⚜ La Citadine et le Contadin ft. Emilliane de Rivain - 24 Avril 1167 ⚜

La Citadine et le Contadin ft. @Emilliane de Rivain - 24 Avril 1167

Ce fut de beau matin que les chants des oiseaux vinrent bercer les oreilles du Baron de Tourbière, le tirant de son sommeil profond. Il se redressa, avant de bâiller bruyamment, une main devant ses lèvres. De ses yeux encore engourdis, il entraperçut Brunehaut, sa domestique, au côté d'une fenêtre grande ouverte. Inutile donc de se demander plus longtemps pourquoi les aviens sonnaient bien plus intensément qu'à l'ordinaire. Le seigneur se massait à présent les tempes, puis plus largement le reste de son visage, espérant effacer cette grimace de fatigue. La jeune rousse d'un âge approximatif au sien, l'observait en silence depuis un moment, lui offrant un moment de répit pour qu'il se réveille convenablement. Enfin, elle vint timidement s'asseoir au bout du lit pour échanger quelques mots avec son employeur.

- Je suis passé au manoir, plus tôt dans la matinée. Messire de Prisépine m'a remis ceci... Elle pointait du menton la pile de vêtements raffinés, soigneusement déposée sur la table de chevet. Il veut que vous soyez présentable, si vous veniez à rencontrer Le Grand Argentier.

Brunehaut se leva finalement pour se diriger vers la porte, jetant un dernier regard d'émeraude vers le seigneur.

- Vous devriez vraiment songer à revenir au manoir, dit-elle en marquant une pause. Pour votre sécurité...

Quand la domestique se fut retirée, le jeune Baron sortit du lit avec l'intention de s'habiller. Il remarqua un petit objet métallique, déposé au dessus de la pile de vêtements. Lorsqu'il le saisit pour l'examiner de plus près, il réalisa qu'il ne s'agissait nul autre qu'un crochet grâce auquel sa subordonnée s'était introduite dans sa chambre. Elle ne pouvait point se montrer plus convaincante dans ses arguments, et il y songerait.

Aloys n'avait sommeillé dans l'enceinte du manoir familial depuis que l'ancien maître des lieux, son oncle Philippe avait tenté de l'évincer de son héritage en essayant de le faire assassiner. Bien que la justice eut été rendue il y avait maintenant quelques années, il ne parvenait toujours pas à se résoudre à l'appropriation de l'endroit, à cause des fantômes du passé. D'autant plus que le félon avait réussit, par l'on ne savait quel miracle, à échapper à son exécution. Si l'une de ces créatures n'avait pas encore eu raison de lui, il errait désormais à travers le duché comme un fugitif, une nouvelle guère rassurante pour son neveu. Mais après tout, n'était-ce pas une raison évidente pour loger au sein du manoir ? L'Esplanade demeurait bien plus sécurisée que le reste de la cité, et inaccessible à la majorité de la plèbe. À cette longue réflexion, le Baron de Tourbière acquiesça. Ce soir, il dormirait au manoir, gardé par son fidèle ami et banneret Othon de Prisépine.

Lorsque Baron de Tourbière finit de se préparer, il quitta définitivement l'auberge située dans le joli quartier de Bourg-Levant pour remonter la Grande Rue des Hytres, en direction du quartier noble. Il revêtait une tunique en soie noire, et par-dessus ses épaules, une cape blanche arborant le blason familial, de Sinople aux rosaux d'argent fruités du même. Finalement, après quelques minutes de marche, il fit hâlte devant l'une des grandioses résidences. Il n'était guère confiant, se raclant la gorge, les paumes moites à l'idée de s'adresser singulièrement à un membre du Conseil Royal. Toutefois, il se ressaisit, frappant nerveusement à la porte. Décrocher ne serait-ce qu'un rendez-vous avec Messire de Rivain, lui était impératif.

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Brunehaut, fidèle domestique du Baron de Tourbière

La Citadine et le Contadin

Il y avait peu à faire dernièrement et cela mettait la demoiselle de Rivain de fort méchante humeur. En vérité, ce n'était pas tant le travail qui manquait que la permission paternelle. Depuis un an déjà, elle assistait son père dans ses fonctions, collectant des documents, faisant parfois les comptes, triant et organisant la paperasse pour faciliter son traitement... Il n'était pas question qu'elle ait un grand rôle, mais être l'intermédiaire du Grand Argentier lui conférait cependant un certain pouvoir et des responsabilités auxquelles elle s'était habituée. Il était très agréable de voir ses journées pleines de tâches à accomplir et rien n'était plus plaisant que de se mettre au lit en sachant le devoir accompli jusqu'au lendemain.
Emilliane se sentait utile, tant à la cité qu'à son père, et cela la comblait plus qu'elle ne l'aurait espéré.

Mais depuis quelque temps, le Vicomte de Rivain semblait préoccupé par d'autres affaires que les livres de comptes du Royaume. Sa fille le surprenait à écrire des lettres dont il cachait le contenu, il maugréait de temps en temps en croisant les bras, le regard dans le lointain, et il refusait de s'ouvrir à elle sur ce qui le tourmentait autant. De plus, il la déchargeait de nombreux travaux dont elle avait désormais l'habitude de s'acquitter.
Ainsi la belle dame se retrouvait-elle bien désœuvrée et terriblement frustrée d'être écartée de la sorte, sans explications. De plus, quelques remarques paternelles lui avaient mis la puce à l'oreille : une question à propos de ses cheveux, qu'elle gardait courts, ainsi qu'un conseil à propos d'une lotion quelconque pour qu'elle conserve les mains douces malgré tout le temps qu'elle passait à tenir une plume ou trier des manuscrits. Alors qu'elle avait l'impression de pouvoir enfin déployer ses ailes, il semblait vouloir qu'elle reste assise patiemment sur sa branche, belle et silencieuse comme du temps où elle n'était qu'une jeune demoiselle à la féminité à peine éclose.

