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 Comète filante — Goupil

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IsoldeQueen
Isolde



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MessageSujet: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyLun 7 Fév 2022 - 11:14
15 Mai 1667.

Sur l'horizon, les fragiles rayons s'embrasaient de reflet vermillon. Tout le ciel se consumait de ce feu sans que la moindre chaleur s'en dégage. Isolde passait la plupart de ses journées livrée à elle-même et plongée dans l'ennui quand Kaïne n’était pas là.
Depuis quelques jours, et secrètement, elle avait pris l'habitude de descendre en ville déguisée en garçon. Quelques habits usagés empruntés à son frère jumeau, un foulard pour dissimuler sa chevelure chocolat, un chapeau vissé sur la tête suffisaient à tromper son monde. Elle tâta sa ceinture, juste sur son bassin, la présence rassurante de l’arme de Priscilla qui ne la quittait pas lorsqu’elle sortait et qu’elle devait se défendre ou juste être suffisamment dissuasive.

Longeant le rebord du Temple en pente en jurant après avoir sauté d’une fenêtre, Isolde poursuivait ses acrobaties. Elle se laissa glisser sur quelques enjambées prudentes, plaquant brusquement son dos contre le mur du temple en entendant la voix de quelques membres du clergé, haletante. Elle chercha un passage plus discret à grands coups d'yeux vifs, progressa de plusieurs pas sur sa droite, longea la longue extrémité d’un muret avant de quitter le quartier du temple aussi discrètement qu’un félin.

Pinçant son chapeau à l’aide de son index, elle le repositionna correctement sur son crâne puis contempla le Temple de longues secondes avant de se faufiler comme un chat de gouttière dans les rues. Plantant ses mains dans ses poches et changeant sa démarche pour paraître plus masculine, Isolde profitait de ces escapades pour traîner vers le port, dans les tavernes, écouter les anecdotes de l’extérieur avec l’espoir tacite de remonter la piste des bannis. Pénétrant dans l’écumeuse, à la suite d’un équipage marin éméché, emboîtant leur pas comme si elle était avec eux, elle les quitta d’un pas agile et souple pour se diriger vers le comptoir alors qu’ils s’avachissaient sur la table en hurlant de rire. Elle croisa quelques prostituées sur son chemin qui la saluèrent et lui envoyèrent des œillades enjôleuses. Isolde poursuivit en baissant la tête, les joues fulminantes de gêne. Prenant place sur une chaise, elle remarqua qu’un homme qui fixait toute son attention sur sa bière, juste à l’angle, proche d’elle, leva les yeux pour l’observer d’un regard pénétrant. Presque insistant.

« C’est quoi ton nom l’môme ? » S’énerva le marin, la mâchoire serrée, agacé. « J’t’ai jamais vu par ici. »
« Léo, je m’appelle Léo. » Tenta Isolde dans une confiance feinte.

« T’as pas mué ou quoi ? T’es puceau, tu viens t’vider ? » Se moqua le vieux loup marin avant de la balayer d’un coup de regard lent, avant de se freiner au niveau de ses reins, interdit, et de retentir un sifflement admirateur. « Joli arme que t’as là, mon p’tit. Tu les aimes tranchantes, hein ? »

Isolde hocha la tête vivement.

« Tu fais parti d’quel équipage, t’es mousse ? » Demande le vieil homme en lui lançant plusieurs coups d’yeux suspicieux.

« Ouais, d’ceux-là. » Désigna-t-elle d’un geste du pouce nonchalant l’équipage trop saoul pour se rendre compte de ce qui était en train de se passer. « Ils sont ivres, moi, j’essaie de garder la tête sur les épaules. Sinon le pont va être dégueulasse. » Hasarda-t-elle tout en improvisant, s’étonnant de l’aisance avec laquelle elle pouvait mentir.

La pupille du marin se dilata brutalement, sa main calleuse partit subitement saisir le revers de la chemise d’Isolde pour l’attirer jusqu’à lui.

« Tu devrais faire attention où tu traines, petit. Être mousse, c’est pas facile. Pourquoi tu te diriges pas vers une vie plus honnête ? » Provoqua-t-il.

Isolde leva une main en grimaçant, l’autre se glissant rapidement en un réflexe instinctif sur la dague.

« Hé, je veux pas d’histoire. »

Elle se dégagea sans ménagement, presque violemment, manquant de chuter de sa chaise, provoquant un mouvement de balancier dangereux, elle se rééquilibra sur son siège en posant sa main sèchement sur le comptoir, braqua son regard en le sien pour le fusiller. Le vieux marin laissa échapper un rire franc, la couvant d’un regard très appréciateur.

« Tu m'plais bien toi.J’aime bien ce tempérament et ce regard, gamin ! » Siffla-t-il, avec une lueur d’intérêt.
Levant la main lentement, on lui déposa une bière sous le nez et elle en but une longue gorgée rageuse.

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Le Goupil



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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyLun 7 Fév 2022 - 17:34

« Renard et la mésange »*
15 mai 1167

— T'as encore perdu, mais... comment tu fais ? s’esclaffa son adversaire en jouant du dé.
— Le talent.

Enivré, Le Goupil partit d’un rire que son complice reprit, quoiqu'ils soient bientôt surpassés par l’entrée fracassante d’un petit groupe de marins.

Son partenariat fraîchement conclu avec Mariotte, sa recherche du dénommé Loghart et ses affaires professionnelles habituelles conduisaient le marchand à arpenter régulièrement les quartiers portuaires. Ce soir, comme à l’accoutumée, il avait inévitablement atterri dans une énième taverne où il s'était trouvé quelques volontaires dignes de ce nom, pour s’enivrer et jouer en sa compagnie.

Enjouement, cris et rixes relevaient d’un quotidien bien rôdé dans la très grande majorité des auberges des quais – la faute, selon certains, à la forte présence de marins que d’aucuns jugeaient trop vulgaires. Assurément dans l’esprit du renard, celle qui éclata au comptoir n’aurait pas fait d’ombre à celle qui, simultanément, avait point à l’opposé de la pièce, s’il n’y avait eu un poignard suspendu – presque exhibé – à une ceinture.
Ainsi, alors que le contrebandier s’était levé pour réapprovisionner un pichet vidé depuis trop longtemps, ses bésicles avaient naturellement accroché la poignée, saisi l’élégance de la garde, deviné le fil de la lame à travers le fourreau. Pour avoir vu cette arme à de nombreuses reprises, parfois de près pour quelques malheureuses paroles, le roublard aurait pu la reconnaître entre mille. Plus précisément, il aurait pu reconnaître chacun des deux exemplaires constituant une paire qu’il savait aujourd’hui séparée. Or, le profil de l’individu face à lui ne correspondait ni à celui de la propriétaire originelle, ni à celui de la mystérieuse égarée voleuse de cœurs.

D’un pas titubant qu’il accentua volontiers, Le Goupil se dirigea vers le comptoir où il posa maladroitement – avec un peu trop d’aplomb par ailleurs – la cruche désespérément creuse. Lever la dextre pour commander de nouveau du vin parut alors être une entreprise périlleuse, qui lui valut de basculer malencontreusement sur ce jeune mousse, occupé à boire sa bière.

— Ooooh, mes excuses ! Vrrrrraiment navré ! J’ai perdu l’équil… l’équilibre ! prétendit-il en prenant appui sur l’épaule de sa victime.

Mais alors que son haleine et le timbre de sa voix inspiraient l'ivresse, les doigts de sa senestre profitèrent de la diversion pour crocheter le manche de l’arme et la soustraire discrètement de son fourreau.
Soudain sobre à nouveau – du moins, pas assez enivré pour s’écrouler aussi ridiculement sur les malheureux qui croisaient sa route –, le renard se redressa en brandissant l’arme entre ses mains, la hissant à hauteur d'yeux pour mieux l’observer sous tous les angles.

— C’est une belle pièce, affirma-t-il en s’écartant d’un pas souple, au cas où le propriétaire abusé aurait dans l’idée de l’interrompre, du métal de qualité, un travail digne d’un maître et des finitions comme on n’en voit plus. De quoi susciter les convoitises. Assurément, cette lame vaut son pesant d’or et j’ai du mal à comprendre qu’un objet aussi prestigieux puisse être en possession d’un gamin aussi insignifiant que toi, alors… À qui l’as-tu volé ? s’enquit-il en cherchant les prunelles de son interlocuteur, comme s’il désirait en sonder l’âme.

Avant de se prêter à l’exercice, le roublard partit cependant d’un éclat de rire.

— Je plaisante, je plaisante ! Tiens, je te la rends.

Dans un sourire affable, le marchand tendit l’arme à son propriétaire. Au lieu de la relâcher, il parut pourtant hésiter au dernier moment.

— Shh ! Attends… Entends-tu cela ? Là, tu n’entends pas ? s’enquit-il en pénétrant le regard du jeune client, la lame se lamente. Elle semble... pleurer ou... appeler son âme sœur.

Sans résistance, le renard céda sa prise aussi aisément qu’il l’avait subtilisée, reportant son attention sur son pichet et hélant cette fois sans difficulté le tavernier, afin qu’on le serve une nouvelle fois. Lorsque ce fut chose faite et comme si les derniers évènements n’avaient tout simplement pas eu lieu, il se détourna du comptoir pour rejoindre la table précédemment quittée.

Assurément, pourtant, il garderait le garçon à l’œil. Du reste, le comportement à venir du jeune homme devrait suffire à l’éclairer, tant sur son identité que sur ses intentions et connaissances.
__________________
* : dans le Roman de Renart, le goupil, affamé, réclame un baiser à la mésange. Ni folle ni idiote, l’oiseau le lui refuse, mais le bougre se montre insistant et lui promet de fermer les yeux. Bon gré mal gré, le passereau cède sans toutefois se laisser berner : par deux fois, Renart manque de la croquer. Alors qu’il prétend plaisanter, que la troisième sera la bonne, de fins limiers accourent droit sur eux. Sitôt, le roublard prend la fuite, la mésange à sa suite. Les rôles s'inversent alors, et tandis qu'elle lui demande de s’arrêter pour lui offrir ce baiser tant désiré, lui s'y refuse, bien trop apeuré ! Mais, à ton avis, mon rossignol, y aura-t-il des chiens pour te sauver, ici ? ;]
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyMar 8 Fév 2022 - 11:16
Elle bascula brutalement vers l’avant, manquant de recracher sa gorgée, sa trachée se bloqua sèchement et partie dans une affreuse quinte de toux, déclenchant l’hilarité du marin juste à côté. L'homme ivre qui venait de la percuter, aussi grand et maigre qu'un mât de pirate, l'observait avec une réserve facétieuse. Ses yeux se plissaient au fond d'un visage émacié, cerné d’un quelque chose d’indéchiffrable. La couleur de ses yeux lui évoqua un océan pétrifié, entouré d’une glace éternelle.

« Bah tiens, l’marmot, c’est qu’il a pas l’habitude d’boire, arf arf arf ! » Se moqua-t-il de bon cœur en lui tapant dans l’épaule d’une camaraderie virile, qu’elle esquiva d’un geste élégant.

Elle se mordit la lèvre, braqua un regard furieux sur le vieux loup qui exagéra un lent et fin sourire. Isolde s’apprêtait à détourner le visage pour l’ignorer jusqu’à ce qu’un détail lui taquine le coin de l’œil. Basculant à nouveau vivement le visage vers l’homme, ce dernier s’amusait à tenir l’arme qu’elle protégeait avec la ferveur d’une nonne entre ses mains, la maniant avec une dextérité évidente, comme s’il retrouvait une vieille amie.
Une première question : Comment ?
Mais déjà, une autre réponse la percutait avec la vitesse d’une comète.

Il la connaissait.

Isolde ne le lâcha pas du regard, à l'affût d'un signe qui sonnerait l'assaut. Son sang afflua en grande houlées chaudes dans ses veines ; son instinct suivant chaque mouvement de l’inconnu avec prudence. Sa main s’était posée sur le poignet de l’homme et elle tira lentement dessus, le regard vif et vigilant, comme si elle enroulait une ligne vers elle. Elle sentit d’abord une légère résistance, ranimant sa tension, avant qu’il ne se fende d’un sourire convaincant.

Même le vieil homme resta muet dans leur imprévisible échange, déclenchée par une phrase innocente. Ses yeux dévisageant les deux face à face, agrandis son incompréhension.

« Je ne l’ai pas volé. » Se défendit-t-elle, avant de hacher entre sa mâchoire contractée tout en reprenant la lame pour la glisser dans sa garde. « C’est un…emprunt. » Répondit-elle, à mi-chemin entre le roucoulement de l’oiseau et le feulement du chat.

Leurs regards se toisèrent. Isolde sentait la soif de savoir du Renard, distinguait la menace déguisée derrière son sourire affable mais n'afficha aucune peur. Elle prenait la mesure de celui qui lui faisait face avec un calme traître. Malgré son flegme apparent, ses jambes se fléchirent imperceptiblement sur sa chaise. Elle aurait pu bondir, la panthère, toutes griffes dehors, dans un claquement de bois. Mais l’homme la délaissa sur des paroles bien mystérieuses et elle s’efforça de rester concentrée sur un point fixe sans se montrer troublée.
Isolde resta néanmoins songeuse à ses paroles, soupesant le bon sens et examinant l’arrière-goût caché. Un tapotement impatient, un frémissement au bord des lèvres, elle descendit sa bière d'un seul trait.

Fais chier. Pesta-t-elle, sachant pertinemment qu’elle s’engouffrait dans la toile qu’il venait parfaitement de lui tisser.

Elle se leva puis pivota nonchalamment sur elle-même avant de balayer l’ensemble de la salle. L’équipage beuglait et riait, le vieux marin semblait à nouveau être obnubilé par son verre, et l’inconnu ne se trouvait pas très loin. Suffisamment à la vision de tous ; elle prit sa décision.
Veillant à ne pas avoir une ondulation de hanches trop féminine qui pourrait l’aiguiller sur autre chose. D’un roulement habile des omoplates, elle voûta ses épaules avec nonchalance, détruisant à nouveau sa démarche de panthère en celui d’un jeune garçon pataud et maladroit. Elle s'approcha d'un pas résolu ; l'inconnu suivait ses gestes avec la circonspection d'un renard face à une mésange. Isolde tira une chaise face à lui, se laissa tomber dessus, retira son chapeau avec un soupir et las et s'essuya le front d'un geste machinal avant de le reposer sur sa tête.

« J’préfère être ici. » Se justifia-t-elle d’un ton peu assuré, sous couvert d’un intérêt pour l’homme qu’elle préféra pour l’instant dissimuler sous de la fausse maladresse. « Ce con m’exaspère. »

Elle se laissa un peu plus glisser en arrière avant de poser sèchement sa botte boueuse sur l’autre chaise, juste à côté du Goupil ; lui renvoyant le sourire sans chaleur comme il lui avait fait bien plus tôt.

« Léo. » Fit-elle en déclinant son bras sur le dossier de son siège, lui donnant un air plus désinvolte que réellement concentré. Elle se redressa vivement, comme ces gamins exaspérant par leur enthousiaste et lui tendit sa main gantée pour ne pas distinguer ses doigts féminins. « Vraiment… Tout l’plaisir est pour moi, m’sieur. »

A nouveau, elle se laissa retomber sur sa chaise.

« ‘Savez, j’ai pas compris c’t’histoire d’âme sœur, d’amour et tout… Jamais connu ça, voyez. La vie en mer est rude » Fit-elle, espérant qu’il morde suffisamment à l’hameçon. « Alors, bah… » elle haussa les épaules avec négligence. « …J’me disais que vous pourriez p’têtre m’éclairer un peu plus. »

D’un geste un peu trop vif, elle dégaina sa dague de sa garde et le posa sur la table. Grinçant intérieurement des dents devant ce geste spontané, elle l’avança vers les mains convoitées du Goupil.

« Sentez-vous libre de regarder, surtout. » Fit-elle, souriant fièrement.

