Marbrume


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 L'ailier et la galbée

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MessageSujet: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMar 22 Fév 2022 - 15:09
22 mars 1167
Taverne de l'Alouette
Bourg-Levant



Rencontrer du gratin n’était pas franchement la spécialité d’Herluin, lui qui avait toujours évolué dans les eaux plus profondes de ce grand lac qu’avait toujours été Marbrume.

Pourtant, en maintes occasions déjà, le vieux bonhomme avait fricoté avec quelques huiles de l’Esplanade, en règle générale de vieux nobles de la cité qui connaissaient son nom et jugeaient de la qualité de ses supposés services par son ancienneté dans la troupe. Quoi qu’il en soit, Herluin n’avait jamais déçu ces riches commanditaires, auquel cas il ne serait sans doute pas aussi bien gradé. Entretenir de bonnes relations avec les magnats et autres réservoirs à pognon et réputation était une règle d’or, une véritable institution au sein de la milice.

Cette fois-ci, il ne connaissait pas ce nouveau contact venu des privilégiés de l’Esplanade. Pour être plus correct, il connaissait son nom, qui rayonnait de prestige même à l’ombre des colombages crasseux du Goulot et d’ailleurs. La fille, en revanche, devait être l’une des nombreuses pousses de cet arbre gigantesque planté par ses ancêtres il y a des siècles. Voilà qui était néanmoins porteur d’une bonne nouvelle : les gros bonnets se passaient le mot selon lequel il était efficace, et un homme de confiance. La jeunesse prenait la relève, de quoi faire retrousser ses lippes à Herluin, dévoilant au monde son abominable rictus.

Pour éviter d’empiéter sur le territoire de ses collègues qui gardaient la haute, le sergent Herluin avait convenu d’un rendez-vous au nord du Bourg-Levant, dans une taverne qui relevait un peu le standard auquel le vieux bougre était habitué : des choppes propres, de la bière avec du goût, et un public qui n’aurait pas tenu trois secondes dans un des tripots qu’il fréquentait sans attirer les coupe-jarrets. En fait, à bien y réfléchir, ce qui dénotait le plus dans ce cadre bourgeois, c’était lui. Oh, il avait passé son tabar le plus propre, et ses aides de camp avaient lustré et graissé sa cotte, mais au fond, Herluin restait toujours ce vieux rat d’égout au regard lubrique. En s’approchant plus près des richesses de l’Esplanade et de ses radicelles bourgeonnant à Bourg-Levant, les prunelles de l’officier scintillaient toujours plus fort, porteuses d’une lueur d’envie et de jalousie toujours plus forte. Et à mesure que ses yeux dévoraient plus avant les alentours, au-delà des tables et des bonnes gens, par la fenêtre donnant sur la forteresse du roi, son sourire grandissait.

Jusqu’à voir soudain se pointer l’héritière en question, la jeune demoiselle qui avait, semble-t-il, quelques soucis à régler avec de mauvais garçons. Coudes sur la table et mains croisées sous son menton barbu, Herluin ne se départissait pas de son sourire. Après tout, bastonner la vermine à coup de crosse était pile dans ses cordes, en plus de faire partie de ses passe-temps favoris. L’une de ses mains usées se leva pour faire signe à la silhouette entrant dans la vaste salle commune. Comme il l’avait pressenti pour une dame de ce rang, elle n’était pas venue seule, et avait prévu une ou deux chaises supplémentaires à sa table, avant de ‘poliment’ demander aux usagers des tabourets alentours de bien vouloir se dégotter un autre point de chute.

Le cul vissé sur sa chaise, mais le dos voûté, Herluin ne se leva pas pour faire une quelconque révérence, se contentant d’incliner le chef d’un mouvement bref et sec. Puis sortit sa voix de miel cachant son fiel, celle qu’il usait exclusivement sur les personnes de grande importance, ou qu’il méprisait, voire les deux.

« Noble dame, c’est un plaisir de pouvoir mettre enfin un minois si charmant sur un si prestigieux lignage ! Asseyez-vous donc, asseyez-vous donc... »

Ses doigts secs désignaient nonchalamment la chaise en face de lui, son regard chafouin cherchant continuellement à établir une connexion avec ceux de la donzelle.


Dernière édition par Herluin le Dim 13 Mar 2022 - 17:08, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMar 22 Fév 2022 - 16:06
Le laid sourire surplombant la vieille trogne à peine décrassée lui couta de peu un haut-le-cœur. Il était tel qu’elle aurait pu se figurer un homme de mauvais genre : l’œil luisant, la barbiche mal entretenue, des mains calleuses et une voix trop hâtée pour paraitre tout à fait naturelle. Si la Montfort n’avait pas à traiter avec le malandrin, elle aurait parié que le voyou lui réservait quelques tours néfastes. Finalement, il était comme une merde au milieu d’un bel écrin, si bien que tout Bourg-Levant se retrouvait entaché de sa simple présence. Et bien qu’elle fût promptement dégoutée du personnage, elle lui attribua un regard froid et indifférent ; c’était là la dure réalité de sa vie à présent. La Fange avait poussé la noblesse à s’acoquiner avec les individus de son espèce plus que de raison, et chaque jour suffisait sa peine. Elle traitait inlassablement avec marchands et badauds, tendant une main pure et délicate à ces gros bourrins de la basse-ville.

