Prière et promenade collaborative (PV Clervie)

Suite au mystérieux pli reçu en son manoir, le Comte de Rougelac fut suffisamment piqué de curiosité pour se donner la peine de se rendre au Temple. Il y avait ses habitudes ces derniers mois lorsqu'il n'était pas de séjour à l'extérieur de la capitale. Des habitudes, tantôt seines tantôt guidées par l'intrigue. En effet, ce lieu était généralement propice à quelques entrevues discrètes et secrètes et par le passé, il y avait déjà nouer quelques relations d'affaires avec des nobles et autres personnages qui souhaitaient sollicités ses services.

Ainsi, ne dérogeant pas à ses habitudes, le mondain foula les lieux tel un fidèle croyant de façade, se pliant à quelques rituels pour se fondre dans un décor où régnait recueille et silence. Son intermédiaire semblait chercher son appui et avait prit soin d'éveiller sa curiosité en prônant une collaboration réciproque, seule façon pour inciter Rougelac à mettre entre parenthèse, le temps de quelques heures ses affaires et intrigues courantes depuis qu'il avait vu ses fonctions promues par la couronne.

Dans son style qui lui était propre, Victor était drapée de sa légendaire tunique obsidienne et montrait patte blanche en pénétrant dans l'édifice des Trois. Après avoir allumé une bougie, il déambula sous plusieurs alcôves avant de se rendre devant l'autel pour s'assoir sur un banc s'accoudant au rebord en bois pour alors faire mine de prier, les mains jointes devant son visage à la troisième heure du jour indiqué dans la lettre. S'il semblait se recueillir, l'homme restait en alerte, s'étant évidemment prémuni de tout traquenard en positionnant l'un de ces hommes en retrait à quelques banc derrière lui.

Les sombres alcôves du grand temple de Marbrume étaient le parfait endroit pour chuchoter, intriguer. Clervie avait remonté le capuchon de sa cape vert de milicienne sur sa tête et marchait tête baissée. Dans le temple, marcher tête couverte était symbole d'humilité, pas forcément synonyme de mauvaise intention. De plus, il était fréquenté autant par les nobles que par la roture et pour approcher les sang-bleus, il valait mieux s'y prendre ainsi ; Clervie se savait surveillée par ses ennemis. Balian et Morrigane d'Ascalon, ses deux plus fidèles amis, lui étaient d'une assistance précieuse en ayant accepté de faire passer discrètement ses courriers dans l'Esplanade. Restait maintenant à savoir si sa missive avait suffisamment intrigué le Comte pour qu'il acceptât cette prise de contact. Elle le saurait dans quelques instants.
Il y avait peu de chances qu'il reconnaisse en elle la petite demoiselle qu'il avait salué à un bal du roi deux ans avant que sa famille ne se fasse traîner sur le bûcher ; les Sombrelune avaient jugé prudent de ne point trop fréquenter cet homme à la réputation controversée. Maintenant qu'elle était à la milice et avait commencé à rassembler des informations, elle savait très bien quel genre d'homme était le Comte de Rougelac ; un serpent sournois et dangereux. La seule chose qui faisait qu'il n'était pas dans la liste des suspects concernant ce qui était arrivé à la famille Sombrelune, c'était qu'il avait eu si peu de rapports avec eux qu'il n'aurait eu nul intérêt à leur nuire.
Parfois, la voie du bien et de la justice consiste à choisir le moindre mal ; et Clervie savait que si elle voulait la tête du ou des purificateur qui hantaient l'esplanade, il valait mieux avoir de son côté quelqu'un qui était aussi dangereux qu'eux.
Alors qu'elle passait dans un couloir, elle avisa l'alcôve gardée visiblement par un homme de main. Il fallait s'y attendre, son interlocuteur montrait sa prudence légendaire.
Son coeur fit une violente embardée d'appréhension lorsqu'elle pénétra dans la petite pièce. L'homme y était, vêtu d'une sombre tunique noire et élégante, les mains jointes en prière. A cette instant, son profil reflétait la plus grande sérénité.
Clervie prit une profonde inspiration. Maintenant, il n'était plus question de reculer. Elle s'assit en silence à côté de son interlocuteur et chuchota :

- Heureuse de vous voir enfin, Comte de Rougelac. Je vois que vous avez reçu ma missive.

