Ferrer la proie avec le bon appât [Mariotte] - Terminé

D'accord, d'accord, tranquille. J'ai pas pu l'éviter, j'l'ai aperçu au dernier moment au détour de la contre-allée et là, il m'bloque la route, l'air sûr de lui, pas vraiment en fait, mais ça s'comprend plus que bien dans sa posture. Mais pas question d'lui montrer que j'tremblote. Non, ça, ça marche pas avec ce genre de gars-là. La pitié, c'est pas dans leur nature, puis, ces étrangers, impossible de compter sur eux, avec leurs croyances maléfiques et pis tout l'malheur qu'ils nous ont apporté en débarquant aussi, ça non, on peut pas leur faire confiance.

Tout ça pour dire que j'en mène pas large, mais je l'fixe droit dans les yeux, et ma main qui tremble à peine vient se placer sur ma pochette à couteaux. S'il tente quoi que ce soit, il le sentira passer ! Mais en fait non. Il continue son baratin, il essaie d'se faire passer pour un parfait gentilhomme, mais j'suis pas dupe, ça r'ssemble bien à des menaces tout ça ! C'est lui qu'est usant, nom d'un poisson !

J'me retourne vers mon Jeannot. M'a tout l'air d'avoir bien observé c'te raclure de canaille. J'vois pas trop comment m'sortir de c'pétrin. Les passants baissent la tête autour de nous, rien à espérer par là non plus. Non, dans cette ville c'est marche ou crève, chacun pour sa pomme. C'est comme ça, et c'est aussi pour ça que j'l'aime, ya pas d'foutus hypocrites, quand c'est l'heure de sauver sa peau, on pense qu'à la sienne. Même moi, surtout moi en fait. Pas que j'm'inquiète spécialement pour Jeannot, c'est qu'un gamin parmi tant d'autres hein ? Yen a des milliers dans les rues. Mais bon, quand même, ça m'ferait bien un p'tit quequ'chose de l'laisser se faire attraper par des brutes comme ça, j'sais pas trop pourquoi. Ptêt parce que s'il part yaura plus personne pour s'occuper d'moi quand je serai vieille ? Allez savoir.

Je hoche la tête, mal à l'aise. J'aime pas trop quand j'sais pas quoi répondre, mais là j'suis bien embêtée, faut s'l'avouer. Alors j'le laisse jacter tout son saoûl. J'finis par poser les mains sur les hanches et je crache dans la poussière, aux pieds d'l'abruti.

- Là. J'te l'jure par les trois vrais dieux que j'vais t'aider dans ta diversion. Mais crois-moi : si c'est toi qui m'la fait à l'envers, j'saurais te l'faire payer. Bon, où qu'on va ?

J'reprends les bras d'ma charette : tout c'qu'il veut, mais qu'ça se finisse vite, c'est tout c'que j'demande !

Et le v'la qui s'remet à causer. Pas bavard pour un sou, la dernière fois, et puis, d'un coup c'est comme s'il se découvrait une âme... "tu causes pas", "t'inquiète pas", comme si on avait gardé les ânes ensemble. Il peut bien mettre autant d'vernis qu'il veut, moi, oui oui, moi ! je sais ce qu'il en est ! Une pourriture, une raclure des bas-fonds, une engeance de cet Etiol puant !

Les ruelles s'enchaînent, il m'entraîne vers les quais, l'air un peu pressé de quelqu'un qui a pas de temps à perdre. Maint'nant qu'j'ai compris qu'il a besoin d'un service et qu'on sera quitte après ça, j'me sens mieux, et j'sens même la curiosité m'titiller derrière les oreilles. Et puis, il a beau être un vrai salopard, il a quand même dit que j'avais des talents. C'est pas tous les quat' matins que quelqu'un le reconnaît devant moi, alors c'est la tête un peu plus haute que je pousse ma chariote en le suivant. On finit par arriver près des quais. C'est encore tôt, ça sent bien plus les algues et l'air frais qu'le poisson crevé et la vase pourrie. Quand c'est comme ça, j'dis pas, les quais c'est pas désag...

Il me montre du doigt un pêcheur qui est sur le point d'larguer les amarres. Roland ? J'vois pas bien d'ici, mais j'aperçois son éternel morceau de tissu rouge drapé sur la tête, ya pas d'doute, c'est bien lui ! Une sacrée histoire, ya quelques semaines il l'avait perdu et...

