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 La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]

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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyDim 20 Mar 2022 - 20:44
L'index que le jeune chevalier avait glissé sous son menton permit à Esmée de reprendre un peu de sa contenance perdue, et alors qu'elle avait été sur le point de voir sa conscience s'éparpiller, il devint cet ancrage nécessaire au ralliement de sa pensée. Elle n'en demeura pas moins silencieuse, encore un instant. Le temps d'une modeste éternité qu'elle consacra, une fois encore et malgré elle, à la contemplation de ces prunelles au bleu si lumineux qu'elle s'osait à les comparer à un ciel d'été. Leur céruléen lui rappelait alors ses toutes jeunes années. Cette époque où le monde avait encore la faveur des dieux et où la Fange n'existait pas. Elle trouvait ainsi un certain réconfort dans leur contemplation, une forme de sérénité qui - invariablement - l'amenait au calme.

Au rappel de ses propres paroles, elle esquissa un sourire, laissant le trouble fuir ses traits pour seulement savourer ce moment qui les faisaient se conjuguer ensemble jusque dans les mots. Le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder... Alors pourquoi fallait-il y voir l'inconvenable et même le condamnable ?

Esmée ne doutait pas de ce que son statut, ou plutôt celui de son père, lui valait d'intérêt au sein de la belle société. Son entrée dans le monde - qu'elle fusse ou non remarquée - avait été décidée et planifiée dans le seul but de lui trouver un époux. Aussi et même si le Comte de Sabran ne faisait pas étalage des négociations déjà engagées pour les épousailles de sa fille, cette dernière savait la question forcément abordée par l'un ou l'autre galant. Les Sabran possédaient titres et biens, en plus de jouir d'une belle réputation. Certains affirmaient même que le Comte pourrait briguer le poste de Grand Argentier s'il parvenait à accroître son influence au sein de la cour. Un riche mariage était donc de mise et une union avec un autre grand nom de l'Esplanade semblait inévitable. Cette évidence, tout comme les obligations depuis toujours répétées à la jeune femme, se faisaient alors le gage d'une vie sur laquelle elle n'aurait aucune emprise sinon celle d'accepter sa soumission. Un destin décidément trop fade pour le sapide de son esprit (mal)heureusement cultivé. Pour autant, la jeune femme savait ses devoirs inéluctables. Son bonheur hors de portée, elle avait admis de se faire une raison jusqu'à ce qu'elle le vit... Lui, Marin de Luynes, deuxième fils d'un Baron dont le Comte de Sabran n'avait pas même souvenance. Un jeune chevalier sans le sou, sans titre et sans bien, avec lequel elle n'avait visiblement rien en commun.

Même leurs physiques, en tout point opposés, paraissaient vouloir les déparier. Ils se complétaient pourtant étrangement et un poète n'aurait pas manqué y dédier l'allégorie d'une rencontre crépusculaire. Fallait-il alors ignorer ce qu'elle savait pourtant éprouver jusqu'au plus profond de son être ? Il lui avait suffit d'un regard, d'un seul sourire, d'un seul mot... Elle avait su à l'instant même de l'apercevoir. Dès que ses yeux avaient effleuré sa silhouette, dès qu'il était apparu dans la lumière. Aujourd'hui, elle n'avait besoin de rien, sinon de lui. Elle ne voulait rien, sinon lui. Et cette certitude, déjà ancrée dans son âme, ne trouverait à s'éteindre ni dans le faste d'une trop riche demeure, ni dans le tapageur d'un titre surestimé.

Un sourire vint s'épanouir sur ses lèvres alors qu'elle recueillait le malicieux dans les paroles du jeune homme. Il s'amusait de sa confusion et s'en délectait avec une telle effronterie, qu'elle ne put qu'en rire.

- Par tous les dieux ! Apprenez Monsieur de Luynes que la moquerie est la fumée des coeurs petits. Tâchez donc de cacher ce facétieux sourire. La voix parée d'une once de raillerie, elle tapota délicatement les lèvres qui voulaient la narguer. Je pourrais m'en sentir vexée alors même que vous affirmez votre soutien sincère.

Ses fins sourcils se froncèrent pour mimer un air sévère, mais Esmée peinait ostensiblement à garder son sérieux.

- Fort heureusement, je connais votre courage et la totale abnégation avec laquelle vous vous efforcez d'affronter les rudes épreuves d'une existence devenue pénible depuis notre rencontre. J'imagine alors votre sacrifice total lorsque vous affirmez devoir m'épouser. Elle acquiesça seulement pour appuyer son propos, alors qu'une moue enfantine fit se plisser sa bouche. Pourrais-je supporter l'idée de vous savoir ainsi enchaîné à l'impératif de votre conscience trop serviable ? Elle marqua une nouvelle pause, faisant mine d'être en proie à une intense réflexion avant de laisser son sourire glisser vers le coin de ses lèvres. Je le crois. Tout du moins... Si vous survivez au courroux de mon père.

Certainement allait-elle ajouter quelques mots au cocasse de son analyse, mais une voix s'élevant dans son dos l'en empêcha.

- Ah ! Enfin vous voilà ! Si Hermance s'armait d'un ton de reproche pour dire son soulagement, elle n'en demeurait pas moins souriante. Vous éloigner de la sorte est parfaitement inconscient. Surtout en ce lieux. Vous n'imaginez pa... Elle s'interrompit, plissant les yeux alors que son regard se portait sur la coiffure dérangée de sa fille.

D'un coup d'oeil inquisiteur, elle embrassa les lieux, s'accorda un instant de réflexion, avant d'arquer un sourcil réprobateur.

- Que se passe t-il ici ? Esmée !
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyMer 23 Mar 2022 - 11:33
Comprenant que Marin s’amusait un peu trop de la situation, le visage de la belle aux yeux d’or se para d’une autorité peu convaincante au vu de ses joues toujours rosies par l’évocation de ses projets futurs. Au fil des réprimandes, son sourire pouvait difficilement se faire plus large. Cette femme était bien trop intelligente pour qu’un trait d’esprit ne la vexât, à moins qu’il ne fusse particulièrement de mauvais goût ou mesquin. Il voyait bien qu’elle luttait pour garder ce masque de sévérité. Finalement, il éclata d’un rire franc alors qu’elle renchérissait ses propos avec une habileté que seule l’élocution d’une femme cultivée est capable de produire.

— Vous valez tous les sacrif…

La voix de dame Hermance retentit, quelque peu irrité d’avoir dû les chercher jusqu’ici. Le carnet de croquis glissa sur le paquet qu’Esmée tenait encore entre ses mains. Marin se leva du banc et lissa son manteau en espérant que la comtesse ne remarquât pas les éventuelles traces de boue qui maculaient son genou et son coude.

— Madame...

Trop tard, l’oeil attentif d’une noble habituée à vérifier les moindres détails de sa tenue et de celle de ses enfants pour éviter les rumeurs infondées s’y arrêta avec insistance, puis remonta vers le visage du chevalier. Ce regard, il le connaissait d’entre mille, c’était celui d’une mère qui savait que vous allez mentir avant même que vous y ayez pensé et qui ne présage rien de bon pour qui s’y tente malgré tout. Il joignit les mains derrière son dos, le menton légèrement penché. Il ne s’agissait pas de faire le malin devant l’épouse du comte de Sabran, car c’était grâce à elle qu’il pouvait voir Esmée.

— C’est ma faute... J’ai glissé dans l’herbe humide et nous avons préféré nous installer sur un banc pour éviter à ma maladresse d’autres... extravagances.

S’il ne pouvait mentir, il pouvait bien arranger un peu la vérité.

— J’ai été… distrait… Je ne me suis pas rendu compte nous avoir tant éloigné. Je n’aurais pas dû vous faire pareille frayeur, mes excuses, Comtesse de Choiseul.

Il s’inclina brièvement pour appuyer ses excuses. Après une si belle après-midi, il aurait été cruel qu’ils ne puissent plus se revoir alors même qu’il envisagea de demander la main d’Esmée.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyJeu 24 Mar 2022 - 23:59
Loin d'être dupe, Hermance afficha un moue réprobatrice. Cependant et alors que ses lèvres pincées taisaient sa véritable pensée, elle dodelina de la tête pour convenir d'un accord tacite. Mieux valait ménager les apparences. En ces temps troublés, plus encore qu'avant la Fange, les langues pouvaient se faire acérées et meurtrières. Éviter un scandale était alors la meilleure des choses à faire, d'autant plus quand le Comte de Sabran se montrait hostile dès qu'il était question du jeune homme. Marin n'avait probablement pas idée de tout ce qu'elle échafaudait seulement pour permettre ses petites rencontres arrangées avec sa fille. Icare avait beau être le père de deux garçons, Esmée restait sa première née. Il la chérissait comme l'enfant désirée qu'elle avait été et la considérait encore aujourd'hui comme la prunelle de ses yeux.

- Vous devriez vous montrer plus prudent à l'avenir Chevalier. Il peut s'avérer dangereux de s'aventurer trop hardiment sur des sentiers inconnus et inexplorés. Mon époux ne pourra que vous le confirmer.

Au sourire contrit qu'elle lui adressa, il était évident que la Comtesse de Choiseul avait très soigneusement choisi ses mots. Le message, évidemment suggéré, n'en était pas moins limpide. Hermance savait et elle ne se laisserait plus abuser. Après tout, sa réputation était en jeu au même titre que celle de sa fille. Pour autant, la noble Dame n'avait pas l'intention de se montrer trop autoritaire. Elle avait été jeune, elle aussi et bien avant que ces deux là ne viennent au monde.

