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 Faux frère | Auxence de Malemort

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MessageSujet: Faux frère | Auxence de Malemort   Faux frère | Auxence de Malemort EmptyDim 11 Sep 2022 - 15:50



Faux frère



Port de Marbrume – L’Estribord | 23 mars 1164.

En cette semaine de fête dédiée à Sérus, une liesse infernale battait son plein et la rumeur de ces réjouissances s’appréciait jusqu’aux confins du littoral. Chaque avenue, ruelle et venelle se voyait décorée de guirlandes de bruyère, de genêt, de pissenlit, de cotillons de feuilles de maïs séché, de serpentins de chutes de tissus bariolés ; les étals croulaient sous le poids d’une variété affolante de bouquets rudimentaires et de compositions originales ; aux portes des masures, bourgeoises comme gueuses, oscillaient des couronnes de végétaux hétéroclites. La cité ducale charriait son lot de notes joyeuses que les troubadours livraient, çà et là, sous les regards animés de la houle populeuse ; des troupes de saltimbanques profitaient de cette manifestation annuelle pour offrir spectacles de danses, de chants et d’acrobaties. La rue en fête se faisait le territoire dédié au spectacle avec ses bateleurs, ses montreurs d’ours et ses danseurs de corde. Et, à la tombée de la nuit, avec pour fond musical ce charivari d’échos allègres, de rires gaillards, chacun se perdait dans le recueillement fervent, apportant sa pierre à l’édifice d’une prière commune afin de complaire au dieu Sérus, qu’il s’agît d’assurer la fertilité d’une terre ou d’attirer Ses bonnes dispositions sur sa propre maison. Par leurs offrandes, leurs agapes et leurs danses, tous manifestaient joie, espoir et confiance face au retour d’un Printemps certes frileux, mais prometteur d’un futur d’abondance. Nobles et roturiers, chevaliers et paysans, bourgeois et pêcheurs, tous s’égayaient, chantaient, dansaient et festoyaient pour marquer le simple contentement d’être ensemble, réunis sous le sceau de la tolérance durant ce laps de temps que comptaient ces jours dédiés au culte du dieu cervidé.

Le carénage de la Distraite s’était avéré plus laborieux que prévu et son épilogue avait tardé, rognant sur les premiers jours de ces célébrations. En ce crépuscule battu par les mélopées servies à tous les coins de rue, malgré la fatigue, les courbatures, et seulement après avoir reçu salaire de la part d’un capitaine satisfait et tout aussi empressé de retrouver épouse et progéniture pour participer aux bénédictions, tous les matelots, pêcheurs et autres volontaires engagés à la manœuvre avaient rejoint la religieuse manifestation.

Tharcise était de ces volontaires.

L’Estribord n’était pas la taverne qu’aurait choisie le nobliau, mais la hâte de retrouver son ami d’enfance l’avait incité à ne pas s’évertuer à chercher d’autre tripot que celui imposé par ce presque frère. Leur dernière entrevue datait de plus d’un semestre. Depuis le décès de son père, Tharcise avait en charge la gestion du comté d’Aspremont et de son domaine viticole ; une terre jouxtant la frontière sud du Duché de Morguestang et vers laquelle il galopait à bride abattue pour surveiller la période des vendanges et s’assurer du bien-être de cette lointaine mesnie toujours attachée au souvenir de son regretté Comte. Depuis ses coteaux vallonnés léchés par les lances paresseuses d’un astre automnal, il s’élançait alors par les campagnes, contournant lacs, traversant rus, évitant villages et châteaux forts, pour aborder la mer occidentale et retrouver l’austère faciès de la Malemort qui, ainsi juchée sur son belvédère de rocaille, ressemblait à une vieille harpie revêche. Ces entrevues avec Auxence se faisaient toujours sous le sceau du secret, en un lieu connu d’eux seuls, et dans un laps de temps à la durée jugée trop courte mais ô combien impérative pour ne pas éveiller les soupçons sur ces escapades prolongées, car le détour pour retrouver l’abri des hauts remparts de Marbrume et se soumettre derechef à l’aura toxique d’Ogier était conséquent.