Nom d'une pipe voilà maintenant que l'soudard veut que j'casse le nez d'quelqu'un ? J'suis pas bien sûre de savoir comment faire moi ! Encore, que, ça pourrait s'arranger, mais ma réputation au port va être ruinée, qu'est-ce... Bon, rien, c'était une fausse alerte.

- Ça oui, Gro... Bellegueule, casser des trognes c'est un métier, j'te le laisse sans râler...

Et puis, d'un coup, oui, encore d'un coup, ce type est lunatique au possible, il s'fait menaçant, sort sa lame... Et là...

- Non mais ça va pas la tête ! Ma robe ! Ça fait que quelque jours que j'ai terminé d'réparer cette manche !

Ah, ça, j'bouillonne. Avec une dague qu'elle me l'avait tranchée, la Gisèle ! Tout ça à cause de c'maudit chevalier au cœur aussi tendre qu'une pétoncle et à la gueule aussi amène qu'une foutue pince de crabe. J'commence à m'agiter mais le v'là qui fait encore plus de menaces, toujours des menaces, un foutu psychopathe, j'vous l'dis, ma robe est foutue, alors oui, j'ai bien la belle robe en lin récupérée l'autre jour, mais enfin, elle était là pour les grands jours, pas pour réparer ma robe de travail, voyez l'tableau, à vendre du poisson comme une grande dame ?

Et puis là, sans prévenir, encore, il m'pique le cou avec sa dague, me serre le poignet. J'fais soudain moins la maligne. J'sens les larmes qui me montent aux yeux, mais j'les retiens, là, je lui ferai pas ce plaisir. Ça va pas être bien difficile de berner l'Roland, mais j'ai une envie furieuse que ce soit pas lui, mais c'te sale tronche en face de moi qui s'fasse amocher. Il est déjà pas bien beau à voir, mais j'aimerais tellement qu'il se prenne un poing bien senti, qu'il lui pousse quelques bosses d'un bleu bien dégueulasse, ptêt aussi un nez en zigzag. J'imagine tout ça dans ma tête en gardant les yeux baissés, les dents serrées, et c'est à peine si j'entends c'qu'il me raconte.

J'repousse la charrette comme il a dit, et puis sans un regard, je pars vers Roland, en courant, il a déjà commencé à dérouler la corde d'amarrage, il va pas tarder à partir. Ça y est, les larmes elles coulent, et j'ai la morve au nez. J'dois pas être bien plus belle que Jeannot la fois où il s'était ramassé sur les rochers de l'estran.

- Roland ! Bordel, Roland, ya un sale type qui vient d'me pointer un couteau sous la gorge, là dans la ruelle juste ici, steuplaît, faut qu'tu m'aides à récupérer ma charrette !

Il interrompt son geste, tourne la tête vers moi, l'air bizarre, mais bouge pas plus.

- Roland ! J't'en prie, c'est d'la solidarité entre nous aut', les gens d'la mer, si on se serre pas les coudes, qui c'est qui nous défendra, hein ? Personne ! Mais on est pas du genre à s'laisser abattre, hein ?

J'ai jamais trop su d'où il venait exactement ce gars-là, mais il est comme moi, il a débarqué à Marbrume en se sauvant d'la Fange. Un réfugié, mais bon, on va pas faire ami-ami avec tous les réfugiés hein ? Chacun pour sa pomme, mais ya quand même assez d'poiscaille dans la mer pour que chacun y trouve son compte sans déranger les autres, alors on vit côte-côte sans trop s'gêner.

Un dernier sanglot sort de ma gorge, je renifle, j'essuie ma joue avec ma manche déchirée, et puis le v'là qui a l'air d'avoir pris une décision : il ré-enroule la corde, sort de son bateau, et s'dirige vers l'endroit que j'lui ai indiqué. Je le suis en continuant à renifler, il se presse pas, il a l'air de réfléchir un peu.

- Doit pas être bien costaud ton gars, si t'as réussi à t'échapper. Il était tout seul ? Juste un couteau hein ?

Je hoche la tête en trottinant derrière lui. Il y a bien une idée qui m' vient... Non, c'est même une envie... Son couteau de pêcheur à sa ceinture, il est bien petit... Mais je continue à le suivre silencieusement, et quelques enjambées plus tard, on arrive en vue de la charrette.

