Marbrume



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 Ferrer le bon poisson [Erasme]

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MessageSujet: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyMar 7 Mar 2023 - 19:28
15 avril 1167.
Marbrume.
Quartier du Port.
Matinée.


- Par la jantebois et par les miches de Rikni, j'vous r'pète que c'était pas moi ! J'ai jamais fait d'commerce de pavot rouge, j'suis un honnête herboriste, moi, m'sieur !
- Ben voyons, Aycelin, pour quelqu'un qu'on surnomme "Le Fûté", t'en as pas franchement beaucoup dans la c'boche, répondit Julius en liant les mains du trafiquant. Suffit, on t'embarque ! Tu vas avoir pas mal de choses à nous dire dans la caserne, hein, Aycelin ? Non parce qu'au cas où tu saurais pas, entre ça et le trafic de gamins à sacrifier à Etiol, les gus comme toi, ils sont à présent sur la liste prioritaire des arrestations. Pas besoin t'de dire comment qu'ça va s'passer, hein ?
- Mais puisque j'vous dis qu'j'sais rien ! M'dame, le laissez pas m'emmener, gémit-il en se tournant vers Clervie qui observait la scène, impassible. J'vous jure j'suis innocent... Bon, allez, j'avoue, p'têt qu'j'ai un p'tit peu écouler d'pavot, mais pour les gamins enlevés, j'vous jure, sur la tombe d'ma pauvre mère, les Trois m'en soient témoins, je sais VRAIMENT, vraiment rien ! Et j'fais pas ce genre de trucs ! J'ai une âme quelque part, j'ferais jamais d'mal à un loupiot !
- Tu iras dire ça à Anür quand la corde aura mis fin à ta misérable existence, répliqua la Corbac en toisant le malhonnête de ses yeux d'obsidienne. Suffit, rien ne pourra nous attendrir. Tu as vendu du pavot rouge, tu l'as confessé ; la peine pour le trafic de ce genre de susbtance, c'est les épousailles avec la veuve à la jambe de bois, mon ami.
- A... Attendez ! s'écria-t-il soudain. Parfois, je sais que la milice, ben... Elle a dû mal à obtenir certains renseignements... Alors que... un gus comme moi...
A ces mots, Clervie eut un sourire sardonique :
- Tiens donc... Alors, on veut négocier maintenant ? Vas-y, parle donc, mon petit oiseau. Mais ton chant a intérêt à être joli, autrement, tu n'échapperas point à la place des chevaliers. Rikni a faim de justice, ces derniers temps !
- Le type au masque de jade... J'ai ouï parler que c'était p'têt un noble ou un bourgeois...
- T'es bien renseigné, dis-moi ! commenta Julius. Y'a des fuites à la caserne ou quoi ?
- Mais ça vous intéresse, hein ? C'est suffisant pour échapper à la béquillarde si j'vous dis que je sais qui pourrait peut-être savoir de qui il s'agit ?
Corbac se rapprocha de l'homme. Ses iris flambaient à présent d'une lueur presque démoniaque :
- Parle donc, souffla-t-elle. Et parle bien. Et si tu as le malheur de mentir, sache que je te retrouverai... Et crois-moi, tu regretteras de ne pas te balancer au bout d'une corde plutôt que de te retrouver entre les serres de la Corbac !
Si le bougre avait cru Clervie encore capable de la moindre compassion, à présent, il ne pouvait plus s'y tromper. La milicienne que tout le monde connaissait sous le nom de Claire Corbac pouvait aider les démunis, mais elle pouvait aussi se montrer féroce envers les injustes et cela ressortait dans toute son apparence ; autant dans le bleu nuit de ses cheveux soigneusement attaché à l'arrière que dans les arrêtes dures de son visage au teint mat creusé par les privations, sa silhouette droite et mince comme une lame d'acier battue par la vieille cape verte attestant de sa fonction et le noir d'enfer que pouvait prendre ses iris lorsque la colère lui montait au nez. Le malheureux Aycelin le Fûté, ce petit trafiquant dont la vie ne valait pas cher, comprit qu'il avait fait une terrible erreur en pensant qu'une milicienne laisserait son coeur de femme être attendri par ses suppliques ; celui de la Corbac pouvait être aussi dur que la roche des falaises de Marbrume.
Surtout lorsqu'il s'agissait de poursuivre des sectaires.
Alors, il donna son renseignement en priant les trois que cela suffise à la Mégère qui se tenait devant lui.
- Un bourgeois qui ferait du trafic d'enfants ou un truc louche, ça peut pas exister sans qu'Erasme Ribadier soit potentiellement au courant. Il connaît tout le monde et il est à l'affût de tous les ragots. C'est lui qui dirige la pêcherie aux trois docks du second quai nord. Demandez-le. Je suis sûr qu'il pourra vous aider d'une façon ou d'une autre.
- Erasme Ribadier. Retenu. Allez, file et qu'on ne t'arrête plus. La prochaine fois, je te promets que tu y passes, si on te reprend à vendre de la poudre de pavot rouge, vil faquin !


- T'es sûre qu'on a bien fait de le laisser filer, Corbac ?
demanda Julius alors qu'ils marchaient le long des docks, la brise marine chargée de sel leur fouettant le visage.
- A quoi bon s'encombrer de lui ? répondit Clervie en haussant les épaules. Et puis, il faut savoir tenir parole.
- Ouais, mais s'il allait prévenir le type au masque de jade que t'es à nouveau sur ses traces ? Visiblement, il est du genre à vendre père et mère pour sauver sa peau...
- Il n'en fera rien. Il était vert de peur quand il a compris qu'on cherchait des sectaires. Ils le terrifient autant qu'ils terrifient les honnêtes gens. A mon avis, il va plutôt partir se terrer dans un coin et prier pour qu'on attrape cet oublié des Trois avant que d'autres enlèvements n'aient lieu...
- Et le Erasme ? Si c'était lui-même un servant d'Etiol ?
- Ca, c'est ce qu'il faudra déterminer quand nous l'interrogerons. Ah, nous arrivons au quai nord !

