[Terminé] Echappée nocturne [PV Héléna]

J’avais pris du retard sur le harnais d’Oslo et l’armure que je destinais à Héléna, ayant subit un regain de commandes. Cela me convenait, me donnant à m’occuper l’esprit et le corps, m’offrant de limiter le temps que j’avais à réfléchir à la dernière discussion que j’avais eu avec la milicienne.
J’avais admis qu’elle me plaisait, prenant réellement conscience de cet état de fait dans le même temps, sans forcément avouer jusqu’à quel point. Après tout, encore fallait-il que je le sache moi-même.
Toujours est-il que nous avions discuté de cela et que, à la lumière de ce qu’elle m’avait dit, nous en étions restés à une belle amitié naissante.
C’était en tous cas ce que nous avions défini. Cependant, force était de constater que la jeune femme occupait un peu plus mes pensées que ne l’aurait fait une amie. Aussi, la surcharge de travail était bienvenue, me permettant de ne pas trop réfléchir.
Parce que oui, elle me plaisait Héléna, elle me plaisait beaucoup ! Lorsqu’elle entrait dans ma forge, c’était comme un vent de fraicheur qui venait nettoyer les résidus du passé, comme une petite lumière pure qui se reflétait sur de l’argent poli.

Une amie hein ? Pfff ! J’ai le chic pour les situations foireuses quand même non ?

Ouif !

J’étais assis sur la marche de la porte de ma boutique, gratouillant Goup’ qui était sagement couché à côté de moi. Depuis le dernier passage de la milicienne, environ deux semaines, le chiot avait bien grandit. Cette boule de poils débordait de joie et d’affection et devenait, chaque jour, un compagnon de plus en plus attentif. Déjà, il ne faisait plus dans la bâtisse, se contentant de grogner doucement en grattant la porte pour que je lui ouvre ou, parfois, venait directement me chercher.
Je lui grattais la gorge.

Aller bonhomme, allons nous balader avant de dormir ! Dis-je au canidé avant de me lever, ma corde à la main, nouée à son collier. Il faut que je me fasse une raison de toute façon, comme elle l’a dit, il faut faire avec ce que la vie nous offre au moment présent ! Concluais-je. Ce à quoi Goup’ répondis en grognant, presque réprobateur.
Mon imagination sans doute.

Nous marchions depuis un petit moment, l’un la truffe au sol, l’autre le nez en l’air. Le petit reniflant les odeurs environnantes, le grand humant l’air nocturne et frais de ce début février. La nuit, bien avancée, offrait son calme habituel et j’arrivais à ne pas penser à grand-chose d’autre qu’à ce moment avec ce petit être qui comptait dorénavant sur moi.
Soudain, il se figeait, juste avant l’angle d’un mur. Des bruits, des voix, une voix qu’il me semblait reconnaitre.

Ouif ! Ouaf ouif ! Jappais le petit bonhomme.

On dirait Héléna, mais…J’ai un doute mon petit, un très gros doute ! Ce n’est pas rare que plusieurs humains ai à peu près la même voix tu sais ! Expliquais-je, sentant immédiatement la cordelette se tendre dans ma main. Lui, il voulait y aller ! Alors, haussant les épaules, je passais l’angle, précédé par le chiot.

Cette journée-là n'avait guère été constitutive. Enfin, pour moi...Je l'avais passé à nettoyer les différents enclos avant de faire du tri dans le matériel. Plusieurs colliers et harnais méritaient quelques réfections ou d'être carrément remplacés et ce, parce qu'ils étaient fabriqués dans des matériaux de piètre qualité. La brigade canine n'intéressait que peu de monde et je trouvais cela frustrant. Certains considéraient même que le fait de nourrir des chiens plutôt que de les manger était tout simplement du gâchis… A quoi bon nous donner les moyens de continuer dans ce cas-là ?

Je pouvais évidemment comprendre leur point de vue, mais cela restait horripilant à mes yeux. Aussi, avais-je passé ma journée à pester contre tout et rien … Et lorsque cette dernière s'acheva, je me trouvais de bien trop méchante humeur pour rentrer. Erick avait déjà bien trop souffert pour devoir supporter le mécontentement de sa mère maintenant que tout allait mieux autour de lui. Et puis… avouons-le, j'avais davantage envie de me vider l'esprit en m'amusant.

Je quittais donc la caserne vêtue de mes vêtements civils constituée d'une robe bleu pâle et d'une ceinture en cuir clair. Mes collègues ne me voyaient que très rarement habillée ainsi. Tant et si bien, qu'à force de me voir porter l'uniforme, ils en étaient arrivés à oublier que j'étais une femme… Et cela m'amusait toujours autant.

Ainsi parée, je quittais le quartier de la milice pour me diriger à Bourg Levant. Là se trouvait une petite taverne fort sympathique et totalement désertée par mes collègues.
J'y pris un repas, accompagné de bière… de beaucoup de bière… J'y fis une rencontre. Un jeune homme plutôt plaisant, malgré un fort accent, probablement du sud. Bon… Je ne lui demandais pas vraiment de parler non plus. Honnêtement, j'avais d'autres projets.

Je quittais la taverne à son bras… Plus pour m'assurer de ne pas tomber que par séduction, même s'il ne semblait pas s'en rendre compte. À dire vrai, le pauvre homme devait être tout aussi ivre que moi… Voire même plus, puisque, entre deux baisers, c'est arrivé au bout de la rue qu'il se souvint être marié. Il ne pouvait donc pas m'emmener chez lui.

-Comment ça t'es marié ? m'offusquais-je d'une voix pâteuse. Mais enfin, n'as-tu donc aucun honneur pour séduire une femme ivre et lui proposer de venir chez toi ?

-Bah, au pire… On peut toujours prendre une chambre à l'auberge ! me répondit-il visiblement très sérieux.

-Le problème n'est pas là. Tu es marié, bougre d'andouille. Et quand on est marié, on ne fait pas ce genre de chose !

-J'avais pas l'intention de lui raconter… soupira-t-il avant d'ajouter. Puis qu'est-ce qui me fait dire que t'es pas mariée toi…

A mon tour de soupirer.

-As-tu déjà vu une femme mariée dehors à cette heure-ci, toi ?

-Euh… Peut-être.

-Non… La réponse est non, idiot. Tu laisserais ta femme sortir à cette heure, toi ?

-Certainement pas. Sa place est au foyer.

-Bah voilà. Vous êtes nombreux à penser pareil, tu vois… Bref, rentre chez toi auprès de ta femme. Ça vaut mieux, lui dis-je en le repoussant d'un geste de main avant de faire demi-tour.

-Et toi, tu vas où ?

-Je vais m'amuser … J'étais venue pour ça, justement…

-Viens t'amuser avec moi alors!

Je le dévisageais, la mine déconfite. Déjà que son accent me tapait gentiment sur les nerfs, sa bêtise rendait le tout insupportable.

