Marbrume


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 Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)

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Anton GunofBoucher
Anton Gunof



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MessageSujet: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyLun 25 Jan 2016 - 10:03
Alors le docteur serait mort, hé ?

Impossible. Impossible !

Le gamin qui lui avait rapporté cette nouvelle en jurait mordicus jusqu’à ce que le milicien, particulièrement colère, gronda fort que non, c’était impossible. Impossible ! Le petit espion avait ensuite modifié sa version, en disant que lui n’avait pas vu ce chirurgien-barbier, et personne dans la bibliothèque ne l’avait aperçu depuis des semaines, voire des mois. Que s’il n’était pas mort, en tout cas il était ailleurs !

Anton avait secoué le pauvre garçon qui n’en démordit pourtant pas : non, il ne le prenait pas en bateau, si, il était allé à la grande bibliothèque, et toute l’après-midi durant, juré de chez juré. Il n’était ni filou, ni coquin, ni pendard, il l’avait mérité sa pièce, il s’était mis en bouche avec tous les métèques qu’abritait le grand Temple, il avait même parcouru les thermes sacrés, payant de sa mince bourse, dans l’espoir d’y trouver ce fameux chirurgien-barbier qu’Anton cherchait par monts et par vaux. C’était la vérité vraie, il avait foutu le camp, le docteur à Gunof, il s’était volatilisé dans les bûchers ou s’était établi ailleurs. En tout cas, il n’était plus à la grande bibliothèque ni au grand temple, vrai de vrai.

Impossible. Impossible !

Impossible pas tant parce que ce barbier était au dessus des contingences de l’époque ou exempté des maux qui affligeaient le reste de la populace. Plausible qu’il ait avalé sa chique pendant l’hiver, affaibli par la faim et conclu par le froid ; probable même qu’un mordeur ou des écorcheurs lui aient fait la peau, et que son cadavre jonchât une allée souterraine, dissimulé sous un amas de détritus. Impossible parce que le garde Gunof n’en pouvait plus de cette dent qui lui arrachait les pires souffrances depuis des jours, qui le harcelait d’une douleur sourde et continue.

Les barbiers et chirurgiens étaient prisés ces derniers temps. Leur activité, et la disparition de bon nombre de leurs confrères, était florissante, et la seule chose dont ils pussent se plaindre était la concurrence déloyale que leur faisait une horde toujours plus considérable de charlatans venus parasiter la profession, attirés qu’ils étaient par l’odeur du denier vite acquis. Anton avait cru trouver la parade avec ce métèque de chirurgien, une sorte de moine défroqué d’une grande sapience et avec une main sûre, qui, poussé hors de ses pénates lors du début de la fin du monde, avait décidé de pratiquer ses talents à la grande bibliothèque, au milieu des poules et des enfants et des malades. Il avait déjà opéré l’Anton avec succès, et une de ses prémolaires d’or massif en témoignait, et ce dans des délais frôlant le ridicule. Le gars était habile, rapide, peu cher. Mais mort.

Impossible.

Anton enfourailla ses lames et enfila son plus beau gilet avant de sortir de son foyer, bien décidé à en avoir le cœur net. Après trois rues, il était devant le grand temple, qu’il contempla un instant avant que son mal de dent ne le presse d’entamer son enquête. Bientôt, le voilà se frayant un chemin au travers des enfants perdus de la bibliothèque.

« Docteur ? Docteur ! Docteur Zahnklempner ?! »
Au milieu de la cohue qu’était devenue la librairie, il n’y eut aucune réaction. Les étagères des livres restaient impavides, et la foule de crotteux indifférente au milicien, qui décida d’opter pour une autre tactique. « Qui a faim céans ? Une demi-livre de bon épeautre à qui me renseignera ! »
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyLun 25 Jan 2016 - 14:27
Ça va pas, Maman ?
Ne t'en fait pas Maël. Ça va aller.

Serrant son enfant dans les bras, la jeune femme accroupie pour être à sa hauteur déposa ses lèvres sur son front d'une pâleur atroce. Elle revenait à peine de sa journée et c'était la peur au ventre qu'elle était toujours de retour. Elle craignait qu'il ne soit plus là. Disparu. Envolé. Un petit oisillon tombé du nid.

Je vois bien que tu es triste, Maman. C'est à cause de moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
Mais non, petit ange. Ce n'est pas toi. Maman a eu une longue journée.

En tant que scribe publique, la lettrée n'avait pas forcément un travail des plus reposant, même s'il n'était pas assez physique pour l'épuiser, il fallait écouter les gens, les calmer, et répondre le plus promptement à leur demande. Certain ne parlait même pas sa langue natale. Il fallait qu'elle traduise. Et pour compléter le maigre salaire qu'elle recevait, elle avait l'habitude d'aller à la bibliothèque pour travailler avec quelques hommes de sciences qui requinqueraient ses services.

Parmi eux, un vieil homme qui venait de l'Est et qui avait encore du mal avec le dialecte de Marbrume. Chirurgien-barbier de profession, il avait l'habitude de payer la jeune femme pour qu'elle lui traduise des vieux manuel d'anatomie. Souvent, elle se chargeait aussi de lui faire réviser ses conjugaisons et son vocabulaire de la langue que l'on parlait ici.

Lui non plus ne la rémunérait point gracieusement. Néanmoins, partager des instants avec cet homme de science, aussi curieux qu'elle à propos des lois de la nature qui régissaient le bon fonctionnement de la vie. En un mois de visites régulière, elle avait autant appris de lui qu'il s'était enrichi auprès de ce bout de fille qui perdait son temps à vendre sa plume.

Il officiait à la bibliothèque et opérait parfois. Les miliciens comme les truands et les putains. Méticuleux et consciencieux et appliqué, il opérait du mieux qu'il pouvait au sein même de la Grande Bibliothèque et était particulièrement recherché et demandé. Même s'il avait peur et tant bien même lui mettait on la pression, il usait du scalpel avec une précision insoupçonnée pour un homme de son âge. D'habitude, avec ce nombre de cheveux blancs, les mains des hommes commencent à trembler dangereusement...

La jeune femme avait apprécié cet homme qui glissait l'or qu'il lui devait avec la douceur d'un grand père dans le creux de sa main.

Maman, je vois bien que... 'Fin tu sais, tu as cette ride sur ton front comme les jours où quelque chose tourbillonne dans ta tête. Je sais pas comment dire...

Pourtant, l'enfant expliquait très bien.

Il avait raison. Aujourd'hui des brutes étaient venus s'en prendre au vieux chirurgien-barbier. Ils l'avaient attrapé par le col et tiré dehors et plaqué contre un mur et passé un couteau sous la gorge avant que lui aboyer dessus. Ils l'avaient insulté. Il l'avaient traîné et bousculé et ne l'avait pas ménagé en lui crachant un lot d'injures au milieu duquel il avait peine à articuler la véritable raison de leur venue : le meneur de leur petite bande de tueurs stipendiés avait succombé à ses blessures. Ça arrive. La faute à pas de chance ; à la fatalité.

Toutefois, les deux rustres avaient continué de matraquer le pauvre homme qui peinait à comprendre ce qu'il lui arrivait, ne parvenant pas à discerner les mots qui lui étaient adressés. Roulé en boule par terre, il répétait qu'il ne comprenait pas, qu'il était désolé... Mais on lui mettait des coups de botte dans la panse et l'air lui manqua pour assurer son plaidoyer.

C'était à cet instant que l'érudite était venue et l'avait trouvé ainsi, vautré sur le sol dans la petite impasse qui longeait le flanc droit de la Grande Bibliothèque. Aussitôt, elle s'était interposé cherchant à ce qu'on lui explique le problème. On la bouscula alors qu'elle répondait aux questions que parvenait à peine à articuler le chirurgien-barbier sur le sol dans sa langue maternel. Elle essaya de le défendre, de dire que le vieux docteur n'y était pour rien, qu'ils devaient le laisser... Mais comment pouvait-elle se changer en un bouclier, elle qui ne pesait rien contre ces délinquants irraisonnés et irraisonnables ?

On lui avait tordu les bras dans le dos et mis une main sur la bouche pour qu'elle arrête de crier son dégoût et sa peur et son indignation à la ville entière. Et impuissante, elle vit comment les hommes piétinèrent l'étranger jusqu'à ce que le corps du vieil homme arrête de se contracter à chaque heurt et demeurent immobile.

Les deux enflures s'étaient alors enfuis, leur besogne terminée. Et la jeune mère s'était agenouillée devant le corps de son employeur, abattue. Une larme avait roulé sur son jeune visage. Non, malgré tout ce qu'elle avait traversé, elle ne s'habituait toujours pas à la cruauté humaine.

Avec ce qu'elle trouva dans la bourse du vieux chirurgien, elle avait payé des porteurs pour qu'on amène la dépouille commotionnée jusqu'au cimetière de Marbrume où on entrerait tous les jours des inconnus. Elle donna aussi de l'argent pour que le corps soit jeté dans la fausse commune.

Au fond, la vie était d'une ironie amère. Comme elle, le vieillard qui tenait son office au sein de la Bibliothèque avait traversé un monde secoué par les Fangeux, sauvé sa peau de tant de périples tous plus périlleux les uns que les autres. Et il on le tua à Marbrume. Car Marbrume était un cimetière à ciel ouvert. Les occupants de ces lieux, des hommes qui n'avaient perdu leur part d'humanité, étaient largement responsables de ce carnages. Bien plus que la faim et la maladie.

La tuerait-on un jour et finirait-elle aussi dans ce trou le corps posé sur tous ses membres d'anonymes enchevêtrés ? En ultime présent, la lettré se permit de prendre une petite plaquette de bois sur laquelle elle inscrit en belles lettres calligraphiées « Docteur Zahnklempner ». Pas d'épitaphe : elle n'en eut pas le temps.

La mère se força à sourire à son enfant et elle le serra encore plus fort contre elle, comme si elle était morte aujourd'hui avec le chirurgien-barbier et qu'elle agissait comme il n'avait pas eu le temps de le faire. Ensuite, elle glissa dans sa petite main un morceau de pain dans lequel elle avait fourré une pâte de coing qu'elle avait payé assez cher avec le reste de la bourse de celui qu'elle avait considéré comme son confrère même s'il avait été bien plus sage qu'elle. On lui avait vendue la petite pomme qu'elle tenait dans sa poche et qu'ils devraient partager en deux à un prix exorbitant également.

Tu sais, Maël, tant que je rentre et voit ta petite bouille, tout va bien, elle murmura tout bas. Tu me fais la grimace du castor ?

Comme cela amusait l'enfant, il gonfla ses joues creuses d'air et, imitant le petit animal bâtisseur, laissa dépasser sur sa lèvre inférieure ses deux incisives. Des dents de lait qui bougeaient et qu'il ne tarderait sûrement pas à perdre. Ils rirent tous les deux de bon cœur avant qu'elle ne lui propose de s'asseoir sur le lit pour qu'ils mangent ensemble, dégustant avec lenteur leur maigre repas. La vie continuait. Coûte que coûte. Ils devront compter sur une entrée d'argent en moins, en outre.

