Marbrume


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 Les ombres des pères.

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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyLun 30 Mai 2022 - 21:50
11 septembre 1166.
Temple de Marbrume.
Début de soirée.


Des rayons safranés marbraient le sol du Temple en cette toute fin d'après-midi. Les visiteurs avaient petit à petit quitté les bancs du vaste hall et les pieds des froides et majestueuses statues des Trois. Les croyants avaient été nombreux à se déplacer, parfois pour se recueillir, également pour visiter un proche en train d'être soigné par les guérisseurs mais la plupart étaient venus tout particulièrement afin d'honorer Rikni. La Nuit des Serpents approchait à grands pas et Sixtine pouvait sentir une forme de fébrilité faire vibrer l'air lorsqu'elle se tenait à proximité des fidèles et qu'elle les regardait entrer en communion avec la déesse ophidienne.

L'apprentie prêtresse avait passé l'après-midi à accueillir les visiteurs et à les rediriger en cas de questionnement de leur part. Depuis bientôt un an qu'elle officiait dans le Temple en guise de petite main en apprentissage, elle connaissait l'édifice par cœur, de sa nef à son jardin en passant par les thermes, la bibliothèque, le mess et les dortoirs. Au fil des mois, de l'avènement du printemps à la quintessence de l'été et puis avec le lent ralentissement induit par l'automne, Sixtine avait apprivoisé sa nouvelle vie et s'imaginait complètement détachée de son passé en tant que fille de Pancrace Deconques.
Oh, pourtant, le vieux patriarche se rappelait parfois à la demoiselle lorsqu'elle n'avait pas l'esprit assez occupé ou qu'elle repassait devant le bureau où elle l'avait vu pour la dernière fois ; cependant, ces réminiscences se faisaient de plus en plus rare. Qu'était devenu ce père tyrannique, arrogant et pétri d'orgueil au point d'avoir précipité sa propre chute en entrainant avec lui femme et enfants ? Sixtine l'ignorait totalement et ne cherchait pas à résoudre le mystère. Les Trois en avaient voulu ainsi et elle avait choisi le bon chemin au bon moment, contrairement à son paternel et à cette brute d'Alban.

Tout en saluant un prêtre responsable, la brune eut une pensée pour Gaël. Le jeune homme se faisait-il à son quotidien dans la Milice ? Lui aussi avait fait le bon choix, celui de se montrer utile à la cité et de gagner sa croûte dignement. En repensant au visage qu'il lui avait donné à voir lorsqu'ils vivaient encore sur l'Esplanade, cette face évidée de toute émotion par la piquette que Pancrace parvenait péniblement à se faire acheminer jusqu'à son minable manoir du bas des hauts quartiers, Sixtine réprima un désagréable frisson. Elle ne l'avait guère vu ces derniers temps et ne pouvait s'empêcher de se demander s'il était parvenu à trouver une forme de paix au milieu de ces hommes d'armes qu'il admirait tant enfant, lui qui avait retrouvé leur mère morte.

L'apprentie prêtresse joignit ses deux mains, ses doigts s'entrelaçant avant de se presser contre son cœur, la mine morose alors qu'elle remontait lentement sous les arcades de la rangée extérieure du hall, longeant le mur transpercé de vitraux dont les couleurs chatoyantes ne parvenaient guère à réchauffer ses pensées. Avec peine, la demoiselle due reconnaitre que son passé lui était toujours chevillé au corps, faisant fi des enseignements dispensés par les prêtres responsables, des travaux pratiques qui lui étaient souvent bien difficile à suivre et nécessitant toute son attention et du travail qu'elle s'efforçait de fournir chaque jour afin de servir au mieux les Trois. Non, le souvenir - ou plutôt ce qu'elle imaginait - de la découverte de sa mère étendue sur un lit, la main encore pleine de ces plantes hallucinogènes et soporifères dont elle avait fini par devenir dépendante, la hantait. Aurait-elle pu la ramener sur la voie de la raison, celle de la foi dans laquelle elle l'avait elle-même engagé au cours de ses primes années ? Aurait-elle pu faire quelque chose ?

Tant de questionnements sans réponses qui amenèrent Sixtine à vouloir prendre conseil auprès des Trois, comme elle le faisait à intervalles réguliers si ce n'était même tous les jours. Avec le dernier fidèle parti, peut-être allait-elle pouvoir bénéficier de quelques instants de quiétude avant que le souper ne soit servi ? Ses journées étaient rythmées par de nombreux moments de prières mais, ironiquement, ces derniers n'étaient guère propices à ce genre d'introspection.
La jeune femme voulut se diriger vers un banc mais, au bénéfice de l'ombre d'une colonne, elle ne vit qu'au dernier moment que la place était déjà prise par une massive silhouette aussi sombre que le bois du plus vieux des noyers. L'homme semblait, à l'image du feuillu, parfaitement immobile, ancré dans le sol, la tête baissée dans une supposée méditation profonde. Pourtant, tandis que Sixtine amorçait un mouvement de recul, son regard cendré croisa une pupille glauque et sévère qui la transperça sur place. Elle savait avoir fait une erreur en dérangeant un croyant dans son plein recueillement mais elle ne s'imaginait pas récolter pareille réprimande d'un simple coup d'œil. Après quelques interminables secondes à soutenir ainsi ce regard aussi dur que le marbre du sol du Temple, un murmure franchit les lèvres de la brune :

« - Je vous prie de m'excuser… »

Les épais sourcils de la jeune femme se froncèrent malgré elle. Ce visage… il était bien plus sombre que ce qu'elle avait l'habitude de voir en ces lieux, tant par l'humeur que par la carnation. Cela l'interpella bien au-delà de l'aspect étranger de la chose : ce visage… elle l'avait déjà vu… il y avait fort longtemps de cela.


Dernière édition par Sixtine DeConques le Lun 13 Juin 2022 - 0:25, édité 2 fois
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyMar 31 Mai 2022 - 1:21



Les ombres des pères | Septembre 1166

Septembre 1166.
Deux années s’étaient égrenées depuis l’apparition cataclysmique des premiers ennemis de la Fange, autrefois considérée simple rumeur de banditisme de grands chemins, baragouinage d’ivrogne ou encore racontar de lavandière se préparant aux festivités de Rikni. Deux années déjà, entachées de tant d’horreurs meurtrières, d’hérésies religieuses, de déchéances humaines ; un triste anniversaire que d’aucuns s’en étaient allés sombrement fêter au pied d’une divinité silencieuse ou d’un comptoir imbibé, tous naufragés d’un peuple autrefois prospère aujourd’hui à l’agonie dans son carcan de marbre et de crasse. Deux années, et nulle sérénade d’avenir libre et de sécurité ne sonnait à nos oreilles désespérées, au point mort, éternellement dépendants d’un fléau n’ayant à cœur que de nous étrangler dans cette cité infernale jusqu’à l’asphyxie. Deux années éventrées entre luttes intestines, calamités griffues venues s’abattre sur les vestiges des nôtres, brasiers à l’odeur de porc carbonisé à mesure que les corps s’amassent et de la terre retournent à la terre. Deux années où ce marécage faisant la force défensive de notre capitale était aussi notre geôlier, féroce poigne ne faisant pas que nous coiffer au poteau mais nous écrasant de sa puissance implacable. Deux années que nos terres abandonnées à la hâte pourrissaient loin de nos routes insécuritaires où nous persistions, dans cette décadence, à nous affronter, marqués au fer ou hommes souverains de nos propres mouvements. Deux années, enfin, où rien de tout cela n’avait d’importance, préoccupé par l’approche de la Nuit des Serpents en cette fin d’été, et dont la symbolique hantait mes nuits dès lors ; car elle était un écho cruel à la quintessence de l’orgueil ducal ayant baigné de sang les Portes du Crépuscule, ce jour-là.

L’astre du jour déclinait lui aussi, emportant chaleur estivale et dignes activités dans sa chute, afin de dévoiler les travers du stupre et de l’alcoolisme dans les venelles des quartiers mal famés. Le cheminement des hommes et femmes du peuple affluait à contresens du mien, échappant de justesse parfois à la charge d’un adolescent poursuivi, enjambant une flaque stagnante de tripes et d’abats, fendant le quartier portuaire et Bourg-Levant comme un spectre que rien n’aurait su chasser à jamais ou ranimer. Ma morosité était cette fois bien plus sinistre, bien plus amère, que toute autre. Avais-je seulement passé la majeure partie de la journée à errer dans mes appartements esseulés, dans l’avachissement bilieux de mon corps informe sur un divan de velours qui n’avait plus accueilli d’invités depuis bien des lunes. Mes serviteurs congédiés, les épais rideaux occultants tirés pour m’épargner la lueur d’une journée trop vive, mon sempiternel démon spirituel était le seul à daigner m’accompagner sur cette chute raide mais s’était trouvé bien muet, bien docile, pour ne pas repousser ma léthargie en d’autres pénibles extrémités d’où je ne serais peut-être jamais revenu entier. Cependant, il était une tâche que je me devais d’accomplir, un devoir dont je ne pouvais partager le fardeau, dont je ne pouvais mentionner le tribut, dont il m’était impératif de remplir les obligations pour le salut de qui périt pour me le léguer.