C’était d’ailleurs ces affaires-ci qui l’avait conduit jusqu’à la taverne de l’Alouette, à quelques pas du grand marché. Car d’aucun n’osa se tromper sur la dame vierge : derrière son minois de pucelle, elle veillait au grain sur ce qu’elle aimât appeler ses investissements. Elle avait, sans commune mesure, contribuer à la relance de ses ouailles et entendait que ces partenariats lui permettent une certaine pérennité dans la grande ville. Alors, prenant conseil auprès de gens éclairés sur la question, elle s’était juré de faire montre de justice envers quiconque lui demandait son aide. Aliénor était une mécène populaire et bienveillante, qui exigeait, selon les termes du contrat convenu, le juste paiement de sa foi inébranlable en les petites gens. Une foi presque ecclésiastique tant elle mettait du cœur à l’ouvrage ; chaque projet qu’elle soutenait était à la fois unique et prometteur.

Mais la Mère savait combien les pauvres étaient fourbes et veules ! Trompant leurs accords, mentant à qui voulait l’entendre, ils se dédouanaient parfois de leurs plus strictes obligations. Flouée, triste et lassée, Aliénor Montfort de Brieu n’eut d’autre choix que de convoquer ce jourd’hui une fripouille à la hauteur de leur bassesse. Elle avait dépêché Hugues de l’affaire, et le gros intendant avait réussi à dégoter un nom parmi les miliciens les moins regardant de la cité. Une aubaine pour la famille Montfort qui n’osait réclamer quoique ce soit au Duc-Roi ; son cousin issu de germain avait sûrement bien d’autres préoccupations que l’indignation de la demoiselle. Et comme il n’existait qu’une seule justice à Marbrume, la Comtesse avait pris les devants. Ni une ni deux, elle avait fait conclure un jour et une heure pour rencontrer l’homme au tabard vert, et ne regretta pas son choix – quand bien même il lui inspirait tant de dégoût qu’elle aurait volontiers rendu son déjeuner.

Quoique le quartier fût calme et loin de la pisse de laquelle devait être tiré l’énergumène, elle était venue bien accompagnée. Jean portait son arme et lui collait aux basques sans broncher, tandis qu’Armand fureté de la tête. Ils étaient plus vieux qu’elle, mais bien plus jeunes que leur invité. Au moins l’humidité des marais n’aura pas encore gâté leurs articulations, et à deux contre un, elle avait toute les chances de se sortir indemne si l’arsouille venait à lui en vouloir – ou pire, à refuser son offre d’emploi. Car une chose était sûre : l’édenté repartirait comme un allié ou ne repartirait pas. Et elle espérait que son apparente vieillesse lui ait aussi inculqué quelque forme de sagesse : les accidents n’étaient pas rares dans la cité, et il était d’assez mauvaise augure de se frotter à plus puissant que soi. Et jusqu’alors, elle portait un titre et des ressources qui la mettrait à coup sûr hors de tout soupçon. Du moins, c’était son espoir. Elle balaya ses doutes d’un battement de cils alors qu’elle s’installa, lui rendant enfin son sourire aimablement.

« - Monsieur, je suis heureuse d’enfin vous parler de vive-voix. Voyez, l’on m’a chaleureusement conseillé votre compagnie. J’espère dès lors ne pas repartir déçue. Un signe de tête de sa part et les deux gaillards prirent place de telle sorte que même si le monde s’agitait encore autour d’eux, ils offraient par leur carrure un brin d’intimité.
Je suis fort soulagée de constater que quelques miliciens soient encore fidèles à leur tabard et à leurs traditions. Les choses ont tant changé qu’il m’est difficilement supportable de penser aux choses telles qu’elles étaient avant…, elle marqua une courte pause dans un soupir, avant que nous ne soyons tous prisonniers de nos murs. Mais là ! Les Trois me pardonnent ma lassitude. Êtes-vous réellement prêt à m’aider, Monsieur ? ».
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMer 23 Fév 2022 - 19:20
Les accents polissés de la noblesse avaient toujours un effet double et ambigu chez Herluin. D’un côté ses esgourdes en frémissaient d’espoir, car ils accompagnaient souvent le doux tintement d’une bourse bien remplie s’échouant sur le bois terne de la table. D’un autre, il détestait profondément toute cette supposée supériorité qui suintait de ces lèvres goguenardes et suffisantes. Ces pendards avaient toujours tendance à sous-estimer la roture, fusse-t-elle à la tête d’un groupe assez important pour leur créer de réels soucis. Pourtant, face à la Fange, c’était la fine fleur de la chevalerie de Langres qui faisait des bulles dans les marais, et la Milice qui tenait encore et toujours les portes de la cité.

