Vrombissement.
La tranche de son bouclier heurtait la carotide de son opposant, profitant de la distance générée entre eux par l'impact pour tracer un arc-de-cercle mortel de sa lame. Cette dernière se logeait entre deux vertèbres après avoir partiellement délesté de son crâne le fantassin bravant Hector, et d'un coup de botte dans l'abdomen, le Chevalier libérait son instrument de guerre. Les flammes autour de lui donnaient un éclat incandescent à son armure, se réverbérant sur l'acier à la manière d'un halo incendiaire, tandis que dans l'obscurité cerclant le champ de bataille, les ombres projetées par les brasiers s'activaient, en pleine effervescence, comme autant de démon qui narguaient les futiles querelles des mortels. Raclant le plat de son épée sur son bouclier dans un crissement métallique caractéristique, le suivant de Rikni faisait volte-face, accueillant deux nouveaux adversaires engoncés dans du cuir matelassé, l'un armé d'une masse d'arme, le second d'une large hache en croissant de lune.
Le son de sa respiration emplissait son crâne, la sueur coagulant dans le cuir le séparant de son harnois lui conférant l'impression de frire dans son carcan. Ses flancs se soulevaient comme autant de soufflets de forge, et la fatigue nécrosait ses muscles plus efficacement que la morsure de l'hiver. Transi, Hector marquait un arrêt, chaque seconde de repos le revitalisant - ou, à défaut, lui permettant de lutter, à la recherche de son second souffle. La fuite du front l'avait exténuée - et maintenant que la nuit et ses pillards les assaillaient, il se donnait l'impression de faiblir.
Pas encore.Pas sous le ciel nocturne où Elle l'observait.
Grondement du tonnerre.
***
Coûtant la vie à sa mère dans une tragédie ô combien trop commune pour l'époque et né fils d'un palefrenier à la solde d'un petit baron, Hector n'aurait dû être guère plus qu'un homme du peuple comme tant d'autres. Pourtant, lorsque la maladie emporta son paternel alors qu'il n'était même pas encore capable de marcher, une vieille dette du baron refit surface - et ainsi fut-il expédié aux bons soins de son oncle, maître d'arme par nécessité à la solde de basse noblesse. Rapidement devenu page d'une ordure proclamée chevalier, se voyant enseigné les voies de la Tempête dès son plus jeune âge au même titre que le maniement des armes entre deux corvées et exercices d'une éducation trop belle pour un roturier de son ampleur, Hector jouira d'une enfance telle qu'il n'aurait jamais pu en obtenir sans concours de circonstances.
***
Décharge neuronale.
Le bouclier accusait l'impact de la masse d'arme, propageant un choc électrique à travers os et ligaments tandis que le Chevalier fléchissait péniblement, la violence de l'impact fragilisant ses appuis malgré sa posture statique. Ses iris orageux roulèrent dans leurs orbites, percevant l'intention du second bandit avant même que sa hache ne soit armée par les deux épaules la soutenant - et la garde de son épée s'écrasait sur l'os zygomatique de son oeil droit, crevant ce dernier en plus de le contraindre à reculer. Juste à temps pour accuser un nouveau coup de butoir qui expédiait Hector à genoux. A la merci de son bourreau.
Craquement sonore, et un éclair zébrait le ciel, châtiant un arbre bordant la route sur leur droite, éclipsant momentanément le dégradé d'orange qui nimbait la scène au profit d'un bleu électrique singulier.
Elle ne m'a pas abandonné en dépit de ma faute. Galvanisé, l'Apôtre entrait en mouvement avec une célérité insoupçonnée - la pointe de sa lame perforant l'aine désormais exposée de son adversaire. Une légère torsion du poignet, sectionnant et ravageant l'artère, et il écrasait de nouveau son bouclier dans la rotule opposée, éjectant le pillard au sol pour qu'il se vide de son sang à gros bouillon. Assourdi par la déflagration liée au roulement du tonnerre - ou était-ce le temps qui battait à ses tempes ? -, le Chevalier mit un instant de trop à se remettre sur pied.