L'enfant avait maigri. Cela sautait aux yeux comme une évidence. Et cela fendait le tendre cœur de la jeune mère impuissante.

Tu veux sortir cette nuit, mon garçon ? lui proposa-t-elle en essayant de sourire.

Et le visage de l'enfant s'illumina d'un sourire si touchant qu'on ne vit même plus ses pommettes creusées par la pauvreté.

Comme ils ne pouvaient pas le faire le jour, ils attendraient que le jour se couche définitivement et comme la nuit devait être noire, l'enfant pourrait parcourir la ville sous la surveillance de sa mère sans craindre de fondre au Soleil. Car tel était la malédiction de l'enfant. Et cela ne les empêcha pas de jouer au Loup dans les rues les plus sûres de Marbrume.

Les dormeurs au sommeil le plus léger se firent sûrement réveiller par un rire d'enfant qui tintait comme du cristal, cette nuit là.

Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) Separator

Puisqu'elle avait profité du bonheur de son enfant, la jeune mère n'avait pas dormi de la nuit. Mais il fallait travailler et gagner son pécule pour se nourir. Exténuée, elle se rendit à la Grande-Bibliothèque pour récupérer les biens de l'homme qui avait passé l'arme à gauche le jour d'avant. Elle ne connaissait à ce vieillard venu d'ailleurs aucune famille, mais dans l'hypothèse où il en eut une, elle voulait s'occuper elle-même et honnêtement de transmettre à celle-ci ses effets personnels.

En tout et pour tout, il n'avait plus que sa trousse de chirurgien qu'il cachait astucieusement dans une petite cavité causé par la différence de hauteur des tranches de manuscrits d'une étagère tenue à l'abri des regards.

Soupesant dans sa main le contenu assez lourd de l'enveloppe en cuir, elle tendit l'oreille, entendant dans la cohue une exhortation qui retint son attention :

Docteur ? Docteur ! Docteur Zahnklempner ?!

Une voix d'homme qui sonnait fort. Elle leva le nez, ne voyant pas qui appelait. En fait, elle crut simplement que sa cervelle, lui faisait des tours, que personne n'avait jamais appeler puisqu'elle n'entendait plus rien. Rapidement, elle vérifia l'intérieur de la trousse avant de partir pour exercer son travail et tenter de gagner un maigre pécule.

Puis, on lança à l'attention de l'assemblée ici massée :

Qui a faim céans ? Une demi-livre de bon épeautre à qui me renseignera !

L'érudite qui n'avait pas vu la personne qui appelait dans la librairie fut très vite informée : comme un essaim d'abeille effarouchèrent, nombreux furent ceux qui fondirent vers l'inconnu. C'était la ruée vers l'or. Tout le monde s'approcha, se vantant de mieux savoir que les autres, qu'il avait raison et que, non, le docteur avait un mal de cœur, tonnant que, non, il était en fait parti au bras d'une colombe tâchée des bas quartiers, aboyant que s'il ne le trouvait pas c'était parce que le nom qu'il cherchait n'était plus qu'un cadavre, crevé sur le bord du chemin, le nez dans le caniveaux. Et la jeune femme le savait, c'était ces derniers qui avaient le plus raison.

Prenant un peu de hauteur en grimpant sur les premières marches de l'escalier, la jeune femme scruta l'homme qui était à la recherche de son ancien employeur. Un milicien solide. Une carrure impressionnante. Les épaules larges et la trogne balafrée. Avec une étoffe fine qui contrastait énormément avec son allure de garde.

Elle ne le connaissait pas et ne l'avait jamais vu dans les parages. Toutefois, il était de son devoir de lui donner la vérité qu'il cherchait. En plus, il payait ceci plutôt admirablement. Pour une fois, la ventraille et la tête de la lettrée approuvaient tous les deux l'accord selon lequel il fallait donner son dû à cet inconnu. Tant bien même son visage ne dégageait rien de rassurant.

Patiente, la jeune femme attendit dehors que l'homme laisse se dissiper la troupe de charlatants. Adossée à une colonne, elle lui jeta lorsqu'il fit quelques pas dehors pour attirer son attention :

L'homme que vous cherchez, monsieur, n'est plus. Si vous voulez le retrouver à tout prix, il faudra écumer la fausse commune. Je me suis assurée que ses restes soient emmener ici.

La voix de la femme ne tremblait d'aucune émotion et pourtant, il était évident qu'elle ne parlait pas pour ne rien dire. Elle se dressait timidement devant l'inconnu, prête à tenir palabre, le regard tout de même fuyant parce qu'ainsi était sa nature chétive.