Ainsi averti par un billet au contenu succinct que lui avait remis le sieur Desgrées, le jeune nobliau s’était donc rendu sur les lieux de cette taverne symbolisant tous les plaisirs déviants : l’on y buvait, l’on s’adonnait à des jeux de hasard, l’on s’y battait, et l’on s’y faisait racoler par les filles de joie. Or l’on y discutait également, et il n’était pas rare que des affaires sérieuses s’y traitent.

Installé devant une pinte de bière coupée à l’eau, Tharcise patientait. Juché de guingois sur sa noire tignasse aux épis folâtres, un chapel de feutre piqué de boutons d’or, de pâquerettes et d’herbes mêlées, semblait près de battre en retraite à chacun de ses mouvements de tête ; chapel qu’une cohorte de mains joyeuses lui avait imposé au cours de son périple dans les rues populeuses et bruyantes de la cité. Tout comme cet épais collier de primevères, de coquelicots et de marguerites entrelacées qui ornait le sombre velours côtelé de son pourpoint dont les manches à crevés s’enluminaient d’une vague audace de safran et de sinople. Ces attributs aux teintes criardes tranchaient avec la sobriété de sa tenue vestimentaire qui avait, depuis son retrait forcé de la sphère noble, troqué son fastueux ramage pour des matières plus pratiques et des tons plus discrets. Ainsi esseulé dans un coin relativement délaissé par la clientèle bruyante et alcoolisée, et le trio de ribaudes qui flirtait d’un jeu de jupons tourbillonnant, d’œillades explicites ou d’attouchements au message manifeste, l’héritier spolié patientait donc. Ses doigts jouaient à faire toupiller sur le plateau de la table un pomander d’argent, délicatement ouvragé d’un décor de vrilles florales, de fruits et d’oiseaux. Recouvrant trois des six segments servant de compartiments pour l’heure désertés de tout embaumement, un médaillon gravé représentait une caravelle, toutes voiles déferlées voguant sur la mer. Et tout en observant d’une mire aveugle les allées et venues de la jeune et ronde paysanne aux boucles d’or fade qui louvoyait de table en table, songeait-il à ses retrouvailles avec la jeune Esmée. Et à l’étonnement incrédule qu’il avait ressenti en apprenant que leur ami s’était joué d’eux en inventant cette farce de correspondance fictive. L’incompréhension, la déception qu’il avait lues dans le regard de l’adolescente lui avaient serré le cœur. Nul doute qu’il en aborderait le sujet sensible, ce soir. Nul doute qu’il demanderait une justification à ce jeu épistolaire auquel le Vicomte s’était plié durant ces quatre dernières années. Nul doute.

Il en était là de ses mornes élucubrations lorsque la porte grinçante de la taverne s’ouvrit pour la énième fois, provoquant une autre embardée périlleuse de cet échafaudage de fleurs tressées ornant sa tête lorsque Tharcise confronta son faciès fermé à la silhouette de l’individu qui pénétrait le lieu. Et alors que sa mine s’était assombrie du voile terne de ses pensées préoccupées, la vision du jeune et fringant Auxence de Malemort, vicomte de Gilvégas et baron de Sansebray, éclaira ses traits pâlis de bougonnerie d’un sourire jusqu’aux oreilles, allumant des lueurs joyeuses, impatientes, à la surface de ses iris d’opale ennuagée. A observer ainsi le brun éphèbe, si solaire, si imposant par sa prestance pétillante, ses clins d’œil séducteurs, son sourire contagieux, il en oublia toutes ses contrariétés et leur ressac délétère. Serrant la précieuse boule argentée à l’abri d’une poche intérieure de son pourpoint, il déplia sa longue carcasse athlétique pour élancer sa senestre au-dessus de lui, et ainsi attirer l’attention de l’adonis vers sa position. Et quand ce dernier eut l’air d’enfin capter sa présence, Tharcise contourna la table pour engager un pas dans sa direction et lui ouvrir le berceau fraternel de ses bras.

