Dans un élan d'altruisme [Feat. Louisa Courtepointe]

Louisa s’était posée dans un coin du hall principal, présente et en même temps tout à fait déconnectée de ce qui se passait autour d’elle. Plusieurs de ses Frères et Sœurs s’étaient dévoués pour aller promener avec la majorité des Orphelins du Temple et la jeune prêtresse avait accueilli la possibilité de rester derrière et de souffler un peu avec soulagement. Elle avait peu de temps à consacrer à sa propre foi dernièrement et ces quelques instants de calme tout relatif pourraient lui permettre de se poser un peu.

Le hall principal était généralement bien trop fréquenté pour elle mais elle s’était forcée à s’y rendre et s’était installée un peu à l’écart. Bien que plongée en prières, elle avait gardé une posture ouverte – sinon on allait encore dire qu’elle était trop sur la défensive…

La jeune prêtresse ne s’était pas attendue à rester tranquille bien longtemps aussi ne fut-elle pas surprise lorsqu’une voix légère l’interpela. Elle posa ses yeux d’ambre fatigués sur la petite chose délicate qui venait de parler et dut retenir un haussement de sourcils. Un peu plus jeune que Louisa mais plus grande et tout en finesse, presque maigre, son interlocutrice donnait l’impression de risquer de se briser au moindre coup de vent…

« Bien sûr. Je suis Sœur Louisa. En quoi puis-je vous aider ? », répondit-elle amiablement en se levant pour faire face à la jeune femme.

Dans son esprit, Louisa se demandait déjà ce qui pouvait amener une jeune bourgeoise à demander de l’aide à une prêtresse comme elle. Des déboires amoureux ? Des soucis familiaux ? Mh… Un peu dérangée à l’idée de se trouver embarrassée de choses qui ne la regardaient pas, elle était aussi terriblement curieuse… Cela pourrait quand même être intéressant.

Louisa écouta avec attention les indications de la jeune femme et son sang se glaça dans ses veines au fur et à mesure du récit. Elle détestait ce genre de choses… Elles lui rappelaient beaucoup trop les quelques semaines qui avaient suivi la catastrophe du couronnement pendant lesquelles elle avait passé son temps à courir aux quatre coins de Marbrume pour récupérer les enfants seuls et abandonnés. Peu à peu, les signalements s’étaient fait de plus en plus rares à mesure que la situation s’était calmée mais il arrivait encore qu’une bonne âme vienne avertir le Clergé de circonstances similaires. Après tout, des morts à Marbrume, on en comptait encore tous les jours, sans parler des personnes qui avaient initialement recueilli des enfants, souvent avec de bonnes intentions, mais étaient finalement dépassés.

« Vous êtes plutôt bien tombée, je m’occupe principalement des Orphelins du Temple, justement. », répondit-elle avec un sourire rassurant. « Sans doute pouvons-nous les aider, au moins le temps nécessaire au petit malade de guérir. », ajouta-t-elle avec une forme de contrition. Les dortoirs étaient déjà bondés. Elle et ses Sœurs avaient parfois l’impression que pour chaque enfant placé comme aspirant compagnon, deux autres les rejoignaient. Elle espérait sincèrement que les deux enfants mentionnés par Maxine ne faisaient d'ailleurs pas partie des plus âgés qu’ils avaient déjà dû relâcher dans la nature par manque de place…

À la proposition de la jeune femme de l’accompagner au Goulot, Louisa la soupesa une nouvelle fois du regard. Un si joli minois dans les rues sombres du plus sale quartier de la ville, ça n’allait pas passé inaperçu. Elle s’en sortait généralement grâce à ses robes de prêtresse et son caractère bien trempé mais la petite bourgeoise ? En même temps, c’était elle qui disposait des informations nécessaires pour débusquer les enfants et Louisa se voyait mal lui soutirer toutes les indications avant de l’abandonner sur le parvis du Temple. La remarque bien naïve de la jeune Maxine sur le Goulot aurait dû lui mettre la puce à l'oreille mais elle n'y prêta pas plus d'attention, mettant son innocence sur le dos de sa jeunesse.