La pêcherie Ribadier se dressait à présent devant eux, petit bâtiment deux pièces à quelques pas des trois docks auxquels ses navires étaient affectés. Une vingtaine de marins étaient d'ailleurs en train de décharger des paniers à poissons à aller distribuer à la criée. Dans le ciel bleu et nuageux du milieu de la matinée, des goélands survolaient le navire en poussant des cris de dépit lorsque les pêcheurs faisaient de grands gestes pour les chasser.
- File, sale bête ! aboya un marin en menaçant du poing l'un des oiseaux de mer qui avait réussi à chiper un anchois dans l'un des paniers.

Plus loin, Clervie aperçut un grand homme chauve vêtu d'une chemise propre et d'un pantalon de cuir, penché sur une caisse qui lui servait de table à écrire, en train de gribouiller des chiffres sur un parchemin. Sûrement le contremaître ou le secrétaire du propriétaire de l'entreprise. Abandonnant son attitude féroce pour se composer une mine plus courtoise, Clervie s'approcha de lui, suivie de Julius.

- Bonjour, monsieur. Enquête de routine de la milice. Pourrions-nous nous entretenir avec votre patron ?
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyMar 7 Mar 2023 - 21:19
Le Gros Louis était au port chaque fois que l'un des navires de la Compagnie Ribadier s'en revenait. Il avait travaillé durant plus de dix ans pour le père, et depuis que le fils avait pris les rênes de la société, il travaillait pour lui avec la même diligence qu'avec le vieux. Peut-être même un peu plus... Le rejeton gueulait beaucoup moins, et il était moins revêche que l'ancien qui aboyait pire qu'un clébard enragé quand quelque chose l'incommodait sur son navire ou dans les entrepôts. Pas un tempérament facile, assurément. Et pourtant, le Gros Louis n'avait jamais fait faux bond à son vieux gueulard de patron. Avec l'âge, celui-là s'était plus ou moins retiré. Il partait encore en mer, emmerdant plus les marins qu'il ne les aidait, mais c'était lui qui avait porté la compagnie à bout de bras pendant toute sa vie. Les gars à bord le craignaient toujours un peu, mais surtout, ils respectaient le vieux loup de mer qui avait roulé sa bosse et savait les sortir de la mouise à chaque fois qu'il y avait un problème.

Le colosse chauve regardait les gars faire des va-et-vient entre le navire et les entrepôts où les gamins et les épouses faisaient le salage, préparaient les marinades, et opéraient la découpe des poissons. Le dock était en pleine activité avec des marchands de la ville qui attendaient de venir se ravitailler, et des femmes qui espéraient remplir les paniers. Le Gros Louis notait les arrivages, les commandes, et recevaient les paiements tout en donnant ses directives tant aux marins qu'aux gens qui travaillaient dans l'entrepôt. Ce n'était pas la plus grosse compagnie de la ville, mais elle se portait bien, et il n'y avait qu'à voir la carrure des marins qui travaillaient à décharger le chalut pour comprendre qu'ils avaient droit à un régime assez privilégié. C'était l'ordre du patron, le nouveau, le jeune. Avant de vendre, tout le monde avait droit à sa ration. Le grand chauve ventripotent et au cou de taureau était plongé dans ses comptes, au point de ne pas voir arriver la Milice. Quand il entendit une voix féminine, il lança machinalement:

"A la queue! Comme les autres!"

Un marin s'arrêta alors avec une caisse dans les bras, et se mit à rire avant de lui dire:

"Hé Gros Louis! C'est pas une cliente. C'est la MILICE! Regarde donc."

Le chauve posa sa plume et se retourna, dévisageant l'escouade en plissant un peu les yeux. Qu'est-ce qu'ils voulaient encore ceux-là? Il se gratta l'arrière de son crâne luisant en semblant réfléchir un instant. Ca devait être du poisson. Tout le monde venait pour du poisson de toute façon. Les gens ne pensaient plus qu'à se remplir la panse. 

"Gros Louis... Il est où le patron?"

Le marin avait bien compris que Gros Louis n'avait rien écouté. Le mastodonte regarda le marin en lui faisant signe de se barrer de la main, avant de se retourner vers les miliciens. Il jeta un œil vers le soleil pour avoir une petite idée de l'heure. La matinée était quand même assez avancée. Le patron était réglé comme une horloge avec ses petites habitudes et sa maniaquerie. Un des navires était en plus à quai. Il était là depuis un petit quart d'heure. 

"Normalement, il vient voir la cargaison de poisson quand un navire arrive. Donc si vous attendez un peu, il va bien finir par arriver. C'est un p'tit gars, grand comme ça, avec les cheveux longs et une p'tite moustache."

Illustrant la taille du concerné avec sa main, il indiqua vaguement dans les 1m75. C'est alors qu'un "toc toc" répété se fit entendre. C'était le bruit d'une canne au bout ferré qui tintait contre les pavés du port. Le Gros Louis se retourna instantanément en voyant arriver une silhouette, qui passait en effet tout juste sous sa main encore levée. L'arrivant adressa un signe amical de la main au grand chauve, qui ajouta à l'intention des miliciens.

"Ben voilà... Grand com' ça! C'est lui M'sieur Erasme. Y veulent vous causer M'sieur Erasme! C'est des gens de la Milice! Ch'ais pas c'qu'ils veulent."

En disant cela, c'est comme si le Gros Louis était mis face à une nouvelle interrogation. Il regarda les miliciens avec un air méfiant, avant de grogner:

"C'est vrai ça au fait... Y veulent quoi ceux-là?"