Et une seule question la taraudait : Partirait-il sans lui donner son dû, maintenant qu'il tenait l'information qu'il voulait sans avoir l'obligation de faire preuve d'honnêteté ?
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Anton GunofBoucher
Anton Gunof



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyLun 25 Jan 2016 - 15:52
« Tu les as pas les grains. »
« Un peu que je les ai ! »
« Moi, seigneur, moi je peux t’indiquer, je le connais fort bien, votre ladre ! » « Non moi, messire, on était comme cul et chemise. » « Comment, ‘était’, moi je le sais vivant, votre docteur, et puis vous y mener, vrai de vrai ! » « Mais il a pas ce qu’il prétend qu’il a, les amis. » « Oh toi le métèque, hein, on ne te demande pas le temps qu’il fait ! » « Mort, messire, mort et brûlé, qu’il est, votre médicastre, j’ai vu son bûcher comme je voye vous, l’ami, je vous y mène quand on aura vu le bon grain d’épeautre. »


Ca voletait autour de lui, ça criait, ça jappait, ça questionnait. Il aurait bien voulu donné la réplique à tous et chacun, mais ce brouhaha incontrôlable lui donnait la migraine plus qu’autre chose. Il écarta une main qui lui saisissait le bras, les voix se faisaient toujours plus proches et plus bruyantes. Sa dent enragée, pour couronner le tout, se ranimait, décidée à ajouter à l’inconfort de cette foule qui le sollicitait avec une bonne dose de douleur. « Cà ! Cà ! Baste, fieffés menteurs ! » Il écartait d’un bras la masse qui grouillait, l’autre main sur sa joue, qu’il massait vigoureusement. Les grognements du riche homme semblèrent avoir raison d’une bonne partie des gens qui savaient, et la rumeur qui disait qu’il promettait chose qu’il ne pouvait délivrer finit par refroidir la majorité, qui s’intéressa à un autre inconnu qui entra dans la bibliothèque et semblait encore plus riche qu’Anton.

Libéré de la valetaille pour un court répit, notre milicien en civil fit quelques pas loin de la harde, essayant de tirer des nombreuses anecdotes celles qui semblaient les plus probables quant au sort du docteur. Une voix l’alpagua. Il y avait des intonations soignées dans ses phrases, lesquelles étaient construites avec structure. Un léger accent semblait faire rouler la voix. Une métèque. Du sud ou de l’ouest. Et une métèque d’une certaine catégorie. Il reporta son regard agacé par les sollicitations et ses chicots vers la source de cette énième déclaration, pas vraiment intrigué parce qu’elle disait, mais plus comment elle disait.

L’azur du regard, clair comme un ru, était dans un visage régulier et agréable. Baisable, pensa immédiatement le soudard avant qu’il ne déshabille le physique de la jeune femme d’une œillade prolongée. Elle était habillée avec goût, mais d’oripeaux usés, et à mesure qu’il laissait dégouliner ses yeux noirs sur son corps, il constata la maigreur de la pouliche. Remonté au visage, son esprit libidineux même ne put que constater ce côté tout-en-os qui le caractérisait. Elle n’a pas l’air de coûter cher en pain celle-là, pensa-t-il, mais elle est trop malingre pour être malhonnête. M’enfin…

« Où ? Quand ? » lui dit-il laconiquement d’une voix pressante et sèche. Déjà il était en train de se désintéresser, ou en faisait mine, laissant son regard aller dans le vague pendant qu’il massait sa mâchoire d’une humeur massacrante.
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyLun 25 Jan 2016 - 16:44
Il la détailla de haut en bas comme on évalue une pièce de viande. La femme avec le temps commençait à s'habituer à ce qu'on la regarde ainsi avant de voir le dégoût de la gente masculine quand elle s'attardait enfin sur sa maigreur atroce et répugnante.

Où ? Quand ? grogna-t-il presque en posant la main à sa mâchoire.

Il ne la regardait déjà plus, concentré sur autre chose. Prêt à fuir comme il avait fui le reste des pédants. L'érudite prit une profonde inspiration avant de répondre d'une voix toujours aussi platonique qui ne trahissait aucune émotion contrairement à son corps qui tremblait un peu :

Hier. Juste derrière moi. Deux hommes sont venus pour le coincer dans la petite rue, celle où vous voyez un mendiant implorer son reste, à l'angle.

Elle avait parlé sans regarder derrière elle parce qu'elle savait que la venelle y était et que les miséreux sont comme des huîtres vissé à la pierre de certain édifice comme à des écueils.

Je n'ai point compris la périlleuse situation dans laquelle s'était embarqué notre bon ami. J'ai juste entendu qu'un proche des deux brutes avait quitté le plancher des vaches et s'en allait ronger les pissenlits par la racine. Il tenait le mire pour responsable. Et voilà toute la finalité de l'histoire : ils l'ont roué de coups jusqu'à ce que le docteur cesse de bouger ne serait-ce que le petit doigt.

Là, sa voix s'enrailla peut-être un peu devant le souvenir douloureux du corps devenu tellement noueux car tordu de douleur. Et il y avait le bruit effroyable qu'avait fait ses côtes lorsqu'un des assassins avait fiché sa botte dans la cage thoracique du vieillard : elle avait craquée et rompue comme du petit bois sec.

Ça vous suffit ? Voulez vous en savoir d'avantage monsieur ?

Et Louise tendit la main. Un rien implorante.

Du temps où avait été la fille d'un immense constructeur naval, elle n'avait jamais eut à faire cela et c'était avec une certaine honte qu'elle s'y obligeait toujours. L'amour son enfant et le devoir de le nourrir bien plus grand que son égo personnel.

Une demi-livre d’épeautre, ce n'était rien au fond... Mais pour son ventre hurlant famine, c'était un don du ciel, presque inespéré. Si la savante avait cru en l'existence d'une quelconque identité divine omnisciente et juste, elle aurait fortement prié à cet instant pour que l'offre de l'inconnu ne fut pas que du vent.

Avant qu'il n'ai accédé à sa requête silencieuse, elle se permit enfin de se risquer à le questionner avec la politesse issue de sa belle éducation :

Je peux vous demander pourquoi vous cherchiez le sieur Zahnklempner ?

