Critès, Que la Foi vous éclaire... Ou qu'elle vous foudroie.
◈ Identité ◈
Nom : Dombreciel
Prénom : Critès
Age : 28 ans
Sexe : Masculin
Situation : Veuf
Rang : Prêtre (rang 2 possible ?)
Lieu de vie : Temple
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs : Carrière du prêtre : 1 INT 2 CHA 1 PAR(Ne pas recopier le tableau, donner seulement les points à ajouter)
Compétences et objets choisis : Compétences :
- Eloquence - Niveau 1
- Doctrine du Culte - Niveau 1
- Alphabétisation - Niveau 1
- Torture - Niveau 1
- Intimidation - Niveau 1
Objets :
- Robe de prêtre
- Pantalon cuir
- Une dague
- Une chevalière à sceau
-
◈ Apparence ◈
Critès Dombreciel en impose, de part son mètre quatre-vingt-dix. De longs cheveux noirs et des yeux couleurs d'ambre subliment un visage volontaire aux lèvres bien dessinées. Une petite cicatrice dûe à un incident domestique n'ôte rien à son charme. Une légère barbe ajoute une note supplémentaire d'ombre. D'emblée, vous aurez tendance à le trouver sévère, et il ne manquera pas de vous inspirer un certain respect. Peut-être même de la crainte.
Sa voix est grave et douce ; même en colère, Critès ne s'emporte jamais. Une jeune fille perdue aura l'impression de trouver en lui un père de substitution ; un repentant le verra comme un représentant des dieux tombé du ciel, prêt à le laver de ses péchés. Il porte toujours une robe bleu ciel, en signe de respect à Anür et une cape noire et confortable les jours froids. Sa démarche est élégante et légère, il donne parfois l'impression de danser en marchant. Ses longues mains paraissent si douces... Et pourtant, les dieux savent quelles souffrances elles sont capables d'infliger.
◈ Personnalité ◈
La foi donne l'espoir au plus démuni. La foi peut pousser l'agonisant vers la guérison. La foi peut révéler le meilleur d'un homme en le poussant vers la plus complète abnégation. Chez Critès Dombreciel... La foi a révélé le pire.
La fange, plus l'arrivée des infâmes purificateurs, il n'en fallait pas plus pour que l'homme de foi bienveillant se transforme en intrépide inquisiteur que n'auraient point renié les serviteurs les plus fervents de Rikni ; plus d'une centaine de pauvres âmes ont fait les frais des procès retentissants qui ont eu lieu après les événements fâcheux provoqués par les sectaires; et quelques noms ont été damnés à jamais par ses soins. Sombrelune, De Verteplaine et D'Argentet sont de ceux-là. Peu importe, au fond, la culpabilité ou l'innocence avérée de ceux qui ont été torturés et envoyés au bûcher ; tuez les tous, les trois reconnaîtront les leurs ! Purifier Marbrume est sa seule et unique ambition, et pour y parvenir, il emploiera absolument tous les moyens. Critès Dombreciel concentre exactement en lui ce qu'il y a de plus répugnant chez les bigots, toujours prêts à juger leurs voisins, à chercher le péché chez les autres, sans s'interroger sur les leurs ; un sectaire manqué, c'est là ce qu'il est, ni plus, ni moins, même si les sacrifices humains de la secte d'Etiol et les adorateurs de fangeux ne lui inspirent qu'horreur ; voici décrit l'infâme individu que voilà et il est bien capable de faire sombrer Marbrume dans la terreur s'il devait occuper de trop hautes fonctions dans le clergé. Hautes fonctions qui devraient malheureusement être tôt ou tard à sa portée, car l'homme est ambitieux et tenace ; quelqu'un sera-t-il en mesure de l'arrêter avant que les voix justes se voient baillonnées et qu'une véritable inquisition prenne place à Marbrume ?
◈ Histoire ◈
Critès Dombreciel est le fils bâtard du tristement célèbre Comte de Rosedacre, qui devait périr pendant l'invasion de la fange de l'ouest de Langres. Le Comte, désireux de s'épargner un scandale, d'autant plus que la mère meurt en couche, confie l'enfant aux prêtres.
Aussi passa-t-il toute son enfance et une grande partie de son adolescence dans Aigues, un petit village côtier, situé à quelques milles de Marbrume. Il ne lui fut point caché ses origines, ni que son père s'était débarrassé de lui comme d'un déchet putride ; on lui dira que c'est déjà preuve d'une grande générosité que de l'avoir confié aux prêtres au lieu de le tuer de ses mains ; après tout, dans nos contrées, l'infanticide sur les marmots indésirables est de coutume, car si facile à dissimuler...
Faut-il y voir là l'une des causes de la façon dont l'homme a tourné ? Certes, on ne peut point douter que ces circonstances de naissance ont dû jouer un rôle, commençant à briser une âme qui aurait pu, en d'autres circonstances, devenir très certainement pure et vertueuse.
A Aigues se trouvait en effet un temple d'une certaine réputation ; le petit Critès se révéla vite intelligent et prompt à l'étude ; il sut rapidement ses lettres. Le père Alban le forma donc avec enthousiasme... Mais aussi sévérité.
Il apparut vite que Critès Dombreciel avait un don naturel pour le prêche. Il semblait même rappeler à la Foi ceux qui accumulaient doutes et colères contre les dieux. Aussi, un temple de village ne pouvait satisfaire les besoins en savoir théologique d'un jeune homme, qui, d'après Père Alban, avait de bonnes dispositions pour occuper les plus hautes fonctions sacerdotales.
C'est donc ainsi que vers ses dix-huit ans, un bâteau l'envoie alors prêcher à Marbrume. Ce qui lui sauva probablement la vie. Il y demeurera et se fera remarquer pour sa piété exceptionnelle ainsi que son dévouement au peuple. Vers ses dix-neuf ans, il tombe amoureux de Flora, une jeune aspirante prêtresse toute douce. Le couple se marie rapidement.
Malheureusement, malgré toutes les prières, les Trois refusent au couple le bonheur d'un enfant, mais Critès garde la foi. Jusqu'en 1164.