- Je suis sûre que vous n'aimeriez pas vous retrouver bêtement blessé et privé de toute nouvelle sortie. Vous n'aimeriez pas non plus que je me trouve désolée de ne pas vous voir assister à ma prochaine fête. Elle esquissa un sourire avant d'en revenir à sa fille. Vous même pourriez vous en trouver navrée. N'est-ce pas, Esmée ?

Tout en gardant cette fois ses yeux rivés sur la jeune femme, Hermance porta une main à sa coiffure. Elle en survola l'arrondi et fit mine de réajuster son maintien avant de redresser le menton. Elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Esmée acquiesça et tout en baissant les yeux, s'occupa d'arranger sa coiffure comme sa mère venait de le lui suggérer. Pour autant et malgré l'évidente gêne qu'Hermance s'employait à distiller, la première née des Sabran ne parvenait pas à totalement dissimuler son amusement.
D'ailleurs, le regard qu'elle glissa en direction du Chevalier ne pouvait qu'en témoigner. Esmée voulait rire. Elle peinait si évidemment à garder son sérieux, qu'elle en vint à malmener sa lèvre inférieure pour espérer retrouver un peu de solennité. Debout, à un pas seulement du banc, Marin s'efforçait de soigner les apparences. Chose dont elle se promit de le remercier dès que l'occasion se présenterait. En attendant, elle ne pouvait qu'admirer l'aisance toute fascinante avec laquelle il s'employait à arranger la vérité. Je ne me suis pas rendu compte nous avoir tant éloigné. Il était charmant. Je n’aurais pas dû vous faire pareille frayeur, mes excuses, Comtesse de Choiseul. Adorable, même. Cependant, Esmée n'entendait pas qu'il assume toute la responsabilité de leur très coute escapade.

- Permettez que j'intervienne. Elle n'était pas douée pour mentir. Elle ne l'avait jamais été. Monsieur de Luynes s'efforce de se montrer galant et s'oblige à m'épargner des remontrances qui me sont pourtant méritées. Il est tombé par ma faute.

Elle prit soin de dissimuler le carnet à croquis dans l'une des poches de son manteau, avant de se mettre debout.

- J'ai insisté pour que nous venions jusqu'ici, afin qu'il puisse s'assoir. Je craignais qu'il se soit blessé.

Hermance ne sembla pas davantage croire cette version. Cependant, elle s'en accommoda suffisamment pour enfin esquisser un sourire plus affable. Certaine guerre était décidément jouée d'avance. Au soupir qu'elle laissa filer, il était évident qu'elle estimait la bataille veine. Aussi se contenta-t'elle de pointer du menton vers le petit paquet qu'Esmée tenait toujours entre ses mains.

- Vous n'avez pas pris le temps d'ouvrir votre présent ?
- Non Mère, il est vrai. Monsieur de Luynes a insisté pour que je patiente jusqu'à votre retour. Il a émis cette idée que vous puissiez également l'apprécier. Voulez-vous... ?

D'un élégant geste de la main, Esmée invita Hermance à s'installer sur le banc. La Comtesse ne se fit pas davantage prier et tandis qu'elle prenait place, sa fille la rejoignit. Doctement et avec soin, cette dernière entreprit d'enfin dévoiler le contenu du petit paquet. La surprise, évidemment, s'invita dans son regard alors qu'elle découvrait ses friandises préférées. Automatiquement, elle se tourna vers Marin.

- Comment avez-vous su ? La réponse était pourtant évidente. Face à elle, Hermance affichait un air radieux. Esmée soupira dans un sourire. Merci Messire. C'est une délicieuse attention et il me plairait de pouvoir la partager avec vous. Elle tendit le petit paquet vers sa mère pour qu'elle puisse se servir, avant de le proposer également au jeune homme.
- On dirait que vous cherchez à me soudoyer. Hermance plaisanta, mais arqua finalement un sourcil quand Esmée suspendit son geste au-dessus des friandises.

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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyMar 29 Mar 2022 - 9:14
Il fallait beaucoup d’intelligence et de subtilité pour faire passer un message en filigrane dans une phrase qui aurait pu paraître anodine. L’avertissement de la comtesse de Choiseul était clair et limpide ; si elle autorisait ces entrevues, elle ne cautionnerait aucun débordement, surtout s’il s’inscrivait en dehors de l’étiquette. Elle s’étendit plus longuement sur les conséquences d’un nouvel « égarement » quelqu’il fût, le chevalier baissa les yeux :

— J’en serai désolé, en effet.

Ses yeux clairs se posèrent furtivement sur Esmée, occupée à remettre sa coiffure en ordre, il s’attendait à voir des remords sur son visage, mais c’était tout le contraire. Leurs regards s’accrochèrent, l’éclat de malice dans ces prunelles dorées eût un effet contagieux. Le chevalier dut lutter contre un sourire de connivence qui s’installait au coin de ses lèvres, mais il n’était pas au bout de ses peines. Le malaise que leur chaperonne leur imposait aurait pu se dissiper de lui-même, en faisant profil bas ; c’était un secret que tous les jeunes enfants avaient usé et abusé auprès de toutes les adultes qui avaient pu les sermonner de quelque bêtise. Manifestement, Esmée n’avaient pas dû faire beaucoup de bêtises. Aussi, lorsqu’elle intervint, le sourire de Marin se figea, puis se détendit enfin en voyant qu’elle ne s’en sortait pas trop mal. Etait-il si incompréhensible que deux coeurs entichés insistèrent pour se disculper l’un l’autre ? Dame Hermance avaient trop bien compris la situation, l’avait-elle elle-même déjà vécue ? Elle changea de conversation s’intéressant au présent. La cérémonie de bonnes manières était, il est vrai, plaisante à voir et donnait à qui offrait un spectacle plaisant. Le visage de Marin s’illumina alors qu’Esmée découvrit les pâtisseries avant d’en proposer à la comtesse puis à lui-même. Par courtoisie et pour partager ensemble ce moment, il prit une friandise, mais attendit qu’Esmée se servît pour pouvoir l’accompagner. Quand l’épouse du comte de Sabran reprit presque mot pour mot la boutade qu’il avait faite un peu plus tôt, la jeune fille sembla s’immobiliser.

— Vous soudoyer aurait été attendre quelque chose de vous. Voilà qui aurait été bien sot quand je vous dois déjà tant.

Sa prise de parole permis à Esmée de terminer son geste et de se saisir enfin de la mignardise, il poursuivit.

— Le choix de cette délicieuse attention n’aurait, après tout, pas été possible sans votre gentillesse, compléta-t-il avec un sourire sincère. Mesdames, après vous, invita-t-il.

Un peu après elle, il porta la pâtisserie à sa bouche. Après avoir longuement mastiqué, il termina sa bouchée sans pourtant émettre d’avis. Il n’avait pas l’habitude de consommer des mets sucrés et des desserts, ce qui ne l’empêcha pas d’apprécier la finesse de la friandise. Il n’avait cependant aucune idée du goût qu’était censé avoir la confiserie, il aurait été mal venu de faire l’éloge de son goût alors qu’elle était totalement raté pour des palais aguerris.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptySam 9 Avr 2022 - 7:17
Pommes de Najac, aïs blanches de Genevrey et miel de Sarrant... Les mignardises avaient le goût exquis des vergers d'amandiers, la pleine saveur des fruits mûrs du plateau et l'incomparable parfum de la bourgène. Elles étaient tout bonnement délicieuses et avaient, sans aucun doute possible, été payées une fortune. Il n'y avait qu'un pâtissier capable de produire ces merveilles à Marbrume et ses tarifs frôlaient l'indécence. À une époque où la famine s'instillait jusqu'à l'Esplanade et où le rationnement s'affichait comme un maître-mot, l'acquisition de telles raretés avait probablement forcé au négoce avisé. Une idée dont Esmée ne parvenait pas à se défaire tant elle savait la condition humaine aujourd'hui difficile.
Bien que jeune, elle avait conscience de ce que le Fléau avait semé de misère dans son sillage. Elle savait, malgré l'innocence d'un regard jusque là épargné, comme la vie pouvait être difficile par-delà la Porte des Anges. Elle comprenait donc ce que Marin avait dû céder à la folie seulement pour lui faire plaisir.

Le rose lui monta aux joues pour mieux souligner le trouble contenu dans son regard. Touchée, la jeune femme luttait pour ne pas céder à l'émotion. En cela, elle offrait un tableau bien différent de sa mère. Une image trop tendre et invariablement affectée quand sa noble condition aurait dû la montrer simplement satisfaite. À côté d'elle, la Comtesse de Choiseul tenait son rang avec un irrécusable détachement. Ni saisissement, ni transport, elle se contentait d'apprécier la friandise pour ce qu'elle avait de sapidité et n'avait pas même supposé le possible sacrifice consenti à leur acquisition.

- Elles sont exquises.

Elle avait murmuré sa pensée comme une confession, alors même qu'elle se sentait en proie à un inavouable dilemme. Tiraillée entre sa joie et la culpabilité de savoir le Chevalier attaché à lui faire plaisir. Immanquablement, ses yeux d'or cherchèrent l'attache de son regard céruléen. Son désormais silence, probablement plus éloquent que mille mots savants, s'enveloppa d'un tendre sourire. Vous n'auriez pas dû. Le dire clairement était cependant inconcevable, quand bien même le fait se voulait acquis. Il n'avait pas besoin de cela pour qu'elle l'aimât. Le constat d'une telle inclinaison en revenait pourtant à l'étourdir.
Marin avait évoqué la possibilité d'un mariage et elle se reprit à rêver sa proximité. Ne me faites pas languir trop longtemps... Combien de temps lui faudrait-il attendre avant de pouvoir enfin se perdre dans ses bras sans avoir à s'en blâmer ? D'ici là, ils ne trouveraient peut-être pas d'autre occasion pour se dérober au regard inquisiteur de la morale afin de s'offrir un moment de bonheur. Quant à son père, Esmée savait ses exigences élevées. Le Comte de Sabran aspirait au prestigieux d'un avenir politique au service du Duc. Ses ambitions étaient grandes et l'homme de tête ne se laisserait pas convaincre aisément.