Cette fois-ci, elle attendait patiemment, descendant un peu plus son chapeau pour dissimuler son regard brillant.
Tu mords ou pas ?
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyJeu 10 Fév 2022 - 10:37

« Renard et la mésange »
Ferré.

Les yeux arrêtés sur la silhouette du garçon et un rituel pressenti, le renard esquissa un sourire plein d’une assurance désagréable, à l'arrière-goût victorieux. Pourtant, rien, dans l’attitude du morveux ou dans ses paroles, n’aida le contrebandier à y voir plus clair.
Au comptoir, le freluquet avait évoqué un emprunt sans que Le Goupil n’en croie un traître mot. Il était en effet convaincu que tout individu, à qui Priscilla confierait l’une de ses lames, ne la transmettrait à personne. En tous cas pas de son plein gré. Or, le môme qu’il avait sous les yeux, dans la fleur de l’âge, ne correspondait pas au profil du seul possesseur légitime de l’arme.

Soit la dague passait de main en main depuis un malencontreux accident rencontré par la demoiselle voleuse de cœurs, soit son interlocuteur mentait.

En phase d’observation, le visage du roublard avait quelque chose de figé. Sa tête se mouvait sensiblement au gré des remarques et déplacements dans la salle – comme pour convaincre quiconque qu’il vivait toujours en dépit du masque qu’arboraient ses traits –, mais ses yeux demeuraient fixés sur ce jeune homme face à lui. Aucun des gestes du garçon – sinon cette main tendue que le marchand saisit brièvement par mimétisme – ne l’amena à revoir son expression ou à interrompre son analyse. Il resta immobile et mutique quelques secondes encore, après l’invitation du mousse, jusqu’à ce que celui-ci rompe le contact visuel d’une inclinaison de la tête.

Avec lenteur, le renard déroula sa colonne vertébrale pour se caler contre le dossier de sa chaise, renouer avec les membres d’un corps dont il réajusta enfin la position.

— J’ai un certain sens du détail et une mémoire pas trop mauvaise, avoua-t-il en souriant davantage, retrouvant peu à peu un esprit vif, balayé par un trouble momentané, je connais cette arme. L’étudier est donc superflu, mais...

Mais il ne se priva pas de refermer ses griffes sur la poignée afin de ramener l’objet à lui. Cette fois, pourtant, il ne l’observa pas, son regard de nouveau dardé sur cet étrange emprunteur tandis que sa carcasse basculait en avant. Avec une lenteur exagérée, comme pour mieux souligner l’imprudence du garçon, le contrebandier croisa ses bras sur la table, la dague dissimulée derrière ce modeste rempart de chair.

— Tu as de la chance d’être en possession d’un tel bien, tu sais. Ou plutôt… de te l’être vu ainsi confié. Tu détiens là une lame célèbre, non pour un pouvoir qu’elle posséderait ou l’usage auquel elle aurait servi en des temps oubliés, mais pour son propriétaire initial. Par-delà les fortifications, dans une contrée qu’il serait naturel de croire abandonnée, tu ne croiseras pas un Homme qui ne connaît pas cette lame et qui ne sera pas en mesure de la rattacher à une personne. Moi, je connais cette personne. Un heureux hasard a voulu que nous nous parlions, récemment, et… Elle a évoqué un prêt. Elle m’a aussi brièvement dépeint son débiteur, expliqua-t-il en se penchant en avant, d’une manière si appuyée que son torse couvrit ses bras et emprisonna ainsi, dans une cage osseuse, la dague au cœur de la discussion, et de toi à moi, tu ne corresponds pas tout à fait à la description, alors… forcément, je m’interroge, susurra-t-il sur le ton de la confidence.

Dans un éclat de rire fugace, le contrebandier se redressa d’un bloc, dévoilant une table rendue vierge par la disparition d’une arme qu’il conversait à présent contre son buste, les bras toujours croisés.

— Je traîne pas mal au port, enchaîna-t-il apparemment sans lien, des marins, j’en rencontre à la pelle. Les exemples ici ne manquent pas, tu ne me contrediras pas, hm ? gloussa le fourbe, ils emploient tous les mêmes mots : la vie en mer est rude, et le fait est que je le constate. C’est une chose qui… se voit. Tu veux savoir pourquoi ? demanda-t-il de façon rhétorique, parce que l’océan n’est jamais vraiment calme, que les vagues et le vent charrient constamment le sel, que le soleil cogne toute la journée, sans interruption, tandis que les coins d’ombre sont rares, sinon inexistants. Alors forcément, quand un marin à la peau grêlée, tannée, te dit que la vie en mer est rude, tu as envie de le croire, du fond de tes tripes, concéda-t-il dans un sourire, l’une de ses mains quittant sa cachette pour gratter sa barbe du bout des ongles, d'un air nonchalant, à l’inverse, lorsqu’un gringalet au teint frais comme la rosée du matin prétend qu’il est mousse et que son existence est difficile, tu doutes.

À ces mots, les yeux du renard s’écarquillèrent, comme s’il était brutalement frappé d’une illumination.

— Oh non... J’ai recommencé, n’est-ce pas ? hasarda-t-il avant de soupirer longuement, l’air soudain contrit, ah ! pardon. Vois-tu, mon jeune ami, il m’arrive d’arpenter les chemins au-dehors, dans ce monde de chaos où toutes sortes de montres vagabondent librement. Malgré moi, je deviens de plus en plus méfiant, et… Ah ! je suis navré que tu aies eu à souffrir de cette fâcheuse tendance. Tiens ! Parlons plutôt de cette histoire d’âme sœur. Avec tout cela, je ne t’ai pas éclairé sur la question ! suggéra-t-il dans un sourire trop avenant pour être sincère, j’ai même mieux encore ! En amour, rien ne peut être expliqué, tout doit être vécu, alors…

Avec vivacité, le contrebandier abattit une main osseuse sur la table, dans un bruit sourd. Et tandis que sa senestre exhibait trop fièrement la poignée d’une arme qu’il n’entendait pas lâcher avant d’avoir obtenu les réponses à ses interrogations, la lueur dans ses iris clairs, ayant feint plus tôt un regret profond, cédait désormais le pas à la malice à l’état pur.

— Mesdemoiselles ! harangua-t-il d’une voix puissante, pour couvrir au moins en partie le brouhaha ambiant, je suis certain que l’une de vous se fera une joie d’apprendre les délices de l’amour à mon jeune ami ! poursuivit-il sans détourner les yeux de son interlocuteur, fais-toi plaisir, je t’en prie. Pour me faire pardonner ma méfiance excessive, c’est moi qui régale.

Et l’étirement exagéré de ses lippes, d’accentuer plus encore une sournoiserie suintant déjà par tous ses pores.
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IsoldeQueen
Isolde



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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyDim 13 Fév 2022 - 17:42
Les paroles mielleuses s'enfonçaient dans sa poitrine comme un point de pression, comprenant quelle était la cible de cette méfiance malicieuse. Ses mots envahissaient tout l'espace, martelait son crâne d'une charge digne d'une deuxième comète. Isolde l'observait, cet habile mélange de sournoiserie et d'intelligence qui s'érigeait en une muraille fluide, avalant sa première défense et la dague avec gourmandise. L'onde de choc arriva et ses mots se changèrent en étincelle. Tout son raisonnement se répandait comme une traînée de poudre alors qu’il se resserrait comme un étau autour d’elle. Isolde ne cilla pas, étant dorénavant sûre qu’il connaissait Priscilla, qu’ils avaient avait parlé d’elle. Mais alors qu’elle s’apprêtait à répondre, l’homme frappa d’un bruit mat la table, intimant un silence intrigué, sommant la compagnie des catins.

Isolde l’observa et secoua la tête vivement. Sa nuque s'érigea d'un fourmillement et son instinct s'alarma de cette présence hostile qui s'approchait d'elle comme un renard en chasse, humait sa trace, soufflait dans son cou avec sa truffe humide.

« Attends… J’ai… Pas… » Bégaya-t-elle, une lueur alarmée dans le regard.
Mais déjà, deux catins s’avancèrent. L’une, celle qui lui avait fait l’œillade aguicheuse à son entrée, blonde aux formes pulpeuses. L’autre, brune, aux formes un peu plus modestes mais au visage plus harmonieux, trouva refuge auprès du Renard en prétextant qu’elle n’allait pas laisser son ami à la table avec deux hommes.