Elle baissa à nouveau les yeux de peur de croiser son regard pendant qu'il l'enverrait copieusement paître. Car, au fond, la jeune femme avait perdu l'illusion d'un monde où un homme tend une maigre pitance à une fille qu'il ne connaît guère en répondant à sa question audacieuse. La prendrait-il pour une intrusion personnelle ou comme une simple marque d'intérêt parfaitement altruiste ? Quoi qu'il en soit, la savante restait de marbre, toujours adossée contre le marbre d'une colonne qui soutenait la devanture de la Grande-Bibliothèque de Marbrume.


Dernière édition par Louise Ochaison le Mar 26 Jan 2016 - 14:37, édité 1 fois
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Anton GunofBoucher
Anton Gunof



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyMar 26 Jan 2016 - 12:27
Passé à tabac ? Hier ? Les nouvelles étaient trop mauvaises pour qu’elles ne fussent vraies, et Anton, à entendre le récit de la maigrelette, bougonna en soufflant furieusement. La voix, calme, de la métèque fut bousculée par l’émotion quand elle lui décrivit la dernière heure de l’arracheur de dents. Cela mit le doute au milicien, qui se méfiait des étrangères, qu’il soupçonnait un peu pleureuses sur les bords, pas honnêtes femmes non plus, maintenant qu’il y pensait. Il l’examina tandis qu’elle concluait son témoignage. La main qu’elle tendit dans l’espoir d’être récompensée ne trouva aucun signe de bonté. Le bougre ne semblait pas enclin à récompenser ses mots, au contraire, il s’était emmuré dans une réflexion qui paraissait énervée. Hier ? Trèvepeste ! Le cadavre avait déjà dû finir en cendres, si on l’avait enlevé la veille. C’était une des rares consignes de sûreté qu’on appliquait avec zèle.

Ca voulait aussi dire que ce garnement qu’il avait envoyé aux nouvelles ne s’était pas foulé. Celui-là ne perdrait rien pour attendre, et sa fainéantise, il la paierait d’une bonne bastonnade. Faire perdre son temps précieux à Anton, par les andouillers, pour qui se prenait cette petite raclure ? Avant qu’il ne se perde tout à fait dans le passage à tabac qu’il réserverait au gamin, il considéra une nouvelle fois la paume ouverte qui réclamait encore. Et si elle mentait, elle ? Ce jour était, après tout, néfaste, probable qu’avait la poisse qu’il se tapait, le milicien se fasse pigeonner plus d’une fois.

« Si ça me suffit, arf ! »
ricana-t-il avant que la douleur ne le reprenne. Pour ménager ses zygomatiques, il attrapa finalement la métèque et la traîna dehors, vers cette venelle dont elle avait parlé. Une fois qu’il fut assuré qu’on ne l’entendit pas, il dit en jetant des œillades derrière eux, à l’affût de quelque complice de la réfugiée : « Qui c’est qui peut corroborer ? Un témoin, pas de témoin, comme disent les robins. Qui, alors ? »

Sa dent le maltraita de nouveau, et il serra un peu plus fort le poignet de Louise en maugréant. Son regard revint à elle quand elle l’interrogea sur les raisons de sa visite au docteur. Il la trouva respectueuse, les yeux baissés sur ses jupons. Il aurait bien fustigé un bon coup l’idiotie de l’amaigrie, jeter un sarcasme sur le fait d’en être à poser une question si sotte, comme quoi les bibliothèques aidaient pas à rendre intelligent, même quand on dormait dedans. La rage qui brûlait sa mâchoire le retint cependant, et le garde se contenta d’un rictus méprisant quand il désigna sa joue, où se situait son supplice.
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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptySam 30 Jan 2016 - 18:33
Il semblait tomber des nues le pauvre homme.

Par le bras, il la guida vers l'endroit où le pauvre arracheur de dents avait été abandonné sans vie comme une épave échouée. À l'abri des regards, il voulait manifestement tenir palabre et assurer la véracité des dires de la jeune femme. Et comme un chien de rue, il guettait par dessus son épaule qu'aucun autre dogue n'accourt pour porter assistance à la pauvre érudite. Seule devant lui, elle levait un visage dur et ferme même si ses yeux hurlaient toute la pitié qu'elle réclamait.

Qui c’est qui peut corroborer ? lui cracha-t-il presque à la figure. Un témoin, pas de témoin, comme disent les robins. Qui, alors ?

Son otage fronça les sourcils pour se souvenir et allait évoquer les deux transporteurs qu'elle avait payé pour déplacer le cadavre du pauvre chirurgien-barbier, quand il referma un peu plus sa main sur son poignet. L'os qui était à peine recouvert de chair crissa presque dans sa poigne.

Et le pis, c'est qu'elle voyait que cette fois ci, l'inconnu ne voulait pas explicitement la heurtait. Quelque chose le travaillait bien plus que les questions relatives à un pauvre étranger qui officiait pour une bouchée de pain. D'un geste dédaigneux, il montra sa mâchoire.

Il avait mal. Une douleur sourde et acharnée. Une sorte de leitmotiv à la fois intense et diffus. Entêtant à l'entendre se ficher dans le crâne, oscillant sensiblement aux variations de chaud et de froid.

Vous vous fichez bien de savoir où a atterri la carcasse de notre ami commun, n'est-ce pas ? souffla la jeune femme en évitant toujours soigneusement de le regarder dans les yeux. Ce qu'il vous faut c'est quelqu'un capable de vous soulager vôtre dentition, je me trompe ?