Ils arrivèrent.
Cette fameuse engeance que tout le monde avait appris à redouter, ces créatures humanoïdes et affamées de chair humaine. Elles ne pouvaient être qu'une création du mal absolu, ou alors un châtiment envoyé par les dieux pour les péchés des hommes. Critès et son épouse apprirent vite à les redouter. Les temps troubles mettent le couple face aux épreuves de la famine et de l'impuissance à aider les démunis. Des réfugiés arrivent, toujours plus ! Et toujours moins de nourriture, moins de ravitaillement ! Critès, qui a naturellement l'âme généreuse, sombre peu à peu dans la dépression ; pourquoi a-t-il fallu que cette petite fille meurt dans ses bras, de ne pas avoir eu de repas correct durant six jours ? Pourquoi ce pauvre homme dépérit-t-il en crachant du sang, malgré les efforts des guérisseurs pour le soigner et les prières aux trois ?
La réponse ne tarde pas à venir.
Quelques jours après, lors d'un conseil restreint, le jeune homme apprend l'horrible fait : il y a des traîtres à Marbrume, une horrible secte qui vénère ces sales créatures. Voilà pourquoi les dieux sont autant en colère. Voilà pourquoi tant de morts, pourquoi tant de peine. A part peut-être les enfants, qui est vraiment innocent dans cette ville...?
Critès sort alors de son apathie pour sombrer dans la folie furieuse ; il les détruira, ces infâmes pourritures ! Son épouse elle-même a du mal à reconnaître en lui l'homme doux qu'elle a épousé. Désormais, Critès ne se soucie plus des miséreux, du moins, il ne fait plus que son devoir envers eux, mais avec l'intime conviction que la plupart ont mérité leur sort. Il est écoeuré de l'humanité, si ingrate. Qui mérite vraiment d'être sauvé dans cette ville putride ?
Seuls les jeunes orphelins lui inspirent un peu de compassion. Il n'a jamais pu assouvir son envie d'être père, aussi continue-t-il naturellement de se montrer généreux et protecteur envers eux. Mais de moins en moins souvent. Car Critès, désormais prêtre confirmé, n'hésite pas à abuser de ses pouvoirs et à présider ordalies et arrestations ; il y a des hérétiques en ville, et les autorités veulent des résultats ! Pendant des mois, des simulacres de procès retentissent, les emprisonnements s'enchaînent à la moindre délation, le plus souvent sur des membres du bas-peuple, mais par deux fois des nobles se voient déchoir et traînés dans les flammes. Une famille bourgeoise n'y échappera pas non plus.
En mai 1166, le jour du couronnement du Roi, un nouvel événement vient bouleverser sa vision des choses.
Critès ne devait jamais oublier ce jour.
"La fange est dans les murs ! La fange est dans les murs !"
Le cri retentit partout. Le massacre commence. Les fangeux sont partout. Flora, qui tente d'aider un groupe de réfugiés sous les barricades, est happée sous les yeux de son époux. Il n'oubliera jamais la vision de sa femme, sauvagement égorgée et dépecée par les créatures...
Durant toute une huitaine, Critès est alité et délirant de fièvre, complètement choqué par ce à quoi il a assisté. Flora morte. Flora déchiquetée. Jamais plus elle ne reviendra. La fange la lui a prise...
Lorsqu'il se lève enfin du lit, se résignant à devoir continuer à vivre malgré l'horrible tragédie, il apprend alors les causes du terrible malheur qui lui est advenu.
Les purificateurs sont désormais bien plus qu'un groupuscule, et ils ont envahi Marbrume !
Ce sont ces chiens les responsables ! Ce sont eux qui lui ont enlevé Flora !
Ils ont gagné du terrain et le péché a complètement corrompu la cité. Critès réalise qu'il va falloir tout détruire. Plus que jamais, il va falloir purger la cité de toutes les âmes corrompues qu'elle contient. Point en lâchant la fange, qui pourrait détruire les enfants et la poignée d'innocents que contient peut-être encore la ville ; la vraie purification, selon Critès, passe par la flamme. Tous les hérétiques et décadents doivent être envoyés au bûcher et leurs cendres dispersées au vent. Dissimulant au visage du monde ses nuits hantées de cauchemar, ses crises de spasmes et ses moments de folie, Critès devient peu à peu l'incarnation de la terreur de ceux qui ont la moindre raison de le redouter, que ce soit le pauvre voleur qui rafle régulièrement un morceau de pain pour survivre, ou la saphique récidiviste malgré tous les prêches et la flagellation qui lui ont été administrés. Il est d'ailleurs particulièrement apprécié du Coutillier Ferrier, du Gros Joseph et de tous les miliciens de la caserne de Marbrume ayant un penchant pour la violence et les arrestations sur simples suspicions. Julius, pourtant bon croyant, et point du genre à critiquer les adeptes de la Sainte Trinité, a déjà laissé échapper à ce sujet cette phrase :
"En fait, pour juger un homme, c'pas la couleur d'sa robe qu'faut r'garder, mais bel et bien les gens dont il s'entoure. Et les Trois m'pardonnent, mais c'prêtre... Il a l'art de les choisir."
Héros des plus bigots, rédempteur des moins vertueux, champion des orphelins ; Critès ne risque décidément pas de laisser quiconque indifférent...
2 juin 1157: Marbrume, une cité d'avenir
Critès respire à fond l'air frais du large, tout en contemplant l'étendue turquoise devant lui. Enfin, ils touchent la côte. Enfin, il peut quitter le navire qui a provoqué en lui maints nausées; la mer n'a pas été commode.
Les goélands tournoient au-dessus du bâteau, sûrement à la recherche de nourriture ; le cuisinier vient de jeter les restes par-dessus bord. Cela non plus, ne manquera pas au jeune prêtre que la misérable tambouille à base de gruau et de poisson salé. Il avait eu du mal à ne pas vomir le peu qu'il en avait mangé.