Ainsi perdue dans ses pensées, la jeune femme ne prêta que peu d'attention à la conversation que sa mère s'employait à animer. Il était question de fêtes, de bals, de banquets et d'amusements. Hermance avait visiblement à coeur de dilapider une fortune autrement plus utile dans un contexte aussi apocalyptique que celui de la Fange. La rumeur prétendait qu'elle voulait rivaliser avec l'excentrique Baronne d'Auvrechet et Esmée n'avait toujours pas saisi l'intérêt d'un tel enjeu. De son côté, Marin s'efforçait à la politesse avec une remarquable aisance. Le fin esprit ne lui faisait aucunement défaut et cet atout contribuait très certainement à le rendre charmant. Elle avait ainsi saisi les murmures et chuchotis qui le dépeignaient comme un infatigable galant, mais demeurait persuadée qu'il possédait qualités bien plus admirable qu'un joli minois.

- Esmée ? Au regard que lui lança sa mère, la jeune femme comprit qu'elle avait manqué d'attention.
- Probablement avez-vous raison Madame. Tenta-t-elle toutefois de répondre avec cette certitude qu'il valait mieux donner foi aux probables paroles de la Comtesse, que de risquer sa vexation.

Hermance ne pu retenir un éclat de rire et ce faisant, elle lança un coup d'oeil complice en direction du Chevalier. S'ils venaient de conclure un pacte dont la jeune noble n'avait pas idée du contenu, cette dernière pourrait bien s'en trouver confuse. C'est alors que l'amusant de cette situation possiblement inconfortable se conjugua avec l'inattendu d'un caprice saisonnier. La pluie... Elle se mit à tomber à grosses gouttes, rinçant jardins et promeneurs sans chercher à les distinguer.

- Par les Trois ! S'exclama Hermance tout en se relevant dans un presque bond. Vite, allons nous mettre à l'abri ! Dépêchez-vous. Il ne faudrait pas que vous attrapiez la mort. Mais déjà le déluge voulait les transpecer jusqu'aux os. Au manoir Sabran... Ordonna-t-elle presque à contrecœur tandis qu'Esmée se hâtait de protéger ses cheveux déjà trempés. Pressons Chevalier !
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptySam 9 Avr 2022 - 13:25
Aux yeux de Marin, aucune folie n’était exagérée pour ravir la jeune femme aux yeux d’or. Les pommettes de cette dernière rosirent et il vit que son attention avait été remarquée. Toutefois, il était loin d’imaginer la culpabilité ou les préoccupations que son geste avait engendré. Il ne faisait pas partie des plus aisés et il n’était pas sans savoir que la vie était rude pour les plus miséreux du royaume, mais il s’épargnait volontiers ce genre de pensées parasites, s’accrochant aux derniers plaisirs qu’il pouvait tirer de ses privilèges, comme beaucoup de nobles à vrai dire. Croire qu’il pouvait changer le monde à son échelle lui paraissait illusoire, et comme ils étaient nombreux à penser ainsi, rien ne changeait ou ne changerait de si tôt. Les pâtisseries étaient délicieuses, mais Marin se délectait bien davantage du regard communicatif qu’il échangeait avec Esmée. Ses yeux pétillaient comme des flammes dansantes, il se surprit à espérer qu’une nouvelle bourrasque ne libère quelques longues mèches de ses cheveux noirs, juste pour pouvoir les replacer lui-même.

Impensable. Surtout devant la Comtesse de Choiseul. L’éducation du chevalier, les invitations régulières à son attention, sa présence dans les rencontres mondaines lui avaient forgé une oreille attentive. Dans le jeu des apparences, il était de bon ton d’avoir l’air de s’intéresser à tout et à tout le monde. Les femmes détestaient se rendre compte qu’on ne les écoutait pas ou qu’elles n’avaient pas l’attention complète et exclusive de leur interlocuteur. Alors, tout pouvait s’enchaîner très vite. Une femme contrariée pouvait facilement détruire la réputation de celui qui l’avait déçue. Il ne suffisait que de quelques mots à ses proches amies, et le mécontentement d’une femme vous gagnait la désapprobation de toutes. Ce n’était pas tout, non seulement, il fallait prouver son intérêt, mais l’entretenir en rebondissant régulièrement sur les propos tenus.

Entre autres propos, Dame Hermance avait évoqué ses projets de fête à la Baronne de Monteloup. Cette dernière lui avait appris que cette même semaine, la Baronne d'Auvrechet avait l’intention de faire un bal masqué avec un grand banquet. Cette annonce avait naturellement mécontenté l’épouse de Sabran qui se voyait dans l’obligation d’ajourner ses festivités. Il aurait été peu délicat d’obliger ses invités à choisir entre deux hôtes, d’autant plus quand on connaissait la propension de la dame d’Auvrechet à vouloir en mettre plein la vue. Il n’en avait pas fallu plus pour provoquer l’enthousiasme de Marin, enthousiasme qu’il s’efforça de cacher pour compatir avec dame Hermance ; décidément, ce planning était inopportun. Mieux valait espacer de plusieurs jours ses invitations, le temps que les invités se remette de leur soirée. Cependant, la malice de Marin avait enregistré une information dont il comptait bien tirer profit ; il y aurait des invitations à un bal masqué, c’était l’occasion rêvée pour fureter dans l’anonymat. Ses yeux se tournèrent vers Esmée, comme s'il eut espéré qu’elle pensât la même chose que lui.

— Vous avez sans doute raison, Chevalier, je vais devoir revoir mon agenda, se désola la comtesse. Il aurait été regrettable d’organiser une soirée mémorable alors que ma propre fille eût été tentée d’assister à la soirée autrement plus distrayante de la Baronne D’auvrechet, n’est-pas Esmée ?

Dame Hermance avait osé espéré que, par politesse sa fille essaierait de la rassurer sur sa présence à la soirée organisée par sa propre mère, mais la réponse inattendue de la jeune femme, manifestement perdu dans ses rêveries la fit éclater de rire qui arracha un sourire tendre à Marin. Il allait ouvrir la bouche pour essayer de récupérer la situation pour elle, mais Hermance tempêtait déjà contre l’averse qui s’ouvrit au-dessus d’eux avant de lancer ses ordres, incluant le chevalier. Esmée cherchait à protéger ses cheveux, mais presqu’aussitôt, elle se retrouva enveloppée à l’abri. Marin n’allait pas la laisser se faire malmener par la météo, il avait retiré son manteau et l’avait posé sur ses épaules, le maintenant plus en hauteur pour en fait une capuche de fortune qui la protégeait de la pluie désormais torrentielle. L’un contre l’autre, Marin posa sa main sur l’épaule frêle appuyée contre son flan pour adopté le rythme des petits pas de celle qui l’accompagnait. Ensemble, ils s’empressèrent de suivre la Comtesse de Choiseul. La femme prévenante qu’elle était emportait toujours avec elle de quoi contrer les plans machiavéliques du temps. Lorsqu’ils arrivèrent sur le perron du manoir Sabran, le cadet de Luynes avait les cheveux trempés, ses cheveux étaient dégoulinants d’eaux et formaient des mèches plaquées contre son front et ses tempes. Pourtant un grand sourire était plaqué sur son visage perlé d’eau ; il pensait déjà à la prochaine fois où il aurait l’occasion d’échanger avec Esmée seul à seul. Un bal masqué.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyDim 10 Avr 2022 - 0:48
La pluie avait très rapidement chassé les promeneurs qui déambulaient dans les jardins. Tous se pressaient pour retourner au confort de leurs demeures et échapper au déplaisant d'une averse devenue torrentielle. Esmée, au contraire, aurait voulu rendre son pas plus traînant. Egoïstement sans doute, elle aurait souhaité le rendre languissant pour n'avancer qu'à un rythme mesuré et profiter un peu plus longuement de la proximité du Chevalier. À l'abri sous son manteau, qu'il tenait comme une banne, elle avait le sentiment de se trouver coupée du monde. Un confort surtout affectif qu'elle se plaisait à savourer avec candeur.

Collée à son flanc, presque lovée contre lui, elle découvrait l'enivrant de sa présence en s'imprégnant de sa chaleur. Il était bien fait, elle l'avait évidemment deviné dès leur première danse. Cependant, à présent que sa main s'offrait l'audace d'un appoint en venant s'ancrer à son torse, elle ne pouvait qu'en témoigner. Son gant précédemment abandonné sur le banc n'avait pas été récupéré et ses doigts désormais nus s'enchantaient dans une involontaire caresse.
Esmée n'avait probablement pas conscience de ce que son geste pouvait avoir d'indécent. Elle ne se rendait pas même compte du cheminement lascif de ses doigts sur le tissu rendu humide par la pluie. L'irraisonné d'un égarement instinctif la guidait à survoler le dessin d'un muscle parfaitement sculpté quand un vent devenu glacial lui arracha un nouveau frisson. Elle se raidit presque aussitôt et ramena ses deux mains à son col pour le relever. À côté d'elle, Marin la gardait dans sa chaleur et elle céda volontiers à son étreinte pour aller enfuir son visage contre son épaule.