Par curiosité, l'érudite s'autorisa à lever un peu son minois intimidé et sans paraître menaçante elle récupéra son poignet qui ne se défendait contre la carrure de l'homme. Que pouvait-elle faire contre lui ? Il la tenait, coincée dans un coin de rue et il savait qu'elle casserait au premier heurt qu'il lui infligerait.

Avec beaucoup de précaution, elle posa sa main sur la joue de l'homme. Elle le fixait prudemment pour qu'elle ne fit rien qui lui déplut dans le fond de l’œil et descendait son pouce le long de la mâchoire, se faufilant dans la barbe de l'homme en prenant soin de ne pas la tirailler et sans appuyer pour localiser le petit gonflement de la gencive à travers la joue. Là, elle savait que ça se localisait dans les dernières molaires.

Je... Je peux regarder ? elle demanda avec douceur avant de s'expliquer : Vu comme votre douleur semble vive il est probable qu'il s'agisse d'un abcès ou d'une pulpite. Les deux si vous n'êtes pas chanceux, monsieur.

L'érudite n'était ni une miresse, ni une guérisseuse, et elle n'avait jamais exercé aucun autre soin que ceux dont sa famille avait nécessité dans le passé. Ce qu'elle affirmait ici, elle l'avait probablement lu dans un livre si ce n'était pas le docteur qui lui avait déjà parlé de ces symptômes afin de l'instruire malgré elle.

Et la jeune femme avait bien retenu la leçon même si, tremblante, elle n'aurait jamais pu opérer cela.

Pourtant, piégée contre cet homme, elle sentait que son salut ne tenait que dans l'utilité qu'il aurait d'elle. Pour cela la laisserait-il partir en un morceau et en paix ?
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Anton GunofBoucher
Anton Gunof



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyMar 2 Fév 2016 - 14:22
Elle avait récupéré sa main, et ce d’une façon infiniment tendre, sans heurt ni résistance. Le mouvement avait été fluide, le message était passé, la pogne à Gunof relâcha son emprise. Le regard très clair remontai un peu sur sa gueule grognonne et s’y attarda, ce qui attira l’attention du reître. Il l’examina de nouveau, mais à la lueur du soleil. Il lui faisait peur, ça se lisait, pourtant elle releva ses doigts vers lui très lentement, ses yeux observaient précautionneusement la marche de sa main, qui alla rencontrer la mâchoire d’Anton. Lui en était toujours à fixer la jeune femme, ses yeux s’étaient adoucis. Ca faisait toujours quelque chose, une donzelle qui passait sa main dans votre barbe, caressait votre visage. Pour elle, c’était une attention médicale autrement professionnelle, le prémisse d’un premier diagnostic, pour lui, c’était l’attention d’une femme.

Je pourrais y souffler dessus que ça s’envolerait, moqua intérieurement Anton pour grimer un peu sa redécouverte de la femme. Elle était si pâle, les lignes de son physique étaient si saillantes. L’angulosité de la sous-nutrition parvenait à dissimuler un peu la régularité de ses traits mais ne l’effaçait pas. Il fallait juste faire preuve d’un peu de concentration et d’imagination pour reconstituer son ancienne beauté. L’imagination n’était pas le grand fort du gardoche, mais il se concentrait. La dureté que lui donnait la maigreur, en fait, lui enlevait peu ; elle acérait son regard limpide et imposait des formes droites et sèches d’où sourdait quelque chose de hiératique. Il avait l’impression qu’une sculpture caressait son visage, mais ses doigts longilignes et diaphanes dégageaient de la chaleur.

Ca le mettait mal à l’aise, maintenant, de la regarder avec cette mine attendrie, la sculpture, de se faire toucher par elle. Ils étaient à trois pas de chez lui, tudieu, sa femme, sa mère ou quiconque le connaissant pouvait surprendre ce long contact entre Anton et une femme. Et puis la dite femme dit quelque chose, et son ton doucereux surprit le traîne-sabre. La gaupe voulait qu’il lui ouvre la gueule comme un bourrin à un maquignon ! Et voilà qu’elle disait des mots pas possibles. D’une gifle il dégagea la main inspectrice de la maigrelette et s’embourba de nouveau dans une attitude bougonne.

« Elle est bien curieuse, la donzelle ! Et qui c’est l’homme qui lui appris des mots tels ? Son homme ? Son maître ?... Son père ? »
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyMar 2 Fév 2016 - 20:26
En tous points, ils s'opposaient drastiquement. Là où elle était frêle, il était de roc. Là où elle était amaigrie, la nourriture ne semblait pas être sa principale préoccupation. Là où elle émanait la douceur et il dégageait une violence bestiale et primaire. En somme, il était l'ours et elle était l'agneau.

À trop s'approcher du soleil, on se brûle souvent les ailes. Et l'érudite venait de s'en rappeler à ses dépends.

Elle recula, visiblement navrée. La gifle l'avait ramenée à la place qu'elle n'aurait jamais du quitter ; au fond d'elle, elle le reconnaissait avec humilité. Pourtant, nulle surprise ne comblait son regard cérulé. Comme si elle s'y attendait un peu et l'acceptait. Comme si elle le méritait. Et elle ne leva plus les yeux sur l'inconnu, se tenant malgré tout droite devant lui. Faisant un pas en arrière en signe de respect, elle se mit instinctivement à l’abri de des poignes de l'inconnu aux articulations assez robustes pour étrangler un bœuf.

Elle est bien curieuse, la donzelle ! s'indigna le milicien. Et qui c’est l’homme qui lui appris des mots tels ? Son homme ? Son maître ?... Son père ?
Il n'y a ni homme, ni maître, ni père.