« Oh, bonjour vous deux. Je suis Elena. » Fit la charmante catin avant de prendre place à côté d’Isolde en s’installant directement sur ses genoux. Léo la rattrapa maladroitement en glissant son bras juste en bas de son dos pour éviter qu’elle ne tombe au sol dans son élan, meurtrissant son genou contre l’un des pieds de la table, Isolde laissa échapper un juron douloureux. « Oh ! Jolis réflexes mon chaton, c’est très gentil ! » Ria-t-elle en l’embrassant directement sur ses lèvres pincées. « Tiens, pour te remercier ! »

« Y’a pas de quoi. » Murmura du bout des lèvres Isolde d’un air un peu lugubre tout en fusillant cette fois-ci Goupil du regard qui semblait se moquer silencieusement de cette scène.
La catin fit glisser des doigts habiles sous sa chemise et Isolde en frissonna.

« T’as besoin d’une bonne dose de soulagement, mon petit ? » Murmura-t-elle en déclinant la tête sur son épaule avant de la nicher totalement dans son cou, soufflant un air brûlant contre sa peau ponctué qu’un gémissement langoureux. « Je n’aime pas voir cet air un peu renfrogné sur ton visage, ton ami te le dira aussi. N’est-ce pas ? » Sourit-elle à l’adresse du Goupil.

Le Goupil la dévisageait avec un sourire en coin, un pétillement sournois dans les prunelles, comme s'il s'amusait de la situation. Isolde plissa les lèvres sur une moue contrariée. Ses yeux pâles la contemplaient sans ciller, à l’affût de la moindre faille, d’une quelconque hésitation qui la trahirait et lui ferait remonter entièrement sa piste.
Le renard affichait l'assurance confiante à celui à qui l'on ne refuse rien. Elle s’efforça de rester concentrée alors qu’elle sentait les doigts de la catin caresser la peau de son dos, butant contre les bandages qui aplatissait sa poitrine mais n’en faisant curieusement aucun commentaire. Son autre main valide pressant le bas de sa cuisse remonta doucement jusqu’en haut avec une langueur calculée avant qu’elle n’y dessine quelques arcs de cercles distraits. Elle freina sa course avant de chuter avec une lenteur exagérément curieuse entre ses cuisses.

D’un geste sec de la main, Isolde la freina en lui saisissant sèchement le poignet.

« Tu peux m’attendre en haut, beauté ? » Fit-elle en tentant de chasser le trouble insidieux dans sa voix alors qu’elle enfonçait bien plus profondément son regard dans celui du Goupil, les joues brûlantes. « J’arrive. »

La catin sembla troublée par ce ton sec et sans appel à la négociation, échangea un regard interrogateur au Goupil.

« Mais mon chou… » Protesta-t-elle en se lovant un peu plus contre lui. « Regarde Bénédicte avec ton ami, ils sont très mignons ensembles, qu’en penses-tu ? » Mais Isolde se recula modestement, incitant à une certaine limite qui, au lieu de calmer la jeune prostituée, attisait le désir.

Bénédicte sourit et vint échouer sa tête avec une élégance feinte sur l’épaule du Renard. Avant que le Goupil ne s’esclaffe et n’encourage la duperie, elle se chargea de prendre les devants pour éloigner cette opportunité d’un geste vague de la main pour réprimer sa fierté vexée.

« Comment va Priscilla, dis-moi ? » Lâcha-t-elle brusquement, l’air de rien. Suffisamment spontané pour piquer son intérêt dans une autre direction, suffisamment assez évasif pour aviver davantage l’envie sournoise de creuser un peu plus. Basculant la tête sur le côté, elle plissa les yeux comme chat curieux. « Ça fait vraiment un moment que je ne l’ai plus vu. » Désignant la lame piégée entre ses doigts d’un geste lent du menton, elle lui offrit un fin sourire. « J’imagine qu’elle doit lui manquer. »

Sa phrase s'acheva sur un sous-entendu évident. Était-ce un homme ou une femme qui s'exprimait ? La douceur trompeuse du timbre se voulait perturbant. Il était suivi en réponse d'un filet de murmure si ténu qu'Isolde prit bien soin qu'il n'en saisisse que des bribes tandis qu’elle quittait la table, la contournant avant de se trouver dos à lui. Remontant habilement ses mains sur son dossier en bougeant ses doigts comme des araignées agiles avant d’en agripper le haut avec un peu plus de fermeté, elle se pencha et glissa à son oreille.

« Alors, vois-tu, j’aimerais la récupérer... » Demanda-t-elle plus par le souci de rhétorique qu’attendant avec patience l’aval d’un « oui ». Sa poigne se resserra sur le dossier de la chaise, passant lentement sa main par-dessus son épaule pour la plonger dans cette prison d’os. « J’veux dire, c’t’un emprunt et… » Sa voix changea d’intonation à nouveau, sa réplique suivante se noya dans un chuchotement. « J’aimerais bien la rendre à ma débitrice en main propre, faut dire que tu m’as l’air pas mal occupé là. »

Elle lui offrit un lent et sourire moqueur.

« Bénédicte, je crois que mon ami ici présent a besoin de te sentir un peu plus contre lui. »

Et qu’elle se blottisse un peu plus contre lui pour le piéger contre sa chaise en restreignant ses mouvements.



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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyJeu 17 Fév 2022 - 22:00

« Renard et la mésange »
Sans détourner les yeux de sa proie, le renard écarta largement un bras pour y accueillir bien volontiers la tentation, venue se lover à ses côtés pour de fausses raisons.
Derrière ses bésicles aux verres ternis, les orbes clairs du contrebandier analysaient chacun des mouvements et expressions du mousse en quête d’un indice sur ce qu’il était ou prétendait être. Il goûtait des mots qui ne lui étaient pas destinés dans l’espoir de mieux en apprécier le timbre. Ce n’était toutefois pas parce qu’il relevait l’ombre d’une crainte aussi grande que furtive, parce qu’il devinait la tension d’une silhouette au passage des caresses, parce qu’il percevait la virulence d’une injonction, qu’il parvenait à en comprendre les causes.

L’impasse dans laquelle il se pensait prisonnier vola en éclats à la mention d’un simple prénom. Priscilla. À dessein, le roublard n’avait pas évoqué la bannie de son propre chef, il n’avait pas même sous-entendu le sexe du propriétaire de l’arme, pour mieux se retrancher prudemment derrière une « personne ». Cet excès de cautèle persistait encore, alors que les interrogations s’effaçaient les unes à la suite des autres.
Soit, Léo connaissait l’égorgeuse, mais l’information n’aurait-elle pas pu être arrachée à la voleuse de cœur elle-même, à la supposer dans une situation épineuse qui lui aurait valu de céder le poignard sous la contrainte ?

Sans que son sourire souffre de ces questionnements, le regard du Goupil étudia plus attentivement les traits d’un visage qu’il discernait finalement assez peu, chercha en vain des mèches de cheveux trop précautionneusement dissimulées sous un foulard, égratigna la surface de gants recouvrant des mains dont il n’arrivait pas à déterminer le gabarit.
De certitudes, le renard n’en avait aucune, mais il avait décidément trop de soupçons pour croire, sur sa seule parole, que son interlocuteur était ce prétendu Léo, obscur mousse à qui la mer menait soi-disant la vie dure.

Mutique, il se garda bien de répondre aux questions, remarque et supposition du garçon, ne bougea pas lorsqu’il fit mine de se lever pour contourner la table et se placer ainsi dans son dos. En dépit d’une légère tension dans son échine, le roublard fit l’effort d’attendre la suite des évènements, éclata d’un rire presque franc à l’instant où les mâchoires du piège se refermèrent sur lui.

— D’accord ! Allons, allons, il y a décidément beaucoup trop de femm-, s’interrompit-il de lui-même, en libérant le poignard pour laisser, à son possesseur, le soin de le reprendre, familiarités entre nous. Nous nous connaissons si peu, après tout.