Elle n'ôta pas sa capuche, mais tourna légèrement la tête pour qu'il puisse au moins distinguer dans la pénombre des bougies ses prunelles au regard décidé.

- Je suis une milicienne au service de notre bon roi et je mène une enquête dangereuse, impliquant potentiellement des nobles. Je pense que vous détenez des informations susceptibles de m'être d'une grande aide. Et de mon côté, je crois que je pourrais bien vous aider, moi aussi. J'entends à peu près tout ce qui se dit dans certains milieux, pendant mes rondes... La preuve...

Elle posa une bourse sur le banc, juste entre eux deux :

- Voici là les trente écus que vous devait Luc Lambré, le marchand d'étoffes qui faisait des... affaires dans le sud du port. Je les ai récupérés pour vous. Considérez ceci comme une preuve de bonne volonté.

Cet imbécile de Luc de Lambré faisait discrètement de la contrebande dans le port, mais le coutillier de Clervie l'avait appréhendé ; par la suite, la jeune femme, en l'ayant vu terrifié de s'être fait prendre, avait compris qu'il travaillait pour un notable de la ville. Il mourut pendu avant d'avoir donné le moindre nom, bien sûr; mais en interrogeant certaines personnes et en reliant certains indices, Clervie avait bien suffisamment d'informations pour avoir trouvé de qui il pouvait s'agir. Ensuite, il avait juste suffi de faire un petit tour dans le bureau du coutillier de la milice (Julius avait fait diversion en entraînant la coutillerie dans une partie de cartes) pour récupérer discrètement, parmi les biens réquisitionnés, la somme dûe, elle en était convaincue, au Comte de Rougelac. Ce petit présent, certes, ne suffirait sans doute pas à convaincre le Comte de lever le petit doigt pour elle et ce n'était pas encore là l'objectif de l'entretien ; mais elle espérait qu'il la rendrait plus disposé à son égard et plus enclin à croire en une alliance fructueuse. Ce qu'elle lui fit comprendre :

- Je suis bien placée pour savoir que dans toute relation, il faut de la confiance... Et que la confiance se gagne. A vous de voir ce que nous sommes en mesure de nous donner comme garantie l'un à l'autre.

Au fur et à mesure qu'elle parlait, Clervie sentait en elle grandir une étonnante assurance. Elle prit conscience qu'elle aimait les doses d'adrénaline que ne manquaient pas d'apporter les intrigues ; approcher un homme aussi dangereux que le personnage en face d'elle était aussi grisant qu'effrayant. Sans doute parce qu'après un an dans la milice et à survivre face à de nombreux ennemis, Clervie était de plus en plus consciente de sa propre dangerosité. La petite oiselle qu'on surnommait Corbac était devenue un oiseau de proie, un prédateur. Elle était prête à tuer pour obtenir ce qu'elle souhaitait et elle ne doutait point que son interlocuteur le percevrait un jour ou l'autre si ce n'était au cours de cet entretien.

L'attente ne fut que de courte durée pour le Comte de Rougelac. Un mouvement d'air sur sa gauche puis une ombre se dessinant juste devant lui indiquait que le mystérieux propriétaire de la missive était en train de prendre place tout à coté de lui. Une fois n'est pas coutume, Victor resta de marbre, ne tournant alors à aucun moment la tête pour dévisager l'inconnue qui rapidement au son de la voix venait indiquer à ce dernier qu'il avait à faire à une femme.