Amère, ce fut tout ce qu'elle se résolut à souffler pour répondre à sa question et pour qu'il ne levât point d'avantage la main sur elle.

Ses grandes paumes, elle les regardait avec les yeux d'un cabot méfiant qui sait qu'il est périlleux de s'y frotter. En toute franchise, elle ne cherchait ni problèmes, ni injure, ni mornifles.

Plusieurs fois, elle retourna la langue dans sa bouche, cherchant une manière de formuler une excuse qui l'eût convaincue. Toutefois, elle le savait, tout ce qu'elle aurait dit n'aurait servi à rien et il l'aurait retenu contre elle. Désormais, plus une chance pour qui lui donne l'épeautre qu'il lui avait promis. Et, comme la carrure robuste et invulnérable de l'individu la dominait hargneusement, elle n'aspirer qu'à quitter l'endroit sans récupérer un hématome pour la monnaie de sa pièce.

Si elle releva la tête, ce ne fut que pour le considérer d'avantage comme un prédateur ; lui et sa stature de colosse, son costume de militaire et sa trogne balafrée. Trop apeurée pour qu'il ne se glisse la moindre haine ou lumière méprisante dans ses yeux bleu comme le fond des rivières.

Ne laissez pas ceci, ainsi, elle conseilla en parlant des tourments logés dans le creux de sa mâchoire d'ogre. Trouvez vous un autre arracheur de dents. Sinon je vous assure que ça va vous torturer un temps... Juste soignez vous.

Elle baissa les yeux, prudente. Elle déglutit et crut qu'ils s'étaient tout dit.

À nouveau, elle voulut s'enfuir. Partir loin d'ici. S'envoler, même. Tel un fantôme, elle tourna les talons le surveillant du coin de l’œil pour s'assurer qu'il ne se mettrait pas à sa chasse.

Esquissant un pas en arrière, c'était comme si elle lui demandait encore la permission comme le fond les gens courtois, les gens biens nés et les serviteurs.
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Anton GunofBoucher
Anton Gunof



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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyMer 3 Fév 2016 - 11:12
« Hé là, attends un bout, la femme ! »

Le silence de Louise avait été sa meilleure réponse ; Anton regrettait déjà la tape.

S’en voulut de sa rudesse. Elle s’était un peu écartée de lui en réaction, l’attitude mi-digne, mi-résignée. Ca faisait son petit quelque chose, d’être perçu comme un butor. Et il n’était pas si agréable que ça le quelque chose, céans. Il eut une grimace de malaise et retint un mouvement en avant, dans sa direction, et c’est l’image d’être rétréci au portrait d’un ogre vorace qui l’empêcha. Elle se défiait de lui, ça suintait pas de son corps non plus, mais on pouvait le subodorer sans mal. Ca se dégageait en faisant une impression subtile sur Anton, comme auparavant, en imprimant quelque chose de supérieur, d’un peu gracile, dans les mouvements de la biche en détresse. C’était la lenteur des gestes ? Il en aurait pas su dire. Mais ça lui parlait, ça invoquait des choses qu’il ne pouvait pas formuler ou conceptualiser mais ressentait au fond. Elle avait quelque chose des bonnes filles des bourgeois, ces petits objets délicats, bibelots bien-beaux bien-sages.

Elle faisait, en un mot, fille honnête.

Honnête fille d’honnêtes gens, sans protecteur ni foyer, qui baissait les yeux devant un étranger comme un agneau résigné, agrippé par la main du boucher, impuissant le sachant. Bibelot bringuebalé, qu’elle était, la pitoyable petite. Un beau blé blond d’autrefois rabaissé à fétu de paille. Je pourrais y souffler dessus…, se répéta le reître un peu apitoyé comme elle avait le regard baissé sur ses pognes. Il la considérait tout le temps, ne la lâchait pas des yeux, et le bleu des siens vinrent lui répondre enfin, toujours avec cette lueur de crainte respectueuse qui la caractérisait depuis l’incident de la gifle. Elle lui souhaita bon rétablissement et détourna de nouveau le regard, la gorge d’Anton se serra, et ils déglutirent de conserve. Elle l’enjoignit de lui donner son congé sans demander son reste, sans le dire, et lui ne sut pas trop s’il devait y lire, dans ce retrait fort urbain, du mépris ou de la simple peur. Dans tous les cas, il eut un nouvel élan de commisération pour la jeune femme.

« Hé là, attends un bout, la femme ! »

La voix commandait, mais moins, elle réclamait un peu, même. Il ne fit pas un pas dans son sens, même s’il avait levé le bras et ouvrait la paume pour capter son attention comme s’il arrêtait un cheval terrorisé. Ca lui releva son regard bleu d’un coup. Il eut un court soupir agacé. Ses dents le harcelaient, mais il était focalisé sur le spectacle de cette pauvre fille. « Huff… Je t’y veux pas de mal, parole. » La suite de la conversation le fit hésiter, il tourna la tête dans tous les sens, à l’affut, puis se recula un peu dans un renfoncement qui devait le cacher des yeux de la rue principale. Il fit un petit signe à la fille, qu’elle s’approche, avec un souffle qui grognait un peu d’avoir à le préciser. Quand elle osa quelques pas vers lui, il reprit d’une voix posée, à l’ombre d’un recoin. « C’est comment qu’on la nomme ? T’as faim ? Crévieu, merdre, bien sûr que t’as faim, t’as que les os. Tu connais-y nulconque dans la ville, c’est sûr. » Tu fais la putain un peu quand même ? voulut-il ajouter, curieux qu’il était de savoir de quoi vivait cet ossuaire fait réfugiée, mais il s’en garda. Ca n’allait pas avec la gueule qui tirait, comme ridée par un soupçon d’inquiétude.
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MessageSujet: Re: Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction)   Ecclesia abhorret a sanguine (titre en construction) EmptyLun 11 Avr 2016 - 11:20
Il avait choisi qu'il n'en avait pas fini avec elle et l'érudite ne savait pas si cela tenait du miracle ou de la tragédie. Il la retint, levant la main pour qu'elle lève les yeux. Elle s'en voulut pour ce détail, elle qui détestait qu'on ne daigne soutenir son regard ne parvenait pas à effleurer la rétine de l'homme.