À contresens, donc, des maigres croyants encore accrochés à des préceptes qui perdaient de jour en jour le poids de leur sacre. Les fervents défenseurs de la Trinité se raréfiaient à mesure de mois malheureux où la conviction d’une Fange augure des Dieux ne cessait de croître. N’étais-je point de ceux-là qui, sans véritablement le manifester, égaraient aussi leur foi en nos traditions les plus pieuses, se détournaient des enseignements du clergé pour mieux réaliser que ce monde misérable avait une volonté propre ? Un gré de bien étrange facture qu’aucun à ce jour ne savait percer, pas même les plus fidèles, pas même les plus fanatiques. Ces songes occupaient l’espace embourbé entre mes tempes à mesure que mes pas me hissaient ardument sur les marches précieuses du site sanctifié, où je ne me perdais qu’aux heures les plus tardives, lorsque le crépuscule jetait ses dards rubescents à travers les vitraux iridescents du Temple trinitaire. Évitais-je le regard du zénith pour cacher la laideur bien relative de mon teint d’airain, me complaisais-je plutôt dans la quiétude d’une cathédrale plongée dans une solitude si familière, l’on me voyait comme un intrus dans ces lieux saints malgré le fait que rien ni personne dans mon illustre lignée ne fut plus Marbrumien que je ne l’étais aujourd’hui. Et si mes errances me portaient jusqu’à la nef vertigineuse lors d’instants de doute et de quêtes de méditation, il m’était plus agréable de m’épargner le dégoût et la bêtise de qui se voulait plus étranger que je l’aie jamais été.

Cependant, ce jour était différent, laissait au fond de ma gorge serrée ce nœud ferreux d’angoisse et de colère sourde. Et c’était un long moment de recueillement qu’il me fallait effectuer, un besoin viscéral de trouver un miséricordieux messager divin pour porter aux nuées les pleurs de mon âme, quand bien même ces maux ne puissent qu’aboutir dans la vase marécageuse, glabre et nauséabonde, affleurant nos remparts. Une heure déjà avait passé, les secondes émiettées à mes pieds comme le pain rassis d’un miséreux sur ce banc empreint du passage éphémère des adorateurs désabusés. Il m’était d’une difficulté anormale de fomenter le cours de mes pensées, vouant au néant mes mutiques injures de ne plus savoir comment m’adresser à la merveilleuse épouse que fut Annolisa de son vivant, au futur de notre belle famille pulsant autrefois dans les veines d’Auxence, à cet intransigeant mais pragmatique Cyras, ces femme, fils et ami dont les dépouilles cendreuses s’étaient dispersées aux quatre vents il y a tout juste deux ans, aujourd’hui même. Car ce n’était qu’en mémoire de cet évènement tragique, non pas en l’honneur d’une déité révérée, que je requérais cet égarement momentané pour tenter, où qu’ils soient, de les atteindre une dernière fois… jusqu’à la suivante.

Alors que les prêtres titulaires mettent fin à leur office sacré en la dernière dévouée à franchir les dalles quadrillées sous la voûte divine, j’espère enfin m’enfermer dans l’isolement le plus hermétique afin de communier, comme bon peut me sembler, avec les fragments spirituels de mes proches que cette nuit d’antan grava en mes entrailles. C’était néanmoins sans compter sur l’approche inopportune d’une prêtresse, apprentie à en croire l’aube noviciale qu’elle porte comme une tunique serrée à la taille par une corde tressée. Sans doute mon humeur n’était guère à la sympathie, peut-être même lui ai-je laissé entendre qu’elle n’était pas la bienvenue sous la coupole sanctifiée, sans un mot, mes pupilles fendues la fustigeant sans que je n’aie mot à dire. Je le remarque aux quelques pas amorcés en retraite, et à son presque murmure désolé. Redressant la tête pour mieux l’apercevoir depuis l’ombre dévorante d’une colonne de marbre, j’ouvre avec peu d’amplitude mon bras gauche afin sans doute d’embrasser les places vides tout autour de moi. Sans doute ce faisant mes traits taillés à la serpe s’adoucissaient alors que mon geste l’invitait à prendre place, où qu’elle le veuille.

Ce Temple est tout autant mien que vôtre, il n’y a ni horaire ni place à réserver pour Leur adresser vos prières, mademoiselle… ?

Je l’invitais à s’annoncer avant toute chose, ne serait-ce qu’en raison de sa fonction en ces lieux, avant que je ne daigne peut-être en faire autant. Portant le deuil à travers la tristesse de ma garde-robe couleur poix, je devais arborer des airs de corbeau de mauvais augure qu'il était difficile de rendre autrement qu'antipathiques. De n'avoir pipé mot aujourd'hui, ma tessiture pareille à un éboulement rocheux se réveillait à peine, et ne vieillissait que davantage mes traits quadragénaires. Si religieusement muni d'un mantel et d'une cotte légère marquant la fin de l'époque estivale, je ne me permettais aucune fioriture sous forme d'accessoirisation quelconque et ma crinière bâtarde voguait au gré des courants d'air à mesure que ses mèches dépareillées, d'une encre noire encore vivace, vivotaient sous mon front.



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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyMar 31 Mai 2022 - 22:45
L'homme aussi brun de figure que de cheveux releva davantage le menton au murmure confus de l'apprentie prêtresse. Cette dernière escomptait s'éclipser prestement afin de ne pas davantage déranger le fidèle car c'était ce qu'on lui avait appris : il fallait savoir se montrer disponible auprès des visiteurs du Temple et leur apporter réponse, réconfort ou sermon au besoin mais les paroissiens désireux de méditer, de prier et de faire des offrandes seuls étaient dans leur bon droit et n'avaient pas à être interrompus dans leur contemplation. C'était cette leçon apprise par cœur à coup de répétitions rébarbatives et ce regard pénétrant d'austérité qui voulut inciter la brune à s'effacer rapidement mais l'homme se redressa davantage et montra du plat de la main les places disponibles autour de lui, nombreuses en cette heure plutôt tardive pour faire communion avec les Trois. D'un timbre rauque et profond, le croyant s'adressa finalement à elle dans un souffle tout juste plus élevé que l'intimidé chuchotement bredouillé tantôt par Sixtine ; sa voix et les traits plus détendus de son visage buriné apaisèrent quelque peu la religieuse qui avait redouté de se faire blâmer pour son indélicate intrusion.

« - Sixtine… Sœur Sixtine, Monsieur. »

Quelque chose, un elle-ne-savait-quoi d'inquiétude et de soupçon l'empêchait d'imiter son interlocuteur et de laisser un suspens effiler sa phrase afin que son vis-à-vis ne l'imite et ne se présente à son tour. Où avait-elle déjà aperçu ce visage au teint mordoré si particulier et peu commun parmi les habitants de Marbrume ? Une peau aussi halée ne l'était pas qu'au bénéfice du tannage du soleil, si elle avait déjà croisé cet homme, Sixtine s'en serait certainement souvenue. Or, sur l'instant, rien ne lui revenait mais le sentiment tenace subsistait.

Les muscles de ses bras plus détendus, la clerc choisit d'aller se placer sur le banc derrière la silhouette noire d'encre, dans son oblique. Ainsi plus proche de l'allée centrale, la religieuse avait une meilleure vue sur Anür ; cependant, malgré ses efforts pour implorer la déesse de lui apporter des réponses à ses questions angoissées sur ce qu'était devenue l'âme de sa mère et ce qu'elle aurait pu faire pour la sauver de ses démons, son regard oscillait de temps à autre sur la nuque basanée de l'homme endeuillé. La cape ne souffrait d'aucun agrément superflu, les cheveux étaient hispides et la barbe au moins aussi hirsute : Sixtine avait suffisamment vu de personnes ayant perdues des proches pour reconnaitre une âme déchirée par une séparation définitive d'une autre mal peignée. Cette vision la peinait toujours mais, dans un sens, la rassurait également ; elle signifiait que ces êtres étaient bien humains et pleuraient dignement leurs disparus, les honoraient également et remettaient entre les mains d'Anür des souvenirs inestimables le temps pour eux que leur temps soit venu de rejoindre leurs morts dans le domaine céleste de la déesse. Une chose que son père n'avait pas su faire, une chose à laquelle il s'était refusé de se plier. Il avait pris moins d'une semaine pour pleurer ses fils morts contre les portes closes de Marbrume avant de fustiger et les lois des Dieux et celles du Duc, entrainant inexorablement le reste de sa famille avec lui dans l'abime du déshonneur. Quel père faisait cela ? Quel homme pouvait décemment se croire digne de respect après un tel spectacle ?