Muré dans un recueillement de facade, l'intrigant mondain écouta alors la jeune femme qui rapidement dévoila son identité et les motifs de cette entrevue secrète. Une milicienne donc... qui semblait sollicité l'influent personnage de la capitale afin de l'aider dans une enquête impliquant des sang-bleu. Voilà qui était intéressant, mais le meilleur était à venir. Mettant en avant ces qualités d'observatrice, elle semblait avoir le profil de ces "petits oiseaux" qui permettait de se tenir informer du moindre fait qui pouvait se dérouler dans les rues de Marbrume. Mais pour Victor, il lui fallait des actes car tout à chacun pouvait se venter de ce genre de talents !

Il n'eut guère non plus longtemps à attendre avant d'obtenir une preuve de la bonne foie de cette dernier par le tintement de pièces qui chatouilla son oreille gauche. Alors, une main discrète glissa récupérer la bourse aussi rapidement rangé dans l'une des poche de sa tunique tandis que la milicienne évoquait la dette contracté par Luc Lambré. Ce faisant, le Gouverneur du Sud donna enfin quelques signaux de réceptivité en venant hocher brièvement de la tête, alors qu'il n'avait encore pas poser son regard sur son interlocutrice. Toujours silencieux, le sang-bleu savait que dans ce genre d'affaire, il fallait laisser l'instigateur terminer sa mise en scène qui aboutissait toujours à cette fastidieuse question de la confiance.

Sourire à la commissure de ses lèvres, Victor quittait peu à peu sa posture de bon paroissien pour alors incliner la tête sur le coté et enfin poser son regard sur les prunelles de son interlocutrice.

- Vous avez tout à fait raison, la confiance se gagne jeune fille, tout comme la trahison se paie. Pour une collaboration réussie, surtout vis à vis d'un membre de la milice, il ne faut aucune trace écrite, ce sera un premier gage à respecter. Ensuite, évidemment, d'autres affaires ne devrons jamais venir interférer avec notre partenariat, j'entends qu'une protection mutuelle sera nécessaire...

Il se redressa, engageant ainsi une démarche pour quitter ce lieu de prière pour une balade où le son de leur voix ne pourra faire écho entre de hautes alcôves.

- Je crois que vous n'avez pas besoin de faire vos preuves.

Un main contre la poche où se trouvait la bourse venait achever la remarque.

- Nous sommes donc tout deux au service de notre bon roi, un point commun intéressant. Mais suis-je apte en retour à vous satisfaire ? Tout dépendra du risque que j'encours... ma réputation s'est fortement améliorée ces derniers mois et je ne voudrais point la voir se ternir inutilement.

Clervie retint un sourire de triomphe, alors qu'elle suivait le Comte dans un autre corridor. Finalement, cela s'était mieux passé qu'elle ne l'espérait. Le Comte et elle se trouvaient étonnament sur la même longueur d'onde... Du moins pour l'instant. Et il avait bien mordu à l'hameçon en parlant du fait de ne point vouloir salir sa réputation et de la nécessité de ne point garder de traces écrits de leurs accords. Aussi répondit-elle allégrement :

- Mais tout naturellement, cher Comte. Vos conditions sont évidentes et je les respecterai. C'est pour cela notamment que la missive n'était pas signée. Je dois moi-même faire très attention à ne pas m'exposer et à ne pas exposer mes sources. Et en ce qui concerne votre réputation, ne vous inquiétez pas ; je pense même qu'en m'aidant, vous aurez la possibilité d'augmenter votre grandeur à Marbrume. Sans trop vous en dire pour votre sécurité et la mienne, il s'agit de faire tomber une branche d'hérétiques qui infecte l'Esplanade. Etant donné la complexité de la chose, je puis vous promettre que votre nom ne sera cité qu'en cas de succès total de cette opération, ce qui ne manquera point de vous faire gagner en popularité et en influence. Dans le cas contraire, tout ceci n'a tout simplement jamais eu lieu. Parlons maintenant de ce pourquoi exactement je suscite votre concours ; vous verrez qu'il n'y a nul risque à me rendre ce menu service.

