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 L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]

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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]   L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon] EmptyDim 22 Mai 2022 - 13:39
Le 6 Mai, de l'an 1167.

Le soleil rougeoyait dans le lointain, étendant ses bras d’or sur les langueurs salines, qui venait s’éclater sur les berges en de doux clapotis. Une légère brise iodée caressait les surfaces, tantôt celles des bateaux amarrés, tantôt de l’eau bouillonnante, et puis, souvent, les badauds qui passaient. C’était un geste tendre, de ceux d’une mère à l’enfant choyé, qui ne faisait pas qu’effleurer les peaux mises à nues, mais les cœurs et l’âme toute entière. Elle y laissait ce goût salé, ces moments cristallisés comme autant de bons souvenirs qu’on aurait peine à retirer. Alors, les plus hardis s’alanguissaient en silence, s’offrant à l’accorte torture dans un instant sacré de répits, les yeux clos. On s’extrayait enfin du monde, de l’univers entier, à la recherche de l’apaisement profond et total. Comme une catharsis, on espérait que ces moments d’éternité apaisent les douleurs et réduisent à néant les doutes et les peurs. Et le fracas mélancolique des ressacs était une mélodie enivrante, que certains aimaient à comparer aux litanies sans âge. Eut-il eu des torrents d’agitation, des manouvriers déchargeant les biens précieux venus d’autres rives lointaines, des pêcheurs s’en revenant au port, les cris des mouettes haut dans le ciel ; quiconque s’adonnait à la contemplation marine se retrouvait bien distant de ces préoccupations. Il n’y avait plus ni manouvrier, ni pêcheur, ni mouette. Simplement la béatitude, la sérénité de ce moment où plus rien n’avait d’importance, où même sa propre existence semblait superflue. L’ensemble du tableau imposait l’humilité, car face à l’immensité de la mer, qui étions-nous vraiment ?

La journée avait été longue. Harassante même. Quelques mèches échappées de ses nattes plaquées sur son crâne virevoltaient sous les embruns. Depuis combien de temps se tenait-elle là ? Elle n’en avait plus aucune idée. Debout, droite et digne, ses yeux grisaille contemplaient l’horizon avec envie. Il n’y avait rien sur cette terre de trop loin, de trop grand, rien qu’elle ne veuille se saisir pleinement. Et la brise qui pénétrait ses humeurs, chargée de sel, exaltait son ambition. C’était comme si l’horizon ne se tenait jamais assez loin ; elle y croyait avec force, elle y croyait avec courage, qu’elle tiendrait aussi bien les marées et les tempêtes. Mais que pouvait-on faire sans même un bateau pour se sauver de la noyade ? Il lui restait encore tant de choses à réfléchir, pour atteindre ses buts aussi irréels, aussi puérils puissent-ils être. Aliénor Montfort de Brieu ne pouvait se lancer à corps perdu dans une quête avide. On lui prêtait facilement quelques aspirations seines : d’une vie simple et bien rangée, de la prospérité et de la bonne santé. C’était vrai, du moins en partie. Car au-delà de ces prétentions que tous avaient en ce bas monde, il y avait une chose qu’elle désira plus ardemment encore. Une chose qu’elle ne s’avouait pas à elle-même. Pas encore. Jamais. Alors, stoïque, elle demeurait la Comtesse Vierge, froide et distante, observant les vaguelettes après une dure journée.

Elle avait offert son mécénat à deux nouveaux artisans, à Bourg-Levant. Les contrats venaient d’être signés en bonne et due forme. Dès la prochaine quinzaine, une nouvelle rente viendrait gonfler ses coffres, et plus que rembourser l’argent qu’elle leur avait accrédité. Il n’y avait rien de malhonnête dans ses affaires ; les bougres étaient bien moins sots qu’on aurait aimé les croire, mais bien plus désespérés qu’ils n’auraient souhaité. Aussi, avec ces prêts, elle s’assurait d’avoir le triple, sinon le quadruple de la mise initiale. Cela l’avait tenu à l’abris quand d’autres s’étaient vautrés dans la déchéance. Elle avait cumulé assez de notoriété dans la basse-ville, et avait veillé aux bonnes œuvres du temple. Mais aujourd’hui elle se sentait enfin prête ; prête à prendre la place qui lui était due. Le labeur était une vertu qu’elle aimât entretenir, pour sûr, mais si son intelligence commerciale était à la hauteur de son habilité politique, peut-être pouvait-elle aspirer à mieux encore. A plus grand, à plus beau, à plus fastueux. Ces quatre dernières années, elle les avait passé en retrait du monde, afin qu’aucun ne pose de trop ses yeux sur elle. Elle n’aurait pu lutter longtemps ; sans arme, la bataille pour sa liberté chérie aurait été jouée d’avance. Maintenant, elle pouvait combattre avec équité ces hommes et ces femmes aux dents acérées. Oui, elle s’en sentait capable, plus forte que jamais, plus puissante qu’elle ne pouvait espérer. Mais, à toute hâte il fallait privilégier la stratégie ; ces choses-là prenaient du temps, un temps dont elle ne manquait pas. Elle se jetterait bien assez tôt dans l’univers où la Fange n’était pas le pire des maux.