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MessageSujet: Re: Faux frère | Auxence de Malemort   Faux frère | Auxence de Malemort EmptyMer 14 Sep 2022 - 8:19


La plainte stridente du battant annonça le faquin.
Le cou appesanti d'une bonne douzaine de guirlandes d'œillets, roses et orchidées, le goupil se présenta à la houle des fêtards du port sans même détonner. Fier personnage, le menton altier, il revêtait le discret d'un pourpoint de cuir brun aux ornements cousus d'une laine au bleu sombre qui ne savait toutefois étouffer son rayonnement astral. Sa chevelure aile-de-corbeau laissée libre de ses mouvements charriait un certain nombre de pétales d'hosta récoltés parmi les venelles festives de la Hanse ; les mèches couleur goudron s'emmêlaient sur ses épaules jusqu'à caresser son dos de leurs épais pinceaux. À sa ceinture menaçant les importuns du fourreau d'un poignard trônaient d'autres couronnes florales et compositions plus originales ; sautoirs piquetés de rémiges de faisan et d'osselets, colliers de chrysanthèmes tissées ou encore gravées dans un parchemin souple dont l'accordéon mimait le relief dentelé de ces perles de senteur. La Fête de Serus battait son plein et le Vicomte tacha, au regard de ce palmarès étouffant et bariolé, de collectionner tout ce que la cité avait à lui offrir. Il était une tradition populaire où les jeunes soupirantes cerclaient de leurs créations la nuque de leurs bien-aimés, un message souvent inoffensif qui néanmoins touchait leurs cœurs adulescents. Le renard aurait-il butiné tant de promesses que personne ne s'en serait étonné. S'il se devait choisir une devise, celle de l'adonis aurait été : encore et davantage. Parmi ce cortège entrelacé de babioles aux effluves mêlés, deux joyaux smaragdins scintillaient d'un éclat joueur. Leur faisceau tranchant badina entre les marins attablés riant à gorges déployées sur les notes en suspension d'une plaisanterie graveleuse. Entre les hanches rondes et annelées de rubans colorés des filles de petite vertu se dandinant entre les tables pour agiter leurs atours voilés et offrir leurs atouts dévoilés. Entre les serveurs s'évertuant à apporter des chopines intactes malgré les ruades furieuses de clients sautant sur leurs bancs et tables dans un élan hilare. Toute cette farandole ne sut alpaguer les orbes verdoyants qui sondaient l'attroupement avec l'attention d'un prédateur en chasse : le Malemort se présenta à l'Estribord dans un but on ne peut plus précis. Et voilà que ce but leva une main pour se manifester au sein des incartades du commun.

Tharcise d'Aspremont. D'un an son aîné, le jeune homme était de loin son ami le plus cher, un frère pour lequel il aurait pu sacrifier bien des choses, bien des principes. Ces deux vétérans des quatre cent coups se savaient par cœur, l'un tempétueux lorsque le second était usuellement une mer d'huile, l'un orgueilleux lorsque le second était autrement plus sage, l'un au flamboiement solaire lorsque le second avait l'apaisant d'un astre d'argent. Leurs différences ne résidaient pas seulement dans l'opposition systématique de leurs caractères mais aussi leur allure, car au grand dam du Vicomte, son comparse était doté d'un teint de nacre que refroidissaient une crinière charbonneuse et deux pépites grisâtres sous leurs franges d'obsidienne. Haussant un bras pour alerter le goupil, ce dernier ouvrit les siens avec grandiloquence pour mieux piétiner jusqu'à la table fatiguée où il s'était avachi. D'un bond, l'Aspremont se redressa pour accueillir son confrère d'une embrassade sincère, que celui-ci lui rendit en l'étreignant avec vigueur. Au diable les ornements floraux qui s'écrasaient entre leurs cuirasses dans leur enlacement, car ils étaient heureux. Heureux de se retrouver enfin, après des mois de séparation à contrecœur. Heureux de mettre au rebut peut-être, l'espace d'un instant, leurs préoccupations mutuelles. Fiançailles malheureuses, spoliation d'un héritage, mensonges et tromperies, tout avait été balayé sous le tapis d'une allégresse sincère. Les paumes nues du Malemort agrippèrent les manches fascées d'or et de verdure afin de maintenir son précieux confident à bonne distance, ses orbes pétillants auscultant l'accoutrement qui lui est présenté.

Mon cher ami, sache que je t'ai rarement vu aussi lumineux ! Asseyons-nous, allons allons, fit le Vicomte tout en attrapant le tablier d'un garçon voguant entre les sièges. Garçon ! Amenez une bouteille d'hypocras, et deux verres qui ont l'allure d'avoir été nettoyés !