Très vite, son nez renoua avec l'envoûtant de son odeur. Un parfum léger dont les arômes boisés se mêlaient subtilement à quelques fragrances plus épicées. Elle le respira presque sans retenue, tout comme il la pressait un peu plus contre son flanc. Depuis son omoplate, la chaleur contenue dans le creux de sa paume se distilla jusqu'à ses reins. Probablement aurait-elle pu rester ainsi jusqu'à la fin des temps. Le manoir des Sabran se trouvait cependant très proche des jardins ducaux. Il était même possible d'apercevoir les pointes de toit de ses quatre tourelles depuis l'allée principale du parc. Aussi ne tardèrent-ils pas à rejoindre la bâtisse imaginée et conçue pour afficher les qualités d'une famille tout particulièrement aisée.

Trois étages, trop de chambres et de nombreuses fenêtres faisaient de ce manoir l'un des plus prestigieux de la rue. Son large perron encadré par d'iconiques balustrades aurait probablement pu accueillir une troupe armée. Quant à ses lourdes portes blasonnées du dragon familial, leurs dimensions tenaient du grandiose sinon de l'extravagance. Il y avait alors fort à parier sur le faste qui se cachait derrière les murs de cette résidence soigneusement entretenue depuis des générations. Des peintures de maître, des bibelots d'or et d'argent gravés, des miroirs, des lustres... Un trop plein de richesses pour une seule famille.

Émergeant de sous le manteau de son compagnon de misère, Esmée afficha un air navré en le voyant trempé jusqu'aux os. Cependant et très rapidement, sa mine attristée s'illumina d'un sourire quand elle le découvrit presque rayonnant. Visiblement en joie d'avoir été sauvagement rincé par la pluie, Marin paraissait seulement ravi. Une chose que la jeune femme lui concéda en plus d'admettre qu'il conservait son charme en toute circonstance. De son côté, la Vicomtesse de Sabran n'avait plus que son titre pour justifier de son statut. La coiffure ruinée par le déluge, ses cheveux voulaient s'émanciper pour fuir le joug d'un chignon trop strict. Ca et là, les mèches rebelles avaient quitté leur prison pour s'épanouir en boucles folles et dévaler dans son dos. Hermance seule demeurait princière et quand un domestique lui ouvrit passage vers sa demeure, elle s'y engouffra d'un pas de parade.

- Ah ! Les dieux ont décidément l'humour cruel ! Lâcha-t-elle alors qu'Esmée retenait un fou rire en jetant un coup d'oeil complice vers le Chevalier. Allez allez, pressons ! Entrez et... Louise ?! Louise ?! Mais où est-elle ? Ah ! Louise... Occupez-vous d'arranger le désastre de ce que je présage être la mise de ma fille. Veillez également à préparer une collation, du thé et trouvez quelques vêtements secs pour notre inv...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un tout jeune garçon courait à leur rencontre, fronde à la main.

- Je Protège ! Hurla-t-il en pointant son arme de gavroche vers Marin.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyLun 11 Avr 2022 - 21:26
La course sous la pluie avait été plaisante, quoique brève. Si Marin avait remarqué le déplacement sinueux de mains trop curieuses, il l’avait apprécié dans le secret en conservant un air détaché. Il lui revenait d’être irréprochable et de ne rien laisser soupçonner. L’innocence et l’attrait du nouveau pouvairnt pousser les jeunes femmed à des gestes insouciants que des regards médisants auraient tôt fait d’interpréter. Il ne le permettrait pas. Il se pensait assez fort pour pouvoir résister pour eux deux s’il le fallait, mais il était hors de question que l’image d’Esmée soit écornée par quelque rumeur que ce fût. Il garderait pour lui seul ces petites attentions et peu lui importait qu’on doutât de la passion qu’elle faisait naître en lui. Il enveloppa les doigts glacés au creux chaud de sa paume avant de les replacer à son bras gauche.

Le manteau pesait encore sur les épaules de la jeune noble quand ils franchirent la porte d’entrée. Aussitôt, la voix de la comtesse jetant des ordres à tout-va sonna le branle-bas de combat : les domestiques s’agitèrent autour d’eux et déchargèrent la fille de leur maîtresse de l’étrange vêtement qui l’avait protégé de la pluie avant de l’emporter dans la pièce suivante. Un domestique eut l’air effaré en voyant le chevalier salir le sol de sa seule présence tant ses vêtements étaient imbibés d’eau, il entreprit de se munir de serviettes pour éponger le sol, puis le messire. Il faisait le trajet du retour, les bras chargés en se disant qu’il était peut-être plus judicieux de faire l’inverse. Louise, quant à elle, portait toute son attention à la jeune Esmée, ses soupirs et ses claquements de langue exaspérés en disait long sur l’état de la Vicomtesse ; une partie de la robe était trempée, la coiffure était bonne à refaire, mais pas devant l’invité, il eût été indécent de dénouer ses cheveux ainsi en public. C’est alors qu’un garnement bondit devant lui, lourdement armé. Après avoir haussé un sourcil surprit, Marin leva les mains en signe de reddition.

— Pitié pour les faibles, Monsieur le Vicomte de Sabran ! La pluie a failli nous noyer, nous venons chercher votre miséricorde !

Quelque peu désarçonné par cette réponse, il hésita de longues secondes, comme s’il pesait le pour et le contre, avant de froncer les sourcils, pas convaincu !

— Brigand-menteur ! La pluie n’a jamais noyé personne ! Vous avez voulu enlever la fille du Comte Sabran ! VOUS ALLEZ PAYER ! En garde !

Marin n’eut rien le temps de faire, une pâte molle vint s’écraser sur son torse avec un gros « FLAC » avant de retomber mollement au sol, non sans laisser une étrange trace sombre sur le tissu. L’espace d’un instant, les domestiques retinrent leurs souffles, incertains de la réaction du chevalier. Dame Hermance ouvrit la bouche, le regard sévère mais son attention fut détournée lorsque Marin tomba à genoux en se tenant la poitrine, tête pendante.

— Argh… gémit-il, j’ai été découvert… Mes plans ont été dévoilés … Argh… Que Justice soit faite … et que les Trois me pardonnent !

Argan se mit à faire tournoyer sa fronde vide, conquérant, et tout le monde autour s’écarta pour ne pas recevoir un coup malheureux.

— Je suis la Justice ! hurla-t-il comme s’il venait de pourfendre l’ennemi. Et je vous condamne à… le cadet Sabran n’avait pas imaginé une victoire aussi épique et soudaine, il dut réfléchir à une récompense digne du mal qu’il s’était donné. A me donner tous vos biscuits du goûter.

— Tous ? s’insurgea Marin, en relevant soudainement la tête, mort, mais pas trop. Argan sembla reconsidérer la question un instant, et mit ses mains sur ses hanches.

— Bon, disons deux, concéda-t-il d’une voix solennelle en affichant le chiffre sur ses doigts.

— Marché raisonnable, admit le noble, toujours à genou, en serrant la petite main pour sceller leur accord.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyMar 12 Avr 2022 - 20:35
Depuis la pièce attenante au grand hall, Esmée pouvait suivre et apprécier le théâtral échange qui opposait son jeune frère au Chevalier. Argan était une canaille, un petit chenapan mal élevé mais terriblement attachant. Son contact facile et la gaieté qu'il instillait dans la plupart de ses échanges, lui valaient la sympathie de bien des gens. Le garçonnet, tout juste âgé d'une dizaine d'années, prenait alors un malin plaisir à se faire remarquer. D'autant que, dernier né de la fratrie, il ne bénéficiait pas des mêmes attentions que son aîné, Lubin. Cependant, Esmée l'adorait. L'été, lorsqu'un étouffant soleil fatiguait son enthousiasme débordant, il n'était pas rare qu'il s'endorme sur ses genoux. La jeune femme s'arrogeait alors le droit de tresser ses cheveux pour en discipliner les terrifiants épis. Un jour, elle l'espérait, elle pourrait s'occuper de ses propres enfants en se rappelant ces tendres moments en compagnie du petit galopin. En attendant, elle entendait son négoce de biscuits d'une oreille amusée et se réjouissait, sans pourtant oser se projeter, de découvrir Marin aussi habile avec le polisson.

- Je prendrai ceux à l'anis. Décida Argan sans plus laisser la moindre place à la discussion.

Cette affirmation toute tyrannique amena Esmée à étouffer un éclat de rire. Bien sûr, Louise lui jeta un coup d'oeil contrarié alors qu'elle peinait déjà à démêler les boucles de ses cheveux malmenés par la pluie. La jeune noble, qui avait appris à ne pas contrarier la domestique quand celle-ci avait un peigne à la main, lui offrit son plus beau sourire seulement pour s'excuser. Pour autant, la chambrière demeura stoïque. Elle laissa retomber la masse des cheveux enfin domptés dans le dos de sa jeune maîtresse et d'un geste de la main tout juste esquissé, l'invita à lever les bras afin de lui passer une nouvelle robe. Louise Samovar était sans aucun doute possible la plus intransigeante et la plus pénible des caméristes de l'Esplanade. Son tempérament zélé, surtout en matière de chignons, jurait avec celui de son époux Hugo. L'homme beaucoup plus posé avait rejoint la maisonnée Sabran en même temps qu'il avait épousé le "tyran de la barrette". Cela faisait presque quinze ans qu'il s'occupait aujourd'hui de gérer l'entièreté de la domesticité.

