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 Le garçon qui voulait devenir soldat

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AmauryEl potiprêtre écriteur dessineur
Amaury



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MessageSujet: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptySam 21 Mai 2022 - 20:26

« Le garçon qui voulait devenir soldat »
07 février 1167

Dans les cités plus qu’en tout autre lieu sûrement, les aspirations des Hommes apparaissaient flagrantes. Au pied des plus somptueux temples, des plus hautes murailles, des plus luxueuses bâtisses, leur gourmandise immanente se révélait. Qu’il s’agisse de repousser les frontières d’un royaume ou de défier les limites dictées par la nature, ces êtres façonnés par le divin brillaient par leur ambition sans réaliser combien ces démonstrations de force trahissaient une place ridicule dans l’ordre du vivant.
Soumise aux caprices d’un monde implacable, étouffée par la chaleur d’étés brûlants, transie par le froid d’hivers glacials, brisée par la maladie, amoindrie par la faim, l’humanité demeurait faible et vulnérable, tenue de s’illustrer par l’esprit plutôt que par le poing. Une intelligence encensée par une subjectivité écœurante, soufflant à l’oreille du sujet son exception remarquable, soulignant combien ses actes héroïques se distinguaient par leur grandeur, quand ils ne trahissaient pourtant que sa bêtise. Au mieux, une cécité, au pire, une inconscience collective qui ne pouvait que nuire à l’espèce.

Sous une arche aux allures titanesques, incarnation symbolique d’un passage vers un autre monde – celui des nobles –, ces considérations s’imposaient à Amaury comme un garde le fouillait. Quels que puissent être les efforts des humains pour se croire meilleurs, pour se penser indispensables, ils demeuraient imparfaits. Un grain de sel dans l’océan d’Anür. Un rien se prenant pour un tout.
Quoique lucide quant à ces efforts vains, Amaury lui-même prétendait à davantage. Après tout, n’était-ce pas ce désir qui l’avait conduit jusqu’aux beaux quartiers, sous la houlette d’un jeune soldat ?

D’âge approchant, les deux hommes s’étaient rencontrés quelques jours plus tôt, à l’occasion d’une confession somme toute banale. Sans que le religieux ne se l’explique, ils avaient rapidement sympathisé, justifiant une nouvelle visite, quoique celle-ci eût plutôt des airs de partage que de pénitence.
Ce fut à l’occasion de cet échange que l’ecclésiastique apprit le rôle occupé par son interlocuteur auprès de l’une des maisons nobles marbrumiennes, manifesta son admiration vis-à-vis des combattants qu’il estimait courageux, émit le souhait, un jour prochain, de s’initier au maniement d’une arme pour se montrer plus utile à la cité.

Si le garçon avait d’abord pensé ces souhaits tombés dans l’oubli, il avait ensuite eu la surprise d’accueillir une invitation, de la part de sa connaissance, à l’un des entraînements dispensés par le noble qu’elle servait.
Déjà, ses tunique et braie en toile, dissimulés sous une modeste pèlerine élimée, avaient inspiré à Amaury un malaise au cœur des beaux quartiers enneigés, que les grilles du domaine d’Ascalon s’étaient chargées d’accentuer. Comme le soldat qui le précédait pénétrait les jardins, l’homme de foi mesurait plus encore la folie de son comportement et regrettait d’avoir seulement accepté l’offre d’un ami prochain.

— Monsieur le Comte ! interpela la recrue, saluant aussitôt son seigneur, voici le prêtre dont je vous ai parlé, Monsieur. Celui qui souhaiterait devenir soldat.

Rougie par le froid hiémal, la figure du religieux blêmit sitôt le rang du noble énoncé. Un Comte. De nouveau.
Bruyamment, l’ecclésiastique déglutit, puis s’inclina sans oser lever les yeux sur l’homme qui daignait l’accueillir en son domaine. Par les Trois, qu’avait-il donc entrepris en se rendant en ces lieux ?