Le nouveau venu faillit s'arrêter net en entendant le mot "Milice". Durant une fraction de seconde, il se demanda en son for intérieur si l'on venait enfin l'arrêter pour avoir écrasé le crâne de sa femme à coups de maillet. Mais n'y laissant rien paraître, il continua d'avancer avec sa canne à la main, souriant toujours. Personne ne pouvait savoir, et personne ne savait. Crânement, il alla entre le Gros Louis et les miliciens. Un petit groupe de soldats. Ils avaient l'air calmes, et aucun n'avait fait mine de lui foncer dessus en apprenant qui il était. D'un ton jovial, il déclara:

"C'est bon Gros Louis. Je m'occupe de cela."

Il se tourna vers les représentants de la Milice. Parmi lesquels il y avait une femme. Cela, il ne s'y ferait jamais. Exposer des femmes au péril de la sorte... C'était une aberration à ses yeux. Mais le genre humain en était réduit à cela. Crever de faim derrière des remparts,  attendre la mort dans la crasse, et sacrifier tout ce qui devait être préservé. Plantant sa canne devant lui, son pommeau en métal dans le creux de la main, Erasme adressa un sourire aux miliciens.

Cheveux lâches, il était vêtu assez simplement, mais de propre. Ses bottes de cuir noir étaient impeccables, ainsi que son pantalon sombre, tenu par un large ceinturon auquel pendait sa dague, dont la pointe dépassait un peu de sous sa veste brune. Pour le reste, une chemise de lin était négligemment entrouverte sur son cou. Rien de menaçant ne transparaissait dans son allure, et il se présenta:

"Je me présente: Erasme Ribadier, propriétaire de la Compagnie Ribadier, et de ce fier bâtiment à quai. Que me vaut le... plaisir d'une visite de la Milice?"

Il avait marqué un léger temps d'hésitation dans sa phrase. Personne n'aimait voir débarquer la Milice chez soi. Sur ce point, il ne faisait aucunement exception à la règle. Ils ne venaient jamais par courtoisie. Joignant les deux mains sur le pommeau de sa canne, il se pencha en demandant:

"Y a-t-il un quelconque problème?"
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptySam 11 Mar 2023 - 19:16
Le secrétaire écouta à peine Clervie. Visiblement, toute son attention était accaparée par ses comptes. Fort heureusement, l'un des marins était un peu plus vif d'esprit et s'empressa de renseigner les deux miliciens. Le dit Erasme Ribadier eut d'ailleurs la décence de ne point trop se faire désirer et apparut rapidement:

"Je me présente: Erasme Ribadier, propriétaire de la Compagnie Ribadier, et de ce fier bâtiment à quai. Que me vaut le... plaisir d'une visite de la Milice?"

Le ton était jovial, presque trop au goût de Clervie. L' allure du bourgeois était bien entendu soignée, jusqu'à sa chevelure bouclées bien qu'à cet instant ébouriffée par les vents ; ses bottes noires et hautes avaient été astiquées pour rivaliser en brillance avec des joyaux, comme s'il espérait attirer ainsi la prospérité sur lui. L'on voyait bien, à travers sa posture droite, se dégager de lui l'ambition de ceux qui rêveraient de démontrer aux sangs-bleus qu'ils sont capables de faire aussi bien, sinon mieux qu'eux. Si d'ordinaire, une telle attitude avait tendance à impressionner Clervie, aujourd'hui, elle ne pouvait que voir là quelque chose de suspect ; en effet, il n'était point forcé que le kidnappeur des enfants soit forcément un adepte de la secte des marais. Cela pouvait aussi tout bonnement être l'un de ces "fournisseurs de victimes" qui kidnappaient des marmots pour les vendre sans se soucier de ce qu'il en advenait par la suite. Or, pour de l'argent et du pouvoir, certains étaient prêts à toutes les ignominies. Était-ce le cas de l'homme en face d'elle ?
Elle releva que le sourire de ce dernier semblait s'être quelque peu crispé alors qu'il demandait quel problème pouvait mener la milice à visiter ses docks. Évidemment, il n'était clairement pas ravi de les voir. Mais cela n'était pas suffisant pour faire de lui un possible criminel. Après tout, aucun commerçant n'aimait voir la milice débarquer sur son lieu de travail et poser des questions ; c'était mauvais pour les affaires. Ce fut donc en gardant tous ces éléments à l'esprit que Clervie rendit un sourire poli à l'homme :

- En effet, nous enquêtons sur l'affaire des disparitions d'enfants entre le port et le goulot. L'on nous a dit que vous connaissiez bien les commerçants influents du coin et que vous auriez peut-être quelques informations susceptibles de nous être utiles.
Elle décida de commencer par une question basique.
-Est-ce que vous avez remarqué des événements étranges aux alentours ces trois dernières huitaines ? Un drôle d'individu rôdant toujours dans le même périmètre ou autre ?
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptySam 11 Mar 2023 - 22:40
Lorsque la milicienne annonça le but de sa visite, le bourgeois cligna des yeux, comme interloqués. Il réagit comme une personne parfaitement étrangère à un problème dont on venait l'entretenir avec le plus grand sérieux, et qui n'y comprenait goutte. D'un autre côté, il fut bien en peine de retenir un soupir de soulagement. Ce n'était "QUE" ça... Et pour le coup, il était parfaitement innocent dans cette histoire. Sa main, jusque-là un peu crispée sur le pommeau de métal de sa canne se détendit presque instantanément, et il se servit de sa dextre pour venir jouer dans l'extrémité de sa moustache du bout des doigts. Une façon, peut-être de se détendre très inconsciemment. D'une voix bien plus détendue, il tâcha de répondre.

"Ah... Les fameuses disparitions d'enfants. Entre le port et le Goulot, vous dites? Ma foi, je dois en savoir autant que n'importe qui dans cette ville sur le sujet... Quant à vous dire si j'ai bien vu de la marmaille disparaître, je serais hélas bien en peine de le faire. Les enfants de mon personnel, qui sont aussi mes voisins, travaillent dans l'entrepôt juste ici, avec les épouses de mes marins.
Ils éviscèrent les poissons, préparent les marinades, le salage, et même le fumage. Nous ne les laissons pas trop traîner, et je ne crois pas que grand monde manque à l'appel. Les parents seraient venus me réclamer de l'aide, assurément."