Elle se plaça face à lui pour glisser un petit papier dans sa main gantée :

- Vous n'aurez qu'à le brûler après l'avoir lu. Il s'agit simplement du nom de la personne que je recherche. Cet individu, Abraham Clayton, est, paraît-il, un marchand qui a désormais élu domicile à Sombrebois. Il a acheté notamment des biens appartenant à la famille damnée des Sombrelune. Nous avons de bonnes raisons de penser qu'il est lié aux infâmes individus que je traque. Tout ce que je voudrais, s'il vous agrée, c'est que vous demandiez à vos gens s'il se trouve toujours là-bas et si d'aventure, il a contracté d'autres affaires du même style. Un simple renseignement en somme. Mais peut-être le connaissez-vous ? A-t-il déjà travaillé pour vous ?

Elle attendit la réponse avec fébrilité. Si elle ne se trompait point, pour le Comte, ce genre de faveur était sûrement plus minime que ce à quoi il se serait attendu. Dans ce cas, il y aurait de bonnes chances pour qu'il acceptât. S'il refusait... Alors Clervie n'aurait plus qu'à espérer que Balian trouverait l'information. Mais le jeune Comte de la Vie n'avait malheureusement point autant de relations à Sombrebois que Victor de Rougelac et risquait de faire chou blanc.

"faire tomber une branche d'hérétiques qui infecte l'Esplanade" voilà qui donnait le ton à l'affaire qui avait fait déplacer le Comte de Rougelac au Temple pour y rencontrer cette milicienne. Alors que le duo se déplaçait jusqu'aux jardins du temple, plus propice à la discussion, non sans que la sentinelle du Comte reste en retrait dans une vigilance des plus discrète, Victor écoutait religieusement la suite des propos de son interlocutrice qui tendait à dessiner les contours de l'implication du noble et des conséquences qu'elle cherchait à atténuer en cas d'échec.

Une simple investigation, voilà en quoi se résumait le début de ce partenariat. Un nom, une adresse, restait donc à vérifier que la cible de la milicienne se trouvait au cœur des marais dans la zone où les fonctions du Gouverneurs s'appliquait. Songeur, il pesa le pour et le contre... peu de risque contre un de l'influence. La balance penchait pour un accord. S'il avait déjà soigneusement rangé le pli, Rougelac allait volontiers répondre à sa comparse.

- Abraham Clayton, cela ne me dit rien. Je vais me renseigner mais...

Il arrêta sa progression pour chercher à dévisager la jeune femme, son regard devenu perçant.

- Vous prenez beaucoup de risque. Et généralement tout risque est contrebalancé par des avantages. Ambitionnez-vous un poste particulier dans la milice oubien cette affaire a un caractère... personnel ? J'aime à savoir ce qui motive mes partenaire. Cela entre dans cette complexe équation de la "confiance".

Il reprit la marche, saluant quelques religieux qui croisait leur chemin comme le voulait la bienséance avant de rajouter.

- J'accepte donc votre offre mais je me donne la liberté de cesser notre partenariat si les modalités d'execution venaient à se compliquer. J'imagine que nous trouverons un point de rendez-vous déterminéà l'avance à chacune de nos rencontres, fixe ou changeant. Je vous laisserez le soin de vous en charger. Moins nous aurons de correspondances écrite, plus nous écartons le danger.

Clervie ressentit une légère déception alors que le Comte confirmait ne pas connaître Abraham Clayton. Evidemment, cela aurait été trop beau. Elle soutint le regard azur perçant du comte sans trembler. La question qu'elle redoutait survint alors.

- Vous prenez beaucoup de risque. Et généralement tout risque est contrebalancé par des avantages. Ambitionnez-vous un poste particulier dans la milice oubien cette affaire a un caractère... personnel ? J'aime à savoir ce qui motive mes partenaire. Cela entre dans cette complexe équation de la "confiance".