Soudain, cela frappa Sixtine en plein visage. Un homme au teint de cuivre, une silhouette dont la mante sombre hantait de son aura élégiaque les bancs du Temple et l'esprit de la brune qui se voyait soudain assailli par des souvenirs de bribes de paroles médisantes que son paternel avait eu à l'encontre du métisse dont l'identité s'éclairait soudainement…

« - Vous êtes le Comte de Malemort. »

Cela faisait sens à présent : là où la religieuse cherchait à retrouver ce visage familier dans les couloirs du Temple, elle aurait du le chercher plus loin dans son passé, à l'époque où ses pas foulaient encore les pavés réguliers de l'Esplanade, où elle vivait encore sous le toit de Pancrace DeConques et où ce dernier s'imaginait inatteignable, immortel, intouchable avec son misérable titre de banneret. Sixtine sentit son cœur battre plus sourdement sous sa robe tandis qu'elle regrettait presque immédiatement sa nouvelle prise de parole, à moins que ce ne soit les souvenirs toujours plus nombreux de l'ignominie de son géniteur qui la tourmentaient.
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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyMer 1 Juin 2022 - 19:33



Les ombres des pères | Septembre 1166

Sœur Sixtine.

Je me devais lui accorder le titre adéquat, ne serait-ce que pour m’épargner les remontrances locales des prêtres encarcanés dans leurs rites et traditions. Leur arrogance n’avait parfois d’égal que le désintérêt épidémique du peuple pour ce qu’ils représentaient ; ces dieux muets que d’aucuns croyaient complices de l’extinction de l’ancien monde tel que nous l’avions tous connu. Il ne m’était jamais venu à l’esprit de blâmer les instances du ciel qui se dressaient, pétrifiées dans leurs atours précieux, sous mes yeux cernés d’épuisement. Mais ma foi était aussi étrange que mon allure et avait pris un tournant inhabituel deux années auparavant. Car si autrefois Anür était mon égide, l’ange gardien de mes velléités de conquêtes maritimes, le trident vengeur transperçant mes ennemis et leurs vaisseaux, la bénédiction même de nos voyages éclaireurs, les événements qui me poussaient encore entre ces murs parés de cristaux ne me faisaient guère me vautrer dans les bras de cette traîtresse sirène. Pas plus que dans ceux, rustres et bestiaux, de cette créature aux bois majestueux ayant autrefois veillé sur la bien portance de mon épouse et du futur éblouissant qu’elle portait en son sein pour mieux en arracher le fruit lorsqu’assez mûr pour quitter l’arbre qui l’avait nourri. Ce fruit, né sous les augures de la Nuit des Serpents, avait mes rêves pour fardeau, tandis que je subissais depuis celui de mes cauchemars. Et l’approche de ces festivités nouait mes sentiments les plus cruels au creux de mon estomac.

Lorsque la jeune apprentie franchissait le pas de ces colonnes bien peu coopérantes à mon égard, et se baignait sous les premiers rais colorés de l’astre crépusculaire à travers les vitraux sacrés, je m’attendais peut-être à capter dans ses traits juvéniles et naturels un semblant de souvenir. En vain. Les jeunes femmes étaient légion, plus encore celles jetées en pâture aux couvents, et si j’avais assurément croisé cette prêtresse en devenir sous cette voûte céleste, rien ne m’évoquait l’époque passée avec laquelle je venais renouer en ce jour fatidique. Ramenant sur mon giron cette paume tout juste ouverte en invitation à ce qu’elle prenne place, elle s’en venait emprisonner mon poing clos en un marteau sur l’enclume de mes jambes ankylosées par l’assise. L’aube froissée à mesure de pas discrets harcelait mon oreille tandis que la novice s’installait dans mon dos, décalant son siège de quelques places sur ma droite. Faisant davantage face à Rikni, peut-être avais-je l’air plutôt de préparer l’équinoxe prochaine, bien qu’en effet, ma crinière n’avait guère l’air d’être apprêtée pour une réunion heureuse avec la déesse de la malice. Mi-longue, les mèches plus proches de mon faciès buriné attachées par un lien de cuir contre la courbe opposée de mon crâne, certaines persistaient néanmoins à s’en échapper en aiguilles mordant mes joues émaciées et mâchoires abruptes. Ces filaments aile-de-corbeau, épais et asymétriques, retombaient sur mes larges épaules en couleuvres inertes.

Vous pouviez difficilement faire erreur. Cela vous donne un certain avantage.

Rétorquais-je avec un brin de cynisme, rien d’assez désagréable pour être perçu comme une pique, rien d’assez jovial pour être perçu comme une plaisanterie. Ce faisant, je pivotais lentement la tête de côté afin d’apercevoir la silhouette floue de la religieuse du coin de l’œil. Plutôt que de me faire un tour de cou, je finissais par ficher les éclats glauques de mon regard sur une colonne cernant la nef. Le dos droit, aussi peu apprêté pouvais-je l’être, je n’en perdais pas en noblesse de port. On ne m’avait pas privé de ma dignité, mes suppliques à l’encontre du duc — que je me refusais à considérer roi — n’avaient en rien entamé mon humanité et la légitimité de mes demandes, du haut de nos remparts embrasés par les torches du chemin de ronde. Et ces visages torturés, en contrebas, de me couper le souffle un court instant.

… J’ai néanmoins la sensation de devoir me souvenir de vous. Lèveriez-vous ce mystère ?



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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyJeu 2 Juin 2022 - 23:55
Sitôt la bouche close, les dents régulières de Sixtine s'étaient mises à mordiller l'intérieur de sa joue tandis que le Comte de Malemort complimentait sa découverte d'un ton indéfinissable qui ne rassurait guère la jeune femme : en voilà une erreur d'idiote. Elle qui voulait à tout prix se faire aussi discrète qu'une souris, se concentrer sur ses propres pensées et laisser le fidèle se replonger dans sa propre méditation… la brune avait pourtant appris très tôt l'une des plus grandes qualités des dames, à savoir le silence. Elle avait su l'appliquer très vite, d'abord auprès de son irritable père et de ses méprisables frères puis en bonne société lorsque son éloquence n'intéressait personne, étouffée qu'elle était dans cette blanche gorge que les autres filles lui enviaient, que l'arrondi de sa taille était davantage touché que le creux de ses yeux n'était vraiment regardé et que la finesse de ses mains importaient plus que celle de son esprit.

Pourtant, la novice avait été incapable de retenir ces quelques petits mots soufflés du bout des lèvres tant la surprise de voir ledit Comte de Malemort en ces lieux lui était étrange, une réminiscence du passé qu'elle ne s'attendait pas à trouver entre ces murs. La jeune femme ne l'avait vu qu'une paire de fois sur l'Esplanade. Il lui était cependant difficile d'oublier ce teint d'airain si particulier, unique même dans le paysage de Marbrume que Sixtine connaissait ; difficile également d'oublier tout le jeu de courbettes obséquieuses et de mielleries hypocrites que son père avait déployé pour approcher le Comte tant les commentaires qu'il avait fait de lui une fois entre les murs de son petit manoir avaient été acerbes et narquois, encore plus qu'avec n'importe quel autre noble du Morguestanc ; difficile enfin d'oublier la crise de nerfs que Pancrace avait piqué lorsqu'il avait reçu la réponse - négative - du Comte de Malemort à l'invitation qu'il avait fait monter à sa demeure afin de lui proposer de venir se livrer à la débauche d'un de ses banquets. L'apprentie prêtresse avait toujours vu son banneret de père mépriser cet homme aubain mais elle avait également vu à maintes reprises tous ses efforts pour attirer son attention sur lui, lui, un Comte, mais pas n'importe quel Comte ! Un Comte allié à cette famille maudite dont prononcer le nom aujourd'hui équivalait à un aller simple à la potence et que, fut un temps, Pancrace révérait en vue d'obtenir d'elle plus que le titre de banneret que les Sylvrur s'obstinaient à daigner lui laisser.

« - J'avais un nom, avant. Je l'ai laissé derrière moi en entrant au Temple. Je doute qu'il vous soit utile de le connaitre. Il ne reste plus personne sur cette terre pour le représenter. »

Sixtine savait que Gaël était très discret sur sa réelle identité ; peut-être ne l'avait-il même pas donné à son entrée dans la Milice… quel intérêt aurait-il eu à faire savoir qu'il était un noble déchu, après tout ? Quant à son père et à Alban, l'apprentie prêtresse ne les avait plus vu depuis plus d'un an, depuis qu'ils avaient été chassé du Temple. Sillonnaient-ils les ruelles de Marbrume ou avaient-ils pris la route du Labret ? Étaient-ils toujours en vie ? La brune ne se risquait pas à chercher à savoir tout cela : pour elle, ils étaient morts mais, à son grand désarroi, leurs souvenirs étaient particulièrement vivaces.
La novice n'avait jamais porté son nom en étendard comme Pancrace avait essayé de le faire et comme elle avait vu les grandes familles nobles exceller dans l'exercice. Avant, il ne lui inspirait guère d'émotion tant elle se sentait étrangère à sa propre famille ; par la suite, il suscitait chez elle une honte tenace lorsque son père s'affichait dans toute l'Esplanade afin d'attirer autant de personnes que possibles en sa demeure trop petite ; aujourd'hui, elle ne gardait qu'un souvenir amer de cette filiation, celui d'un titre insignifiant à l'échelle de la grande Histoire, celle de l'humanité, de Marbrume, un titre qui, en comparaison, prenait beaucoup trop de place dans son propre esprit.