Enfin, au moins se voulait-elle courtoise et allait-elle droit au but. Ses yeux jaugèrent rapidement ses deux gorilles, avant de fondre à nouveau vers la jeune héritière au charme certain. Si elle n’avait été noble, il savait pertinemment ce qu’il en ferait. Il amorça un large hochement du chef, avant de déclarer :

« Je me fais un point d’honneur d’exaucer les vœux de nos suzerains, surtout les plus généreux d’entre eux. »

Il alpagua un brièvement une serveuse à laquelle il demanda du vin ! Après tout, la bière ne devait pas être au goût de la donzelle qu’il avait en face de lui… le vin de la qualité qui viendrait arroser ses papilles non plus, d’ailleurs !

« Mes gars et moi sommes efficaces. Vous m’avez parlé de vos déboires financiers avec quelques têtes de mule, et croyez-moi, ce genre de racaille j’en côtoie et en corrige toute la sainte journée. »

Il s’avança légèrement, lui donnant l’allure encore plus voûtée. Pis encore, son haleine peu engageante était également plus proche du nez délicat de la Montfort.

« Comprenez également que mes services sont de qualité, et que la qualité a un prix. Mais je ne vous apprends sûrement rien de nouveau, madame. »
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMer 23 Fév 2022 - 20:32
La vinasse ne tarda guère à taper du culot sur la table. Le pichet était en bel état, pas une brèche menaçante à l’horizon témoignant du soin de l’établissement. A dire vrai, si elle ne fréquentait que peu les tripots du genre, elle devait concéder une décoration soignée et une clientèle bourgeoise. De la cuisine s’échappait un petit fumet délicat, tandis que les boissons paraissaient buvables. Pour autant, elle s’abstint d’y tremper ses lèvres. La Montfort savait d’ores et déjà le goût âpre qui lui collerait la langue, même dans ce genre d’endroit huppé. Les années filaient et les fûts devenaient rares, si rares que même les piquettes pouvaient se revendre à prix d’or pour les poivrots les moins regardant. A contrario, la reconquête du Labret avait permis de maintenir une culture de l’orge et du houblon suffisante pour satisfaire tous les gosiers de cette maudite ville. Et parce qu’il n’était point digne de s’abaisser à boire cette pisse de la basse-ville, ces dames de l’esplanade avait même fini par transformer le moindre millésime en clairet, coupant outrageusement le vin de moitié avec de l’eau. Rikni seule savait combien de fois le tenancier avait dilué le précieux liquide dans sa carafe avant qu’il n’arrive sur la table.

Non, vraiment, elle ne tint pas à y goûter, et laissa à loisir son aimable et vilain invité se servir. Il pouvait bien boire toute la cruche s’il avait envie ! Le pauvre homme ne devait pas jouir de tel privilège dans le trou duquel Hugues l’avait sorti. Aliénor, bonne croyante, eut un instant de pitié pour la fripouille puante qui ne la quittait pas du regard. Pour autant, elle ne fût guère décidée à la charité ; dans cette foutue ville, elle avait appris que personne ne lui ferait de fleur, alors elle n’en faisait pas non plus. Chaque chose avait sa place et la sienne, par la Grâce des Trois, était au-dessus de ces petites gens à la fois pitoyables et tristes. Elle s’en tenait à là : à toute chose acquise par le droit ou la sueur suivait une longue lutte. Et la bougresse ne manquait pas de se battre, même sans les jouets pointus de ces messieurs. Elle préféra user de ce que la Mère lui avait donné et qui faisait défaut à bien du monde encore : une once d’intellect.