— Mons-seigneur, balbutia le garçon, la tête basse, je vous s-sais gré de m’octroyer de votre t-temps, mais c-crains d’être un poids.

Dans un sursaut de courage, Amaury se redressa, mais demeura cependant incapable d'hasarder un regard vers son hôte.

— Sans asp-pirer à dicter votre cond-duite, peut-être dev-vriez-vous faire comme si je n-n’étais pas là, af-fin que je ne trouble p-pas votre ent-traînement. Vous observer sera d-déjà un ens-seignement précieux.


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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptyDim 22 Mai 2022 - 3:15
Balian serra par dessus son gambison une épaisse ceinture d'arme. Il poussa un long soupire avant d'ajuster la position du fourreau qui pendait à son flanc. Le comte fit ensuite craquer ses épaules l'une après l'autre avant de se mettre en position. D'un geste vif, il sorti sa lame de son étui et effectua deux moulinets avant de taillader le mannequin face à lui. Il travailla de taille la cible d'une série de gestes précis et rapides. Il répéta machinalement les mêmes enchaînements d'attaques jusqu'à ce que son souffle devienne court.

Une fois « lassé » par cet exercice, le jeune homme l'acheva en plantant son épée dans le sac qui servait de tête à l'épouvantail. Il y laissa son arme et se dirigea d'un pas lent vers le puits au centre de la courtine faisant face à sa demeure.

Il tira sur la corde pour remonter un seau tandis que ses gens continuaient autour de lui à pratiquer leurs arts. Le garçon se rinça le visage à l'eau froide avant de porter son attention sur ses compagnons d'armes. Il observa avec intérêt comment les soudards s'échauffaient.

« M'seigneur, revoilà le Jonas ! » annonça un vougier proche de la grande porte.

Le comte de la Vire se tourna en direction des retardataires et haussa un sourcil en découvrant l'invité. Il avait accepté par curiosité d'apprendre à un prêtre comment se protéger, mais voilà qu'on lui présentait un enfant de cœur. Le duvet et le regard fuyant du gringalet auraient en d'autres circonstances amusés le maître de la maison d'Ascalon.

Balian dévisagea l'inconnu à la voix de moustique. Le fait que ce dernier n'ose même pas le regarder dans les yeux dessina un léger sourire sur le visage du blond. Le choix de ses mots, à la limite de l'obséquieux, rendait la chose encore plus pittoresque.

« Allons... Ce n'est pas en restant dans un coin que l'on apprend ce genre de choses. À la guerre comme en amour, on prêche la pratique. Nos savoirs requièrent de la sueur. »

Sa boutade lancée, le comte observa longuement le « volontaire » tout en laissant un silence pesant s'imposer. Il frotta sa barbe naissante à la manière d'un philosophe de comptoir sous le regard narquois de sa compagnie de spadassins. Il n'était visiblement pas face à un hercule de foire. Son invité semblait prêt à s'envoler à la moindre bourrasque.

« Bien. Commençons par les banalités navrantes. « Damoiseau », tu as devant toi une route ardue, douloureuse et longue pour devenir autre chose qu'un poids mort. Je ne sais pas ce qui te motive, et je dois bien avouer que cela ne m'intéresse pas vraiment. Jonas t'apprécie, tu es donc le bienvenu ici. Le reste, cela dépend de toi. Mais plutôt que de l'entendre de sa bouche, j'aimerai bien que tu m'expliques ce que tu veux. »

Avant que le prêtre ne puisse répondre, le comte ordonna à son plus jeune serviteur :

« Jonas, c'est ton invité, prête lui ta jaque. »

Puis, sur un ton léger, il souffla comme pour lui-même :

« Je ne veux pas que des religieuses viennent se plaindre que l'on ait abîmé ici un de leurs greluchons. »
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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptyDim 22 Mai 2022 - 14:12