Sixtine releva ses yeux gris de ses genoux, posant son regard sur le profil anguleux de son interlocuteur. Pour sûr, Pancrace n'avait jamais atteint ne serait-ce qu'un dixième de la prestance de cet homme au port altier, digne et résolument noble, un Comte qui avait bénéficié d'une véritable éducation et qui portait sur ses épaules l'histoire d'une famille, d'une lignée, d'un nom, quand bien même tout cela avait été entaché à un moment ou à un autre par un hybridation qui avait tanné sa peau de cuivre. Il possédait tout ce dont son père avait secrètement rêvé mais qu'il s'était étranglé à voir attribué par les Dieux à quelqu'un d'autre que lui, un métèque de surcroit comme il le nommait parfois. Cet étranger en sa propre nation, Sixtine ne le quittait pas des yeux, profitant du fait qu'il semblait regarder plutôt un élément du décor de la chapelle, ses doigts jouant distraitement avec le tissu de sa robe.
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Lazare de MalemortComte
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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyVen 3 Juin 2022 - 18:53



Les ombres des pères | Septembre 1166

Ce lieu saint avait tout d’un tombeau. Une splendide crypte où mouraient les espoirs et prières des badauds désorientés, dont les parois richement ornées suintaient la misère et la naïveté, dont la voûte infinie n’était que l’image cruelle d’un but inatteignable, dont les statues divines s’érigeaient en hautes gargouilles prêtes à vous dévorer l’âme. Une cage sordide, un lieu froid, ou le plus timide des silences est roi. Je venais abandonner entre ses murs parés de bijoux cristallins la véhémence passée de mes souhaits d’antan, la plénitude sincère d’autrefois, la complétion de mon bonheur et la déchirure de mes cordes vocales qui ont, ce jour, tant saigné. Ce coffret de merveilles et d’abominations que mon cœur peinait à traîner dans son ombre, alourdi de chagrin et d’un sentiment inaliénable de trahison, et dont les chaînes raclant contre les parois de mon crâne m’assourdissaient parfois.

Ce chemin de croix était une éternelle remise en question de ma force morale, le questionnement incessant de ma capacité à avancer encore sur les cahots de l’existence, seul désormais. Je n’étais peut-être pas l’homme que je pensais être, pugnace et déterminé, mais la silhouette incertaine et difforme de celui que j’aspirais à être, vingt ans plus tôt. Un spectre qu’il n’était pas nécessaire de nourrir car repu de son propre tourment. Finalement, n’étais-je pas seulement un couard en quête de bravoure, priant les Trois de m’insuffler un courage dont je ne saurais faire usage ? Un comte qui n’avait de prestance que le titre tombé en désuétude et la capacité à convoyer hommes et marchandises d’un point à l’autre du duché, tout transporteur que je fus. Au regard de tous ceux qui, cette funeste année, furent séparés des leurs, n’étais-je pas finalement le plus faible…

L’idée me répugnait.

Ces inflexions s’en venaient envenimer le cours de mes songes, alors que je persistais à graver mes maux dans le marbre de la colonne dont je rongeais la surface zébrée de mes orbes smaragdins. Ramenant à moi mon menton étouffé sous une barbe drue, noirâtre, épaisse comme ce que j’imaginais être la crinière de mon aïeule orientale, je perchais mon attention sur les courbes voluptueuses de l’ophidienne Rikni, bien que rien en moi ne savait lui trouver la beauté de feu mon épouse, que mon battant meurtri plaçait en martyre idéalisée sur le piédestal de mes réminiscences.

Que me valait ce murmure intrigué, si nos chemins ne se sont, jusqu’à présent, jamais croisés ?

L’ignominie de mon apparence ne fut jamais des sujets les moins houleux à aborder auprès des prêtres trinitaires, si obtus qu’il ne leur fallait qu’une carnation hâlée pour se croire en présence d’un impie. Peut-être le fait même que je me sois trouvé en ces lieux à plusieurs reprises avait été sujet à commérages cléricaux. Le saint père qui autrefois acceptait d’officier à ma demande n’était plus de ce monde depuis bien des années, et j’ose supposer qu’il ne fut pas des plus appréciés parmi ses pairs pour cela. Était-ce ce qui motivait la jeune apprentie, dont je n’apercevais plus rien sinon l’ombre monstrueuse projetée par les langues des danseuses ardentes d’une lanterne ? Tenue dans mon dos comme un diable irait susurrer ses horreurs à mon oreille, comme une concierge dont la ville était pavée et dont les chuchotis étaient rarement pour me louer, la religieuse avait néanmoins osé s’installer à une distance trouble ; ni trop proche pour prétendre s’acoquiner avec le comte de Malemort, ni trop éloignée pour prétendre ne pas être intriguée.

Peut-être cette jeune femme avait une plus noble pensée. Peut-être se moquait-elle aussi de cette bizarrerie exposée sous chaque pore de ma peau, qui faisait de moi un indésirable parmi mes pairs. Peut-être la fraîcheur de la jeunesse lui donnait un tout autre point de vue. Il était bien bas de ma part de lui allouer de si mesquines intentions. Une longue inspiration gonfle mon torse jusqu’à rehausser mes épaules, et au souffle discret qui s’ensuit, mes paupières lourdes s’affaissent, l’oreille tendue.

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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptySam 4 Juin 2022 - 0:16
Les lèvres de Sixtine s'étirèrent en un sourire narquois sans que le sarcasme dans cette expression crispée ne soit destiné au Comte de Malemort ; non, toute l'ironie contenue dans cet ourlet de chair était dirigée envers elle-même. S'était-elle donnée trop d'importance ? L'emprise que la hantise du nom de DeConques avait sur son esprit était-elle tellement importante qu'elle s'imaginait que cela la démasquait systématiquement aux yeux de toutes les personnes croisant sa route ? Quelle prétentieuse elle était, ce n'était pas digne d'une aspirante religieuse qui avait fait le modeste vœu d'abandonner son nom, son rang et son titre avant que celui-ci ne soit définitivement effacé d'une rature dans les registres du Morguestanc. A priori, hormis quelques prêtres responsables, personne n'était au courant qu'elle était une DeConques voire que cette famille avait existé : pourtant, l'ombre de Pancrace était chevillée au corps de la brune, se recroquevillant et s'étirant à volonté en fonction de ses moments de calme et de trouble.

« - Nous nous sommes déjà rencontrés, Monsieur. Sur l'Esplanade, j'accompagnais mon père. Nous n'étions qu'une humble famille de bannerets… que vous ne vous souveniez pas de lui ni de moi n'est en rien offensant. »

C'était peut-être pour le mieux. En entrant dans les ordres, Sixtine avait escompté se soustraire à l'autorité indigne de son père, trouver sa place dans le monde aussi réduit était-il et rétablir l'équilibre vis-à-vis des actions déshonorantes de son géniteur. Peut-être que ses intentions étaient louables quoiqu'elles donnaient une nouvelle fois trop d'importance au spectre de Pancrace DeConques qui talonnait de bien trop près son esprit mais elles avaient le mérite de l'engager dans une voie qu'elle estimait bienfaitrice et dans laquelle elle consacrait toutes ses forces. Il était difficile pour Sixtine de définir si c'était cette volonté qui l'amenait à ne pas regarder le Comte de Malemort comme un monstre comme le faisait autrefois son père tout en le saluant précipitamment lorsqu'il le rencontrait d'assez près ou si elle était juste irrésistiblement intriguée par ce teint de peau inhabituel qui lui rappelait le bois des plus vieux cerfs.

« - J'ai été surprise de vous reconnaitre sur ce banc. Vous n'êtes pas quelqu'un qu'on oublie facilement. »

D'ordinaire, ce genre de phrase impliquait des circonstances et des conséquences plutôt fâcheuses mais Sixtine s'était exprimée d'un ton égal, sans moquerie ni mépris. C'était un fait auquel elle était elle-même soumise et auquel elle n'avait d'ailleurs pu résister bien longtemps malgré sa résolution de rester dans sa zone de confort et de laisser le pénitent dans la sienne. Qu'est-ce qui pouvait bien amener le Comte de Malemort sur les assises inconfortables du vaste hall du Temple ? Cette intime question fit légèrement froncer les sourcils de Sixtine dont le regard de cendres avait fini par se décrocher du dos du haut noble pour s'attarder sur les dessins fantasmagoriques peints sur le sol de pierre par les rayons du soleil filtrant à travers les carreaux bigarrés des vitraux.
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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptySam 4 Juin 2022 - 12:49



Les ombres des pères | Septembre 1166

Ainsi, la jeune prêtresse en devenir découlait des mêmes rangs que les miens, à quelques degrés près qu’elle n’était issue que d’une modeste branche nobiliaire. Un banneret, disait-elle. L’époque évoquée, comme lointaine, ne résonnait plus à mes oreilles de la même façon que les mondanités le faisaient aujourd’hui. Qui avais-je pu rencontrer, et en quelles circonstances, avant que le fléau poisseux et mortifère de la Fange ne submerge nos contrées verdoyantes ; je n’aurais su en faire l’énumération. Il manquait pourtant bien des noms à l’appel, car mes opinions politiques étaient célèbres pour être à contre-courant et mes alliés d’intrigue de cour n’étaient nuls autres que les Sarosse, fervents opposants à la maison de Sylvrur qui projetait déjà d’avoir les de Morguestanc à l’usure. Ce souvenir seul me plongeait dans une léthargie assourdissante, où je percevais encore l’écho de mes débats enflammés en compagnie de Cyras et de nos confrères. Deux ans avaient passé, et ces souvenirs se voulaient être de plus en plus ardus à fomenter.