Oh il oubliait tout, et notamment l'entrevue houleuse qui, quelques semaines plus tôt, lui avait valu de servir de mannequin à une maladroite couturière. Les raisons pour lesquelles cette mauvaise artisane s'était trouvé une passion pour la broderie tenait d'une supercherie que le métis avait mise en place des années auparavant. Et son vis-à-vis n'y était pas étranger, dans la mesure où il revêtait le rôle d'usurpé sur le vélin qui servit à délivrer quelques heureuses nouvelles à leur jeune amie. L'adonis aux cent colliers mais aux mille visages n'en montrait rien, bien qu'il sut depuis le fil tendu de sa conversation avec la Sabran que l'Aspremont avait été averti de cette manœuvre manipulatrice. L'essentiel était alors de le laisser aborder le sujet de lui-même, ou bien peut-être de ne pas lui en laisser le temps. Glissant avec énergie le long d'un banc gravé d'obscénités, le Vicomte s'accota à la paroi crevée d'une fenêtre à claire-voie donnant sur une rue jonchée de cotillons. Ce fut au bras d'Éliance de Sarosse et sous le regard attentif de Cyras que les premières festivités avaient été suivies, l'emphase de leur présence pesant plus encore lorsque l'office religieux sonna. Cette visite de la Capitale s'articulait autour de leurs noces prochaines, priant pour un mariage fructueux et fertile, que l'adonis redoutait en coulisse. Il n'était pas prêt à abandonner son papillonnage, sa jeunesse, ses rêves de grandeur, et ne traitait de batifolage qu'auprès de femmes pour lesquelles il n'entretenait aucun respectueux sentiment. Sa fiancée était une proche amie qu'il ne pouvait soumettre au même traitement, et le fait qu'il soupçonne les balbutiements d'une noble émotion dans le cœur de sa promise le terrorisait. Ces pensées chassées d'une secousse du chef tout autant qu'une bruine de pétales mauves, le Malemort arbora son plus vaillant sourire et deux flèches à l'empennage smaragdin touchèrent leurs cibles d'argent.

Je suis bien navré pour ce contretemps, échapper à ma fiancée n'est plus chose aisée. Bien ! Quelles sont les nouvelles ? Ton équipage, les vignobles d'Aspremont, ce grippeminaud d'Ogier ? Dis-moi tout, je n'ai d'oreilles que pour toi mon frère, annonça le goupil en ouvrant modestement les bras tandis qu'on les servait.

La bouteille d'hypocras débouchée ne faisait pas pâle figure à côté de verres doublement essuyés à grand renfort de torchon propre par un garçon vexé. Aussitôt, l'adonis entreprit d'en gaver le ventre du bout d'un goulot passé à l'horizontale. Parlant d'horizontalité, une puterelle un peu maigrichonne vint s'installer tout près de Tharcise, glissant à son tour sur le bois éreinté pour non moins se presser contre lui. Un rictus mesquin creusa deux fossettes dans les joues toisonnées de brins drus, ses iris sémillant à l'idée de la voir éconduite sous peu. Car le jeune Comte — tout du moins devrait-il l'être — n'avait pas le goût de la chair que son confident d'airain pouvait démontrer. Sans véritablement se réserver, il n'était guère de ces hommes capables de faire abstraction du prime sentiment responsable de faire dresser haut le pavillon du désir. C'était tout à son honneur, pensa moult fois le coureur de jupons qui, lui, se faisait un défi de les faire tomber. La jeunette devait affleurer leurs âges, ni plus ni moins. Une épaisse tignasse blonde aux souples ondulations titillant ses épaules encadrait un visage poupin, longiligne et fardé de touches de rose. Deux billes azurées s'épanchaient d'admiration devant les astres pâles, tant et si bien qu'elle dévoila un sourire charmant dont les dents du bonheur apportaient un zeste d'innocence à cette ribaude. Les vallons de son buste rehaussés par une sorte de corsetage promettaient de petits plaisirs, si tant est qu'un homme y soit sensible, ses hanches épaissies par les voilages les ceinturant n'étant guère plus charnues. Quelques tâches de rousseur se confondaient sur son minois précieux.