« Le garçon qui voulait devenir soldat »
Si Amaury concéda volontiers à son hôte la supériorité de la pratique sur toute autre méthode d’enseignement, il accusa une comparaison audacieuse, foyer d’une gêne évidente que les regards dardés sur lui ne firent qu’entretenir. Curieuse bête de foire au milieu de combattants aguerris, le prêtre admettait le premier faire figure de tâche disgracieuse sur une toile de virilité, esquissée à la sueur d’un front probablement éprouvé par un savoir qu’il connaissait déjà mieux.
Conscient de ce que le Comte lui offrait néanmoins une chance qui ne se représenterait très certainement plus, l’ecclésiastique endura ces observations et sourires multiples, néanmoins accueillis par un froncement de sourcils.

Ses lèvres s’entrouvrirent, mais aucun son n’en sortit, comme le maître des lieux dispensait de nouvelles directives, aussitôt exécutées par Jonas. Et cependant qu’Amaury retirait la tunique censée le préserver du froid, afin de lui substituer la jaque proposée par son camarade, le religieux marqua un temps d’arrêt au son d’une remarque tout juste murmurée, dont l’écho se répercuta jusque dans son échine.
Prisonniers des manches matelassées, les poings du jeune homme se crispèrent comme ses épaules se raidissaient. Était-ce là l’image qu’il inspirait au monde ? Celle d’un galant volage à l’élocution hasardeuse, aussi faible de corps que d’esprit ? Une caricature conçue pour distraire quiconque poserait son regard sur sa face lisse, préservée des conflits et de la dureté de l’existence ? En d'autres termes : un bouffon ?

Malgré les tensions secouant son torse de quelques tremblements, le garçon expira calmement, enfila l’équipement, puis le réajusta pour s’y sentir à son aise. Sur son minois d’éphèbe ne subsistait plus aucune trace de son précédent trouble.

— Je suis enlumineur, avoua-t-il en s’efforçant de ne pas bégayer, parlant lentement et posément pour ce faire, recueillir des confes-sions est une forme d’aide ap-portée aux citoyens. Ni les peintures n-ni l’écoute et les prêches ne nous d-débarrasseront de la Fange, cependant.

À présent paré, Amaury pivota vers le Comte, croisa ses mains dans le bas de son dos et se redressa pour demeurer le plus droit possible. Si ses yeux avaient égratigné la tenue de son instructeur, ils s’obstinaient à ne pas détailler les traits de son visage ou à soutenir son regard, en gage de respect.

— J’ai cons-cience de ne pas être un modèle de force et d’int-timidation, mais le labeur ne m’ef-fraie pas. J’ignore si je saurai un j-jour combattre, mais aspire déjà à pouv-voir me défendre. Si je dois mourir de la Fange ou de la m-main d’une crapule, j’aimerais que ce soit en me bat-tant. Ainsi n’aurais-je point d-de regrets, affirma-t-il d’une voix sereine, malgré ma car-rure, il n’est donc pas utile de m-me prendre en pitié. Si votre ent-traînement doit m’abîmer, personne ne viendra s’en ém-mouvoir. Certainement pas une horde d-de prêtresses, telles que vous semblez les conc-cevoir, Monseigneur, lui fit-il remarquer en levant sensiblement le menton, quoi qu’il en soit… J’attends v-vos nouvelles directives.

Pourtant, à l’instar du maître des lieux lui-même, un peu plus tôt, il ne lui donna pas l’occasion d’énoncer immédiatement la suite de l’exercice, et ajouta un détail qui, il l’espérait, lui épargnerait peut-être un nouveau « damoiseau ».

— Amaury. Je m’ap-pelle Amaury.


Dernière édition par Amaury le Dim 29 Mai 2022 - 13:37, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptyDim 22 Mai 2022 - 17:05
Le sourire en coin du comte changea de nature lorsque la brindille face à lui sembla enfin prendre un peu confiance en elle-même. Comme quoi, il y avait peut-être un peu de vrai dans l'adage voulant que l'habit faisait l'homme. L'épaisse protection venait de suite donner un peu plus de carrure à l'enlumineur pour peu que l'on n'y regarde pas de trop près.