Par chance, l'arrivée dans le sentier qu'ils venaient d'emprunter d'une groupe de religieux les interrompit, laissant à Clervie le temps de formuler soigneusement la réponse qu'elle avait prévu de donner le cas échéant. Pendant, ce temps, le Comte achevait :

- J'accepte donc votre offre mais je me donne la liberté de cesser notre partenariat si les modalités d'execution venaient à se compliquer. J'imagine que nous trouverons un point de rendez-vous déterminéà l'avance à chacune de nos rencontres, fixe ou changeant. Je vous laisserez le soin de vous en charger. Moins nous aurons de correspondances écrite, plus nous écartons le danger.

Cette dernière condition ne surprit pas Clervie. Le Comte avait raison. Le moins de correspondance écrite était nécessaire pour ne pas laisser filtrer d'information. Quant au fait qu'il se réservait le droit de rompre le partenariat au moindre risque, cela ne lui posait pas réellement problème non plus. Elle ne comptait pas elle-même prolonger de trop ce qu'elle savait être un pacte avec le vice ; s'engager avec le Comte de Rougelac, c'était pactiser avec un homme aussi mauvais que les créatures maléfiques de certains contes qu'elle avait lus enfant. Rien ne pourrait jamais le lui faire oublier.

- Vous avez tout à fait raison, Comte, et vos conditions sont parfaitement sensées et acceptables, déclara Clervie. Dans ce cas, j'imagine que nous pouvons procéder avec le même homme qui vous a remis le pli et en qui je sais pouvoir avoir confiance, mais pour des messages oraux indiquant les lieux et les heures de nos entretiens, qui ne devront effectivement jamais être réguliers pour éviter les filatures. Vous avez maintes gens qui travaillent pour vous et sont sûrement rôdés à ce genre de manoeuvres ; lorsque vous voudrez me convoquer pour me communiquer le résultat de votre investigation, passez par l'un d'eux et il ira retrouver le serviteur qui vous a remis ma missive pour transmettre le lieu et l'heure de votre convenance. Il est évident que je ne peux vous convoquer dans les endroits où je traîne habituellement, car un homme de votre qualité se remarquerait de trop dans les bas-fonds ou dans les quartiers de la milice. Si je trouve quelque chose susceptible de vous intéresser, je vous contacterai par un messager oral et nous pourrons toujours nous retrouver ici. C'est là un endroit où la noblesse et le peuple peuvent facile se mélanger sans que l'on ne se pose de questions, et de plus, dans la pénombre, il semble difficile de reconnaître précisément les visages et de savoir qui parle à parle à qui...

Elle marqua une pause et se rapprocha légèrement de son interlocuteur pour le regarder en face :

- Quant à mes motivations... Par ma foi, je ne vois effectivement point de mal à vous en confier brièvement le fondement. Disons simplement que les gens que je cherche à faire tomber ont détruit mon existence. C'est uniquement grâce aux Trois que je suis encore en vie aujourd'hui... Mais il n'en est pas de même pour les gens qui m'étaient chers.

Comme à chaque fois qu'elle évoquait la perte de sa famille, les prunelles de la dame de Sombrelune flambèrent de rage alors qu'elle avait prononcé ces mots dans un chuchotis qui ressemblait à un sifflement menaçant. Elle ne chercha guère à cacher cette expression démoniaque qui apparut sur son visage, renforcée par la lueur montante d'un soleil perçant à travers les nuages, et l'ombre de la capuche qui couvrait toujours le haut de son visage.

- Il devient alors facile de prendre des risques ; je n'ai plus rien à perdre, et rien n'est plus dangereux que quelqu'un qui n'a rien à perdre. Je veux voir ces ordures sur le bûcher, c'est là mon unique ambition et ma récompense. Cette réponse vous satisfait-elle ?