« Nous irons donc. », fit-elle avec un nouveau sourire. « Si vous voulez bien m’attendre près de l’entrée ? Je vais rassembler quelques affaire qui pourraient nous être utiles et vous rejoins dès que possible. »

À peine reçue la réponse de la jeune femme, Lou’ s’enfonça dans les méandres du Temple, courant presque. Il n’y avait pas d’urgence absolue pour les enfants, quelques minutes de plus ne changeraient rien à leur malheur, mais elle ne voulait pas faire attendre son informatrice. Rassemblant dans une besace de quoi soigner mais aussi nourrir et abreuver les enfants, la jeune prêtresse informa sommairement sa mère responsable – elle avait l’habitude après tout – et rejoignit son accompagnatrice du jour. Elle l’invita alors à la suivre à l’extérieur de la monumentale bâtisse.

« Le Goulot du côté du port, avez-vous dit ? », fit-elle en s’orientant à peu près. « Cela fait… pas mal de territoire à couvrir. Vous n’en savez pas plus ? », interrogea-t-elle en se mettant lentement en route dans la direction générale du Goulot.

Louisa écouta avec attention les indications de la jeune femme et sourit tranquillement. Un grand marché alimentaire et une taverne connue… L’Abreuvoir, peut-être ?

« C’est plus que suffisant, ne vous inquiétez pas », répliqua-t-elle aux excuses de Maxine. « Les locaux devraient pouvoir nous orienter un peu plus. »

Elle guida la jeune bourgeoise à travers les rues de Marbrume, gardant un œil sur l’attitude de son accompagnatrice. Cette dernière n’était clairement pas à l’aise… La question ne la surprit donc pas. Il était peut-être temps de rassurer la jeune femme qui semblait s’être embarquée dans une mission un peu trop terrifiante pour elle.

« Oui, plutôt… Je suis née ici. », admit-elle. « Et ma famille vit toujours dans ce quartier, plus au nord. »

La prêtresse s’arrêta alors et fit signe à la jeune Maxine de s’approcher un peu plus d’elle.
« Restez près de moi, et gardez votre capuche levée autant que possible. Laissez-moi parler… », elle s’interrompit pour lui adresser un sourire rassurant, « et quoi qu’il arrive, ne paniquez pas. Faites-moi confiance. D’accord ? »

Elle reprit alors son chemin, s’arrêtant deux croisements plus tard devant une grande taverne décrépie au possible.

« Bienvenue à l’Abreuvoir… », fit-elle à son accompagnatrice, sur un ton un peu moqueur. « Nous allons éviter d’entrer, si possible.» Entrer dans un tel lieu avec la délicate Maxine, c’était presque appeler à l’émeute. Ses yeux parcoururent donc les alentours. Heureusement, ses prières furent entendues et un adolescent qui disait vaguement quelque chose à Lou passa à portée de mains. La prêtresse le héla et le gamin dégingandé s’approcha avec méfiance.

« Bonjour… Tom, c’est bien ça ? »
Il acquiesça simplement, toujours méfiant, son regard passant sans cesse de Louisa à Maxine.
« Nous avons entendu parler de deux enfants qui seraient livrés à eux-mêmes dans le coin. L’un d’eux serait malade. Ca te dit quelque chose ? »
Le jeune garçon tiqua.

Louisa remercia Tom, lui rappelant de passer au Temple s’il se trouvait en difficultés. Le jeune garçon avait beau avoir été relâché dans la nature six mois plus tôt, ça ne voulait pas dire que le Clergé allait le laisser crever de faim s’il se trouvait dans le besoin. Tom acquiesça de nouveau, cette fois un léger sourire aux lèvres, et déguerpit vers la taverne.

La prêtresse observa ensuite le chemin qui les mènerait à la petite ruelle désignée. Il leur faudrait traverser une partie du marché, assez fréquenté à cette heure. C’était une autre histoire que de se faufiler discrètement dans les rues du Goulot. Elle savait que ses robes de prêtresse la protégeaient de la majorité des problèmes qui pourraient se poser, mais il n’était toutefois pas exclu qu’un homme impertinent ou ivre tente de s’approcher de la jeune bourgeoise. Soit, Lou’ n’en serait pas à sa première confrontation. Elle avait su que ce serait une possibilité à la seconde où elle avait accepté que la jeune femme bien trop habillée pour l’occasion ne l’accompagne. Quand elles se remirent en marche, elle apporta donc une attention toute particulière à leur environnement et s’assura de toujours sentir la présence de Maxine près d’elle.