Délesté de la lame, le renard désigna les escaliers d’un signe de tête à la catin qui semblait si peu prompte à le lâcher, se leva ensuite en se massant la nuque pour en chasser les dernières tensions.

— Je t’envie de rester si parfaitement insensible à ces charmes, si délicieusement exhibés. Personnellement, je n’y résiste pas et m’en vais d’ailleurs satisfaire quelques pulsions primaires, l’avertit-il dans un gloussement, cela étant dit… Lorsque l’heure sera moins à la fête et davantage à la somnolence, que les regards et les oreilles n’épieront plus, sens-toi libre de venir me trouver, Léo.

Un rictus en coin et un clin d’œil appuyèrent des déclarations qui se perdirent dans le brouhaha, cependant que le roublard emboîtait le pas à cette Bénédicte, jusqu’à l’une des chambres.

Le contrebandier n’aurait su dire combien de temps il lui fallut attendre l’incertaine arrivée du mousse, tandis qu’il ressassait des questionnements bien loin desquels se situait la catin, désormais endormie, avec laquelle il avait partagé sa couche.

Forcément, lorsque l’on frappa enfin, le sourire du Goupil s’imposa.

— Entre ! s’exclama-t-il en gagnant le lit pour y réveiller son amante aussi délicatement que possible, trésor ? Debout. File, il s’agit là d’une affaire privée.

Bon gré mal gré, la putain se leva, emporta avec elle les modestes draps comme elle quittait la salle. Le renard ne parla de nouveau que lorsqu’il claqua lui-même la porte.

— Fais comme chez toi, je t’en prie. Mets-toi… à ton aise, gloussa-t-il, rejoignant l’unique fenêtre de la pièce pour la refermer, à présent que l’air frais de la nuit avait remplacé cette touffeur trop courante dans les étroites chambres de bouge.

Avec ses chausses pour seul vêtement, le roublard exhibait une musculature sèche révélée sur le tard, à force de crapahuter au cœur des marais, que sa maigreur achevait de souligner. Plus que la finesse d’une silhouette que l’on devinait agile, c’était peut-être encore vers les cicatrices marbrant de trop nombreuses parcelles de peau que le regard se trouvait attiré. À la façon que le renard eut d’écarter les bras dans un large sourire, on eut pu légitimement croire qu’il les exposait avec fierté.

— Bienvenue, Léo. Pour commencer, que dirais-tu de me livrer ton véritable nom ? Car, indubitablement, celui-ci ne te rend pas grâce, s’amusa-t-il en appuyant son corps contre le mur, juste devant la fenêtre, ensuite, nous pourrons parler du poignard… ou de celle qui en est le propriétaire légitime, à ta guise.

Dans un ricanement, la tête du roublard s'inclina sur son épaule droite.

— Tiens, en gage de bonne foi : l'on m'appelle Le Goupil. Quant à la réponse que je ne t’ai pas donnée tout à l’heure : Scilla se porte bien. Elle sera ravie d’apprendre que tu t’en soucies.
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptySam 26 Fév 2022 - 18:42
Alors qu'elle resta debout et songeuse en suivant du regard le dos du Goupil disparaître à l’étage. Isolde avait investi un recoin discret qu'elle affectionnait, s’y attablant en poussant un soupir d’aise tout en déposant ses bottes sur la table. Juste en face d'elle, le fameux escalier qui menait à l’étage qu'elle fixait d'un regard attentif, semblant encore hésiter à s’y rendre. Elle resta assise un long moment, premièrement, pour être sûre qu’il puisse douter de sa venue. Deuxièmement, elle ne souhaitait pour rien au monde les surprendre en pleine action. Pensive, ses yeux curieux se glissèrent sur un homme passant avec une catin, louvoyant un regard intrigué sur elle, Isolde rabattit le bord de son chapeau sur son nez mince pour barrer son visage. La population de marins, pêcheurs, pirates en tout genre s’agglutinait dans la Taverne. L'odeur de poisson, d'iode venait couvrir les relents d'alcool et d’urine.

Alors que le temps s’étirait en des minutes interminables, Isolde s’essuya ses mains sur son pantalon et hocha la tête pour elle-même. Elle se leva d’un coup, quitta son siège, s’avança d’un pas résolu vers le comptoir et se pencha par-dessus pour appeler le serveur.

« Je vais vous prendre une bouteille de vin. » Ordonna-t-elle, avant de réfléchir à nouveau. « Enfin deux. Deux bouteilles de vin »
- Deux ? Répéta-t-il, surpris.
- Vous m’avez entendue, non ? » Répliqua-t-elle, un brin agressive.

Avec un soupir obéissant, il pivota sur ses talons, fouilla dans un des comptoirs et déposa la piquette dessus. Sans ajouter de commentaire, Isolde déposa nonchalamment l’argent tout en saisissant les deux bouteilles, se faufilant comme un chat agile entre les buveurs jusqu’à l’étage.

Face à l’une des chambres, elle se hasarda à toquer à l’une des portes.

La voix espiègle du Renard lui répondit et d’un geste du coude, elle actionna la poignée, puis poussa d’un élan d’épaule l’ouverture de la porte. Elle s'engouffra, s’arrêta presque aussitôt, se décala d'un rapide demi-pas circulaire pour que la catin puisse passer, puis la regarda disparaître.

Presque aussitôt, son regard fut happé par son torse à la musculature asséchée et tout son corps se contracta. Sa démarche était souple, son dos légèrement voûté. Ses yeux dorés coururent le long de ses cicatrices qui s’étiraient comme des arabesques hurlant une histoire à raconter, son regard s'enfonçant bien plus profondément au travers de ses plaies. Remarquant son examen insistant, elle déclina le regard habilement tout en évitant de croiser ses yeux rieurs. Le bout de son index alla caresser distraitement son cou ; un maudit réflexe qu’elle se surprenait à répéter lorsqu’elle n’était pas tout à fait à son aise. Alors qu’elle disposait l’une des deux bouteilles sur la table couinante, elle redressa lentement son visage, comme frappée par une illumination.

« D’ailleurs, maintenant que j’y pense. » murmura-t-elle d’une voix pensive.

Soudain, elle s’avança d’une enjambée conquérante avalant l’espace qui les séparait et se trouvant, proche, toute proche de lui. Levant le nez pour le toiser d’un rictus courroucé, elle braqua un index menaçant juste en dessous de son menton.

« Je retiens cette histoire de catin, d’accord ? » fit-elle en pointant un index accusateur sur son torse, appuyant à chaque mots un peu plus contre sa peau.

Soudain, son regard l’oublia pour s’accrocher sur le croissant de lune lumineux éclairant les eaux calmes du port. Les vagues venant lécher les coques en bois des quelques bâteaux agglutinaient dans un ballottement lent et hypnotique. Son agacement désormais évanoui, elle prit une première lampée de piquette.

« Oublions, je n’ai pas envie de te faire mal. » Sourit-elle discrètement tandis qu’elle chassait un nuisible invisible d’un revers de la main. « Et si nous festoyons ? » Hasarda-t-elle, esquissant le semblant d’un sourire désarmant. « En guise de nos nombreuses connaissances communes ? » Encouragea-t-elle, portant avec élégance le goulot à ses lèvres et en lampant une longue gorgée. Tendant la bouteille vers lui, elle l’encouragea à s’en saisir. « Tiens, fais-toi plaisir. »

Elle enfonça ses yeux dans celui de l’homme, ce bleu gelé dans lequel se reflétait toutes les nuances de l’eau. Se reculant de quelques pas, elle prit appui sur le sommier - réprima une grimace en s’imaginant le Goupil prendre la catin dessus quelques minutes auparavant - s’en décolla presque aussitôt pour venir trouver refuge sur la table, à nouveau.

Elle dévissa le chapeau de sa tête, déroula lentement le foulard qui retenait prisonnière sa chevelure sombre. D'un léger mouvement tête, sa crinière se déroula comme une cascade jusqu’à son dos, révélant sa féminité bien plus envoûtante. Se retournant sur elle-même, Isolde s'approcha vers lui d'un pas gracieux, le léger balancement de ses hanches contrastant de l'impression que l’on pouvait se faire du Léo un peu pataud.