HRP:

Le Bellegueule, il perd pas son temps en parlote inutile, faut bien lui accorder ça. Une bonne mandale en pleine gueule ouvre bien l'histoire, mais l'Roland ça a pas l'air de lui faire grand chose. Faut dire qu'il est plutôt costaud, et que l'autre escroc, là, il est pas si grand après tout. Par contre, les visages, ça, ouais, ya comme un air de famille, c'est l'genre de visage que vous avez pas envie d'apercevoir en pleine nuit, voyez ? Ça oui, on est loin des traits fins et élégants d'un prince charmant, oh, comme le troubadour d'il y a quelqu'temps, Henri, qu'est-ce qu'il était beau !

Pendant que j'suis encore toute pensive, les deux hommes disent plus trop rien pendant un petit instant, trop occupés à souffler et à frapper. Les mains sur les hanches, je les observe : j'ai du mal à détacher mon regard du spectacle, malgré la frayeur que ça m'cause. Une sorte de fascination étrange. On pourrait trouver ça bien, d'avoir le physique et l'habitude de s'battre, de dépendre que de ses poings pour survivre... Mais moi, j'aime pas ça. Quand on en arrive aux mains, on est sûr de s'prendre un coup perdu, une trace de morsure quelque part, alors j'préfère éviter, et laisser quelqu'un les prendre pour moi, les coups. J'trouve ça bien plus malin ! Si seulement j'trouvais un moyen d'éviter ceux du Jean, oh, je serais prête à tout !

Et puis, Bellegueule finit par parler, un beau juron, digne du quartier où on s'trouve, l'est bien acclimaté à la ville finalement semble-t-il. Et puis, là tout bascule quand il me mêle à c't'histoire. C'était pas prévu, non, pas prévu du tout qu'il m'implique là-dedans, le Roland aurait rien dû savoir, là il va deviner, c'est sûr, qu'Anür ait pitié de moi ! Je roule des yeux affolés d'un côté et de l'autre de la ruelle, rien, personne, juste nous trois, et la charrette... Si j'aide Bellegueule et qu'il perd, ma réputation au Port est ruinée ; mais si j'aide Roland et qu'il perd, j'suis en danger de mort. Je fais quoi je fais quoi je fais quoi... J'ai pas envie d'mourir, et Bellegueule me fait trop peur.

J'pousse un cri en déplaçant la chariotte sous la trajectoire où Roland recule pour se rétablir. Mais j'ai mis beaucoup trop d'temps à me décider, et je ne fais que le heurter avec la charrette au moment où il se rétablit, à quelques pas du brigand. Il me regarde surpris... Enfin, la surprise dure pas longtemps. C'est d'la hargne que je lis bien vite au fond de ses yeux qui me fixent. Oh, oui, j'les vois très bien, ses yeux, parce que ma chariotte est pas si grande, même pas la longueur de deux bras...

J'vois soudain le Roland tendre le sien, moitié contournant, moitié se jetant sur ma charrette, j'écarquille les yeux, c'est mon tour d'être surprise. Qu'il s'en prenne à moi après tout ça, soit, mais là, pourquoi qu'il tourne le dos au plus dangereux des deux... Mes pauvres paniers pleins de poissons frais se renversent et je sens un étau qui se referme sur mon bras, qui m'entraîne en arrière, mes pauvres poissons ! J'tâtonne de l'autre main pour essayer d'attraper mes couteaux, mais tout est sens dessus dessous, j'y arrive pas.

Tout s'emmêle, et une mèche de cheveux me tombe devant les yeux : j'ai juste le temps d'apercevoir une main qui passe devant mon visage. Sans aucune hésitation, je referme les dents dessus. Les hommes, c'est vraiment tous des salauds !

La rixe continue encore quelques instants, entre lourds coups échangés et esquives au dernier moment, avant qu'la poissonnière se décide à agir. Mon but en la hélant était clairement de déséquilibrer le combat, ret’nir l'attention du corniaud, voire le bousculer un peu si la donzelle maniait sa carriole avec assez d’adresse. Mais l'fait d’gamberger comme ça avant d'agir nous aide pas, ni elle ni moi. Lorsqu'elle se décide, le pêcheur est en train d'faire un pas en arrière pour éviter un uppercut vicieux que j'viens d’décocher – on s’refait pas ouais. D'habitude enchaîner une esquive avec une feinte de crochet puis un uppercut c’est la touche assurée, mais là faut croire que l’gusse l'a déjà expérimenté et s'en méfiait – du coup ça l'déséquilibre à peine, et il capte en vitesse le loup. Et là il a une des réactions les plus connes que j'ai jamais vues : il m'oublie et s’jette sur la Mariotte, en s’étalant sur sa charrette, le goglu ! Erreur de débutant !

