Il jeta un œil mauvais à Gudrun, sans dire mot, et se contenta de faire trainer Edgar qui ne put que sangloter à cause de la douleur et la sobriété.

« Qu’est-ce que vous allez faire de lui ?
Rien de très bon ! On plaisante jamais avec des félons. Il recevra la punition qu’il mérite. On va l’garder dans les geoles à la caserne en attendant de statuer sur son sort. J’espère qu’il sait monter des ceintures de chasteté à l’envers, parce qu’y en a qui vont bien se défouler sur lui je sens. »

L’autre collègue se tordit d’un rire disgracieux, comme insultant le silence religieux du temple, et bientôt les miliciens s’éloignaient de l’attroupement de clergés qui assistaient ébahis à la scène. Pour certains, voir un personnage comme Edgar Duval se faire arrêter comme mauvais conduite relevait de la sorcellerie…
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Gudrun MercierPrêtresse
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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyMar 26 Oct 2021 - 21:47
Elle ne tirerait rien de plus du vieil homme. Il était ailleurs, perdu dans ses douleurs et obsédé par l'idée de boire son remède. Il n'y eut pas non plus le temps d'essayer d'en tirer autre chose, puisque des miliciens firent irruption dans la pièce, et embarquèrent Edgar manu militari. Elle fronça les sourcils devant le langage grossier du milicien qui avait soulevé l'ingénieur.

- Les geôles de la caserne ? Vous ne voyez pas qu'il est incapable de s'en...

Personne ne l'écoutait, il y avait trop de badauds rassemblés. Punir le coupable était nécessaire, mais cela ne prêtait certainement pas à rire. D'autant plus qu'Edgar ne pouvait être coupable. Mais ne pouvait-il pas se défendre lui-même, bon sang ! Elle les regarda un instant emporter le vieil homme, rageuse et impuissante, la canne toujours dans ses mains.

Il voulait qu'elle aille chercher son remède ? Alors qu'il ne faisait pas encore jour, dans un quartier malfamé, et qu'elle ne connaissait pas ? Elle était courageuse, mais pas suicidaire. Mais avait-il seulement conscience de l'heure ? Ou même de sa situation ? Les pensées se bousculaient dans sa tête, mais une chose était sûre : elle avait déjà perdu trop de temps. Il fallait agir, tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard. Oui, le temps...

Au moment où les miliciens tournaient à l'angle du couloir, elle avait pris sa décision. Elle les suivit à grands pas, moitié courant, moitié boitant. Ils allaient vite, mais ils avaient un poids mort à bout de bras. Elle finit par les rattraper dans le grand hall. Elle les apercevait à quelques pas devant elle. Elle reprit d'une voix forte :

- Messieurs, arrêtez-vous, je vous en prie ! J'ai... des informations sur cette ignominie !

Sa voix résonnait dans le hall. Difficile d'ignorer une prêtresse qui les interpelait directement. Les deux miliciens se retournèrent, un air mauvais sur le visage. Elle finit de s'en approcher, sa boiterie s'étant faite plus visible.

- Quelles informations ? Parle !

Ils étaient visiblement agacés de perdre du temps ainsi. Elle reprit d'une voix ferme.

- Je suis sœur Gudrun. C'est moi qui ai découvert les dégradations avec frère Thomas. Ce vieil homme... Il ne peut pas grimper aussi haut avec sa mauvaise jambe. S'il était là ce matin c'est qu'il était ivre depuis hier soir, sans quoi il serait rentré chez lui, ne croyez vous pas ? Je me porte garante de lui. C'est un honnête croyant, vous ne pouv...

- Tu ne serais pas une des réfugiées d'Hendoire ? Comment croire ce que tu racontes ? Vous n'avez apporté que des mauvaises choses ici. Il se raconte même que vous vénérez ce dieu indigne à tête de corbeau. Tu as bien de la chance que l'on soit dans le temple.

Le milicien qui semblait être le chef haussa les épaules, et se détourna, l'air sarcastique, pour poursuivre sa route.

- Par Anür ! Il ne sera pas dit que les dieux laisseront faire une telle injustice !

Où était la milice lorsque les siens s'étaient fait lapider dans les rues ? Était-elle là, prenant un plaisir sadique à corriger des personnes innocentes pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis ? Quel maudit endroit que ce duché !

Elle repartit chercher sa sacoche d'herbe qui contenait également son couteau, s'enveloppa de son manteau, et repartit vers la sortie du temple. Il faisait encore sombre, le froid était mordant et une petite pluie fine détrempait les rues. Elle prit la direction de la Hanse, en priant pour que le jour se lève rapidement. Les dieux semblèrent entendre sa supplique, car le jour pointait le bout de son nez au moment où elle arrivait au cœur dudit quartier. Après avoir demandé son chemin à quelques passants aussi méfiants qu'elle, elle arriva sans encombre à l'atelier d'Edgar. Elle glissa la clé dans la serrure de sa main engourdie et entra.

L'atelier était poussiéreux et sombre. Elle repéra l'escalier et grimpa à l'étage en serrant les dents de douleur, des pensées peu amènes au sujet du vieil homme. Pourquoi un estropié n'habitait-il pas au rez-de-chaussée ? Était-ce trop demander ? La fiole était là, simple à trouver. Il y en avait plusieurs. Mais où se fournissait-il donc ? Elle ne put s'empêcher de remarquer le désordre et la saleté ambiante avant de reprendre le chemin inverse, maudissant une nouvelle fois l'escalier, et de repartir, cette fois en direction de la caserne.

◈ ◈ ◈

En arrivant, malgré le froid, elle entrouvrit son manteau élimé pour qu'on la reconnaisse comme prêtresse. Elle comptait là-dessus pour qu'on lui ouvre des portes... Et cela fonctionna. A force de froncements de sourcils et de paroles peu amènes, elle finit par se retrouver devant la geôle où Edgar avait été jeté.

- Nom de nom Edgar ! Cette fois-ci, vous allez me dire ce que vous fichiez devant la statue d'Anür ivre mort ce matin !

