Sur des promesses, sur des vœux, s’étaient établies les directives du fugitif ; Les dernières volontés d’un condamné. Aux premières lueurs, l’Apothicaire avait alpagué la patrouille pour livrer le Lige, activement recherché. Quelques écus et quelques encenses, avaient achevé l’affaire. Un dernier regard vers la « Crapaude », un sourire humble et un fléchissement de nuque, avaient scellé cette séparation. Fut-elle un au revoir, ou un adieu.
Serein, l’homme suivait les quatre troupiers, cheminant vers le nord-est du Goulot ; Cette marche lourde, pesante, était un pèlerinage nécessaire. Fanfaronnant déjà, les Miliciens accueillaient les cris de liesse de la gueusaille, enhardie par ce spectacle, par l’exposition du « Monstre » que ces fabulateurs avaient prétendument capturé. Toujours plus avide de sang les péons s’agitaient, creusés par la famine mais toujours bouffis de haine. Vilipendant, injuriant et condamnant l’inconnu, les ignares y allaient de leurs petites sentences. On suggéra de bouillir, de pendre, d’équarrir et de passer le cadavre du « Baisemort » par delà le mur. Les charpentiers y allaient de leurs petits commerce, proposant d’édifier des potences, arrivés à la hanse, ce furent les marins qui proposèrent leurs cordages pour « décorer les remparts avec la charogne ».
Il était presque agréable d’être devenu un symbole d’unité, ce genre réjouissance semblait presque briser les frontières.
Les bon vieux factionnaires paradaient, exhibaient une prise, qui n’était même pas la leur ; Mais peut-être lassés de promener le captif, encouragés par leurs favoris dans les quartiers commerciaux, ils décidèrent que l’exécution aurait lieu ici. Sur cette petite place méphitique, où l’odeur insoutenable de vieille poiscaille, martelait le cap des narines au cervelet.
Un des poissonniers leva son coutelas, proposant qu’on vide le pauvre hère avant de le suspendre, mais le regard du Chevalier, le ramena bien vite à la réalité. Il n’était rien de moins qu’un gagne-petit, que seule la morue avait eu à craindre. Pour sur, le vieil édenté, en avait porpissé. Puis le timbre grave et puissant du prisonnier s’éleva :
-« Je ne contenterais pas la basse extrace, mon ascendance et mon titre, m’octroient l’inaliénable droit de faire appel à un représentant de la Noblesse pour être jugé ou à réclamer l’intervention du Bailli. Un homme instruit et capable de comprendre les faits qui m’ont été reprochés. Ce n’est certainement pas une tribune de merdaillons et de grivetons qui se chargera de prononcer ma sentence. Maintenant menez moi à l’esplanade … »
Il y eut tout d’abord de virulentes protestations de la plèbe, quelques ricanements des membres de la milice. La requête, pourtant légitime du Lige, ne sembla pas émouvoir ses bourreaux. Le plus bravache de la compagnie s’empressa bien vite de se donner en spectacle.
-« 'Coutez l’hobereau pincé d’l’oeillet, y croit qu’nous aut’ on attache d’l’importance à ses salamalecs de nobliau affété et poudré. Arf arf, qu’elle est bonne. Pas vrai lé gors ? »
Les rires gras des soudards s’élevèrent comme autant d’éructations et de vomissures, sur le flot continu, des exhortations de la populace. Piqué par le courroux, le prisonnier y mis rapidement terme :
-« Dis moi l’érudit, qu’est ce qui t’effraie le plus ? Une cohorte de loqueteux privée de sa petite représentation journalière, ou les régents et bourgeois que tu priveras de leurs bons droits ? T’as pas peur de finir les deux mains dans les latrines … Pour le mieux ? Voir au bout d’une corde, à mes côtés jusqu’à ce que les gorgeons d’Anür nous séparent ? »
-« Teh ! » Souffla-t-il, comme si il venait de recevoir sa palmée « Boh lé gors, on l’emmène chez le Seigneur Terresang, on verra s’il a ‘cor envie d’jouer l’aule avec nouz’aut’ »
Ainsi la messe fut dite. Le groupe cheminait déjà vers le nord, approchant pas à pas, les Quartiers nobles de la Cité. C’est dans cette ambiance, lourde et chargée de tensions, qu’ils s’engouffrèrent dans la « Rue du sang » ; Un nom Ô combien vendeur. Une promesse de tous les instants.