Dans le port en revanche, il n'avait pas le regard posé sur chacun des habitants. C'était là quelque chose dont il se serait d'ailleurs bien gardé... Chacun chez soi, et les vaches étaient bien gardées. Comme tous les hommes vivant dans le port, le bourgeois avait forcément entendu parler de ses affaires, et il avait bien évidemment quelques doutes sur le sujet, ainsi qu'un point de vue bien à lui. Désignant l'entrepôt derrière lui de la main, il annonça aux miliciens:

"Si le cœur vous en dit, vérifiez vous-mêmes. Libre à vous de fouiller l'entrepôt. Il n'y a rien que des travailleurs, du poisson, et ce que requiert le traitement des denrées. Des honnêtes gens, dont je puis attester comme de moi-même. Et si cela me concerne, ma maison est là-bas. La maison à colombages. Fouillez si cela vous démange. Je ne vis pas seul. Je suis dans la demeure de mes parents, où vit encore la plus jeune de mes sœurs. Vous trouverez sans doute que ce n'est pas le terrain le plus propice à ce genre d'exactions."

Rien de compromettant ne pouvait traîner dans sa demeure, ni dans aucune de ses possessions. Il avait oublié ses navires. Des fois que l'idée leur prenne, il ajouta assez vite:

"Ce navire à quai peut aussi recevoir des miliciens à bord. La Compagnie Ribadier n'a jamais mouillé dans aucune affaire louche, et jamais n'y trempera."

Quant aux lettres susceptibles de le compromettre un jour vis-à-vis de sa femme, il avait fini par les réduire en cendres en comprenant le danger que cela représentaient potentiellement pour lui. Pour le reste, il jouait franc jeu et il déclara:

"Sur le port, je serais bien en mal de vous dire si des quidams disparaissent ou non. Tous les jours, nous voyons venir des gens différents qui quémandent à manger. Les têtes que nous voyons changent vraiment tous les jours. Aucun bourgeois de ma connaissance ne s'amuserait à séquestrer des gamins. Retenir des enfants, si l'on espère les garder en vie, réclame de les nourrir, et je ne connais pas grand monde qui serait en mesure de se payer ce... luxe, si je puis dire. 
S'ils disparaissent de la sorte, je crains qu'ils ne soient rapidement tués. S'ils devaient rester en vie, par contre... Les possibilités se réduisent à quelques-unes seulement, vous ne croyez pas?"

Certains savaient bien qu'il ne pouvait pas voir un noble en peinture, de près comme de loin. Il aurait bien volontiers mis cela sur le dos d'un noble, mais il y avait peut-être deux ou trois autres possibilités. En tout cas son sous-entendu semblait assez clair pour qui voulait bien l'entendre.
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyDim 12 Mar 2023 - 14:40
Jusque là, Clervie avait bien remarqué que le Ribadier semblait quelque peu crispé par le fait de voir des miliciens débarquer dans son lieu de travail. Il en avait d'ailleurs légèrement serré la main sur le pommeau de sa canne. À présent, il adoptait une posture beaucoup plus détendue. Néanmoins, Clervie était persuadée qu'il n'était pas aussi blanc qu'il voulait bien le paraître. Il s'attendait à ce que la milice vienne lui poser des questions, réalisa-t-elle soudain. Après, est-ce que son secret avait bel et bien à voir avec la secte d'Etiol et les disparitions d'enfants, c'était une autre histoire. Mais il cachait quelque chose, ça c'était sûr, n'en était-ce par la manière dont il proposait allègrement aux miliciens de fouiller ses entrepôts, sa maison, ses navires, alors qu'on ne lui avait point encore demandé telle garantie. De toute évidence, Julius avait également relevé cet aspect.

Allons, allons, mon bon sieur, commença-t-il d'un ton avenant. Nous n'allions point d'suite vous accuser de telles ignominies, ou alors, nous pouvions tout de suite mettre à sac la moitié des demeures des commerçants de ce port. Nous sommes avant tout à la recherche de témoignages, car se trouve qu'avec ma collègue, nous savons ce qu'il est advenu d'une partie des moutards.
En effet, poursuivit Clervie. Et comme vous l'avez si bien relevé, des victimes vivantes représentent un coût à une époque où la nourriture se fait rare. En fait, nous savons que tout ceci est l'œuvre d'un "marchand de chair".

N'étant pas sûre que le commerçant connaisse la définition de ce terme, elle ajouta :

- Les marchands de chair enlèvent des victimes et les revendent, à la demande de leurs employeurs. Dans le cas présent, nous savons que celui que nous cherchons a fourni une branche de la secte des marais, qui demande des jeunes garçons encore vierges pour ses sacrifices. Et aussi des trafiquants de diverses drogues qui avaient besoin de cobayes pour tester leurs mélanges.

Elle avait hésité à partager ces informations avec un potentiel suspect, mais visiblement, celui-ci en savait peut-être plus qu'il n'y paraissait au premier abord. Et visiblement, il était très enclin à leur donner un nom ou deux. Peut-être certes, pour le plaisir de calomnier, ou alors, pour détourner l'attention de lui-même ; mais dans tous les cas, Clervie avait l'intuition qu'il serait intéressant de pousser un peu plus l'interrogatoire.
Elle sortit donc un parchemin de sa besace et le tendit au directeur de pêcherie :

- Voici des instructions que l'infâme individu avait laissé à ses derniers complices. Il a signé G. De V. Est-ce que par hasard vous reconnaîtriez cette écriture ? Ou connaissez-vous vous-même quelqu'un qui porte ces initiales, ferait des affaires dans le port et aurait potentiellement les moyens de séquestrer plusieurs jours des enfants ?