Elle lui tendit brusquement sa fiole et sa canne à travers les barreaux, et croisa les bras, ses yeux lançant des éclairs. Qu'il ose seulement se plaindre encore une fois !
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Edgar DuvalIngénieur
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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyJeu 28 Oct 2021 - 23:47
À nouveau un noir reposant, un sursis indolore s’offrait à Edgar, qui, dans les limbes, perdit toute notion du temps, jusqu’à ce que cette voix féminine et sévère, devenue un peu trop familière par la tournure des choses, l’arracha à son état second. Le temps qu’il se remît de ses émotions, la douleur s’éveillant, il rampa presque comme un limaçon aux pieds de Gudrun, provoquant quelques rires parmi ces compagnons de cellule, peu recommendables ceux-là. L’un avail une vilaine balafre sur le visage, l’autre une barbe qui descendait jusqu’au torse. Ils n’avaient rien de sympathique.

« Eh ma belle, tu sais qu’c’est interdit de passer des effets personnels comme ça ? héla le balafré à sœur Gudrun.
Ta gueule Jacques… d’interpeler le second. C’est une prêtresse et un connard qui a presque fini ivre mort.
Elle est pas vilaine malgré son portrait. J’me la cognerais bien. »

L’ingénieur, lui, finit par se saisir de sa canne, ignorant les bravades des deux nigauds. Mais le balafré se rua vers eux pour s’emparer de la fiole bleue. Interdit, le boîteux essaya de s’en saisir de sa main libre, en vain.

« DONNE-MOI ÇA ! s’égosilla-t-il, à nouveau sous l’empire d’un état second. »

Mais il reçut un coup de boule en réponse, fort heureusement ce n’était pas son nez qui en souffrit, mais son front. Ce qui eut cependant de quoi le déstabiliser, jusqu’à le renverser contre les barreaux de la cellule. Le balafré, lui, roua l’infirme de coups de pieds, sous les rires du troisième gus enfermé.

Tout cela provoqua l’hilarité générale un instant. Mais l’effervescence ne fut que de courte durée alors que les gardes apaisaient – euphémisme – la situation.

Un milicien apparut. Le genre de milicien visiblement trop propre sur lui, à la prestance impeccable, comme s’il eut en fait été un gradé, mais qui ne portait pas la moindre décoration. Il se fit interpeler par les collègues qui avaient procédé à l’arrestation d’Edgar, encore à l’aube.

« Hé hé, où est-ce que tu vas comme ça, le Félon ? »

Mais l’intéressé ne répondit pas. Il se dirigeait droit vers la cellule où le grabuge avait eu lieu. Droit vers sœur Gudrun.

« Oh eh, j’te parle ! »

Toujours pas de réponse. Le Félon, lui, adressa un regard serein à la dévote, tandis qu’il déverrouillait la cellule où_se trouvait Edgar, assistant à la scène. Il lui fallut quelques coups d’œil pour comprendre la situation. Sans autre forme de procès, il dégaina sa lame, la pointa en direction du balafré et…

« Donne-moi ça. »

Le détenu ne se fit pas prier et rendit l’objet de son larcin au milicien, qui lui-même le passa à son propriétaire. Edgar se jeta presque comme un sauvage sur son médicament, qu’il vida dans son gosier sans se faire prier.

« Debout. Vous, aidez-moi. »

Machinalement, il distribuait des ordres, comme s’il avait, véritablement, été quelqu’un qui avait su mener des hommes au combat par le passé. Edgar se hissait sur sa canne, appréciant le goût fort qui coulait le long de ses trachées, alors que son regard de chien battu se posait tantôt sur ce milicien salvateur, tantôt sur sœur Gudrun. Le milicien fit montre d’une certaine gentillesse au point qu’il eut été difficile de dire si elle était naturelle ou calculée.

Il verrouilla la cellule.

« Eh, Félon, tu fous quoi là au juste ? T’as pas un quart à faire ?! 
— Je suis de permission.
— Tu n’as pas le droit de libérer les détenus à ton bon vouloir comme ça.
— Je vais les interroger.
— Je vais en référer à ton chef.
— Fais. »

Il ouvrit la marche, escortant Gudrun et Edgar hors des geôles, l’échine légèrement baissée. La tension était palpable, au point que l’assemblée se mura dans un silence de marbre. Comme si une tempête allait éclater ; une bagarre sanglante entre deux hommes de la même faction. Mais il n’en fut rien.

Ils arrivèrent tous dans une petite salle sobre, au rez-de-chaussée de la caserne, où le soldat enjoignit les civils de s’installer. Il ferma le bureau et prit une grande inspiration avant de planter un regard inquisiteur sur sœur Gudrun et Edgar.

« Navré pour la scène. Je suis le milicien Éon Alderman. »

Il finit par s’installer en face des deux hôtes.

« Nous allons faire ça très vite. Vous, vous n’avez pas une tête à chercher des noises à qui que ce soit. Et vous, ma sœur, pourquoi vous êtes avec lui ? »

Edgar ne répondit pas. Il attendit que le médicament fasse effet, tandis qu’il était préoccupé à se masser le visage. Il s’essuyait le nez ensanglanté de ses doigts, penaud, et interrogea ensuite Gudrun du regard. Puis, alors que la douleur s’estompait et que sa raison revint, il prit la parole.

« Bon, écoutez, j’ai merdé, ma sœur. Je me sentais un peu seul, et puis avec le froid, l’alcool m’a tenu chaud. Sauf que j’ai juste un peu forcé sur la bouteille cette fois, mais j’ai jamais eu de problème avant. On a toujours cru que je m’endormais comme un bébé devant Anur. Quelqu’un a dû savoir que je m’étais saoulé. Les gens peuvent pas s’occuper de leurs affaires un peu ? Merde ! »

Les deux hommes avaient leur regard tourné vers sœur Gudrun.
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptySam 30 Oct 2021 - 18:03
Edgar était dans un sale état, et les hommes enfermés avec lui n'avaient rien d'enfants de chœur. Elle entendit leurs commentaires odieux, qui ne faisaient que renforcer cette mauvaise impression. Elle se mit à les fixer, agacée, en attendant qu'Edgar attrape ses effets qu'elle lui avait déposés derrière les barreaux.