***
Joutes et duels se succédèrent, où zèle et assiduité remplacèrent talent et aisance. Une mauvaise chute de son destrier, tête la première, lui ouvrit partiellement le visage sur une pierre mal logée, donnant naissance à sa laide balafre exposant l'intérieur de sa narine gauche. Hector ne saisissait pas les concepts d'honneur et de chevalerie ce qui, inévitablement, le plaçait dans une situation contrite. Inapte à appliquer des principes qui lui étaient étrangers, quand seuls les dogmes de Rikni s'étaient gravées dans sa psychée depuis la tendre enfance, l'Apôtre tirait progressivement davantage sur le tueur, le mercenaire, dans ses méthodes et résultats, que sur la noble profession à laquelle il semblait jusqu'alors aspirer. Son oncle s'acharnait, son renforcement musculaire et son maniement des armes se voulant rigoureux, sans qu'il ne parvienne à enseigner à son neveu autre chose qu'une discipline creuse, militaire, et dénuée de l'humanité dont il manquait tant en dehors de sa vie civile. C'était ainsi ; Hector n'était guère plus qu'un instrument qui semblait manquer de ferveur, de volonté, le vide dans ses saphirs céruléens se traduisant par une perpétuelle position de spectateur dans son existence, et ce, malgré la chance insolente dont il disposait.
***
La hache fit plier la plaque, lui fêlant plusieurs côtes en plus d'arracher un râle d'agonie au Chevalier accablé par la pointe de douleur, tombant sur le flanc. Un second coup s'abattait presque aussitôt, avec une frénésie rarement vue, dans le but de pourfendre un Hector visiblement acculé. Tout du moins, jusqu'à ce que son épée parvienne à crocheter la lame en croissant, stoppant net dans sa course. Et les deux hommes se mirent à hurler à plein poumon à mesure que la hache gagnait du terrain vers le gorgeret de l'Apôtre. L'un avait l'avantage du sol comme appui, tandis que le pillard avait l'ascendant en ajoutant tout son poids à la force qui appuyait sur la fine épée. Inexorablement, Dartigau perdait du terrain malgré son rugissement de forcené, l'oxygène ne parvenant plus à alimenter ses membres transis par la fuite et l'affrontement subséquent. Le tranchant de la hache parvenait enfin à faire plier les coudes du combattant carapaçonné, signant un triomphe imminent en dépit des injures et prières de ce dernier.
Puis vint Léonice de Raison.
***
Ce fut à l'âge de vingt-deux ans uniquement qu'Hector se démarqua alors que, escortant le Baron de Raison jusqu'au domaine où résidait son mentor, ce dernier fut pourfendu d'un trait meurtrier dans la gorge. Une embuscade de mercenaires, esseulant le jeune page et la garde rapprochée de la baronnie face aux carreaux d'arbalète, javelines et férocité des robustes hommes de campagne. Ce qui les prit de court fut sans doute le fait qu'au lieu de fuir, ou capituler... celui qui deviendrait l'Apôtre de la Tempête se mit à pousser un hurlement à glacer le sang, ajoutant à son visage affreux et mutilé avant de mener une charge galvanisée, à corps perdu, rapidement suivi par ses comparses d'infortunes sur les embusqués - rétribution pour son défunt mentor, toute vermine qu'il fut, mais également parce qu'Elle exigeait le châtiment des félons. Au terme d'un bain de sang coûteux, Hector pénétrait, triomphant, dans la baronnie de son enfance.
***
Le seau en bois heurtait à l'arrière du crâne le pillard, la commotion suffisant à le déséquilibrer assez longtemps pour qu'Hector n'écrase son croquenot dans une rotule, attirant le pillard à portée de main. Sa sénestre se saisissait de la nuque exposée, tractant férocement la gorge de sa victime vers le tranchant de la lame jusqu'alors utilisée pour retenir la hache. A nouveau, propre à la guerre, les vociférations et hurlements de rage autant que d'angoisse s'entremêlaient dans une cacophonie dissonante. L'effort tel que la salive franchissait les dents serrées en crachotant leur rage viscérale l'un à l'autre, un nouveau coup de seau offrit le mou nécessaire au Chevalier pour égorger son assaillant, ce dernier luttant encore quelques secondes avant que l'hémorragie ne finisse de lui faire lâcher prise, les iris orageux de son meurtrier harponnant le regard tournant vitreux du brigand. L'instant où l'éclat quittait enfin ses yeux globuleux, grotesque et propre à la profusion informe de chair humaine qu'incarnait l'évolution faillible de l'espèce, sembla durer une éternité, avant qu'enfin, l'Apôtre ne rejette sa victime de côté, haletant, momentanément cloué au sol.
Un regard en direction de Léonice de Raison, illustrée dans son usage du seau en bois, afin de lui adresser sa silencieuse gratitude, avant qu'une pluie diluvienne ne s'abatte sur eux, apaisant l'abyssal désir de meurtre du Chevalier gisant sur flanc, blessé, humilié et épuisé...
En plus d'être un déserteur.
***
S'étant ainsi illustré, le Baron de Raison s'empara de l'allégeance du page jusqu'alors considéré comme un échec, l'arrachant à son oncle et à la baronnie qui, de toute manière, n'avait guère plus d'usage pour lui, son mentor ayant trépassé. Une nouvelle fois, la chance lui souriait à son insu, devenant ainsi lige défenseur d'une baronnie, engoncé dans une épaisse armure dont ses ancêtres n'auraient jamais pu ne serait-ce que rêver, et d'armoiries qui n'auraient jamais dû être les siennes. Finalement, sa foi était récompensée. Finalement, son existence trouvait un semblant de sens. Léonice de Raison entra peu de temps après dans son existence, se mariant à son bienfaiteur, entrant de cette manière sous son égide, sa main de fer châtiant bandits et mercenaires aux exactions félonnes à travers la baronnie avec une ferveur rarement observée. Seulement, le Baron fut pourfendu lors d'une chasse, lamentablement, couvrant d'une honte incompréhensible de tous le Chevalier, et quelques années plus tard...
Vinrent les Fangeux.
***
L'air humide et chaud contrastait affreusement avec l'atmosphère électrique. Une tension malsaine troublait destriers et hommes. Réquisitionné par ordre du Roi, au même titre que la garnison des de Raison, Hector se retrouvait côte à côté avec son oncle, lui-même monté sur sa propre monture. Le noble en tête de colonne les avait fait s'arrêter en bordure des marais, où les sabots des chevaux ne s'enfonçaient pas encore suffisamment pour les rendre inutiles. Malgré cela, sous le regard médusé du frère de son géniteur, le Chevalier avait mit pied à terre, ses iris orageux scannant la pénombre naissante, les torches rudimentaires ne parvenant pas à éclairer les méandres boisés du marécage. Mollement, il arrachait sa lame à son fourreau, bouclier déjà sanglé à son avant-bras gauche, sceptique. S'illustrer auprès des hommes du Roi apporterait un prestige non négligeable à la maison l'hébergeant en plus de lui offrir statut et prestige. Le ciel était étrangement clair, ce soit, sans manifestation quelconque de Rikni, suffisant à faire poindre une once d'appréhension chez le désormais trentenaire. Les hénissements réguliers et bavardes des factionnaires stationnés alimentaient l'excitation caractéristique à l'approche du combat, son coeur accélérant progressivement tandis que l'adrénaline se propageait dans ses veines, son sang transformé en coulée de métal brûlant qui, s'il lui donnait l'impression de s'immoler, conférait également au Chevalier ce sentiment d'absoluité, de force hégémonique, qui le caractérisait jusqu'à présent. Endurci dans son expérience, au pinacle de son expertise martiale. Au paroxysme de ses compétences. L'exultation transcendait finalement son inquiétude.