Elle attendit fébrilement la réponse, tout en fixant attentivement le visage de son interlocuteur, à l'affût d'un potentiel mensonge dans la réponse qu'il donnerait.
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyDim 12 Mar 2023 - 15:30
Le bourgeois n'était pas tout à fait dupe. Si la milice avait rappliqué devant sa porte, c'est bien que son nom avait du être prononcé quelque part, et à leurs oreilles. Apparemment, la perspective de fouiller ses locaux n'emballait pas plus que ça les deux miliciens. En attendant, il réfléchissait un peu à cette affaire qu'on lui présentait, sous un jour un peu nouveau. Des fanatiques religieux... Il ne manquait que cela... Comme si la Fange, les pirates, et les bannis ne suffisaient pas à emmerder le monde. Gros Louis qui était resté assez près, ne put s'empêcher d'y mettre son grain de sel.

"Et y ressemblent à quoi ces misérables enfants de putain de suceurs d'Etiol?!"

En entendant son bras droit parler de la sorte, le patron de la pêcherie se raidit en fermant les yeux, et en soupirant avant de le réprimander.

"Gros Louis... Surveille donc ton langage. Ce que veut dire mon second, c'est que cela nous aiderait sûrement à y voir un peu plus clair si nous savions à quoi ressemblent les gens dont nous devrions nous garder et nous méfier. Mais j'imagine que l'hérésie n'est pas marquée à la peinture rouge sur le visage de ces hommes, n'est-ce pas? Ils doivent même se fondre à merveille dans les gens que l'on croise tous les jours."

Dans le cas contraire, cela ferait belle lurette que les gens se seraient posés quelques questions. De son côté, le marchand était toujours plongé dans ses réflexions. Il essayait de mettre bout à bout les différentes informations pour en faire quelque chose, et son esprit de déduction se mit à l'œuvre.

"Des sacrifices humains... Mmmmmh... Sacrés tordus que voilà... Vous parlez de sectes des marais, mais ces sacrifices ont-ils bien lieu dans les marais? Ou dans Marbrume?"

Cette information pouvait avoir toute son importance, et il précisa immédiatement le fond de sa pensée.

"Je m'explique... Si les gamins sont traînés hors de la ville, il leur faut franchir les portes. Ce qui implique des complicités pour que vos collègues ferment les yeux sur leur passage. Il y a bien les égouts, mais je vois mal des hommes marcher avec une dizaine de gamins sur les épaules sur des kilomètres, pour ressortir derrière les murs. Surtout que depuis le coup du Chaudron, j'imagine que les souterrains ne doivent plus être si sûrs. 

En revanche, s'ils sont DANS Marbrume au moment de leur mort... Cela veut dire que les hérétiques ont quelque chose qui doit s'approcher d'un temple ou d'un lieu de culte quelconque. Et un lieu de rassemblement, ça finit toujours par se remarquer. Vous voyez ce que je veux dire? Une affluence en pleine nuit autour d'un lieu qui n'attire personne le reste du temps. Ou alors, il  bénéficie d'une bonne couverture. Tavernes ou bordels feraient l'affaire."

Voyant les miliciens, il arqua soudain un sourcil en comprenant peut-être le motif de leur venue, et il enchaîna:

"Ou bien, ils sont détenus près du port, chargés dans un navire ou des barques et... direction le Sud. Mais on reste sur du nombre, donc un navire... Et potentiellement tout un équipage complice. Mais là, ça veut dire qu'il y a un lieu de rendez-vous quelque part sur la côte. Ou du moins des traces, même peu récentes.
Et cela implique un navire qui partirait à la nuit, à l'abri des regards, en ayant pris son chargement sans qu'aucun témoin ne voient passer les marmots... Là encore, je pense que la Milice s'en rendrait vite compte..."

Lorsque la milicienne lui tendit un manuscrit, le marchand fronça les sourcils en le prenant. G. de V. comme initiales... L'écriture, tout naturellement, lui était parfaitement inconnue. Plongé dans sa réflexion, il resta le regard fixé un moment sur les initiales, avant de parcourir rapidement du regard les lignes de texte. Puis, sa sentence tomba.

"Vous le savez peut-être, mais je suis connu pour ne point aimer les nobles. Il se peut, et j'emploie bien le conditionnel, que l'homme que vous cherchiez soit un noble, comme le voudrait cette particule. Ce peut tout aussi bien être une femme, remarquez... Eux auraient les moyens... Cependant, un noble a un problème de taille pour sortir de l'Esplanade et y entrer avec des captifs. La Milice qui garde la porte des Anges y mettrait son grain de sel, et elle est plus zélée que celle qui patrouille par ici. Si l'un d'eux est responsable, il pilote l'opération depuis chez lui, et il peut ne même pas sortir, se contentant d'envoyer quelqu'un à sa place. Un intermédiaire, si vous préférez.


Donc, quoi qu'il se passe, vos petits disparus, dans tous les cas, ne doivent pas finir dans les caves de l'Esplanade. Si vous devez les nourrir, et masquer du passage, j'y reviens, mais c'est à coup sûr une auberge. Un bordel, les filles ont le cœur tendre, et elles pourraient causer... Dans une auberge, il y a toujours une cave, de la nourriture, et quelques personnes suffisent à faire tourner l'affaire.  Pour faire sortir les enfants de Marbrume par un navire, le mieux serait qu'elle ne soit qu'à quelques pas d'un quai. Cela réduit déjà votre champ de recherche considérablement.


Enfin, ce G de V... Hahahahaha! Mais quel idiot... J'en suis tellement après les nobles que je ne veux pas voir l'évidence... G de V! Bien sûr! Avez-vous songé que "de V" ne soit pas une particule nobiliaire? Mais tout simplement une indication de lieu? Comme A de L serait Antoine du Labret? V... Comme... Ventfroid... N'y a-t-il pas des pirates basés là-bas? Ces bâtards vendraient père et mère contre une pièce d'or. Alors des enfants..."

Se tournant vers les quais qui partaient au Sud, il tendit la main en lançant avec un sourire:

"Si j'ai bon, ce doit être par là!"
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyLun 20 Mar 2023 - 19:58
"Et y ressemblent à quoi ces misérables enfants de putain de suceurs d'Etiol?