Hermance l'appréciait tout particulièrement. Elle lui avait ainsi cédé de nombreuses responsabilités normalement dévolues à la maîtresse de maison et comptait invariablement sur son oeil acéré pour corriger l'une ou l'autre anomalie dans la bonne gestion des affaires domestiques. Quand il apparut pour s'occuper du déplorable état du cadet des Luynes, la Comtesse s'en trouva soulagée. Elle profita de pouvoir considérer l'invité entre de bonnes mains pour doctement réprimander le plus jeune de ses trois enfants. Son ton, toutefois, tenait bien davantage de la gronderie que du sermon.

- Vraiment Argan, vous êtes impossible. Soyez heureux que Monsieur de Luynes ait été bon joueur. La prochaine fois vous pourriez bien être moins chanceux. Tous ne sont pas d'aussi admirables chevaliers.

Ce dernier mot prononcé avec un peu trop d'emphase devait sciemment attiser l'intérêt du garçon. La mère, évidemment, connaissait les inclinaisons martiales de son tout jeune fils. Aussi s'amusa t'elle de voir son regard s'illuminé, tandis qu'elle glissait une oeillade entendue en direction de Marin. Elle le remercia d'une très discrète inclinaison du chef et opina du chef quand Hugo lui présenta quelques vêtements tirés de l'armoire du Comte de Sabran.

- Parfait Hugo, merci pour votre diligence. Puis, se tournant vers leur invité toujours trempé. Monsieur de Luynes ? Si vous voulez bien vous donner la peine, Hugo va vous mener. D'un élégant geste de la main, elle proposa au jeune noble de suivre le domestique qui s'inclinait devant lui.

L'homme d'une taille raisonnable avait le physique sec des gens consommés par une inexpugnable agitation. Pour autant sa mine affichait un air réservé que démentaient deux prunelles d'un vert intense. L'intelligence qui y avait logé une brillante étincelle se lisait par-delà un faciès gravé de rides. Elle se distillait dans ses gestes appuyés et sûrs, et contrôlait son pas pourtant pressé. Il passa ainsi dans le couloir qui s'ouvrait sur l'entrée, devant la porte malencontreusement laissée ouverte de la pièce où son épouse s'occupait d'Esmée. Le Chevalier sur ses talons, il ne cilla pas et sans même dévier de son cheminement, tendit le bras pour fermer ce passage inopiné à un éventuel regard indiscret.

- Monsieur. Fut le seul mot qu'il prononça alors qu'il offrait au jeune homme d'entrer dans une chambre sobrement décorée. Il l'aida à s'y dévêtir et comme tout bon majordome, s'employa à correctement ajuster des vêtements trop grands sur le corps du Chevalier. Sa tâche finie, Hugo proposa à Marin de se voir dans un miroir. Bien sûr habitué à l'exigence toute icarienne du maître de maison, il attendit d'avoir l'aval de leur invité pour le mener jusqu'à un salon adjacent. La Comtesse de Choiseul y était déjà installée en compagnie de ses deux fils. Le sourire aux lèvres, elle devisait tranquillement avec Lubin, tandis qu'Argan s'échinait à replacer correctement les pièces d'un échiquier taillé dans l'ivoire.

- Monsieur de Luynes. Hermance releva finalement les yeux vers lui et attendit qu'il s'installe à leur table déjà dressée pour le goûté. Hugo s'est bien occupé de vous. Un peu de thé ? Il n'eut pas le temps de répondre qu'une jeune fille lui servait déjà une tasse d'un breuvage fumant et odorant. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de rencontrer Lubin.

Le premier des fils Sabran releva le menton et se faisant, il révéla tout ce que son jeune visage avait de ressemblance avec celui de son père.

- Non mère. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de deviser. Jouez-vous Luynes ? Demanda t-il en désignant l'échiquier d'un petit signe de la tête. Mon frère m'ennuie à ne pas savoir déplacer un cavalier et Madame la Comtesse refuse de se mesurer à moi.
- C'est que je n'ai jamais plus aucune chance de vous battre ! Répliqua Hermance alors qu'elle posait sa main sur la bouche d'Argan qui tirait la langue à son frère.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyVen 15 Avr 2022 - 22:32
Le pacte était scellé et Marin s’était définitivement fait arnaqué. Dame Hermance avait évoqué habilement son statut de chevalier, et la bouille du benjamin s’était illuminée d’admiration. Quel jeune garçon ne rêvait pas d’être un de ces valeureux chevaliers dont on contait les vertus et les légendes ? A l’âge d’Argan déjà, il n’envisageait pas être autre chose qu’un homme d’armes. Dans un désir égoïste, la baronne aurait tant aimé qu’il entrât dans les ordres, pour avoir enfin un fils à elle, avec qui elle aurait pu partager sa foi et ses passions artistiques. Elle n’avait jamais rien pu faire avec son aîné Louis. A peine était-il sorti de ses jupes, le baron avait décrété qu’il était le seul apte à faire l’éducation de son héritier. Le sevrage avait été plus brutal pour la mère que pour l’enfant, elle s’était consolée avec son petit dernier. Mais voilà que le sort s’était acharnée sur elle, le petit ne rêvait que de combats et d’aventure.

Emporté par le majordome, il passèrent devant une porte entrouverte où il entrevit une cascade de cheveux noirs tombant autour d’une silhouette délicate. Rapidement, la porte se referma, mais trop tard ; l’image était gravée dans sa mémoire et Marin garda un sourire idiot, se laissant guidé dans une étrange danse que celle d’être habillé et apprêté par des domestiques. La dernière fois qu’on l’avait habillé, il devait avoir dix ans. Par la suite, le nombre de domestiques s’était drastiquement réduits. Mal à l’aise, il ne sut trop quoi faire, ou ne pas faire, ni même quoi regarder lorsqu’on lui tendit un miroir. Son reflet, coincé dans un tel accoutrement, lui donnait le sentiment d’être déguisé. Pourtant, le comte de Sabran avait beaucoup de goût et le sens du détail, sa garde-robe était d’excellente facture. Ce dernier détail accentué un malaise déjà présent ; il eut été fâcheux qu’il abîmât les biens de celui qui ne le portait déjà pas dans son coeur. Il remercia Hugo de son aide, puis rejoignit la maîtresse de maison qui lui offrit du thé.

— Avec grand plaisir, répondit-il en récupérant déjà la soucoupe qu’on lui tendait. Il fit la connaissance du premier fils des Sabran qui désespérait de trouver un adversaire à sa taille. Malheureusement pour lui, Marin n’allait pas arranger ses affaires.

— Je regrette de vous apprendre que les jeux de patience et de stratégie n’ont jamais été mon fort. A votre âge, j’étais bien trop immature pour trouver du plaisir en défiant l’autre par l’intelligence. Ainsi, si vous souhaitez un entraînement amical, ça sera avec grand plaisir que je partagerai avec vous quelques secrets à l’épée.

Très peu intéressé par la conversation en cours, Argan profitait de l’inattention de tous pour empiler les petits gâteaux discrètement. En l’espace de ces quelques échanges, ses joues gonflées et les miettes qui tapissaient sa bouche et son menton indiquaient qu’il en avait probablement déjà engouffré plusieurs. Ses yeux mutins jettaient des coups d'oeils frénétiques vers sa mère, espérant que rien ne détournerait son attention avant qu'il ait accompli tous ses méfaits.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyLun 18 Avr 2022 - 0:24
L'héritier des Sabran garda le silence et comme l'aurait très certainement fait son père, il releva le menton pour estimer la proposition du chevalier. Ses cours d'escrime lui avaient permis d'acquérir l'aisance nécessaire pour aujourd'hui apprécier la brette. Il suivait d'ailleurs les enseignements de son propre maître d'armes. Appliqué à défaut être remarquable, Lubin se débrouillait bien. Dire qu'il appréciait l'exercice aurait été mentir. L'adolescent voyait dans cet apprentissage une nécessité seulement liée à son rang. Pour autant, dédaigner ce qu'il considérait comme un défi était impensable. Le jeune Sabran, en effet, n'aurait pas admis de décliner l'offre qui, tout jeune qu'il était, venait titiller ce qu'il avait de fierté.

- Hmm... Pourquoi pas.

Il fit mine de paraître désintéressé, mais pour qui le connaissait, Lubin avait seulement tenté de dissimuler le grinçant de son esprit taillé pour la compétition. Trait de caractère indéniablement hérité de son paternel, l'adolescent détestait perdre. L'idée lui était à ce point insupportable, qu'il la complétait d'un exécrable entêtement et d'une remarquable propension à la mauvaise foi. En somme et plus simplement, Lubin était un très mauvais joueur.

- Si vous vous sentez suffisamment en vaine pour croiser le fer avec moi, nous pourrions dès à présent rejoindre la salle d'armes. Il se redressa alors que la Comtesse de Choiseul ouvrait la bouche pour protester et se mit debout en ignorant toute la contestation contenue dans son regard. Vous n'aurez qu'à retirer cette veste qui, de toute façon, est trop grande pour vous.
- Lubin ! Hermance s'insurgea, mais l'adolescent demeura stoïque.
- Je ne fais qu'énoncer un fait Madame.

Il mentait et il le faisait avec une telle effronterie que sa mère en vint à rougir pour lui. De son côté, Argan lâcha une pure exclamation de joie, avant de se hisser sur ses jambes. Trop jeune ou trop naïf pour saisir tout le venin contenu dans l'anodin constat affirmé par son aîné, il se précipita même vers la sortie. Hermance chercha toutefois à tempérer cet élan. Outrée par le manque de tact de son fils, elle n'entendait pas laisser passer l'offense sans réagir.