Emilliane flairait les négociations de mariage à plein nez. Rien n'était officiel, mais il y avait trop d'indices pour qu'elle ne se méfie pas de ce que l'avenir - et surtout son père - lui réservait.
Voilà pourquoi, lorsque des coups furent frappés à la porte en cette journée d'avril, elle bondit presque de son fauteuil pour aller ouvrir elle-même. Les domestiques étaient, de toute façon, occupés ailleurs et la lecture de son petit livre pour jeune fille l'ennuyait profondément. D'un geste rapide, elle lissa les plis de sa robe sombre, lissa ses cheveux derrière son oreille, puis ouvrit le battant de bois pour découvrir un visage inconnu sur le seuil de sa maison. Il s'agissait d'un jouvenceau habillé avec assez de goût pour ne pas se faire remarquer sur l'Esplanade, mais sans trop d'extravagance. Son maintient un peu rigide trahissait la tension qui l'habitait.

— Bonjour messire. Je ne crois pas avoir eu le plaisir de faire votre connaissance auparavant. À qui ai-je l'honneur ? Et quel est le motif de votre visite ? demanda la brune en essayant d'esquisser un léger sourire plein de politesse, qui ne parvint néanmoins pas à réchauffer le bleu sombre de ses prunelles.

S'il s'agissait d'un prétendant venu voir son père pour négocier une union, elle se ferait un devoir de le renvoyer dans ses pénates avant même qu'il pose un pied dans la maison !

Le Baron de Tourbière ne connaissait rien de l'homme auprès duquel il était venu quémander un entretien; seulement son rôle d'importance au sein des finances et son appartenance au Conseil Royal. Ces deux distinctions auraient suffit à faire perdre le sang-froid de n'importe quel citoyen sensible à l'autorité. Aloys ne se sentait point indiffèrent, bien que bénéficiant d'un ascendant sur les quatre-vingt-dix-neuf pourcent, c'est-à-dire, sur la classe populaire, les deux gentilhommes ne jouaient pas dans la même cour. Et de toute manière, le seigneur encore inexpérimenté, n'était guère rodé aux jeux de pouvoir qui se tenaient au cœur de la capitale.

Par ailleurs, Aloys s'interrogeait sur la manière dont ses aïeux eurent géré leurs ressources pécuniaires par le passé. Le Conseil Royal avait été récemment mis en place lors du couronnement de sa majesté en 1166, toutefois, à sa connaissance, le rôle d'argentier eut toujours existé. Il se demandait si l'ex-Duc possédait autrefois un argentier qui lui fut propre, ou si les finances étaient gérées directement par l'ancienne Couronne Royale, à grande échelle. Son père, le défunt châtelain Herbert de Tourbière, s'éteignit avant de ne pouvoir lui enseigner les connaissances relatives à la gestion d'une trésorerie.

Alors que le battant de bois s'entrouvrit pour échapper un léger crissement, le nobliau s'inclina pour anticiper les salutations. Main sur la taille et visage abaissé, comme s'il eut d'ores-et-déjà courbé l'échine face à un adversaire bien trop puissant, il s'apprêtait à prononcer ces quelques paroles.

- Messi- ...

Comme les sons composés par les cordes vocales de la personne qui se tenait face à lui s'apparentaient à ceux du sexe opposé, les yeux du jeune adulte qui contemplaient le sol depuis quelques secondes déjà s'écarquillèrent. Une domestique ? Probablement. Peut-être allait-il même pouvoir planifier un rendez-vous sans avoir même à rencontrer l'individu en question dans l'immédiat. Il était pourtant évident qu'un homme d'une telle envergure, et chargé d'une aussi importante responsabilité, ne se chargeait lui-même d'ouvrir la porte de son foyer aux visiteurs. Cependant, mieux valait ne prendre aucun risque.

Le Baron de Tourbière souffla discrètement, comme soulagé, avant de se redresser entièrement pour faire face à la silhouette qu'il supposait être une simple employée de maison. La surprise fut immense quand il découvrit une dame bien trop élégante pour être une domestique. Ses paroles semblaient pleines d'assurance et d'autorité, son vocabulaire, fort soutenu. Stupéfait, la bouche du seigneur s'entrebâilla, et il se replia d'un pas, avant de contempler de nouveau la façade de la demeure, comme pour vérifier qu'il n'avait point fait erreur sur l'endroit, vainement.

Puis, resté muet quelques secondes après les paroles de son interlocutrice, il réalisa son impolitesse. Il se ressaisit, frappant sa poitrine de son poing, déterminé à faire bonne impression.

- Baron Aloys de Tourbière, fils du défunt châtelain Herbert de Tourbière. Je souhaiterais m'entretenir avec Le Grand Argentier au sujet de finance personnelle, dit-il d'une voix ferme.

Ses yeux ocres se perdaient dans le regard bleuté de l'inconnue, faisant retomber le poing auparavant pressé contre son torse.

HRP: