Marbrume


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 Non mais à l’eau, quoi !

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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyJeu 27 Jan 2022 - 0:51
15 mai 1167

Un vent printannier soufflait de plein fouet sur le littoral urbain, rafraîchissant les environs échauffés par la gouvernance suprême d’un zénith curieusement etouffant pour une telle période de l’année. L’humidité ressentie en prime empirait la chaleur ressentie, ainsi la bise était bienvenue pour celles et ceux qui avaient la chance de travailler ou bien vadrouiller à l’Est du bastion.

Le vieil ingénieur boiteux, depuis quelques jours, avait entamé le gros de son gros œuvre pour le compte de sa nouvelle cliente — et à vrai dire, la seule du moment, jusqu’à ce que le notoire Desmond de Rochemont ne fasse à nouveau appel à ses services. Thésakine était venue, un après-midi orageux d’avril, et lui avait fait part d’un projet pour le moins ambitieux : rénover une bâtisse à l’architecture extraordinairement complexe, conçue par feu l’architecte en chef de la légendaire famille des Morguestanc. La demoiselle — ou peut-être bien dame — avait déboulé au milieu du quotidien tourmenté de l’ingénieur ; pareille à une brisure dans l’espace temps, une fissure d’incertitude dans le présent instable de l’architecte, pour lui dicter quelle serait sa plus grande préoccupation sur les mois à venir. Et il avait mordu à l’hameçon. Quelque part, au plus profond de lui, quelque chose avait chaviré, ou son for intérieur avait été assiégé par on ne savait quelle émotion. Il ne dormait presque plus. Lorsqu’il trouvait le sommeil, il était arraché à ses songes soit par la gueule de bois, soit par une idée lumineuse. Et il griffonait, avant de sombrer, soit la tête contre la paillasse, soit par terre ; les alternatives de sommeil et de folie rythmaient ses journées.

Son humeur était massacrante sur le chantier. Il n’accordait pas la moindre sollicitude pour quiconque travaillait sur le projet de Thésakine. À l’affût du moindre défaut, de la moindre erreur. Tout devait être parfait. Comme si son nom en avait dépendu. Parfois il disparaissait sans prévenir, parfois il surgissait pour insulter quelque incapable qui peinait à se secouer. Des rares fois il essayait d’aider, malgré sa jambe endolorie, frustré de ne plus jouir d’une certaine vigueur, loin d’une certaine force de l’âge, qui lui aurait certainement permis de conserver la face auprès de sa cliente. Mais enfin, si elle n’avait pas décommandé, avec le recul, c’est bien parce que c’était le seul “vieux fou” capable de satisfaire ses besoins.

« Ou simplement parce que je suis le dernier des idiots, pensa-t-il à haute voix. »

La journée avait passé sans qu’il ne jauge la valeur du temps. La brise crépusculaire, plus fraîche celle-là, allait et venait sur le port de Marbrume, caressant les cheveux du vieil ingénieur. Sa barbe, drue, exhibait une pilosité rebelle par endroit, marque d’une négligence accrue depuis les derniers jours à macérer des pensées tantôt noires, tantôt éclaircies — blanches, ô, ça, jamais. Il titubait sans feindre, mais sa démarche n’était pas rectiligne. Il avait passé sa journée à boire, de tout son saoul, à éponger par intermittence avec de la levure ou autre aliment de basse qualité, et à s’enquiller derrière quelque alcool fort pour se détartrer le gosier. Sa vue était trouble, il avait chaud, il sentait l’hydromel et tout autour de lui était flou, en plus d’être hors de portée.

Mais entre deux souffles, il crut voir se découper, à proximité, la silhouette d’une personne qu’il avait, pour sûr, déjà croisée dans des temps moins hospitaliers. Un contour aux formes grâcieuses, féminines, un minois qu’on ne pouvait que difficilement ignorer. Une femme dans la fleur de l’âge, qui semblait jouir d’une intelligence particulière, bien à elle, réelle, qui avait le don d’attirer l’attention du vieux boiteux. Alors plus rien n’existait autour, il s’approchait d’elle, qui semblait affairée à discuter avec d’autres clients, ou des collègues peut-être ; puis, sans qu’il ne se l’explique, il lui demanda, sans être véritablement sûr que l’objet de son interrogation ne parvienne à l’oreille de son interlocutrice :

« Eh, la Mariotte ! Qu’est-ce qui est plus lourd entre un kilo de plume et un kilo de plomb ? »

L’alcool inhibant une peur déjà bien enfouie que d’être tourné en ridicule par la donzelle, son regard était désormais attiré par le rivage. L’horizon offrait une vue magnifique et saisissante, aussi Edgar s’avança, un peu plus au bord, contemplant le lointain aux teintes pourpres, jusqu’à baisser le regard, observant son portrait dans l’eau trouble.

Et sans qu’il ne se l’expliqua, son cœur se souleva, battant à la chamade. Saisi d’un vertige, il tomba tête la première du quai, sa carcasse imitant un “plouf” disgracieux, le corps immergé, sans qu’il ne s’en offusquât outre mesure.