Marbrume se dresse fièrement devant lui, son grand château dominant toute la ville ; le port est animé, à cette heure de la journée. Les pêcheurs vantent la fraîcheur de leurs prises, des marchands débarquent étoffes, bijoux et autres marchandises précieuses, des nobles s'en vont prendre des voitures pour rejoindre l'Esplanade, dont on peut aperçevoir de loin les jardins enchanteurs qui surplombent la ville basse, tels des paradis innaccessibles. Instantanément, Critès tombe amoureux de la cité. C'est tout autre chose que le pauvre village d'Aigues. Le père Alban a raison ; ici, il fera de grandes choses !
- Nous sommes arrivés ! annonce le capitaine. Que tous les passagers débarquent !
Le jeune homme aux longs cheveux noirs a peu de bagages ; en réalité, il n'a qu'un petit baluchon contenant quelques effets personnels. Il n'a pas besoin d'autre chose, après tout ; il est Critès Dombreciel, prêtre de la Trinité.
- Hey, mon père ? Vous savez où aller ? lui demande un homme à côté de lui.
- Pourriez-vous m'indiquer l'emplacement du temple ? demande poliment Critès.
- Alors il va d'abord vous falloir traverser le quartier commerçant de Bourg-Levant. Ensuite, vous continuez tout droit et vous devriez l'apercevoir. Notre temple est le plus grand de la région ! Vous venez d'y être affecté ?
- En effet, répond Critès. J'ai une lettre de recommandation.
Le marin a un rire joyeux :
- Y'a toujours d'la place pour les bons prêcheurs, mon père ! Je vous souhaite la bienvenue à Marbrume et j'espère que vous vous y plairez !
- Et moi donc, répond le jeune prêtre.
Il joint les mains et incline la tête :
- La paix soit avec vous, marin. Et merci !
Le marin a raison ; le temple de la Trinité de Marbrume est immense. Ses longues arcades supportent un toit en dôme si haut que Critès aurait presque pu douter de sa présence dissimulée par la pénombre ; seules quelques torches trahissent parfois le plafond de pierre. Cette obscurité a quelque chose d'à la fois rassurant et de solennel ; il lui semble que les Trois l'observent et le jaugent.
Impression renforcée lorsqu'il passe devant la statue d'Anür, qui lui offre un visage pourvu d'un tout petit sourire mystérieux ; la déesse lui paraît aussitôt prête à l'accueillir en son sein, sa longue queue de poisson s'enroulant en deux anneaux où l'on pourrait venir s'agenouiller, se blottir ; entre ses mains grâciles, elle tient le bâton du jugement, et celui-ci promet ou de sauver, ou au contraire, de vous damner.
Critès tombe à genoux et murmure une courte prière, la remerciant pour l'avoir protégé durant son voyage. Maintenant, il est prêt.
Alors, une femme d'un certain âge vient vers lui. Une prêtresse responsable, à n'en point douter par sa robe décorée et ses yeux au regard perçant qui brillent dans la pénombre.
- Ma mère, dit Critès en baissant les yeux devant elle en signe de déférence.
- Mon fils, répond-t-elle aussitôt. Je vois que vous portez la robe de notre ordre, mais je ne vous ai jamais vu ici. Etes-vous un nouvel aspirant ?
- Point tout à fait. Je suis le prêtre venu du temple d'Aigues, j'ai avec moi une lettre de recommandation du Père Alban. Il pense qu'ici, je pourrai compléter ma formation et entreprendre de hautes études de notre théologie.
La femme a un petit rire :
- Vous êtes ambitieux, mon petit.
- Evidemment que je le suis, répond Critès. Y'a-t-il plus grande et plus noble ambition que de servir nos dieux ?
- L'ambition n'est que corruption, si elle n'est point accompagnée d'humilité, réplique fermement la prêtresse. Etes-vous capable d'humilité, jeune homme ?
Critès hoche la tête :
- Je saurai être humble, car je ne suis qu'un être insignifiant face à la grandeur des Trois.
- Si vous-même reconnaissez être insignifiant, comment pouvez-vous vous juger digne de percer leurs mystères et de connaître leurs secrets ?
Critès sent une sorte de fureur l'envahir. La prêtresse l'a piégé. De quel droit ose-t-elle contester ainsi sa vocation ? Néanmoins, il sait qu'il lui faut rester mesuré ; enfant, il a déjà pris maintes fois le fouet pour insolence. Aussi, réfléchit-il un instant à sa réponse :
- Peut-être bien, ma mère, qu'à l'heure actuelle, je ne suis point digne de leur attention ; mais je ne demande qu'à apprendre et à les servir. Il faut bien commencer quelque part. N'aurez-vous pas la sagesse de me guider sur le chemin ?
La prêtresse esquisse cette fois un vrai sourire :
- Dans ce cas, mon enfant, allez poser votre paquetage dans le dortoir des érudits... Et allez à la cuisine. Les pauvres ont besoin de pain et Anür nous ordonne de les secourir !
4 mai 1158 : Flora
Critès frappe trois fois le pâton, le retourne et recommence, jusqu'à ce que la pâte devienne élastique ; cette fois, elle est prête à être enfournée.
- Là, tu vois, maintenant, tu peux la mettre au four et tu l'y laisses pour deux tours de sablier. La mie doit être blanche et le dessus doré. Tu as compris ?
- Oui mon père, répond le jeune adolescent aspirant.
- Là. Il nous en reste encore quelques uns à faire, si nous voulons faire une distribution avant le dîner.
- Père Critès ! appelle à cet instant un autre novice. On va manquer de farine !
- Très bien, je vais vous en chercher. Continuez à faire les pâtons. Et que ça soit bien souple, surtout ! Sinon, ça ne va pas gonfler !
Cela fait maintenant un an que Critès a commencé son office au temple de Marbrume et il en est, dans l'ensemble, satisfait. Bien que la Mère Inès lui paraisse parfois quelque peu brider l'enseignement qu'il reçoit, car nulle corvée ne lui est épargnée, que ce soit pétrir le pain pour les nécessiteux, aider à faire le fromage (un travail particulièrement ingrat et sale) ou encore, balayer dans les cellules ou vider les pots de chambre. Mais les Trois nous enseignent l'humilité et l'ardeur au travail ; Critès fait de son mieux pour respecter les commandements, même si son orgueil s'en accomode mal. Il soupire alors qu'il se rend en direction de la réserve pour prendre un nouveau sac de farine. Ses prunelles d'ambre restent obstinément rivées vers le sol.