Il m’est difficile de ne me remémorer qu’un timbre de voix. Cependant, je tolère capituler devant votre propension à me dissimuler cette information.

Il n’était pire endroit que ce temple épié par toutes ces instances célestes pour se livrer à une joute verbale entre deux bancs solitaires, à l’encontre d’un adversaire dont je n’apercevais que la silhouette du coin de l’œil. Son insistance quant à ne pas assouvir ma curiosité frustrait l’éternel chasseur dont la personnalité se confondait en entrelacs dans la toile de mon esprit, mais je ne pouvais que m’incliner devant la nature de ses vœux sacrés, la délivrant de ce qui ressemblait à l’aria d’un fardeau. L’information m’aurait pourtant été utile, m’aurait sans nul doute assisté dans la nage que j’entreprenais dans la mélasse épaisse de ma mémoire. Je devais toutefois lui accorder une chose : à mon grand dam, je n’étais pas de ceux qui passaient inaperçus, depuis ma haute stature et mon faciès oriental, depuis mon titre et mes particularités. Les marins de guerre n’étaient pas des plus nombreux malgré notre accès privilégié aux mers du monde, et à l’exception de quelques pêcheurs volontaires et miliciens enrôlés sur les navires de Sa Majesté, ma lignée pouvait se vanter d’être parmi l’exception de nos territoires. Si cela me servait politiquement, il était certain que les regards, bien comme mal intentionnés, ne pouvaient que se tourner davantage dans ma direction.

Il se trouve que je me présente régulièrement ici, lorsque les portes sont sur le point de se refermer. L’on me nie bien des droits en ces lieux, si bien que je m’épargne l’esclandre de m’être malencontreusement glissé parmi les foules ferventes. Elles abandonneraient assurément leur inexpugnable foi en présence d’un présumé impie.

Mon sarcasme était d’une amertume presque palpable, bien que ma propre vertu religieuse ne se cantonnait pas à chauffer les bancs usés du Temple sous mon séant. J’avais appris, malgré moi dirais-je, à communier avec nos Saints Patrons dans le huis-clos de mes quartiers, de mes pensées, de mes promenades le long des quais bondés du port où je m’occupais bien souvent de mes affaires maritimes. Si bien que me présenter au Temple n’avait qu’une importance sociale, une corvée dont je ne pouvais me défaire depuis les hauteurs de mes lettres de noblesse ; et malgré la réprobation cléricale hantant les colonnes marbrées et les dalles fendues, je me devais de me présenter régulièrement en ces lieux étouffants de sainteté hypocrite pour le bien d’apparaître comme un modèle de piété. Si nous autres aristocrates ne pouvions montrer cet exemple, aussi faux et artificiel soit-il, qui d’autre s’y adonnerait encore, en ces temps troublés ?


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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyDim 5 Juin 2022 - 14:32
Une expiration un peu plus profonde que les autres fit frémir les ailes du petit nez de Sixtine, soulagée qu’elle était de voir le Comte de Malemort renoncer à savoir quel était ce nom qui lui pesait tant. La novice n’avait pas la prétention de savoir mieux que le noble ce qui était important ou non pour lui mais elle avait l’intime conviction que savoir qu’elle était une DeConques ne lui serait que d’une utilité très limitée. Outre le fait que la jeune femme s’efforçait de réduire au maximum l’étendue que pouvait avoir son ancien nom – pour peu qu’il en avait encore une en dehors de son esprit – elle s’attachait à se faire davantage connaitre en tant que Sœur Sixtine… chose dont elle s’acquittait avec beaucoup de maladresse et un manque certain de tact au vu de sa façon de procéder avec le métis depuis le début de leur étrange entrevue. Quelle religieuse digne de ce nom interrompait ainsi la méditation intime et profonde d'un fidèle ?

Ce dernier prit tout de même la liberté d’expliquer sa présence dans le Temple en cette heure si tardive. L’apprentie prêtresse reposa les yeux sur le dos du haut noble à l’écoute de son ton acrimonieux. Se savoir si reconnaissable ne rendait pas moins l’épreuve du regard des autres pénible ou, tout du moins, agaçante, pourtant, le Comte de Malemort l'affrontait sans frémir : la marque des grands de ce monde sans doute, de ceux qui savaient que leurs actions et leur savoir-être ne faisaient aucunement l'unanimité mais qui avançait nonobstant, faisant fi des commérages et des œillades sévères. Pour un puissant allié de feu les De Sarosse, c'était le moins qu'il pouvait faire.

« - Je le déplore. Leur foi n’est donc pas aussi inébranlable qu’ils le prétendent. Je crains que ce ne soit le cas de nombreux visiteurs du Temple depuis l’arrivée du Fléau. Votre opiniâtreté est louable, Monsieur, autant que leur hypocrisie est navrante. »

Sixtine n’était pas complètement naïve : si elle s’était investie d’autant plus dans sa foi après avoir vu sa famille en perdition au point de revêtir la robe des novices, elle avait également vu comme tous ses autres confrères et consœurs la désertion progressive des bancs de la nef, une raréfaction des dévots qui s’expliquait en partie par cette impression que les fangeux était une punition divine, un abandon des Trois… les ignorer en retour était donc la solution ? En quoi fallait-il croire, alors, si ce n'était en la Trinité qui veillait sur le Royaume de Langres depuis l’aube des temps ?

« - La Nuit des Serpents approche. Cette année encore, elle sera lourde de sens et de peur. »

Depuis l’arrivée de la Fange, cette nuit en l’honneur de Rikni avait pris une dimension toute particulière. Deux années qu’une fois le soleil couché, les cauchemars n’en étaient plus réellement puisque rien ou presque ne pouvait rivaliser avec l’horreur des massacres perpétrés par les fangeux. Sixtine avait la chance de n’en avoir jamais vu de ses propres yeux, ayant toujours eu l'aubaine de bénéficier de la protection des Trois au moment critique : toutefois, elle avait déjà croisé le regard de personnes ayant assisté à ce genre de festin bestial, inhumain et innommable, à commencer par les yeux céruléens de son frère Gaël qui, depuis qu’il avait assisté à la mise à mort opportune de Dorian et Ludwig, n’avaient plus jamais eu le même éclat rieur. Était-ce cela qui incitait le Comte de Malemort à se rapprocher une nouvelle fois du Temple malgré l’inconfort de se savoir épié par les bigots ?
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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyDim 5 Juin 2022 - 22:01



Les ombres des pères | Septembre 1166

Il était de ces hommes souvent intolérants, manquant de délicatesse ou bien de patience, et je me savais de ceux-là, moi, Lazare de Malemort et Malerive, dont la sérénité a tant de fois été menée à bout sous les piques fourbies de bêtise de mes pairs. Ce jour pourtant, alors que je m’en venais originellement communier avec les ruines de ma mémoire vacillante, me recueillir endeuillé sur les cendres d’un passé encore trop frais, encore trop poignant, rien n’aurait su m’exaspérer. Pas même l’outrecuidance d’une bavarde apprentie en ce lieu dédié au silence et à la méditation, où la bavasserie était proscrite. Il y avait en cette jeune femme une inclinaison bien plus progressiste que je n’aurais jamais soupçonnée, en particulier du fait qu’elle arbore humblement l’aube cléricale par dessus une âme noble. Et cet étonnement de ma part détournait mes songes de leur mélancolie tenace et poisseuse dans laquelle les mœurs publiques m’embourbaient en permanence. Un rafraîchissement dont il m’était agréable de profiter, fut-ce sur les bancs hachurant la croisée du transept sans âme qui vive outre les deux énergumènes dépareillés osant braver l’interdit.

La Fange… qu’a-t-elle réellement métamorphosé ? La Foi n’a jamais été qu’un prétexte pour ces pauvres hères, accrochés à Ses branches pour en cueillir les fruits à maturité, L’abandonnant dès que ceux-ci se sont montrés trop amers. Est-ce de l’opiniâtreté que de ne pas avoir mécompris, finalement, la nature de la Foi ?

Avais-je véritablement exprimé d’un murmure les troubles de ma houle intérieure ? Susurré ma propre amertume comme si je l’adressais de vive voix à cette Trinité que pourtant je prétendais louer ? La raideur de ma nuque me pousse à pencher légèrement la tête de côté, mon menton broussailleux s’élevant presque par dessus mon épaule, un bref instant. Mes doigts calleux de manier la corde et le sabre pincent les rebords secs de la pèlerine enténébrée qui couvre mes épaules pour les en libérer dans le souffle de la laine contre le coton s’étendant sur le dossier de mon siège rustique. Je n’avais pas particulièrement chaud sous cette cape épaisse, mais ressentais une étrange gêne qui me ceignait la gorge, un malaise que je ne m’expliquais pas. Peut-être la mention ouverte de cette maudite fête des rêves et cauchemars me saisissait aux tripes.