Arrivées à l’entrée de la ruelle, Louisa rendit son regard inquiet à Maxine et la laissa s’avancer dans le cul-de-sac pendant qu’elle jetait un œil aux alentours. Il serait malvenu de se trouver aculées dans la ruelle. La voix de l’enfant qui s’éleva en réponse à la jeune bourgeoise réveilla cependant ses instincts et elle combla la distance la séparant de la scène, observant celle-ci au fur et à mesure qu’elle s’avançait. Deux enfants, comme le disait la rumeur. Le garçon devait avoir une petite dizaine d’années et la petite fille encore moins. Ce n’était pas des enfants qui auraient dû se trouver seuls dehors au sortir de l’hiver… Elle s’approcha encore un peu, la lueur d’espoir dans les yeux du garçon s’intensifiant en reconnaissant les robes qu’elle portait.

L’inquiétude de Louisa grandit en remarquant le regard que Maxine lui lança et elle vint s’agenouiller près d’eux. Bien que son cœur battait la chamade à l’idée d’être arrivée trop tard, elle tendit ses mains assurées vers la petite fille, cherchant d’abord le pouls de l’enfant dans sa nuque.

« Comment t’appelles-tu ? Et ta petite sœur ? », demanda-t-elle au garçon pour tenter de le distraire de ce qui était en train de se passer. Elle accompagna ses questions d’un regard entendu à l’attention de son accompagnatrice et d’un léger signe de tête vers le garçon. Si Maxine pouvait faire parler l’enfant pendant qu’elle s’occupait de la petite fille, cela pourrait lui faciliter la tâche. Car le pouls de la gamine était quasi inexistant. En réalité, Lou’ se demandait même si elle ne s’imaginait pas la faible sensation au bout de ses doigts pour tenter de se rassurer. Elle poursuivit donc ses observations, amenant son oreille près du nez de l’enfant, puis la paume de sa main. Il y avait bien un souffle, mais si ténu qu’encore une fois, Louisa avait peur de le rêver pour apaiser son propre esprit. Elle tenta donc de garder un visage impassible alors qu’elle se redressait. La seule chose à faire était d’essayer de réchauffer la gamine, mais ils étaient beaucoup trop loin du Temple que pour la porter jusque là. Elle ne pouvait pas non plus entrer dans n’importe quelle maison en espérant y trouver un feu de cheminée. Il n’y avait plus grand monde dans le Goulot qui pouvait se payer du bois de chauffage…

Louisa soupira sa frustration. Le seul endroit à une distance raisonnable où elle était certaine de trouver une source de chaleur, c’était cette fichue taverne. Elle se redressa complètement et attira l’attention de Maxine.
« Je peux vous parler un instant, ma Dame ? », fit-elle à celle-ci d’une voix qu’elle espérait égale. Elle recula vers l’entrée du cul-de-sac et exposa la situation à la jeune bourgeoise, loin des oreilles du garçon.
« J’ai bien peur que ce soit trop tard pour la petite… Ses signes vitaux sont presque éteints, c’est une question de minutes… Nous pourrions essayer de la réchauffer pour voir si elle récupère suffisamment afin d’être transportée au Temple mais cela impliquerait d’entrer dans la taverne et je ne peux garantir que cela suffira. Je voulais votre avis, avant de prendre une quelconque décision… »
L’autre option ne plairait à personne… Ce ne serait pas la première fois que Lou’ veillerait une personne sur le point de s’éteindre, pas même un enfant. Il faudrait ensuite informer une patrouille de miliciens du décès afin qu’ils s’assurent que la petite ne se relèverait pas…

Louisa serra discrètement les dents à l’idée d’entrer dans la taverne mais n’eut aucun mal à admettre que c’était là la seule solution moralement acceptable. Il fallait au moins tenter quelque chose. Et pour être honnête, si elle avait été seule, elle n’aurait même pas réfléchi à la question et la petite Rose serait déjà à l’intérieur. Mais il y avait Maxine, ses beaux vêtements et son joli minois à considérer.

« Très bien, allons-y. Mais je vous en prie, gardez bien votre capuche et ne vous éloignez pas. »

Elle revint ensuite vers le bout du cul-de-sac tout en retirant sa cape et commença à emmitoufler la petite fille glacée avec l’épais tissu grossier.