Clervie et Julius s'apprêtaient à répondre, mais déjà, Erasme Ribadier monopolisait la conversation, non sans avoir sermonné son homme de main, qui se comportait selon lui vulgairement devant des représentants de l'autorité. Et le moins qu'on pouvait dire, c'était que le dirigeant de pêcherie pouvait être un sacré moulin à paroles quand il s'y mettait. A aucun moment, Clervie n'aurait pu en placer une. Mais cela importait peu, cela dit. Au contraire, elle écoutait attentivement tout ce qu'il disait.

"Des sacrifices humains... Mmmmmh... Sacrés tordus que voilà... Vous parlez de sectes des marais, mais ces sacrifices ont-ils bien lieu dans les marais? Ou dans Marbrume?"

Elle allait répondre que c'était dans la cité même, mais déjà le gaillard poursuivait et elle songea qu'il avait presque raté sa vocation. La milice manquait d'enquêteurs chevronnés. A côté Julius buvait les paroles de l'homme en émettant des grognements affirmatifs. Il fallait dire que le Ribadier prononçait des réflexions plutôt pertinentes, même si Clervie avait évidemment déjà eu les mêmes pour la plupart. Sauf pour la dernière concernent les suppositions à propos de G de V... Mais ne cherchait-il pas simplement à envoyer les miliciens vers le trou paumé près de Venfroid ?
Elle releva également l'allusion concernant le fait qu'Erasme Ribadier détestait les nobles. Qu'avait-on bien pu lui faire pour cela ? Elle nota l'information dans un coin de son esprit. Cela pourrait peut-être lui servir plus tard.

- Possible qu'il ne soit pas noble, finit-elle par déclarer. Mais en tout cas, il est forcément bourgeois ou pire, prêtre. Il sait lire, il sait écrire !

Elle ajouta :

- Vos déductions sont pertinentes. Et vous avez raison pour certaines. On a trouvé une espèce de "sanctuaire" sous les égoûts lorsqu'on est descendus pour chercher les gamins qui étaient séquestrés juste à côté du lieu du sacrifice. En ce qui concerne éventuellement une taverne en guise de couverture, pourquoi pas. Nous n'avons clairement pas coincé tout le réseau et ne sommes pas sûrs que d'autres enfants ne seront pas enlevés dans les prochains jours, même si on leur a porté un sacré coup le jour de l'intervention.
- Le souci, décréta Julius, c'est qu'même en réduisant nos recherches au port et au goulot, ça nous f'rait quand même une bonne cinquantaine de tavernes et d'gargottes mal fâmées à aller perquisitionner. Ca s'ra bien trop long et si on y va franco comme voilà, ces bâtards auront tout le temps de comprendre et de déguerpir en effaçant leurs traces. Faut absolument qu'on trouve l'moyen d'réduire encore un p'tit peu le champ d'recherche. Mais c'est là où vous et vos gus vous pouvez nous aider, m'sieur Ribadier.
- Exactement, dit Clervie. Vous évoquiez un intermédiaire, tout à l'heure ? Je voudrais justement revenir sur la question posé par votre homme. Louis, c'est ça ? Eh bien, monsieur Louis, même si la plupart des sectaires ne sont en effet pas reconnaissables à vue d'oeil, nous avons rassemblé quelques témoignages concernant celui qui s'occupait d'enlever les enfants. Ce serait un homme qui porterait un masque couleur vert jade. Si vous voyez passer un tel maraud, ou si quelqu'un dans le quartier l'aperçoit, pourriez-vous nous faire prévenir ?
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyMar 21 Mar 2023 - 13:25
Qu'il soit noble ou pas, c'était effectivement bien dur de le dire tant qu'on n'avait pas un début de piste pour établir l'identité de l'auteur de la lettre. D'un côté, aux yeux du patron de la compagnie, c'eut été vraiment trop beau si un de ces crétins de noble se trouvait derrière toute cette sordide histoire. Cela aurait vraiment été pain béni pour un homme qui avait désormais une telle détestation de cette caste. Savoir lire, et écrire, réduisait effectivement le nombre possible de coupables. Bourgeois, prêtre ou noble, il ne savait pas ce qui pourrait être le pire pour les habitants de Marbrume. Il entrevoyait déjà l'onde de choc que pourrait causer l'arrestation et la condamnation d'un nanti de la société locale. Pas bon... Non, vraiment pas bon du tout.

"Attention, milicienne. Je ne sais pas dans quoi vous vous apprêtez à mettre les pieds, mais soyez ETREMEMENT prudente. Il avait bien appuyé sur le mot extrêmement. Je crains que l'arrestation d'un homme fortuné ou influent n'ait des répercussions particulièrement lourdes sur cette ville."

Il regarda vers son bras droit, Gros Louis, en sachant d'avance ce qui pourrait advenir si on venait à annoncer dans les rues à grands cris qu'un prêtre renégat ou qu'un noble avait saigné à blanc des gamins sur l'autel d'une divinité impie. C'était un coup à semer un chaos en ville dont personne ne risquait de se remettre de sitôt. Il n'avait qu'à imaginer durant quelques secondes un gars comme Gros Louis, ou ses marins, face à une nouvelle pareille. Prenant les deux miliciens par le bras, il s'éloigna de Gros Louis en lançant par dessus son épaule:

"Gros Louis, va surveiller le déchargement. Tout de suite!"

Il était rare qu'il ordonne de la sorte, mais là, le bourgeois pensait réellement que cela s'imposait. Sans lâcher les bras du duo de miliciens, il marcha d'un pas tranquille en s'éloignant un peu de son entrepôt pour ne surtout pas être entendu par l'un de ses employés. La mine du bourgeois était devenu un peu plus grave, et son ton beaucoup moins jovial, devenant quasiment neutre. 