-Je crois que t'as pas tout compris là, soufflais-je, amère. Tu… es… ma…ri…é.

-Ah, oui… Et alors ? J'ai pas le droit de m'amuser alors ?

-Si… mais avec ta femme !

Ouaf! Ouaf !

-Je connais ce "ouaf", dis-je en cherchant l'animal des yeux.

L'autre dû croire - à juste titre- que je n'avais plus la moindre intention de lui accorder mon attention, puisqu'il vint me saisir le poignet… Je m'en débarrassais d'un geste tout en me détournant, chancelante.

-Hey ! Espèce de catin ! me héla-t-il, si aimablement…

-Les catins, on les trouve au bordel. Vas donc voir si j'y suis, soufflais-je en m'éloignant de quelques pas… D'un pas d'ivrogne, plutôt.

Au moment où je passais l’angle du mur, Goup’ tirait brusquement plus fort, m’arrachant la ficelle des mains dans un grognement. Je jettais un oeil à mes doigts pour vérifier que je n’avais pas une fibre de chanvre planté dans la peau lorsqu’une voix plus forte me fit lever le nez. Un homme venait de hausser le ton, sa grogne dirigée contre la femme qui était un peu devant lui.
Femme vers qui filait le chiot en couinant et que j’aurais reconnu aisément. Il s’agissait bel et bien d’Héléna et le bougre derrière venant de s’adresser à elle d’une façon on ne peut plus discourtoise.
La milicienne l’envoyait pêtre immédiatement mais je voyais que le type n’allait pas en rester là. Oh ! Non pas qu’il irait la violenter ou autre, hein ! Non, il ne semblait pas assez méchant. Mais taper un scandale en pleine nuit ne faisait jamais bonne presse.

Je m’avançais donc, l’air particulièrement austère de ceux qui ont passé une mauvaise journée et qu’il vaut mieux éviter de chatouiller…A plus forte raison lorsque l’on à abusé de la boisson.

Monsieur, il me semble que la Dame vous a prié de la laisser tranquille ! A moins de souhaiter que je n’appels les autres chiens, à savoir, les parents de celui-ci ! Dis-je en plaçant la main à hauteur de mes hanches pour mimer leur taille. Je vous suggère de retourner vous amuser ailleurs et avec quelqu’un d’autre !

L’individu grogna, tituba, me pointa du doigt et grogna une réponse incompréhensible et balayant la blonde de la main avant de s’en aller.

Une fois à bonne distance, je reportais mon attention sur mon amie, découvrant alors seulement qu’elle portrait une robe. La nuit hivernal étant sombre, je ne voyais pas bien la couleur mais il me semblait voir du bleu.
Alors, je fis une grimace en voyant comment, privée de tout appuis, Héléna tanguait sur ses peids. Elle semblait avoir, elle aussi, avoir bû plus que de raison, aussi, je m’approchais rapidement pour lui offrir mon bras.

Héléna ! Venez, ne restons pas là !

Même Goup’ ne lui avait pas sauté dessus, conscient de son état…précaire. Le canidé se contentait de nous tourner autour et jappant.

Je vous amène chez-moi, que vous puissiez vous reposer. Annonçais-je en lui attrapant le bras tandis qu’elle prenait de la gîte. Ne m’obligez pas à vous porter !

-Erwan ! Vous zici ! m'écriais-je en apercevant le forgeron et son chien. T'as encore grandi toi….ça fait combien de temps qu'on s'est point vu ?

Totalement concentrée sur Goup' pour évaluer sa croissance fulgurante, je ne prêtais plus aucune attention à mon presque amusement du soir. J'entendais bien que ce dernier se faisait gentiment envoyer balader par mon ami mais je ne m'en préoccupe pas le moins du monde.

-Je vous amène chez-moi, que vous puissiez vous reposer. me lança-t-il tout en passant son bras sous le miens. Ne m’obligez pas à vous porter !

-Chez vous ? Noooon, rétorquais-je de ma voix pâteuse mais déterminée. Je veux rentrer chez moi…. voilà. Racompagnez-moi, chez moi si vous'l voulez.

Après un tel échec, je n'avais qu'une seule envie : dormir dans mon lit.

-J'découche pas. Jamais. Sinon il va se demander où je suis au matin. Je ne veux pas qu'il s'inquiète.

Ça … Ça m'avait totalement échappé, mais tant pis. Même totalement ivre, je ne voulais pas prendre le risque d'effrayer Erick avec mon absence. Le pauvre petit avait déjà perdu son père, ses grands-parents et son jumeau. Il avait perdu sa maison, sa famille, ses amis et ses racines… Je ne voulais pas qu'il ait à se demander où se trouvait sa mère.

-Chez moi, c'est par…
Je fis tourner mon doigt dans tous les sens. L'espace d'un instant, j'avais oublié où je me trouvais. Par là !

Il avait beau me retenir, c'était moi qui menait le pas… Enfin, je crois. J'avais la nausée et la tête qui tourne… Apparemment, je devais avoir bu le verre de trop. Tant pis.

-J'suis désolée de pas être passé à la forgerie. Fallait faire le ménage au chenil… Y'avait du caca par-tout… Enfin ça, c'est pas vraiment vos affaires. Personne s'intéresse à ce genre de détails. Faut dire que c'est dégoûtant .

Au delà de l’ellocution parfois hasardeuxe de la milicienne, je devais bien avouer qu’elle avait l’oeil pour affirmer que le chiot avant encore grandit. Cela ne faisait pourtant pas une semaine que l’on s’était vu mais malgré tout, elle le trouvait grandit.
J’eu même l’impression de totalement disparaitre au profit du chiot, ce qui, malgré les circonstances, me tira un sourire.

Alors qu’elle me laissait lui prendre le bras, là où j’avais pensé qu’elle me repousserait, elle rejettait l’idée d’aller chez-moi. C’était pourtant le seule endroit sûr que je connaissais, mais elle était fermement opposée à l’idée. Au lieu de cela, elle demandait à être conduite chez-elle avant de laisser passer une explication qui me fit lui lancer un regard surpris.
“Il” ?
Qui est ce “il” ?
De ce que je savais de la jeune femme, elle n’avait pas de mari et, quand bien même, j’imagine que si tel était le cas, elle me l’aurait annoncé quelques jours plus tôt. Héléna à un parler relativement franc, je ne l’imagine pas ne pas donner cette information à un homme qui avoue la trouver plaisante…
Mais alors, qui est ce “il” ?
Un colocataire sans doute, j’avais eu vent que parfois la milice peinait à loger tout le monde. Ils étaient de plus en plus nombreux mais la caserne n’est guère extensible.

Le temps que je me retourne le cerveau, la belle faisait de grands gestes avant d’indiquer une direction. Poussant un bref soupir, je me mis en marche dans la direction indiquée, espérant tout de même que ce n’était pas à l’autre bout de la ville.
Quand bien même, je l’y conduirais de toute façon.