« Noé, nous allons entrer dans la taverne avec Rose, d’accord? Je veux que tu nous suives et que tu restes près de Dame Maxine, compris? »

Le petit Noé lui lança un regard navré en tirant le bord de sa tunique.

« Mais… Ils ne veulent pas nous laisser entrer, dans la taverne… », répondit-il à voix basse.

« Ne t’en fais pas, ils te laisseront entrer aujourd’hui. En route. »

Sur ses mots, la prêtresse prit l’enfant dans ses bras et se releva. Elle-même était plutôt petite et elle avait toujours des difficultés à porter les enfants plus âgés mais la petite Rose était tellement mal-nourrie qu’elle ne pesait pas bien lourd dans ses bras. Elle quitta alors la ruelle, revenant sur ses pas vers la taverne tout en vérifiant que Maxine et Noé la suivaient bien. Les regards des badauds se firent encore plus insistants tandis qu’ils traversaient le marché et Lou’ dut se retenir d’invectiver cette bande d’imbéciles. Elle était persuadée qu’au moins certains des marchands étaient tout à fait au courant de la présence des deux enfants dans la ruelle. Et personne - personne! - n’avait rien fait.

Les traits durcis, elle s’approcha de l’établissement juste comme un client en sortait, titubant.

« Gardez la porte ouverte! », lança-t-elle à l’homme sidéré devant leur étrange équipe. Elle put entrer sans soucis, vérifia encore une fois que Maxine et Noé étaient juste derrière elle, et elle s’avança dans la bâtisse délabrée.

La taverne n’était pas bien grande. La cheminée faisait face au comptoir décrépi et, comme dans beaucoup d’endroits comme celui-ci à travers le Goulot, seuls restaient des bancs et tabourets, les tables ayant fini en petit bois pour le feu il y a bien longtemps. Les quelques fenêtres étaient tellement sales que la lumière peinait à traverser et le sol était couvert d’une substance à laquelle Lou’ préférait ne pas penser. En plein milieu de la journée, il n’y avait pas grand monde à l’intérieur, si ce n’était quelques habitués agglutinés au comptoir et l’un ou l’autre solitaire dont elle ne faisait que deviner la présence dans la pénombre. La prêtresse se dirigea donc rapidement vers le banc le plus proche de la cheminée et s’y assit, installant l’enfant sur ses genoux pour ajouter sa chaleur corporelle à cette des flammes.

Le tavernier n’avait pas l’air d’un mauvais bougre et il s’approcha, son épaisse moustache ne pouvait masquer sa surprise.

« Hum… Bonjour… Ma Soeur? Je peux vous aider? »

Louisa le soupesa un bref instant du regard, son air distant habituel de retour sur son visage.

« Bonjour… À moins que vous n’ayez des couvertures sous la main, je ne pense pas… » Elle s’interrompit un bref instant puis reprit: « En fait, deux pintes, s’il vous plaît, et qu’importe ce que vous avez d’approprié pour le petit. »

Il acquiesça avant de retourner vers son comptoir. Maintenant qu’ils consommaient, il n’avait aucune raison de les mettre à la porte… Tous les yeux étaient tournés vers eux mais la prêtresse tenta d’en faire abstraction et fit signe à Maxine et Noé de s’approcher encore un peu.

« Nous devons la réchauffer, ses extrémités sont gelées. Noé, peux-tu essayer de frictionner ses pieds? Et Dame Maxine, ses mains? »

La prêtresse avait accepté la cape supplémentaire avec plaisir et drapé le tissu de bonne facture bien serré autour de l’enfant qu’elle tenait toujours de ses bras. Le tavernier était venu déposer près d’eux les choppes de bière ainsi qu’une pinte de lait pour le petit avec un regard lourd de sens, puis il était retourné derrière son comptoir sans un mot.

Louise avait bien conscience qu’ils étaient le centre de l’attention. L’une de ses mains se libéra pour attraper la choppe la plus proche d’elle et elle en but une longue gorgée avant de la reposer. Clairement pas la meilleure bière, même pour le Goulot, mais ça faisait du bien à ses nerfs. Elle adressa un petit coup d’oeil en coin à Maxine.
« Vous n’êtes pas obligée de la boire, c’est juste pour que le tenancier ne puisse pas nous mettre dehors si facilement. », fit-elle à voix basse.