- Pour l'amour d'Anür ! Un peu de respect Messieurs !

Bien mal lui en prit car les vauriens s'en prirent à la fiole d'Edgar, avant de se mettre à le rouer de coups. Sidérée, Gudrun se mit à fixer les gardes cette fois-ci, qui bougeaient mollement pour essayer de calmer le jeu.

- Mais faites votre devoir bon sang !

Le temps lui paraissait incroyablement long à entendre les bruits sourds à côté d'elle, quand un autre milicien apparut. Tout se calma instantanément quand il sortit sa lame. Sans rechigner, elle l'aida à remettre Edgar debout, puis sortit à sa suite dans une ambiance pesante. Ils le suivirent jusque dans une pièce où ils s'assirent devant un bureau. Loin de l'odeur des cachots, des remugles d'alcool émanaient d'Edgar. Elle se sentait en colère contre lui, mais aussi contre les miliciens, et aussi contre cette maudite faiblesse au genou que ces allers-retours et le froid avaient fait douloureusement ressortir.

- Moi ? Je suis là par la force des choses ! Vous l'avez embarqué sans question, sans lui donner sa canne ni son médicament ! Que voudriez-vous tirer de lui dans ces conditions ? Pourquoi même l'avoir emmené ici ?

Elle regarda Edgar tenter de se justifier d'un regard noir, avant que les yeux des deux ne se retournent vers elle.

- Oh oui, vous pouvez le dire : vous avez merdé Edgar ! Je vous avais déjà demandé de ne pas boire dans le temple ! Ne croyez-vous pas qu'il y a d'autres solutions à la solitude ? Comme... aller parler à quelqu'un ?

Elle prit une profonde inspiration pour se calmer.

- Excusez-moi. Cela ne nous avance pas. Edgar. On vous a trouvé endormi devant... Oh, c'est ignoble mais... La statue d'Anür a été couverte d'inscriptions. Nous allions faire une prière matinale avec frère Thomas et... Et c'est là que nous vous avons découvert... Les mains encore pleines de charbon... Vous étiez le suspect idéal ! Et vous n'avez même pas essayé de vous défendre ! Sans compter vos mots ambigus... Hum, je m'égare.

Elle se retourna vers le milicien.

- C'est une terrible méprise. Je suis la première à vouloir que le coupable soit puni, mais il faut que ce soit le véritable coupable. Vous voyez très certainement que ce vieil homme n'aurait guère pu grimper jusqu'au sommet de la statue d'Anür !
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Edgar DuvalIngénieur
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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptySam 30 Oct 2021 - 18:38
Le milicien, sans tirer de conclusion trop hâtive, comprit assister à ce qui aurait ressemblé à une scène de ménage. Il se rafaissa sur le dossier grinçant de sa chaise, les bras croisés, ne voulant pas accorder le moindre neurone à cette conversation. Visiblement, l’affaire avait déjà été résolue, et il n’y avait rien de plus à creuser.

« Oui. Il faut être con pour malmener un presque cul-de-jatte et l’accuser d’avoir escaladé la statue d’Anür. Sauf votre respect, vieil homme, vous avez une tête de chien battu et vous êtes plus du genre à subir la vie qu’à faire subir quoi que ce soit à qui que ce soit. Quant à vous, ma sœur, je vous sais responsable de cet individu. Je vais faire mon rapport à la hiérarchie, mais en attendant je veux que vous vous tiriez de là le plus tôt possible, et que vous reveniez lorsque vous aurez des éléments qui relévent moins du conspirationnisme et de la paranoïa. Allez, au revoir. »

Il se leva promptement de sa chaise, un rien énervé, et était déjà parti. Le milicien salvateur qu’on avait cru être un héros semblait, pour Edgar, encore plus prétentieux que ses pairs. Mais il ne fallait pas scier la branche sur laquelle on était assis. Alors, se redressant, il se contenta de macher un :

« Connard… »

Puis oubliant presque sa véhémence, déjà bercé par les substances bienfaitrices du liquide bleuâtre, il conserva une attitude prévenante, un rien lucide.

« Venez, ma sœur. Je n’ai pas envie de rester là. »

Il boita hors de la pièce, accompagné de Gudrun, essuyant des regards tantôt inquisiteurs, tantôt méprisants. C’était donc ça, l’ambiance de la caserne, les sentiments des hommes du Rois qui se cachaient derrière leur vertus d’hommes d’urgence, de protecteurs du peuple.

Enfin. Il avait boité, marché loin de cet établissement de malheur, pour se tenir suffisamment loin afin de rester hors de portée des commères.

« Ils sont encore pire que vous, ceux-là. Quand je dis “vous”, je parle du clerc, je précise. Je ne vais pas vous accabler davantage alors qu’il me semble que je vous en dois une, sœur Gudrun. »

Il détourna le regard de la dévote cependant, soudainement empli d’un sentiment de honte. Elle avait fait montre de bienveillance le premier soir de leur rencontre ; lui avait permis d’investir ces espèces de catacombes du Temple où ils avaient fait des découvertes pour le moins ésotérique, et voilà qu’elle l’avait peut-être empêché d’être pendu haut et court.

Prenant son regard à deux mains, il planta son regard étincelant dans celui de la femme. Il dardait sur elle un regard colérique, mais contenu.

« Est-ce que j’ai une tête à profaner la statue d’Anür, sœur Gudrun ? Non mais vous êtes folle ? Si vous aviez un tant soit peu de considération pour moi, vous sauriez que même si j’étais ingambe, vingtenaire et vigoureux, jamais ô grand jamais je n’aurais fait une connerie pareille. Le fait que vous eussiez douté de ma personne est insultant ! Mais je ne veux ni vous faire culpabiliser de quoi que ce soit, ni vous tenir rigeur de cela trop longtemps. Visiblement, quelqu’un m’a cherché des noises, volontairement ou non. Le problème, ma chère sœur, c’est que je ne connais personne qui en voudrait à ma personne. Alors suis-je une cible de choix ou un simple dégât collatéral ? Aucune foutre idée… »

Il se mit à marcher pour s’aérer l’esprit, réfléchir à cette situation dont il comprenait un peu plus les tenants chaque seconde, mijotant dans son esprit des théories toutes aussi erronées les unes que les autres.