Bon, très bien, je vous amène chez-vous pour qu’il ne s’inquiète pas ! Je ne vais pas vous obliger à découcher Héléna, loin de moi cette idée. Je…Je ne savais pas que quelqu’un vous attendait, c’est tout. Mais je comprends votre souhait du coup. Dis-je alors que je l’entrainais dans la direction qu’elle avait indiqué. J’essayais d’être aussi doux que possible, jugeant que son état ne devait pas être très agréable. Après une certaine quantité d’alcool, il n’était pas à exclure qu’elle soit peu ou prou dans le même état que moi, un an plus tôt, sur un bateau.

Alors que l’on marchais et que je suivais ses indications, elle s’excusa de ne pas être passée me voir, ce à quoi je secouais la tête.

Ne vous excusez pas, je n’ai de toute façon pas eu le temps de terminer le harnais d’Oslo. Avouais-je avant de laisser aller un petit rire amusé à sa justification. Je vous avoue que vous m’auriez demandé de l’aide…J’ai déjà ce que Goup’ me laisse devant la porte…toujours devant la porte d’ailleurs !

Au fur et à mesure que l’on avançait, elle se faisait plus lourde à mon bras. Fort heureusement, le chiot était bien trop heureux pour s’échapper et j’avais réussi à récupérer ma ficelle. Je me notais d’ailleurs de remplacer cette fine cordelette par une lanière de cuir épais et, pourquoi pas, de faire une boucle pour le poignet à une extrémité.

Vous êtes sûr que c’est par ici ? Demandais-je après avoir passé la caserne. C’est une des maisons qui se trouvent plus loin ?

J’avais l’impression qu’elle s’endormait sur moi tout en marchant. Nous serions côtes à côtes sur un banc, devant un feu, cela ne me dérangerait pas, mais dans le froid hivernal, en marchant, c’était une autre paire de manche. La différence de taille me faisait pencher de son côté et c’était pas évident de ne pas marcher en rond.
Aussi, profitant d’une hésitation de la blonde quant à la direction, je passais mon second bras derrière ses genoux pour la porter complètement, la soulevant en douceur.
Là ! Ce sera autrement plus pratique !

Par ici donc ? Allons-y ! Par pitié, ne vous trompez pas de porte !

Bon, très bien, je vous amène chez-vous pour qu’il ne s’inquiète pas ! Je…Je ne savais pas que quelqu’un vous attendait, c’est tout. Mais je comprends votre souhait du coup.
-Oui, on m'attend… On m'attend toujours, soufflais-je en faisant bien attention où je mettais les pieds avant d'évoquer le déroulement de ma journée.

Je trouvais ma voix comme mon discours particulièrement agaçant. Ce n'était certes pas la première fois que je me retrouvais dans cet état, mais généralement, ce n'était qu'en présence d'inconnus… Inconnus que je ne comptais évidemment pas revoir un jour. Mais Erwan n'avait rien d'un inconnu, il s'agissait d'un ami qui devait être déçu de me voir ainsi.

-Vous êtes sûr que c’est par ici ? me demanda-t-il alors que nous venions de dépasser la caserne. C’est une des maisons qui se trouvent plus loin ?


-Oui, juste en bas de la rue. C'est la maison avec les volets qui penchent… Je ne sais pas réparer ça, pouffais-je en désignant la direction d'une main tremblante.

-Par ici donc ? Allons-y ! Par pitié, ne vous trompez pas de porte !me lança-t-il sitôt après m'avoir soulevé comme un vulgaire sac de blé.

Je crois que mon cœur s'est arrêté à ce moment-là. En tout cas, je l'ai senti se serrer très fort dans ma poitrine si bien que respirer devint difficile. En sommes : je paniquais.

L'espace d'un instant, je revis les vagues… Le visage blême des passagers qui s'accrochaient tant bien que mal au balcon du bateau. Le visage d'Ingvard m'apparut alors, si maigre, si gros… Et de nouveau je ressentis la douleur, la soif, la faim si bien que la nausée me vint aussitôt. J'agitais les pieds qui ne touchaient plus rien de tangible… Plus rien de supportable.

- Lâche-moi ! grondais-je d'une voix anormalement rauque.

Goup' se mit à aboyer tout en sautant après mes pieds. Il les prenait sans doute pour l'un de ces sacs remplis de foin que l'on utilise pour jouer avec eux… Peut-être. Honnêtement, je ne sais pas. Tout est encore très flou. Tout ce que je sais c'est que dès que mes pieds rencontrèrent de nouveau le sol, mon estomac se délesta de tout ce que j'avais pu ingurgiter. Heureusement pour le forgeron, tout alla contre un mur… Oui, heureusement… Même si cela ne m'empêcha pas de me sentir aussi désolée que honteuse.

-Pardon… Je… J'ai besoin de toucher le sol… Sinon j'ai… comment ça s'appelle déjà ? …. ah oui, le mal de mer… soufflais-je en posant mon front sur la façade de bois qui me faisait face. Ma maison n'est plus très loin… Si vous voulez, vous pouvez me laisser ici.

Erick était peut-être encore debout à cette heure… Cela aurait été étonnant, Cyrielle prenait grand soin de le mettre au lit sitôt le soleil couché… Mais il ne m'avait pas beaucoup vu ce jour-là, pas depuis le matin et il pouvait avoir eu dans l'idée de m'attendre… Néanmoins , je m'interrogeais . Était-ce si problématique finalement que les deux se rencontrent ? Quelle importance ? Erwan n'était qu'un ami. Erick était mon fils. Et alors ?

Ma foi, je ne saurais dire. Le plus préoccupant dans cette histoire était mon état. Après tout, je ne devais pas être très belle à voir à ce moment-là… Et puis, marcher restait pénible. En tout cas, de marcher droit… Alors autant laisser le forgeron m'aider.

Je le guidais donc jusqu'à chez moi. Une chandelle brûlait à l'intérieur, sans doute parce que Cyrielle était encore debout. Je l'imaginais bien attablée, occupée à repriser les vêtements d'Erick à ma place… Heureusement qu'elle était là, Cyrielle.

- C'est là, dis-je en frappant à la porte. Le coin n'est pas très sûr, malgré la présence de la milice. Je leur demande toujours de fermer.

Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit sur une Cyrielle en chemise de nuit. Elle me dévisagea les yeux ronds comme des soucoupes avant de se concentrer sur Erwan.

-Léna ?Mais… que s'est-il passé ? Tu es blessée ?
- Naaaan… J'ai juste un peu trop bu. Je te présente Erwan, il m'a gentiment raccompagné.
-Je vois… Je vous remercie, messire. Je vais m'occuper d'elle à présent. J'ai l'habitude…

Je passais ma main sur l'épaule de mon amie quand une toute petite voix ensommeillée m'arracha à mon ivresse.