« Si tu es un Goupil, dans le coin on me surnomme la Mésange. » Plaisanta-t-elle d’un discret sourire en coin, étirant l’esquisse d’une légère fossette goguenarde, se reprenant presque aussitôt, elle poursuivit « Enchantée, Le Goupil, moi je suis…» Un léger silence qu’elle marqua en s'humectant les lèvres.

Et elle lui tendit la main, l’air affable.

« Je suis Isolde. »
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyLun 28 Fév 2022 - 21:55

« Renard et la mésange »
Les lippes du renard restèrent étirées, cependant qu’il suivait des yeux les gestes esquissés par ce prétendu mousse, s’abreuvait des faux reproches et des menaces peu crédibles qu’on lui adressait. Finalement, il n’y eut bien que pour la bouteille de vin proposée qu’il daignât enfin détourner le regard – à croire que certaines priorités demeuraient en toutes circonstances.

— Si tu insistes, roucoula-t-il en se saisissant du contenant, à nos connaissances communes, déclara-t-il en portant le goulot à sa bouche, afin de boire quelques gorgées à son tour.

Assurément, le plaisir de se désaltérer après les quelques efforts dispensés – dans le lit, comme son interlocutrice semblait l’avoir pressenti, quoique la table ait sûrement souffert les ébats d’autres catins et clients en d’autres temps ; un jour, il le lui ferait remarquer, il se le promettait – aurait pu balayer la présence du mousse s’il n’avait pas décidé de se révéler sous son véritable jour.

Un sourire indéchiffrable aux lèvres, le renard observa la grâce retrouvée des mouvements esquissés, suivit des yeux la cascade de cheveux longs qu’il n’avait indéniablement pas devinés, se délecta d’un balancement de hanches jusque-là entravé.

— C’est amusant... concéda-t-il en glissant sa main dans la paume présentée, comme pour sceller un pacte dont les termes n’étaient néanmoins pas encore établis, comme il suffit d’ôter un masque pour appréhender ce qu’il en retourne.

À présent, Le Goupil comprenait pourquoi ce soi-disant mousse se trouvait en possession de la dague de Priscilla. Mieux : il saisissait pourquoi le cœur de la bannie avait pu chavirer face à cette jeune femme.
Et pourtant, il ne pouvait taire son instinct lui soufflant de rester sur ses gardes. Comme si l’enfant – car c’était presque ce qu’elle était, vis-à-vis de lui – était susceptible de le poignarder à tout instant.

Cela étant, n’était-ce pas un exercice auquel se livrait son interlocutrice également ? L’un et l’autre ne se jaugeaient-ils pas, dans l’attente de déterminer ce qu’ils pourraient tirer de cette rencontre bienheureuse ?

— Isolde, répéta-t-il en se détournant de la jeune femme pour gagner cette table où patientait la seconde bouteille, ma foi, cela te sied mieux, je l’admets, ricana-t-il en relevant les yeux sur elle, pour quelqu’un qui semble me tenir rigueur d’une bête plaisanterie, je te trouve particulièrement généreuse.

Contre toute attente, ce ne fut pas sur le vin que les griffes du roublard s’abattirent, mais sur le chapeau de la demoiselle, qu’il ne tarda pas à enfoncer sur son crâne. L’art du déguisement… De cela aussi, il faudrait qu’ils parlent.

— Puisque tu as prévu de quoi festoyer et que je ne suis pas du genre à me prendre au sérieux, jouons, hm ? hasarda-t-il en souriant davantage, une question : une gorgée… Une réponse : une gorgée. Cela te semble acceptable ?

Comme si les hostilités avaient déjà démarré – n’était-ce pas le cas, après tout ? – et parce qu’il venait de soulever deux interrogations, le contrebandier s'octroya deux lampées.

— Bien… Je te laisse commencer en me livrant les raisons de ta présence dans cette chambre. Tiens, bon prince, je veux bien y mettre les formes, toujours pour te montrer ma droiture, bien entendu, gloussa-t-il en relevant le rebord du chapeau avec le goulot de la bouteille, qu’attends-tu de moi, Isolde ? questionna-t-il en buvant une nouvelle goulée, voyons, ainsi, si ton ramage se rapporte à ton plumage.

À ces mots, le renard tendit le contenant à la jeune femme, dans un rictus qui ne le lâchait décidément pas.
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyLun 7 Mar 2022 - 20:19
« Que veux-tu, je ne suis pas rancunière… »Conclut-elle d’un ton léger accompagné d’un haussement d’épaules, dressant ses paumes au ciel pour parfaire cette caricature ironique. « … Qui te dit que je ne les ai pas empoisonnés et que j’ai ingurgité l’antidote bien avant, sûre de mon coup ? » Sourit-elle en pivotant sur elle-même l’air de rien tandis qu’il la dépassait pour s’avancer vers la table, de sorte à ne pas l’avoir dans son dos.

Elle l’observa s’éloigner pour s’accaparer le chapeau, puis déclina son regard sur la chemise reposant du Renard sur l’un des meubles. Sa vision oubliant le contrebandier et s’avançant vers le tissu pour s’en saisir, sans mouvement brusque et d’un coup d’épaule délicat, elle enfila la chemise. Les pans du vêtement pendaient avec négligence sur son pantalon. En touche finale, elle se saisit du foulard et l’enroula autour de son visage pour le nouer sous sa nuque. Pivotant sur ses talons dans une ivresse malicieuse, elle se trouva face au Goupil, les mains posées sur ses hanches en le toisant d’un air fièrement triomphant.

« Elle me plaît bien, vu que tu as l’air d’avoir le sens du partage. Tu n’as rien contre l’emprunt non plus, mh ? »Commenta-t-elle en lissant la chemise, jouant négligemment avec l’un des bords du vêtement. « Bien, reprenons pour ce jeu. Ça me semble acceptable, tu as vraiment le sens de l’équité. » ironisa-t-elle, usant de son sarcasme qu’elle avait si peu l’habitude d’utiliser, confinée entre les murs du Temple.

Il énonçait sa droiture en gloussant, Isolde capta son sous-entendu et se contenta d’un léger souffle amusé des narines sans pour autant qu’un sourire malicieux ne la trahisse. Hasardant un pas puis deux, pivotant sur elle-même, elle faisait mine de réfléchir à sa réponse qui était déjà posée sur ses lèvres depuis un moment. Relevant soudainement son visage vers le sien, elle lui sourit.

« Parce que je veux que tu sois mon lien avec l’extérieur. » répondit-elle simplement en ponctuant ses mots d’une gorgée sans décliner le regard du sien. « C’est tout. » ajouta-t-elle, espérant piquer au vif son intérêt en restant évasive. « Et puis que nous avons des connaissances communes, cela me pousse davantage à te faire confiance. » ajouta-t-elle, méditative, un discret sourire bordant avec insolence ses lèvres. « Alors je me dis qu’avec un peu d’argent ou d’alcool, tu pourrais délier cette langue que tu ne sembles pas bien tenir dans tes poches. Comme tu peux le voir, j’ai misé sur la seconde option. » finit-elle par décrocher en portant le goulot à ses lèvres.

L'ironie dans sa voix l'aiguillonnait. Elle pivota légèrement et scruta ses traits ciselés à la recherche d'un indice sur ses intentions, l’ombre d’un rictus, une grimace camouflée, tout ce qui aurait pu être une balise à ses pensées. Il était, au fil des mois, le seul pouvant faire du lien dans cet océan d’interrogation qui lui martelait le crâne comme un acouphène. Il n’avait pas l’air d’être l’homme à se retrancher aussi simplement, aussi prévoyait-elle d’aborder franchement les choses avec lui en appâtant suffisamment, quitte à se faire passer pour la jolie proie esseulée.

« Oh, c’est à mon tour. » Reprit-elle en le fixant d’un air songeur. « Es-tu intéressé de faire affaire avec moi, Goupil ? » Poursuivit-elle alors qu’elle lui transmettait la bouteille après avoir cueilli à nouveau une gorgée. « Oh, et puisque j’ai le goût d’anticiper, si tu me parlais du lien qui t'unit aux bannis ? » interrogea-t-elle avec un sourire qui ne lui ressemblait décidément pas.

