Un jour, mon prince viendra...

Une pêche miraculeuse, oui, miraculeuse, c'est le mot ! J'ai tellement de poisson sur les bras qu'aujourd'hui je suis partie vers la Hanse, vers le fumeur de poisson auquel j'ai l'habitude de vendre mes surplus. Il le fume, s'en garde un tiers et puis me rend le reste pour que je le vende. Lui, il est dans son entrepôt, il a pas envie de l'quitter pour quoi qu'ce soit, alors ça nous arrange tous les deux. Enfin, pour l'instant, car je suis jamais trop sûre qu'il me la fasse pas à l'envers, rapport au fait que j'lui laisse les poissons un certain temps, suffirait qu'il cane entre temps et alors, qui saurait combien de poissons il me devait hein ?

- Mais on fait avec c'qu'on a, je conclus en parlant à Thérèse et en lâchant un grand soupir.

On est assises sur un petit escarpement de roche qui déborde à l'intersection de deux grandes rues. Y a quelqu'herbes qui poussent dans les interstices du roc, vraiment juste quelques unes, et puis une vieille souche qui s'y accroche encore avec ses racines noueuses, mais ça reste un des endroits les plus verts de Marbrume. Faut dire que dans la cité, le moindre arbre et la moindre plante qui se mange est vite ratiboisée.

Thérèse c'est une fille bien gentille, mais elle est sacrément bavarde, pas facile d'en placer une, alors ça fait déjà un moment qu'on tatasse, de toute façon j'ai le temps maintenant que je me suis débarrassée de tous mes poissons, puis y a bien quelques gens qui sont passées aussi et on a causé avec eux : la femme au teinturier d'abord, paraîtrait que la récolte de lin va être bonne et qu'les prix vont baisser, puis aussi le fils au père Mathurin, ça c'est pour moi, je vais avoir un peu de boulot supplémentaire ce soir... Après la tombée de la nuit. Et puis, on aussi vu passer un autre bon paquet de gens, des bonnes nouvelles et des mauvaises, et surtout pas mal d'infos croustillantes, ça oui ! Je m'étale un peu plus sur mon petit siège improvisé. Le soleil brille, pas de travail à l'horizon, et puis, cette robe toute neuve de la veille : tout serait parfait si j'avais pas ce fichu bleu sur la hanche qui m'empêche de me mettre à l'aise.

Profitant d'un temps libre, le jeune écuyer se promène, cela fait peu de temps qu'il est arrivé en ville, alors, il découvre, observe, pour lui, mais également pour accomplir la mission qu'est la sienne. Devenir chevalier n'est pas chose aisé, et pour l'instant, il n'est qu'un simple écuyer errant.
Quelques petites aventures ont émaillés les derniers jours, que ce soit sa rencontre avec Margaux, ou encore Josielle, toutes deux aux prises à des viles brigands.

Puis, il y eut aussi cette interrogation sur le trouble qui le hante, sur son coeur amoureux fou de la belle Clarence. Mais ce qu'il croyait être un amour pur, lui parait désormais comme une épreuve pour devenir chevalier. N'est-ce pas à cause de lui qu'il aurait pu tuer ?
Il en frissonne toujours en repensant à cette scène. Ce jour là, sans Dame Léonice, et sa foi, nul doute qu'il aurait sali son honneur et aurait mis à mal son ambition devenir chevalier.

Il y a également sa rencontre avec le borgne. Ce dernier lui racontant que la cité couvait en son sein des sectes, dont l'une qu'il traque.
Là aussi, une histoire qui l'intrigue, digne des péripéties qu'il cherchent. Mais en attendant d'en savoir plus sur ce sujet et de tomber sur une piste, le voilà qu'il marche au milieu de la hanse sans vraiment savoir où il va.

Il observe le ciel, à ses narines, une odeur de poisson fumé commence à le titiller. Les pouces calés à son ceinturon, le valeureux écuyer entend des murmures, des bruits, assis un peu plus loin sur des sièges improvisés, deux dames. L'une d'elle portant même une robe des plus élégantes qui attire son attention.
Dans ce coin qui lui parait être des plus verts de la cité, il se fait discret pour ne pas les molester alors qu'elles bavardent.
Faisant mine de rien... Il se contente d'écouter en se mêlant aux gens qui passent, peut-être pourrait-il apprendre des choses intéressantes...