- Dans ce cas, permettez que je vous en partage un autre. Vous n'êtes pas le plus aguerri des combattants.
- Non mère, il est vrai. Cependant, à l'image de Monsieur de Luynes, je suis le digne fils de mon père.

Son regard se porta sur Marin tandis qu'un fin sourire glissait sur ses lèvres. Lubin était à n'en pas douter le portrait craché de son géniteur. Prétentieux, hautain et fielleux comme la plupart de ceux qui, nés une cuillère en argent dans la bouche, n'avaient jamais eu qu'à se donner la peine d'exiger. Persuadé dès lors de sa supériorité, il ne manquait pas une occasion de l'affirmer. Cette absence de sobriété dans ce qu'il aurait pourtant dû afficher de manières, lui valait d'être souvent seul. Pourtant l'adolescent disposait de quelques belles qualités. Il avait à coeur de se montrer à la hauteur et s'obligeait à faire de son mieux en toutes circonstances. Sans doute son père était trop exigeant et certainement Lubin craignait-il de le décevoir. Alors il se cachait derrière ses attitudes dédaigneuses et parfois cruelles. Et il le faisait avec une telle volonté qu'il en devenait détestable. Un prédicat dont il ne se défaisait pas malgré un physique agréable.

- Vous venez Luynes ? La question n'attendait visiblement aucune réponse alors que le Sabran armait d'ores et déjà un pas volontaire pour quitter le petit salon. Je suis curieux et impatient de voir quels secrets vous pourriez me partager à l'épée. Je le suis d'autant plus que j'entends participer au prochain tournoi organisé par le Duc. Il est question d'une compétition en mai. En avez-vous entendu parler ?

Il avait été sur le point de quitter le petit salon quand Esmée apparut à son entrée. Apprêtée et coiffée d'un chignon cette fois plus sobre, la jeune femme avait troqué manteau humide et mise détrempée contre une robe d'un rouge profond. Une robe parfaitement ajustée et dont le tissu, brodé de fils d'or, valait probablement le coût de plusieurs repas copieusement servis.

- Ah, vous voilà. L'accueillit Lubin tout en lui offrant son bras. Nous n'attendions plus que vous.
- Vraiment ? Esmée jeta un coup d'oeil à sa mère visiblement dépassée, puis laissa son regard glisser vers Marin.
- Vraiment. Monsieur de Luynes a proposé de me faire profiter de son savoir d'escrimeur. Il suggère de m'enseigner l'une de ses bottes secrètes. J'ai pensé qu'il serait agréable d'agrémenter votre journée d'un peu de... bouillonnement. Il esquissa un nouveau sourire, ravi de voir le rose monter aux joues de sa soeur et définitivement convaincu d'oeuvrer pour son bien. Nous allons voir si votre soupirant est à la hauteur de ses prétentions. Finit-il par décréter tout en prenant le bras de sa soeur indécise afin de l'enrouler autour du sien.

Derrière eux, Hermance n'en finissait plus de blêmir. De rage sans doute, d'exaspération certainement, mais également d'un peu de cette auguste indignation qui la rendait finalement humaine. Elle s'approcha de Marin et tout en lui prenant le bras, se pencha légèrement pour chuchoter à son oreille.

- Par les Trois Chevalier... Si vous ne corrigez pas cet insolent, je m'en vais lui donner la fessée moi même.

Lui jetant un dernier regard, elle appuya légèrement contre son flanc pour qu'il suive Lubin jusqu'à la salle d'armes. Cette dernière ne se trouvait qu'à quelques pas du petit salon. Vaste comme trois chambres et large comme autant de pièces, elle bénéficiait d'une belle emprise au sol. Son parquet lustré et élimé par les bottes et les feintes des pratiquants s'ouvrait en damier pour dessiner un très simple carré d'entraînement. De part et d'autres de ses lignes, des râteliers tenaient armes et protections à dispositions des combattants venus perfectionner leur maîtrise, tandis qu'au fond une tribune rudimentaire permettait la présence de spectateurs privilégiés.
Argan y avait déjà trouvé sa place au premier rang. Les poches chargées de biscuits dérobés, il salua les arrivants d'un joyeux éclat de rire. Le garnement était impatient et ce seul constat obligea Esmée à serrer dents et mâchoires pour ne pas dire son avis. Pourtant, le regard qu'elle jeta à Lubin quand il lui offrit de s'installer à côté de leur jeune frère ne pouvait qu'être éloquent ; elle désapprouvait. Aussi, lorsque sa mère vint s'assoir sur le petit banc, Esmée préféra se porter au devant du Chevalier.

Elle ne dit rien. Ce n'était pas nécessaire alors que ses yeux d'or trouvaient à s'ancrer dans les prunelles azuréennes du noble. Cependant et tandis qu'elle lui offrit de l'aider à se préparer, Esmée s'osa à glisser un petit carré de tissu dans le creux de sa paume. Un modeste gage de ce que son coeur lui avait d'ores et déjà promis et qu'elle s'était employée, quelques jours auparavant, à broder dans la délicate étoffe d'un mouchoir. Toujours... Un seul et unique mot qui pourtant en valait mille.

Marin ne pouvait et surtout ne devait pas perdre.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyJeu 19 Mai 2022 - 23:16
Marin avait refusé la partie d’échec, mais avait glissé cette proposition de combat à l’épée sans se douter que Lubin le prendrait au mot et comptait bien en découdre sur l’instant. Le de Luynes n’avait jamais aimé la compétition ; ce qu’il aimait, c’était gagner. L’idée l’effleura de ne pas mettre toute son application à la tâche, l’histoire de ne pas offenser l’héritier des Sabran. Cette pensée s’évanouit aussitôt lorsqu’il entendit les paroles aiguisées que l’adolescent lui adressa. Un sourire dédaigneux découvrit les dents du chevalier, on n’aurait su dire s’il se délectait d’écraser sa proie ou s’il s’amusait des provocations d’un chiot. Il laissa l’enfant jouer au père protecteur auprès de sa sœur, le voyant adopter à son tour un vêtement beaucoup trop grand pour lui. Lubin avait énormément d’admiration pour son père et essayait de « jouer à être lui » en adoptant un discours que sa naïveté faisait sonner comme immature et arrogant.

— Vous avez sans doute raison pour la veste, admit-il en retirant la veste en question, qui n’avait de trop large que le bas du ventre. Mais je crois que personne n’est dupe quant aux années qui vous séparent des talents et de la flegme oratoire de votre père. N’y voyez là aucune offense, vous êtes encore jeune, la croissance, tout comme la sagesse, ne vient qu’avec la longueur des années. Moi-même je ne prétends ni à l’une ni à l’autre, avoua-t-il sur un ton jovial. En relevant la tête, ses yeux furent happés par la présence d’Esmée dans une nouvelle tenue, les cheveux à nouveau domptés dans une coiffure complexe. Alors le rictus arrogant qu’il avait arboré à l’adresse du jeune insolent se détendit en un sourire ravi. Ce changement sembla irriter le petit maître, à moins que ce ne fût la réponse de Marin qui lui déplût, mais ce dernier enchaîna pour ne pas lui laisser l’occasion de l’enfoncer plus encore.

— Je suis ravi d’apprendre que nos épées se recroiseront certainement à l’occasion de ce tournoi, j’en profiterai certainement pour prendre ma revanche. Après-vous, jeune Sir.

Les duellistes et leurs spectateurs avaient rejoint la salle d’armes, alors qu’il observait les armes à disposition, Esmée le rejoignit, sans un mot, hormis tout ce que révélaient ses grands yeux de miel. Elle glissa une faveur dans sa main, il la serra, sans remarquer les lettres inscrites à son attention et pour cause : ses yeux ne parvenaient pas à se détacher des prunelles d’or.

— Je savais que les princesses étaient gardées par des dragons. Je ne pensais pas devoir en affronter trois pour vous… s’enquit-il, visiblement amusé par la tournure des évènements. Allez, plus que deux… chuchota-t-il à sa bien-aimée en la remerciant d’un baise-main. Il s’empara d’une épée de bois abandonnée dans un coin et lorsqu’il leva les yeux vers Lubin, il vit un domestique en train de le harnacher d’une armure extrêmement coûteuse, sans doute commandée en prévision du tournoi.

— Je ne suis pas certain que cet attirail vous sera nécessaire… suggéra-t-il en levant l’arme factice qu’il tenait. Lubin éclata d’un rire moqueur.

— Luyne, allons, j’ai passé l’âge de jouer au chevalier !

— Quel dommage, Sir. Pas moi ! s’enthousiasma Marin, manifestement heureux d’avoir un bout de bois entre les mains, s’avançant sans aucune armure. De l’arrogance, il en avait bien plus que son adversaire, mais ce qu’il avait aussi, c’était une bien meilleure maîtrise du combat à l’épée. S’il y avait bien une chose qu’il avait apprise de son mentor, c’était que la technique dépassait souvent la capacité de l’arme et qu’un bâton bien maîtrisé et des mouvements vifs pouvaient devancer une épée acérée et des mouvements gourds alourdis par une armure trop peu portée.