Non mais à l’eau, quoi !
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Mariotte
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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyJeu 27 Jan 2022 - 22:13
Quelle journée mes aïeux ! Quelle journée ! Une chaleur à en crever ! Enfin, surtout à faire crever mes poissons, même s'ils sont déjà morts, ils s'mettent à sentir bien plus vite par ce temps-là. L'été, c'est vraiment une saison terrible pour la vente... Cela dit ya pas qu'chez moi que les poissons tournent vite, alors bon an mal an, on fait avec. Mais pour sûr, ça pose question, alors forcément on cause que d'ça sur le port avec les femmes de pêcheurs. Pis on prend un peu des nouvelles d'untel qui a fini par rendre l'âme, de tel gosse qui tourne mal, et tous ces potins intéressants que j'pourrais bien sûr colporter demain... Quand tout d'un coup, j'entends une voix qui m'appelle. Je tourne la tête et j'aperçois un peu plus loin l'aut' là, le... le...

- M'sieur Edgar ! C'est ça hein ? Qu'... Le plus lourd... ? Vous vous foutez pas d'moi par hasard ? Pourquoi que j'voudrais comparer le plus lourd entre les deux ? C'est l'prix qu'est intéressant, et j'vois pas qui serait assez couillon pour vouloir troquer du plomb contr...

Plouf. Il a fait plouf, nom d'un poisson ! Pour le coup, tout l'monde s'est retourné, le p'tit groupe de femmes et puis aussi les quelqu'hommes occupés sur les quais. Après un petit moment de surprise, voyant pas l'vieil homme se débattre, ils lâchent leurs filets et leurs outils et se précipitent pour aller l'secourir. Je m'approche du bord du quai, curieuse, mais pas trop près non plus parce qu'après tout moi aussi j'y suis déjà tombée dans l'eau du port et j'peux vous dire que je r'commencerais pour rien au monde ! Ils le r'pêchent, c'qui est un comble pour un pêcheur, voyez, ça c'est pas un poisson qui rapporte de l'argent ! Quoique... ? Ils le laissent là, sur le ponton. Il a moins fier allure avec ses habits tout mouillés, et surtout il a pas l'air de s'remettre de sa chute. Dire qu'il était juste là... Mais ! C'est-y pas sa canne que j'aperçois ? Il a dû la lâcher avant de tomber. Une bien belle canne... Une idée me traverse soudain l'esprit. J'ramasse la canne et je m'dirige vers le ponton.

- Poussez-vous donc un peu ! Là ! Comment qu'il se sent le m'sieur ? L'a pas l'air bien hein ? M'étonne à peine ! Bon. Moi, j'ai ma charrette, et j'ai moyen d'savoir où il habite. Chargez le d'ssus, j'm'en débrouille.

Très serviables ces bonhommes, ils me chargent le paquet sur la charrette, ils ramassent un peu les bras, replient les jambes pour que seuls les mollets dépassent par dessus-bord, et moi je m'approche de son visage pour lui tapoter les joues. Bon, ptêt que je tapote un peu plus fort qu'un tapotement classique, mais faut ce qu'il faut pour le réveiller ce bougre quand même !

- Ho ! Dites donc ! Z'allez m'dire où vous habitez ?
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Edgar DuvalIngénieur
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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptySam 29 Jan 2022 - 0:16
Il pénétra, l’espace d’un instant, le domaine d’Anür, oscillant entre la conscience douloureuse et l’inconscience salvatrice, imperméable à sa condition précaire et menacée. Ses cheveux fins flottaient dans l’infini, sa silhouette semblait vouloir enlacer le néant. Sa vue était tantôt voilée d’un linceul mortifère, tantôt frappée par des souvenirs qui clignaient, tel un éclair qui illuminait son esprit, sans bruit aucun. La conscience de la conscience n’était plus. Peut-être son corps reviendrait à l’état de poussière de pareille manière ; noyé dans les profondeurs, oublié dans les bas-fonds, emportant avec lui le souvenir douloureux de l’inaccompli. Seulement, ô heureuse surprise, ses bras se soulevèrent, comme si un poids le tractait hors de l’eau. Lorsque ses orifices respiratoires ne furent plus obstrués, il comprit qu’il était hors de danger et se laissa naturellement porter, à la merci de ses anges gardiens, ou peut-être esclave de leur volonté. Sa vie avait été menacée, il aurait peut-être mérité la mort faute de vigilance. On l’avait entreposé en position latérale de sécurité, sur le quai, encore humide. Son esprit hagard pernait à discerner le monde autour de lui. Il était bien trop faible pour y comprendre quoi que ce soit. Qu’il fût abandonné comme une vulgaire baleine échouée ou pris en pitié, avait-ce seulement de l’importance ?

Mais contre toute attente, une voix féminine, au timbre agréable, s’éleva parmi le brouhaha confus. Il voulut ouvrir l’œil pour espérer apercevoir le visage de sa sentinelle, mais la honte et le manque d’énergie ne le lui permirent que de rester en vie, se concentrant sur sa respiration alors qu’il sentait qu’on le soulevait à nouveau, de la même manière qu’on se trimballait un cadavre. Il n’osa même pas chercher qui avait l’inamabilité de le traiter comme un mort qu’on expulsait déjà loin des mémoires. Ce qu’il comprit, c’est qu’on le déposait sur une autre surface, dure, rugueuse, mais moins inconfortable que le pavé irrégulier des quais marins. S’en suivit quelques paires de mandales qui le tirèrent de son fragile nantissement.