-Maman ? C'est toi ? lança-t-il en accourant vers moi. Tu es malade ?

“On m’attend toujours!”
Si elle savait à quelle point cette phrase, aussi simple soit-elle, me serrait le coeur tout en mais faisant sourire pour elle.
Depuis quelques semaines, j’avais bien Goup’, mais ce n’est pas la même chose qu’un humain, pas la même chose qu’une famille. Alors même si cela me faisait terriblement mal d’apprendre qu’elle était attendue, la joie que j’éprouvais pour elle n’en était que plus grande.
C’est sans doute pour cette raison que j’accueillais cette nouvelle avec un sourire et non une grimace.

Eh bien ne faisons guère attendre ceux qui vous attendent dans ce cas ! Annonçais-je avant de demander la confirmation de la direction.

Après m’avoir indiqué la maison aux volets branlants en gloussant, elle précisait qu’elle ne savait pas les réparer. Cette information se retrouva instantanément enregistrée dans mon cerveau pour resservir plus tard.
C’est ainsi que je la soulevais, pour m’éviter de me casser le dos ou de chuter. Hélas, à peine dans mes bras, la milicienne se mit à battre des pieds, grondant que je ne la lâche, le chiot sautillait en aboyant comme pour lui attraper les pieds. Son ton sonnant comme un ordre et, préférant éviter de réveiller tout le quartier, je la déposais donc au sol… La voyant alors immédiatement se précipiter contre un mur pour vomir tripes et boyaux.
Je ne pouvais m’empêcher de sourire, pensant que tout cela était bien mieux dehors que dedans, mais, par courtoisie, je fis rapidement disparaitre cette manifestation d’amusement. Héléna n’avait guère besoin de cela.

Ca va aller ? M’inquiétais-je tout de même en la voyant reprendre son souffle. Finalement, elle m’avouait avec difficulté qu’elle était sujette au mal de mer, m’annonçant que je pouvais la laisser ici vu le peu de chemin restant.

Le mal de mer ? Ce n’est certes pas le plus agréable des points commun que l’on pouvait se trouver tous deux, mais je vois parfaitement de quoi vous parlez ! Annonçais-je avec un sourire compatissant. Raison de plus pour que je vous conduise jusqu’à chez-vous ! Dis-je, la prenant doucement par le bras comme avant pour la guider en douceur.

Une fois arrivée, elle frappa à la porte, m’informant que le quartier, malgré la caserne non loin, n’était pas très sûr, raison pour laquelle il lui fallait frapper pour se faire ouvrir. Alors que j’allais lui faire une remarque sur le fait que je pouvais lui faire un double de la clef, la porte s’ouvrait sur une jeune femme.
Surprise, cette dernière ouvrit de grands yeux en voyant l’état d’Héléna avant de me lancer un regard plus ou moins hostile. S’inquiétant pour la milicienne, mon amie la rassurait tout en me présentant, glissant de mon bras à l’épaule de la jeune femme. Il semblait, en croisant le regard de celle qui portrait une chemise de nuit, que les explications de la blonde ne la convainquaient pas de mon acte désintéressé. Elle me remerciait poliment, prenant les choses en mains.

Puis, alors que j’allais tourner les talons, tout basculait.
Une petite voix gorgée de sommeil s’éleva dans un coin, suivit par des petits pas rapides tandis qu’un petit garçon aux cheveux blonds s’élançait vers sa maman. Goup’, remuant la queue, attendait l’arrivée imminente de ce nouvel ami.
Héléna avait donc un fils, ce qu’elle avait préféré garder pour elle, mais expliquait passablement beaucoup de choses.

Passé la surprise, mon premier réflexe fut de fermer la porte derrière moi pour que le froid ne s’engouffre pas plus, épargnant à l’enfant de s’exposer à la température hivernale.
Ceci fait, je m’agenouillais pour retenir le chiot de sauter partout, y compris sur l’enfant, un large sourire accompagnant mes yeux brillants de joie.
Alors, ma voix se faisait douce et pleine de tendresse lorsque je m’adressais au petit.

Ce n’est rien, une toute petite maladie d’adulte qui sera guérie demain après une bonne nuit de repos.

Je levais un regard admiratif à la milicienne avant de reporter mon attention sur l’enfant.

Je m’appelle Erwan, je suis un ami de ta maman. Tu veux me dire ton prénom ?

Je mettais toutes mes forces et toute mon énergie à ne pas laisser couler des larmes de joies. Ce n’était pourtant pas mon enfant, mais celui d’Héléna et d’un autre. Mais cela ne m’importait pas.
C’était l’enfant d’une femme que j’appréciais plus que de raison et découvrir sa maternité était pour moi un bonheur entier.
Saugrenu, sans doute, mais je suis ainsi.
En vouloir à Héléna de m’avoir caché cet enfant ?
Jamais ! C’était légitime et en aucun cas, je ne saurais lui en tenir rigueur.
J’étais simplement heureux pour elle.

Les yeux encore gonflés de sommeil, Erick se frotta doucement les yeux comme pour mieux voir. À la vue du chiot, le petit bout d'homme se mit à sourire avant de se tourner vers moi comme pour demander mon accord. Cet enfant était comme moi. Lui aussi avait grandi parmi les canidés… Il avait grandi avec eux. Il les aimait, probablement autant que moi. Aussi, voir l'un d'eux à la maison représentait pour lui une grande source de joie. Son inquiétude à mon égard disparut presque aussitôt. Dès que sa petite main timide vint se poser sur la tête du chiot qui, prisonnier des bras de son maître, s'agitait vigoureusement pour venir à la rencontre de l'enfant.

-Je m’appelle Erwan, je suis un ami de ta maman. Tu veux me dire ton prénom ?
- Je m'appelle Erick, répondit-il de sa voix délicate.

Mes yeux se posèrent alors sur Erwan pour l'observer avec attention. Peut-être était-ce l'alcool qui me jouait des tours, mais je cru voir ses yeux briller… De son côté, Cyrielle avait mis de l'eau à bouillir. Sans doute pour me préparer l'une de ses infusions de plantes malodorantes… J'avais beau détester la boisson, force était de reconnaître que, grâce à elle, je ne souffrais jamais de gueule de bois.

- Comment il s'appelle ton chien ? Il ressemble à Oslo. J'aime beaucoup Oslo. Il est tout doux…

Il soupira. Erick aurait adoré avoir un chien à lui. Au fond, Oslo appartenait à la milice, pas à moi. Aussi, chaque soir, il me fallait le laisser au chenil, à notre grand désespoir.

- Tu as vu, maman ? Il ressemble beaucoup à Oslo, pas vrai ? me lança-t-il avant de venir s'asseoir sur mes genoux.
- C'est normal, c'est son petit frère rétorquais-je, souriante.
- Erwan aussi est milichien ?