Ses chevaliers gardiens avaient adopté le silence. Elle ne leur avait plus prêté aucune attention depuis presque aussi longtemps qu’elle contemplait l’océan, sur la digue, seule. Ils devaient sans aucun doute apprécier eux-aussi ce repos. Elle évitait soigneusement de sortir de chez elle si elle n’avait pas une bonne raison de le faire ; les rues étaient dangereuses dans la basse-ville et pourtant. Oui, pourtant ces petites gens jouissaient sûrement bien plus de la beauté, et de la douceur que pouvait encore offrir Morguestanc. Ils avaient le droit à la lumière, quand elle se trouvait plongée dans les ténèbres. Un frisson parcouru son échine. Combien ici rêvait de la vie à l’Esplanade sans en comprendre le prix ? Ils riraient sûrement si elle en venait à se plaindre de sa condition. Mais c’était là le fardeau du noble sang ; c’était ce qu’on lui avait enseigné, par la force et les larmes. C’était la charge qu’elle avait prise sur ses épaules. Alors, comme les rochers de la digue, elle ne céderait à aucune vague suppliciée. Des cliquetis familiers approchaient. Des pas, couverts par les bruissements de l’eau : quelqu’un approchait. Ni Armand ni Jean ne sembla arrêter l’inconnu, alors elle ne se retourna pas. Elle se fiait peut-être un peu trop aux jugements de ses chevaliers.
« — N’est-ce pas une heure parfaite pour s’alanguir devant la beauté des grandes choses ? », sa voix affable surpassa le vent et la mer. Mais elle n’accorda aucune œillade au nouvel arrivant. Il aurait bien assez de temps pour se porter à sa hauteur, et l’éloigner, pour de bon, de sa contemplation.
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MessageSujet: Re: L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]   L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon] EmptyMar 24 Mai 2022 - 2:44
Le comte était d'humeur massacrante. Comme tout un chacun, il lui arrivait de se lever du pied gauche. Plutôt que de ruminer chez lui, le jeune homme avait enfilé une pèlerine. Il avait presque bousculé Isabelle avant de claquer la porte.

À vrai dire, il n'avait pas la moindre idée de ce qui le mettait autant en rage. Sans doute fallait il voir là l'accumulation d'un ras-le-bol. Il n'avait pas la moindre bride de souvenir du rêve qu'il venait de faire durant sa sieste. La seule chose qu'il tenait pour sûr à ce moment précis : c'était son envie de mettre le plus de distance entre lui et les gens qu'il connaissait. Les murs devenus si familiers de son « manoir » avaient en cette fin de journée de printemps des airs de geôles.

D'un pas rapide, il s'éloigna du quartier noble où il risquait fort bien de croiser des gens à qui il devait cacher sa colère. Tout en marchant, il rumina une série d'insanités et de jurons. Par les Trois, il haïssait cette ville. Il haïssait ses murs. Il haïssait son parfum nauséabond. Il haïssait aujourd'hui ses gens et son petit roitelet de duc.

Il prit bien soin d'insulter toutes et tous. Les Trois inclus. Histoire de ne pas faire de jaloux. Heureusement que les rues n'étaient plus trop chargées ; il y avait dans le lot de grossièretés de quoi faire rougir les bourgeoises.

Ses pérégrinations le conduisirent par le plus grand des hasards dans le port de la citée où déjà les marins s'affairaient à rentrer, aidés par les marées et la fatigue. Personne ne sembla prêter plus d'attention que cela au noble des montagnes. Son humeur massacrante tout comme l'épée pendant à son flanc dissuadèrent les plus malins de soutenir le regard du noble.

Faisant claquer ses éperons et ses bottes cloutées sur les pavés, le blond fit les cent pas près des quais. Malgré la poiscaille et les marins la débarquant, l'air y été plus frais. Le parfum iodé porté par les embruns sembla apaiser un peu la rage folle qui habitait Balian.