Balian écouta respectueusement son invité lorsque celui-ci présenta ses intentions. Il n'y avait à ses yeux aucun honte à reconnaître une faiblesse, c'était après tout la première étape pour s'en débarrasser. Il admira presque une flammèche dans le regard du damoiseau au moment où celui-ci annonça qu'il était prêt à se faire esquinter ; si cela était nécessaire.

Enfin, le rictus du maître de la maison d'Ascalon se propagea au reste de son visage lorsque le cureton lui coupa la chique pour enfin se présenter. Sur un ton devenu rieur, le jeune noble lui répondit donc :

« Bien, ser Amaury. Très bien. Voyons... première leçon, peut-être la plus importante de toute : la sueur épargne le sang. Si ta détermination reste constante, les résultats viendront. Voilà pourquoi on ne s'entraîne jamais sans son armure. Il va falloir t'habituer à avoir du poids sur les épaules et beaucoup trop chaud, même en hivers. Et puis qui peut le plus peut le moins...»

Le blond posa ses mains sur ses hanches avant de fouiller la courtine du regard. Il fit une rapide grimasse pour marquer une légère contrariété avant de revenir à un visage impassible. La "place d'armes" dont il devait se contenter était pour le moins risible en comparaison avec ce qu'il avait connu. Balian se racla la gorge avant d'envoyer en direction du freluquet :

« Tu veux pas que l'on te prenne en pitié, c'est tout à ton honneur. Mais sache que tu n'en aurais pas trouvé ici de toute façon. J'espère que tu as du souffle. »

L'instructeur improvisé pointa d'un hochement de tête un râtelier d'armes disposé contre un mur de la courtine sur lequel était disposé un ensemble hétéroclite d'armes d'hast.

« Aussi, sache que je ne peux pas faire de toi un bretteur. Tu es déjà un peu trop vieux pour prendre certains réflexes. Par chez nous, on aime la vouge, la hallebarde ou encore la hache d'armes. Ma demeure ne se prête hélas pas trop à l’entraînement à l'arc. Et quand bien même, former un archer prend presque autant de temps que de former un épéiste. »


Sa voix se fit plus ferme lorsqu'il déclara :

« Puisque tu n'as pas encore décampé, j'imagine que Jonas t'as déjà parlé de ça. Que dirais tu d'un peu de course pour te familiariser avec ce doublet armant ? Si tu veux jouer de la vouge, il va te falloir des bras et des jambes plus épais que des balais... »
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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptyMar 24 Mai 2022 - 21:10

« Le garçon qui voulait devenir soldat »
Sans en identifier précisément la cause, il sembla à Amaury qu'un changement avait affecté la voix et le comportement du noble. Ainsi, si quelques moqueries colorèrent encore les paroles du Comte, elles sonnèrent moins incisives à l’oreille du prêtre et ébauchèrent les prémices d’une méthode d’enseignement singulière, à laquelle il n’était cependant pas tout à fait étranger.
Se pourrait-il alors que son instructeur ne transmette ses acquis que par la provocation voire, si cela s’avérait nécessaire, par l’humiliation et le rabaissement ? Était-il de ces hommes titillant les blessures les plus profondes et douloureuses, convaincus que leur apprentissage saurait les refermer ? De ceux qui, en quête d’une réaction, renouvelaient sans cesse les attaques physiques ou verbales, dans l’espoir de déclencher chez leur élève une riposte ? « Briser ou être brisé », était-ce ce qu’il fallait entendre derrière l’assertion voulant que la sueur épargnait le sang ?
Amaury venait-il de répliquer, cependant que le Comte s’était si ouvertement moqué de lui et des prêtresses sans, pourtant, avoir la décence de l’assumer d’une voix claire et affirmée ? Cette défense par l’offensive expliquait-elle l’avènement de ce qui, peut-être, esquissait le début d’une timide considération ?

Le garçon prit soudain conscience de ce que le noble ne le ménagerait pas, s’il était bel et bien de cette école. Étrangement, il n’en éprouva néanmoins aucune crainte et en tira au contraire une détermination raffermie. Peut-être encore, par-delà, une fierté insoupçonnée.
Pour réduire au silence les railleries de ceux qui pensaient le connaître d’un regard, et la pitié chez ceux qui le voyaient s’empourprer et l’entendaient bégayer, il réussirait.

Sur les directives de son instructeur, Amaury entreprit de marcher, d’abord, pour mieux appréhender le poids de son équipement d’une vingtaine de livres, de trottiner ensuite, avant de courir enfin, le long de la courtine.
Cependant qu’il escomptait s’entraîner aussi souvent que possible, devrait-il acquérir sa propre jaque ? Parviendrait-il seulement à s'en procurer une, sans être pour autant membre de la Milice ? Si sa solde en tant que prêtre ne lui permettait pas de solliciter une confection sur-mesure, peut-être trouverait-il un malheureux à qui acheter une armure ayant déjà modestement servie, sans espoir ou volonté d’être réemployée.

Quoiqu’habitué depuis enfant à de longues marches à travers les marais, le religieux avait pleinement conscience de manquer d’exercice au quotidien. Partant, courir en toutes autres circonstances l’aurait probablement épuisé en une demi-heure. Ainsi équipé, dix minutes suffirent à le changer en sueur et halètements, comme les multiples couches du vêtement, conjuguées à l’effort, rendaient difficilement supportable la chaleur engrangée. À terme, l’obstination de l’enlumineur l’amena à trébucher pour finir à genoux au pied d’un mur, où il dégurgita par ailleurs son modeste repas.

Enroué par une respiration trop forte, assourdi par les battements effrénés de son cœur, aveuglé par quelque voile sombre jeté sur son regard, le prêtre dut puiser dans ses dernières ressources pour se relever. D'un revers de manche, il s'essuya les lèvres puis, malhabilement, entreprit de récupérer en marchant d’un pas lourd.
Un nouveau tour de courtine le conduisit devant le râtelier désigné plus tôt par le Comte. Vouge, hallebarde, hache d’armes… Autant de noms déjà entendus, mais difficilement associés à une image, avec lesquels il lui faudrait se familiariser.

— J’ignorais que l-l’épée et l’ar-rc réclamaient des an-nées d’ap-prentissage.

Entre son élocution éprouvée et son souffle encore saccadé, il était malaisé de déterminer si Amaury répondait au noble ou réfléchissait à haute voix. Cependant que ses prunelles parcouraient les hampes, bondissaient de lame en lame, au gré de pièces de métal qui lui semblaient toutes plus lourdes les unes que les autres, Amaury comprenait mieux pourquoi il lui faudrait avoir davantage de force dans les bras.

— Sont-ce leur p-portée, qui les r-rendent plus man-niables que les épées ? s’enquit-il en pivotant brièvement son visage vers le Comte.

Irrémédiablement attiré par le râtelier, comme un affamé fixerait de la nourriture ou un enfant, un jouet, le regard du prêtre ne s’appesantit pas sur son instructeur et renoua avec l’objet principal de son intérêt, plus particulièrement avec une pertuisane joliment forgée.
Parviendrait-il à maîtriser un équipement de cette ampleur ? Si les armes d’hast incarnaient l'unique moyen de ne plus jamais éprouver cette peur détestable, née de l’impuissance, il le faudrait bien.

Presque entièrement remis de son essoufflement, presque accoutumé à la sensation poisseuse de sa chemise de corps trempée de sueur, sous la jaque, Amaury tourna définitivement le dos au râtelier – sans doute pour ne pas céder une nouvelle fois à son observation – et tâcha de se redresser.