« Ho ! Dites donc ! Z'allez m'dire où vous habitez ?
“Duval Constructions” en plein milieu de la Hanse… »

Il avait répondu d’un air désespéré à son interlocutrice, qu’il n’avait sans doute pas reconnue, voué à rester tranquille et à éviter des taloches supplémentaires. Encore avachi, pas totalement conscient, il émergait peu à peu des brumes, encore épaisses tant les effluves flottaient autour de sa boîte crânienne. Il était tracté de manière irrégulière, des gémissements de frustration parvenant jusqu’à ses oreilles. Après une progression toute relative, comme si cela ne suffisait pas, il entendit un craquement sourd, tandis qu’une des roues céda pour se mouvoir librement jusqu’à chuter non loin, tandis qu’il se réveilla. Il était penché, menaçant de tomber à nouveau face contre terre, sur une charette dont la fonction première avait été bafouée. Encore confus, il reconnut sa canne qui avait reposé à ses côtés, s’en saisit, et se redressa, contemplant le désastre ; et la pauvre marchande qui avait eu l’idée sommaire de le tracter jusqu’à chez lui. Il en ignorait totalement son état détrempé et, pour le moins, ridicule.

Il dévisagea son hôte et reconnaissait cette femme à qui il avait, tout à l’heure, fait hommage d’une plaisanterie mal placée.

« Le moment était mal choisi, La Mariotte. »

Celle-là non plus, elle ne la comprendrait sans doute pas. Sans fierté apparente de s’être fendu à nouveau d’un jeu de mots aussi fade, il boita jusqu’à la roue qui s’était désolidarisée de l’ensemble pour la coincer sous l’aisselle, et d’aider la poissonière à tracter le pauvre outil.

« Ma tête me fait un mal de chien. Et quelle idée de foutre un homme là-dessus. Rappelez-moi de vous fabriquer un brancard si c’est ça qui vous préoccupe. En attendant, je vais la réparer, votre charette… »

Il semblait avoir plus de peine pour l’objet malmené que pour la patience et la fierté de la personne qui avait fait montre de compassion à son égard. La vérité, c’est qu’il était resté silencieux, évitant le regard de la poissonière, déterminé à rentrer le plus vite possible à domicile. Arrivé devant son atelier, il fit le tour de deux ou trois autres établissement, se faufilant dans une ruelle étroite, jusqu’à passer un portail de bois et atterrir dans une cour intérieure partagée, là où il pouvait laisser la plupart de ses effets personnels, avec d’autres commerçants, sans craindre que d’autres individus ne commettent quelque larcin.

Il se décida à soutenir le regard de Mariotte. Son regard, vitreux, semblait luire d’une lueur orangeâtre, comme si ses rétines reflétaient la timide lueur chatoyante du crépuscule. Son cœur se serra.

« Vous ne méritez pas que je sois méchant avec vous, mais ne profitez pas de mon état pour vous moquer de moi ou de rire de ma condition. Je reconnais que j’ai été insultant à votre égard, et pour cela je vous prie d’accepter mes excuses, vous ne méritiez pas ça… Et pour la charette, je vous la referai sous trois jour… Bordel de merde, j’ai froid tout à coup… »

IL serra les dents. Son juron ne parvint pas à estomper le désagréable frisson qui parcourut son corps alors que le souffle du vent l’avait frigorifié sur place, encore tout trempé d’eau de mer. Il se dévêtit de son ample manteau qu’il essora comme un torchon, une mini-chute d’eau croupie éclaboussant la chaussée. Sa tunique, beige, à ras-le-corps, était elle-même humide. Comprenant qu’il insulterait son hôte par manque de pudeur, il se ravisa et ne se dévêtit pas davantage.

« Je vous ai fait assez perdre de temps comme ça. Vous pouvez me laisser… »

Il se dirigea vers l’arrière porte de son atelier, la déverrouilla, et constata l’état dans laquelle il l’avait laissée : des plans à même le sol, mélangés à plusieurs bouteilles vides, tandis que d’autres récipients vides trainaient par dizaines sur des paillasses et au milieu des outils. L’endroit semblait avoir été mis à sac par un ivrogne. En fait, cet ivrogne, c’était lui-même.

Il resta immobile devant le carnage dont il était l’auteur, saisi à nouveau par un haut-le-cœur.

« Anür, mais qu’est-ce que vous faites ?! jura-t-il presque de désespoir. »
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Mariotte
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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyJeu 3 Fév 2022 - 22:36
Ah ! Il me répond ! Ça m'arrange bien, parce que faire un détour par chez Morgred c'était plus long, pis en plus ce vieux bougon aurait bien été capable de vouloir prendre le relais, et alors à qui qu'il serait allé le pourboire, hein ? Non, non, non, qu'il reste en dehors de ça, j'm'en débrouille et j'espère bien pas faire tout ça pour rien ! Non mais... Ça m'dit rien cette enseigne, mais j'connais bien le quartier d'la Hanse alors j'devrais bien pouvoir trouver.

Je me remets derrière le chariot, j'attrape les brancards et... Je lève. Si seulement les gars avaient réussi à l'caser plutôt vers l'avant... Mais non, il est trop grand pour ça. Qu'Anür m'emporte si c'est pas l'truc le plus lourd que j'ai eu à soulever jusqu'ici ! Il pèse au moins... Au moins dix flétans ! Mais est-ce qu'il vaut autant que dix flétans ? J'crois pas, mais j'ai pas eu besoin d'l'acheter lui. Faudra qu'je négocie bien quand on arrivera. Des sous ? De la nourriture ? Et s'il est toujours pas en état une fois chez lui ? Ptêt que sa femme voudra rien m'donn...