Je ne pu m'empêcher d'éclater de rire. J'adorais cette petite maladresse, cette erreur de langage que jamais je ne cherchais à corriger. Après tout, ce terme se rapprochait bien plus de mon travail que "brigadier".

- Non, mais il nous aide beaucoup.
- Oslo doit être content de voir son petit frère, moi… soupira-t-il Je ne peux plus voir le miens, et il me manque….

J'avais beau ressentir sa détresse, je ne savais que dire… Jamais. Aussi me contentais-je de le serrer dans mes bras un petit moment, le temps de lui permettre de calmer ses sanglots.

- Voilà pour toi, me dit Cyrielle tout en posant un gobelet puant sur la table. Bois-le, sans faire la grimace… Messire Erwan, je peux vous proposer du vin ou bien de l'hydromel.
- Je peux avoir de l'hydromel moi ?
- Certainement pas. Toi, il est grand temps d'aller te recoucher.
- Mais…
- Il n'y a pas de "mais" qui tienne. Il est tard et tu as besoin de repos.
- Mais… Je veux rester avec maman !
- Ne t'en fais pas. Demain, je ne travaille pas. Nous passerons la journée ensemble.
- Ouiiiii ! s'écria-t-il, de nouveau plein de joie.

Une dernière embrassade et le petit rejoint sa nourrice qui le guida jusqu'à sa chambre. Sans doute lui conterait-elle une histoire, comme toujours. Pour ma part, je bu la première gorgée de cet horrible nectar… En grimaçant.

- C'est… dégoûtant … Vraiment, dis-je en reposant le gobelet.
Je suppose que vous avez des questions… Enfin, à votre place, j'en aurais… Ne vous en privez donc pas. Je peux répondre.

Eh bien enchanté Erick, c’est un plaisir de faire ta connaissance ! Dis-je avec un grand sourire alors que l’enfant tendait la main vers Goup’ qui, surexcité, ne tenait que très peu en place. Le garçon n’étant pas bien réveillé malgré tout, je me gardais de lâcher le chiot.

Il s’appelle Goupil parce qu’il est rusé comme un renard ! Mais souvent, je l’appelle Goup’ et tu as raison, il ressemble à Oslo.

Le petit renchérissait, demandant confirmation à sa maman qui confirma, précisant le lien de parenté. J’observais la scène de ce petit homme prenant place sur les genoux maternels, le sourire de la mère, le confort de l’enfant. Je ne pouvais m’empêcher de trouver cela beau.
Je ne me rappelais pas cette information quant à la parenté des deux chiens, mais tout était allé tellement vite avec Goup’ qu’elle avait pu m’échapper. Ceci étant dit, la question suivante d’Erick me fit, au même titre que sa mère, éclater de rire. Héléna l’informait donc que, non, je n’étais pas “milichien”, lui expliquant qu’en revanche, je les aidais.
Alors, la situation changea soudainement lorsque, les yeux rouges, Erick souligna la chance d’Oslo de pouvoir voir ses frères. Lui ne pouvait plus…
Il fondit en larme pendant qu'Héléna le serrait dans ses bras pour le consoler sans mot dire.

J’assistais à cela en silence, toujours accroupis au sol. Je préférais ne rien dire, ne sachant pas de quoi la vérité était faite. Le petit avait quoi, cinq ou six ans, il avait ainsi vécu, comme nous, l’arrivée de la fange. La seule chose que je pouvais faire, c’était de lâcher Goup’ qui alla directement trouver les pieds de l’enfant en larme pour lui lécher les orteils.

L’amie d’Héléna revient tandis que le petit se calmait, déposant une tasse fumante prêt de la “milichienne”, lui intimant l’ordre de tout boire sans rouspéter. J’allais alors lancer à la blonde un petit sourire taquin, mais la demoiselle m’offrait de me servir à boire.
S’ensuivit, avant même que je ne réponde, un échange entre le petit qui voulait de l’hydromel pendant que l’autre lui soutenait d’aller dormir. Naturellement, la jeune femme eu le dernier mot et c’est ainsi que je regardais, les yeux toujours luisants, l’enfant embrasser sa mère avant de suivre celle qui allait le mettre au lit, Goup’ sur leurs talons.
Alors que j’allais rappeler le chiot, Héléna grogna sur l’arôme de sa boisson en reposant son gobelet. Reportant mon attention sur elle et l’écoutant parler, je me redressais pour venir m’accroupir devant elle. J’arborais un air tendu même si dans mes yeux se lisait encore la joie de l’instant passé.

Que poseriez-vous comme questions ? Demandais-je en chuchotant. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Vous ne me connaissiez peut-être pas assez, vous n’aviez pas assez confiance, vous aviez peur… Quelle qu’en soit la raison, c’était une bonne raison, Héléna ! Vous vous protégiez, c’est tout !

Je balayais le passé d’un revers de main, ce sujet n’avais pas lieu d’être. Pas pour moi.

Il y a deux questions qui me semblent importantes. Combien de frères et sœurs avait Erick ? Que je ne dise pas de bêtises, dès fois que le sujet m’échappe.

Je posais alors la main sur son avant-bras, plantant mon regard humide d’espoir dans le sien.

Ma seconde question c’est… Est-ce que…Je, enfin…Vous.. Bafouillais-je une fois de plus. Je sentais mes joues brûler alors que je n’arrivais pas à me décider à poser ma fichue question. Mes doigts pressaient légèrement son avant-bras, comme pour lui faire comprendre ce que je voulais dire ou, probablement, pour trouver le courage qu’il me manquait.

Êtes-vous d’accord pour que j’aille lui souhaiter une bonne nuit ?

Que poseriez-vous comme questions ? Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Vous ne me connaissiez peut-être pas assez, vous n’aviez pas assez confiance, vous aviez peur… Quelle qu’en soit la raison, c’était une bonne raison, Héléna ! Vous vous protégiez, c’est tout !
-Je n'avais simplement aucune raison de vous en parler, soufflais-je en pouffant. Et puis, la famille faisait partie des sujets à ne pas évoquer. Vous vous en souvenez ?

Il y a deux questions qui me semblent importantes. Combien de frères et sœurs avait Erick ? Que je ne dise pas de bêtises, dès fois que le sujet m’échappe.
-Un frère… soupirais-je, triste de devoir me remémorer ces souvenirs si pénibles. Son jumeaux, Ingvar. Il est mort durant la traversée.

Plutôt que de le regarder, je préférais contempler l'horrible infusion. Je n'aimais pas évoquer cette partie de ma vie… de mon ancienne vie. Mais puisqu'il avait posé la question, autant lui répondre une bonne fois pour toute et ne plus jamais revenir sur le sujet.

La suite fut, quant à elle, particulièrement étrange. Je sentis son regard se poser sur moi, puis sa main sur mon bras.

Je me crispais.