« - Voyez Monsieur, je ne souhaite pas douter de vos mots. D’ailleurs, c’est parce que je n’en doute pas que j’ai eu l’outrecuidance de vous convoquer, vous et nul autre. Mais comprenez-moi : comment pourrais-je juger de votre œuvre sinon en attestant moi-même de la qualité de votre travail ? La comtesse lui offrit un autre sourire aimable qui lui coûta beaucoup. Quiconque la connaissait aurait vu le dégoût poindre derrière l’abime de ses prunelles, étrangement détachées de son interlocuteur.
La canaille qui me préoccupe ne sera pas une tâche trop difficile pour vous, tant elle est velléitaire. Mais laissez une seule fourmi en vie, et la colonnie finira par toquer à votre porte. Et voyez, j’attends de vous non seulement de la discrétion, mais surtout un certain… doigté. L’on parle ici, Monsieur, d’affaires autrement plus importantes pour mes pairs et moi que vos habituelles rixes dans la basse-ville. Aussi voudrais-je m’assurer que vous m’avez bien compris. Elle marqua une pause, soudain grave et plus froide que l’hiver et fit tinter sur la table, une bourse de piécettes qui cliquetèrent dans le brouhaha de la salle. Ne me faites pas l’affront de me penser assez crédule pour vous croire meilleur que les crapules que j’exècre. Par ailleurs, je ne me montrerai pas désobligeante en sous-estimant votre veleur. Eprouvez donc votre loyauté envers ma cause, et cette bourse ne sera que la première d’une longue lignée, tenez-le pour dit.
Elle se redressa sur son siège, et crut presque entendre le Jean ricaner. La Comtesse Vierge montrait enfin son véritable minois. A contrario, si vous me décevez… »
La phrase ne s’acheva jamais, laissant les derniers mots lourds de sens flotter dans l’air gai de l’Alouette.
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyVen 25 Fév 2022 - 15:38
La délicate donzelle montrait à présent les crocs. Et Herluin devait l’avouer : sous ses airs de vierge de haut rang, la Montfort avait des crochets dignes d’un aspic. Ses mots étaient passés du miel au fiel en quelques ritournelles, son visage d’un sourire courtois à une expression plus dure que le marbre. S’il n’en avait pas vu d’autres, Herluin aurait pu en perdre à la fois son sourire et sa contenance. Fort heureusement, les menaces avaient de moins en moins de prise sur la carcasse vieillissante assise en face de la dame. Il conserva donc son air badin, se saisissant d’un godet de vinasse posé devant lui, n’accordant qu’un léger regard à la bourse qui venait de heurter le bois de la table, presque une réflexe.

« Au moins vous êtes claire. »

Le sergent milicien prit une gorgée de ce vin coupé puis fit claquer sa langue : pas fameux, mais de toute manière, Herluin avait toujours favorisé le malt. Reconduisant ses yeux chafouins sur la noble dame devant lui, il déclara :

« Il n’est guère utile de me menacer, madame. Premièrement, je suis trop vieux pour ça, et secondement, j’ai plus d’intérêt à voir fleurir les bourses que de foirer mon coup. Des décennies que j’opère, ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer une carrière de perdant. »

Herluin zyeuta néanmoins de droite et de gauche, à l’affût du moindre mouvement de la part des gorilles. Il avait déjà rencontré des chevaliers zélés qui s’effarouchaient très vite pour très peu, et la perspective de voir sauter les rares dents qui lui restaient n’étaient pas une perspective des plus réjouissantes. Il continua alors sur le même ton calme et nonchalant :

« Parlez-moi de ces gars. Que souhaiteriez-vous exactement que j’en fasse ? Je les fais disparaître ? J’en fais des exemples ? Je collecte une dîme en nature ? Je peux aussi vous les envoyer morceau par morceau, si vous préférez… C’est tout à votre discrétion, noble dame. »

Une lueur malsaine luisait dans l’oeil d’Herluin. Avec ses phrases crues, reflétant la dure réalité de ce qu’elle lui demandait, il cherchait à savoir de quel bois était fait cette jeune pucelle au phrasé tranchant, voir si le fil de son âme était aussi aiguisé que l’étaient ses mots.


Dernière édition par Herluin le Lun 28 Fév 2022 - 16:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptySam 26 Fév 2022 - 17:55
Jean et Armand ne moustèrent pas, pourtant elle aurait sans mal imaginé comment les deux gaillards auraient volontiers sauté à la gorge du pouilleux. Ils étaient jeunes et croyaient encore à la noblesse de la petite chevalerie, aussi s’employaient-ils à leur tâche avec un zèle qu’elle leur reconnaissait volontiers. C’était d’ailleurs pour cette unique raison qu’elle les avait gardés à son chevet quoiqu’il lui en coûta. Ils veillaient sur elle, et en échange elle leur offrait une vision quoique mirageuse de ce qu’aurait pu être leur vie en dehors de ces murs. Elle leur avait fait prononcé ce serment ridicule, qu’elle avait entendu prononcé lors des adoubements. Aliénor avait singé son Audouin II, tant dans la forme que dans le fond, faisant promettre sur leur existence et devant les Trois de protéger et d’honorer leur serment et la famille qui y veillait. Trop heureux de se rendre utile à quelqu’un, les nigauds avaient tour à tour prononcé les mots qui les liaient aujourd’hui à la belle. Elle ne leur avait jamais rien demandé de plus et ne savait que de ragot qu’elles étaient leur vie, avant. Armand et Jean était des chevaliers sans terre, qui offrait leurs lames aux causes justes, et n’avait pas cherché à en connaître davantage. C’était, semble-t-il, une règle tacite à l’intérieur de Marbrume : le passé n’a que peu d’importance. Ils seraient bien libres de se confier lorsque cela leur paraitrait bon de le faire.