Lou’  s’abîma ensuite dans la contemplation des flammes, sa joue posée sur la tête de la petite fille blottie sur ses genoux.
Puis, la question de Maxine la sortit de sa rêverie. Elle tourna la tête de l’autre côté pour croiser le regard de la demoiselle.
En réalité, cela faisait maintenant plusieurs minutes que la prêtresse ne détectait plus aucun signe de vie de Rose. Et elle avait reporté aussi longtemps que possible le moment de faire face à cette vérité, à cet échec. Mais elle se refusait à mentir et leur fit signe à tous les deux d'arrêter les inutiles frictions.
Comment faire passer la nouvelle auprès de Noé toutefois? D’autant qu’elle savait que le jeune garçon était suspendu à chacun de ses mots.

Louisa serra un peu plus le petit corps dans ses bras et répondit enfin à Maxine d’un regard témoignant de toute sa tristesse.
Elle se tourna ensuite vers le petit Noé, l’expression un peu plus neutre pour ne pas affoler l’enfant et se présenter rapidement comme un adulte stable sur lequel il pourrait compter. Elle ne ramènerait qu’un enfant au Temple, après tout…
« Je suis désolée, Noé… Nous sommes arrivées trop tard. Rose nous a quittés. »

Citation :

Lancer de dé - Echec - La petite fille décède

La colère de Noé était compréhensible, même si sa manifestation à l’encontre de la pauvre Maxine n’était pas justifiée. Il serait toutefois malvenu de contester la grogne de l’enfant. Ses sentiments étaient valides et tenter de les réprimer n’amènerait rien de bon.

Louisa observa donc le jeune garçon déverser sa frustration pour ensuite focaliser son regard sur le corps de sa petite soeur. L’aubergiste, qui avait compris ce qui était en train de se passer, s’approcha, l’air un peu gêné, et la prêtresse n’eut pas besoin de l’entendre parler pour savoir d’où venait le problème. En résumé, les petites filles mortes, ce n’était pas bon pour les affaires.

« Tu as raison, Noé, nous sommes arrivées trop tard. C’est terriblement triste et c’est injuste. Mais sans Dame Maxine, nous ne serions pas là du tout. »

L’expression de l’enfant se crispa un peu plus, la culpabilité de s’en être pris à sa sauveuse s’ajoutant à la douleur naissante du deuil. Car Noé n’en était qu’au début de ses peines.

« Dites… Euh… »
Encore ce fichu tavernier, qui commençait à lui taper sur le système.
« Oui, j’ai compris… », fit-elle immédiatement en le foudroyant du regard.

D’autres clients semblaient de plus en plus dérangés et la prêtresse, serrant la petite contre elle d’une main, posa l’autre sur l’épaule de Maxine.
« Nous devons partir… », indiqua-t-elle tout bas. Mais alors qu’elle allait se lever, une silhouette familière sortit des ombres et s’approcha, solennelle.
« Laissez-moi la porter pour vous, ma Soeur. », fit le jeune Tom.

Un peu surprise par sa présence, Lou’ hésita un instant, puis elle se souvint. Le jeune homme aussi avait une soeur. Gladys. Qui n’était jamais rentrée après la catastrophe du couronnement.
« Merci, Tom… », répondit-elle, en se relevant pour lui passer le corps de l’enfant.

Il était peut-être tragique que les deux jeunes femmes soient arrivées trop tard mais au moins le corps de la petite fille ne serait-il pas laissé aux chiens et autres rongeurs. Elle ferait tout son possible pour que Rose repose en paix, et que Noé ait une chance d’un jour surmonter ce drame. Et ça commençait par traiter le petit corps comme il se devait.

Délestée de son poids, la prêtresse se pencha donc sur Maxine et l’incita à se relever. La sensibilité de la jeune femme la touchait beaucoup et elle tenta de lui transmettre toute son empathie d’un doux regard.
« Nous devons partir… », répéta-t-elle tout bas. « Je vais les emmener au port, donner le corps à la mer. C’est malheureusement la seule chose que je puisse faire pour Rose à ce stade. Et puis je ramènerai Noé au Temple pour qu’il soit recueilli. Voulez-vous nous accompagner? Au port? »

Elle revint ensuite à Noé, qui avait toujours les yeux fixés sur sa petite soeur, maintenant dans les bras de Tom. Il ne recula pas quand elle s’approcha de lui et elle s’accroupit pour poser les mains sur ses épaules.
« Nous ne pouvons pas nous attarder ici plus longtemps, Noé, et il y a certaines choses… qu’il vaut mieux ne pas reporter à plus tard. Que dis-tu que nous allions confier Rose à Anür, mh? » La colère du petite garçon s’était apaisée pour laisser place à une profonde détresse. Il acquiesça, perdu, et Louisa le prit par la main.
« Allons-y… », fit-elle avec toute la douceur dont elle était capable à leur étrange petite compagnie. Il lui fallait rester en contrôle et efficace.