- NOM D'UN CHIEN GALEUX ! Pourquoi faut-y qu'cette roue là me lâche maintenant ! Pourquoi qu'elle a eu besoin d'prendre son envol d'un coup, c'te drôlesse ?

Et v'là-t-y pas que l'boiteux en profite pour se redresser, comme si de rien n'était ! Ah ça ! La charrette cassée et mon espoir de sous qui s'envole ! T'as vraiment tout gagné aujourd'hui Mariotte ! Quelle idée, quelle idée...

- J'vous les foutrais au cul moi ces idées ! C'était une charrette solide, si y'avait quelqu'sous pour remblayer ces nids-de-poule... Oh, vous allez m'la réparer ? Ah ça, j'peux bien dire que ça m'sauverais la vie, comprenez, c'est avec ça qu'je vis moi alors...

L'est plus costaud qu'on y croirait, parce qu'il prend la roue et il s'met à m'aider à tirer la charrette. C'est bien étonnant venant d'un vieil homme boiteux, mais enfin, faut parfois pas s'fier à ses yeux. Tenez, y'avait bien l'père Gabriel avec son énorme ventre, il était essoufflé comme un bœuf au moindre effort, mais ça l'empêchait pas d'valoir au moins trois bonshommes !

- Qu'est-ce qui vous a pris de tomber comme ça dans l'eau tout à l'heure ? Vous avez des problèmes d'équilibre ? Non parce que vous savez certains c'est comme ça, dès qu'ils se voient un peu haut, la tête leur tourne, et pouf ! Enfin, plouf, si c'est au bord des quais, mais bon en général on s'approche pas trop près, parce que vous comprenez l'eau du port elle est quand même pas très propre hein, ça vaut pas là d'où je viens, c'était quand même pas aussi vaseux et puant, mais bon, on est bien mieux dans les murs alors le choix il est vite fait...

Ça commence à tirer dans les bras, cette journée elle était longue et puis là, c'est quand même compliqué à trimballer, une charrette avec une seule roue ! Alors pour pas m'laisser abattre, j'fais ce que je sais faire de mieux : causer, parce que ça me pèse le silence moi.

- Alors comme ça vous habitez dans la Hanse... J'me souviens pas avoir vu vot' boutique, mais ptêt bien que j'ai pas fait attention, vous avez pas un dessin pour l'indiquer ? Vous m'l'avez pas dit tout à l'heure, vous avez juste dit "Duval Constructions" comme si tout l'monde devait connaitre, mais bon, vous êtes peut-être connu comme le loup blanc dans l'quartier ?

On arrive à son atelier, enfin, plutôt dans une sorte de cour, bien plus distinguée que celle où j'range ma charrette la nuit, mais bon, c'qui m'rassure un peu c'est qu'elle pue aussi. Et puis, il se met à m'regarder en débitant plein de trucs que je ne comprends pas vraiment, à propos de moqueries de ma part, ou de la sienne ? J'suis pas bien sûre, et j'allais le dire, quand il m'annonce qu'il va en avoir pour trois jours à me réparer ma charrette ! Trois jours ! Non mais vous avez déjà vu une poissonnière sans charrette ? Autant me jeter à l'eau quoi !

- Trois jours ! Mais pourquoi que ça serait si long par les couilles de Serus ! Trois jours ! Vous vous rendez compte que c'est mon gagne-pain ça, moi, et comment que j'vais nourrir mon gamin hein ? J'vais vous l'envoyer chialer pendant trois jours, vous verrez si c'est supportable !

Pendant c'temps, il s'inquiète d'attraper froid, et patin-couffin !

- C'est quand même vous qui l'avez cassée après tout, ma charrette ! Essayez pas d'm'attendrir en vous plaignant d'avoir froid !

Mais c'est le moment qu'il choisit pour ouvrir une porte, j'imagine que c'est son atelier, ou son chez-lui, enfin, c'qui est sûr, c'est qu'il a été cambriolé ! Je m'approche pour jeter un œil au désastre.

- Ah ça oui ! Vous auriez pas oublié d'aller prier au temple des fois que ? Qui est-ce qui a bien pu vous mettre vot' atelier à sac comme ça ? Nom de nom, regardez ! Ils ont même mis du vin sur du papier ! Ah les jean-foutre !

Bon. Ça sert à rien d'm'échiner pour tirer quelque chose de c'gars là à l'instant, ça s'voit dans son regard qu'il est désespéré. On lâche pas des sous aussi facilement... Quoique, c'est parfois plus facile d'extirper de l'argent à des gens qui sont dans de mauvaises situations, mais là ! Oui, là, j'peux pas trop abuser, vu qu'il doit me réparer ma charrette. Alors bon gré, mal gré, va falloir une relation commerciale correcte. Puis, après tout, c'est pas plus mal d'être d'avoir des relations avec les gens d'la haute, j'en ai pas tant qu'ça. Peut-être même aucune, mais bon, on va pas le crier sur les toits. Oui, décidément, ça pourrait toujours être utile à l'avenir.

- Bon, j'ai pas un cœur de pierre non plus hein, vu vot' situation, on peut dire trois jours, je m'débrouillerai.

Et puis tout à coup, je réalise vraiment l'souci.