J'le vois bousculer la p'tiote avec son gabarit massif, et la faire cabaner avec lui sur la chariote, puis au sol, éparpillant plein d’poiscaille partout au passage. Mais l'bige me montre son dos. Et ça, lame ou pas, c’est débile. Une occasion en or que j’s’rais bien con d’laisser passer, alors j’rejoins dare-dare le duo au sol, j’avise ma cible, et j’lui décoche une bonne tatane des familles dans les roubignoles en lâchant un laconique :

« Qu'Rikni t’les bénisse ! »

Une fois les clochettes du zigue bien sonnées, et qu’il commence à couiner, j’me penche et j’tends l’bras pour empogner la Mariotte et la sortie d’dessous l’Roland, qu’elle puisse respirer un peu. Mais j’pousse bien vite un cri d’douleur en r’tirant ma main. La bougresse ! Elle m’a chiqué !

« Range tes dents toi où j’te les casse ! Bordel ça m’apprendra tiens ! Et toi reste bien au sol si tu veux pas qu’j’en rajoute mon salopard !»

Et pour faire bonne mesure j’adresse un nouveau coup d’pied rageur au pêcheur en plein dans les côtes, et j’entends un bruit mat. Le bige bascule sur l’côté, libérant la poissonnière. Mais j’sens la colère qui bout en moi, et j’ai b’soin d’me défouler. « Pas trop l’esquinter » qu’elle m’a dit Mahaut. Mais là y’ pas d’surinage, pas d’fracture, donc j’crois qu’on est pas trop mal. Alors un p’tit coup en plus au passage, ça m’f’ra du bien et lui, bah… il m’rendra service.

« Allez, fais dodo maint’nant bige. Et fâche-le plus. » j’dis, alors que mon poing vient s’écraser sur sa tempe, lui f’sant tourner d’l’œil. J’tourne la tête vers la p’tiote, et j’réponds à la question qu’elle manquera pas d’poser.

« C’est bon, il est pas cané, hé. J’l’ai juste rossé, comme le d’mandait l’contrat. Un contrat, ça s’respecte toujours. »

Et sur ce, j’crache au sol. J’avise la tenue débraillée d’la Mariotte, les accrocs, certains d’mon fait, d’autres causés par ses chahuteries avec le Roland. J’siffle un bref coup d’vant l’étendue des dégâts.

« Et ben, j’suis même pas sûr qu’tu vas pouvoir en tirer des torchons d’tout ça. Plus qu’à t’trouver du tissu et t’en coudre une, non ? »

Un sourire goguenard s’épanouit alors sur ma face. Mais je zyeute un peu autour, pour m’assurer qu’la ruelle se retrouve pas animée un peu trop tôt par rapport à d’habitude. Ce s’rait pas l’moment.

Ah ça, pour mordre, j'm'y connais ! Un cri retentit, qui me fait du bien au moral, parce que ça prouve que j'ai fait mouche. Sauf que juste après, c'est la voix de Gros-Pif qui s'met à gueuler encore une fois, pour changer, et c'est vrai qu'après tout j'sens plus trop l'Roland bouger, j'l'entends même qui gémit tout bas... Semble bien qu'j'me sois trompée d'cible. Mais j'ai aucun regret... Sauf peut-être un, qui m'arrive quand j'arrive à m'dégager et que j'vois Bellegueule continuer à bourrer d'coups sa victime. J''ai un frisson qui m'remonte dans l'dos à voir ça, mais j'essaie d'l'ignorer et je commence à ouvrir la bouche pour poser la question qui m'taraude.

Sauf que ce gars-là, il est ptêt plus intelligent que j'le croyais. Ou pas. Il répond en avance à ma question, mais j'crois bien qu'il s'est mépris sur c'que j'attendais. J'aimerais bien le lui dire, mais bizarrement ma bouche veut plus s'ouvrir. Je crois qu'j'ai la trouille. Même plus que la trouille. Plutôt la bonne grosse peur, celle qui vous saisit les tripes et vous broie le coeur, qui vous paralyse et vous dit "essaie même pas d'crier". Comme si ça m'mettait déjà pas assez mal à l'aise de savoir que l'Roland va se réveiller, et qu'ça peut très mal tourner pour mes affaires.