C'est pour cela qu'il n'aperçoit pas la jeune novice qui vient de sortir de l'une des cellules et qu'il la heurte de plein fouet.
- Oh, excusez-moi mon frère, dit-elle avec déférence en s'écartant.
- C'est moi qui aurait dû être plus prudent, ma soeur, répond-t-il aussitôt d'un ton courtois.
Ils sont juste en-dessous d'une torche et Critès peut alors contempler un adorable minois aux grands yeux bleus, encadré par des boucles blondes. Elle lui sourit, un sourire découvrant des dents blanches et creusant son visage d'adorables fossettes. Sans qu'il ne comprenne pourquoi, une sorte de torsion frappe alors son estomac. Rougissant, il s'écarte.
- Je ne crois pas vous avoir déjà vue ? demande-t-il, se sentant déjà l'homme le plus stupide de la terre.
Cette fille, c'est une incarnation d'Anür sur Terre, pas de doute. Comment sinon pourrait-elle avoir une telle grâce, une telle prestance et des yeux aussi bleus ?
Elle se contente de lui offrir un nouveau sourire, et il a l'impression que son estomac va le brûler.
- Je passe beaucoup de temps auprès des malades, dans le dispensaire du temple. Je m'appelle Flora. Et vous ?
- Critès, se dépêche-t-il de répondre.
- Vous sembliez pressé. Peut-être puis-je vous aider ?
Critès se souvient brutalement de la raison qui l'a fait passer par ce couloir.
- Je dois aller prendre un sac de farine dans la réserve, dit-il aussitôt.
- Oh, vous faîtes le pain pour la distribution au crépuscule ? dit-elle gaiement. Voulez-vous que je vous aide ?
- Cela ne va-t-il pas avoir un incident sur vos propres tâches ?
- Point ; j'en avais terminé pour aujourd'hui.
- Dans ce cas... cela sera avec plaisir, articule finalement le jeune homme.
Il ne sait pourquoi, mais un bonheur indescriptible ruisselle dans ses veines alors qu'elle l'accompagne.
Et pour la première fois depuis son arrivée, la corvée de boulange est particulièrement divertissante.
Critès, qui est d'ordinaire si érudit, si appliqué dans ses études, se montre plus distrait les jours suivants. Il passe beaucoup de temps avec Flora. Elle est si belle, si pleine de vie, si douce ! Si bien qu'un soir, il lui propose une promenade dans le jardin du temple. Elle accepte. Les deux jeunes gens se rapprochent au cours de leur conversation, alors qu'ils marchent tous les deux près de la roseraie ; leurs mains se trouvent et se joignent. Ils finissent par s'asseoir près d'une fontaine ; et là, ce sont leurs lèvres qui finissent par se trouver.
Critès est au comble du bonheur. Les lèvres de Flora ont une saveur si douce, semblable au miel... Après quelques instants maladroits, il ose dévorer sa bouche avec plus de fougue, laisse ses mains errer sur la taille fine, dans la chevelure...
Et brusquement, la voix de Mère Inès vient briser l'enchantement.
- Allons donc ! Critès ! Vous me décevez beaucoup. Et vous, Flora ! Ne pouvez-vous donc faire preuve d'un peu de tenue ?
Flora bredouille des excuses et s'éloigne aussitôt, horriblement gêné. Critès, lui, n'en peut plus et ose pour la première fois répondre à la vieille :
- Allons donc, Mère ! Nous ne faisions rien de mal !
- Vraiment ? Que disent les Trois au sujet du péché de chair ?
- Ce n'était qu'un baiser...
- Un baiser en entraîne toujours un autre, mon fils, et après, suit la fornication. Vous êtes jeune, Flora est un joli brin de fille ; mais encore plus que le peuple, nous nous devons d'être irréprochables devant les Trois ! Allez-vous oser nier que Serus s'invite sûrement dans vos songes, ces derniers temps ?
Critès n'ose plus rien répondre. Il se contente de rougir.
- Flora vous plaît ? Alors faites les choses comme vous vous devez de les faire ! Demandez sa main !
Le jeune homme réalise alors sa faute. Mère Inès a raison, il faut réparer et ne pas déshonorer Flora.
Le mois suivant, la Mère Inès les déclare mari et femme devant les Trois.
Critès est l'homme le plus heureux du monde.
Printemps 1165 : Et soient sauvés les innocents...
Critès passa sa main sur le front brûlant de l'enfant. Elle était arrivée la nuit dernière. La malnutrition l'avait détruite. Flora et lui avaient essayé plusieurs fois de la nourrir avec des morceaux de pain trempés dans du lait, mais elle avait tout régurgité.
- Elle est trop affaiblie ! s'écria-t-il. Elle ne garde pas la moindre nourriture. Qu'Anür nous vienne en aide !
Quel âge avait cette pauvre petite ? Sûrement pas plus de six printemps.
- Je vais essayer de lui donner du bouillon, dit Flora. Continue de lui passer de l'eau froide sur le front pour calmer sa fièvre.
- Inutile, Flora, dit soudain Critès d'un ton grave.
Il venait de saisir la main de l'enfant. Celle-ci était à présent complètement inerte.
- Prie pour son âme, ma chère, déclara-t-il.
Flora se signa sans mot dire, alors que Critès sentait quelque chose à l'intérieur de lui se déchirer.
Pourquoi permet-on de telles horreurs ? Pourquoi la fange ? Anür, explique-moi...