-Ma seconde question c’est… Est-ce que…Je, enfin…Vous..
Êtes-vous d’accord pour que j’aille lui souhaiter une bonne nuit ?

-Pourquoi ? répondis-je perplexe… et probablement un peu sur la défensive après avoir entendu un homme adulte demander de rejoindre mon enfant dans sa chambre. C'est une demande particulièrement étrange, Erwan…

Même si je savais que le forgeron ne représentait aucun danger pour ma famille, je ne pus empêcher mon esprit surprotecteur d'intervenir.

-Vous ne le connaissiez pas il y a encore quelques minutes. N'allez donc pas me faire croire que vous y êtes déjà attaché. Ce n'est pas votre enfant mais le mien. Vous n'avez pas à vous immiscer ainsi dans ma famille.

Mon regard s'était fait plus dur… Plus froid aussi. Je n'aimais pas me comporter de la sorte mais c'était plus fort que moi… Heureusement, Cyrielle nous rejoint avant que je ne me laisse emporter par mon amertume.

- Il s'est endormi à l'instant où sa tête a touché son oreiller. Il devait être sacrément épuisé.

- Merci, Cyrielle.

-Je t'en prie. Cet enfant est un véritable bonheur, dit-elle en contournant la table, faisant mine de ne rien remarquer.

Cyrielle me connaissait parfaitement. Elle savait tout de moi et était capable de ressentir mes émotions. Aussi, tout naturellement, elle s'empressa de détourner le sujet.

- Et bien, vin ou hydromel, messire Erwan ? lança-t-elle, guillerette. - C'est bien la première fois que nous avons de la visite et je dois bien avouer que c'est assez réjouissant. Prenez place, je vous en prie. Avez-vous faim ?

Comprenant que mes "reproches" précédant avaient pu rebuter le pauvre forgeron, je lui fis signe de s'asseoir.

- Je suis curieuse à votre propos, messire. Avez-vous des enfants vous-même ? Vous semblez très proches d'eux ?

Je hochais la tête lorsqu’elle me rappela que nous avions décrété que la famille était un sujet à ne pas aborder. Je m’en souvenais et, maintenant, je comprenais un peu mieux pourquoi elle n’avait pas voulu en parler. Je souriais.

Je m’en souviens, c’est bien pour cela que je n’ai que deux questions à poser. Le reste, c’est vous qui choisirez ce que vous voudrez me confier ou non, si un jour, vous désirez le confier. C’est votre vie Héléna, je n’ai nullement l’intention de m’y imposer.

Elle m’indiquait donc, le visage tiraillé par la douleur des souvenirs, que le petit Erick avait eu un jumeau nommé Ingvar qui était monté sur le Firmament avec eux mais…En était descendu bien plus tôt. Elle fuyait mon regard comme si elle craignait un quelconque jugement de ma part, un reproche ou, peut-être, simplement par pudeur. Je compatissais en silence, n’ayant rien à dire de particulièrement probant ou de réellement utile. Je n’en ressentais pas moins un pincement au cœur, que ce soit pour le petit garçon ou pour sa mère.

Ma seconde question, en revanche, déclencha une réaction à laquelle je ne m’étais pas attendu. Si j’avais anticipé la possibilité évidente d’un refus, je n’avais pas du tout imaginé qu’il serait aussi violent. D’abord surprise, elle semblait ensuite montrer les crocs, dénonçant le fait que je le connaissais à peine. Une lueur d’inquiétude traversait son regard alors qu’elle m’assénait un dernier coup terrible. D’un ton, dur et glacial, elle me rappelait que ce n’était pas mon enfant, mais le sien et que je n’avais pas ma place dans sa famille. C’était la vérité, bien sûr, que ce garçon n’était pas le mien, mais je n’avais pas imaginé que de simplement souhaiter le border déclencherait une aussi brutale remise en place.
Mon visage était figé de honte et de douleur tandis que l’amie d’Héléna revenait et je baissais les yeux, quittant le regard bleu de la milicienne, mortifié. Je retirais la main de son avant-bras en douceur.

Je… Bredouillais-je sans savoir que dire.

L’autre jeune femme, visiblement ravie de ma présence, finalement, annonçait que le petit s’était endormi immédiatement. Elle me proposait de nouveau un verre à boire, trouvant qu’il était agréable d’avoir de la compagnie et m’offrant de m’asseoir. Héléna confirmait, malgré la réprimande passée, que je pouvais prendre une chaise.
Je me redressais alors et, à l’instant où je fus debout, l’amie s’intéressa à moi avec des propos aussi naturels que scabreux pour moi. Elle l’ignorait, Héléna plus ou moins aussi, mais la demoiselle venait de finir le travail de sape de la blonde.

Je… Babillais-je une fois de plus, le teint pâle, livide.

On m’a arraché celle qui devait devenir ma femme il y a plus de dix ans, son père voulant mieux qu’un forgeron… Racontais-je d’une voix étranglée. J’ai été père… Sans jamais connaître ma fille… Un incendie de ce que j’en ai su…

D’un geste fébrile, je retirais le lacet de cuir de mon cou, retirant le médaillon pour le déposer à côté de la tasse d’Héléna. Ce petit médaillon d’argile, cerclé d’argent, une minuscule empreinte de main à jamais immortalisée.

Marie-Solis…Sa mère l’avait appelée ainsi en hommage à ma propre mère et à ma soeur…

Je luttais pour ne pas pleurer, mais c’était d’une difficulté terrible. J’avais choisi de taire mon histoire avec “Clervie”, afin de ne pas risquer de lui porter préjudice.
Je portais alors mon regard sur Cyrielle, dont je connaissais maintenant le prénom. Aucune animosité dans le regard, une simple tristesse que je commençais à surmonter.

Pour vous répondre, non, je n’ai pas d’enfant, bien que j’en rêve… En revanche, je les ai toujours adorés, ce qui, sans doute, me pousse à certaines demandes indélicates. Je reportais mon regard sur Héléna, un regard dénué de reproche. J’en suis d’ailleurs navré. Concluais-je.

Je pris alors place sur une chaise, confirmant qu’un verre d’hydromel ne serait pas de refus.
Etait-ce une bonne idée ? Ne devrais-je pas plutôt les laisser ?
Je ne savais plus quoi penser… Après mon verre, sans doute irais-je rapidement retrouver mon foyer vide.
Une pensée me vient alors et je relève sur la blonde un tout petit sourire timide.

Je crois bien que Goup' veille sur Erick cette nuit, il n'est pas revenu avec Cyrielle...

Je me sentais réellement désolée pour Erwan. Ma réaction purement véhémente l'avait visiblement heurté. Peut-être aurais-je dû lui présenter mes excuses avant que son visage ne prenne cette teinte si blême. Le pauvre homme ne savait visiblement plus où se mettre, ni même s'il devait rester ou partir.