Comme dans toute affaire qui se voulait discrète, le point d'orgue était de ne laisser aucune trace qui pouvait permettre de remonter jusqu'à l'un ou l'autre des instigateur . Ainsi moins il y aurait d'écrits mieux le noble comme la milicienne seraient protégés, encore fallait-il trouver le moyen de communiquer et de fixer des points de rendez-vous dont l'horaire devait sans cesse changer. Sans doute la jeune femme avait réfléchi à la question et fini par rapidement dévoiler l'organisation des futurs entretiens.

N'ayant rien à redire, Rougelac attendait alors de plus ample explication quand à l'engouement présumé de la milicienne sur cette affaire en particulier visant la secte qui commençait à faire grand bruit dans l'espace public sans pour autant que les autorités puisse mettre la main sur ces dirigeants. Le Comte aurait pensé avoir plus de file à retordre pour obtenir des aveux à ce sujet mais finalement son interlocutrice se mit à table sans assez a faire le moindre effort. Acquiescant d'un hochement de tête non sans que son attention ne soit soudainement attirée par ce regard empli de rage, Victor comprenait donc mieux pourquoi la milicienne tentait par tous les moyens d'élucider cette affaire au point de pactiser avec le diable, tour du moins un homme aussi influent que dangereux.

- Je dois bien vous avouer que vous me donnez plus que je n'aurais su en attendre. Vous faite donc de ce cas une affaire très personnelle et je ne peux que vous comprendre. Un seul conseil si vous atteignez votre objectif, ne vous laissez pas submerger par la haine et les emotions, cela pourrait être votre faiblesse au moment où vous serez sur le point d'assouvir votre vengeance.

Il avisa d'un regard perçant la jeune femme comme s'il disait ses mots vis à vis de son propre vécu.

- Ce sont les gens qui n'ont plus rien à perdre qui se révèlent être les plus dangereux. Je fais tout comme vous parti de cette catégorie mais pour des raisons bien différentes que je me garderais de vous dévoiler bien entendu.

Il chercha alors un coin esseulé du jardin où son homme de main pouvait sécuriser l'accès pour alors s'arrêter et tendre la main discrètement vers la jeune femme à l'abri de tout regard et oreille indiscrète.

- Nous avons donc un arrangement madame... comment dois-je d'ailleurs vous appeler ? Puisse notre collaboration être prolifique.

Le comte parut ainsi plus que satisfait de cette réponse et lui donna néanmoins une mise en garde que Clervie comprenait parfaitement ; Balian d'Ascalon lui en avait plus ou moins donné une identique. Elle ne put s'empêcher de réagir lorsqu'il lui avoua avoir le même genre de raisons d'agir ; visiblement lui aussi avait perdu beaucoup par la faute d'autres. Etait-ce donc la raison pour laquelle cet homme s'était égaré sur les voies si sombres que l'on lui prêtait ? Clervie se sentit piquée de curiosité. Mais elle savait se dominer. Aussi, se contenta-t-elle d'esquisser un mince sourire :

- Naturellement, cher comte. Chacun ses secrets.

Elle saisit la main gantée et lui rendit donc cette poignée de main, un bref frisson parcourant sa nuque ; un pacte dont elle ignorait encore les conséquences venait d'être scellé. Par un hasard surnaturel, au moment où les doigts du comte se refermaient sur les siens, le mutin soleil de début de printemps se cacha derrière un nuage et une ombre ténébreuse descendit sur les deux intriguants. Durant quelques battements de coeur, les prunelles obsidienne de Clervie demeurèrent plongées dans celles du mystérieux comte. Puis leurs mains se séparèrent.

- Appelez-moi Claire, déclara-t-elle d'un ton courtois. Et puisse en effet notre arrangement être prolifique...

Sur cette dernière phrase, elle avança un peu plus son capuchon sur sa tête :

- Il est temps de nous quitter. Passez une très belle journée, Comte de Rougelac et puisse cette entreprise se couronner du succès espéré.

L'instant suivant, elle disparut dans la pénombre d'un corridor.

RP TERMINE