Il regarda autour de lui. Le dispensaire était empli de miséreux. Des hommes squelettiques aux yeux hagards regardaient dans le vide. Une femme venait d'agoniser sur une autre couche après qu'on l'ait délivré de son bébé, qui serait pris en charge par le temple ; Critès vit du coin de l'oeil Mère Inès l'emmener hors de la pièce. Plus loin, un petit garçon tendait un moignon ensanglanté ; son père lui avait tranché la main pour le sauver d'un fangeux qui venait de l'agripper. Il avait payé ce geste héroïque de sa vie, car si son enfant était désormais sauvé, lui avait servi de dîner à la créature. Le gamin semblait ne pas comprendre, regardant son poignet désormais dépourvu de main comme s'il lui semblait étranger à son corps.
C'était tous les jours ainsi depuis un an, Flora et lui se battaient pour sauver des vies, quelques rares fois y parvenaient, la plupart du temps, ne pouvaient que recueillir les dernières paroles des mourants tout en répétant les mêmes sermonts, les mêmes mots creux de réconfort. Critès en était de plus en plus écoeuré. Les gens se tournaient vers lui pour soulager leurs peines, voulaient l'entendre dire que les proches qu'ils perdaient étaient à présent heureux et libres de tous les maux terrestres dans le royaume d'Anür. Mais la déesse accueillait-elle réellement tous ces malheureux ? Après tout, ne disait-on pas qu'elle avait envoyé la fange pour punir les hommes ? Critès n'était-il pas en train de leur mentir ? Lui qui croyait qu'une foi sincère pouvait tout, qu'il pouvait apaiser tous les maux... Il avait désormais l'impression que tout ce qu'il faisait était futile, face à la calamité qui rongeait la cité.
Critès n'en pouvait plus. Une énorme boule envahissait sa poitrine, sa gorge.
Flora sembla le remarquer, car elle lui prit tendrement le bras :
- Mon coeur, tu te sens bien ?
- Pas vraiment, répondit-il. Je crois que je vais sortir prendre l'air.
Il se hâta de quitter la pièce. Une fois à l'extérieur, cependant, il ne prit pas la direction du jardin, mais celle d'une cellule vide dont il ferma vivement la porte.
Une fois seul, il pleura.
20 septembre 1165 : Dans des mers de sang, sera lavé le péché...
Le fouet claque sur la peau tendre. Le jeune homme se mord les lèvres, la sueur perlant sur son front. Ses cheveux noirs sont tout désordonnés, mais ses yeux noirs restent doux et beau. Il ne comprend ce qu'il fait là, mais il sait qu'il a été accusé d'hérésie. Et face à lui, entre les deux miliciens qui ont commencé à le torturer, le prêtre d'Anür, sa chevelure noire noué en catogan, qui le contemple avec ses yeux d'ambre semblables à ceux d'un fauve prêt à vous déchiqueter la gorge.
- Mon fils, ne nous obligez pas à aller plus loin et confessez vos fautes. Votre père a déjà avoué.
- Je vous jure que je ne sais rien ! s'écrie-t-il. Jamais je n'ai été dans cette secte immonde, par les Trois ! S'il vous plaît...
Critès esquisse un mince sourire :
- Ah, j'aimerais tellement vous croire, mon fils... Mais voyez-vous, dans cette ville, personne n'est réellement innocent... Elle a totalement sombré dans le péché depuis la fange.
-Ni mon père, ni moi n'avons quoi que ce soit à voir avec ça ! hurla le malheureux garçon.
Mais rien ni personne n'a le pouvoir d'émouvoir Critès Dombreciel, surtout lorsque la milice vient de découvrir un masque de purificateur dans un coffre à vêtements. Il n'envisage même pas qu'il puisse s'agir d'un coup monté. Le garçon est déjà mort, mais avant cela, il doit connaître mille souffrances et se repentir ; Critès veut l'entendre prier et supplier.
- Mettez-le donc à la fille du boueur, ordonne-t-il. On va voir ce qu'il va nous chanter.
- L'hérétique va épouser la fille du boueur ! hurle l'un des miliciens. Ca m'plaît, ça ! Vite, attachons-le !
Le malheureux ne tarde pas à se retrouver attaché dans la fameuse position foetale. Sans hésiter, Critès tourne la manivelle et l'homme commence à hurler sous l'effet des horribles contorsions auquels on le force à se soumettre.
- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! ARRETEEEEEEEZ !!! PITIEEEEEE !
- Confessez, mon fils, et ce sera terminé !
- Je ne sais rien... AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
Cette fois-ci, Critès appuie vers les épaules. On entend un craquement ; une côte de l'homme vient probablement de se briser. Il tousse et un énorme crachat de sang jaillit de sa bouche.
- Parlez, mon fils, dit-il toujours de cette insupportable voix douce. Ce serait beaucoup plus facile pour nous tous si vous vous décidiez à avouer...
- Je... n'ai rien à avouer, gémit-il.
Critès presse plus fort. Il hurle et des larmes pourpres jaillissent de ses yeux.
- J'... j'avoue, j'avoue ! gémit-il. J'suis un hérétique ! J'suis un hérétique !
- Bien ! Bien, mon fils, bien... Qui était avec vous ? Vous avez des noms ?
- Ils portaient tous des masques...
- Quel dommage... On dirait que nous allons devoir continuer encore un peu...
Un peu plus tard, lorsque les miliciens détachent le malheureux Ambroise de Verteplaine, il ne reste de lui qu'un petit tas de chair en lambeaux. Son visage est presque méconnaissable sous les larmes de sang et des morceaux d'os jaillissent de ses épaules autrefois si fières.
- Tu me fais peur, Critès. Tu es devenu si dur...
Ils sont dans leur demeure, dans le quartier du temple. La lueur d'une bougie éclaire leur modeste chambre.
Vêtue d'une longue chemise de tissu presque transparente, Flora se tient derrière son époux, lui caressant le dos.
- Ils étaient vraiment coupables ? Ils ont fait pourtant tant de dons au temple...
- C'est bien cela, le problème, avec les hérétiques, ma chère, réplique Critès en se retournant. Ils cachent très très bien leurs jeux et nous abusent avec des cadeaux et des promesses. C'est pour cela que les Trois sont aussi furieux. Mais nous devons maintenant purger la ville de tous ces impies coûte que coûte, sinon, d'autres enfants innocents mourront. Ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?