- Et vot' femme ! Croyez qu'il lui est rien arrivé ? Ils sont encore à l'intérieur vous pensez ? Pourquoi qu'vous restez planté là ? Moi j'irais bien voir, mais quand même j'crois que vous feriez plus le poids que moi, sans compter qu'c'est pas mes oignons après tout ! Ou... OH ! Vous pensez qu'ça peut être des... des Fangeux ?

Alors là, vraiment, rien que d'm'imaginer ça j'ai froid dans le dos, et j'commence à m'écarter de la porte, parce que là, c'est trop proche, imaginez qu'il soit juste derrière le seuil, dans l'ombre, là, prêt à bondir ? Mieux vaut le boiteux que moi !
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Edgar DuvalIngénieur
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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptySam 5 Fév 2022 - 2:12
L’ingénieur estropié, accablé tant devant la négligence de son logis que de sa prestance, restait immobile face à l’amoncèlement de déchets et de relents de pensées éclair qu’il devait avoir essayé d’immortaliser sur des parchemins épars, dans quelque élan de créativité ou simplement de folie incomprise. Il fut dépassé par La Mariotte, qui s’était faufilée, presque comme une anguille sinueuse, grâcieuse à sa manière, contemplant d’elle même l’ampleur du foutoir. Il avait le sentiment d’être à nu devant cette poissonnière verbeuse, sans compter le caractère trempé de sa dégaine. Elle semblait engagée dans un monologue inarrêtable. Un vrai moulin à paroles. C’était un mal pour un bien ; cela permettait à Edgar de se faufiler dans un coin plus discret de son atelier afin de se dévêtir et de revêtir une tenue certes moins élégante, mais sèche et relativement propre. Une tunique qui le ferait ressembler à un roturier plus qu’un architecte empreint de la prestance naturelle qui était sienne. Au fond, son allure était sans doute déjà gangrénée par l’infirmité et l’ébriété.

Appréciant le contact de vêtements secs et confortables sur sa peau, il commençait à retrouver un semblant de lucidité, de moyens face à cette espèce d’oiseau de malheur qui piaillait dans tout son atelier. Il se surprit à réprimer un sourire. Il lui lança depuis l’autre côté de la pièce :

« Vous n’aurez pas besoin de vous débrouiller. Je vous aiderai à louer une charette de remplacement, à mes frais, et je vous rendrai la vôtre dans trois jours. Ce n’est pas parce que mon intérieur est complètement désordonné que ça se voit à l’extérieur. Je tiens les délais. Alors pour l’amour des Trois, arrêtez de paniquer pour tout ça ! Sinon je vais vraiment me mettre en colère. Et quand je me mets en colère, je suis méconnaissable. »

Un peu comme la fois où il avait tapé du poing malgré lui sur la table, le soir où Morgred lui avait fait les confidences qu’il n’aurait jamais dû entendre. Il y pensait presque à voix haute, alors qu’il se présentait à nouveau à Mariotte, sous ses vêtements presque poisseux. Il essaya de la devancer :

« Dites que je ressemble à un ouvrier et je vous jure que je vous envoie paître avec votre charette cassée ! »

Mais elle était inarrêtable, la poissonière. Voilà qu’elle partait dans des suppositions capilotractées, qui avaient vraisemblablement le don de faire plisser le front d’Edgar.

Il avait évoqué sa femme. Il pensa automatiquement à Victoria. Et aussi à Cassandra. Il sentit son cœur se soulever, et bientôt une expression de mélancolie parcourut son visage.

« Des fois, j’aurais bien aimé que ce soit des Fangeux et pas autre chose, vous pouvez me croire… Mais non, il n’y a personne ici. C’est moi le responsable de tout ce… ce… Putain de merdier. »

Il haussa machinalement les épaules, se penchant avec difficulté pour ramasser un parchemin tâché de vin qui trainait à ses pieds, relent d’une séance de réflexion intense, d’un semblant de transhumance spirituelle vers un lointain qui lui aurait permis de puiser une créativité nouvelle à une source jusqu’alors inconnue. Mais à la relecture de ce miasme, lui-même comprenait qu’il avait davantage succombé à un accès d’anxiété plutôt qu’à un éclair de génie.

« Je dois rebâtir l’édifice des Morguestang, dit-il à voix haute en essayant de ranger ses affaires. »[/color]

Son regard s’arrêta sur un petit colifichet en bois sombre qui trônait sur son atelier, renversé. De cette vision jaillit une songe fraîche, celle de sa cliente qui semblait être l’artiste en chef de cette petite relique. Avec elle un autre souvenir, plus douloureux celui-là, d’une incompréhension totale face à quelques intentions mal exprimées. Il tourna la tête. La petite canne était encore là et, si elle n’avait pas bougé, elle semblait s’être endormie sous une apparente pellicule de poussière.

« Ma femme est décédée avec la Fange, si vous voulez tous savoir. admit-il sans accorder un regard à son hôte. J’avais aussi une fille. On me les a enlevées. J’imagine qu’elles sont mieux là où elles sont. »

Il soupira lentement par le nez, continuant de ranger ses affaires, reprenant peu à peu contenance, ignorant son mal de crâne, tant la sensation d’être au sec et en sécurité lui fit du bien.

Et cette présence, verbeuse, qui semblait l’arracher à sa morne solitude.