Il jura qu'il ne lui souhaitait point de mal. La jeune femme hocha la tête, émettant quelques doutes parce qu'elle n'avait pas la prétention de prévenir les intentions du militaire. À Marbrume, c'était folie de penser qu'accorder sa confiance était aussi anodin qu'un sourire dans la rue. Pourtant, elle y était contrainte par instinct de survie. Dans les plis du vêtement de cet homme, on y lisait une certaine opulence – quoique tout fut un brin relatif ici. Quand il recula elle s'approcha :

C’est comment qu’on la nomme ? lui souffla-t-il. T’as faim ? Crévieu, merdre, bien sûr que t’as faim, t’as que les os. Tu connais-y nulconque dans la ville, c’est sûr.

Trop de questions à la fois. Et beaucoup dont elle se doutait que la réponse lui importait au moins autant qu'une cigogne planquée dans le clocher du Temple avec le mal de dent qui rongeait ses molaires. Par principe, la lettrée se résolut à répondre à la première.

Ochaison. Comme la flotte.

Pas la peine de préciser plus que son patronyme : au fond, elle savait que cela n'était qu'illusoire et qu'il l'égarerait tout aussi vite qu'ils se perdraient de vue. De toute manière, le malingre bout de femme n'avait déjà presque plus de nom. Marbrume l'avait avalé dans la précarité de ses venelles avec les autres noms des réfugiés échoués ici. Dans le dernier repart de l'humanité, il n'y avait plus grand chose d'humain et l'identité n'existait plus.

Même son nom, celui qu'avait porté son père avant elle, celui que portait aussi son frère s'il était toujours en vie et celui que porterait son fils parce qu'il aurait été déraisonnable de lui laisser celui de son père dans quelconque contrée doté d'une administration, ce nom là, Ochaison, ne voulait plus rien dire. Pas habitude, elle disait qu'il était associé à une maison qui avait un jour bâti les bateaux les plus robustes du monde connu ; mais tout ça n'avait plus de sens aujourd'hui que les dernier hérités ressemblaient déjà à des cadavres qui mourront trop loin de l'océan.

Par méfiance, elle n'osa pas lui demander le sien. Cela aurait pu être pris pour une effronterie. Et la bienséance aurait imposé qu'il le lui donnât en retour. Cependant, avec tout le mépris qu'il lui portait, elle n'aurait pas fondamentalement misé sur le fait qu'il se plie aux exigences de la politesse.

Ah si, une chose la fit sourire : avait-elle faim ? Elle aurait presque cru de circonstance d'afficher un sourire ironiquement. Depuis qu'elle était à Marbrume, les jours où elle n'avait pas souffert de ce grand vide dans le creux de son estomac se comptaient sur les doigts d'une main. Gagner sa pitance demandait tous les jours un effort surhumain pour qui vendait simplement quelques mots griffonnés sur des bouts de papiers à l'intentions des hypothétiques survivants de l'extérieur. Jamais elle n'avait eu idée de vendre plus : tant bien même elle aurait voulu marchander son corps, elle n'aurait pas su comment faire. Il fallait être jolie, avoir des formes et de la chair. Et son intégrité valait mieux que quelques pièces pour de la farine.

Et comme elle était mère, elle devait aussi être héroïne. La ritournelle du sacrifice marquait toutes ses journées et ses repas. Tout ce qu'elle obtenait elle le donnait à l'enfant comme elle aurait préféré savoir tous les ventres des petits anges plus plein que le sien.

Et ce qu'il y a de terrible avec la faim, c'est elle vous obsède. Quand elle se sentait plus vide que vide, sa tête était plus pleine que pleine, occupée par cette idée et par nulle autre. L'esprit se ruine jusqu'à la folie qui oblige les plus pauvres au meurtre ou celle qui a autrefois guidé des soldats à manger la viande refroidie de leur semblables.

Sans partir dans ces extrêmes, oui, la savante avait faim. De savoir mais plus encore d'aliments.

Heureusement pour elle, le rustre paraissait doué de raison. À trop la frôler du regard, il avait compris de quel maux elle soufflait le plus : les os proéminents de sa carrure fluette parlaient pour elle. Elle l'entendait avec un peu de honte.

Comme il avait fait les questions et les réponses, elle ne savait quoi ajouter et soutenait son regard jusqu'à ce qu'il se décide à lui dire ce qu'il attendait vraiment d'elle. D'abord, il avait parlé d'un peu d’épeautre. Maintenant il soulignait une nouvelle fois sa maigreur. Alors allait-il l'aider ? S'il souffrait d'une rage de dent, le remède qu'il lui faudrait paraissait un peu moins évident que celui dont nécessitait le brin de fille qui baissait à nouveau et malgré elle les regard.
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