Quoiqu'il en soit, l'intervention de Cyrielle mit un terme à notre pseudo conversation pour en lancer une nouvelle… Sautant, les deux pieds dans un sujet que nous avions convenu de ne pas aborder : la famille.

Pauvre Erwan… Nul doute qu'après cela, ce dernier ne mettrait plus les pieds chez moi.

-On m’a arraché celle qui devait devenir ma femme il y a plus de dix ans, son père voulant mieux qu’un forgeron…J’ai été père… Sans jamais connaître ma fille… Un incendie de ce que j’en ai su…
- Oh … ponctua Cyrielle, probablement aussi désolée que moi même si, pour ma part, je préférais garder le silence.

Après tout, je ne pouvais comprendre la mentalité de ce père qui avait préféré laisser sa petite fille sans père plutôt que de laisser la demoiselle épouser un forgeron alors qu'elle se trouvait déjà enceinte de lui. C'était grotesque…Totalement illogique… Mais surtout regrettable pour le pauvre Erwan.

-Marie-Solis…Sa mère l’avait appelée ainsi en hommage à ma propre mère et à ma sœur… dit-il tout en désignant le médaillon dont il venait de se défaire pour le poser sur la table.

- Je… Je suis désolée…

-Pour vous répondre, non, je n’ai pas d’enfant, bien que j’en rêve… En revanche, je les ai toujours adorés, ce qui, sans doute, me pousse à certaines demandes indélicates. finit-il tout en me lançant un regard humide. J’en suis d’ailleurs navré.

Je chassais ses excuses d'un geste de main. Après tout, même si je ne pouvais comprendre l'intérêt qu'il pouvait porter à un enfant qui lui était totalement inconnu, Erwan n'avait fait de mal à personne.

-Erick est mon enfant… Le seul qui me reste sur cette terre. Si j'ai perdu un fils et un mari, lui a perdu une part de lui sur ce bateau… Le lieu existant entre les jumeaux est vraiment incroyable. Lorsque Ingvad est parti… je bloquais ma respiration afin de contenir les larmes qui menaçaient de couler. Hors de question pour moi de pleurer… Plus maintenant. Bref, il est ce qu'il y a de plus important pour moi. Je me dois de le protéger… Mais j'en fais parfois un peu trop. Je suis désolée.

Je culpabilisais suffisamment de ne pas avoir su protéger Ingvad… De pas être suffisamment présente pour lui à présent qu'il me fallait travailler. Heureusement que Cyrielle était là, sans quoi… Que serait-il advenu de lui ?

La main de mon amie se posa sur la mienne. Lorsque je relevais la tête, mon regard se posa sur son sourire… Toujours si joyeux. Pourtant, s'il y avait bien une personne ici qui avait vécu des horreurs durant son existence, c'était bien elle… Cyrielle.

-Je crois bien que Goup' veille sur Erick cette nuit, il n'est pas revenu avec Cyrielle...

- En effet… Il s'est lové contre lui lorsque je l'ai mis au lit. Ils semblaient si biens tous les deux que je n'ai pas osé le houspiller.

-Je ne suis pas vraiment étonnée… étrangement… pouffais-je avant de me relever. Je suis curieuse de voir ça, pas vous ? demandais-je à Erwan, l'invitant ainsi à me suivre pour mieux observer une scène qui promettait d'être adorable.

Je n’avais pas cherché à faire culpabiliser Héléna, ni à mettre mal à l’aise Cyrielle en racontant cela. C’est une histoire qu’ici, soit les gens connaissent de longue date, soit que je tais. Je l’avais raconté, finalement, parce que j’en ressentais le besoin et qu’il ne me semblait pas me tromper en pensant qu’on ne m’en voudrait pas. Par ailleurs, c’était le meilleur moyen que j’avais d’expliquer pourquoi cet intérêt pour Erick, dire la vérité.
Je faisais confiance à Héléna pour qu’elle ne joue pas de ce savoir et, puisqu’elle faisait confiance à son amie, alors moi aussi.

La milicienne ne disait rien, laissant son amie s’exclamer, visiblement confuse de sa curiosité. Mon récit terminé, mes excuses présentées, la blonde rejetait ces dernières avant de prendre doucement la parole. Je relevais la tête pour l’observer, les yeux toujours dans un brouillard contenu. Elle évoquait un lien qui unissait les jumeaux, lien que son garçon avait de fait perdu, perdant une partie de lui en chemin. Alors, nous étions tous deux à retenir nos larmes tandis que Cyrielle, toujours gênée, m’apportait un verre de vin.
Oui, j’avais demandé de l’hydromel, mais vu le contexte, je ne pouvais lui en vouloir de s’être trompée.
Finalement, Héléna reconnu avoir peut-être été trop prudente et s’en excusait.
Un sourire timide accompagnait ma voix.

Je ne pourrais pas vous en vouloir de penser à protéger votre enfant avant tout, Héléna. Au contraire !

C’est alors que j’avais annoncé la disparition du chiot, fait aussitôt confirmé par Cyrielle qui avouait ne pas avoir eu cœur à les gronder, l’un comme l’autre. Mon sourire s’étirait à cet aveu et je laissais même échapper un léger rire. Héléna renchérissait, n’étant pas surprise, avant de m’inviter à aller constater par nous même. S’il me fallut quelques instants pour être certain d’avoir bien compris, je fus rapidement debout pour la suivre jusqu’à la chambre du petit.

Nous passâmes discrètement la porte et, restant derrière la mère, je m’appuyais au chambranle pour observer la scène. La pièce n’était pas grande, mais contenait deux lits. Celui de l’enfant et, sans doute, celui de sa mère. Le petit garçon avait la couverture remontée jusqu’à la nuque, Goup’, ce sacripant, étalé sur le dos, contre lui et la patte en l’air.
Je contemplais cela avec un regard tendre, le sourire ravi. Je posais doucement la main sur l’épaule d’Héléna, me penchant à elle pour chuchoter.

On dirait qu’ils sont épuisés d’avoir joué ensemble toute la journée, c’est magnifique !

J’expirais proche de sa tête avant d’ajouter un mot.

Merci ! Prononçais-je d’un chuchotement profond, indiquant la réelle reconnaissance que tandis que Goup’ s’étirait pour mieux se caler avant de reprendre son somme. La main était toujours sur l’épaule de la milicienne, je ne quittais pas les deux petits dormeurs des yeux.

On dirait qu’ils sont épuisés d’avoir joué ensemble toute la journée, c’est magnifique ! me dit-il alors qu'il se trouvait anormalement proche de moi, sa main posée sur mon épaule.
Pour autant, et même si je pouvais sentir son souffle sur ma nuque, je ne réagis pas. Erwan m'avait déjà montré sa nature "tactile" aussi mis-je cela sur le compte de sa nature.
- Erick est calme, doux… C'est son tempérament, chuchotais-je à mon tour. Il apaise naturellement les animaux. Oslo aussi s'endort presque aussitôt lorsqu'il se trouve près de lui… C'est un don, je suppose.