Son oncle sur sa gauche déposait une main rassurante sur son épaule malgré l'âge qui se lisait désormais sur son visage, désignant de l'index une paire d'yeux rouges qui les scrutait sûrement depuis plusieurs secondes déjà, à une dizaine de mètres de là.
Un frisson glacial se propageait le long de son échine, figeant, contrairement aux autres qui s'esclaffaient de voir la pauvre créature esseulée, malgré qu'un mythe, une supposition, prenne pleinement vie sous leurs yeux. Son coeur ratait un battement lorsque l'
abomination quittait son couvert d'une démarche penaude, sa gueule disloquée et décharnée contrastant avec les avant-bras maculés de sang séché qui pendaient mollement de chaque côté de ses hanches. La créature semblait si...
lente ?Presque immédiatement, une javeline sifflait dans sa direction, l'empalant au niveau de l'épaule et la faisant basculer dans l'eau vaseuse qui lui arrivait aux genoux. Sa position marquée par la hampe qui était dressée à la verticale hors de la
fange, leur capitaine s'approchait au trot malgré la réticence de sa monture, s'en allant quérir le premier crâne des abominations surnaturelles, ainsi que son arme de jet.
Hector cligna des yeux.
Ils ne mirent qu'un instant pour l'arracher à sa selle.
Ou était-ce dévorer sa monture ?
En l'espace d'un souffle, destrier et noble étaient réduits en lambeaux de viande lacérés, démembrés et engloutis.
Un hurlement guttural, et la bataille débuta.
Le
bain de sang débuta.
Ils avaient jailli du sol avec une célérité inhumaine, dissimulés, allongés sous la vase, composant un couloir qui permettrait à leur proie de s'enfoncer dans le marais. Et déjà, ils se ruaient dans leur direction.
Dartigau tourna la tête vers son oncle.
Et il le découvrit, éviscéré, une créature rachitique juchée sur lui à califourchon, lui dévorant les entrailles alors que son visage était encore secoué de spasmes de douleur.
Les yeux azurés du Chevalier roulèrent dans leur orbite.
Et une épouvante animale lui fit tourner les talons, alors que les Fangeux donnaient naissance à un orchestre sépulcral inédit. Qui éclipsait toute la violence, toute la guerre, toute la mort qu'avait pu connaître Hector.
Une mélopée composée uniquement de hurlements d'horreur et d'agonie.
Enfourchant son destrier avec une hâte trembla nte, haletant sans trouver son souffle, Hector poussa une monture déjà terrifiée au grand galop, laissant derrière lui tous les autres consumés par la Fange.
***
Ainsi, l'unique amende à laquelle s'adonna Hector fut de ravir sa régente, Léonice de Raison, ainsi que le minimum syndical, avant de fuir vers l'Est, sans jamais mettre le moindre mot sur sa trahison, sa désertion, et surtout...
La terreur irrationnelle qui le submergea ce jour-là.
Finalement...
Une existence inepte pour un bouffon inapte.
Durant les événements du couronnement, pétri d'effroi, Hector ébranlé par l'apparition des Fangeux se contentera de suivre Léonice de Raison comme son ombre, foudroyé sur place par la terreur irrationnelle l'ayant jadis cueilli. C'est au terme de cette tragédie, néanmoins, que ses cauchemars seront bercés par une voix surplopbant lzs cris d'agonie de ses paires.
Celle de la Tempête, l'invectivant de reconquérir sa dignité, la démence passagère le curant de son traumatisme occulté par une foi flamboyante, réalimentée par l'étincelle d'instinct guerrier subsistant après toute cette servilité docile. Rikni était venue à lui dans ces temps troublés, lui rappelant ô combien d'un apostat il se rapprochait en fuyant l'affrontement à de multiples reprises. Il s'agissait là de sa dernière chance, d'une ultime clémence que sa miséricordieuse adorée lui conférait.
Il ne connaîtrait plus la Peur.