Le noble se perdit dans la contemplation des eaux frappant le rivage. Il se surprit à se penser bien simplet en découvrant qu'observer ce manège lui vidait l'esprit aussi sûrement qu'une leçon d'algèbre de son enfance.

Par réflexes, il gagna la jetée où il avait essayé d'apprendre à Éliane comment faire des ricochets. Là, il y trouva faisant face au soleil couchant une paire de gens d'armes et une jeune femme. Le tableau était assez inhabituel. Il était fort rare que le comte croise des gens à cet endroit.

Sous le regard chargé de méfiance des deux chiens de garde, le montagnard gagna la fin de la digue. Alors qu'il s’apprêtait à saluer mécaniquement la personne avec qui il lui fallait partager cette « cachette », il fut surpris d'entendre l'inconnue lui adresser la parole.

« C'est entre chien et loup que l'on trouve les plus beaux contrastes, noble dame. Les adieux du soleil annoncent les trois coups du brigadier. Le spectacle va bientôt débuter... » répondit le blond en portant son attention vers l'horizon. Vers la longue tache rouge, là bas, sur la mer. Celle rétrécissant aussi rapidement que tombait le jour.
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MessageSujet: Re: L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]   L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon] EmptyMar 24 Mai 2022 - 16:43
Elle continuait obstinément de regarder l’horizon. Elle fixait le soleil sur le point de s’endormir, comme elle aurait toisé son prochain, orgueilleuse et emprunte d’une toute puissance qui ne lui appartenait pas. Elle était de ces femmes que la nuit sublimait, trouvant les lueurs blafardes d’argent et les ténèbres une intensité plus grande, plus forte, plus puissante qu’en plein jour. Elle aurait pu sourire à l’ironie, car en y réfléchissant, n’était-ce pas seulement qu’elle craignait que l’on y voit un peu plus clair en elle ? Qu’on observe méticuleusement ce corps et ces attitudes fausses et délabrées ? Qu’on y retrouve les plaies purulentes de ses incertitudes et de sa peur la plus intime ? Alors, la Comtesse Vierge pouvait bien se plaindre sans cesse de la noirceur de ses paires, c’était ainsi qu’elle aimât évoluer. A l’ombre des faux-semblants et du paraitre, elle semblait exceller dans la couardise et le mensonge. Et comme toute faible, elle se refusait à se croire si bête, repoussant volontiers la faute de sa propre existence sur le monde entier. Ah ! Que la fange était un fléau ! Que les Trois furent cruels avec elle ! Elle s’astreignait consciencieusement à s’innocenter de tout, surtout de ses propres méfaits.

Son pouce fit rouler discrètement la chevalière à son doigt. Un signe d’anxiété comme d’apaisement pour qui la connaissait un peu. C’était un contact familier de l’or sur la peau, imprimant le poids de l’Aigle Bicéphale comme on héritait d’un fardeau. Pourtant, cette charge, personne ne l’avait jamais contrainte à la porter ; il n’y avait après tout aucune preuve qu’au dehors ne respirait plus ni sa douce mère, ni son regretté frère, ni aucun proche parent. Pourtant, elle se souvenait de cette main dextre tremblante, qui avait écrit les mots fatals, ceux qui avaient mis fin à l’espoir, ceux qui avait fait d’elle l’unique héritière de ses possessions. Elle se souvenait sans mal de la sensation de la plume grattant le papier, de l’encre s’apposant en gyres ordonnées de lettres puis de mots. Elle se souvenait surtout des larmes salées sur ses joues, comme un abime, un océan ouvert qu’aucun être ne pourrait plus traverser, jamais. Une mer sans fin, qui ne connaissait aucun rivage, et où elle se tenait, seule, au bout de ce monde infini.

S’arrachant à sa torpeur, ne sachant combien de temps avait duré l’amertume de ses pensées, elle lança une œillade à la silhouette qui se tenait à présent non loin d’elle. Grand, blond, à sa taille pendait une lourde épée. Et s’il eut une chose qui la surprise, ce n’était point son blason sinople crénelé, quoi qu’il lui rappela quelque chose, mais ses mâchoire, serrées. Visiblement, l’homme recherchait ce que tous les gens de la grande cité voulaient : le calme, la paix, la sérénité. Il était drôle de voir que beaucoup d’entre eux, - au moins deux -, avait dégoté le même havre où passer leurs humeurs les plus tumultueuses. Elle n’éprouvait que rarement de la colère, bien plus amère et froide que ne semblait l’être ce nouvel invité, mais elle comprenait sans mal ce qu’il coutait de maintenir une belle image quand en soit, tout bouillonnait. A dire vrai, elle ressentait ce qu’elle appelait le Néant. Cet endroit était pire que la mort elle-même ; un recoin sombre de son esprit et de son âme, emporté dans un Rien puissant, catalysant tout ce qui lui était néfaste. Les doutes. La peur. La faiblesse. L’abandon. La culpabilité. Il lui arrivait parfois de se perdre dans ce brouillard asphyxiant, et l’on n’en ressortait jamais vraiment indemne. C’était comme se regarder nu dans un miroir. Seul face à soi-même. Qui avait-il de plus horrible en ce monde ?