« Je suis content de savoir que vous avez encore votre “gamin”. Et j’imagine qu’il a également la chance de vous avoir. Ne vous avais-je d’ailleurs pas dit de me laisser ? Je vous promets de vous faire amener une charette demain… Je n’ai qu’une parole en affaires. »

Il redressa alors son regard vers Mariotte. Son cœur sembla se serrer à nouveau, alors qu’il s’approchait un peu plus d’elle pour l’observer. Il sentait son sang boullir un peu plus chaque seconde qu’il approchait la demoiselle. Les senteurs de poisson qui émanaient de son corps ne semblaient pas le repousser.

Une idée parcourut ses synapses. Son visage se tordit soudain en une expression d’amusement.

« Au fait, moi, c’est pas Jean Foutre, mais Ed-gar. Et… Le coup des couilles de Serus, je dois dire, que… »

Son corps fut parcourut de petits soubresots. Son visage se tordit, et il se surprit à rire jusqu’aux larmes. Il se pinca l’arrête du nez, essayant de regagner un certain sérieux devant la bonne femme. Il se reprit, poursuivant, d’un timbre de voix plus doux :

« Morgred m’avait intimé de vous dire de la fermer si vous parliez trop. Et c’est vrai que vous ne savez pas la fermer, votre bec. Mais cette histoire de couilles de Serus, ça vaut bien toutes vos jérémiades un peu… pesantes. Faites juste attention à ne pas trop dire ce genre de choses auprès des mauvaises personnes. Ça pourrait vous attirer des problèmes, et… »

Il laissa sa phrase en suspens, soucieux de vouloir cacher son excès de sollicitude.

Son regard, lui, avait parcouru la peau de la jeune femme, à la recherche d’indices, traitres, sur ce qu’il avait pu entendre de la bouche de son camarade pêcheur, avant de se poser sur les yeux de la demoiselle.

Il ne s’en détachait plus. Son cœur s’alourdissait un peu plus chaque seconde dans sa poitrine. Ses prunelles, quant à elles, semblaient avoir estompé par leur dilatation le caractère vitreux et terne de son regard, alors qu’il frémissait.
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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyDim 6 Fév 2022 - 18:42
Colère ? Méconnaissable... Oui, il a l'air en colère. Mieux vaut pas trop l'chercher alors. Fais profil bas disait ma mère, mais j'ai jamais trop su le faire ça, et ça plaît pas à Jean non plus. C'est bien les hommes ça, ça boit trop, ça s'agace sur un détail, et puis, et puis faut faire profil bas ! J'commence à me dire que j'aurais vraiment pas dû rentrer dans cette maison, ça va finir en eau d'boudin. J'essaie de trop rien dire, je l'écoute qui m'parle de ma charrette, de son boulot, de sa famille, de mon gamin... Comme si j'avais la chance d'en avoir un ! Peuh, c'est bien une chance quand on est riche et qu'on a qu'ça à faire, de s'occuper d'un gamin... Il se met à rire, et pendant ce temps, moi je bouillonne, j'peux pas me retenir indéfiniment !

- Mon bec, mon bec ! Croyez pas qu'vous causez beaucoup aussi ? C'est que sans ma charrette j'ai plus grand'chose à faire ce soir... Nom de nom toutes ces bonnes affaires que j'suis sans doute en train de louper sur le port... Et les histoires aussi !

Il m'agace un peu ce vieux grognon tout de même, alors je mets les poings sur les hanches pour bien lui faire comprendre.

- Oui, j'vais partir, et m'prenez pas pour une idiote ! Je sais m'tenir devant les prêtres, yen a tellement qui ont un balai dans l'cul que je m'ferais sortir avant même d'avoir juré, comprenez ? Ah, pourtant, j'peux vous assurer que j'suis une bonne croyante... Tenez, regardez !

Je glisse la main dans la poche sous mon tablier pour sortir mes trois grigris et lui montrer la petite fiole d'eau de mer, la mue de serpent et le morceau de bois de cerf.

- Là, voyez ? Ça oui, j'suis croyante et j'prie les dieux tous les jours ! C'est grâce à ça que j'vends aussi bien mon poisson...

J'suis un peu étonnée. Pendant un moment j'ai cru qu'il me reluquait, mais on dirait maintenant qu'il tremble, il a un regard fixe, comme s'il allait caner dans l'instant. Pas question qu'il le fasse pendant que j'suis là, ces fichus miliciens seraient bien capables de m'accuser moi ! Ou même... Par Anür ! Et s'il le faisait après mon départ ? Et tout l'monde au port qui m'a vue le ramener sur ma charrette...

- Hého ! Doucement là, allez pas tomber raide d'un coup ou j'sais pas trop quoi hein ? J'veux pas d'ennuis moi... Bon. J'ai rien d'mieux à faire, alors vous allez vous asseoir là, j'vas vous faire un brin de ménage, et vous arrêtez de m'faire peur comme ça. A votre âge, c'était pas une riche idée d'vous jeter à l'eau tout d'même.