Pour mieux se rapprocher de la vérité. Il fit volte face à Gudrun, comme s’il voulait la surprendre avec cette question.

« Puisqu’on en est à douter, c’est vous qui m’avez piégé ? Avouez que la supposition est débile mais, si je réfléchis bien, vous m’avez dit des choses que vous ne voudriez pas voir ébruitées, et me voir excommunié ou supprimé écarterait un danger certain. Mais sinon, vous ne vous seriez pas enquise de ma personne jusque dans les geôles. »

Il soupira, lui-même accablé par cette élucubration qui frisait le ridicule.

« Je vous demande pardon. Maintenant, je vous le demande avec tout le sérieux du monde, ma sœur. Quelqu’un a-t-il une motivation à me voir pendu haut et court ? »
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyDim 31 Oct 2021 - 22:06
Conspirationnisme ? Il se moquait d'eux ? Fronçant les sourcils, elle se releva avec difficulté et suivit Edgar hors de la pièce sans demander son reste. Elle était désormais garante d'Edgar ? Cela ne lui plaisait guère. Elle n'avait aucune envie de voir son nom mêlé à la moindre affaire suspecte, mais de toute évidence elle n'avait pas le choix.

- Attendez un peu avant de vous sentir redevable Edgar... Si nous ne trouvons pas de preuve concrète, le temple organisera une ordalie. Et même si je sais que les dieux sont là pour nous guider, ils ne le font pas toujours de la manière que l'on souhaiterait, nous.

Le fait qu'Edgar s'emporte contre elle, cumulé aux évènements et à la douleur, tout cela l'agaça prodigieusement. Alors quand il se retourna pour oser suggérer qu'elle aurait pu le piéger, elle explosa.

- Vous m'avez reproché de prêter de mauvaises intentions aux autres. J'ai essayé de suivre votre conseil, mais il serait bon que vous le suiviez aussi ! Pourquoi vous obstinez-vous à croire que je veuille vous dénoncer à chaque fois que nous nous parlons ? Quoi qu'il se passe, vous aurez l'occasion de vous défendre si seulement vous en faisiez l'effort ; quant à moi, c'est le bûcher, au mieux, si je dévie du droit chemin. Et encore, nombre de mes compatriotes s'en sont moins bien tirés que moi : n'avez-vous pas entendu parler de disparitions ? De lapidations sommaires ? Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement accepter que j'apprécie votre compagnie ?

Sa colère retomba comme un soufflé. La fatigue et la tristesse l'emportaient en cet instant. Elle hocha simplement la tête en réponse aux excuses d'Edgar, puis reprit la parole plus calmement.

- Trouvons d'abord un endroit pour nous mettre au chaud, afin de vous reposer.

En vérité, elle ne se sentait pas vraiment capable de marcher jusqu'au temple. Mais l'admettre à voix haute, ce serait lui donner une réalité trop importante. Elle lui désigna du menton une taverne en face de la caserne. Là, ils devraient être à peu près en sécurité.

Sans attendre l'avis d'Edgar, elle s'y dirigea et s'installa à une table avec un soupir. La prochaine épreuve serait de limiter la consommation de vin d'Edgar...

- De l'eau chaude... Pour nous deux ! lança-t-elle à la serveuse avant qu'Edgar n'ait eu le temps de placer un mot. Alors, en attendant cette eau chaude, dites-moi plutôt qui pourrait bien vous en vouloir... Car je ne connais personne en dehors du temple, je serais bien en peine de vous aider... A moins que... Vous n'envisagiez qu'il s'agisse d'un clerc !

Rien que de formuler cette hypothèse la fit presque sourire. C'était tellement absurde ! Tout en écoutant Edgar, elle prit quelques pincées d'herbes dans sa sacoche et les émietta au dessus de leurs tasses. De bonnes herbes pour éclaircir l'esprit... Et la gueule de bois par la même occasion. Pendant que ses mains s'affairaient, cette idée se frayait un chemin. Toute envie de sourire la quitta.

- A supposer qu'il s'agisse d'un prêtre... Évidemment, la nuit, dans le temple... Ce serait le plus probable, mais quelle honte dans ce cas ! Et qui pourrait vous en vouloir à ce point ? Avez-vous offensé quelqu'un ? A moins que ça ne soit par jalousie ?
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyDim 31 Oct 2021 - 22:52
Le vieux se pinça assez vite les lèvres. Il avait une fois de plus alimenté un dialogue de sourd jusqu’à ce que la dévote concède apprécier la compagnie de l’ingénieur, et de faire montre d’une sollicitude qui suivait une certaine logique avec leurs entrevues précédentes. Toujours piqué dans sa fierté cependant, comprenant qu’il était tributaire de la rescapée d’Hendoire pour un temps indéterminé, il fit profil bas, courbant l’échine malgré lui, étouffant des gromellements réprobateurs. Après tout, il était déjà assez dépendant de la bienveillance d’autrui comme ça ; il suffisait d’une mauvaise rencontre et c’était plié pour lui, infirme qu’il était, il avait bien failli se faire bouffer par une goule après tout. Attendant que Gudrun eut le dos tourné, il esquissa un petit sourire triste, avouant secrètement être touché par cette intention. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas préoccupé de son cas, ou peut-être était-ce de la politesse ?

Il chassa vivement cette idée alors qu’il secondait la prêtresse, la suivant, s’attablant en face d’elle à une taverne encore peu fréquentée. Il allait l’ouvrir pour demander de la piquette, mais fut pris de court par son hôte. Il lui jeta par habitude un regard noir, qu’il détourna honteusement. Par chance, elle commençait à faire abstraction du caractère merdique de l’architecte. Et le début d’hypothèses amenèrent moult autre questions qui fourmillaient dans l’esprit d’Edgar.