Mes consœurs et moi nous disions que vous étiez fort bel homme, 'permettez que je m'en assure ?

Le renard arbora un sourire jusqu'aux oreilles et se délesta des bijoux floraux qu'il déposa en tas informe en bout de table. Aussitôt penché, il rétorqua à la jeune prostituée d'un murmure rieur.

J'peux vous dire que j'n'ai jamais besogné pareil étalon, il s'laisse pas faire mais j'peux vous apprendre à…

L'œillade tantôt confuse tantôt horrifiée de la mignonne interrompit la grossièreté paysanne du Vicomte qui éclata d'un rire sonore. Aussitôt redressée sur ses pattes malingres, la jolie blonde s'échappa du banc pour regagner l'opposé de la salle et se réconforter auprès de ses amies aux marchandises bien plus volumineuses. La triade se promettait sans doute de ne plus approcher cette table de fot-en-cul, et rien ne saurait faire plus plaisir au godelureau qui n'avait guère pris de son temps pour forniquer, mais pour apprécier l'entièreté de sa visite à son compère vers lequel il repoussa un hanap. Le sien s'élevait alors dans l'air vicié de sueur, d'alcool et de flatulences qu'un brin d'encens ne suffisait à masquer.

À notre santé et notre bonne fortune, mon ami !
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MessageSujet: Re: Faux frère | Auxence de Malemort   Faux frère | Auxence de Malemort EmptyJeu 15 Sep 2022 - 14:30



Faux frère



Port de Marbrume – L’Estribord | 23 mars 1164.

Les deux comparses se gratifièrent à tour de rôle d’une franche et chaleureuse accolade. Les grands renforts de paumées fraternelles, de tendres bourrades et d’éclats de rire dont les notes distinctes s’entrelaçaient à l’envi’, s’achevèrent sur le pas de recul qu’exécuta Tharcise afin de laisser libre cours à l’examen que les deux sentinelles smaragdines de son ami et frère octroyèrent à sa mise originale et colorée.

- J’accepte ce vilain compliment, même si mon ramage est un peu terne comparé au tien. La prunelle distraite, il souleva la brassée de colliers qui embaumait le poitrail de l’adonis et agita la collection disparate de breloques qui oscillait à ses flancs. Je constate que tu as encore fait des ravages, combien de pucelles se sont pâmées sur ton passage, cette fois-ci ?

Fit-il tout en se coulant dans le sillage de son ami, ce dernier infiltrant le banc bordant le mur de pierre sculpté d’une fenêtre. Tharcise prit place en face de lui, le dos droit opposé à la salle commune. Tout en observant le serveur bougon déposer la bouteille d’hypocras et les deux verres dont les douteuses traces avaient été nettoyées d’un coup de chiffon hargneux, le nobliau croisa les bras, arrimant ses coudes sur le bord du plateau de bois auréolé de bavures de gnôle séchées.

- Tu peux l’être, navré. opina-t-il sur une fausse note de rancune. Un tour de sablier supplémentaire, et je m’endormais. Un rire amusé provoqua l’apparition de deux ombres creuses sur ses joues. La ligne athlétique de ses larges épaules s’affaissa imperceptiblement tandis qu’il observait l’épais liquide vermillon s’échapper du goulot pour plomber de sa musicalité sirupeuse les panses des deux hanaps. Des effluves melliflus, métissés de cannelle et de gingembre, chatouillèrent ses narines. La fatigue cumulée de ces derniers jours appesantissait ses traits nivéens d’un masque d’étonnement contemplatif. S’ébrouant de ce court épisode hypnotique et réprimant un sourd bâillement, il dédia les prémices d’une réponse à son vis-à-vis. Eh bien, hm… La routine, je dirais ? Nous étions encore sur le pied de guerre avec le radoub de la Distraite, qui s’est terminé ce jour d’hui. Je ressens encore la vibration des coups de maillet dans les bras. Il frictionna ses biceps à travers les manches joufflues de son pourpoint. Le domaine viticole résiste, même s’il a perdu en caractère depuis que ce cancrelat d’Ogier s’est mis en tête d’agrandir le cépage au détriment de la qualité. Là où mon père s’enorgueillissait du prestige d’un vin autrefois fort convoité, il ne reste qu’une terre juste bonne à produire du guinguet de table. Hm, j’exagère le trait, mais ça en prend tristement le chemin. Ogier n’a aucune patience, il ne voit que le profit, encore le profit, toujours le profit. Une griffe de rappel lacéra son regard d’un trait nostalgique. Au fait… j’ai ramené une dizaine de bouteilles d’une liqueur de vin que goûtent fort Lazare et Anna. Fais-moi penser à-…