Au même titre qu’elle ne posait jamais de questions si cela ne la concernait pas directement, elle détesta qu’on s’empresse de la soumettre à la questure. Ce qu’elle faisait, les raisons de ses actes, ne regardait qu’elle-même et les Dieux. On lui avait appris que le monde était dur, et que tendre le bâton pour se faire battre était rarement une option alléchante. Alors, après avoir pris quelques coups comme une enfant à qui on dit de ne pas toucher le feu, elle avait conclu que le conseil était sage et avisé. Dès lors, ne filtrait plus de ses lèvres que le strict nécessaire au bon fonctionnement de ses affaires, diminuant de fait toutes les médisances à son égard. Ce qu’elle faisait aujourd’hui été dangereux, elle le savait. Mais elle savait aussi quand il était nécessaire de jouer franc-jeu, surtout avec la vermine qui abimait la certaine somptuosité de l’établissement. La Montfort porta ses yeux sur le tabard presque propre, sur ces mains calleuses et ce visage torve. Tout dans l’air qu’il expirait respirait la crasse, la bassesse et l’ignominie. Devait-elle vraiment faire confiance à un spécimen de son espèce ?

« Je n’oserai vous menacer, Monsieur mais vous voilà averti. Et pensez-bien que si j’ai su faire appel à vous pour cette drôle d’histoire, il ne me sera guère difficile de mander à pire encore, et de veiller soigneusement à faire de votre vie une lente agonie. Elle gardait la même posture droite et digne, cachant le dégoût que tout ceci lui inspirait quelque part au fond de ses tripes.
Mais là, j’exècre la violence, surtout quand elle peut être évitée. N’est-ce pas cela que l’on attend de tout bon croyant ? Vous êtes bien empressé pour savoir ce que j’attends de vous, et je crains de ne pouvoir vous donner satisfaction céans. Elle jeta une œillade alentours. Les gens ne prêtaient que peu d’attention à eux, mais ils étaient assez nombreux pour qu’elle n’osa avouer ce qu’elle comptait faire plus tard. Vous aurez des tâches, que mes amis se chargeront de vous faire parvenir en temps voulu. Je vous propose ici un arrangement sur le long terme. Vous opérerez à mon compte lorsque cela me sera nécessaire. En échange, je m’occuperai de garnir votre solde à la hauteur de vos peines. Vous ne connaitrez ni mon nom, ni ma résidence.
Elle soupira de lassitude, et se frotta la tempe du bout du doigt, comme si cette conversation lui filait une affreuse migraine qu’elle préférait écourter. Plongeant pour la première fois ses prunelles grises dans les billes de truite de son invité, elle reprit, presque aussi gravement. Avant toute chose, j’aimerai m’assurer que vous ne serez pas le cabot qui mordra la main de celui qui le nourrit. J’aime à penser que des hommes fiers, tel que vous, n’êtes pas mué seulement par l’or. Alors, mon ami, confiez-vous à moi. Quelle est la chose que vous convoitez dans cette maudite ville ? »
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMer 2 Mar 2022 - 14:58
Herluin était plutôt satisfait de la tournure que prenait la discussion, car outre les menaces de la belle, cette dernière parlait d’un partenariat sur plusieurs coups. Voilà qui n’était pas pour lui déplaire : au lieu de frapper un grand coup dans la fourmilière des mauvais payeurs et des escrocs, il irait les débaucher au compte-goutte. L’or lui aussi coulerait au compte-goutte, mais une revenue d’argent régulière ne pouvait jamais faire de mal. Plus encore, ce serait bien moins difficile à dissimuler qu’un monceau de joyaux…

Le vieillard se frotta doucement la paume de ses mains, qu’il avait osseuses et ridées. Il s’apprêtait à accepter, lorsqu’une question le prit au dépourvu. Quelle était la chose qu’il convoitait le plus entre ces murs décrépis ? La question était banale en apparence, mais de nombreuses nuits, Herluin s’était déjà interrogé là-dessus. Il en faisait parfois de fiévreux rêves. Il rêvait de la Fange, du roi doucement avalé par la sphaigne, sa couronne d’or se couvrant de boue. Il rêvait de pélicans géants cherchant à l’engloutir, chassés par les lances de ses hommes. Il rêvait de tours immenses, d’ivoire et d’argent, tenant comme des phares face aux marées de sang battant tempête. C’est qu’il avait le sommeil agité lorsqu’il ne trouvait point donzelle à qui chatouiller la glotte, et dans ces nuits agitées, les dieux instillaient de sombres pensées dans son esprit.