« Le problème, c’est que je considère beaucoup des vôtres comme des odieux connards. Et le problème encore plus grand, c’est que la plupart de ceux-là semblent m’apprécier. Mais ce sont les mêmes gens qui médisent dans le dos de leurs semblables et qui se montrent tout mielleux en face ; alors il y avait à parier qu’ils me taillaient des costumes en permanence. Mais malgré tout j’ai une bonne réputation parmi le clerc, et vous savez pourquoi ? Parce que je suis arrogant ; ils ne peuvent pas dire que je suis une fraude, parce que je n’enseigne pas des conneries, et quand quelqu’un me sort des âneries, je l’humilie selon mon humeur. Voilà une raison de me faire moult ennemis. Après, de là à me piéger avec une pareille profanation… Mon bourreau devait bien l’avoir mauvaise. En dehors du clergé, ma chère, je ne vais pas tourner autour du pot : je ne correspond avec personne autre qu’un apothicaire, et nos contacts sont strictement professionnels. “Pas de question”, il me fournit en substance pour supporter la douleur de ma guibole, et je le paie. Sinon, j’ai honte de vous le dire, mais je ne vois personne. Je ne veux pas que vous pensiez que je suis un puits de science fou à lier, c’est faux. Mais les gens m’insupportent ; et ils m’insupportent encore plus depuis que j’en viens à penser qu’on m’a poignardé dans le dos. »

Il porta à ses lèvres la concoction ; elle était amère et dégueulasse.

« C’est infect. »

Toutefois, il continua de boire sans réchigner. Un breuvage chaud avait des vertus réconfortantes, ne pût-il s’empêcher de taquiner Gudrun encore et toujours. Il la regarda dans les yeux.

« En tout cas, la différence entre Frère Thomas et vous, c’est que ce premier agit avant de réfléchir, et que vous m’avez laissé le bénéfice du doute. Peut-être parce que vous avez de bons sentiments envers ma personne, mais très sincèrement, j’étais complètement ivre torché que je n’ai même pas vu ce qu’on a fait à la statue. C’était si laid que ça ? Enfin, tout ça pour dire, je n’ai jamais eu de problème direct avec frère Thomas, mais je trouve cela subitement insultant qu’il ait cherché à résoudre l’affaire de cette manière. Comme s’il voulait se débarrasser de moi. Vous correspondez souvent avec le personnage ? Il m’a toujours échappé, mais je vais croire que c’est un potentiel pédéraste de tâcheron de merde. Heureusement que vous êtes là, vous… »

Il but à nouveau une autre gorgée. C’était vraiment fade et il se demandait s’il aurait à nouveau loisir de faire boire Gudrun depuis leur dernière rencontre. Mais non, son esprit devait conserver une certaine sobriété pour élucider la question. Quelqu’un en avait après lui.

« Sœur Gudrun, j’y pense. Il y a aussi une seconde personne qui voudrait me voir six pieds sous terre, mais j’ai tout fait pour ne pas rester dans son colimateur. Je ne sais même plus si je vous ai parlé de De Chastaing, c’est l’ordure qui s’est cogné ma femme et qui l’a assassinée. Je le soupçonne également d’avoir orchestré le meurtre de ma fille. J’ai toujours fait profil bas en attendant le moment propice pour me venger, mais… Et s’il se disait qu’il fallait que je disparaisse ? Non… Je suis bien trop insignifiant pour lui ; il a bien réussi à m’arracher Victoria par deux fois avec une facilité déconcertante, après tout… »

Il baissa les yeux, se massant le crâne, se rendant compte qu’il avait du sang coagulé sur le visage. Mais cela ne le choqua point outre mesure.

« Non, vraiment, le seul suspect qui me vient en tête, c’est frère Thomas. Peut-être que si vous avez d’autre noms en tête de gens qui le côtoient de près, je peux peut-être faire le rapprochement et identifier quelqu’un qui aurait des raisons de me voir excommunié voir éventré. Mais là… Je n’ai qu’un suspect net et précis, et c’est lui. »
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyMer 3 Nov 2021 - 21:51
Gudrun jeta un regard assassin à la mention des "odieux connards". Edgar avait beau avoir des bons côtés, et elle avait beau être patiente, une telle insulte ne pouvait être ignorée. Nul doute qu'il ait pu offenser quelqu'un au temple avec de telles paroles ! De là à profaner la statue d'Anür, tout de même... Mais maintenant qu'ils étaient installés, l'ingénieur semblait avoir repris son débit de parole habituelle, malgré les ecchymoses qui commençaient à enfler sur son visage. Il semblait accorder de l'importance à ce qu'elle pensait de lui, comme pour justifier son comportement.

- J'en pense surtout qu'à proférer des insultes et des regards noirs vous avez sans doute dû vous attirer la colère de beaucoup de monde... C'est bien vous qu'on a trouvé ivre mort dans le temple ce matin. Vous portez votre part de responsabilité.

Elle ne prit pas la peine de répondre aux jérémiades d'Edgar sur le goût de la tisane. Il n'était pas le premier à s'en plaindre, et ne serait pas le dernier ! Elle continua à l'écouter en silence, buvant calmement sa tisane. Elle haussa les épaules.

- Il n'a fait que son devoir après tout... De nous deux, c'est bien lui qui a agi de la façon la plus raisonnable. Pour ma part, j'ai laissé le doute perturber mon jugement, ce qui n'est guère digne d'éloge. Pour votre gouverne, frère Thomas est très à cheval sur le règlement, mais c'est un bon croyant, je n'en doute pas. Jamais il ne s'abaisserait à faire une telle chose !

Pensive, elle écouta le professeur terminer son réquisitoire. Edgar lui délivrait des informations sensibles avec naturel. Une marque de confiance ? Néanmoins, il venait de lui faire un aveu qui l'inquiétait au plus haut point. Mais il y avait bien plus urgent : elle avait d'autres choses à faire, Edgar avait très certainement envie d'être innocenté, et un coupable devait être puni. Elle pinça les lèvres pour se retenir de dire quelque chose, et resta pensive quelques instants.