Autrefois, les vicomtes tremblaient à l’idée d’égarer malencontreusement leurs lettres de noblesse mais rêvaient de bons partis et de pouvoir. Les fermiers redoutaient averses de grêle et mauvaises récoltes mais aspiraient à faire fructifier leurs affaires jusqu’au remerciement ducal. Les enfants craignaient qu’un malandrin ne les subtilise à leur mère, tout en fomentant le vœu pieu de devenir chevalier ou même princesse… La Nuit des Serpents deviendra la Nuit de la Fange, où nous n’aurons plus à conter que les atrocités nous ayant de nouveau arraché un père, un frère ou un fils en songe.

Car telle était la réalité de Marbrume et son duché de Morguestanc : des terres désolées dont la reconquête était au point mort, marbrées de marécages où se dissimulaient davantage que les émissaires de ce Fléau, mais nos propres pairs rendus fous et fanatiques. Toute velléité de quitter cet enfer humide et glauque crevait dans l’œuf, tant nos contrées viables les plus éloignées étaient trop proches de cette cage rongée par l’intrigue et les guerres intestines. Nos espoirs avaient bien souvent laissé place aux horreurs de nos nuits sans lune, aux membres déchiquetés d’un proche ami, aux giclures rubescentes d’une épouse, aux métamorphoses répugnantes d’un fils. Ou bien peut-être était-ce ma réalité. Je me trouvais encore seul sur ces assises athées, mes mains engoncées l’une dans l’autre sur mon giron, ruminant ma rage glaciale et ma peine ankylosante.

Il n’y avait aucune échappée.

L’heure tournait au dehors, et la chaleur orangeâtre des rais de lumière s’approchait dangereusement d’un rouge sanguinolent faisant honneur aux déités irrévérées. Un homme bien pâle dans sa bure monacale aux couleurs de Serus franchissait l’angle des transepts pour me jeter un regard peu amène, presque réprobateur, non sans jauger également la jeune femme dans mon dos d’une œillade de même teneur. Enfin, il s’effaça, le pas presque flottant dans ses sandales lacées, au cœur du déambulatoire. Peut-être lui avais-je adressé la même mire dure et indomptée que celle à laquelle la jeune apprentie avait eu droit.

Hm. Cette célébration a pour moi des relents funestes. Je n’ai pas vocation à en noircir le portrait.


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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyMar 7 Juin 2022 - 0:00
La foi connaissait une crise majeure depuis l’arrivée de la Fange, c’était indéniable. Outre les bancs de plus en plus vides et les murs de plus en plus fissurés, Sixtine le sentait dans l’empressement que certains de ses supérieurs ne pouvaient s’empêcher d’exprimer lorsqu’ils signifiaient aux apprentis qu’il fallait faire bloc, encourager les ouailles à revenir dans le giron des Trois, se montrer présent autant que possible au Temple et même en dehors… offrir un visage bienveillant et accueillant de la Trinité en somme.
Sixtine baissa le menton vers sa poitrine au commentaire acide du Comte : il lui était difficile de s’imaginer la foi si versatile, elle qui l’avait pleinement embrassée dès sa plus tendre enfance, encouragée en ce sens par sa mère très pieuse, adoratrice d’Anür, et par son père désireux de se faire bien voir auprès du Temple où il mettait bien peu les pieds. Ne l’avait-elle finalement pas expérimenté toute son enfance auprès de ce paternel, cette foi changeante et sélective, celle qui ne se démontrait qu’au moment des grandes fêtes et des cérémonies où se montrer auprès du reste de l’Esplanade était plus important que communier avec les Trois ?

« - Je devrais sûrement m’inspirer de votre expérience en ce qui concerne l’étude du double-jeu des uns et des autres, Monsieur. »

N’avait-il pas, malgré lui, quelque connaissance dans ce domaine ? Encore que beaucoup ne devaient pas hésiter à lui cracher ouvertement au visage… Sixtine avait également appris à déchiffrer les inflexions de la voix, les crispations du visage et les postures du corps de ses interlocuteurs afin de se faire une idée de ce qu’il se cachait derrière les compliments doucereux, les gestes exagérément galants et autres atours superflus mais son expérience relativement limitée du beau monde ne lui donnait qu’une vision encore partielle de l’étendue des faux-semblants dont pouvaient être capable les bigots et autres tartufes.

Si la Fange n’avait guère contribué qu’à un léger dévoilement sur une partie de la population, le Comte de Malemort reconnut qu’elle avait eu un effet indéniable sur la Nuit des Serpents. Sixtine n’aimait guère cette célébration plus jeune, peu désireuse de raviver les souvenirs des cauchemars d’abandon et de rejet qui avaient hanté ses nuits infantiles. L’année précédente, elle avait vécu sa première Nuit des Serpents au Temple, entourées de ses pairs et de quelques habitants de la ville qui étaient venus trouver refuge dans le hall, comme il avait toujours été de tradition à Marbrume : ce soir-là, il avait fallu de longues heures avant que les langues ne se délient pleinement et que les récits ne commencent à être conté. Tous avaient naturellement tourné autour de la Fange, de la perte d’êtres aimés, de bouleversements irréversibles… ce soir-là, pour la première fois, Sixtine avait compris la nécessité de cette nuit mais, dans le même temps, il aurait fallu être sot pour ne pas voir que tout espoir semblait mort dans l’œuf dès l’instant où quelqu’un cherchait à exprimer un trait optimiste : les peurs les plus viscérales et profondes avaient été déposé sur le sol du Temple mais rien n’avait pu les remplacer et, le lendemain à l’aube, les pauvres hères étaient ressortis le cœurs presque aussi lourd qu’au crépuscule. N’y avait-il réellement aucune issue ? Cette perspective fit frémir la nuque de Sixtine qui redressa les épaules, les laissant s’affaisser presque aussitôt lorsque son regard croisa celui austère d’un prêtre de Serus qui, par chance, ne s'attarda pas sous la voûte de la nef.

Le nez baissé vers ses genoux, la novice tendit une oreille à ce que le haut noble marmonna dans sa barbe et qui l’amena à relever davantage le menton. L’énigme était en train de prendre forme sous les yeux de la jeune femme et, telle une anamorphose, elle crut voir enfin le tableau se reconstituer et les détails se recoller entre eux.

« - Vous aussi... ? »

Sixtine ménagea malgré elle un silence, son regard épiant les alentours, scrutant l’ombre des colonnes et les reflets à présent rougeâtres qui embrasaient le sol de pierre froide. Nulle âme rôdant près d’eux, nulle oreille indiscrète pour lorgner l’évocation de ce souvenir funeste et politiquement dévastateur. La brune triturait machinalement sa bure éclaircie, les yeux levés vers les statues des Trois.

« - J’ai perdu deux frères ce jour-là. »

Dorian et Ludwig. Sixtine ne les avait guère connu car ils avaient très tôt été envoyé faire leurs armes chez celui dont leur père avait escompté devenir un allié digne d’être récompensé. Du peu que la tendre enfant se souvenait, Dorian ressemblait beaucoup à Alban mais Ludwig lui avait toujours paru plus accessible ou, tout du moins, bien moins vaniteux que ses deux frères aînés. La façon dont ils étaient tous les deux partis – dont il avaient été exécutés – avait constitué le premier véritable choc pour les DeConques : chez Sixtine, il s’était incarné en le fait qu’elle ne souhaitait à personne aussi atroce mort que celle qui pouvait survenir par le biais des crocs d’un fangeux, pas même à son propre et détestable père.

« - Il n’est aucun mal à exprimer ce genre de sentiments. La puissante Rikni peut nous inspirer dans de tels instants, nourrie par nos peines et nos colères. Aucun moment n’est le bon ou le mauvais, il existe, c’est tout, lorsque l’on se sent prêt. Je vous souhaite de le trouver… dans la solennité du Temple ou dans l'intimité de votre manoir. »
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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyMar 7 Juin 2022 - 12:22



Les ombres des pères | Septembre 1166

Il semblerait que vous ayez su prendre vos distances d’avec cet échiquier. Pour le mieux.

La lignée nobiliaire se devait être bénie des Trois, depuis les cérémonies de fécondité de Serus à la conception de l’enfant sous les augures d’Anür, à ses rêves et cauchemars traduits en récits et chansons pour égayer ou effrayer la galerie des nuits de Rikni. Chaque pas d’une nouvelle génération assistait à nombre de fêtes, suivait scrupuleusement nombre d’offices à la gloire de cette trinité aujourd’hui presque désuète. Une fausserie qu’il était indu de penser liée à la nature sacrée de ce que nous sommes, nous autres aristocrates que le péché dévore en toute strate. Que sont devenues ces déités autrefois révérées et désormais boudées, reniées même par leurs propres fils en leur for intérieur, trop orgueilleux pour ne pas l’afficher en faire-valoir sur le perron de toute réception mondaine ? Sont-ce des pères et mères compréhensifs et justes, voguant parmi ceux d’entre nous qui cherchent encore une saillie où raccrocher leurs espoirs et leurs peines, tolérant cette émancipation comme une réponse au cycle naturel de leur cosmos ? Ou bien plutôt des géniteurs rancuniers, cruels, s’en allant foudroyer un toit de chaume jusqu’à l’incendie ou inonder un commerce florissant d’une boue récalcitrante pour vomir le malheur et la déchirure d’avoir été abandonnés ? Devais-je moi-même en vouloir à mon propre sang, ma seule et unique descendance, d’avoir refusé de m’assister sur nos terres plutôt que d’aller causer chiffons le temps des préparatifs de ses noces ?