Bon. Avec un peu d'chance, ça m'donnera un argument en plus pour lui demander une compensation pour ma charrette, alors j'm'active, et j'essaie de m'taire. Faut bien avouer qu'j'ai peur, j'ai vraiment pas envie d'savoir à quoi il ressemble quand il est en colère. Bon sang de bois Mariotte, dans quel pétrin tu t'es encore fourrée, que m'dirait ma mère !
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyVen 11 Fév 2022 - 21:02
Le vieux boiteux reprit sa respiration, à la limite de faire un arrêt cardiaque, alors qu’il se détourna de la poissonnière. Il ne pouvait plus se mentir à lui-même : elle avait un pouvoir d’attraction tangible, palpable, que même les senteurs de poissons ne sauraient estomper. Il s’éloigna, essayant de remettre un semblant d’ordre dans ses pensées comme dans son intérieur chaotique. Son cœur tambourinait dans ses entrailles, comme s’il allait exploser et le laisser inerte dans son antre. Une belle façon de mourir, pensait-il sûrement.

Lorsqu’elle jurait, un soubresaut parcourait son corps tout entier. Il se mordait la langue pour ne pas rire. Il faisait la moue pour ne pas sourire non plus. Cette pipelette oscillait entre tracas et jérémiades amusantes au possible. Une battante de la vie quotidienne qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, qui savait se tenir devant un clerc bien coincé du fondement certes, mais qui se lâchait sans prévenir face à un infirme qu’elle pouvait prendre en grippe. Par chance, il ne lui imposait aucune retenue et semblait lui inspirer, contre toute attente, de la sympathie mêlée à une once de…

Était-ce de la peur ?

Il s’était retrouvé attablé à un tabouret, se massant les tempes, alors qu’il regardait Mariotte s’activer pour remettre un peu d’ordre dans son atelier.

« Et vous ne vous dites pas un seul instant qu’un vieux con de ma trempe n’a-t-il pas mieux à faire que de se jeter dans une eau croupie de son propre chef ? J’ai fait un malaise. Vous le faites exprès d’être aussi bête ? Et pour vos affaires, elles vont revenir. Les gens ont besoin de poissons, manger est un besoin vital. Mais vous en faites quoi de vos histoires ? Votre vie est aussi ennuyeuse pour ça pour prétendre manquer de… D’histoires ? Vous allez raconter à tout le monde que j’ai plongé tête la première dans l’eau du port et que j’ai brisé votre charrette ? Cela vous donnera un semblant d’importance pendant, quoi, une semaine ? J’aime à penser qu’on peut toujours viser plus… Grand… Mais enfin. C’est peut-être votre façon de vivre, après tout. Au moins… Vous vivez… »

Il se balançait légèrement d’avant en arrière, agrippant sa canne, alors qu’il se perdait à nouveau dans ses pensées. Parfois la silhouette de Mariotte s’imposait d’elle-même dans son vis-à-vis. Elle exhibait, consciemment ou non, une silhouette grâcieuse, une intelligence féminine qui relevait soit de l’automatisme, soit de la provocation. C’était difficile à dire. Tout ce qu’il savait, c’est que son cœur allait repartir à la chamade.

Il prit une autre inspiration, pour ne pas se laisser déborder par ses sentiments nouveaux, avec le timbre de voix plus calme.

« Vous dites que c’est grâce à votre dévotion que vous vendez aussi bien votre poisson ? Et moi qui pensais que le bon peuple priait la Trinité pour sortir de ce Fléau… J’avais beau essayé de faire comprendre à certains que je ne croyais pas une seule seconde à la sincérité de la vertu de la plupart d’entre nous ; vous venez de me prouver le contraire. Tout ce qui vous intéresse — et c’est dans votre droit — c’est de faire des affaires. Pas d’affaires, pas d’argent. Pas d’argent, pas d’accès aux ressources. Du moins, pas d’accès facile aux ressources. »

Il pensa au Goupil.

« Morgred, lui, c’est une vraie personne. L’un des rares qui ne m’ait pas emmerdé avec la piété, et qui ne fait que l’exprimer d’une manière naturelle. Le genre d’individu qui en chie dans sa vie mais qui n’aura de cesse de dire “tout va bien” je suppose… »

Il finit par se redresser, navigant d’une démarche naturelle entre les meubles de son intérieur.

« Vous vendez bien du poisson parce que vous êtes utile et compétente avant tout. Je vous le dis, au cas où ça ne vous aurait jamais traversé l’esprit. Pour le reste, que les Trois vous permettent de rester aussi vigoureuse que vous le paraissez… »

Il se pencha, toujours agrippé à sa troisième jambe, pour extirper d’un tiroir un grigri de son crû ; un colifichet à l’effigie de Serus, qu’il devait avoir sculpté dans ses jours moins sombres. Il s’approcha de Mariotte et l’enjoignit à l’accepter, prétextant au passage un contact certain avec sa peau.

Un frisson ardent parcourut tout son corps, mais il conserva un air sérieux et rasséréné, acceptant cette fatalité.

« J’ai beau avoir en ma possession ce genre d’objet de culte, ma foi ne concerne que moi et personne d’autre. C’est pourquoi je vous l’offre, parce que vous m’êtes sympathique. Ça sera une excuse pour en sculpter un autre. Maintenant, je vais vous le dire par des moyens détournés, mais je voudrais que vous partiez. Votre présence ici me dérange d’une certaine manière. Elle… Elle… »

Tout à coup, il sentit une force supérieure, ineffable, lui parcourir le diaphragme, puis le torse, puis le crâne. Était-ce la vigueur de Serus qui s’éveillait en lui ? Était-ce Rikni qui faisait serpenter cette attraction, tactile, qui s’enroulait autour de son cœur pour le serrer ? Ou bien était-ce Anür qui, bien amusée, soulevait de nouveaux vents et marrées contre lequel l’homme se retrouvait à lutter envers et contre tout ?