- Et si tu savais... Pas plus tard qu'hier, j'ai croisé un gars, oh, ça, il a la tête de l'emploi, une sale tronche, oui, mais voilà, quand on l'voit on s'douterait pas non plus que c'est un gars qui prie pas d'la même façon qu'nous autres ! Oui, un sectaire, voilà c'qu'il est ! Tout comme ceux que j't'avais parlé l'autre jour, là, mais si, tu sais bien, près du puits aux grenouilles ? Une famille entière, que j'lui raconte à Thérèse, en hochant la tête d'un air entendu. Ils avaient des enfants, si, je t'assure ! Pauvres choses, condamnées à errer hors du royaume d'Anür avant même d'être nées, te rends-tu compte ma bonne Thérèse ?

Ça fait déjà quelques instants que j'ai repéré un garçon qui est arrivé sur la place, habillé de vert. J'ai l'oeil pour les voir les miliciens moi, mais un milicien qui s'balade seul c'est pas commun. Mais, peu à peu, à force de le regarder en coin, j'en suis devenue certaine : il nous écoute. Alors je me redresse, les poings sur les hanches, et je le hèle d'une voix forte.

- Hé, là, mon mignon ! As-tu perdu ton ch'min ou c'est-y qu'notre compagnie te s'rait point désagréable ?

J'fais un clin d'oeil à Thérèse. C't'une femme qui a au moins autant de charme que moi, alors ça m'étonnerait pas qu'le jeune homme nous boulite comme ça, juste pour le plaisir des yeux. Puis, ma foi, lui aussi a un joli minois, et une carrure qui m'plaît bien, alors, pourquoi se priver de passer du temps avec un concitoyen qui a l'air somme toute fort charmant ?

- Faut tout d'même que tu saches de suite qu'on est des habitantes tout c'qu'il y a de plus honnête, rien à s'reprocher, alors si t'es d'la milice et qu'tu cherches des infos croustillantes c'est pas sur nos pauv' vies qu'il faut enquêter, les dieux en soient témoins !

Ce disant, je serre mes porte-bonheur dans ma poche.

- Ya quelques s'maines de ça j'ai aidé une coutilerie à arrêter une bande de sectaires, alors qu'on aurait pas dit qu'c'en était, ils étaient normaux, des ch'veux normaux, des yeux normaux, ptêt un peu trop propres sur eux tout d'même, mais à part ça, hein ? Rien du tout, j'te le dis !

Le jeune homme entend une nouvelle fois parler d'une secte. Le borgne lui en avait déjà parlé, et depuis, Emeric s'est mis dans la tête de s'intéresser à cela. Pourquoi ? Pour l'aventure sans doute, et pour l'honneur... Toutefois, il ne sait absolument pas, par où commencer.
Cela lui parait être une sacrée organisation nébuleuse, d'ailleurs, il se dit qu'il devra se méfier des nobles qu'il peut de temps en temps côtoyer.
Selon les mots de la donzelle, ce serait des gens qui prient d'une façon qui ne correspond à ceux qui vivent dans le droit chemin.

L'écuyer n'oubliera pas cette information.
Soudain, observant du coin de l'oeil les deux demoiselles, il remarque que l'une d'elle se lève, les poings sur les hanches. Ensuite, elle l'interpelle.
Emeric tourne sa tête, surpris.

Il s'approche alors qu'elle lui raconte qu'elles ne font rien d'autre que discuter, qu'elles sont deux citoyennes qui n'ont rien à se reprocher. A l'évocation du fait qu'elle le soupçonne d'être un milicien, l'écuyer se sent mal à l'aise. Non pas qu'il y voit un déshonneur, mais plus un peu de peine d'imaginer qu'il ait pu faire peur au deux personnes.
Avant qu'il ne puisse se défendre, elle lui explique qu'elle a aider la milice contre des sectaire. Le témoignage rejoint parfaitement celui du Borgne dans le fait qu'il s'agit de gens ordinaires.