— Et m-maintenant, Mons-seigneur ? D-dois-je courir encore, av-vant de pouvoir es-sayer l’une d’elles ?
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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptySam 11 Juin 2022 - 0:13
Le jeune comte observa d'un œil distrait le moine alors que celui-si faisait la démonstration de son endurance. Vite lassé de le voir courir en rond, le noble reporta son attention sur les échanges de courtoisies pour le moins viriles de ses compagnons d'armes. Il laissa un sourire fatigué se glisser sur son visage en observant plusieurs chutes et autres passes d'armes pour le moins spectaculaires. Il hésita même longuement à les rejoindre à nouveau. Après tout, ser Amaury n'avait pas besoin de lui pour s'épuiser.

Alors que le patriarche d'une vingtaine d'années s’apprêtait à céder à ses envies de se défouler au dépend de l’entraînement de son invité, ce dernier se rappela à son bon souvenir en s’arrêtant à bout de souffle à ses côtés. Et ce près du râtelier où trônait quelques lames émoussées. L'affirmation qui tenait presque de la question que lâcha l'enlumineur acheva de convaincre le bellatores d'assumer ses « obligations ».

« N'importe qui peut envoyer une flèche depuis le haut d'un mur dans la direction d'une troupe après quelques heures de pratique. Toucher une cible bien particulière requiert bien plus de travail. Pouvoir le faire à une distance respectable nécessite des mois d'entraînement. Maintenant imagine que la cible n'est plus immobile. Qu'elle se déplace. Et pas forcement pour se rapprocher de toi. Maintenant pour corser le tout : la cible porte des protections qui rendront ton projectile au mieux un peu gênant. Tu dois donc apprendre à pouvoir essayer de cibler des éléments précis sur ton adversaire. Voilà pourquoi un maître archer coûtait presque aussi cher à entretenir qu'une trentaine de miliciens ou une poignée de sergents sur mes terres. »

Le regard de Balian se perdit quelques instants dans des souvenirs un peu gênants de la période où plusieurs tuteurs tentaient désespérément de lui apprendre l'algèbre avec des exemples martiales. Histoire de titiller sa curiosité. Il se racla pour la énième fois la gorge avant de poursuivre sur un ton monotone.

« Quant à l'épéiste... Il est un peu un saltimbanque au milieu de la mêlée. Les défauts de son arme l’obligent à être d'une finesse extrême s'il veut survivre à la cohue. C'est beau à la ceinture une lame. Mais au combat, ça manque sacrement d'efficacité pour peu que ton adversaire ait une armure. Le manant qui rencontre le fil d'une épée passe un mauvais moment, mais un gens d'armes lui n'est bon que pour un joli bleu dans bien des cas. Méfie toi de l'épéiste qui a survécu à une campagne. C'est soit un lâche, soit le meilleur des guerriers. Mais dans tous les cas, c'est un fou. »


Le blond s'empara de la hampe d'une lance siégeant à ses côtés. Il prit une position pour le moins basique afin d'appuyer la leçon qu'il essayait de donner au garçon voulant devenir soudard.

« La lance a pour elle d'être simple. Les gestes de base ne sont pas bien compliqués. Elle donne du courage puisqu'elle force ton opposant à garder ses distances. Elle multiplie ta force si tu aimes jouer avec. Elle démultiplie la bêtise de ton adversaire si celui-ci te charge. Elle te donne une chance de frapper le premier en faisant fi de la valeur du bretteur ou du cavalier qui désire t'occire. Mieux encore : même un vilain qui a passé sa vie à garder des chèvres au fond de sa vallée peut sans se ruiner se payer un bon fer à placer au bout d'une perche. Cette arme a fait la fortune de mes aïeux. Mais avant de la magner... il va te falloir préparer tes bras. Temps qu'ils ne seront pas plus épais que le manche, il nous sera impossible de t'enseigner quoi ce soit sans risquer de te briser les os. »

Le seigneur de La Vire effectua une rapide démonstration de gestes plus ou moins complexes. Il fit siffler le fer de son arme en présentant des techniques de plus en plus « amusantes ». La démonstration achevée, il reprit la position basique qu'il avait montré au début de son monologue.