- Non. Pas frère Thomas. Il n'est pas bon de dire du mal des autres, mais il faut être réaliste : quand bien même vous en voudrait-il pour une chose ou une autre, il n'aurait certainement pas eu le courage de faire tout cela. Sa réaction m'a paru... normale. A peu près. Admettons qu'il ait joué un rôle dans cette imposture, pour le reste, comme imaginer tout cela, grimper sur la statue, dessiner ces horreurs... D'ailleurs, oui, ces dessins étaient abjects : une moustache ! Et encore, je n'ai pas eu le temps de bien identifier tous ces odieux gribouillis, peut-être y-en avait-il de pires ! Non, décidément, non, pas frère Thomas... Mais j'y pense, nous sommes nombreux à passer dans le grand hall, tout au long de la nuit. Quelqu'un a bien dû vous apercevoir endormi avant que la statue ne soit défigurée ? Quand avez-vous commencé à boire Edgar ?

Elle fronça les sourcils, tentant de se rappeler le nom de celle qui devait être de garde à l'infirmerie avant elle. Mais la phrase d'Edgar tournait en boucle dans sa tête, alors, n'y tenant plus, elle finit par lui demander :

- Lorsque vous parlez de vous venger... J'espère que c'est un simple jeu d'esprit Edgar. Vous ne pensez pas sérieusement bafouer ainsi les lois divines ?
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyJeu 4 Nov 2021 - 20:44
Le vieil ingénieur enteprit de vider d’une traite le liquide salvateur au goût amer. Ce n’était clairement pas un breuvage qu’on pouvait se permettre de déguster. Avant d’oublier, il objecta alors que Gudrun avait parlé :

« Rappelez-moi de vous inviter à déguster un bon crû une fois cette affaire classée. Parce que, croyez-le ou non, je vais prouver mon innocence, avec ou sans votre aide, ma sœur. Et non ! Ne me refusez pas le privilège de vous saouler, j’ai une dette envers vous, vous êtes là à écouter mes jérémiades, vous m’offrez de votre temps et de votre attention. Vous méritez récompense différée ; ah, ce Bernard, il devait être chanceux ! »

Il sourit, le regard larmoyant d’amusement. Il oubliait presque que l’épée d’Anur flottait au-dessus de sa tête, menaçait son existence. Les geôles avaient eu une atmosphère inquiétante, le milicien qui les avait tirés d’affaire avait une tête de cocu, il était content ; content que Gudrun soit présente, content qu’elle soit une alliée certaine dans pareille situation. Il tut son effervescence, reprit contenance, et poursuivit.

« Cela me fait mal de vous l’admettre, mais quand je ne suis pas au top de ma forme, au lieu de rentrer chez moi, je m’en vais prier Anur, me faisant discret parmi les quelques dévots, je chuchote quelques psaumes, je pleure aussi parfois. Et, ce soir-là, pour une raison que je ne m’explique pas, j’avais bu plus que d’ordinaire – ou peut-être que la vinasse était moins coupée. Et j’avais du sommeil à rattraper. Devinez ce qui me fait faire des nuits blanches ? Notre escapade pas-si-secrète dans les archives. Ce que j’y ai lu m’a retourné le cerveau. Ce que vous me dites sur la divinité cinq moins un me fait, je vous l’avoue, cogiter. Donc, j’ai dû dormir une grande partie de la nuit, je ne me rappelle pas avoir vu des visages familiers, mais je ne me rappelle pas avoir été seul non plus. Il y avait peut-être bien une ou deux personnes assises au devant ; moi j’était en retrait, allongé sur un banc, convaincu qu’on aurait autre chose à faire que de secouer un Sujet endormi. »

Eût-il osé dire quatre, ça aurait été trop évident. Peut-être que Gudrun ne comprendrait pas la référence, elle qui avait du mal avec l’algèbre de Bill ; les gens autour ne crieraient pas à l’excomunion pour avoir mentionné Étiol.

« Vous êtes amusante à me parler de “lois divines”. Une loi, c’est l’œuvre de l’homme et non pas celle d’un dieu. Si loi divine il doit y avoir, c’est celle qui fait que nous retournons tous à l’état de poussière tôt ou tard, ou qu’il nous faille nous hydrater pour survivre, etc. Et puis ça ne vous regarde pas. Vous seriez de toute façon bien embêtée à ma place. Pour Frère Thomas, voilà ce qu’on va faire. Je vais retourner au temple l’air de rien et nous observerons sa réaction… »

Mais alors qu’il ébauchait un plan dans son esprit, son regard se perdit, d’abord sur la tasse de Gudrun, ensuite sur le sol…

« Tu ne serais pas une des réfugiées d'Hendoire ? […] »

Il eut un éclair. Ses yeux se plantèrent dans ceux de Gudrun.

« Ma sœur ! Vous connaissiez ce milicien ? Il m’avait l’air aussi bien trop pieu pour quelqu’un de raisonnable. Alors je sais qu’il n’y a pas que des lumières dans l’armée du roi, mais soit cet homme était débile, soit il était de mèche avec Frère Thomas. Au moins, l’autre cocu, il a eu l’intelligence de comprendre que je n’aurais jamais pu commettre pareille profanation. Enfin, d’abord, revenons comme si de rien n’était et observons sa réaction. Je vous le dis, autant, vous, je vous épargne ; les autres, ce sont des tartuffes.

Ainsi, déterminé à avoir le fin mot de cette histoire, il s’était déjà levé, partait sans payer et battait déjà le pavé froid de Marbrume avec sa canne…

… Mais il s’arrêta.

« Elle a de la monnaie, au moins ? »
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyMar 9 Nov 2021 - 22:21
Gudrun ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux de surprise devant la réponse de l'ingénieur, et encore plus devant son sourire. Le privilège de la soûler ? Bernard ? Était-il encore ivre ? Ou était-ce encore son humour qu'elle semblait avoir bien du mal à déchiffrer ?
Heureusement, il semblait reprendre ses esprits et poursuivit sur un ton plus sérieux qui lui fit vite oublier cet incident.

- Pourquoi avoir du mal à admettre quelque chose d'évident et d'admirable ? Nous avons besoin des dieux pour vivre. Et que notre visite à la bibliothèque ne vous empêche pas de trouver le sommeil : j'y pense, jour et nuit, de ce que j'ai appris ce jour-là. Mais il est encore plus important de garder des forces pour... Eh bien, saisir d'autres opportunités. Si elles se présentent. Mais soit, peu de gens pourront témoigner de vous avoir vu endormi avant que la statue ne soit dégradée. Et même s'il y en avait et que nous les trouvions, ce témoignage ne pourrait pas être une preuve suffisante.