À cet instant, un pâle éclat doré s'alluma dans les yeux d'Isolde, puissant et étrangement motivé. La lumière dans ses pupilles, d'abord faible, grandissait lentement comme une flamme vorace et gourmande. Elle sentait l'ivresse qui l'enveloppait progressivement et inhibait sa méfiance naturelle. Elle paraissait jaillir de partout et nulle part à la fois. S'insinuant au travers de ses veines, se refermant sur sa poitrine en une étreinte chaude.

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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptySam 12 Mar 2022 - 13:43

« Renard et la mésange »
Propices à autant de commentaires que de réflexions, les paroles de la jeune femme amenèrent le contrebandier à étudier le plafond sans réellement le voir, comme il se grattait la barbe du bout des ongles. Ainsi plongé dans ses songes, il ne dut presque qu’à l’instinct le fait de récupérer la bouteille et de porter le goulot à ses lèvres. Paradoxalement, le renard parut recouvrer sa lucidité juste après, à en juger par le sourire qui fleurit à ses lippes et ses yeux pétillant de malice.

— Je fais affaire avec tout le monde, pour peu que ce que l’on me promet soit intéressant. Argent, informations, alcool, sexe… Je suis un être foncièrement tolérant, doté d’une grande ouverture d’esprit, s’amusa-t-il en haussant un sourcil, désignant Isolde d’un signe du menton, à ce propos, mes chemises finissent ponctuellement sur le dos de mes amantes, d’ordinaire. Une lubie, sûrement… Ou un stratagème pour se gorger de mon enivrante odeur, peut-être ? Quoi qu’il en soit, si c’est une façon ô combien subtile de m’inviter à délier ma langue d’une certaine façon, ou plus généralement au péché, je t’en prie, le lit est juste là ! Ou la table, ici, la commode, là-bas ; que sais-je ? Cette chambre est probablement viciée jusqu’au cœur des lattes du plancher, de toute façon.

Manifestement inspiré par l’une de ses idées, le marchand se dirigea vers le lit en travers duquel il bascula sur le dos, non sans une certaine provocation, la dextre ancrée sur son chapeau, la senestre fermement accrochée à la bouteille de vin – dans le goulot de laquelle il avait glissé son pouce, afin que sa brusquerie n’occasionne aucune perte. Un soupir lui échappa, cependant qu’il ôtait son couvre-chef pour le déposer sur son torse.

— J’étais de l’autre côté des remparts, lorsque le fiasco du couronnement a eu lieu et que le principe même de bannissement est né, expliqua-t-il posément, j’ai rencontré les premiers proscrits, assisté aux prémices de leur organisation, sympathisé avec certains, poursuivit-il dans un bâillement nonchalant, je ne suis pas marqué, si bien que je peux me promener librement. Du reste, puisque je ne dois clairement pas ma survie au Duc ou à ses miliciens, je m’arrange pour subvenir aux aspirations de ces camarades d'infortune, côtoyés jadis. Ne va toutefois pas t’imaginer que je suis une âme charitable : ils payent, comme les autres. En cela, la division des réprouvés ne change pas grand-chose. Quoique : les égorgeurs ont besoin d'équipement pour asseoir leur position à Ventfroid, livra-t-il presque sérieusement, son sourire ne tardant cependant pas à se montrer de nouveau, en somme, le lien qui m’unit aux bannis comme à tous les autres, c’est le commerce.

Forçant sur sa maigre musculature, le contrebandier se redressa le temps de boire deux gorgées, puis il laissa retomber sa carcasse aussi lourdement qu’elle le lui permettait.

— Fichtre, le poison que tu as choisi donne un délicieux arrière-goût à ce vin ! À moins que l’ivresse me gagne.. ? ironisa-t-il dans un ricanement.

S’il avait évidemment songé à un possible empoisonnement ou à une drogue quelconque dans les bouteilles – sans trop savoir l’intérêt qu'y trouverait Isolde –, le contrebandier devait bien concéder avoir imprudemment baissé sa garde en constatant combien la jeune femme avait si promptement bu la première.
Ingurgiter un antidote dans le seul but de leurrer une victime a posteriori, en la berçant de paroles sucrées, en esquissant les contours cotonneux et confortables d’une confiance et d’une quiétude factices... Que c’était sournois. À cet égard, et même si le marchand gageait de ce qu’elle lui avait livré un mensonge – après tout, elle semblait avoir sincèrement besoin de lui, de sorte qu’il eut été absurde de l’éliminer immédiatement –, le seul fait de songer à ce genre de stratégie en disait long sur l’esprit affûté de la demoiselle. Probablement aussi tranchant que la lame de cette dague qu’elle semblait chérir.

Riant pour lui-même, le roublard réalisa, une fois de plus, ce qu’il savait déjà de longue date : un jour, les yeux de biche et paroles suaves lui coûteraient sa peau.

— À toi : raconte-moi ta rencontre avec Scilla, la somma-t-il en rabattant un bras derrière son crâne, l’autre se tendant vers la demoiselle pour lui proposer la bouteille en offrande, elle est restée évasive sur le sujet et n’était pas vraiment emballée à l’idée que je te retrouve. Sûrement la crainte que tu cèdes à mon irrésistible charme, gloussa-t-il en fermant les yeux.
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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyDim 10 Avr 2022 - 11:07
A pas d'abord prudents, puis plus assurés, elle arpentait l'espace de la chambre dans un rythme lent. Elle esquissa une grimace à ses révélations, qui fût très vite fauché par autre chose. Obnubilée par les informations que Goupil lui offrait, elle dévorait chaque mot comme si elle était affamée. La grande confiance sereine de l'ivresse l'aidait à s’apaiser, chassant ses réserves et sa méfiance affûtée.

« Alors peut-être est-il temps de bousculer les habitudes et d’être l’exception qui confirme la règle des chemises» , se moqua-t-elle tandis qu’elle observait le Goupil s'éloigner et s'affaisser sur le lit dans un ultime mouvement provoquant.

Une pluie violente d'ivresse éclata au même instant dans son crâne et sa vision se troubla légèrement. Elle se sentit tanguer très légèrement, sentait ses nerfs devenir cotonneux, ses pensées s’embourbaient dans un brouillard.

« Quant au fait de délier ta langue, grand bien t’en fasse, mais méfiance, mon cher Renard, n’oublie pas que j’ai sur moi de quoi te la couper. » Sous-entendait-elle en plissant les yeux avec une malice non dissimulée. La langue… Ou autre chose ?

Saisissant une chaise qu’elle traîna derrière elle, elle la tira sur ses deux pieds jusqu’en face du lit, et d’un geste ample, comme si elle dansait un tango, elle la tourna sèchement face à lui et se posa lourdement dessus en soupirant d’aise. Elle restait proche tout en maintenant une certaine distance, le Goupil était doué pour déceler les failles, se jouer des autres tout en provoquant. Et l’ivresse tapait bien trop fort pour distinguer les pièges tendus dans ses mots.

Son attention allait et venait, ne captant que la moitié du récit. Fronçant les sourcils, elle tenta à nouveau de se concentrer, mais c’était peine perdue. Néanmoins, elle nota une information capitale à son récit: Ventfroid. C’était donc là où il se terrait. Où elle se cachait. Pivotant la tête, elle eût un sourire qui fut noyé dans une gorgée d’alcool. Secouant légèrement la tête, elle se pencha, disposant ses coudes sur ses genoux pour continuer à l’écouter.

« Faire du commerce à Ventfroid, hein. » Répéta-t-elle en écho, prenant le temps d’assimiler ces mots. « Quelle drôle d’idée. »Conclut-elle d’un haussement d’épaule négligent.

Les commerçants, s'enquit-elle pensivement, pactisaient pour servir les attentes en n'ayant que leur propre intérêt personnel en vue. Isolde comprenait bien assez vite que si un échange futur était possible entre eux, ses beaux yeux ne suffiraient plus à le désarmer. La révélation de sa couverture avait amené la surprise intéressée mais elle savait qu’elle venait de jouer une carte maître, une fois l’étonnement chassé, il demanderait sûrement un dû. Grande aubaine pour elle : elle ne manquait pas d’argent.

