Une bien belle idole

Une bien belle idole

Rohélias devenait de plus en plus nocturne ces derniers temps. La nuit lui offrait calme, silence et solitude. Le prêtre Markonnen se livrait à une sinistre tâche ces dernières nuits : ériger des effigies d’Etiol. Pour cela, lors d’une de ces dernières escapades au cimetières de Marbrume, il avait vu à ses pieds bon nombres de cadavres de corbeaux. Un signe qui ne trompait pas quant au dessein du Quatrième à son égard.

Les corps décharnés des corbeaux présentaient encore des lambeaux de chair et de plumes leurs donnant un aspect à la frontière entre la vie et la mort. Des merveilles ! Rohélias n’avait plus l’occasion de manipuler des morts depuis bien trop longtemps. De sentir la mort sous ses doigts lui procurait un plaisir certain.

“Que la thanatopraxie me manque…” pensa t’il, nostalgique.

Un frisson lui caressa l’épaule.

“Nous savons parler aux morts, mais les vivants ne savent pas écouter.”

Il refixa son attention sur son œuvre macabre et colla stratégiquement des points de colle à base de brai végétal qu’il avait concocté lui-même pour que le cadavre tienne debout.

Point de colle par point de colle, Rohélias déploya une grande minutie dans ses gestes.

“C’est une très belle idole. Nous sommes persuadé que même derrière ses barreaux, Etiol est ravi.”

Il s’arrêta entre deux points de colle.

“Je sens la peur en nous. Châsse-là ! Elle n’a pas sa place dans ce projet. Que peuvent-ils nous faire qu’ils ne nous ont pas déjà fait ? Que peuvent-ils faire de pire ?”

L’odeur suintante et infecte des geôles lui monta au nez à la pensée de son séjour de jadis pour avoir été le premier à alerter Marbrume de la Fange. Il n’y a pas eu pire châtiment que cette incarcération et cette trahison.

Il fixa le dernier point de colle et lâcha sa main porteuse délicatement pour découvrir le corbeau mort tenir parfaitement debout.

Le bruit familier du bec de Huggin qui frappe au carreau de la fenêtre résonna au même moment. Il ouvrit au corbeau qui se posa machinalement sur son perchoir dans l’angle de la chambre de son maître. Il croassa en guise de remerciement.

“Regarde, Huggin comme il est beau.” dit-il au corbeau.

Il se leva de derrière son bureau et fit les cents pas autour de son lit.

“Nous pouvons l’afficher au Temple en hauteur, à la vue de tous.”

“Non, il serait enlevé et détruit bien trop vite. Les prêtres seront trop vigilant.”

“Hum, allons explorer la ville cette nuit. Déambulant sans destination et laissons Etiol nous guider jusqu’à un lieu en hauteur, visible et difficile d’accès. Nous avons foi.”

“Nous avons foi.”

Rohélias s’habilla de sa vieille cape sombre et enfouit son visage macabre sous la capuche. Il posa sa précieuse offrande dans sa besace, elle-même dissimulée sous sa grande cape et pris direction la sortie du Temple d’un pas excité.