Flora hôche la tête, convaincue par les paroles de son époux :
- Non, tu as certainement raison, Critès. Mais j'ai peur lorsque je vois combien l'amertume te dévore. J'ai peur lorsque je vois cette froideur dans tes yeux. Où est passé l'homme si idéaliste, si désireux de faire le bien que j'ai connu ?
Critès ne répond pas tout de suite. Sa gorge se serre. Flora a raison. Il est devenu un autre homme. Une rage incontrôlable le ronge en permanence, quand ce n'est cette brume glaciale de tristesse mêlée de désespoir. Il se sent impuissant, faible, tous les jours. Seule la colère lui permet à peu près d'avancer, et ses rares moments de sérénité, c'est auprès de son épouse qu'il les trouve. Aussi finit-il par répondre :
- Mais auprès de toi, mon coeur. Toujours auprès de toi. La seule différence, c'est qu'il n'est plus aveugle comme avant. Maintenant, j'ai vu le mal et je le combats.
Il prend tendrement l'une de ses mains entre les siennes et l'embrasse. En dix ans, sa femme n'a pas changé. Flora a toujours ces magnifiques yeux d'un bleu si pur. La lueur de la bougie fait scintiller les éclats dorés de sa chevelure, l'entourant d'une aura de lumière. Elle est aussi pure qu'une nymphe d'Anür. Il n'est pas surpris qu'elle puisse avoir de la compassion pour ceux qu'il a soumis aux supplices, car elle est incapable de voir le mal en autrui. Elle n'a pas vu tout ce qu'il a vu. Il a tout fait pour l'épargner.
Ainsi, son coeur à elle ne sera jamais corrompu.
1er mai 1166 : Le péché vous rongera jusqu'à l'os...
Aujourd'hui était un jour de gaité.
Un nouveau roi allait être couronné à Marbrume. Critès et Flora seraient de la partie, faisant partie de la procession des prêtres qui chanteraient des bénédictions sur le passage du roi.
Flora avait revêtu une magnifique robe de cérémonie bleu ciel aux manches brodées de fil d'or semblable à la sienne. Mais sur elle, le vêtement paraissait encore plus somptueux, car il rehaussait les fils d'or de sa chevelure.
- Ma mère, vous êtes la plus belle femme qu'il y ait en ce monde, sussurra coquinement Critès en la prenant dans ses bras.
- Allons donc, mon père, vous vous oubliez, le taquina Flora en effleurant son nez du sien.
- Vraiment, vous trouvez que je m'oublie ? souffla-t-il en réponse sur le même ton.
Elle rit. Il posa un tendre baiser dans son cou, glissa à son oreille :
- Vous avez raison, je m'oublie complètement, Serus m'envoie grands transports à vous faire rougir...
Tout en parlant, il avait glissé tendrement sa main sur l'entrecuisse de Flora qui ne put retenir un gémissement.
- Et si je vous prenais là, tout de suite, ma chère ?
Flora pouffa :
- Nous serions en retard, mon père... Pas sûr que le Roi apprécie.
- Vile tentatrice qui parle pourtant avec la voix de la raison, murmura Critès avant de poser un baiser sur les lèvres offertes. Eh bien, allons accomplir nos devoirs. Cette journée sera longue...
- Très longue, j'en conviens, répondit Flora en battant des cils.
Critès sourit alors qu'elle se dirigeait vers l'entrée de leur maison, prête à se rendre à la procession. En dépit de la situation où se trouvait Marbrume, il était chanceux. Rares étaient les couples qui pouvaient se vanter de partager encore une telle passion après plus de huit ans de mariage.
Et rares étaient ceux qui n'avaient pas perdu un époux ou une épouse. Critès remerciait tous les jours les Trois de l'avoir laissé garder Flora près de lui.
- Gloire au Roi !
Le roi nouvellement couronné était magnifique, drapé dans son manteau d'apparat. Le soleil se cachait timidement derrière quelques nuages, mais sortait parfois pour faire briller les armures rutilantes. Critès et les autres prêtes chantaient à présent les louanges. Après avoir quitté le temple, la procession avait traversé tout le quartier de Bourg-Levant pour aller jusqu'à la grande place où le Roi présiderait les jeux. L'on croisait nombre de miliciens, facilement reconnaissables à leurs capes vertes, quand le restant de la foule formait un ramassis de couleurs disparates.
- Gloire au roi !
La foule scandait, répétait ces mots comme une incantation. Leur ferveur était touchante. Critès se disait que le nouveau souverain avait vraiment intérêt à être à la hauteur de leurs attentes. Mais après tout, l'on disait que la bravoure de Sigfroid de Sylvur était inégalable et que sa sagesse avait permis à la cité de sauver bon nombre de vies.
- Gloire au roi !
Combien de temps cela allait-il durer ? Critès commençait à trouver tout cela un peu répététif. D'ailleurs, il ne devait pas être le seul. Sur la place, des baladins venaient d'arriver, sonnant le début des festivités. Des enfants jouaient, de la musique retentissait. Critès sentit une certaine joie l'envahir, emplissant sa poitrine d'une douce chaleur. Cela faisait du bien.
Mais cela était trop beau pour durer.
Soudain, un cri retentit, véhiculant une réalité si angoissante, que Critès espéra avoir mal entendu. Mais malheureusement, cette phrase fut répétée une seconde fois, ne laissant nul doute à l'horreur qui allait s'abattre sur la cité.
- LA FANGE EST DANS LES MURS ! LA FANGE EST DANS LES MURS !
Un instant plus tard, un capitaine milicien poussait à son tour un cri :
- COUREZ !
En moins de quelques secondes, c'était la débambade sur la place, tandis que quelques courageux dégainaient leurs épées. Critès sentit une violente peur rugir dans ses veines et ses tripes. Sa bouche s'assécha alors qu'il cherchait Flora. Flora ! Où était-elle ? Il ne la voyait nulle part.
Il fut percuté de plein fouet par une femme qui fuyait à toutes jambes. Deux secondes plus tard, il fut balotté sur la droite par tout un attroupement de civils terrifiés et projeté à terre.