Elle restait pensive. Il n'y avait que peu de preuves contre Edgar, mais encore moins pour l'innocenter.
Il esquiva comme d'habitude sa question sur la vengeance avec une réponse verbeuse, rebondissant sur le sens des mots comme s'il n'avait pas compris le réel sens de sa question. Elle n'était pas dupe, mais se contenta de soupirer. Ce n'était pas le sujet du jour, mais elle se promit de lui reposer la question quand tout cela serait derrière eux.
Tout à coup, il se mit à la fixer dans les yeux, la surprenant, avant de se lever, agité, et de partir. Elle soupira de nouveau doucement, se leva et appela la serveuse pour lui laisser quelques piécettes et une bénédiction.

Une fois sortie de la taverne, elle n'eut aucun mal à repérer Edgar qui s'était arrêté dans la rue.

- Vous m'attendiez ? Quelle mouche a bien pu vous piquer pour que vous repartiez aussi vite ?

Elle se mit à marcher à ses côtés en direction du temple. Ils n'en étaient pas bien loin, mais elle boitait désormais sévèrement et Edgar n'avançait guère plus vite avec sa canne. Ils devaient former à eux deux un bien étrange duo aux yeux des passants qui se hâtaient dans le froid matinal. Si seulement ces défaillances étaient dues à un quelconque acte héroïque ! Mais non, ces deux-là s'étaient simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment... Mais ils étaient encore debout. Gudrun sourit.

- Allons Edgar, vous savez pertinemment ce que je pense de mes confrères du Morguestanc et je ne vous laisserais certainement pas vous débrouiller seul : mais en échange, voudrez-vous bien me faire le plaisir de prendre quelqu'un pour faire le ménage chez vous une fois tout cela terminé ? C'est un vrai... bordel.

Lentement mais sûrement, pas après pas, ils avaient fini par arriver en haut du grand escalier qui menait au temple.

- Il faudra d'ailleurs que vous m'expliquiez pourquoi vous vivez dans une mansarde vu votre état !

Où pouvait bien être frère Thomas à cette heure ? Il devait être sur le chemin du retour pour récupérer un morceau à manger, si l'incident n'avait pas chamboulé son emploi du temps. Gudrun s'assit sur un banc en soupirant. Les dieux soient loués, la statue d'Anür était presque entièrement nettoyée, aussi brillante et magnifique qu'avant. Ils n'eurent pas longtemps à attendre, car bientôt frère Thomas apparaissait par une des portes latérales. Elle se releva rapidement pour l'interpeler.

- Frère Thomas ? Pouvons-nous parler un instant ? Je crois qu'il y a eu une confusion tout à l'heure. Est-ce vous qui avez appelé les miliciens pour venir chercher Monsieur Duval ?

Frère Thomas hocha lentement la tête, tombant des nues en découvrant Edgar de retour au temple, avec sa figure tuméfiée, avec des traces de sang séché.

- C'est moi qui ai demandé à appeler la milice, bien sûr, que vouliez-vous que je fasse dans une telle situation ! J'ai croisé Frère Elias par hasard et je l'ai chargé d'aller chercher du renfort à la caserne.

Gudrun fronça les sourcils.

- Frère Elias ? Celui qui donne des leçons d'arithmétique ? Que faisait-il debout à cette heure matinale ?
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyMer 10 Nov 2021 - 23:00
La dévote n’avait pas tardé à rattraper le présumé renégat.

« Vous m'attendiez ? Quelle mouche a bien pu vous piquer pour que vous repartiez aussi vite ?
On a un félon qui s’amuse à piéger ses pairs, tel un roublard, qui rode encore en pleine nature. Je n’ai pas le temps de boire le thé avec vous et faire la conversation sur la pluie et le beau temps, ma sœur. Pas tant que j’aurai tiré cette affaire au clair, avec ou sans votre aide. Quelqu’un a voulu me causer du tort au point de me faire pendre, et ça, je ne peux pas le laisser passer. »

Il continuait à boiter, intériorisant sa guibole qui lui faisait ce mal supportable grâce à la substance qu’il avait ingérée, mais disons que le froid n’aidait pas. Fort heureusement, il avait une alliée de choix dans cette bataille qu’il comptait bien gagner. Et il l’avait connue plus réticente et moins prévenante que ça. Là, elle semblait lui faire à la fois la leçon et… lui faire don d’une marque de sympathie. Le problème — qui n’en était pas vraiment un, au fond — c’est qu’elle avait constaté que son lieu de vie n’était pas le plus épanouissant. Pas au point d’être une ruine qui vit avec des déchets à même le sol, mais quand même. Son sourire, cependant, lui avait donné du baume au cœur. Il détourna le regard, réprimant le sien, attaqué dans sa fierté. Alors elle saurait peut-être deviner son amusement au ton de ses paroles :

« Arrêtez de sourire, sœur Gudrun. Je vais croire que vous êtes charmante. »

De quoi éviter la conversation sur l’apparence de sa mansarde, et de son atelier. Quelques interrogations fourmillaient dans son esprit embourbé : avait-elle pris le temps de passer en revue son espèce de grotte, ou était-elle simplement allée en direction de sa mansarde récupérer son médicament ? Y pensant, il comprit qu’elle avait sûrement connu des difficultés à le faire. Après tout, elle aussi était dans un état similaire à Edgar. Mais il avait réponse à cette question.

« Chaque fois que j’y monte et que j’en descends, ça me rappelle que je suis un vieux croulant qui doit refuser le confort coûte que coûte et accepter sa difficulté à sa manière. Et ne me parlez pas de me sevrer, ça n’a strictement rien à voir avec l’alcool… »

Oui. Il était si dépendant des autres, voire tributaire en ces temps gangrénés, mais il tenait à faire un peu d’excercice. Manquerait plus que Gudrun eût à souffrir un obèse unijambiste.

