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 La fille du mathurin | Lazare de Malemort

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MessageSujet: La fille du mathurin | Lazare de Malemort   La fille du mathurin | Lazare de Malemort EmptyMar 13 Sep 2022 - 15:14
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La fille du mathurin | 10 juin 1167

Trois semaines s’étaient écoulées depuis la dernière visite impromptue du Comte de Malemort. Cette insolite entrevue, chargée de lourdes et douloureuses réminiscences, avait eu pour épilogue la restitution de précieuses reliques appartenant à la Baronne de Malefreux, ainsi que la vision indignée d’une Madame Dufresne qui, depuis ce jour, s’était révélée d’un tempérament aussi suspicieux qu’irrité. Acertainée d’avoir surpris une demande en mariage qu’elle jugeait fort déplacée et offensante, Jehanne n’avait de cesse de porter bravement le fardeau de son dramatique témoignage. Et la vipérine dame de compagnie d’agiter le fiel de sa langue en s’adonnant au vétilleux plaisir de confier à ses pairs les moindres détails de l’ignominieuse mascarade à laquelle elle avait assisté, traînant sa corpulente silhouette éternellement rehaussée de sa barbette étriquée au-devant de qui voulait l’entendre et en l’occurrence la conforter dans son opiniâtre ressentiment. Dans les coulisses de certaines mesnies, l’on murmurait que ladite veuve de l’infortuné et regretté chevalier de Beaumont avait osé accepter, dans l’intimité coupable du vieil hôtel de feu son père, l’anneau de cet abject oriental. Alors même que la période de son deuil n’était point encore consommée, il n’était guère concevable que la dame de Malefreux, si discrète, si pieuse et si vertueuse, pût s’acoquiner avec un tel individu aux mœurs barbares. L’on évoquait même, dans le secret de ces basses alcôves, qu’il fût possible que le mécréant lui eût jeté quelque sombre maléfice et qu’il l’aurait subjuguée.

Trois semaines s’étaient écoulées depuis la dernière visite impromptue du Comte de Malemort. Cependant, ce ténébreux renégat n’était pas reparu et l’absence inexpliquée de cet ersatz de fiancé déjà condamné rognait les assertions hostiles de la Dufresne qui n’osait guère alléger sa conscience aux pieds de sa protégée, cette dernière ignorant tout de ses commérages malhonnêtes.

Ce matin, pourtant, un inhabituel comportement de la part de la Dame de Malefreux alerta la vigilance de l’ancienne nourrice qui fut tout ébranlée de ne point être dans la confidence de cette brusque échappée.

Une lubie soudaine, irraisonnée, avait poussé la Baronne à déserter les murs austères de l’hôtel familial pour tricoter, le manche de sa vieille guiterne enfermé dans sa senestre crispée, vers un des jardins publics de l’Esplanade qu’elle affectionnait particulièrement. Cet écrin de verdure avait pour particularité d’avoir été conçu tel un labyrinthe ; son tracé sinueux, bordé de hautes haies occultantes de lauriers et d’hortensias en fleurs, se voyait agrémenté d’impasses et de fausses pistes que tout promeneur, s’il s’avérait patient, pouvait déjouer aisément. A intervalles réguliers, ses allées secrètes étaient bornées par deux bancs de pierre dont l’intime gémellité était contrariée par la seule présence de l’épais mur végétal. Située à l’extrémité de la tortueuse galerie à ciel ouvert et accolée au rempart chantait une fontaine dont le centre se voyait ornementé des sculptures d’un marbre fatigué représentant la Sainte Trinité. De part et d’autre de l’édifice aux murmures aquatiques s’affrontaient deux étroites volées de marches de pierre permettant d’accéder à un chemin de ronde, créneaux et merlons formant un chapelet de crocs émoussés mordant le ciel moutonné de nébulosités pansues.