Tournant lentement la tête vers la fenêtre, le sergent perdit son regard au loin, vers la forteresse de Sigfroi. Ses tours austères n’avaient rien en commun avec celles de ses songes, et pourtant, il s’en trouvait comme attiré. Il resta ainsi silencieux, perdu dans la contemplation du donjon des Sylvrur, pendant quelques bonnes secondes. Puis, sortant de sa torpeur, il souffla entre ses dents jaunies :

« Vous savez, quand j’étais gamin, une pièce d’or c’était comme posséder un palais. Tout le monde en voulait, personne pouvait en avoir. Mais aujourd’hui... »

Il agrippa le godet de vin, en sifflant le contenu. Il fit une légère grimace.

« Disons qu’aujourd’hui, j’ai d’autres préoccupations. Je sais que je ne posséderai jamais de palais. Par contre, la caserne juste à côté... »

Herluin haussa ses épaules, ressemblant à un vautour bougeant des ailes. Un sourire mutin revint vite hanter ses vieilles lippes.
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyLun 7 Mar 2022 - 17:28
Tout le monde ici aspirait à autre chose. Pas forcément quelque chose de meilleur, juste autre chose. Les épais murs de la capitale du Nouveau Royaume devenaient asphyxiants, angoissants et même pesants. Ils étaient dans l’ombre de chaque conscience, fantôme mutique et pourtant prêt à bondir sur les âmes des derniers Hommes. Ce qui était valable dans le monde d’Avant ne l’était plus. L’échiquier s’était renversé encore et encore, faisant chavirer les pions de la table, laissant à tout un chacun un univers parfaitement vide. Il appartenait alors à tous de se saisir de ce qui était mis à sa portée, comme une béquille pour se relever. Mais si l’on était assez fort, si les Dieux eux-mêmes nous le permettaient, alors l’on pouvait aspirer à bien plus. L’ambition était ce qui tenait encore les braves debout, tandis que les faibles s’étaient déjà résignés à cette sordide boite à l’enceinte de pierres. Et il n’y avait aucun ordre de naissance pour l’appétence : issus de la noblesse comme de la roture, chacun était libre de rêver à sa hauteur. Aussi paraissait-il primordial de s’entourer de ceux qui n’avaient pas encore baissé les armes. Adonc chacun pourrait nourrir l’autre dans une cascade qu’elle entendait bien contrôler de ses mains. Eux lui rapporterait l’eau, tandis qu’à loisir elle verserait dans leurs auges les bienfaits de leur propre labeur. Du moins, c’était là son projet.

En attendant, elle s’occupait à laisser le silence respectueux s’installer. La question était sûrement difficile pour un homme tel que lui, et elle préférait le laisser réfléchir à loisir. Cela ne devait pas lui arriver souvent. Le trait d’esprit de la comtesse lui tira un sourire amusé, alors que la fripouille reprenait contenance. De prime abord, il avait l’air d’être assez malin pour un gueux aussi laid, et sûrement avec assez de couardise pour savoir où se trouvait sa place – et quand fuir le cas échéant. C’était tout ce qu’elle lui demanda ; remplir les poches d’un mort ne l’enchantait guère. Les pièces ne tombaient plus du ciel. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsque le malandrin babilla avec sa bave de crapaud, les étoiles dans ses yeux porcins, son vœu le plus pieu. Là quelle belle prise ! Elle lui retourna un sourire aimable, le laissant s’imaginer en capitaine de la garnison royale.

« - Allons bon ! Me voilà agréablement surprise, mon bel ami. Sa voix était franche, et l’on pouvait percevoir le sincère amusement de la situation. Il lui restait peut-être cinq ans à tirer dans la milice avant de devoir rendre le tabard.
- Je ne peux vous promettre quoique ce soit mais… Tant que vous travaillerez pour moi je pourrais rendre votre rêve moins lointain. Je tâcherai de toucher quelques mots en votre faveur, et demander une belle promotion à l’Esplanade. Ce n’est pas le château, mais si vous vous montrez zélé, il se pourrait que certains parmi nous en réfère à sa Majesté. D’un geste de la main, elle saisit le pichet et lui resservit un verre bien plein.
- On dit que par chez nous la vie est moins rude que dans le bourbier dont on vous a tiré. J’irai dès ce soir faire porter un pli au capitaine de l’Intérieur. Ainsi vous n’oublierez jamais à quel point vous m’êtes redevable ».