- Flora !
Il criait désespérément à travers la foule, espérant la trouver. Mais il ne la voyait pas. Où était-elle ? Où s'était-elle trouvée entraînée ? Il l'avait laissé aller avec les autres prêtresses... Par les Trois, pourquoi s'était-il ainsi éloigné d'elle après la procession ?
Anür, ô déesse, protège-la, je t'en conjure...
Son coeur cognant entre ses côtes à lui en faire mal, Critès avança comme il put, espérant rejoindre le temple. A tout parier, ce serait là que les prêtresses iraient, ainsi que les autres membres du clergé. En ce qui concernait les fangeux, si vraiment ils étaient entrés dans la ville, c'était l'affaire des miliciens et des chevaliers. Critès ne pouvait que les gêner en restant là.
Il vit un autre groupe de civils qui regardaient autour d'eux, hagards, hésitant sur le chemin à prendre. Alors, son instinct de prêtre toujours prêt à secourir autrui reprit le dessus:
- Vous, ordonna-t-il, n'ayez pas peur ! Venez avec moi au temple, vous y serez en sécurité, d'accord ?
- D'accord ! Merci mon père, dit un jeune homme reconnaissant.
- Allez, vite, on y va !
Ils se ruèrent dans une rue adjacente, alors que soudain, au loin, des grognements se faisaient entendre au-dessus des hurlements. Critès se retourna brièvement et le regretta aussitôt.
L'effroi qu'il éprouva lui tordit l'estomac. Les créatures étaient bel et bien là, sautant à la gorge des gens, bondissant avec une agilité surnaturelle, alors que pourtant, certains miliciens armés d'arc les criblaient de flèches. Rien ne semblait pouvoir les arrêter, le jeune prêtre en vit une déchiqueter sauvagement la gorge d'un homme en armure. Le sang de celui-ci détrempa le sol.
- Dépêchez-vous, vite ! hurla-t-il au petit groupe de civils qui l'avait suivi.
Dans les murs du temple, ils seraient en sureté. Mais une boule lui montait dans la gorge sous l'effet de l'inquiétude et une sueur froide lui coulait dans le dos. Flora, où es-tu ?
Ils ne croisèrent nulle prêtresse pendant qu'ils s'éloignaient de la grande place et Critès pria de tout son coeur.
Rikni, ne laisse pas les fangeux l'emporter. Anür, guide-la jusqu'à moi. Je vous en prie...
Il regarda un court instant le ruban de mariage à son poignet. Ce genre de lien ne pouvait être brisé si facilement... Ils s'aimaient tant... Le destin n'allait pas être si cruel, n'est-ce pas ?
Quand ils arrivèrent enfin au quartier du temple, des miliciens étaient en train de monter une barricade avec des sacs de pierre, aidés par les prêtres. Critès et son groupe de réfugiés accoururent vers eux.
- Besoin d'aide ? demanda-t-il.
Un milicien approuva du chef :
- Aidez-nous à placer les derniers sacs, mon père ! Ils ont commencé à envahir le quartier en passant par le labourg !
Critès s'empara d'un sac et le plaça sur les autres. Tout en se lançant dans ce travail physique, il demanda :
- Vous n'auriez pas vu ma femme ? Une petite blonde, elle est prêtresse, comme moi.
- J'ai bien vu deux prêtresses, mais aucune n'était blonde, répondit aussitôt le milicien. J'suis désolé.
- Ca ne fait rien... Merci tout de même...
Des larmes d'inquiétude montaient à ses yeux. Sa gorge lui parut encore plus sèche. Flora, reviens-moi vite !
De longues minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles Critès vit arriver d'autres civils en panique, ainsi que plusieurs prêtres. Mais nulle trace de sa femme. Je l'ai abandonnée, se dit-il. Je l'ai laissée seule face au danger...
Etait-elle seulement encore vivante ?
- Ils arrivent ! hurla soudain quelqu'un.
Critès se tenait sur l'une des barricades et en effet, il les vit. Un groupe de prêtres et de prêtresses qui encadraient un nouveau groupe de civils en panique. Et à leur tête, une jeune femme à la longue chevelure blonde qui s'était détachée dans sa course. Flora !
Un immense soulagement l'envahit, et il crut que ses jambes allaient le lâcher sous le coup de l'émotion. Puis soudain, de nouveau, son coeur faillit s'arrêter de battre ; sa femme et les gens qui l'accompagnaient étaient poursuivis par plusieurs fangeux !
- Flora, dépêche-toi ! lui hurla-t-il. Vite ! Ils sont juste derrière vous !
Un civil venait d'atteindre le bas de la barricade et montait sur les prises quatre à quatre. Par réflexe, lorsqu'il fut arrivé suffisamment haut, Critès lui attrapa les poignets et le hissa avec force.
- Merci mon père, s'écria chaleureusement le jeune homme.
- Aidez les autres, répliqua Critès. Vite !
Les quelques miliciens qui surveillaient cette muraille de fortune commencèrent également à faire grimper les gens. Mais pendant ce temps, les fangeux gagnaient du terrain. Ils attrapèrent une jeune femme et la démembrèrent en un clin d'oeil. Ses hurlements retentirent un long instant avant qu'enfin, elle ne se taise, son corps mis en pièces par la sauvagerie des quatre créatures qui la dévoraient. Critès sentit une énorme nausée l'envahir, alors que Flora arrivait vers lui. Mais au lieu de monter sur la barricade, il la vit saisir un enfant qui se trouvait derrière lui :
- Critès ! Vite, mets-le de l'autre côté !
Malgré la peur qui lui tordait le ventre, Critès ne put se résoudre à désobéir à cette injonction de sa femme ; il attrapa vivement l'enfant et le souleva. Le garçonnet fut habilement posé derrière le mur de sac de pierres et de bois, en sécurité.
- Flora, vite ! hurla-t-il à sa femme.