Ils arrivèrent à bon port, devant le Temple qui n’avait, naturellement, pas pris une ride, et qui ne semblait pas avoir non plus manqué d’Edgar, d’ailleurs. L’ingénieur feignait l’innocence — non pas par rapport à ce qu’il s’était passé, mais parce qu’il méritait sa place céans comme tout le monde. Il se fit petit, alors que Gudrun, toute empreinte de bonne volonté et de bienveillance, prenait les devants pour s’enquérir de la situation auprès de Frère Thomas.

Il la suivit de prêt quand même, l’air de rien, le regard sondeur dardé sur le dévôt. Ce dernier semblait stupéfait à la vue d’Edgar. Comme s’il avait vu un gredin revenu d’entre les morts. De quoi faire sourire l’ingénieur. Ensuite, l’énonciation d’un nom familier eut finit de le faire tiquer.

« Frère Élias ? Le même qui se moque de ses élèves alors qu’il est incapable d’expliquer avec des mots simple la priorité des opérateurs ? »

Mais même s’il avait énoncé un jargon indigeste à l’attention du frère et de la sœur, il se surprit, par sa propre réaction, à avoir autant réagi à chaud. Et il fit un constat intéressant.

« Ma sœur… »

Il passa sa main sous l’avant bras de Gudrun comme pour l’inviter à se mettre en retrait avec lui-même, sous le regard incrédule de Frère Thomas. Comme si les deux boiteux complotaient quelque chose. Mais Edgar ne démordait pas, soutenant le regard du prêtre.

« Vous vous appelez “Ma sœur” ? Foutez-moi la paix et aller chercher du “renfort” ailleurs. »

Peut-être que cela lui vaudrait une seconde expédition punitive – ou une punition expéditive, il ne savait plus trop — mais c’était plus fort que lui. Alors, pour ne pas rougir de colère, il concentra son attention sur Gudrun.

« Écoutez, j’ai peut-être des ennemis à l’intérieur du Temple. Je me souviens avoir déjà humilié Frère Élias plus d’une fois. C’est plus fort que moi. Quand quelqu’un se prend pour plus intelligent qu’il n’est, ça me sort les vers des trous de nez. Je vois rouge. Maintenant, est-ce que c’est Frère Élias qui m’a piégé pour se venger, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que je ne me vois pas le lui demander poliment… »

Il jeta à nouveau des regards. Ils n’était pas totalement à l’abri des oreilles indiscrètes, alors il escorta Gudrun un peu plus loin, en retrait, et poursuivit, la mine horriblement calme et sérieuse.

« Sœur Gudrun, celui ou celle qui m’a piégé n’a pas eu l’audace de m’égorger. Je ne vous apprends rien de nouveau, mais je gage que nous avons affaire à un lâche qui me ferait de la bienséance par devant. Frère Élais et moi nous vouons déjà une haine cordiale et je lui suis supérieur en tout point. Il nous faut penser à quelqu’un qui serait mon égal et qui me caresserait dans le sens du poil, mais qui…? »

Il porta sa main à son menton, l’autre poigne bien agrippée à sa canne, qu’il faisait toquer d’impatience. Il fit la moue, résigné.

« Bon, allons voir frère Élias. Mais c’est vous qui lui parlez. Sinon, je vais l’insulter. »
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Gudrun MercierPrêtresse
Gudrun Mercier



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MessageSujet: Re: [Terminé]Sur l'autel des invalides   [Terminé]Sur l'autel des invalides EmptyLun 15 Nov 2021 - 23:09
Arrêter de sourire ? Elle fronça les sourcils, le voilà qui redevenait désagréable !

En parlant d'être désagréable... Il s'en prit à frère Thomas d'une manière peu polie avant de la prendre à part.

- Nous allons lui parler. Mais ce n'est pas à moi de mener la discussion à votre place. Débrouillez-vous Edgar, vous pouvez bien vous maîtriser un peu... Après tout, c'est quand même votre sort qui est en jeu.

Elle prit la direction des salles où les enseignants menaient leurs activités, jetant un dernier regard derrière elle. Frère Thomas avait l'air complètement perdu. Peut-être un peu inquiet même. Qui ne le serait pas après cette volée verbale ? Mais surtout, qui serait capable d'en vouloir suffisamment au professeur pour lui créer de tels ennuis ? Pour de simples mots comme ceux-ci ? Elle continuait à réfléchir quand ils se trouvèrent là où elle pensait trouver frère Elias. Elle toqua fermement avant de pousser la porte. Ils le découvrirent assis derrière un bureau, l'air hagard, dans une salle de classe vide, regardant fixement Edgar. Gudrun le fixait également en silence, attendant des politesses qui ne venaient pas.

- Bonjour Elias. J'ai entendu dire que vous aviez peu dormi cette nuit, nous...

Le clerc sursauta et se mit à bégayer, toujours assis.

- Ah, v-vous avez entendu ça ? Je dors très bien, même très très bien soeur... Soeur Goudron, c'est bien ça ? Je n'ai pas besoin de vos services, mais c'est très gentil de demander, euh, hum, c'est tout ? Vous pouvez partir, je ne vous retiens pas !

Gudrun restait silencieuse, médusée par le manque de politesse de son confrère.

- Par la grâce d'Anür, laissez-moi parler ! Je veux savoir...

- Non, non, non, écoutez, je n'ai vraiment pas le temps ce matin, voyez, j'ai... j'ai des choses à faire, voyez !

Cette fois-ci, c'en était trop. Agacée par l'attitude de frère Elias, Gudrun s'avança jusqu'au bureau.

- N'essayez pas de vous débarasser de moi comme ça ! Vous savez quelque chose ! Bon sang, arrêtez de trembler comme une feuille, je vais finir par croire que vous avez vous-même gribouillé sur la statue !

Elle avait haussé le ton au fur et à mesure de sa phrase, maudissant une fois de plus intérieurement ces fichus religieux marbrumiens et leurs comportements ridicules. A sa grande surprise, à peine avait-elle terminé sa phrase que frère Elias se ratatinait sous ses yeux, le visage soudain rouge.

- Je... Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez ma Soeur....
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