"Avez-vous la moindre idée de ce que vos questions ainsi menées peuvent provoquer? Nous avons de la chance que Gros Louis soit parfois un peu lent à la détente. Cependant, avez-vous seulement imaginé les scènes de chaos si d'aventure on apprenait que la noblesse s'amuse à sacrifier des gamins de la populace dans un temple? Ou qu'un prêtre renégat enlève la vie des enfants de ses ouailles? Ce sont des lynchages à tous les coins de rue que vous risquez de provoquer."

Regardant par dessus son épaule pour vérifier que personne n'écoutait, il reprit sur le même ton:

"Et si effectivement, cet homme au masque vert est un notable de cette ville, redoublez de prudence. Imaginez seulement si j'avais été cet homme, ou l'un de ses amis. Vous êtes venus à deux ici. J'ai plus de vingt marins autour de moi, qui me sont tous dévoués. Vous auriez pu être taillés en pièces ou disparaître de la surface de cette terre sans laisser de traces. Imaginez ce que peut faire tomber sur vous un prêtre, ou un noble s'il sait que vous vous intéressez d'un peu trop près à lui..."

Relâchant les bras des deux miliciens, il grogna presque:

"J'exècre cette engeance maudite. Le monde s'est effondré, et ils se pavanent comme si de rien était. La noblesse n'avait de justification que par son courage face au péril, et la protection offerte aux petits gens en retour de leur servitude. Ici, ce ne sont plus que d'infâmes parasites qui se remplissent la panse quand le petit peuple se meurt un peu plus tous les jours.
Ils se croient tout permis. Celui qui sacrifie des enfants a déjà franchi un cap. Il ne reculera devant rien, pas même l'assassinat de deux miliciens. Donc, soit il vous ignore parce qu'il croit que vous êtes loin de lui, ou que vous ne constituez pas une menace significative, soit il a déjà un œil sur vous, et là..."

Sa phrase demeura en suspens. Lourde de sens. Concluant son propos, le bourgeois essaya de retrouver tant bien que mal son habituelle bonhommie avant de dire:

"Pour ma part, je vais ouvrir l'œil, et peut-être tirer quelques ficelles pour en savoir un peu plus. Mais la discrétion ne fait pas bon ménage avec ce type d'enquête. Si l'on s'adresse à celui qui en sait quelque chose, c'est forcément un complice, et l'on se met la corde au cou soi-même.
Enquêtez donc autour des tavernes. Je saurai venir vous trouver si j'apprends quelque chose. Moi, ou l'un de mes gars. Mais de grâce... Prudence, miliciens."
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyMar 21 Mar 2023 - 19:57

"Attention, milicienne. Je ne sais pas dans quoi vous vous apprêtez à mettre les pieds, mais soyez ETREMEMENT prudente. Il avait bien appuyé sur le mot extrêmement. Je crains que l'arrestation d'un homme fortuné ou influent n'ait des répercussions particulièrement lourdes sur cette ville."

Le Erasme se permettait de leur dire comment faire leur travail ? Clervie aurait bien râlé après l'insolence de telles paroles, mais il valait mieux éviter, car ils en étaient au stade ou toute information leur serait plus que précieuse. Néanmoins, lorsqu'il leur lâcha enfin le bras, elle se sentit soulagée. Julius parut un bref instant sur le point de lui donner un avertissement sur ce qu'il risquait à porter ainsi la main sur un milicien, mais Clervie le retint par l'épaule.

- Vous n'auriez rien pu en faire, car notre coutillerie n'est pas loin, et nous avons les moyens de faire savoir à tout moment où nous nous trouvons,
répliqua-t-elle d'un ton sec. En ce qui concerne la discrétion, je ne vois pas en quoi avouer la présence d'un individu au masque vert serait d'en manquer, vu que le fait commence à se répandre parmi la population. Cela dit, effectivement, si votre homme de main a du mal à se taire, c'était peut-être imprudent d'avouer devant lui que nous soupçonnons la noblesse de participer à cet infâme hérésie.

Elle ajouta :

- Mais évidemment qu'il a sûrement l'oeil sur nous. La délivrance des précédents petits sacrifices n'est pas passé inaperçue et l'on nous a déjà menacés d'une mise à pied si nous continuions notre enquête. Mais nous avons choisi de continuer en connaissance de cause, car comme vous l'aurez compris, quand ça touche les enfants, les choses vont vraiment trop loin. De plus, je pense que si nous résolvons vraiment cette affaire, ceal pourrait nous valoir de l'avancement... Si vous nous aidez, nous saurons vous montrer notre gratitude, soyez-en sûr...

Elle se tourna vers Julius :

- Les autres vont se demander où nous passés. Pars devant, je vais rester discuter encore un peu avec Monsieur Ribadier.

- D'accord, mais ne traîne pas. Sinon, Blancfer va se douter d'un truc. Il a pas tort, on a peut-être donné un coup de pied dans la fourmilière en interrogeant des gens à propos du type au masque.
- Il faudrait déjà qu'il prouve que c'est bien nous qui avons répandu cette rumeur, répondit Clervie. Or, la mère d'Alcyne et les autres putes du goulot s'en sont chargées avant nous crois-moi.

Elle marcha un instant aux côtés du bourgeois. Puis finalement, elle se tourna vers le Ribadier et lui fit un mauvais sourire :

- Vu comme vous êtes bavard, je suis persuadée que vous devez avoir vos propres cadavres dans l'armoire, monsieur Ribadier. Les gens qui parlent autant que vous ont cette tendance.

Elle marqua une pause :

- Mais je ne suis pas venue mettre le nez dans vos affaires. Néanmoins, c'est un vendeur de pavot rouge qui est venu me parler de vous... Ce ne doit pas être pour rien, j'imagine ? Mais n'ayez crainte. Si vos informations sont bonnes, nous laisserons prospérer le poisson pourvu qu'il ne sente pas trop mauvais. Me suis-je bien fait comprendre ?