Tharcise s’interrompit brusquement. L’approche soudaine d’une discrète et blonde créature se pressant lascivement à son côté provoqua le tressautement surpris de ses épaules. Un jeu de cils affolant nerveusement les remparts de chair diaphane au-dessus de ses prunelles figées, il s’empêtra un instant dans une posture consternée, passive. Opérant une lente retraite de son buste historié de ses florales armoiries pour affronter le minois aux joues potelées levé vers lui, il arqua un sourcil. Ses écus d’argent plongèrent sans vergogne dans les deux étangs bleus dont la surface s’enluminait d’un chatoiement d’or, charmeur et charmé, sous les flammes ocrées de torches qui barbeyaient alentour. A peine jeta-t-il le trouble orageux de ses iris mécontents sur les menus attributs qu’offrait la jeunette dont la main audacieuse s’égarait déjà sur le tertre tendu de sa cuisse musclée. Le contact de ces doigts aventureux l’électrisa d’une onde à l’aiguillon irrité, au point que ses paupières s’amenuisèrent durement, réduisant ses prunelles à deux étroites brèches qui ne laissèrent filtrer qu’un picot glacé. A l’évocation des consœurs de la ribaude, il balaya d’un regard blasé la grand’salle animée pour aviser leurs silhouettes apprêtées aux appétences charnelles et capter la farandole amusée de leurs doigts coquins, dont le message ne se prêtait à aucune interprétation quant à la promesse licencieuse qu’ils sous-entendaient. Une œillade agacée s’écrasa sur le faciès d’airain d’un Auxence ravi, dont les traits bruns, rieurs, se fardaient d’un air chafouin. La vision de cette expression familière dérida le pli pincé de ses lèvres, une note complice s’évadant du souffle hilare qui franchit leur barrière flottante. Sa pâle figure, dont les juvéniles aspérités s’enlaidissaient de cernes violacés, s’éclaira d’un large sourire. Le « fort bel homme » se pencha alors vers la malingre fille pour lui opposer son refus en ce sens.

- Non. Je ne permets pas. Ne vois-tu pas que je suis occupé et en bonne compagnie ? Alors, enlève ta main. Et déguerpis.

La tirade chuchotée du Malemort et le rire clair qui l’escorta achevèrent de convaincre la pauvre ribaude qui, le visage blêmi, décomposé par tout un flottement indécis d’émotions contradictoires, s’exécuta sans demander son reste. Tharcise la cribla du feu opalin de son regard jusqu’à ce qu’elle disparût dans le giron protecteur de ses amies de petite vertu. Expulsant un souffle nasal sec pour chasser son exaspération, le jeune homme reporta alors toute son attention sur son presque frère, sa senestre attrapant le hanap que ce dernier glissait jusqu’à lui pour l’élever à son tour.

- À notre santé et notre bonne fortune, mon très cher frère ! répéta-t-il, tout en forçant sur l’épellation de cette dernière référence au lien étroit qui les unissait et dont la portée fut à peine amoindrie d’une lampée de son breuvage épicé. Malgré la joie sincère que suscitaient toujours leurs retrouvailles, malgré le contentement féroce de profiter de sa solaire présence, le souvenir gênant de la forfaiture d’Auxence ne cessait de titiller sa conscience. Cet épisode décevant vacillait entre eux, tout comme celui, pénible, de son échange avec Esmée ; il flottait, opiniâtre, telle une image rétinienne, tandis qu’il guettait le jeune Vicomte, l’œil fendu perché au-dessus du bord de son verre. Verre qu’il finit par poser sur la table, ses doigts s’amusant à le faire négligemment tourner sur son culot d’étain. Tu es à Marbrume depuis longtemps ? Donne-moi donc des nouvelles de tout ce beau monde qui t’entoure, et a l’heur’ de te côtoyer.

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