- Veuillez me pardonner, Mesdemoiselles, je ne voulais guère vous effrayer... Je ne fais pas partie, je me nomme Emeric, et je suis un simple écuyer. Dit-il avec un visage qui accompagnait ses excuses en inclinant légèrement son buste. De quelle façon avez-vous aidé la milice ? Demande-t-il avec une certaine curiosité.

Mais devant sa question, il se fait le reproche d'avoir laissé sa curiosité l'emporter sur la politesse. Il toussote un peu en portant son poing devant ses lèvres.
- Pour me faire pardonner, et pour respecter mon code d'honneur, si je peux faire quoique ce soit pour votre service, n'hésitez pas ! Annonce-t-il avec courtoisie en se redressant. Il se dit que le destin a mis sur son chemin ces deux dames afin de pouvoir trouver une quelconque aventure lui permettant de poursuivre son apprentissage.

Je m'esclaffe à ses mots. Demoiselles, des demoiselles, qu'il nous a appelées ! Ah, mais là, il m'en bouche un coin...

- Écuyer ? Comme... Comme les jeunes sieurs qui se préparent à devenir chevaliers ? Ah, ça, vous êtes donc d'la haute Messire ?

Je me rapproche de lui pour l'inspecter d'un peu plus près. Effectivement, il paye pas d'mine vu de loin, mais son équipement est pas çui d'un traîne-savate ordinaire. Pendant c'temps, il continue à parler et, oh ! Il parle bien, le bougre. Code d'honneur, votre service, rien d'moins, un garçon bien éduqué, pour sûr ! J'commencerais presque à en êt' gênée ! Ça n'm'empêche pas d'avoir une certaine envie qui grandit...

- Ah, mais non, c'est nous qu'on est à vot' service Seigneur !

J'essaie d'faire une révérence comme je peux, le Goupil sait bien faire, ça, mais moi j'ai pas l'habitude, 'fin ça demanderait juste un peu d'entraînement mais c'est une autre histoire. Heureusement que je porte ma nouvelle robe, parce que l'ancienne payait vraiment pas d'mine après tout ce qu'il m'est arrivé ces derniers temps, est-ce que c'est pour ça qu'il nous a pris pour des demoiselles ? C'est vrai qu'elle est jolie cette robe, ma foi... J'arrête de rêvasser pour lui répondre :

- Moi, j'ai... Eh bien, j'ai lancé l'alerte voyez-vous. Parce que, vous savez, les rumeurs et les ragots, c'est pas ce qui manque dans cette ville, ça n'empêche qu'ils ont quand même plus de valeur quand ils tombent dans les bonnes oreilles n'est-ce pas ? Sans compter que j'ai conduit les valeureux miliciens tout droit, oui, tout droit j'vous le dis ! au repaire ce ces ordures. Ah, puis, pas d'méprise, hein, j'ai rien d'mandé en échange, j'ai rien fait qu'mon pur devoir d'habitante de la cité, rien d'plus, rien d'moins !

J'donne un coup d'coude à Thérèse qui m'a l'air bien silencieuse, les joues roses.

- O... Oui. Je veux dire, c'est bien ce qu'elle m'a racontée, Mariotte, des sectaires qui voulaient ouvrir les portes de la ville à la Fange... Vraiment, je ne sais pourquoi certains veulent tant notre mort. Et quelle mort !

Elle frissonne. Quant à moi, ce n'est pas tant le manque de besoin qui me fait hésiter à lui demander un service, mais bien son statut d'écuyer. Je ne suis pas assez stupide pour l'emmener casser un peu plus le nez de Gros-Pif, l'enrôler dans la bande à Guillou, ou lui demander de m'voler une robe. Non, va m'falloir être un peu plus fine sur ce coup là.

- Ya bien un service que vous pourriez nous rendre Messire... J'veux dire... Vous voudriez nous accompagner à l'endroit où ça s'est passé ?

J'prends une voix tremblante.

- Comprenez... C'est vers le Labourg, j'y passais souvent, vendre mes poissons, mais maintenant j'ose plus trop... Ptêt que si j'pouvais aller voir comment c'est devenu, avec un homme d'armes comme vous, ça me rassurerait.

HRP: