La Trinité au fusain [Emeric]

Emeric n'avait plus de nouvelles, ni de la Dame de ses Rêves, la belle Clarence, ni de Dame Léonice. Cela le perturbait. Lui, qui semblait avoir trouvé un peu d'équilibre, il se retrouvait perdu. Bien-sûr, il y avait sa vie d'écuyer, de futur chevalier, et son désir de secourir les gens dans le besoin comme le font ceux de sa profession, mais, il lui manquait ce quelque chose...
Bien-sûr, il aurait pu entreprendre de secourir la petite Margaux, ou bien approfondir ses recherches concernant les sectes qui lentement envahissent Marbrume, mais rien ne trouve pour l'instant grâce à ses yeux.

Alors, tout naturellement, il se tourne vers le temple, et les prières ! Dame Rikni vient simplement lui offrir une nouvelle épreuve ! Tant pour sa foi, que pour son coeur, malheureux coeur qui s'est battu pour l'amour, qui aime toujours ce songe devenu un bref instant réalité ! Reviendra-t-elle ? Elle qui pourtant paraissait être une entrave à son désir de chevalerie.

Ainsi, profitant d'une pause dans son service à la demeure de Madame de Montfort, il se rend au Temple.
Le même chemin. La même croyance. Devant la bâtisse, il admire la devanture, il souffle. Le jeune écuyer entre alors. Et comme toujours, ce silence salvateur, et apaisant.
Il y a déjà du monde.

Emeric se faufile en respectant scrupuleusement le silence, il regarde les statues, et se recueil, en particulier lorsqu'il passe devant l'alcôve où il a rencontré Dame Léonice.
Suite à cela, il avance. Il croise des gens qu'il a déjà vu, qu'il salut discrètement, et soudain, il passe devant une jeune demoiselle qui lui parait fort concentrée.
Tournant son regard, le jeune homme remarque qu'elle est en train de dessiner. Et son trait est jolie, et petit à petit commence à représenter Anür.
Il reste là et la laisse dessiner.

Il est fasciné par la concentration de la demoiselle, et son talent certain. Ce n'est que lorsqu'il constate qu'elle va prendre une pause qu'il se permet un petit mot.
- Votre dessin est remarquable, dit-il, je me nomme Emeric, écuyer. Ajoute-t-il en inclinant légèrement son buste dans un geste galant.
Il se redresse ensuite et croise les bras, et s'écarte d'un pas comme pour lui signifier qu'il ne veut pas la déranger plus que cela, et qu'elle pouvait poursuivre son oeuvre.

Le jeune écuyer regarde le dessin, l'agilité de son coup de crayon le fascine.
Il ne dit rien lorsqu'elle le remercie pour son petit compliment. Tout comme il préféra se taire quand, à son tour elle se présenta.
Emeric ne savait pas vraiment quoi dire, ni en somme pourquoi il s'est arrêté pour lui parler.

Des gens discutaient, jetant un oeil au dessin, les commentaires flatteurs fusaient. Le fait qu'elle reprenne une auberge l'étonne, en effet, se dit-il, elle pourrait facilement gagner sa vie avec son génie.
Toutefois, il n'ose pas juger, se contente de penser qu'elle doit avoir ses raisons, après tout, il ne la connait pas.

Après un instant, la demoiselle lui demande s'il est connaisseur.

-" Je ne suis qu'un amateur, mais, durant mes années où je servais en tant que Page, il m'est arrivé de pratiquer le dessin et la peinture, dit-il en se remémorant quelques souvenirs. Il se souvenait avoir un petit talent.

Il leva ses yeux en direction de la statue et s'oublia dans un soupir mélancolique. Qui sert-il ?
La question le troubla bien plus qu'il voulait le montrer. Il aurait volontiers exprimé sa dévotion pour Dame Léonice, la Dame aux cheveux flamboyants, mais voilà que depuis peu elle est portée disparue.
Bien sûr, il ne perd pas espoir de la retrouver... Alors au lieu de parler d'un songe, il se contenta de la réalité.

-" Je sers sa Grâce, Dame Aliénor de Montfort..., déclare-t-il d'une voix discrète afin de ne pas briser le calme du temple.

- Venez-vous souvent ici.? Demande t-il pour finir.

D’autres personnes s’étaient arrêtées pour la féliciter et le rouge avait commencé à lui monter aux joues, peu habituée qu’elle était à tant de compliments en public.
Puis les badauds s’écartèrent, la laissant seule avec le jeune Emeric. Parce que oui, il devait clairement être plus jeune qu’elle. Pas de beaucoup, mais quand même.
Il répondit alors à ses interrogations et une lueur de curiosité s’alluma dans ses grands yeux bleus tandis que ses mains arrêtaient leur ouvrage.
« Vous n’avez plus dessiné depuis lors ? Ça ne vous manque pas ? »
Elle-même se souvenait très bien des premiers mois de galère à Marbrume, où il lui avait été impossible de pratiquer quel qu’art que ce soit. À part dessiner à la boue sur les murs… Génial. Elle avait cru devenir folle.

Une présence dérangeante s’imposa alors aux sens de la jeune femme, en périphérie de son champ de vision. Mais elle tenta de s’en désintéresser alors que l’écuyer évoquait sa Dame. Aliénor Montfort de Brieuc… C’était bien l’un des seuls noms de la noblesse marbrumienne qu’elle avait retenu.
« C’est une grande Dame que vous servez là, quel honneur ! Comment êtes-vous entré à son service ? »
Elle aurait donné un rein pur avoir l’occasion de créer un bijou porté par la belle Aliénor…

Des images de tiares de verre et de colliers étincelants lui traversèrent l’esprit mais elle fut incommodée par cette même présence étouffante, là-bas, sur sa gauche. Une silhouette immobile, à l’aura menaçante, qui ne s’approchait pas pour autant.
Alaïs se décida donc à manœuvrer pour tenter d’en voir plus. Elle croisa donc les jambes, profitant du mouvement pour se tourner une peu plus vers son jeune interlocuteur.

Ah. L’intrus était maintenant bien visible et les doigt de la jeune femme se crispèrent sur son supporte de dessin, ses phalanges blanchissant sous l’effort.
Le nom de l’homme ne lui revint pas immédiatement mais il travaillait chez Durian, LE concurrent de Bauduin, son ancien patron.
Alaïs l’avait rencontré à plusieurs reprises alors qu’elle accompagnait Bauduin chez des fournisseurs et qu’ils y avaient croisé Durian et son chien de garde aux yeux aussi noirs que sa tignasse hirsute. Il aimait lancer des remarques déplaisantes, et parfois même très déplacées, qui n’avaient fait que s’amplifier avec les mois et la pérennisation de la position d'Alaïs à l’atelier. Au point que Bauduin en était venu aux mains, une fois.
Et ces yeux de démon étaient maintenant fixées sur elle, depuis les ombres entre deux colonnes massives, à quelques pas d’Emeric.

Alaïs déglutit péniblement et commença à replier précautionneusement son dessin (au prix du papier !). Elle détestait la confrontation et il ne faisait aucun doute que cet homme allait tenter quelque chose.
Elle essaya de gagner du temps au répondant au jeune homme bien plus avenant qui lui faisait face.

« Oui, je viens assez souvent. Je ne suis pas de Marbrume et je ne me sens pas encore tout à fait à ma place en ville. Mais ici, c’est différent… J’y trouve une certaine sérénité. »
Elle sourit aussi paisiblement que possible pour masquer les rouages de son esprit en action.
Qu’allait donc tenter cet imbécile insultant ? Boris ? Non… Joris… Rah, elle ne parvenait même pas à se souvenir de son nom !
« Et vous ? »
Devait-elle attendre de voir s’il passait à l’action ? Reprendrait-il sa litanie d’insultes habituelle ici, en plein milieu du Temple ? Devait-elle prendre la fuite au plus vite ? Ou pouvait-elle compter sur la galanterie du jeune Emeric ?