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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyVen 1 Juil 2022 - 23:08
Lubin avait serré les dents. Il l'avait fait à chacune des remarques du Chevalier, mais également quand il avait constaté le soutien de sa soeur acquis au Luynes. Ce dernier point, bien plus que les piques et bravades de son noble adversaire, l'avait tout particulièrement éprouvé. Cependant trop fier pour admettre l'ironique jalousie qui voulait le submerger, Lubin se contenta de souffler un air chargé de morgue dans le creux de ses gants. La famille ! Esmée aurait dû préférer la famille à ce vaurien. Le coup d'oeil qu'il lança en direction du Chevalier était tout particulièrement éloquent. Il s'armait de suffisance pour parfaire son air de dédain et dire toute l'étendue de son mépris. Il lui en voulait - évidemment - et il était également en colère contre Esmée. C'est qu'il n'y avait qu'une fille trop "idiote" pour croire au "grand amour". Une fille qui n'aurait pas dû être sa soeur. D'ailleurs, de mémoire d'Homme, aucun moins que rien n'avait jamais osé prétendre à approcher une Sabran et aucune Sabran n'avait jamais été assez stupide pour se compromettre avec un presque prolétaire. La bêtise d'Esmée en venait alors à l'agacer au-delà du raisonnable. Elle l'irritait d'autant plus que cette absurde niaiserie en venait à éclabousser et ternir sa propre réputation.

D'un coup sec, Lubin tira sur les gantelets pour parfaitement les ajuster à ses poignets. Un domestique avait d'ores et déjà ordonné épaulières et gambison sur son physique adolescent, mais il voulait se montrer déterminé. Une chose qu'Esmée n'avait jamais entendu comprendre, ni même souhaité admettre. L'acharnement qu'exprimait son frère à tenir son rôle. L'exécrable manière qu'il avait d'imposer sa pensée et le dénigreur comportement qu'il affichait seulement pour se rassurer, n'étaient rien de moins que les témoins de ses échecs successifs. Le jeune homme, même volontaire, demeurait trop immature pour s'essayer à suppléer au père qu'il admirait. Malheureusement, son statut d'héritier voulait compenser ses épaules trop frêles par la démesure d'un égo seulement légitimé par principe. Au moins Marin avait eu l'intelligence de ne pas encourager ce comportement déplacé. Au moins avait-il su garder son sourire et son humeur intacts.

Esmée admirait sa contenance et son détachement comme d'indéniables qualités. Elle se figurait ainsi comprendre la pensée dissimulée sous la bienséance et estimait cueillir dans son regard les confidences de leur entente silencieuse. Trois dragons... Plus que deux. Ses lèvres se parèrent d'amusement tandis que ses doigts s'attardèrent dans le creux de sa paume. Dans les règles de l'art, le baise-main n'avait été que soufflé au-dessus de la dentelle qui recouvrait sa peau. L'hommage n'en devenait que plus appréciable et ce simple fait - sans aucun doute - ajouta au mécontentement du jeune maître.

Lubin cracha son orgueil au visage de son adversaire. S'il avait passé l'âge de jouer au Chevalier, il en avait tristement oublié les principes. C'est tout du moins ce qu'Esmée se prit à constater en l'observant, tandis qu'elle revenait sur ses pas pour s'installer aux côtés de sa mère. Hermance de Choiseul lui jeta un coup d'oeil entendu et se pencha légèrement vers elle pour chuchoter.

- Votre frère a été odieux.
- Je n'en attendais pas moins de lui.
- J'ai pour ma part été surprise.
- C'est que vous continuez de l'observer comme votre enfant.
- Mais c'est bien là ce que vous êtes tous, Esmée. Lubin, Argan et vous-même. Soyez donc indulgente et comprenez que son bonheur m'est aussi cher que le vôtre.

Ainsi rappelée à l'ordre, Esmée ne put qu'acquiescer. Sa mère, la Comtesse de Sabran, avait raison. D'un regard reconnaissant et d'une délicate pression de ses doigts sur l'avant-bras de la noble dame, la jeune femme s'excusa. Plus loin, dans la salle d'arme, Lubin voulait paraître dangereux. La lame qu'il brandissait devant lui était sans conteste tranchante. Quant à sa posture, d'abord dédiée à la défense, cette dernière témoignait de son entraînement. Il y avait cependant quelques lacunes dans le glissé de ses pas. Un trop plein de didactique qui nuisait à l'harmonie de ses gestes, mais qui aidait à sa confiance. Le jeune homme n'était pas mauvais bretteur. Il manquait seulement d'expérience et vouait toute son assurance à la supériorité de son équipement. Chose qui, fatalement, ne pouvait que le desservir.

Fallait-il cependant saluer son audace quand il choisit de passer à l'offensive. Lubin rua alors d'un presque bond en direction de son adversaire. Certain qu'une botte fraîchement apprise lui vaudrait la victoire tandis qu'il avait veillé, jusque-là, à garder son estoc timide. Son bras s'allongea en même temps qu'il se fendit d'un pas assuré vers Marin. Droit devant lui, le jeté de sa lame prit appui sur le rebord de son bouclier habilement brandit pour protéger son corps d'une éventuelle contre-attaque. Il était jeune, certes. Plus jeune que le Luynes. Cependant Lubin avait à coeur de se montrer combattif. Surtout ici, dans l'antre des fameux dragons et devant des spectateurs soigneusement choisis.

- Faites le malin si cela vous chante Luynes. Il chuchota presque pour n'être entendu que par son adversaire. Mais je ne suis pas dupe et je continuerai de me tenir face à vous, ici, lors du tournoi prochainement prévu, mais également là-bas.

Son regard glissa en direction des gradins et s'attarda sur le silhouette de sa soeur.

- Vous ne la méritez pas.




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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyMer 20 Juil 2022 - 20:14
Le regard mauvais que son petit adversaire lui lançait le renvoya bien des années en arrière.

Ces derniers jours, quand il sortait, il ne trouvait pas la bande. Au début, il s’était dit que peut-être ils avaient été réquisitionnés pour le travail aux champs, mais la période y semblait peu propice. Quand il avait décidé de les y trouver, il n’avait vu que leurs parents.

— Mon petit seigneur, s’ils avaient décidé de m’aider ça se saurait ! Ils doivent être encore en train de traîner dans les bois, si vous les trouvez dites-leur que j’ai des sacs de farine à faire porter, et que je les nourris pas pour qu’ils se la coulent douce quand j’ai des corvées plein l’moulin !

Comme les fils du meunier, les autres avaient tout bonnement disparu. Si d’habitude, Marin disparaissait avec eux, cette fois il avait été mis à l’écart ; il en était profondément blessé et amer. Il ne comprenait pas la raison de ce traitement et il était décidé à trouver réponse à ses questions. Il était retourné pour la troisième fois à la cabane qu’ils avaient construite avec Louis pour eux tous, bien avant qu’il ne se blesse en tombant de cheval. Il regarda la baraque en bois bloquée entre les troncs à plusieurs mètres au-dessus du sol. Le médecin lui avait l’interdit l’escalade jusqu’à guérison complète. S’il était venu plusieurs fois ici, pour voir si les autres s’y trouvaient, il avait renoncé à monter pour vérifier. Cette fois, il devait en avoir le coeur net. Il alla pour monter mais se trouva bête de ne pas trouver l’échelle de corde qui pendait habituellement. Il fronça les sourcils, sa contrariété s’accentua quand il entendit des chuchotements.

— … l’est parti ?…
— ...non, ferme-la !
— J’vous entends, hein.
— ..qu’est-ce qu’on fait ?
— … shhh ! … bouge pas…
— … peut pas monter…


La remarque sonna comme un défi, Marin chercha des yeux des branches qui faciliteraient son ascension et il lui sembla en trouver une. Lever les bras s’avérait difficile, il avait été alité pendant des semaines sans pouvoir faire d’exercice et sans avoir l’autorisation de sortir, il sentait que son corps en avait été affaibli. Quand il soulevait facilement son poids, il n’y avait de cela que quelques mois, il dut maintenant trouver de nouveaux appuis où poser ses pieds.

— Y va s’crouter, ça va nous r’tomber dessus !
— On l’a pas forcé à venir !
— Fermez-la.


Après un long moment, Marin parvint enfin à hauteur de la cabane, ses membres tremblaient. Le long de ses bras, de ses avant-bras et dans ses mains jusqu’au bout des doigts, la tension inhabituelle qu’avaient subis muscles et tendons le lançaient désormais. Il savait que pendant quelques jours, écrire avec application les lettrines exigées par sa mère allaient être douloureux. Ses beaux vêtements étaient débraillés, trempés de sueur, salis par la mousse et l’écorce aux endroits où il s’était appuyé contre l’arbre.

— Monseigneur ! s’exclama Eric, l’oeil malveillant, il fit une révérence disgracieuse reprise par les fils du meunier. Des rires moqueurs s’élevèrent. Eric était le plus vieux de la bande depuis que Louis ne traînaient plus avec eux. Depuis qu’il travaillait avec le père de Clémence aux écuries, il se croyait investi de la mission de la protéger. D’ailleurs, la petite rouquine était là, elle aussi, les bras croisés, le menton bas, visiblement blessée et offusquée par la présence de Marin, ce qui n’avait pas échappé à Eric. Son air mauvais devint clairement hostile.

— Que nous vaut l’honneur de votre présence, Seigneur ?
— Ca va, arrêtez, z’êtes pas drôle…
répondit Marin, blessé par le comportement de tous à son égard, il croisa les bras. S’adapter à ses interlocuteurs avait été un moyen assez efficace pour s’intégrer dans un groupe. Toutefois, en conservant un pied dans chaque camp, le jeune de Luynes se faisait des ennemis des deux côtés. Il ne seraient jamais vraiment l’un d’eux ni l’un des leurs. Malgré ses efforts, personne n’était dupe.
— Qu’est-ce donc que ce langage de pégu, sir? fit Clémence sur un ton accusateur, comme pour faire remarquer à tout le monde que le nobliaud prenait un autre accent et une grammaire inégale lorsqu’il était en leur compagnie.
Eric la reprit, avec plus de mépris dans sa bouche, Marin eut l’impression qu’il lui crachait directement au visage.
— On dit pas « pégu » Clem, on dit « paysan ». Si tu commences à parler comme les petits gens de notre espèce, monseigneur nous comprendra pas.
— Pour être tout à fait exact, on dit « roturier » et pour ceux de ton espèce, on dira « gueux ».