Cette force l’avait rapproché de Mariotte et, les yeux fermés, il avait réduit la distance qui séparait son visage du sien. Esclave d’un empire brûlant, d’une braise flamboyante, consumé d’une irrépressible envie de succomber à quelque instinct primaire, il essaya d’embrasser la poissonnière.
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Mariotte
Mariotte



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MessageSujet: Re: Non mais à l’eau, quoi !   Non mais à l’eau, quoi ! EmptyVen 11 Fév 2022 - 22:33
J'aurais bien voulu m'taire comme ma mère me l'aurait conseillé, mais c'est-y possible de ne pas répondre à des questions qui m'sont posées ? J'crois pas, non ! Alors je lui réponds sans le regarder, comme ça, comme ça vient, en ramassant toutes les cochonneries qui traînent par terre.

- Pourquoi qu'ça serait pas grand des histoires, hein ? Vous croyez que j'ferais mieux d'causer de poissons toute la journée ? Je m'demande bien comment vous faites, sans histoires, c'est vos journées à vous qui doivent être ennuyeuses à mourir ! C'est pour ça qu'vous vous amusez à tout balancer par terre ? J'trouve pas ça plus amusant moi, enfin, après tout, c'est pas vous qui ramassez...

Il part ensuite dans du charabia que je comprends pas : j'crois que j'ai prouvé le contraire de quelque chose, mais j'arrive pas à savoir si c'est une bonne nouvelle pour lui. Mais bon ! C'est son problème, ça, les gens d'la haute, ils pensent toujours trop, trop lentement, et c'est souvent tordu, impossible de suivre leurs idées. C'est bien pour ça qu'c'est aussi distrayant de parler d'eux ! Par contre, il parle de Morgred, alors là, oui, c'est un sujet que je connais bien ça. C'est-à-dire que moi j'le connais, mais allez savoir pourquoi, là aussi, je ne comprends rien aux chichis de M'sieur Duval. Mais j'fais quand même semblant de comprendre, parce que je crois que pour une fois je suis bien d'accord avec lui.

- Pour sûr, ce vieux bougon c'est un vrai croyant. Mais le plaignez pas trop : il a beau râler, c'est d'sa faute si ça marche pas bien pour lui. Vous vous rendez compte que sa femme travaille pas et qu'il a trois gamines à nourrir ? Par contre, ça, faut l'dire, il est pas tout le temps fourré à la taverne comme mon Jean, puis c'est un bon pêcheur.

J'ai un petit sursaut de dégoût me penchant à côté d'un meuble : une souris crevée, là, coincée entre le buffet et le mur ! Toute sèche, on commence à voir les os apparaître... Ah, ça, les souris, elles savent pas si on est riche ou pauvre, elles s'posent pas tant de questions ! Au moins, elles, elles se relèvent pas après coup pour venir vous becqueter... Mais j'oublie vite cette vision, parce que l'archi... tecte ! s'est levé, alors que je lui avais dit de pas l'faire... Je m'mets à rire un peu.
Il est parti sur encore un aut' sujet maintenant ! Bien sûr que j'connais mon affaire ! Pourquoi j'en douterais ? Mais il faut toujours avoir plusieurs fers au feu, surtout maintenant que tout peut changer du jour au lendemain. J'vais pas cracher sur l'aide des dieux quand même ! Je m'en rappelle encore très bien, moi, de ce jour où les Fangeux sont rentrés en v... Oh ! L'ingénieur vient de m'tendre une petite sculpture et je la récupère dans sa grande main calleuse. Je l'examine sous tous les angles.

- Oh ! Ça alors ! Il m'a l'air bien fait, tout bien partout... J'vais le garder, ça oui, j'le ferai bénir par un prêtre la prochaine fois qu'j'irai au temple. Chacun ses p'tites occupations, hein ? Voyez, les journées ennuyeuses...

Et puis... Et puis soudain, il change encore de visage et commence à s'rapprocher de moi. Voilà Mariotte, t'as tout gagné, qu'j'entends ma mère me dire.
Bon sang, j'ai peur... Mais... Mais... C'est qu'il voudrait bien me bécoter en fait ! Alors oui, j'ai toujours aussi peur, parce que là, j'suis pas dans la rue comme d'habitude, j'ai pas envie d'rire. Mais si j'me bouge pas maintenant, qui sait ce qu'il va vouloir faire après, hein ? J'les connais les hommes, toujours à vouloir faire des cochonneries, c'pas toujours agréable, et puis, parfois, en plus, ça dérape. Alors oui et encore oui, j'ai vraiment peur. Mais je m'recule vite, je m'cogne dans le meuble, pas l'temps d'y penser, je mets une table entre lui et moi, et je finis par atteindre la porte, vite, l'air du dehors, je sors de la cour, encore plus vite, dans la rue... Et j'me mets à éclater d'un rire nerveux, bêtement. Il m'a pas poursuivi. Je m'sens mieux, là, dehors, dans mon élément, dans cette rue qui ,avec les gens qui m'regardent étrangement, et ceux qui m'bousculent sans me voir. Alors je r'passe la tête par l'entrée de la cour, et je lance fort avant de repartir vers chez moi :

- M'sieur Duval ! Vous oubliez pas ma charrette demain hein ! Et r'posez vous, même si j'vois qu'vous avez encore la fougue d'un jeune homme !
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