« — Sûrement qu’une personne plus poètesse que je ne le suis verrait dans vos mots une jubilation malsaine, Messire. Acclamez-vous un mourant sur son sépulcre ? Aliénor se montrait aimable, et accorda même un sourire. Elle était prête à badiner un peu, reprenant un peu de contenance, le menton haut, les yeux toujours aussi insolents.
Je ne m’en indignerai pas. C’est ce que nous faisons tous les jours depuis que le Malheur nous a tous frappé. Moi-même je me surprends à me réjouir qu’un autre se tue à ma place ; mais là ! Ce ne sont guère des conversations à avoir avec un inconnu. Elle fouilla dans sa mémoire à la recherche de ses dernières leçons d’héraldiques. Elle connaissait cette famille, mais n’arrivait pas à remettre ni un nom, ni même une région. Pour sûr, ce n’était pas des vassaux directs de l’ancien duché. C’est amusant de voir que je ne suis pas la seule à venir chercher un peu d’air frais. Une dure journée, messire ? ».
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MessageSujet: Re: L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]   L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon] EmptyJeu 9 Juin 2022 - 22:26
Le comte laissa son esprit vagabonder en observant le rassurant va-et-vient des vagues. Les embruns qui lui fouettaient le visage n'avaient rien de commun avec le doux vent frappant sa terre natale. La seule chose que cette ville honnie partageait avec le fief de ses ancêtres était un ciel nuageux et pour le moins capricieux. Et peut-être aussi la voûte céleste.

Balian croisa ses bras devant lui autant pour faire face aux attaques des alizés que pour se donner une contenance.

« Il n'y a votre seigneurie dans mes propos aucune jubilation. Je ne fais que constater que le mourant nous est indifférant. Que le sourire qu'il a en coin que je semble discerner m'agace. Heureusement que sa présence ne nous sera pas imposée plus longtemps. Aujourd'hui, je l'ai en horreur. »


Il envoya une rapide œillade en direction de la jeune femme qui avait amorcé ce début de conversation. Il soutint le beau regard qui le jugeait un instant avant de reporter son attention dans les vagues.

« Même si parfois, je me surprends à l'envier. »

Le jeune homme laissa à nouveau le silence s'imposer. Non pas en raison d'une certaine timidité, mais plutôt par ce qu'il ne savait pas quoi répondre de plus. Lorsque la noble lui demanda si sa journée avait été dure, il ne put s'empêcher de laisser un sourire en coin assez mauvais s'installer sur son visage.

« Ce n'est pas la dureté de ce jour qui m'importune le plus. C'est son absence de sens. Cette absence attire chez moi aussi certainement les idées noires que Famine suit Guerre. D'habitude, il n'y a ici que quelques rares albatros pour supporter mes humeurs. »

Sur cette jetée, il n'avait pas à faire croire que tout allait bien. Jouer la comédie était épuisant pour ce patriarche tout juste entré dans l'âge adulte. Heureusement que personne ne lui demandait en prime de sourire... Dans cette bourgade, le comte de la maison d'Ascalon se devait de faire bonne figure. Aussi bien pour ne pas affoler ses jeunes sœurs que pour ne pas ternir son blason. Les commères de la citée étaient après tout à l’affût du moindre scandale. Du moindre signe de faiblesse. Elles n'avaient plus que cela à faire puisque les bals se faisaient rares. A défaut de fatiguer leurs pieds, elles fatiguaient leurs langues aux dépends des gens fatigués par les faux semblants et les jeux de la cour

« Notez, je ne m'en plains pas. Leur conversation est assez limitée. Et ils ne souffrent pas la contradiction. »
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MessageSujet: Re: L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon]   L'océan qui nous sépare [Balian d'Ascalon] EmptyJeu 30 Juin 2022 - 18:55
« — Il est vrai que ces oiseaux sont d’une compagnie plus médiocre que la mienne.