Derrière elle, un fangeux venait de décapiter l'un des miliciens qui tentaient de les repousser. Pendant ce temps, elle escaladait les sacs quatre à quatre. Critès lui saisit les bras. Enfin, elle était sauvée...
Il lui attrapa les poignets. Elle lui sourit tendrement.
Et soudain, une main crasseuse, griffue, véritable monstruosité, jaillit de la poitrine de Flora, aspergeant son époux d'un flot de sang. L'un des monstres humanoïdes avait bondi et réussi à agriper la jeune prêtresse. Il s'empara d'elle, la faisant chuter avec lui, tout en lui arrachant un lambeau de chair du trapèze.
- FLORA !!!
Deux prêtres ceinturèrent Critès, car fou de douleur, l'homme allait se jeter dans la fange. Ses hurlements retentirent alors qu'à jamais restait en lui gravée cette vision d'horreur, Flora avec cette horrible main griffue dans la poitrine, lui arrachant le coeur, Flora avec la gorge réduite en charpie, le sang jaillissant à gros bouillon, tachant cette robe couleur ciel qui lui allait si bien. Flora, son regard azur dans lequel il avait tant aimé se noyer, se voilant brutalement, son âme soufflée par le vent impitoyable de la mort. Non, non, non, cela n'avait pas pu arriver, ce n'était pas possible... Un rire sauvage, dément, jaillit de sa poitrine alors que les deux prêtres l'allongeaient au sol, tentant vainement de lui faire accepter l'innacceptable. Puis soudain, alors qu'une douleur immense déchirait ses entrailles, il sombra dans une bienfaisante inconscience...
Mère Inès arpentait le couloir du dispensaire. Cela faisait presque une huitaine que Critès s'y trouvait. Il avait succombé à une sorte de fièvre, et délirait en appelant Flora. Les prêtres ne savaient quoi faire pour soulager son état. La plupart du temps, l'homme restait inconscient. Un guérisseur avait expliqué la chose de la manière suivante :
- Lorsque nous endurons une douleur puissante, qu'elle soit spirituelle ou physique, il arrive parfois qu'Anür choisisse de nous plonger dans le royaume des rêves pour un certain temps, afin de nous protéger de la folie. Certaines personnes se réveillent au bout d'une huitaine ou d'une lune, d'autres, jamais.
- Et que pensez-vous de ce qu'il va advenir de Critès ? demanda Mère Inès d'un ton grave.
- Nous verrons bien. Mais il est fort et par moment, semble reprendre brièvement conscience. Nous avons réussi à plusieurs reprises à le faire boire. Je pense qu'il faut simplement attendre... et espérer lui faire entendre raison lorsqu'il reprendra totalement connaissance.
- Le malheureux. Il était si amoureux de sa femme. Je ne suis pas étonnée que sa perte le fasse sombrer dans la démence.
- Il est fort. Il s'en remettra.
Mère Inès se disait que sûrement, Critès se remettrait, en effet. Mais que dire de son âme ? Elle craignait fort que le prêtre s'en fût vu arracher une grande partie...
Critès finit par s'éveiller, en effet. Et il se souvenait de tout. Avec une précision hallucinante, il revoyait l'horrible créature se saisir de Flora et la déchiqueter, puis un autre monstre se joindre au carnage... Pourquoi, Anür, pourquoi ?
Chaque respiration lui était douloureuse. Il n'avait plus envie de vivre. Pourquoi ne l'avait-il pas rejointe ? Pourquoi rampait-il encore sur cette terre damnée alors que son épouse était morte ? Il n'avait pas la réponse.
Les Trois interdisaient le suicide. Encore plus dans le cas d'un prêtre. Il n'avait pas le choix. Anür n'avait pas voulu l'accueillir définitivement en son royaume. Alors il allait falloir vivre, malgré cette horrible douleur, malgré cette vision effroyable qui allait désormais le hanter, que la mort atroce de Flora.
Dans quel but ?
Il ne tarda pas à en trouver un.
Deux jours après son rétablissement, le clergé tint un conseil exceptionnel. Ils s'étaient réunis dans la plus grande salle du temple. Les longues abaques répandaient des ombres aux formes abstraites là où les torches ne parvenaient pas à éclairer. Ténèbres, ténèbres. Critès avait l'impression que dans ces ombres se tapissaient des créatures prêts à les dévorer. La nuit était descendue depuis bien longtemps sur Marbrume ; comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte ?
- Les hérétiques ont gagné du terrain. En particulier la secte des purificateurs.
- Pardon ? demanda Critès. Comment le savez-vous ?
- C'est à eux que nous devons les terribles événements du couronnement du roi. Ce sont eux qui ont fait entrer les fangeux dans la ville.
- Qu... LES MONSTRES ! Et comment cela se fait-il qu'ils soient aussi nombreux ? Par les Trois ! Combien de procès a-t-on déjà présidé ? Combien d'hérétiques a-t-on déjà tués ? Je ne les ai pas comptés ! Visiblement, pas assez !
Sa fureur avait atteint un degré qu'il n'aurait jamais cru atteindre.
- Critès, calmez-vous ! s'exclama Frère Armand, l'un des hauts-prêtres.
- Il faut purger cette cité maudite ! s'écria Critès. Ne le comprenez-vous donc pas ? Tant qu'il y aura le moindre hérétique à Marbrume, nous ne serons jamais tranquilles ! Je vous jure que tant qu'il me restera un souffle de vie, je traquerai chaque infâme imbécile qui osera défier les Trois et il aura la pénitence qu'il mérite !
Ses prunelles d'ambre scintillaient à la lampe des torches d'une manière surnaturelle, les parant d'une étrange nuance de jaune. Tous ceux qui le virent ce jour-là eurent l'impression qu'une bête féroce avait remplacé l'homme. Ce qui était peut-être bien le cas. D'une certaine manière, lui aussi avait été dévoré par la fange. Elle lui avait pris toute sa bonté, toute sa compassion.
Elle lui avait pris son âme.
Ce fut ainsi que Critès perdit le peu d'humanité qu'il lui restait.
◈ Résumé de la progression du personnage : ◈
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◈ Derrière l'écran ◈
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