Un bail impossible à refuser (solo)

6 avril 1167


- Sans plaisanter Rosaline ? Tu as fait ça ?
La prostituée blonde paraissait ravie de son coup. Elle donna une grande claque sur l'épaule de Clervie :
- Et comment que je l'ai fait ! Pour les petits services que tu nous as rendus tout du long, tu méritais bien cela, Claire !
- Tu es vraiment une amie en or, Rosaline, dit Clervie. Je ne te mérite pas, sérieusement.
- Bah ! Tu me remercieras quand tu auras vu le lieu. C'est pas franchement un palace, mais au moins, tu seras hors de portée de tes frères d'armes pendant tes heures de sommeil, comme tu l'souhaitais.
- Je préfère encore les rats à la compagnie de ces dégénérés, ne t'inquiète pas pour ça, répliqua Clervie. Et juste à l'entrée du quartier de la milice, c'est exactement ce qu'il me fallait.
- Ouais... Mais fais attention tout de même. Tu te doutes que c'est pas gratuit ; le loyer sera bas, mais Elina exige quelque chose autre que l'argent en retour.
- Ce qu'elle voudra, tant que c'est honnête, répondit la jeune femme.

La chambre que Rosaline avait donc trouvé à bas prix pour Clervie était plus que correcte, mais avait évidemment son petit inconvénient ; c'était une dépendance d'un bordel fréquenté par quelques miliciens mais surtout des débauchés notoires venus du goulot, la ruelle étant à cheval entre les deux quartiers, s'arrêtant d'ailleurs devant l'une des portes de passage. C'était un endroit étroit mais dont les pavés étaient plus propres et en meilleur état que beaucoup de lieux du coin ; les habitants souffraient clairement du manque de nourriture, mais n'était point aussi crasseux que les résidents des bas-fonds et la criminalité n'était pas trop haute.

Le loyer serait de seulement deux à trois pistoles par semaine pour Clervie, mais en échange, la chef de l'établissement demandait un menu service à la jeune femme ; la possibilité de faire appel à elle n'importe quand si l'une de ses filles subissait un client violent. En soi, Clervie n'avait rien contre, mais espéra que si cela arrivait, que ce ne serait pas un conscrit qui risquait de la reconnaître ; elle n'avait pas envie de refaire un tour au cachot ou pire, d'être renvoyée à coups de fouet. Elle s'acquitta une première fois de cette tâche à peine une semaine après son arrivée.
Ce soir-là, Clervie voulait profiter d'une bonne nuit de sommeil et s'apprêtait à ôter ses braies lorsqu'on frappa à sa porte :

- Claire ! Un fumier qui se figure avoir des droits sur Clémentine fait du grabuge !
- J'arrive ! répliqua aussitôt Clervie en attrapant son épée. Ce n'est pas un milicien au moins ? Car si c'est le cas, il me faudra de l'aide pour ne pas terminer au cachot !
Julius et Landric avaient tous deux promis à Clervie de témoigner en sa faveur si elle se retrouvait à devoir se battre contre un conscrit pour défendre les filles de joie dont elle avait accepté d'assurer la protection.
- Non, juste Aron, un crétin de coordonnier qui n'a plus que ça à faire de sa vie que de nous ennuyer. Mets-le dehors s'il te plaît !

Le coordonnier en question était cependant un grand homme rougeaux et barbu ; il tenait fermement par le bras une petite rousse aux grands yeux bleus plein de larmes, qui ne savait visiblement plus que dire pour calmer sa fureur.
- Hey ! Tu la lâches, maintenant ! ordonna Clervie d'une voix ferme.
- Qu'est-ce tu m'veux, toi, pétasse ? rétorqua l'homme. Voyez-vous ça ? Tu t'prends pour un milicien ? Comme si une femme pouvait apprendre à s'battre. J'te conseille de nous laisser tranquillement régler nos affaires, ma fiancée et moi ou tu vas l'regretter !
- Tu es le seul à penser que tu es fiancée à elle, Aron, répondit calmement Clervie. Quand une femme se refuse, tu dois respecter sa décision.
L'homme se planta alors devant Clervie, la défiant de toute sa hauteur :
- J'te le redis une dernière fois cocotte ; Va.Te.Faire.Foutre.
Son haleine empestait l'alcool.
Pour toute réponse, Clervie lui donna un violent coup dans l'entrejambe, le faisant se plier en deux. L'instant suivant, elle profitait de son incapacité à pouvoir se défendre pour l'allonger violemment contre une table et lui lia les mains.
- Là ! Puisque c'est comme ça, mon gros, tu vas aller faire un petit tour aux cachots ! Et la prochaine fois, ça sera bien autre chose ! Elina ! Va faire chercher mon ami Julius et dis-lui de m'aider à ramener celui-là à la caserne.
Tout en continuant à bien lui écraser la tête sur la table, elle se pencha à l'oreille du coordonnier et lui chuchota :
- C'est ta dernière chance, mon ami. Si jamais, une fois sorti de ton trou, tu t'avisais de revenir traîner par ici, je te passerai mon épée au travers du corps. Compris ?
- Com...pris, grogna l'homme, les dents serrées.
Ce fut avec grande joie que Clervie livra la charogne à Julius pour qu'il aille l'enfermer.

La chambre de Clervie était une pièce longue de neuf pas de long et de neuf pas de large. Le lit était confortable, mais par contre, une certaine humidité régnait à cause du soupirail endommagé. Le seul autre meuble était une armoire dans laquelle ranger ses quelques effets. Elle soupira. Pour tenir son journal, il lui faudrait écrire sur ses genoux, mais au moins, il serait plus facile à dissimuler que lorsqu'elle se trouvait à la milice.

Nouveau logement. Nouveau départ.