Je refermais la porte pour laisser les dormeurs à leurs rêves paisibles. Le sourire de l'enfant ne m'avait pas échappé… Un sourire qui se faisait de plus en plus rare depuis quelques années… Lui qui, autrefois, était un enfant enjoué et plein de vie, aujourd'hui se montrait calme, presque éteint parfois.

- J'ai souvent l'impression qu'il a naturellement adopté le caractère de son frère. C'était un enfant plutôt turbulent, avant… Il a beaucoup changé…

Mais au fond… Qui n'avait pas changé ? Même moi je me trouvais différente de celle que j'étais autrefois. Comme quoi… Nos expériences, bonnes ou mauvaises, nous façonnent d'une manière ou d'une autre.

-Merci… de m'avoir raccompagné… dis-je en le guidant vers le rez-de-chaussée. Évidemment, même sans votre aide, j'aurais été parfaitement capable de retrouver mon chemin, raillais-je gentiment. Cela m'aurait probablement pris un peu plus de temps, c'est tout.

Dans la pièce principale, nous retrouvâmes Cyrielle, toujours attablée, occupée avec sa couture.

- Tiens ? Vous n'avez donc pas récupéré le chiot de messire Erwan ?

-Euh non… Je crois que nous n'avions, ni l'un, ni l'autre, de briser le sommeil des petits dormeurs.

- Dois-je préparer une couche pour messire ? demanda-t-elle en se relevant, reprenant, par habitude, ses attitudes d'esclave.

-Oh non ! m'offusquais-je, plus pour l'attitude de mon amie que par l'idée de voir Erwan passer la nuit ici. Si Erwan veut rester ici, je peux très bien m'occuper de sa paillasse.

- J'ai recommencé ?

J'acquiesçais, souriante.

- Décidément… Les vieilles habitudes ont la dent dure. Dans ce cas, je vais aller me coucher.

-Bonne nuit.

Elle nous salua, s'inclinant presque, avant de monter à l'étage pour rejoindre sa chambre.

-Vous avez le choix, lui lançais-je subitement. Vous pouvez profiter de mon hospitalité pour cette nuit et repartir avec Goupil demain matin ou … Je peux vous le ramener dans la journée.

L'effet de la potion de Cyrielle se faisait sentir, j'avais presque totalement dégrisé. Je me trouvais même en pleine forme… Enfin, plus ou moins.

-J'ai rencontré Cyrielle sur le Firmament. Elle accompagnait son "maître"... à l'époque, elle n'avait pas de prénom, seulement un numéro… Huit. Bref. Nous nous sommes liées d'amitié et quand son maître est mort et qu'elle n'avait plus de contraintes, elle a tout naturellement rejoint notre famille… Et même si aujourd'hui elle est totalement libre, il lui arrive encore, par moment, de prendre cette attitude étrange… Elle est… Comme une grande soeur pour moi. D'ailleurs, Erick l'appelle "ma tante"...

Je ne saurais dire pourquoi je lui racontais tout cela… Sans doute pour qu'il ne prenne pas mon amie pour une servante, même si je doutais qu'il ait dans l'idée de lui donner des ordres. Néanmoins, certains de ses comportements pouvaient induire les inconnus en erreur, ça, j'en ai été témoin plus d'une fois.

- Quoi qu'il en soit, sachez que si vous souhaitez rester, vous serez le bienvenu.

Tout le temps où nous étions restés à les observer, la jeune femme n’avait pas chassé ma main. À la base, posée là pour qu’elle ne risque pas de me rentrer dedans en se retournant, je n’avais pas réfléchi à l’enlever. Elle me répondait en affirmant que le petit était ainsi et que les chiens le sentaient et s’apaisaient à son contact.

Il avait la tendresse dans le regard en arrivant tout à l’heure. Murmurais-je avant qu’elle ne recule et que l’on quitte la pièce. Je ne répondais rien à l’évocation du changement de caractère du petit, c’était un constat qu’elle seule pouvait faire. Tout en me reconduisant en bas, elle me remerciait de l’avoir ramenée, affirmant sur le ton de la plaisanterie qu’elle y serait parvenue seule…Avant d’admettre qu’il lui aurait sans doute fallu plus de temps.

Aucun soucis Héléna, je ne pouvais pas vous abandonner ainsi… Dis-je en arrivant dans la pièce où nous attendaient Cyrielle et nos deux verres. L’amie s’étonnait de ne pas voir de chiot et la milicienne avança la raison, nous n’avions pas eu le cœur à les séparer.

En effet, deux bien heureux comme cela, on les laisse ! Annonçais-je avec un sourire lumineux.

C’est alors que s’enchaina un échange entre les deux femmes qui me prit au dépourvu. L’une demandait s’il lui fallait me préparer un couchage, l’autre brandit un “non” ferme. Pensant la question réglée, Héléna assurait pouvoir s’occuper de moi, remettant finalement l’option sur la table.
À ce stade, j’étais paumé, mais un sourire amusé, c'était dessiné sur mes lèvres.
Il fut ensuite question d’habitudes qui persistent pour que finalement la demoiselle prenne congés. Alors qu’elle s’attaquait à l’escalier, je l’alpaguais.

Cyrielle ! S'il vous plaît ! Appelez-moi simplement Erwan, vous voulez bien ? Bonne nuit !

Finalement, je me retrouvais seul avec Héléna qui semblait bien plus alerte grâce au breuvage de son amie. Elle m’annonça alors que la possibilité s’offrait à moi de passer la nuit ici pour repartir avec le chiot au matin ou bien qu’elle me le ramène.
Sans trop me laisser le temps de répondre, elle m’expliquait les circonstances de sa rencontre avec la jeune femme. Je découvrais donc encore une vie malmenée, mais pour qui la roue avait tourné dans le bon sens. Je hochais la tête en souriant.

Cela se voit qu’elle défendrait votre fils, comme vous, contre tout. C’est une bonne personne, à n’en point douter. C’est une belle petite famille que vous avez.

Finalement, elle m’offrait de nouveau l’hébergement pour la nuit, précisant que j’étais le bienvenu. Je l’observais, comme si je cherchais à m’assurer qu’elle ne se sentait pas redevable de quelque chose. Un incompréhensible rougeur gagnait mes joues.

Bon…Eh bien, c’est d’accord ! Décidais-je en hochant la tête. Terminons d’abord nos verres ! Ajoutais-je en prenant place sur ma chaise et en invitant la jeune femme à faire de même.
L’idée de dormir ici me remplissait d’une joie assez extraordinaire. Celle d’avoir un peu de temps avec la blonde, plus encore. Par ailleurs, il me fallait bien avouer que dormir dans une maison vivante, cela m’enchantait.