D’une interjection satisfaite, elle se replia sur le dossier de sa chaise, jeta un coude nonchalant sur le rebord. Elle bailla également en réponse au sien avant de placer une main paresseuse devant ses lèvres. Si ses parents la verraient dans cet état, à jouer les travestis dans une chambre avec un homme, ils la renieraient à vie, en disant que son honneur aurait été bafoué.

« Ton charme irrésistible ? » Répéta-t-elle, imperturbable. Une pause. Comme tu peux le constater, je suis totalement conquise. » ironisa-t-elle.

Tout en glissant une main dans sa chevelure, elle poursuivit pour esquiver le sujet.

« On s’est rencontrées lors d’une attaque de convoi, un règlement de comptes avec des miliciens. Je me suis retrouvée prise en otage par son groupe, ils nous ont fait marcher une soirée, le jour d’après. J’ignorais si j’allais survivre, elle m’a offert cette dague pour me donner l’occasion de m’ôter la vie si l’on se faisait attaquer par un Fangeux et nous a relâché un peu avant l’aube, sans raison apparente. Délicieuse attention, n’est-ce pas ? » Plaisanta-t-elle en ingurgitant à nouveau une longue lampée. « Je me demande si cela a été fait par pitié ou par caprice. »

A nouveau un silence, un peu plus osé. Peut-être était-elle allée un peu trop loin dans ses confessions.

« Et tu vas souvent à Ventfroid, dis-moi ? » Questionna-t-elle tandis qu’elle se massait lentement les yeux. « Je veux dire… Tu accompagnes des gens ? » Elle fait jouer son arme devant lui. « J’ai quelque chose à rendre à notre connaissance commune. »

Elle le dévisagea avec insistance, le ton peut-être un peu trop gourmand réveilla une appréhension qu'elle avait tenté d'écarter. Elle ne voulait pas paraître trop désespérée en quémandant avec un acharnement charmant son aide. Pour autant, le Goupil semblait s’assoupir puisque sa respiration semblait s’alourdir.
Elle se redressa lentement, puis se pencha - l’espérait-elle, avec discrétion - avant d’agiter ses doigts sous ses yeux pour voir s’il réagissait. Concluant qu’il s’était endormi, elle plongea à nouveau sa main sur son chapeau…
Et le retirer.



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MessageSujet: Re: Comète filante — Goupil   Comète filante — Goupil EmptyLun 2 Mai 2022 - 8:10

« Renard et la mésange »
Un sourire se voulant insolent étirait le coin des lèvres du renard, nonchalamment allongé cependant que son interlocutrice lui parlait et évoluait dans la pièce. En dépit de son propre comportement et quoi qu’elle semblât en penser, il n’oubliait pas la dague en sa possession – comment aurait-il pu ? –, mais restait convaincu qu’elle ne s’en servirait pas. Et quelle importance, s’il se trompait ? Muet, il pourrait encore agir ; émasculé, il pourrait encore s'exprimer ; mort, il aurait au moins profité d’une dernière bonne soirée avant de périr de la main d’une belle femme.
Le contrebandier n’aspirait à rien de mieux en ce monde, désormais.

Bercé par l’écho de paroles certainement inspirantes et le récit d’une rencontre qu’il avait réclamé, Le Goupil perdit peu à peu contact avec la réalité pour ne plus en ressentir que des manifestations amorties par le voile d’un ensommeillement croissant. S’il lui sembla ainsi tout entendre de ce qu’il aurait volontiers qualifié d’idylle et des questions qui s’ensuivirent, réfléchir à ce que l’une et les autres impliquaient releva bientôt de l’insurmontable. Progressivement emporté dans le lointain, le rictus du marchand souffrit de son endormissement, heureusement interrompu par la soudaine soustraction d’un chapeau qu’il considérait maintenant comme sien.

Arraché brusquement au monde où les paroles revêtaient des airs de murmures et non de cris, à présent assis sur la couche, Le Goupil esquissa une grimace dans un grognement. Cependant que sa senestre retirait ses bésicles, sa dextre s’ancra à son front, déclina lentement sur son visage, sculpta sa barbe mal taillée avant d’être chassée d’un soupir.

— Foutu lit, ronchonna-t-il, perché dans un arbre des marais, ça ne m’arrive jamais de m’endormir au beau milieu d’une conversation.

Sa paire d’yeux de nouveau chaussée, le roublard la darda sur son interlocutrice dans un sourire réaffirmé.

— Je te demanderais bien de me gifler pour me réveiller, mais tu y prendrais décidément trop de plaisir, je le sens.

Alors, pour ne pas réitérer la même erreur deux fois, le renard se releva d’un bond et entrepris de marcher dans la modeste chambre en décrivant quelques cercles irréguliers. Une dizaine de secondes lui fut nécessaire pour dissiper la brume de son esprit et renouer parfaitement avec la réalité.

— Tu aurais été au mauvais endroit au mauvais moment ? marmonna l’homme en poursuivant son errance, pitié, caprice...

Que lui avait dit Priscilla à ce propos ? Qu’un oracle avait prédit des retrouvailles prochaines ? « Prochaines » ? La Bannie avait-elle seulement précisé quand elles auraient lieu ?
Plus que l’exactitude de cette prophétie, plus que le plaisir de s'improviser instrument de cette réunion, le roublard se demandait à présent pourquoi l’égorgeuse avait estimé nécessaire de questionner l’avenir à ce sujet. Se languissait-elle de son arme, comme elle le lui avait déjà laissé entendre sans guère le convaincre, ou de la fille ?

— Peut-être ni l’une ni l’autre, jolie mésange, conclut-il en s’arrêtant enfin pour observer son interlocutrice, le mieux serait encore de le lui demander, ce qui nous ramène à la question du transport. Je suis spécialisé dans le commerce des biens, le cas échéant jusqu’à Ventfroid, non en celui des personnes. Cela étant...

Quelques nouveaux pas esquissés astreignirent le plancher à de grinçantes complaintes, cependant que l’animal reprenait ses déambulations malhabiles, les yeux rivés sur le plafond en quête de réponses aux interrogations qui lui venaient.
Isolde n’avait pas caché sa volonté de gagner Ventfroid – plus précisément, le lieu où Priscilla se trouvait elle-même –, mais jusqu’où était-elle prête à aller pour atteindre son objectif ? Elle semblait prompte à recourir à ses services pour une raison qu’il peinait, là encore, à identifier. Que le vin rende un procédé habituel plus complexe ou qu’il manque d’éléments pour esquisser l’ébauche d’une explication, Le Goupil était bien en peine d’évaluer quoi que ce soit tant qu’il n’en savait pas davantage.

— Je peux faire quelques exceptions moyennant rétribution. Des sortes… d’expéditions spéciales. Il n’est rien que quelques pièces n’achètent pas, n’est-ce pas ? gloussa-t-il en reportant son attention sur la jeune femme, mais pourquoi me choisir ? Parce que je serai supposément bien accueilli par les bannis ? Parce que tu saisis la première occasion depuis un temps qui commence à te sembler trop long ? Je n’ai pourtant ni le profil du protecteur ni la figure de l’homme à qui il faut accorder sa confiance.

Derrière les bésicles, les paupières du contrebandier se plissèrent d’amusement. Ses griffes se déployèrent en arrière, agrippèrent le rebord d’une commode sur laquelle ses interminables bras le hissèrent.
Avec sa nonchalance habituelle, il étira sa senestre vers la bouteille intacte, à ses côtés, dont il se saisit dans un sourire un peu plus large.

— Dis-moi, Isolde, s’enquit-il en baissant la tête, sans toutefois la quitter des yeux, lorsque tu auras retrouvé Scilla – car avec ou sans mon aide, tu y parviendras –, que feras-tu ? Entends-tu lui restituer la dague, puis revenir mourir ici, en cette cité-prison ?

Chassant le rictus, deux gorgées ponctuèrent son propos.
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