L’astre solaire, dont l’or printanier se trouvait affadi d’un voile brumeux, s’extirpait à peine d’un orient dénué d’éclat lorsque Euryale aborda l’entrée du jardin déserté de toute âme. S’engouffrant dans l’ombre tamisée, olivâtre, du premier corridor feuillu se présentant sur sa gauche, la jeune femme n’eut pas à tâtonner longtemps pour accéder à l’une des longues assises de pierre dont les pieds s’engouffraient sous la futaie. Par réflexe, elle s’acquitta d’une brève œillade par-dessus son épaule. Assurée de ne pas avoir été l’objet d’une filature abusive de la part de ses gens, elle prit place sur le banc. L’instrument à cordes chut sur ses genoux, et y demeura le temps que s’égrènent une poignée de grains de sable. Dans un soupir contraint, nerveux, la jeune femme hasarda enfin un regard hésitant sur le bois patiné de l’antique guiterne, moucheté par endroits d’une pellicule de poussière tenace. La mire écarquillée d’un songe nostalgique, la veuve Montecler finit par s’ébrouer d’un mouvement qui envoya sa senestre en gratter les reliefs obstrués d’un ongle minutieux, avant d’en rejeter la cotonnade grisâtre dans le vent frais pétri de remontrance, et qui s’engouffrait par à-coups versatiles le long de l’étroite coursive. La pulpe de ses digitales fébriles sinua sur le sillage raidi des quatre cordes doubles pour les chahuter d’un murmure mélodieux. Elle n’en avait plus extirpé aucun son depuis le décès de son unique fils, Ariste. En ce jour aurait-il fêté sa neuvième année. Ce constat l’avait tenue étroitement incarcérée dans une gangue de glace au sortir de duels oniriques perturbés, dont elle émergeait encore, et toujours, le corps en nage et le cœur affolé, incapable d’en préserver la moindre souvenance. Cette fois, pourtant, un vestige avait résisté à son réveil brutal : l’aiguillon aigu d’un acouphène lui avait rappelé la musique entêtante d’une balade mélancolique que son oncle, Onfroi d’Aspremont, lui avait apprise alors qu’elle profitait d’une visite en son châtelet de Marbrume afin de célébrer en compagnie de ses parents la naissance miraculeuse de son petit cousin Tharcise. Elle avait alors onze ans. Et tout égarée dans le tendre de ses pensées…

… Les notes désaccordées d’une série d’harmonies résonnèrent dans l’air frais de cette aube paresseuse. Ses doigts fins, pâles, rouillés par l’inactivité musicale de ces quatre dernières années, grattèrent gauchement les cordes, les pincèrent, soutirant les premiers arpèges hésitants de cet air obsédant qui ne cessait de harceler sa conscience. La senestre joueuse suspendit ces chatouillis évaluateurs pour tapoter le ventre creux de la guitare en un tempo impatient, et repartir à l’assaut d’autres notes au tracé infructueux. Sa voix à la tessiture éraillée escorta cet essai maladroit de quelques syllabes avant que ne se dessinât enfin l’esquisse de cette touchante partition empruntée au folklore marin.


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MessageSujet: Re: La fille du mathurin | Lazare de Malemort   La fille du mathurin | Lazare de Malemort EmptyDim 18 Sep 2022 - 10:40

La fille du mathurin | Juin 1167


La mélodie que des doigts tâtonnants grattaient sur les cordes enrouées d'une guiterne capta mon attention. Une guirlande de notes timides crochetait les branches moelleuses d'une haie de jeunes pousses contre laquelle j'étais presqu'adossé. L'air était familier, convoyait une saveur de mélancolie et d'aventure dont le salin honorait les falaises houspillées par l'océan déchaîné. De ma position, je ne savais en comprendre que la symphonie, puissante, intransigeante, qui butait contre les écueils rocheux soutenant le rempart me barrant l'horizon. Un banc rectiligne à l'angle droit de peu de confort me servait de siège tandis que je me figeai dans l'expectative de nouvelles tonalités ravivant ma mémoire. Les arpèges escortaient les souvenirs de chants scandés sur le pont de la Manticore, mais aussi d'instants cantabile où la tessiture onirifère de ma feue épouse embrassait mes tympans. De chétives tentatives de syllabes chantantes émanèrent du buisson touffu dressé en muraille entre les tonalités d'un lointain passé et celles engorgées contre ma pomme d'Adam n'ayant que vocation à ressurgir. Car je me souvenais tous les accords de ce poème lyrique dont les cordes caressées, pincées, étouffées parfois, tentaient de reproduire la vibration si caractéristique, et l'atmosphère si chagrinante. J'abandonnai le canevas de bois souple sur lequel je charbonnais mes esquisses — dessinateur à mes heures perdues — pour mieux tendre l'oreille et rattraper le cours de ces harmonies attristantes. Qu'il était doux et aigre de se remémorer le fil d'instants dont l'éphémère n'avait autrefois aucun corps et que l'on estimait acquis, à tort. Ces moments avaient filé, depuis, emportés par un torrent d'évènements amers que la finalité de cette ballade traduisait à merveille…