« Bien. Ça, c'est de la théorie. C'est beau de couper du vent, mais ce n'est pas un adversaire très contrariant. Face contre terre ! On va commencer par des appuis faciaux
(nom suisse des pompes). Je m'en voudrais de te voir repartir d'ici sans une once de peur dans ton regard. J'espère que tu ne me maudiras pas trop demain matin : cela me donne des acouphènes... »
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MessageSujet: Re: Le garçon qui voulait devenir soldat   Le garçon qui voulait devenir soldat EmptyMer 7 Sep 2022 - 14:32

« Le garçon qui voulait devenir soldat »
Les yeux obstinément rivés sur le râtelier, Amaury écoutait son précepteur avec attention, mesurait l’ampleur de son ignorance à chaque mot prononcé.
En chaque matière demeurait un art. L’esquisse des lettres et des formes, le façonnage du bois et du sol, le maniement des outils et des armes. Sans doute le maître se reconnaissait-il en ce qu’il inspirait au profane : l’improbable croyance de pouvoir imiter ses gestes avec le même talent et sans peine, tant ceux-ci paraissaient aisés.

La réflexion du prêtre s’était cantonnée à une obsession : ne pas mourir faible, ne pas périr impuissant, face à la menace du fléau par-delà les remparts. Si la nécessité d’apprendre à se battre était alors apparue évidente, le garçon n’avait jamais envisagé l’entraînement quotidien profilé dans l’ombre de chaque combattant accompli. N’était-il pourtant pas flagrant que seuls un bon archer ou un bon épéiste sauraient atteindre un point précis d'une cible, en dépit d’une armure censée la protéger complètement ?
Chacune des paroles du Comte sonnait comme une évidence. Amaury se sentait sot de ne pas y avoir pensé plus tôt, quand bien même il n’entendait aucunement guerroyer – du moins, pas contre ses semblables.

Car de motivation et de détermination, il ne manquait assurément pas. En revanche, le temps lui faisait défaut.

Lorsque le noble se saisit de l’une des lances, le regard de l’ecclésiastique dévia enfin du râtelier pour mieux étudier chacune des postures arborées, probablement induites par la spécificité de l’arme. Il tâcha, par-delà les gestes et les mots, de mesurer l’utilité de chaque mouvement, d’imaginer comment profiter des atouts que lui prêtait son possesseur.
Quoi qu’en dise le Comte – qu’il le dissimule à dessein ou ne le réalise pas, faute d’objectivité quant à ce qui avait manifestement forgé la renommée de sa famille –, Amaury ne doutait pas des défauts de cette arme qu’il serait appelé à manier. Que sa portée soit un avantage, que son usage soit abordable, n’empêchait toutefois pas la subsistance des épées sur les champs de bataille, en dépit de leurs propres écueils. N’était-ce alors pas la preuve, en soi, de la faillibilité des armes d’hast ? L’enlumineur en devinait une dans cette hampe, pourtant présentée comme une force.
Ainsi, il lui faudrait apprendre ces faiblesses pour mieux les palier. Pour l’heure, cependant, il devrait raffermir une musculature jadis forgée par le labeur des campagnes et d’interminables marches à travers les marais, aujourd’hui alanguie par une vie de recueillement, de prières et de peinture.

Un sourire léger au coin des lèvres, Amaury acquiesça aux injonctions de son instructeur.

— Bien, Monseigneur.

Sitôt, l’enlumineur s’exécuta avec une volonté qui, il le savait, ne vacillerait jamais, car aussi noble soit le Comte, aussi impressionnant, exigeant ou désagréable puisse-t-il être, jamais il ne serait aussi terrifiant que ce Fangeux qu’il avait craint d’affronter à la saison morte.
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