Fou de rage,Eric se jeta sur le fils de nobles qui se décala aussitôt, laissant son agresseur tomber seul de la plateforme et se ramasser en contre-bas avec un craquement alarmant et un cri de douleur.

Lubin fonça sur lui et le chevalier s’écarta promptement, laissant le bout de son pied accrocher l’attache de la lourde armure faisant s’étaler par terre le jeune arrogant. Il était tombé de moins haut qu’Eric, mais son égo en était tout autant heurté. L’apprenti de l’écurie, lui, s’était cassé la clavicule en tombant en contre-bas. Pour échapper au lynchage de la bande, Marin s’était empressé de dérouler l’échelle pour descendre, cracha sur Eric en passant, et détala à travers les bois. Les fils du meunier l’avaient poursuivi jusqu’à ce qu’à le plaquer au sol et l’avaient corrigé à deux. Puis ces derniers avaient eux-mêmes été corrigés par leur père pour avoir fausser compagnie alors qu’ils avaient du travail. Bien plus tard, Marin avait appris que lors de sa convalescence, Clémence lui avait porté un collier de fleur et des gâteaux pour lui rendre visite, et Louis l’avait renvoyé en lui disant que son frère ne s’intéressait pas à la plèbe, encore moins à la gamine des écuries. Il avait ponctué l’anecdote en ajoutant que malgré tout, les petits sablés au miel avaient été délicieux. Quel enfoiré.

Les enfants sont cruels parce que leur monde tournent autour d’eux. Ce qui sort de leur intérêt personnel n’a aucune importance. On ne pouvait pas leur en vouloir pour cela, c’était un code ancestral inscrit dans les gênes pour rappeler aux adultes que les jeunes sont l’avenir de l’espèce. C’est pour cela que les jeunes enfants se disputent l’attention des parents, pour survivre. C’est pour cela que les adolescents sont effrontés, pour rappeler à la génération précédente qu’ils accompliront tout ce que leurs parents n’ont pas assez bien fait à leurs yeux. En tant que cadet du baron de Luynes, il en avait fait les frais sous bien des aspects. Louis avait l’attention de tous, c’était l’héritier. Ni noble fortuné, ni roturier, Marin était coincé depuis toujours dans un entre-deux duquel, même aujourd’hui, il ne sortait pas. La différence était qu’il en était désormais parfaitement conscient. Il attendit que le jeune bretteur se relevât, son équipement lourd, qui ne l’avait pas assisté dans l’esquive, ne l’aida pas non plus à se redresser aussi promptement qu’il l’aurait voulu.

—Tricheur !
— Pas de code de la chevalerie, nous ne jouons pas au chevalier. Vos mots. Il n’y a donc pas de règles dans un vrai combat, mon cher. Ou n’est-ce pas un vrai combat, finalement ?


Marin s’accroupit près de lui en murmurant:
— Cette armure semble un peu grande au niveau des épaules, mais surtout au niveau des mollets… J’espère que ce n’est pas celle du tournoi, remarqua-t-il avec un sourire poli en tendant la main à son adversaire pour l’aider. D’une inspiration dédaigneuse, se fustigeant d’avoir été si maladroit et de prendre en pleine face le revers de ses provocations, Lubin poussa sur ses bras pour se redresser seul.

— Je comprends que vous vous efforcez de me laisser gagner par politesse, j’en suis grandement offensé… fit-il remarquer ce qui provoqua l’engouement du benjamin. Argan bondit de son siège pour encourager son aîné :
— Allez Lubin, allez Lubin ! Pp-ourfends-le !

La consonne explosive souffla une volée de miettes de gâteau qui laissa Dame Choiseul sans-voix quant au souffle draconiquement grossier dont elle venait être témoin.

— Assez causé ! En garde, Luynes ! prévint-il alors qu’il lançait une nouvelle charge.

Marin glissait habilement entre les coups, laissant son adversaire s’essouffler à chacun de ses pas, qui devenaient toujours plus lourds.

— Cessez de danser comme une courtisanne, et battez-vous !
— L’attaque n’est pas la meilleure défense, c’est même plutôt le contraire. Voyez comme vous êtes déjà las, et nous n’avons pas commencé le combat…


Il fallait le dire, Marin prenait du plaisir à voir le petit seigneur s’irriter et brasser de l’air. Alors qu’il était encore en posture de défense, il fendit l’air de son épée de bois sans crier gare. Lubin leva le bouclier dans réflexe honorable qui lui coûtait une énergie qu’il aurait pu utiliser en parant s’il ne s’était pas laissé surprendre si facilement. Au lieu de heurter le bouclier, le bâton frappa fortement le poignet fatigué qui tenaient l’épée écartant cette dernière. Poursuivant son geste, l’avant-bras de Marin se rabattit sur le plastron de l’adolescent pour le déséquilibrer, le talon droit du chevalier balayait le dernier appui de son comparse provoquant sa chute. Lubin subit tout le poids de son armure lorsqu’il tomba sur le dos, il haletait et gémissait. Marin donna un coup de pied pour écarter la lame que le jeune Sabran cherchait à tâtons malhabiles avec ses gants. Le noble s’accroupit de nouveau continuant leur aparté :

— Personne ne la méritera jamais. Ni à vos yeux, ni à ceux de votre père. On n’en attendrait pas moins de deux hommes qui ont le devoir de la protéger.

Marin tendit une main, qui malgré l’humiliation subit, se voulait sincèrement amicale.

—Vous ne seriez pas le digne héritier de votre père en acceptant le premier venu sans le mettre au défi. Ne laissez pas votre égo vous aveugler. Des flatteurs auraient tôt fait de vous endormir et d’abuser de votre orgueil pour faire du mal à ceux qui vous sont cher. Vous valez mieux que ça. La défense et l’observation valent mieux qu’une attaque tête baissée.

Le noble se tourna vers les spectateurs.

— C’était ma foi, une rencontre forte intéressante. Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps et de m’avoir si bien accueilli, mais il se fait tard et je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité.

Dame Hermance se redressa pour s’opposer à ce brusque départ.

— Restez donc pour dîner, Chevalier.

— C’aurait été avec plaisir dame de Choiseul, mais je m’exposerai alors au courroux funeste de madame ma mère pour m’être éclipsé sans un mot et dîner à votre table sans y mettre les formes. Je crois qu’elle aussi apprécie beaucoup votre compagnie.
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MessageSujet: Re: La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée]   La seule rose du jardin d'hiver. [Esmée] - Page 2 EmptyVen 5 Aoû 2022 - 17:26
- Vous ne dites-rien ?
- Non.
- Vous le laissez partir ainsi ? Sans rien ajouter ?
- Oui.

La Comtesse de Choiseul toisa la jeune femme d'un regard surpris. Elle avait fait de son mieux pour organiser ces rencontres fortuites entre son aînée et le Chevalier de Luynes. Souvent s'était-elle même mis dans l'embarras pour permettre leurs escapades sous bonne garde. Et voilà qu'Esmée faisait montre d'un présomptueux désintérêt ? Décidément, la noble n'entendait plus rien à ce qui se déroulait sous son propre toit. Cependant et tandis que ses yeux s'employaient à détailler la silhouette de son unique fille, la mondaine dodelina du chef.
Esmée tenait de son père. Indubitablement et sans conteste, elle avait hérité de lui. Le silence qui l'enveloppait alors était plus éloquent que tous les mots. Il disait sa contrariété. Il la criait même si furieusement qu'aucune parole n'aurait pu l'exprimer plus justement. Ses lèvres ainsi scellées par le fulminant d'une colère froide, mieux valait-il ne pas insister.

Lubin avait mal agi. Prétentieux et tout bonnement incapable de se montrer sous un autre jour, il avait seulement voulu imposer son avis. Le ridicule de son comportement lui avait valu un cuisant revers. Malheureusement, c'est à sa soeur qu'il avait causé le plus de tort. Cette dernière n'entendait cependant rien en dire de plus. La situation était déjà bien assez triste.
Laissant sa poitrine se gonfler d'un soupir désabusé, la Sabran attendit de voir les portes du manoir se refermer sur le départ de leur invité, avant de tourner les talons. Ses doigts toujours crispés attrapèrent le précieux tissu de sa robe rouge et sans même un coup d'oeil en arrière, elle grimpa les marches du grand escalier de marbre pour rejoindre l'étage.

Esmée était réputée être avenante et douce. Cette affirmation, bien que vérifiée, n'était pourtant pas vérité stricte. La Vicomtesse, en effet, savait également se montrer malplaisante et cassante. Son caractère alors considéré comme inflexible et dur - déplacé pour une jeune femme de bonne famille - elle en venait toujours à s'isoler. Fort heureusement, cette tendance orageuse et estimée irrespectueuse ne prenait que rarement le pas sur les mérites de son édifiante éducation. Aussi quand au soir et à l'heure du dîner Esmée refusa de quitter ses appartements, Hermance de Choiseul en fut convaincue. Sa fille avait été tout particulièrement blessée.
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