La jetée la plus au sud était la plus tranquille. Ils auraient toute la quiétude nécessaire pour permettre à Noé de dire au revoir à sa petite soeur, et la prêtresse donna le départ.

La voix de Louisa désamorça la détresse de la jeune noble, activant un triste automatisme chez la Comtesse.

L'image. Elle essuya rapidement les petites larmes qui commençaient à s'écouler. Elle ne doit pas pleurer en public. Comportement dont Camélia a été conditionné depuis toute petite : le faire semblant. En tant que Comtesse, elle ne devait montrer de faiblesse, au risque d'affaiblir l'image de la maison. C'était tout du moins ce que son père lui avait inculqué durant la majorité de sa vie.

Ainsi, une grande inspiration... Pour finalement détourner le regard vers Louisa et les enfants, surprise de l'arrivée de Tom qu'elle n'avait évidemment pas remarquée plus tôt. La Fleur offrit un petit sourire à la Soeur, acquiesçant doucement la tête.

- Nous devons partir… Je vais les emmener au port, donner le corps à la mer. C’est malheureusement la seule chose que je puisse faire pour Rose à ce stade. Et puis je ramènerai Noé au Temple pour qu’il soit recueilli. Voulez-vous nous accompagner? Au port?

Camélia resta silencieuse... encaissant à nouveau le coup de son ignorance. Elle avait déjà entendue parler des méthodes post-mortem depuis le début de la Fange, mais elle n'avait jamais été confronté directement à cette éventualité. Aujourd'hui, sa naïveté se réduisait, à ses dépends. Les personnes considérées comme insignifiante pour la société n'étaient bonnes qu'à jeter à la mer lorsque leur dernier souffle fut. Cette réalité frustra davantage la Comtesse... amplifiant l'arrière goût de culpabilité concernant son propre contexte de vie.

- Oui, je vous accompagne.

L'image. Au détriment de ses propres émotions.

~•~

Le chemin fut silencieux du côté de la Fleur. Elle passa les premiers mètres à travailler sur elle-même pour se préparer à ce qu'elle pourrait voir par la suite.

Une fois arrivés au port le plus au sud, Camélia ralentissait son pas. L'eau était calme... et patiente. Les vagues s’agitaient beaucoup moins que d'habitude, comme si elle comprenait parfaitement la situation. Cette vue qui, d'habitude, passionnait la Belle qui n'avait pas eu l'occasion de voir le monde extérieur très souvent durant son existence... ce jour, cette vue lui serra le cœur. Combien de personnes ont-elles clôturé leur vie dans cette eau ?

Un petit temps de réflexion s'imposa à la jeune noble, tiraillée entre ses propres émotions et l'image qu'elle était censée aborder... Sa gorge se nouait à la vue du corps de l'enfant qui allait retourner à la nature, les larmes montaient à la vue de Noé qui s'enfonçait dans sa détresse plus le moment fatidique s'approchait.

La Fleur garda la tête relevé, clignant des yeux pour faire fuir les gouttes qui les accompagnaient. Un petit murmure à la Soeur, avant qu'elle ne s'avance vers le port. Les dires de l'enfant se répétaient dans sa tête, encore et encore. Bien qu'elle sentait que ses limites étaient atteintes... elle sentait qu'elle n'était plus une personne ressource pour Noé, qui dirigeait sa colère vers la noble, à plus ou moins juste titre.

- Je vais vous attendre ici. Je pense que votre unique accompagnement sera plus adapté pour Noé.

Elle offrit un petit sourire empathique à la Sœur, essayant de camoufler le tourbillon de sentiments par la douce façade qu'elle portait depuis le début de leur rencontre.

Petite légende :
Violet : Camélia
Bleu clair : Louisa