Cette interrogation était l’essence même de la main spectrale venue m’enserrer le cœur et me couper le souffle, tandis que je portai spontanément une paume à mon poitrail pour en froisser la ténébreuse couverture. Il fallait qu’à cet instant précis, un fourmillement gravisse la courbe creuse de mes joues aux pommettes saillantes, harcèlent mes paupières affaissées pour faire perler un peu d’humidité à l’orée de mes cils noirs. Ma culpabilité avait de vicieux qu’elle s’immisçait sans prévenir dans la moindre de mes pérégrinations. Et je pouvais anticiper le chevrotement discret de ma voix éteinte lorsque j’entrouvrais mes lèvres sèches pour lui répondre.

Un fils… Et une femme prête à m’en donner un autre.

Je tentais d’effacer le souvenir poignant des derniers mots de mon épouse en me focalisant sur l’un des vitraux sanctifié de teintes vives, feignant l’intérêt pour la ferronnerie appliquée les ayant scellés en une scène ecclésiastique. Cette jeune femme placée en fou dans mon dos qui me confiait avoir elle aussi été endeuillée de la perte de deux frères me poussait, sans qu’elle n’en ai conscience, à me remémorer les visages terrorisés de ces gens, hautes, petites, dont je connaissais parfois jusqu’au prénom et m’avaient parfois servi, parfois intéressé, parfois même instruit. Était-ce cependant de cet événement qu’elle faisait mention ? Cette nuit sanglante qui n’avait pour source que le péché d’orgueil d’un autocrate qu’aujourd’hui l’on acclamait. Ce murmure presque interdit me fit légèrement tourner la tête dans sa direction, ne captant en périphérie de mon regard qu’une silhouette noirâtre par delà mon épaule, un diable qui pourtant avait tout d’un allié. Peut-être me fallait-il jouer la carte de la bêtise pour dévoiler l’identité de qui hantait le transept à mes côtés.

Puisse les Trois les avoir accueillis honorablement. Nombre de nos soldats ont payé un lourd tribut, le moment venu.

Petit à petit, je soupçonnais de connaître voire reconnaître cette apprentie prêtresse qui pourtant n’avait su éveiller en moi la familiarité nécessaire pour me souvenir de son nom. Les prunelles d’acier que je percevais sous un rai de lumière crépusculaire m’évoquaient une image peut-être erronée, et je n’avais pas véritablement abandonné l’idée de lui tirer les vers du nez. D’une façon ou d’une autre.

Libéré de ma pèlerine, je glissais un index entre mon col serré et la peau de mon cou orné d’une chaîne d’or où pend un médaillon vide serti d’une malachite striée. Cette étouffante tension rendait désagréable le fait d’être ainsi vêtu, ma cotte goudronnée plutôt ajustée, mais n’était pas assez déplaisante pour me pousser à quitter les lieux.

Il est des sentiments que je me dois garder en ces lieux, le confessionnal lui-même ne pardonnerait pas mes péchés, sous réserve que j’en commette. Il en est ainsi pour nous, Malemort.

Et levant une paume démonstrative, je désignai l’ouverture du déambulatoire où le prêtre mécontent s’était engouffré. Ce geste n’était pas moins une accusation qu’un constat, impie parmi les impies, voilà mon fardeau. Sans doute avait-on oublié le bafouement des valeurs humaines qui avait traîné mes pas jusque sous cette voûte divine. Ce crime de fierté et de dédain dans des temps autrefois troublés par une invasion mortifère. C’était bien cette tragédie que tous taisaient et enfouissaient sous leurs petits tracas individuels qui enserrait encore ma gorge chaque jour, chaque aube levée sur les draps froids et désertés de ma couche, chaque nuit à fomenter cent pas dans l’espoir vain que l’on franchisse encore mon palier. Et pour cela, je devais être réduit au silence pour protéger ce qu’il me restait, condamné à me recueillir dans l’ombre sur ce qui aurait dû soulever le duché tant l’hérésie perpétrée était honteuse. Ma colère enflammée brûlait mes entrailles et pourtant, il me fallait y jeter le sable de ma noble composition.

… Avez-vous encore des rêves dont vous chérissez la valeur à confier à la Victorieuse ?

M'en restait-il seulement.

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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyJeu 9 Juin 2022 - 0:05
Sixtine avait encore beaucoup à apprendre pour être une véritable confesseuse, elle qui ne s’attendait à aucune réponse de la part du Comte de Malemort. La jeune femme lui avait confié ce deuil qu’elle n’avait pu porter convenablement, piégée qu’elle avait été par la dépravation de son père qui n’avait daigné porter le noir que quelques jours avant de rouvrir en grand les portes de sa demeure afin de célébrer en grandes pompes et à grands renforts de vins et de viande de contrebande la fin inéluctable du monde et, pourtant, il n’était pas dans ses intentions d’amener le haut noble à lui confier ses plus intimes sentiments ; ainsi fut-elle véritablement surprise et très sincèrement peinée lorsque l’ombre massive qui hantait la chapelle et dont elle observait de nouveau le large dos lui annonça porter le deuil de sa famille. Un instant, la novice crut croiser le regard du Comte lorsque celui-ci pivota le menton dans sa direction mais elle ne retrouva pas le chemin de ces pupilles olive si sévères qui l’avaient toisé lorsqu’elle avait surpris l’ours brun dans sa contemplation. Ainsi avait-il payé le prix fort son alliance aux De Sarosse.

Qui entre le haut noble et elle avait su au mieux se retourner après ce tragique événement qui avait ébranlé la ville de Marbrume et son Esplanade en particulier pendant des semaines voire des mois avant de retomber dans un soi-disant oubli ? Le Comte avait, d’une certaine manière, complimenté Sixtine pour avoir su se retirer du jeu des faux-semblants et des stratégies sournoises et cela tourmenta quelque peu l’apprentie prêtresse. Lorsqu’elle avait réclamé cette audience auprès des responsables du Temple chargés d’accueillir les nouveaux prétendants à la charge de clerc, la brune l’avait fait dans l’intention pure et idéaliste de trouver véritablement sa place en ce monde par elle-même et non par la seule volonté implacable de son père, d’inspirer les autres comme la Trinité l’avait inspiré elle enfant, l’élevant loin de cette maison de bourgmestre où elle s’était toujours sentie étrangère, délaissée, reléguée au plus discret des boudoirs. Avait-elle également opéré un calcul stratégique rudement bien placé, ayant pris ses fonctions au Temple seulement quelques semaines avant que les DeConques ne soient jetés à la rue ? Avait-elle réellement pu préparer un tel stratagème inconsciemment ? Cette perspective fit frissonner Sixtine qui se frotta distraitement les avant-bras tout en suivant du regard la main levée du Comte. A sa question, la brune resserra l’emprise de ses longs doigts fins sur ses manches.

« - Oui. Il m’arrive encore de rêver de ma mère. Elle aussi a rejoint le domaine céleste d'Anür. Pas ce soir-là… après. Dévorée par la terreur. »

La novice prit une longue, lente et profonde inspiration qui dilata ses narines et la força à se redresser, rejetant en arrière ses épaules qui s’étaient lentement affaissées au fil de la discussion. L’air neuf emplissait ses poumons et aérait son esprit, lui permettant de ne pas céder aux larmes qui l’avaient longtemps assailli lorsqu’elle avait appris la terrible nouvelle de la voix blanche de Gaël voilà un an et demi en arrière. Sa mère qu’elle n’avait pas su aider, qu’elle n’avait pu réveiller, qu’elle avait abandonné à ses tourments. Sa mère qui l’avait pourtant soutenu, protégé, aimé de tout son cœur dès l'instant où elle était née. La dernière fois qu’elle l’avait vu, Sixtine avait entendu Pancrace DeConques lui hurler dessus qu’elle était une fille indigne. La novice en était assurée, mais elle ne partageait que partiellement l’avis de son père : ce n’était pas à lui qu’allait l’ignominie de son comportement mais à Flavie DeConques à qui elle avait laissé pour tout dernier contact une simple lettre avant de suivre ce qu’elle escomptait être sa voie sans un regard en arrière.