L'aube bringuebalait ses moutons cotonneux sur une toile grisâtre et chargée d'humidité, l'aurore ne réchauffant point les prémices de cette matinée. S'était écoulé un temps sans mesure depuis la visite de la dévote venue interpréter mes incartades oniriques dont la conclusion, comme incomplète, avait occupé d'autres de mes nuits. Cependant que je m'évertuais à en déceler un sens nouveau, éparpillant les notes manuscrites sur le plateau d'une table sans décorum, d'autres affaires avaient requis mon attention. Réunions de hauts dignitaires quant à la reconquête d'un territoire éloigné, rassemblement de convoyeurs au regard d'une saison estivale en vue, passes d'armes et manœuvres au mouillage, autant d'occupations ayant noyé depuis l'imbroglio d'hypothèses qui ne me menait à rien. Ce jour fut marqué par un instant de repos, de sérénité et d'introspection. En dépit d'un épilogue qui ne me plaisait guère quant aux messages riknites, deux années d'un deuil scrupuleux avaient passées, et je m'efforçai de suivre le conseil de la religieuse : celui de tourner cette page. Armé d'une plaque de peuplier claire ainsi que d'une boîte à outils du même, j'aspirais à rejoindre un lieu propice à l'étude et de peu de passage. Le tillac de mon navire ne cumulait guère assez d'atouts pour être un endroit de choix tant les quartiers portuaires grouillaient aux heures où la pêche en haute mer s'en revenait faire des heureux. Le jardinet dont je pouvais contempler les allées géométriques jonchées de gravillons depuis ma résidence n'était point assez exotique, et m'emmurait dans une zone de confort dont je me devais repousser les limites. Un jardin, toutefois, me semblait être adéquat. La Fange ayant quelque peu altéré les priorités de l'Esplanade — pas assez à mon goût —, les espaces verts se voulaient être à l'abandon, requérant trop d'entretien et laissés à pousser dans le chaos de branchages et pousses téméraires. L'harmonie rompue ne convenant pas à l'extrême sensibilité artistique de la noblesse de robe, peu s'y prélassaient encore. Parmi ces édens délaissés, la structure la plus complexe se voulait être un labyrinthe de haies attenant à l'enceinte ouest du quartier nobiliaire. Surplombé par une coursive que la milice royale employait à cœur joie afin d'épier les tourtereaux isolés dans ces impasses végétales, l'endroit était un parfait candidat pour m'adonner à mes expérimentations esthétiques.

Alors je traversai, dans la pénombre ambiante d'une aurore encore chétive, les venelles désertes de l'Esplanade. La noblesse bonne à s'octroyer de longues matinées ensommeillées ne pavait guère les rues, tout juste mouchetées de gardes et chevaliers fort matinaux. Quelques regards me valaient encore du mépris, tandis que beaucoup avaient troqué leur dédain pour l'indifférence ; un marchandage dont je m'accommodais. J'approchais l'entrée unique du dédale verdoyant pour réaliser un peu plus la décrépitude de cet hortillonnage. Qu'à cela ne tienne, j'écartais les premiers branchages pour me libérer une voie que j'empruntai avec diligence parmi les options du sentier et les impasses me barrant la route. De longues minutes de marche s'annoncèrent, bien que les bancs tapissés d'aiguilles verdâtres se succèdent, avant que je n'atteigne un square en demi-lune qu'une fontaine ornait en son centre. L'imagerie gravée dans son marbre affadi rappelait la Trinité, de laquelle je n'aspirais guère à attirer l'attention. Deux sièges couraient le long de l'arc circulaire lui faisant face, et la particularité de ce parc de résider dans l'opposition systématique de deux banquettes dont le garde-fou herbeux coupait la communication. Ainsi, plutôt que de m'imposer la vision de cette statuette humide, je m'engageai dans le cul-de-sac d'un nouveau chemin attenant à cette place au gravier pâle. Et fin installé, j'empoignai un morceau de charbon noir afin de laisser libre cours à une image rémanente de mes souvenirs, bercé par le bruissement mesuré de la brise fauchant la charmille.