Elle n’avait aucune garantie que cela marcherait, et l’Affreux devait bien le comprendre lui aussi. Mais la belle Aliénor avait des arguments que nul ne pouvait réfuter. Elle irait toquer à la porte de chacun de ses voisins si cela pouvait l’aider dans son entreprise. La petite ne manquait pas de volonté non plus. Et comme à chacun de ceux qui la servait aujourd’hui, elle s’assurerait la pleine et entière allégeance. Elle ne pourrait mener de front plusieurs batailles ; elle résoudrait chaque nœud au fur et à mesure, bâtissant avec prudence l’empire de son nom. Là, qu’il serait fier Audouin II ! Sa petite fille chérie, la tumultueuse Aliénor avait bel et bien cessé d’être. Et aujourd’hui, elle s’enfonçait encore un peu plus dans son nouvel apparat, plus séduisant mais ô combien plus dangereux.
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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyVen 11 Mar 2022 - 10:19
Herluin n’avait jamais apprécié être redevable à quelqu’un. Néanmoins, les années passant, il avait appris qu’il fallait de temps en temps sacrifier un peu de ses préceptes pour pouvoir obtenir ce qu’il voulait. Vivre ou jouer aux cartes, au fond, c’était la même chose : il existait de petits joueurs qui ne tentent rien et récoltent de menues allumettes, et d’autres plus gros poissons, des amateurs du risque jouant leur va-tout pour une meilleure recette et, qui sait, tirer le gros lot. Herluin avait toujours aimé cette métaphore, notamment parce qu’elle ne prenait pas en compte une troisième catégorie de joueurs à laquelle il appartenait : celle des tricheurs, les vrais gagnants.

A la manière dont elle s’illumina lorsqu’il accoucha de ses attentions, le vieux sergent se douta que la dame appréciait tenir les hommes en son pouvoir. Il n’en fut guère ému, après tout, la noblesse toute entière partageait cette passion. Disons plutôt qu’il se rendit compte dès cet instant qu’il venait de tomber sur une demoiselle bien plus retorse qu’il ne l’avait imaginé de prime abord. Etait-ce pour autant une mauvaise chose ? Un bon maître sait que récompenser un loyal serviteur le rend plus enclin à obéir. Et Herluin était tout disposé à être obéissant, s’il voyait se profiler un séjour bienheureux dans le quartier des dames qui sentent bon.

Il se saisit de son verre, et avant de le vider d’un trait, il ricana :

« Mon mentor m’a toujours dit que si le nez est si haut sur la tronche, c’est parce qu’en bas ça pue. Et j’ai l’odorat un peu trop fin ! »

Lorsque le cul du godet frappa la table à nouveau, Herluin s’essuya la bouche d’un revers de la manche et continua :

« A compter de ce jour, j’suis votre homme, Vot’ Seigneurie. Demandez-moi ce que vous voulez, je ne recule devant rien. »

Il rajouta sur le ton de la confidence, avançant légèrement la tête pour qu’elle puisse observer plus avant les rides parcourant son faciès dégoûtant :

« Même à me damner devant les Trois. »

Lorsqu’il recula pour se rasseoir confortablement, bien que toujours busqué, il affichait un air plus rayonnant que jamais. Rayonnant de malice, d’avarice… et sans doute de varices.
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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyDim 13 Mar 2022 - 16:38
«- Là mon bon Monsieur, je ne vous demanderai jamais de compromettre votre Foi. La Sainte Trinité saura guider votre main tandis qu’elle guidera ma volonté ».

Aliénor Montfort de Brieu était croyante. Elle n’était certes pas la plus dévote de la cité, ni même la plus régulière dans ses obligations, mais elle y croyait et c’était déjà bien. Car que restait-il si l’on ôtait à l’Homme sa Foi ? D’ailleurs, n’était-ce pas là ce qui les séparait des animaux et des abominations ? Guidés par les seuls simulacres d’espoir et de vie, hommes et femmes consacraient les Trois comme des enfants cherchant la pitié des parents. Elle était persuadée de sortir plus forte, plus grande de leur jugement divin, pour peu que ce dernier qui avait attiré la fange à leur porte soit leur dessein. Parfois, la nuit souvent, elle se mettait à douter ; la Mère, le Père, et la Guerrière s’était peut-être tût à jamais. Ils s’étaient détournés de leurs enfants, pourris d’orgueil et de mépris, comme endormis dans une terre céleste aux temps invisible. Mais la Comtesse n’était guère une grande théologienne. Elle préférait au dogmatisme des temples, la fraîcheur du politique entretenu par la noblesse sur les hauteurs de la grand-ville. Cela n’en demeurait pas moins un simulacre d’anciennes consciences, comme si chacun pouvait encore vivre et digresser comme d’antan, comme si la Mort elle-même ne guettait pas à chaque recoin de cette foutue bastide.

Le mépris de ces gens-là et la colère qu’ils faisaient gronder en son sein aurait suffi à motiver quelques malheurs à l’Esplanade. Elle exécrait la concupiscence de ses voisins presque autant que la vilaine trogne de l’étranger face à elle. Ils la jalousaient sûrement pour ce qu’elle avait, ignorant sciemment les sacrifices qu’elle opérait pour réussir là où eux, se faisaient toujours torcher le cul par fainéantise. Au moins, le gai voyou avait l’amabilité d’avoir la trogne de l’emploi – ainsi, peu de chance de se fourvoyer sur son compte. Mais lorsque l’ennemi portait parfum et bijoux, un titre brillant et une famille illustre, il devenait difficile de différencier le renard de la poule. Aussi s’était-elle promis de ne jamais plus être la cocotte qu’elle eut été à ses seize ans : elle se ferait tantôt renard pour se mêler aux vilains, tantôt plutôt lion pour croquer ceux-ci [1]. Car d’aucun savait qu’il n’était ni prudent ni intelligent d’user de l’un ou de l’autre ; il fallait les deux pour s’extirper des jeux les plus dangereux, et paraître plus sage et avisé. Aussi la belle gardait-elle cela en tête à chaque instant, balançant du goupil au fauve dans un équilibre précaire et encore balbutiant.