« - Je partage votre peine, Monsieur. Je suis sincèrement désolée pour votre perte. »

Le Comte de Malemort avait-il pu dire adieu à son épouse et son enfant ? Avait-il eu un dernier contact sincère, un véritable souvenir heureux à chérir ? Avait-il reçu des condoléances dignes de ce nom de la part de Pancrace DeConques ou ce butor n’avait-il envoyé que pour seule missive une de ses grossières invitations à ripailler sous les balcons du castel royal ? Le haut noble avait-il seulement reçu des preuves de commisération de la part de ses pairs sachant sa proximité avec la famille honnie qui avait été jetée en pâture au Fléau ? Sixtine tenait à faire sa part et à faire part au ténébreux noble de sa réelle compassion pour l’épreuve qu’il avait eu et traversait toujours, faisant fi de son rôle d’apprentie prêtresse dans lequel elle ne se trouvait plus depuis un moment déjà.
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyJeu 9 Juin 2022 - 11:05



Les ombres des pères | Septembre 1166

À qui d’autre pouvais-je ne serait-ce qu’évoquer leur disparition ? Nombreux étaient ceux à avoir appris l’affreuse nouvelle, et sans doute à s’en gausser, me faisant payer mes affiliations qui, j’en suis toujours convaincu, étaient celles à maintenir. N’avais-je pas participé, par mon soutien indéfectible aux Sarosse, à ces railleries ouvertes, ces tentatives infructueuses de faire fléchir les Sylvrur, peut-être même définitivement ? Ce n’était à mes yeux pas assez pour justifier que l’on sape ma lignée, ni même la leur, tandis que s’écrasait contre nos portes l’ignominie fangeuse et ses ouailles visqueuses, à l’effigie de tous ceux ayant péri sous les crocs infâmes de leurs pairs tombés avant eux. Cyras, le patriarche Sarosse, n’avait pas moins de qualités qu’il n’avait de défauts, et s’il était assurément de ces hommes à ne point flancher en dépit du danger, sa fierté écrasée devant Sigfroi était déjà une victoire significative. Lui-même n’était qu’un père, mari, frère, devant les Portes du Crépuscule outrageusement fermées, et n’aspirait qu’à une chose : protéger les siens de l’apostasie de ces morts revenus à la vie sous l’effet d’un étrange sortilège. Et ce droit, fondamental, lui a été arraché à la force des griffes, tout autant que l’on a ôté le droit de vivre à ce fils en passe de connaître l’un des instants les plus majeurs de son existence.

La rage comprimait mon estomac, cerclait ses paumes brûlantes autour de mes tempes, et avait l’espace d’un instant occulté les magistrales statues divines et asséché les perles fragiles en rang d’Ognon à l’orée de mes cils. Je m’en venais frotter mes paupières sous la pulpe de mes doigts, comme tentant d’affadir le feu de mes prunelles bouillonnantes. Ce n’était ni le moment, ni l’endroit.

Ainsi, la jeune Sixtine avait aussi perdu sa mère des suites de cette tragédie. Quelque chose me semblait familier dans tout ce palmarès d’horreurs, un souvenir persistant venant gratter ma boîte crânienne pour se manifester plus clairement. Un nom dissimulé, peut-être entaché de scandale ou de honte, deux frères ayant péri ce même soir, un parent éploré jusqu’au trépas, un père banneret, et ces iris gris acier qui s’imprimaient dans ma rétine comme une brûlure solaire…

…Je me souviens de vous.

Pancrace DeConques. Ce médiocre petit cancrelat n’avait eu de cesse de harceler mon serviteur afin de m’inviter à ses banquets débordant de désespoir et de rage, non pas à l’idée d’avoir laissé derrière lui deux fils dans l’affaire, mais d’avoir perdu par ce biais un levier social des plus importants. Cyras, dans sa grande mansuétude, avait accepté d’accueillir la fratrie à son service car, estimait-il, il n’était pas au fils de payer en lieu et place du père. Mais l’insistance de ce dernier avait été un sujet de raillerie auquel je m’adonnais dès lors, tant il était primordial pour ce parasite d’être un pion indispensable sur l’échiquier au détriment de toute noblesse d’âme. Et le cataclysme avait fait voler en éclats toutes ses aspirations et médiocres ambitions, au point de se vautrer dans le stupre et le vin. Je me souvins ses ridicules invitations dégoulinantes d’hypocrisie, chaque nouvelle semaine était un nouveau bain de foules et de festins pour noyer son rôle pourtant honorable de banneret, auquel il n’a jamais prêté la moindre once de respect.

Néanmoins, de la même façon que feu mon cher ami me l’avait tant répété, il n’était pas à cette jeune femme de souffrir les erreurs grossières de son rustre père. Il me semblait même bien plus honorable d’abandonner ses privilèges au profit d’une vie ascète de prêtre, que de s’accrocher à ses lettres comme un crustacé à la coque d’un navire.

Les occasions m’ont manqué plus d’une fois, mais je vous adresse aujourd’hui mes condoléances, en le nom de ceux qui eurent la décence d’être touchés par cet évènement. Tout autant que les vôtres sont appréciées à leur juste valeur.

Lui renvoyais-je solennellement, le faciès tout juste décalé de côté pour apercevoir cette auréole flamboyante d’un rai du soleil couchant autour des épaules de l’apprentie prêtresse. Car l’heure filait encore, et le Temple s’enveloppait d’une aura mystique que ces vieux bigots m’auraient reproché de comparer à des enluminures païennes.

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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: Les ombres des pères.   Les ombres des pères. EmptyVen 10 Juin 2022 - 0:09
Lorsque Sixtine crut voir le Comte de Malemort essuyer son visage, elle ressentit un peu plus vivement cette tristesse qui lui avait amené à présenter ses tardives mais véritablement sincères condoléances au grand dos noir qui se dressait à sa diagonale. Pourtant, il suffit de cinq mots soufflés d'une voix rauque pour faire immédiatement redescendre cette chaleur qui avait enserré son cœur, celle que l'on ressentait lorsque l'on rencontrait quelqu'un partageant la même peine que soi. En un instant, la novice sentit le sang fuir ses tempes, ses pommettes et ses mains dont elle crut voir les doigts presque blanchir à vue d'œil. En avait-elle trop dit, elle qui s'imaginait que sa famille, son nom et son visage étaient bien trop anecdotiques pour rester ancrer dans la mémoire d'un haut noble ? Avait-elle pêché par orgueil et jeu en distillant ainsi des informations sur son passé tout en se gardant bien d'affirmer son ascendance noble ? Les yeux de nouveau vissés à ses genoux, la mâchoire serrée de contrariété, Sixtine resta muette, émue par ce qu'elle imaginait être sa propre bêtise.

Le Comte de Malemort disait-il la vérité ? Avait-il réellement fait le lien entre elle et Pancrace DeConques ? L'endeuillé n'en démontra pourtant rien de flagrant, omettant comme ils le faisaient tout deux depuis le début de leurs échanges les détails trop précis, trop brûlants et trop pénibles qu'il se fallait taire pour ne pas risquer la potence. Lorsque l'ombre hirsute parla de nouveau, Sixtine sentit immédiatement la chaleur revenir, remonter le long de son cou, grimper sur ses pommettes et lui piquer les yeux. La jeune femme entrelaça ses doigts et serra fortement sa prise, le poing ainsi formé reposant sur ses cuisses. Le menton toujours penché vers l'avant, la novice inspira à plusieurs reprises afin de maîtriser les larmes qui menaçaient de déborder de ses longs cils noirs.

« - Merci, Monsieur » parvint-elle difficilement à articuler après avoir dégluti un honteux trémolo qui avait menacé de faire trembler sa voix.

Il n'y avait eu personne pour s'enquérir de l'effet que l'abandon et la perte de sa mère avait eu sur son esprit et son âme. Sixtine avait pu prendre un peu de temps pour la pleurer aux côtés de son frère et certains prêtres responsables ayant appris la nouvelle lui avait signifié leur soutien ; cependant, rien n'était comparable à cette reconnaissance dont le Comte de Malemort la gratifiait en l'instant, celle d'un survivant de l'horreur de l'affaire De Sarosse dans laquelle elle s'était retrouvée mêlée malgré elle, malgré son désir de paix et d'indépendance et dans laquelle sa famille avait été anéanti. Au-delà de cela, si le haut noble l'avait bel et bien reconnu comme il l'avait indiqué tantôt, il ne semblait pas tenir rigueur de sa filiation déshonorante avec Pancrace DeConques et, cela, la brune le pensait impossible. Était-ce les Dieux qui lui faisaient grâce d'un peu de compassion malgré toutes ses erreurs ?

Contenant autant que faire se peut son émotion, Sixtine perçut du mouvement de l'autre côté de la chapelle : le prêtre de Serus qui les avait lorgné quelques instants plus tôt était de retour et se dirigeait vers l'entrée du Temple, suivant de près un fidèle qui était sorti de l'allée menant aux thermes.

« - Je crains qu'il ne vous faille bientôt partir. Les portes vont être fermées. »

D'un geste distrait, l'apprentie prêtresse délia ses longs doigts fins légèrement ankylosés par la pression qu'elle avait exercé dessus pour contenir ses larmes et se frotta le bout du nez, relevant ses yeux brillants sur la crinière indisciplinée qui couvrait la nuque du Comte. S'éterniser pouvait lui causer des ennuis et la jeune femme n'avait pas l'intention de le retenir davantage, quand bien même ses mots lui avaient mis du baume au cœur.
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