Ce fut au cours de ces errements du fusain sur une planche à dessin que l'eurythmie joignant les notes au fredonnement hasardeux percuta ma mémoire et me rappela l'époque heureuse. Grand prince, je m'aventurai à accompagner ces infructueuses amorces d'un bourdonnement éraillé réajustant ces incertitudes, et m'assurant que cette intervention ne sépare point les cordes de leurs doigts chatouillants, je me risquai à la lisière des premières paroles…

Aux premières lueurs du jour,
S'étend sous l'aurore le plus bel atour,
D'une mer affable aux blancs étendards,
Quand le mathurin largue ses amarres… largue ses amarres…
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MessageSujet: Re: La fille du mathurin | Lazare de Malemort   La fille du mathurin | Lazare de Malemort EmptyLun 19 Sep 2022 - 16:54
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La fille du mathurin | 10 juin 1167

Yeux clos sur la porte entrouverte de ses remembrances, Euryale poursuivait ses tâtonnements tactiques, la pulpe de ses doigts retrouvant instinctivement leur place sur le sentier aveugle des cordes grippées du vieil instrument. A la façon d’un chat joueur dont les coussinets sensibles rehaussées de griffes harcelaient leur proie, ses ongles délicats, au bout des nivéennes arachnides, appréhendaient cette cohorte de notes indomptées qui s’évadaient et caracolaient, emportées par les souffles d’une brise audacieuse qui s’insinuait au cœur de ce corridor acoustique. Au fil de ces arpèges turbulents, de ces harmonies scrupuleuses, sa senestre retrouvait peu à peu de sa diplomate virtuosité, pinçant, effleurant, suspendant, selon les exigences de style que cette ballade à refrain imposait. Et à l’instar de ce chant entêtant que les flots déchaînés de la mer au-delà des murailles offraient sans relâche, le ressac de ces accords avait une pulsation qui lui était propre. C’était la pulsation d’un battement de cœur. Sur ce métronome se calait toute l’interprétation mélancolique, intransigeante, de cette mélodie…

… sur laquelle une voix, au grave vibrant, se plut à s’arrimer sur la dynamique des notes. Comme surgie de nulle part et de partout à la fois, elle s’enorgueillissait d’une onde chaleureuse, d’une fidélité certaine de ton, d’un elle-ne-savait quoi de mélodieux et d’ardent qui imprégnait, remuait et agaçait le cœur. Prise au dépourvu par l’intime certitude de s’être crue esseulée en ce labyrinthe en friche, la Baronne de Malefreux suspendit brièvement la course intrépide de ces staccatos, un fourmillement tiède essaimant ses aiguillons sur le derme de sa paume inerte. Et ce soupir impromptu soufflé sur la trame invisible de cette triste partition provoqua un subtil décalage entre les notes extirpées du ventre défraîchi de la guiterne et le fil entamé par l’inconnu dont le timbre bourdonnant derrière le rempart feuillu rallumait les lanternes étouffées de sa mémoire.

Peut-être crut-elle à tort, dans le lapidaire silence qui enveloppa cette déroute musicale, avoir interrompu les tentatives de ce promeneur de l’aurore de s’épancher à son tour ? Car aussitôt ses doigts reprirent-ils leur élan, rattrapant leur retard sur cette première strophe que son oreille attentive avait chapardée.

- … Je vous en prie, poursuivez. murmura-t-elle à cet Invisible sur un accent d’invite tacite. Un sourire ému grimant ses lèvres, le nez levé contre le rempart végétal, l’éraflé particulier de ses intonations s’écrasait, suave et nonchalant, sur le feuillage épais des lauriers. Les paroles de cette chanson m’échappent encore…

Sentinelles fébriles et avides, ses prunelles d’opale fouillèrent en vain l’olivâtre toison qui formait une inexpugnable protection contre l’œil indiscret d’un observateur curieux. Qui que fut l’insolite baryton – et peu lui importait, en vérité - la guiterne accéda à la requête imposée par les doigts d’Euryale. Dans l’honnêteté sans fard d’un échange occulté entre ces deux étranges acteurs et artistes, le dialogue émouvant qui s’instaura entre l’instrument et l’interprète mystérieux se vit enrichi de ces sentiments libres que d’aucuns ne pouvaient suspecter, déranger ou juger. En cet instant, l’antique guitare servait-elle de ballast pour stabiliser le courant ininterrompu de leurs communes et nostalgiques pensées. Et sans que l’Un sache qui était l’Autre, elle était le symbole des itinérantes émotions qu’ils ressentaient, et partageaient sans en être conscients.

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