-Bien-heureux celui qui vous tient dans son escarcelle mon bel ami. Je ne puis que me réjouir de notre longue collaboration, en l’espérant fructueuse. Buvez votre soûl pour célébrer pour deux, vous avez de quoi régaler la maison jusqu’à plus soif. Elle se leva, suivi de près par ses deux chevaliers qui s’étaient tenus tranquille, muets comme des carpes. C’est ainsi qu’elle les aimait.
-Ah et, avant que je ne parte ! Tenez votre magnifique bouche close. La ville est peut-être plus petite que vous ne le pensez, et il me serait dommageable de mettre un terme à notre si vive amitié. Je vous ferais parvenir mes instructions lorsque j’aurais besoin de vous ».

Elle lui adressa peut-être pour la première fois – ou la deuxième tout au plus -, un sourire aimable. Un dernier regard, elle s’en fût par la porte. Ce soir, elle écrira au capitaine de la milice intérieure et dormirait sûrement bien plus paisiblement.

[1] Référence au Prince de Machiavel.
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HerluinSergent
Herluin



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MessageSujet: Re: L'ailier et la galbée   L'ailier et la galbée EmptyMar 15 Mar 2022 - 17:12
Herluin se rinça de nouveau le gosier de ce doux vinaigre dont l’abreuvait la belle. Pour sûr, il tenterait de conserver au plus longtemps cet avantageux mécénat, et ferait en sorte que l’or coule de nouveau à flot dans ses poches de milicien. S’il n’avait qu’à tabasser deux ou trois pelés pour une pièce d’argent, il serait le premier à sortir son gourdin. En plus de cinquante ans d’existence, le sergent s’était distingué dans un domaine en particulier : celui de la violence, physique comme verbale, la seule véritable forme efficace de coercition. N’était-il pas de notoriété publique qu’une demande l’arme à la main rencontrait plus souvent une oreille attentive qu’une simple demande les mains nues ? Pour le vieil Aymeric, son mentor, il y avait deux catégories de personnes. Les premiers, les seigneurs, agissaient de leur propre initiative, complotant, conspirant, créant leurs propres plans. Les seconds, les chiens de guerre, n’agissaient qu’au travers de leurs seigneurs, concrétisant leurs rêves de domination et accomplissant leurs basses besognes. Herluin avait toujours trouvé meilleur parti à rester au sein de la seconde catégorie. Après tout, les nobles finissaient toujours par tomber, être victimes de leurs machinations et perdre tout ce qu’ils avaient durement acquis. Lui, en tant que sbire, ne risquait pas aussi gros. Il pouvait même mordre la main qui l’avait naguère nourri, si celle-ci se tarissait et qu’une autre patte graisseuse venait lui chatouiller les babines. Rikni ne lui en voudrait pas : les serpents n’ont pas de maître, et mordent sans distinction.

Après une légère révérence du chef, Herluin ronronna d’un ton doucereux :

« Une carpe, une tombe, pour ce genre de boursette je suis qui et ce que vous voulez, Vot’ Seigneurie ! Et ne craignez rien, j’exerce depuis fort longtemps… Cette ville, je la connais comme si je l’avais enfantée. »

L’image pouvait paraître saugrenue, mais après tout, Herluin était certes très vieux. Il se souvenait d’un graffiti d’un goût douteux qu’il avait trouvé sur le mur des toilettes de la caserne, disant qu’il avait un jour chié Marbrume par ces-mêmes latrines. Un autre graffiti, écrit d’une main différente, avait avancé que c’était sans doute pour cette raison que la ville puait autant la merde.

Quoi qu’il en fut, Herluin ne put retenir plus longtemps sa jeune patronne, qui s’éclipsa en toute hâte, emmenant avec elle ses deux gorilles silencieux. Le vieux bougre, lui, ne bougea pas de sa chaise. Son regard était rivé sur la bourse qu’elle lui avait laissée, et son esprit vagabondait vers les personnes prioritaires dans l’ordre de corruption. Il lui fallait arroser des hommes autrement qu’en leur pissant dessus. Qui sait, peut-être de nouveaux miliciens, attirés par l’argent à se faire dans le milieu de l’usure, viendraient garnir les rangs des lascars acquis à sa cause.
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