J'commence à ramasser mes poissons en tremblant toujours, histoire de filer au plus vite. Hors de question d'rester un instant de plus ici, avec le corps inanimé du Roland et l'espèce de brute avec qui j'aurais jamais dû m'accointer. Sans prévenir, il se met à siffler et à m'parler d'ma robe, et, sous le coup d'la surprise, ma langue se r'met en marche toute seule pendant que j'le fixe d'un oeil noir.

- Qu'est-ce t'as à zyeuter comme ça ? Dégage, ya rien à voir ! Des torchons, oui, pas mieux, pour sûr que ça fait cher le service rendu !

J'me mords soudain les lèvres. Qu'est-ce que j'raconte moi ? Et ma pauv' mère qui arrêtait pas d'me répéter Tourne ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler ! C'est ptêt maintenant que j'comprends ce qu'elle voulait dire : même dans les moments difficiles, faut pas perdre de vue c'qu'on sait faire. Alors, même si j'ai toujours l'impression d'avoir la tête vide et les jambes qui flageolent, j'essaie de m'en sortir à ma manière.

- Contrat, contrat, tu parles toujours que d'ça ! Vraiment, tu toucherais pas quelqu'un si ya pas d'contrat sur sa tête ?

J'essaie de m'rassurer comme je peux. J'essaie d'pas penser qu'il a quand même menacé mon gosse, pas que ça m'travaille plus que ça, mais tout de même, c'est pas courant. C'est souvent les pires salopards sans foi ni loi qui font ça. J'suis pas sûre que je vais aimer la réponse qu'il va me fournir quand même, au point que j'en regretterais presque d'avoir posé la question.

- Mais pour la question d'ma robe... C'était pas dans l'contrat ça. J't'ai rendu un service, mais l'tissu tu sais bien qu'c'est pas donné ! Non, c'était pas prévu du tout... Cette fois c'est toi qui m'dois quelqu'chose ! T'as quelqu'pièces sur toi j'espère ?

Une trop curieuse ? Est-ce qu'il parlait d'moi là ? Raide hein ? R'faire le portrait à coup d'lame hein ? J'me rends compte que j'ai rentré les épaules et baissé la tête tout doucement. Mais bon, l'commerce, c'est l'commerce, et j'regrette pas d'avoir ouvert ma grande bouche, faut qu'les choses soient dites. Mais ensuite, j'reste silencieuse pendant qu'il fouille Roland, qu'est tout par terre comme un vieux tapis. J'dois bien avouer que quand j'vois c'te crapule r'garder dans la bourse qu'il a fini par dénicher, je crois qu'il va se garder les sous pour lui. Et c'est pas moi qui l'en empêcherais, ça non ! C'est pour ça que j'suis surprise quand il me la lance, au point que j'manque de la louper. J'prends même pas le temps de l'ouvrir et je la planque rapidement sous mon tablier en jetant des regards de droite et de gauche. Ya d'plus en plus de monde, j'suis pas à l'aise. Hors de question qu'on me voit discuter normalement avec un type pareil. Oh, l'avantage c'est qu'l'un d'entre eux pourrait venir m'aider, mais avec des si, on pêcherait des dorades tous les jours et moi j'serais allongée dans des soieries au milieu d'un château à causer avec un chevalier très beau et bien aimable.

J'en suis là d'ma réflexion, quand, sorti d'nulle part, il m'propose de m'cogner encore. Il veut pas l'dire, mais il aime ça, faire mal, j'en suis sûre, comme tous les hommes. J'recule instinctivement, encore plus ramassée. J'ai envie d'm'accroupir là et d'me mettre à pleurer, mais l'envie de partir est la plus forte, alors j'reste debout vaille que vaille.

- N-Non... J'crois qu'ça va, qu'ça va aller, tout ça, vérité, t'as menacé, ouais, c'est bien la vérité, ça sonne bien, t'as raison, pas la peine d'en rajouter hein, on est quittes maintenant, c'est bien, alors j'vais... J'sais pas trop, j'vais rester ici pour lui dire que j'y suis pour rien, qu'on s'connaît pas, et on s'recroisera jamais hein ? J't'ai jamais vu par ici et j'te connais pas d'ailleurs.

Faites qu'il s'en aille vite, faites qu'il s'en aille vite...