Ses yeux d'obsidienne s'étaient vrillés dans ceux tout aussi noir du bourgeois. Elle contempla ainsi son âme et fut convaincue que comme tout homme, il avait sûrement une certaine noirceur au fond de lui. Et qu'avaient donc bien pu lui faire les nobles pour ainsi s'être attirés rancoeur et colère ? Bah. Ca n'était pas la raison de sa visite, en tous les cas. L'homme au masque de jade d'abord et elle avait bien l'intuition que le Ribadier avait le moyen de collecter des informations là où elle-même n'aurait pas toujours l'idée de les chercher.
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MessageSujet: Re: Ferrer le bon poisson [Erasme]   Ferrer le bon poisson [Erasme] EmptyMer 22 Mar 2023 - 21:57
De toute évidence, la milicienne croyait fort en sa bonne étoile. Cela ne manquait pas de faire sourire le patron de la pêcherie. L'audace et la confiance en soi étaient de bonnes choses, indubitablement... Surtout dans leur profession. Mais elles s'accompagnaient trop souvent de l'inconscience du danger. Ce qui n'était pas son cas. Loin d'être un fier-à-bras, le marchand préférait compter sur sa tête plutôt que sur ses muscles. Dans le cas présent, et vu ce que les miliciens devant lui prétendaient vouloir poursuivre, tous ses signaux d'alerte étaient aux rouges. D'un côté, le pouvoir politique ou religieux, de l'autre des fanatiques religieux et hérétiques, et en face, la Milice. Du moins pas toute, de ce qu'il venait d'entendre.

"Mon homme sait se taire, mais il n'est pas sot, ni né de la dernière pluie. Si votre homme masqué marche pour un noble qui s'acoquine à une hérésie, il y a fort à parier que des ordres venant de très haut tombent pour étouffer l'histoire et épargner l'opprobre à un notable. Qui disparaîtra, ou sera peut-être éliminé en catimini...
Imaginez ce qu'en dirait le peuple s'il se savait abandonné de la sorte. Les gens n'auraient plus confiance en personne, pas même en la milice. Que vous ayez sauvé quelques gamins est tout à votre honneur, mais combien êtes-vous sur l'affaire? Deux? Une coutillerie? Si les autorités avaient voulu mettre fin à cela, ce serait dix ou quinze coutilleries qui seraient en ce moment sur le terrain à retourner la ville. Moi, ce que j'ai vu, ce sont bien DEUX miliciens."


De toute évidence, au vu du manque de moyens déployés, il y avait quelques questions à se poser. La suite confirma cette crainte. Puisqu'il était à présent seul à seul avec la milicienne, le bourgeois s'appuya des deux mains sur sa canne en lui faisant face.

"Pour couronner le tout, votre commandement a brandi la menace d'une mise à pied. Sa volonté de résoudre réellement l'affaire pose donc bien plus de questions que vous ne m'en avez posées. C'est là ce que je veux dire, mais que vous semblez avoir pris un peu personnellement, pour le coup.
Songez-vous réellement que la Couronne va vous féliciter pour avoir pointé du doigt la noblesse ou le clergé si vous prenez l'un des leurs? Ou que vous allez gagner un séjour prolongé dans un avant-poste du Labret face aux fangeux? Un comte fortuné coupable, voir même un membre de la cour, qui se serait fourvoyé, et le grand chef devra admettre qu'il n'a pas vu la vipère qui séjournait dans son nid douillet au château. Outch..."


Il fit une grimace douloureuse en terminant son propos. Cette affaire puait le souffre à dix lieues à la ronde, et même le marchand, qui n'en entendait réellement parler que depuis quelques minutes, avait parfaitement compris que mettre le nez là-dedans risquait fort de ne rien apporter de très bon. En entendant que la Milice pourrait lui montrer sa gratitude, il ne réprima pas un rire, presque nerveux:

"Vous aider? La gratitude de la Milice, pour le coup, semble surtout synonyme d'énormes emmerdements... Un tas de merde suffisamment gigantesque pour que l'on s'y noie. Et sans offense, vous avez déjà les deux pieds dedans. Ce que je me demande, c'est si vous en avez jusqu'aux chevilles, ou déjà jusqu'au cou.

Si j'étais à votre place, et nom d'un chien que je n'aimerais pas y être, je me chercherais déjà un noble avec un minimum d'influence pour être mon porte-voix, et surtout mon protecteur. Parce que quand la merde va se mettre à tomber, ça va vraiment être le bouillon."


Il regarda vers la mer en songeant à ses squelettes dans l'armoire, et il leva sa canne en la tenant sous son pommeau, fixant avec un large sourire la milicienne tandis qu'il l'agitait comme un adulte promettant une fessée à un garnement.

"Milicienne, vous êtes une très vilaine fille. Je tâche de vous être secourable, et vous voulez voir en moi un homme malhonnête. Si tel était le cas, mon accueil aurait été bien moins courtois. Je suis hélas quelqu'un de terriblement banal... Et honnête. Si vous avez l'impression de vous trouver ici au quartier général d'une bande de malfrats, je le déplore grandement. Mais je ne vends que du poisson. Pas de... pavot rouge ou de quelque autre chose. Remplir le ventre des gens me rapporte bien assez.
Tout au mieux l'un de mes employés aura-t-il consommé de cette chose. Je n'ai donc aucune crainte. Comme je vous l'ai déjà dit, libre à vous de fouiller. Ma Compagnie n'a rien à cacher."


Il s'était retourné et éloigné de quelques pas. Mais puisqu'elle était joueuse... Il fit volte-face en déclarant:

"En revanche, je ne supporte pas la vermine qui pourrit la vie des honnêtes gens. Parce que je vous aime bien déjà, je vais peut-être chercher à me renseigner un peu plus sur votre affaire. Mais je ne ferai rien qui soit susceptible de me mettre en danger, moi, mes proches, mes employés ou même ma compagnie.

A l'occasion, passez donc me voir. Ce sera un plaisir de déguster quelques poissons ou un verre en votre charmante compagnie."









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