Elle s’autorisa un petit rire amusé. Quoique leur conversation fût bien plus profonde, elle s’était convaincue qu’un trait d’humour était sûrement bienvenu. Après tout, elle appréciait aussi venir ici pour ne croiser personne ; personne du moins qui compte assez pour qu’elle dû se prêter au jeu de la discussion badine comme elle s’adonnait présentement. Mais elle ne blâma pas le pauvre homme. Le concours de circonstance les avait poussés sur cette grève, et devait en assumer pleinement les conséquences – fussent-elles moins plaisantes que le calme de la solitude. A dire vrai, et quoi qu’elle ne le connaissait pas, le garçon ne lui semblait pas de très mauvaise compagnie non plus. Elle aurait tout aussi bien pu l’ignorer cordialement, et s’éclipser après les premières banalités. Mais elle était là, à regarder poindre les couleurs violacées du crépuscule. Le silence s’installa de nouveau, un instant, alors que les embruns venaient caresser doucement leurs visages de leurs langueurs salines.

Je vous comprends, Messire. Elle n’aurait pu être plus sincère qu’en cet instant. Sa voix, tranquille, avait quelques intonations profondes, sans âge, comme si ce qu’elle disait transcendait le temps et l’espace infini. Nous cherchons tous notre place ici, maintenant que plus rien n’a de sens, que tout ce que nous avons connu n’est plus. Du moins, c’est là l’amer constat que j’ai fait de nos…semblables.

Elle avait hésité un instant avant de prononcer le dernier mot, comme s’il lui avait brûlé les lèvres. En vérité, elle n’avait jamais formulé ses pensées à voix haute, et encore moins à quelqu’un – qui lui était complètement étranger qui plus est. Mais elle en avait ressenti le besoin impérieux en cet instant, non pas pour rassurer le chevalier qui se tenait à son flanc, mais pour savoir, pour espérer qu’il en arrive à la même conclusion qu’elle. Une conclusion qui lui faisait encore froid dans le dos. Aliénor avait beau avoir étudié la question sous mille aspects, ses recherches avaient toujours mené à l’indicible horreur. Ils ne cherchaient pas tous leur place en ce monde ; seule la noblesse le faisait encore, se débattant dans une marée montante, s’asphyxiant peu à peu sous le roulis des eaux tumultueuses du changement. Elle l’avait compris peu après l’incident qui avait repoussé les Sylvurs au-delà des murs. La hiérarchie qui s’était installée depuis des siècles n’avait plus de sens dans ce monde renouvelé, et s’accrocher encore aux idéaux anciens était aussi honorable que futile. Le cœur battant à ses oreilles devant le vertige que lui procurait de telles allégations, elle ouvrit la bouche pour étayer son propos.

Regardez le pêcheur s’en revenir au port, ou le cordonnier dans son échoppe. Passez du temps à observer les paysans travailler les champs… Croyez-vous que leur but était différent avant que l’Ignominie ne saccage tout ? Notre position, je le crains, a changé au jour où les vieilles familles sont devenues négligeables, et où aucun habitant de cette maudite ville n’a d’intérêt de servir loyalement personne d’autre que le Roi. Elle soupira, remettant une mèche dissidente derrière son oreille. Nos journées nous paraissent vides de sens, parce que, Messire, notre existence même l’est devenue par la force des choses.

Avec lenteur, elle tourna son visage vers le bellâtre, planta ses billes grises comme les jours de la pluie sur lui. Elle avait énoncé ça sans haine, comme une constatation douce-amère, dans un calme à faire frémir jusqu’à la mer qui s’étendait devant eux. Après tout, elle n’avait pas renoncé à croire en ces valeurs surannées. Mais la Montfort avait lutté pour maintenir à la fois son rang et son prestige au travers du chaos. Elle avait travaillé d’arrache-pied pour ne pas devenir cette quantité négligeable, ces souvenirs d’un passé révolu. Elle avait participé, comme d’autres, à maintenir un tant soit peu l’ordre des choses. In fine, elle avait ce qui lui avait semblé juste et louable pour s’assurer de ne jamais tomber dans l’oubli et la décrépitude que connaissait la plupart des anciens nobles du duché. Et un jour, elle se l’était juré, elle se ferait rappeler au bon souvenir de son lointain cousin. Sentant finalement l’air s’alourdir par le poids des mots, elle se tint droite et digne face à lui, laissant un sourire – quoique faux – s’étirer sur ses lèvres.

A parler ainsi, j’en viens à manquer à tous mes devoirs. Comment vous appelez-vous, Messire ? Que je sache à qui faire porter une lettre d’excuse, car ma mélancolie est certainement moins plaisante que le silence des goélands ».
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